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  • Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (5)

     

    lfar bleu.jpgNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

     

    2235704335.jpg1ère partie : l’Homme Masse

    « De Caillaux à Giscard » : le système libéral

    L'homme qui donna au capitalisme une nouvelle vigueur ne se préoccupait pourtant pas, du moins au niveau du discours, de mettre en œuvre les théories de Keynes. Lord Beveridge, quand il publia en 1944 « Full employement in the free society » qui préconisait le « Welfare State » l’Etat Providence prétendait ne se soucier que du bonheur du peuple. Il s'agissait de libérer les individus des « trois craintes », crainte de la maladie, grâce à la sécurité sociale, crainte de la misère, grâce au salaire minimum garanti, crainte du chômage grâce à des interventions de l'Etat, destinées à stimuler la demande.

    Les pieuses dissertations du philanthrope dissimulaient un raisonnement cynique. Il convenait de pousser les gens à consommer des biens produits en grande série. Pour cela, on retirerait de l'argent aux riches afin de donner aux pauvres, sous prétexte de réduire les inégalités sociales. Les riches sont, en effet, de mauvais consommateurs, dans la mesure où ils recherchent le luxe. Ils détournent ainsi une fraction importante des revenus disponibles qu'il importe de redistribuer, au moins partiellement, afin qu'elle serve à l'achat de biens fabriqués en grande série. De plus, l'individu qui craint pour son avenir met de l'argent de côté. Il thésaurise. Keynes a exposé de façon irréfutable que l'épargne qui n'est pas investie, l'or qui se cache dans le bas de laine devient un facteur de déséquilibre. Il ne « travaille pas » et quand il réapparaît dans le secteur économique, il devient un facteur d'inflation puisqu'il correspond à une création de monnaie ex nihilo. On encouragera donc « l'épargne-logement » et d'autres systèmes du même genre afin que les ménages financent leur endettement.

    La production de masse supposant des investissements à long terme, il faut surtout qu'elle soit assurée que la consommation ne fléchira pas et même continuera de croître. Le salaire minimum garanti, la sécurité sociale, les allocations chômage fournissent la garantie que les crises conjoncturelles n'auront désormais qu'une incidence limitée sur les revenus des ménages d'autant que l'Etat va se munir d'un certain nombre d'indicateurs : comptabilité nationale, budget économique prévisionnel. A partir de là, il pourra jouer des deux menaces qui semblent s'annuler : l'inflation et le chômage. Il semblait démontrer, statistiquement, que plus l'inflation augmentait, plus le chômage diminuait et réciproquement. Dans ces conditions, il suffisait de trouver un équilibre entre un taux d'inflation et un taux de chômage également tolérables en favorisant, selon la tendance, l'offre ou la demande, l'investissement ou la consommation.

    Ces « conquêtes sociales » que les syndicats ouvriers se flattent d'avoir « arrachées au patronat » servirent au développement de la société de consommation et fournirent au capitalisme financier de fructueuses occasions de profit. Ainsi les congés payés permirent l'essor des industries du tourisme et du loisir, en élargissant leur clientèle. D'où une rentabilité exceptionnelle des placements bancaires dans ce domaine. Lord Beveridge, avec son pragmatisme de prédicant avait d'ailleurs expliqué aux industriels réticents que l'expansion du capitalisme dépendait de l'extension de l'Etat Providence. Certes, il se heurta à l'opposition du petit patronat, qui craignait, non sans raison, que l'alourdissement des charges sociales ne conduise à une concentration des entreprises, au profit de grands groupes financiers. Ce qui se passa effectivement.

    La massification de la société provoquait la bureaucratisation du syndicalisme, des « permanents » se substituant aux délégués élus, qui n'ont plus qu'un rôle de sous-officiers, afin d'assurer la direction des syndicats. Même là où l'on conserve une apparence de débat démocratique, comme à la C.F.D.T. ou à F.O., ce n'est pas la base qui choisit les permanents mais les dirigeants déjà en place. A la C.G.T., ces pudeurs ont disparu. Progressivement, les dirigeants durent s'entourer de conseillers, juristes et économistes, pour conduire des négociations complexes avec les hauts fonctionnaires de l'Etat et les experts du patronat. Ce beau monde sort des mêmes écoles, touche des salaires équivalents, fréquente le même milieu, noue des liens familiaux. Seule la C.G.T. fait exception, par sa prétention à s'assurer le contrôle exclusif des masses mais le mécanisme de sélection n'est guère différent. Le « centralisme démocratique », que les réformistes reprochent aux communistes, constitue une pratique commune à toutes les organisations, à ceci près que le marxisme-léninisme l'a codifié, la portant à son point de perfection.

    Même si la C.G.T. se donne des objectifs révolutionnaires, dans le quotidien des luttes, il lui faut, comme les autres syndicats, proposer des revendications ponctuelles. Dans la mesure où la révolution mondiale se situe dans le long terme, la C.G.T. si elle veut maintenir son influence sur la masse doit pratiquer un réformisme, sans doute extrême, démagogique autant qu'elle le pourra mais un réformisme tout de même. En effet la masse est incapable de viser le long terme, sinon de façon chimérique — l'utopie. De son mouvement spontané, comme l'avait fort bien compris Lénine, elle ne s'intéresse qu'à l'amélioration de sa vie matérielle. Cela convient parfaitement au capitalisme financier. Plus la vie matérielle de la masse s'améliore, plus elle consomme, plus elle consomme, plus l'industrie produit, plus le grand commerce vend, plus le capitalisme financier gagne d'argent. La collusion des « experts » syndicaux, patronaux ou étatiques exprime cet accord de fond. Les intérêts des divers groupes s'opposent dans le détail. Ils n'en restent pas moins convergents dans la durée. Telle concession que le patronat s'efforcera, avec plus ou moins de bonheur, de refuser, du moins momentanément, afin de satisfaire sa base, petits et moyens entrepreneurs qui craignent les charges qu'elle implique, finira par être accordée ce qui provoquera quelques faillites de P.M.E. mais se traduira globalement par un surcroît de profits.

    En effet, le capitalisme financier, qui contrôle les organisations patronales, ne peut pas avouer qu'il est d'accord, sur le fond, avec les syndicats ouvriers. Cela provoquerait la révolte des P. M. E. Que constate-t-on néanmoins ? Ce sont ses mandataires politiques, élus grâce aux voix de la bourgeoisie, qui ont pris les mesures législatives destinées à la détruire, de Caillaux à Giscard. Millionnaire en francs-or Caillaux avait toutes les apparences du grand bourgeois. Cependant ce fut lui qui, à la veille de la première guerre mondiale, fit voter, grâce à une « majorité d’idées », où les socialistes se retrouvaient aux côtés de députés libéraux ou conservateurs, élus grâce aux caisses électorales du grand patronat, l'impôt sur le revenu. Caillaux ne dissimulait pas qu'il s'agissait de mettre en pratique le principe de l'égalité. Chacun devait contribuer aux besoins financiers de l'Etat selon ses moyens. En fait la progressivité de l'impôt chargeait davantage les classes moyennes que le reste de la population. Symboliquement le nouvel impôt ouvrait, avec prudence, la voie à l'Etat Providence, qui utilisera la fiscalité, puis les prestations sociales, pour redistribuer les revenus, donnant aux uns ce qu'il prenait aux autres.

    Giscard allait mener à son terme le processus. Lui-même reconnaissait qu'au-delà de 40 % les prélèvements obligatoires changeraient la nature de la société. A la fin de son septennat, ils avoisinaient 42 %. La France était effectivement devenue un Etat socialiste. Les Français en tirèrent la conséquence. Ils élirent des socialistes. Désormais, après prélèvements obligatoires, le salaire d'un cadre supérieur, qui travaille parfois quinze heures par jour et qui a fait de longues études, n'était supérieur que de quatre fois à celui du smicard et encore cela semblait beaucoup trop à l'intelligentsia de gauche qui rêvait de réduire encore l'écart.

    Il fallait, pour justifier cette évolution des prétextes vertueux. La réduction des inégalités sociales, confortait les belles âmes. En réalité, comme c'est toujours le cas, la rhétorique moralisante dissimulait un calcul sordide. La faute, dont la bourgeoisie se voyait accusée, ne relevait pas du juste ou de l'injuste mais de la nécessité économique. Elle consommait mal. Elle employait des domestiques, elle s'habillait chez le tailleur ou la couturière, elle occupait ses loisirs à lire, à voyager, à s'occuper de son jardin. Plus grave encore, elle thésaurisait. Rien-là qui soit, du point de vue de l'économiste ou du financier, rentable. Il convenait de transférer les revenus dont elle se servait si mal à la masse qui en ferait meilleur usage.

    Encore qu'elle ait profité de la prospérité générale, son niveau de vie, s'il a augmenté en valeur absolue a effectivement diminué, en valeur relative. Surtout il s'est modifié. Désormais la bourgeoisie, même si elle peut se procurer des produits de meilleure qualité, consomme, comme les autres Français des biens fabriqués en série. Léon Bloy, qui n'avait qu'une bonne, se tenait pour un traîne misère. Maintenant c'est un luxe que seuls s'offrent les plus fortunés mais tout le monde possède des appareils ménagers. Les hôtels se sont transformés en usines à sommeil et le téléviseur a remplacé le petit déjeuner dans la chambre. Le wagon restaurant, a disparu au profit d'une médiocre restauration à la place. Bientôt constatait un chroniqueur gastronomique, il ne restera rien entre Bocuse et le « fast food ». Il n'existe plus une clientèle suffisante pour payer les prix qu'il faudrait pratiquer du fait de l'accroissement des salaires et. des charges sociales. Dans tous les domaines, y compris la table, le quantitatif a remplacé le qualitatif.

    La bourgeoisie a donc été délibérément sacrifiée, non à de nobles principes mais aux exigences de la rentabilité. Son mode de vie a disparu. Comment expliquer qu'une classe, qui, selon les marxistes, détient le pouvoir économique se soit appauvrie, au moins relativement afin d'enrichir la masse, de propos délibéré ? Il faudrait lui attribuer une grandeur d'âme qu'on ne lui reconnaît pas volontiers. De fait, elle a résisté tant qu'elle a pu et Caillaux a eu beaucoup de mal à faire voter l'impôt sur le revenu. Considérons plutôt comment les choses se sont passées. Ce type d'impôt existait, sous des formes différentes, en Prusse, l'einkommensteuer, et en Grande Bretagne, l'income tax. En fait, le Sénat ne se résignera à le voter que le 15 juillet 1914, à la veille de la guerre mondiale et il ne sera vraiment établi que par la loi du 31 juillet 1917. En d'autres termes, seul le retard économique de la France explique qu'il n'ait pas été créé plus tôt. Il coïncide avec l'avènement de la production de masse, imposée par la nécessité d'alimenter le front en armements. La justice sociale n'intervient qu'au niveau du discours. « Le Figaro » du 15 janvier 1914 se trompe-t-il qui soutient que « le ministre (Caillaux) ne peut être que le complice obéissant » de la Haute Banque ? Le bruit ayant couru que le projet d'impôt sur le revenu exonérerait les rentes d'Etat, un superbe coup de bourse, dont Caillaux a peut-être profité, donnera corps à l'accusation. Même si elle n'était pas fondée, les liens de Caillaux avec la haute banque sont notoires. Ne préside-t-il pas deux « crédits fonciers », l'argentin et l'égyptien ?

    Sa généalogie est beaucoup plus instructive. Ancien ministre de Mac Mahon son père a fini président du P.L.M., après être entré, par un brillant mariage, dans. une « dynastie bourgeoise » pour reprendre l'expression de Beau de Loménie, d'ailleurs trompeuse. Ces dynasties-là ne doivent rien à la bourgeoisie, du moins au sens habituel du terme. Elles se moquent bien de ses intérêts. Pourquoi s'en soucieraient-elles ? Elles ne se sont pas enrichies par le travail, l'épargne, l'esprit d'entreprise mais par le pillage de l'Etat. Républicaines plutôt que bourgeoises, elles ont commencé sous le Directoire ou le Consulat leur immense fortune. Du moins Beau de Loménie à force de comparer la composition des assemblées parlementaires, des conseils d'administration, de la haute administration, a-t-il prouvé que certaines familles, qui parfois, comme les Broglie ou les d'Ormesson, s'enracinent dans l'ancienne France ou d'autres sortent d'un lointain ghetto, ont joué, du fait de leur puissance financière, des postes qu'elles n'ont cessé d'occuper, des alliances matrimoniales qu'elles ont nouées, d'un réseau serré de relations mondaines, un rôle parfois déterminant, toujours important dans l'évolution de la société française. Tout ne s'explique sans doute pas par leur influence et Beau de Loménie leur accorde trop de poids. Celui qui leur reste paraît suffisant. En tous cas ni l'impôt sur le revenu ni même celui sur les grandes fortunes ne les ont empêchées de continuer de s'enrichir plus vite que n'augmentaient les prélèvements obligatoires. Elles, du moins, ont préservé leur mode de vie.

    Il n'y a jamais en histoire un principe unique d'explication. Beau de Loménie a trop systématisé. Il a sous-estimé la complexité des comportements et n'a pas tenu assez compte des rivalités internes, des jalousies, des haines parfois, qui déchirent les familles. Néanmoins, il reste que l'existence de groupes sociaux qui vivent en parasites de l'Etat ne saurait être contestée. Elle remonte à la plus haute antiquité. Que l'on se souvienne de la place que tiennent les publicains dans les évangiles. Dès l'origine, l'Etat a jugé commode de confier la perception de l'impôt à des compagnies privées. L'usage s'était perpétué dans l'ancienne France. Nos rois dépendaient des traitants, encore qu'ils en pendaient deux ou trois pour l'exemple, de temps à autre. Ce qui servait de leçon aux survivants pendant quelques années. Louis XIV fut le dernier à user de cette heureuse coutume. Aussi Gaxotte constate-t-il qu'à la veille de la révolution si la France était riche, l'Etat était pauvre. Du puissant fermier général à l'humble maltôtier de sénéchaussée, une caste de gens de finance se nourrissait de sa substance. Dans son « Turcaret », Lesage brossera le portrait de l'un deux, valet brutalement métamorphosé en opulent brasseur d'argent.

    Une autre sangsue saignait l'Etat. En instituant la vénalité des offices François Ier soumettait la justice au pouvoir de l'argent. Les parlements cessaient d'être des assemblées de légistes, fidèles serviteurs de la monarchie. Arguant d'anciens privilèges ils tentaient de la régenter et se posaient en défenseurs des libertés tandis que les féodaux, dont le pouvoir avait été brisé par Richelieu, en conservaient la nostalgie. Ainsi se constituait l'équivalent français de l'établissement britannique. Le Roi faisait obstacle à son ambition. Louis XV entreprit même, avec le chancelier Maupeou et l'abbé Terray de faire l'économie de la révolution, en tentant de constituer une administration de la justice et des finances, indépendantes de l'argent, donc de fonder l'égalité devant l'impôt et devant la loi. Grâce aux intellectuels à gage qu'ils entretenaient, fermiers généraux et parlementaires, se fondant sur l'exemple d'une Angleterre libérale, ameutèrent l'opinion. Louis XVI céda mais dans sa volonté de reconstituer une armée capable de rivaliser avec celle de la Prusse, il institua, pour l'accès aux grades supérieurs, les quatre quartiers de noblesse. Cette mesure ne visait pas la bourgeoisie, que le métier des armes attirait peu mais les financiers qui les achetaient, pour leurs fils. Le commandement effectif était assuré par des nobles sans fortune auxquels tout espoir d'avancement se voyait refusé. Même s'il légua à la France l'armée qui permit les victoires de la Révolution et de l'Empire, ce ne fut pas pardonné au Roi.  •  

    (A suivre - A venir : « De Caillaux à Giscard : Le système libéral » suite)

     

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    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (1)

  • Macron est-il si clairvoyant ? Il est à côté de la plaque et il ne s'en rend pas compte

     

    Par Roland Hureaux

    TRAVAUX DIVERS - Largeur +.jpgC'est, selon son habitude, à une fine analyse que Roland Hureaux se livre ici [Causeur - 16.07]Rappelons simplement qu'il fut l'un des participants au colloque d'Action française du 7 mai 2016, à Paris, « Je suis royaliste, pourquoi pas vous ? »    LFAR  

    229464004.jpgDepuis qu’il a été élu président de la France, il virevolte avec ce qui semble du brio. Ses discours, comme celui qu’il a récemment prononcé devant le Congrès réuni à Versailles, ont du style.

    Beaucoup de Français pensent que notre pays est mieux représenté par lui. Il a, à un degré caricatural, l’assurance bien connue des hauts fonctionnaires français – qui, sur la scène internationale, ne plait pas à tout le monde et ne signifie pas non plus qu’il ait des idées.

    L’OPA magistrale qu’il a réalisée sur la France au printemps 2017 était assurément le signe d’une certaine intelligence. En ce temps de confusion de toutes les valeurs, avoir contourné les règles républicaines fondamentales qui tiennent chez nous les juges éloignés des processus électoraux passe non pour une faute mais pour un exploit : bravo l’artiste, dit-on ! La subversion du clivage gauche-droite qu’il a opérée n’est pas nouvelle mais jamais elle n’avait été poussée aussi loin.

    Un président psychorigide ?

    Macron fait preuve d’une incontestable habileté politicienne. Il est vrai que la bêtise d’une certaine droite, contaminée par les logiques techniciennes, lui facilite la tâche : en lançant des réformes qui plaisent à celle-ci comme celle du code du travail ou de la SNCF ou encore la sélection à l’entrée des universités, il conduit une partie de l’opposition républicaine à l’approuver et, dès lors, les Français à se demander à quoi elle sert.

    Il reste que l’intelligence, la vraie intelligence politique, ce n’est pas de savoir vibrionner au jour le jour ou de gérer sa « com », c’est la capacité à s’adapter au monde tel qu’il est.

    Ses nombreux faux-pas diplomatiques, tant  à l’égard des Etats-Unis que de l’Italie ou des pays du groupe de Višegrad, tout comme le conformisme de ses réformes, amènent à douter que le nouveau président soit vraiment aussi clairvoyant qu’on le dit et qu’il le croit.

    Or sur ce plan, Macron donne, il faut bien le dire, des signes inquiétants de psychorigidité. D’abord, sur l’Europe. Discours après discours, il présente un plan de relance de l’Europe supranationale, d’un idéalisme exalté, sans paraître voir que cela n’intéresse plus personne : ni aucun de nos partenaires, ni personne en France. Le président en est resté  sinon à Jean Monnet, du moins aux années 2000, au temps des grands débats sur la Constitution européenne et il n’a sûrement jamais compris  pourquoi le non l’avait emporté en 2005. Depuis, il y a eu le Brexit qu’il n’a pas avalé non plus ; et il y a l’opposition forcenée du groupe de Višegrad à tout approfondissement : loin de tendre la main à ces vieux pays, amis historiques de la France, il les insulte et se les met à dos. La classe politique allemande, paralysée, s’arc-boute pour empêcher la montée de l’AFD, parti eurocritique. Les Italiens viennent de montrer qu’ils ne veulent pas de l’Europe de Bruxelles : Macron les rappelle à l’ordre avec arrogance, ignorant visiblement combien les Italiens détestent les leçons de morale venues de France – surtout après avoir été contraints d’accueillir seuls près de 800 000 réfugiés.  Irrité de voir que les choses ne vont pas comme il le souhaiterait, il ressort la vieille rengaine que l’Europe n’aurait pas dû être élargie, et va même jusqu’à qualifier de « lèpre » le « populisme » de ceux qui résistent au projet européen. Demain des « vipères lubriques » ? On le dit ouvert mais il refuse le pluralisme, moderne, mais il refuse l’histoire.

    Macron, le dernier des européistes

    L’évolution de l’opinion publique n’est pas le seul signe de l’usure du projet européen : pour maintenir l’euro à flot, la Banque centrale européenne (BCE) poursuit sa fuite en avant inflationniste (c’est le sens du quantitative easing) : jusqu’où ? Le vaisseau Europe fait eau de toute part ; Macron seul ne semble pas s’en apercevoir : est-ce le fait d’un homme éclairé ? Dans la défunte Union soviétique nul doute que Macron aurait été plutôt du côté de Brejnev (ou de Souslov !) que de Gorbatchev.

    Le projet européen de Macron pourrait intéresser l’Allemagne sous un seul angle : la récupération de notre industrie de défense. Après le démantèlement d’Alstom dont il porte largement la responsabilité et au motif de faire l’Europe de la défense, le GIAT (le char Leclerc), la DCN (le Charles de Gaulle) sont en train de passer subrepticement sous pavillon allemand. Aveuglement ou volonté délibérée de laminer la singularité française ? Beaucoup se le demandent.

    Même oubli de l’intérêt national au bénéfice de l’idéologie dans les rapports avec la Russie : si le front ukrainien semble un peu calmé – grâce à Trump plus qu’à Macron -, les sanctions à l’encontre de la Russie que Fillon voulait lever ne sont pas près de l’être et lèsent toujours autant les intérêts de la France. Si les Russes avaient apprécié l’invitation surprise du nouveau président à célébrer la visite du tsar Pierre le Grand à Versailles, par-delà les ronds de jambe, rien n’a changé quant au fond dans la relation franco-russe : les Russes s’en sont certainement aperçus.

    Macron le continuateur

    Les changements à la tête d’un Etat ont toujours servi à corriger la ligne politique d’un pays quand elle était mal engagée, sans que le nouveau président ait à se désavouer. Or elle l’avait été rarement aussi mal qu’en Syrie sous Sarkozy et Hollande : la rupture totale des relations diplomatiques, le soutien constant aux milices djihadistes, les mêmes qui se félicitaient bruyamment des  attentats en France (quand elles  ne les avaient pas organisés), la diabolisation  hystérique et – infantile quand on sait comment se manipule aujourd’hui l’opinion internationale – du gouvernement syrien, tout en constituant une trahison des chrétiens d’Orient, nous ont aliéné inutilement un pays, ancien mandat français, qui avait été au cours des deux dernières décennies un partenaire précieux. Or Bachar a aujourd’hui pratiquement gagné la guerre, les augures du Quai d’Orsay (la « secte » néoconservatrice) qui prédisaient en 2011 sa chute en huit jours  en sont pour leurs frais. Visiblement, Macron reste sur la même ligne que ses prédécesseurs ; au lieu de s’adapter à la nouvelle donne, il laisse son ministre des Affaires étrangères, le médiocre Le Drian, accuser Assad de massacrer son peuple. Des forces spéciales françaises, armées d’hélicoptères,  sont présentes dans le nord de la Syrie, on se demande pour y faire quoi : même Sarkozy et Hollande n’étaient pas allés jusque-là. Alors que Trump retire ses forces du pays, Macron y augmente  les siennes ; prétendant de manière ridicule avoir convaincu Trump de rester, il s’attire un démenti cinglant. Tout aurait pu changer sur ce front et rien ne change. Loin de déplacer les lignes, comme Trump a su le faire à sa manière avec la Corée du Nord, Macron reste sur le même rail.

    Dans les affaires intérieures, beaucoup louent le dynamisme du nouveau président, ses multiples efforts pour faire « bouger la France ». Il donne le vertige par la multiplication des projets de réforme. Mais quelles réformes ? La vérité est que loin d’être originaux, les projets de Macron étaient tous dans les cartons des ministères et ne sont que le prolongement des réformes effectuées au cours des quinze ou vingt dernières années, lesquelles ont si bien réussi à la France comme on sait !

    Au titre de la réforme de la fonction publique, il annonce la rémunération au mérite des fonctionnaires ; sait-il qu’elle a été instaurée dès 2001 par une loi bien connue appelée « Lolf », mise en œuvre par Sarkozy et dont on connait déjà les effets pervers ? Faute de critères de rendement fiables, la porte a été ouverte à l’arbitraire, parfois à la promotion canapé, l’ambiance s’en est trouvée détériorée et le zèle découragé. Les deux piliers de l’Etat que sont le ministère des Finances et la représentation locale de l’Etat ont été gravement désorganisées. Macron veut aller encore plus loin…

    Les Ordonnances travail, auxquelles certains trouvent cependant quelques aspects positifs, sont-elles autre chose qu’une  mise aux normes européenne ?  Comme l’est l’adhésion au Ceta, laquelle intervient au moment où un Jacques de la Rosière, ancien patron du FMI, remet en cause une partie des dogmes libre-échangistes.

    Le spectacle permanent

    La réforme de la SNCF est la transposition mécanique d’un règlement de Bruxelles. Déjà affaiblie par la séparation, économiquement absurde mais imposée par le dogmatisme de la commission, des réseaux et de l’exploitation, la SNCF le sera plus encore. 

    En décembre dernier, le gouvernement s’est réuni au grand complet à Cahors pour marquer son intérêt pour la « France périphérique ». Il n’en est pas sorti une seule idée. Est annoncée, au contraire, la fermeture de milliers d’écoles rurales pour renforcer les ZEP et sans doute celle de nombreuses petites lignes de chemin de fer. L’abaissement de la limitation de vitesse à 80 km à l’heure, va d’abord toucher ces zones.

    La réforme annoncée du bac est dans les cartons du ministère depuis des années. Elle s’inscrit dans la progressive déconstruction du système éducatif : course à la facilité, dilution de la notion de discipline scientifique, notes de gueule.

    Il est vrai que, par exception, l’enseignement primaire semble géré par le ministre Blanquer plus intelligemment que par ses prédécesseurs : il faudrait voir dans ce retour au bon sens l’influence de Brigitte Macron. Dommage qu’on ne la voie pas ailleurs !

    De cette réformite sans imagination, deux lectures. Celle de l’oligarchie économique, médiatique, technocratique, des think tanks libéraux qui tous font chorus : la France a besoin d’être réformée ; tout le monde sait quelles réformes il faut faire. Si on ne les a pas encore faites, c’est que les gouvernements successifs ont manqué de « courage ».

    L’autre lecture se réfère à Guy Debord : la société du spectacle (disons de communication) dans laquelle nous sommes entrés a besoin de s’étourdir de réformes, lesquelles, au point où nous en sommes, ne sauraient faire aller les choses que de mal en pis : « La société du spectacle dans sa phase avancée (…) n’est plus pour l’essentiel réformable. Mais le changement est sa nature même, pour transmuter en pire chaque chose particulière ». Dans cette optique, la réforme est d’abord un produit de communication (de « spectacle »).

    Macron ne comprend pas la France

    Les réformes de type technocratique ne font que suivre les logiques de celles qui les ont précédées et qui sont précisément les causes des problèmes. Avec Macron, nous les voyons à l’œuvre de manière caricaturale. Comment espérer trouver les remèdes aux maux de l’Education nationale dans les cartons d’un ministère qui est le responsable de ces maux ? La technocratie française élabore des  projets de réforme  qui, chacune dans son domaine, suit un schéma simple, voire simpliste, ignorant la  complexité des choses, en général le même depuis quarante ans : regrouper les communes, fusionner les services, étendre le mode de gestion privé, flexibiliser l’emploi, mettre aux normes européennes ou internationales (celles de l’OCDE pour le bac). Face aux résistances, jamais, au grand jamais, leurs initiateurs se demanderont si dans ces résistances, il n’y aurait pas quelque chose de légitime. On se contente d’y voir l’effet de l’archaïsme, de la routine, d’un conservatisme « bien français ». Nul n’imagine que ce pourrait être à la technocratie de s’adapter. Penser qu’il pourrait y avoir  de bonnes et de mauvaises réformes comme il y a de bons et de mauvais remèdes, est une question hors du champ épistémologique de ceux qui nous dirigent, comme dirait Foucault. Réformer est devenu intransitif comme communiquer ou changer. Face à ces blocages, « enfin Macron vint », selon une expression dont on peut penser qu’elle était ironique. Cette fois, ça passe où ça casse.

    Macron, c’est jusqu’à la caricature l’incapacité à critiquer à partir d’une connaissance du terrain (qu’il n’a pas) ou d’idées neuves (qu’il n’a pas non plus) les projets des administrations que la plupart du temps, le gouvernement  avalise. Loin d’apporter la touche du vrai chef (« l’œil du maître ») comme le faisait par exemple un Pompidou, homme supérieurement intelligent, lui, et critique lucide des logiques technocratiques, Macron ne doute pas que les services aient, sur tous les sujets, raison. Comme en politique étrangère, il est sur les rails et il y reste.

    Erreur sur la personne ?

    Tragique malentendu : les Français étaient las d’une classe politique usée, et en réalité d’une technocratie dont les projets étaient avalisés passivement par les politiques. Voulant du nouveau, ils élisent quelqu’un qui ne propose rien d’autre que de donner un coup d’accélérateur aux réformes qu’inspire ladite technocratie.

    Or la France d’aujourd’hui  rencontre des problèmes graves qui, comme jamais jusqu’ici, conditionnent son avenir. Ces problèmes : démographie, désindustrialisation, dépenses publiques excessives, justice et insécurité, déliquescence de l’Education nationale. Il y a là de quoi être inquiet :  Macron, prisonnier des logiques du passé, ne semble armé intellectuellement pour se saisi

  • Sur le site officiel de l'Action française, le cabri à scooter, l’éditorial de François Marcilhac.

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

    L’article 21 de la Consti­tu­tion est pour­tant clair : « Le Pre­mier ministre dirige l’ac­tion du Gou­ver­ne­ment », lequel — article 20 — « déter­mine et conduit la poli­tique de la Nation ». Le moins qu’on puisse dire est que Jean Cas­tex n’aura pas fait long­temps illu­sion et qu’il finit de dis­cré­di­ter une fonc­tion à laquelle Sar­ko­zy, trai­tant Fillon comme un vul­gaire col­la­bo­ra­teur, avait déjà por­té un coup cer­tain.

    françois marcilhac.jpgMais c’est sous Hol­lande, puis sous Macron que la fonc­tion de Pre­mier ministre a fini de perdre toute cré­di­bi­li­té et, sur­tout, toute digni­té, ni Ayrault, ni Valls, ni Phi­lippe, ni Cas­tex ne réus­sis­sant à impo­ser aux membres du gou­ver­ne­ment la cohé­sion néces­saire pour, pré­ci­sé­ment, déter­mi­ner et conduire la poli­tique de la Nation.

    UN PREMIER MINISTRE DISCRÉDITÉ

    Il est vrai que, la pré­si­den­tia­li­sa­tion du régime aidant, le gou­ver­ne­ment ne déter­mine et ne conduit plus rien, ou presque. Mais il faut au moins sau­ver les appa­rences et ne pas appa­raître comme un gen­til direc­teur d’école sans auto­ri­té, inca­pable de sif­fler la fin de la récréa­tion. Or Jean Cas­tex, que l’histoire de France a déjà oublié, s’est mon­tré inca­pable de diri­ger l’action du gou­ver­ne­ment en assu­rant sa cohé­sion sur un point impor­tant, pri­mor­dial même : les poli­tiques pénale et de sécu­ri­té, qui vont de pair, Dar­ma­nin et Dupond-Moret­ti se cha­maillant par médias inter­po­sés à pro­pos d’un éven­tuel « ensau­va­ge­ment » de la socié­té, sur lequel le pays légal est bien le seul encore à s’interroger, le pays réel le subis­sant tous les jours. 

    Macron étant, mani­fes­te­ment, le seul auteur de ce gou­ver­ne­ment, il est vrai que Cas­tex a trou­vé dans son trous­seau de pre­mier ministre, en appli­ca­tion du « en même temps », à deux postes com­plé­men­taires, deux ministres aux sen­ti­ments oppo­sés : un sar­ko­zyste à l’intérieur et, à la jus­tice, un avo­cat média­tique de gauche pro­mou­vant le scan­dale, droit-de‑l’hommiste, immi­gra­tion­niste et adver­saire rabique du Ras­sem­ble­ment natio­nal qu’il sou­hai­tait, il y a peu encore, faire inter­dire.

    DARMANIN, DUPOND-MORETTI : DEUX MINISTRES DE LA PAROLE ?

    Sont-ils, pour autant, si étran­gers l’un à l’autre que cela ? L’un et l’autre ins­tru­men­ta­lisent une ori­gine modeste (leur mère femme de ménage) et immi­grée : Dupond-Moret­ti a la double natio­na­li­té ita­lienne et fran­çaise, tan­dis que Dar­ma­nin, le jour de sa pas­sa­tion de pou­voir avec Cas­ta­ner, traite d’immigré son grand-père, dont il porte en second le pré­nom (Mous­sa), alors qu’il s’agit d’un patriote fran­çais musul­man, ancien tirailleur algé­rien et résis­tant dans les FFI. Mais il faut bien don­ner des gages à la gauche immi­gra­tion­niste. L’un et l’autre, éga­le­ment, ont été ins­truits dans des col­lèges reli­gieux — comme Fran­çois­Ruf­fin de la France insou­mise, comme Macron, comme Cas­tex, comme tant d’autres du pays légal, ce qui inter­roge sur la faillite de l’enseignement catho­lique. Mais sur­tout, l’un et l’autre rem­plissent un minis­tère de la parole et, sur ce point, Dupond-Moret­ti a une lon­gueur d’avance : pour la simple et unique rai­son que la parole est le domaine propre de l’avocat, de la jus­tice et du droit, où elle com­mande l’action, voire est action — elle est alors per­for­ma­tive, dit-on en lan­gage savant —, quand elle ne devrait faire qu’accompagner l’action dans le domaine de la sécu­ri­té. Bref, même en se conten­tant de par­ler, Dupond-Moret­ti naguère avo­cat, aujourd’hui ministre de la jus­tice, agit ; en se conten­tant de par­ler, Dar­ma­nin se ridi­cu­lise. 

    C’est par la parole, en effet — une « preuve » elle-même devant par­ler — que l’avocat de la défense, mais aus­si celui de l’accusation ou le repré­sen­tant du minis­tère public agissent pour déter­mi­ner l’innocence ou la culpa­bi­li­té d’un accu­sé que la déli­bé­ra­tion des jurés  (la parole encore) condui­ra à acquit­ter ou à condam­ner. L’art que les sophistes ont ensei­gné dès l’antiquité ne devant périr qu’avec l’homme, il suf­fit que la per­sua­sion épaule le men­songe pour que Socrate soit cou­pable ; ou pour qu’un ministre de la jus­tice déter­mine et conduise une poli­tique pénale fai­sant de chaque cri­mi­nel une vic­time de la socié­té ; ou, encore, ouvre les fron­tières à un bateau de migrants considérés comme autant de « réfu­giés », considérés eux-mêmes comme autant de chances pour la France — et on peut déjà être cer­tain du laxisme de Dupond-Moret­ti en ces deux matières. De même, il suf­fit que la per­sua­sion épaule le men­songe pour que le ministre de la jus­tice, garde des sceaux, avec une majo­ri­té com­plice, décide que deux per­sonnes de même sexe peuvent se marier, qu’un enfant deux mères, mais pas de père, ou deux pères, mais pas de mère, ou que la mise à mort d’un foe­tus par­fai­te­ment viable la veille de l’accouchement n’est pas un infan­ti­cide…  Tout cela s’appelle le règne du sophisme. Dupond-Moret­ti marche dans les traces de Tau­bi­ra.

    CYNISME CONTRE AUTISME IDÉOLOGIQUE

    Oui, en matière de jus­tice et de droit, la parole com­mande l’action, voire est action.  Mal­heu­reu­se­ment — ou heu­reu­se­ment —, il n’en est pas de même en matière de sécu­ri­té, et ce qui a été per­du, par lâche­té et sou­ci éco­no­mique à courte vue depuis plu­sieurs décen­nies, ne sau­rait être rat­tra­pé parce que Dar­ma­nin saute comme un cabri en répé­tant « Ensau­va­ge­ment ! », « Ensau­va­ge­ment ! ». On mesure évi­dem­ment à quel point, chez Dupond-Moret­ti, l’idéologie a chas­sé toute luci­di­té, voire tout bon sens, quand il ose sou­te­nir : « L’ensauvagement, c’est un mot qui déve­loppe le sen­ti­ment d’insécurité. Pire que l’insécurité, il y a le sen­ti­ment d’insécurité. » On a peine à croire qu’un ministre de la jus­tice ait pu pro­non­cer de telles paroles, ne dénon­çant en même temps, dans le viol par un réci­di­viste, sui­vi de meurtre, d’une jeune fille à Nantes, qu’une « sur­en­chère popu­liste » (sur Europe 1, le 1er sep­tembre der­nier). Il y a donc pire, pour notre ministre de la jus­tice, que le cadavre de cette jeune fille vio­lée et assas­si­née : la peur d’autres jeunes filles de subir le même sort de la part d’un réci­di­viste ! Le « popu­lisme » pire que le viol et le meurtre : Dupond-Moret­ti n’est pas seule­ment décon­nec­té de toute réa­li­té, en ne voyant dans l’insécurité qu’un sen­ti­ment dan­ge­reux, et non une réa­li­té vécue au quo­ti­dien par nos com­pa­triotes : l’idéologie a mani­fes­te­ment étouf­fé en lui tout sen­ti­ment humain.

    Tou­te­fois, com­ment prendre le par­ti de Dar­ma­nin, lorsque, dis­ciple d’un Sar­ko­zy qui a abo­li la « double peine », sup­pri­mé les ren­sei­gne­ments géné­raux et pra­ti­qué une poli­tique immi­gra­tion­niste for­ce­née — on en mesure les consé­quences alors que s’ouvre le pro­cès des atten­tats isla­miques de jan­vier 2015 —, il sait très bien — en aurait-il le désir — qu’il n’aura pas les moyens de déter­mi­ner et de conduire une poli­tique de sécu­ri­té qui impli­que­rait à la fois des réformes légis­la­tives cou­ra­geuses, néces­si­tant pour cer­taines de pas­ser outre le Conseil consti­tu­tion­nel en deman­dant direc­te­ment son avis au peuple, et des moyens impor­tants tant en hommes qu’en maté­riels ? Bref une volon­té poli­tique qui, pour exis­ter, devra s’inscrire dans l’action et le dur. Ou la parole ne suf­fi­ra pas à faire adve­nir davan­tage de sécu­ri­té, alors qu’elle peut suf­fire à l’augmenter. Alors, tout aus­si cynique que son col­lègue de la jus­tice est enfer­mé dans son autisme idéo­lo­gique, il mul­ti­plie les décla­ra­tions mais, lui, au risque de se ridi­cu­li­ser, ordon­nant et média­ti­sant des actions qui se tra­duisent, comme à Gre­noble, par la confis­ca­tion de deux scoo­ters… Qui, de nos deux ministres, méprise le plus un peuple dont ils se pré­tendent issus ? 

    En Macro­nie, Dar­ma­nin et Dupond-Moret­ti se cha­maillent dans les médias, pour trom­per l’électorat de droite, mais ne s’opposent pas. Ils se com­plètent. Le pays légal, aidé des médias offi­ciels, en par­lant sans cesse de sen­ti­ment d’insécurité, ne cherche rien d’autre qu’à déréa­li­ser le réel, à convaincre ces Fran­çais-qui-ne-sont-rien que le réel qu’il subisse— |‘insé­cu­ri­té, la misère, la pré­ca­ri­té — n’est qu’un res­sen­ti qu’il s’agit de trai­ter, mais en eux, comme une mala­die. Dar­ma­nin, au bout du compte, aura néces­sai­re­ment fait recu­ler l’insécurité puisque son col­lègue Dupond-Moret­ti aura convain­cu les gogos que la réa­li­té de celle-ci n’est en fait qu’un dan­ge­reux sen­ti­ment popu­liste — le pire de tout ! Une autre épi­dé­mie, à éra­di­quer, grâce à un masque por­té, celui-là sur les yeux. Cha­cun fait le job, comme on dit aujourd’hui, aux dépens de ces Fran­çais modestes dont ils osent pour­tant se récla­mer : déter­mi­ner et conduire la poli­tique du pire, à savoir la réélec­tion de Macron. 

    Fran­çois Mar­cil­hac

  • Un nouveau Premier ministre pour rien ? Pourquoi la France a plus besoin d’une vision assumée que d’un En-Même-Temps au

    Source : https://www.atlantico.fr/

    Tous les nouveaux chemins mènent à Rome... ou nulle part

    Jean Castex incarne-t-il le tournant politique annoncé par Emmanuel Macron au moment du déconfinement et attendu par les Français ? Le "En même temps" s'observe-t-il d'avantage dans la méthode de gestion politique que dans la vision politique qui est censée l'accompagner ?

    Atlantico.fr : Le nouveau Premier ministre choisi par Emmanuel Macron, Jean Castex, incarne-t-il le tournant politique annoncé par le président au moment du déconfinement et attendu par les Français ? 

    Edouard Husson : Emmanuel Macron est face à plusieurs contradictions. L’une est liée à sa personne: le président de la République doit être, d’une manière ou d’une autre « l’homme de la nation »; or le président, fondamentalement, est mal à l’aise avec les électeurs français; d’où son besoin de premiers ministres apparemment plus proches des électeurs: Jean Castex, comme Edouard Philippe, est un élu local. La deuxième contradiction est liée au refus, qu’il partage avec ses prédécesseurs, d’assumer le modèle gaullien: l’homme de la nation devait, selon le modèle institué par le Général de Gaulle, vérifier régulièrement qu’il avait la confiance des Français. La crise des Gilets Jaunes a été une telle secousse qu’il était indispensable, à moins d’abimer encore un peu plus le système politique français, de provoquer des élections législatives ou une présidentielle anticipée. On dit d’ailleurs qu’Emmanuel Macron a joué avec ces deux idées depuis la fin du confinement; pour finalement proposer juste un changement de Premier ministre. La troisième contradiction, elle aussi partagée avec ses prédécesseurs - y compris le Général de Gaulle - vient du refus de l’importance des partis pour structurer la vie politique française. De Gaulle pensait avoir réintroduit l’héritage de la monarchie dans la République: le président devait être au-dessus des partis; mais dès l’élection de 1965, on a vu que l’élection présidentielle tend à polariser la vie politique française. Et il aurait fallu aller au bout de cette logique. La tradition anglo-saxonne sait bien qu’il n’y a pas de vie démocratique sans des partis solides pour canaliser l’opinion populaire, la polariser en mimant la guerre civile, pour mieux la résoudre. La Constitution de la Vè République permet de stabiliser la vie politique française, enfin, loin du rêve de l’unanimisme (comme si la monarchie n’avait pas été traversée de luttes de factions terribles) comme de l’émiettement de ce que de Gaulle appelait « système des partis ». C’est bien ainsi que les choses ont commencé sous Pompidou, Giscard et Mitterrand. Mais la cohabitation, pensée par Giscard et réalisée par Mitterrand, a cassé une véritable alternance à la française. On est entré dans une République hybride, où les petites manoeuvres au centre s’accompagnent d’une présidence forte et de l’exclusion d’une partie de l’opinion de la représentation (le Rassemblement National) au gouvernement. Voilà où en est Macron, qui finit par concentrer les dysfonctionnements de la Vè République, les caricature, avec son autoritarisme, d’une part, et ses manoeuvres au centre pour casser LR, d’autre part.

    Mathieu Mucherie : Je n’en sais rien ; je ne soupçonnais pas l’existence de cet individu jusqu’à cette semaine. Comme Edouard Philippe avant le printemps 2017, en fait. Je ne sais pas bien quel est son métier, et comme il n’a pas publié grand-chose, allez savoir. Il parait qu’il est à la fois haut fonctionnaire et élu de terrain, sarkoziste et gaulliste social, et macronniste, en même temps, dans la même journée. Il existe aussi des poissons volants, même si ce ne sont pas les plus nombreux de l’espèce.

    On en revient toujours aux mêmes problèmes avec Macron : a/ le manque d’épaisseur du banc (en lien avec une victoire volée en 2017), les difficultés RH en dépit d’une cour pléthorique, un vivier qui n’est qu’un marigot, b/ étant donné le manque total d’idées, la sur-communication sur les questions de personnes, mais en contradiction entre elles, et en contradiction avec le point a/. Le simple fait d’avoir eu Castaner de Toulon au ministère de l’intérieur donne une idée du vide et du danger. Heureusement pour Macron, la droite classique et lettrée, conservatrice ou libérale, n’existe plus vraiment dans le pays : elle a été remplacée par une élite managériale complètement débile ; sans quoi il serait soumis à une pensée critique et à de vrais contrôles (je n’appelle pas contrôle un Conseil d’Etat qui annule de justesse une grave menace contre la liberté d’expression ; ça c’est le minimum).

    Etant donnée la situation des finances publiques, de la sécurité publique et du débat public après 3 années de macronneries diverses, il faudrait un premier ministre légitime, une figure, une autorité susceptible d’équilibrer un gamin narcissique et de remettre un peu d’ordre dans la pagaille des conflits d’intérêts (dans le secteur de la santé, et au-delà), et capable de peser suffisamment dans les arbitrages pour ne pas avoir à créer un caca-nerveux compensatoire comme les 80 km/h par exemple. Un choix aux antipodes vient d’être effectué, avec un personnage qui n’a pas de consistance politique propre ; ce qui m’incite à penser que le but du jeu est de gérer vaguement le pays, et d’éviter au passage toute concurrence interne potentielle, pour préparer les seules choses qui comptent, les élections en 2022. Une présidence de classes prépas, de bout en bout, nous le disions il y a quelques temps dans ces colonnes ; sans priorités, puisque tout y est prioritairement prioritaire. 

    Ce n’est pas un tournant, c’est le tournis. Et les chaises musicales, dans l’indifférence générale. La toupie Macron continue, protégée par des institutions dont le but d’origine était de protéger la décision, non l’indécision. On a eu droit à la convention citoyenne toute truquée, on aura peut-être droit à un référendum à choix multiples (mais sans sanction : gaullisme de pacotilles), et à des initiatives pseudo-vertes contre notre pouvoir d’achat et contre nos libertés, mais on n’aura pas le droit à un vrai moment de vérité démocratique (des législatives anticipées, ou mieux : des présidentielles sans trop d’intrusion du parquet socialiste financier), ou à de vrais choix publics assumés (discours plus vert que vert, subventions à Airbus, Renault et Air France… ; statues indéboulonnables, mais pas vraiment).  

     

    Le "en même temps" si cher à Emmanuel Macron s'observe-t-il d'avantage dans la méthode de gestion politique que dans la vision politique qui est censée l'accompagner ? Emmanuel Macron sait-il où mène le chemin qu'il souhaite tracer ? 

    Edouard Husson : Il y a plusieurs composantes dans le radical-socialisme autoritaire de l’actuel président. Nous venons de voir comment la Vè République a évolué loin du point d’équilibre qu’elle aurait dû atteindre après l’élection de François Mitterrand, celui d’une vraie alternance entre la droite et la gauche. Il y a aussi la composante personnelle. Emmanuel Macron est un enfant de 1968. Il est victime de l’effondrement du système d’éducation et du système scolaire consécutif à la poussée hyperindividualiste des années 1960. Le « en même temps » est fils du « Il est interdit d’interdire ». On ne doit pas faire de choix car le choix exclut en choisissant un des termes aux dépens des autres. Les soixante-huitards ont adhéré à l’Europe sans frontières et à la domination de la finance car cela permettait d’assouvir tous les désirs. Emmanuel Macron est un concentré de volonté de puissance, mais non pas celle qui construirait pour un dessein plus grand que lui. Non, il ne veut rien, au fond, pour la nation; il n’est pas non plus un constructeur d’empire. Il veut assouvir une ambition purement personnelle, qui ne mène nulle part. Le « en même temps » et le gouvernement au centre sont une manière de tout attirer à lui, de vampiriser le système politique. Le président est beaucoup plus habile pour détruire le système politique existant qu’en construire un nouveau. Il sait détruire LR, progressivement. En revanche il n’a rien construit avec LREM, qui reste un assemblage hétéroclite. 

    Mathieu Mucherie : Macron trace un chemin, le sien. Mais c’est un chemin assez sinueux, plus un typhon qu’une voie à suivre. La question vers 2017 était : cette toupie du Touquet qui ne manque pas de toupet va-t-elle agréger assez de monde assez longtemps ? et puis : pour faire quoi, au juste ? Les éléments de réponse commencent à apparaitre de plus en plus clairement (ils étaient très clairs pour moi dès le départ…) : en trichant un peu avec une formule de Churchill : Macron, c’est comme Christophe Colomb, en beaucoup moins bien ; il sait où il voudrait aller (a) mais il ne sait pas vraiment où il se trouve, et quel est le bon chemin (b), il en est fier, et tout cela se fait avec l’argent du contribuable (c).   

    a/ il sait où il voudrait aller : la République eurolandaise franco-allemande. Un machin encore en vogue chez nos énarques de centre-droit et de centre-gauche, qui se figurent que c’est la dernière chance pour eux de peser un peu dans les affaires du monde ; alors qu’en réalité l’Europe féfédérale ne se fait pas, et quand elle se fait c’est à Francfort et à Luxembourg, sur des bases très peu avouables. Dans les faits, l’Allemagne n’en fait qu’à sa tête (depuis 20 ans, on ne parle plus du « couple » que dans les médias parisiens), et 25 peuples sur 30 n’ont pas l’air franchement enthousiastes, et Macron lui-même flirte depuis quelques semaines avec des notions souverainistes et protectionnistes pratiquement à chaque phrase, en contradiction totale avec ses discours d’il y a moins de trois ans !   

    b/ il ne sait ni où il est, ni quel est le bon chemin : comme un navigateur qui débarquerait aux Bahamas en pensant trouver la Chine (mais il a moins d’excuses que le Génois), Macron débarque dans une contrée en crise (un pays qu’il connait mal, et un pays peu estimable en plus, puisque selon lui coupable de crime contre l’humanité en Algérie !), pays qu’il confond un temps avec une start-up ; et il commence son œuvre par une loi de moralisation de la vie publique sans rien faire contre le pantouflage, sujet qu’il connait pourtant par cœur ; puis il se dit que la seule façon d’aligner de faire converger cette meute de réfractaires avec les donneurs de leçons germaniques est de moderniser les entreprises françaises depuis l’Elysée (contre-sens total : c’est l’Etat qu’il faudrait réformer en France !) ; le plus drôle est qu’il n’a aucune chance d’atteindre son but tant que les allemands garderont la même mentalité (et la même constitution, comme nous l’a rappelé la Cour de Karlsruhe début mai), a fortiori depuis notre confinement raté. Drôle en effet, sauf qu’il met tous ses échecs sur le compte de l’équipage, ou du gros temps, sans jamais trop se poser des questions dérangeantes ni sur la fiabilité de sa boussole, ni sur la compétence de ses officiers de bateaux-lavoirs (c’est toutefois assez logique de sa part : quand Amélie de Montchalin parle de Macron, on croirait qu’elle a vu le Christ), 

     c/ et tout cela se fait avec l’argent du contribuable : Toutanmakron lâche des milliards aux classes moyennes face aux gilets jaunes (là où il ne coutait rien de se débarrasser de dizaines de lois liberticides et vexatoires, là où il coûtait très peu de remettre une partie de leurs dettes issues du crédit revolving à l’âge des taux « bas »), en contradiction avec sa « stratégie allemande », puis il lâche tout le budget de 180 dynasties égyptiennes pour réparer ses erreurs épidémiologiques face au coronavirus (le confinement le plus absurde du monde, des gens verbalisés sur des plages désertes en plein vent, plusieurs points de PIB perdus bêtement), en attendant de nouvelles bacchanales budgétaires et réglementaires pour les besoins de la triangulation plus-vert-que-moi-tu-meurs-de-chaud (en contradiction, bien souvent, avec le « redressement » des entreprises françaises ; passons). Après tout, pourquoi pas diront les cyniques : les taux d’intérêt sont nuls ou négatifs, et il faut bien arroser en vue d’une qualification du chef au 2e tour de 2022. Mais alors, par pitié, pas dans le cadre le plus hypocrite jamais vu depuis au moins Toutmosys III : en déclarant tous les jours qu’on ne montera pas les impôts (!), mais que, dans le même temps, la BCE n’annulera jamais les dettes placées à son bilan (!!) ; et puis quoi encore, se dit le bas peuple, qui épargne donc logiquement en vue du choc fiscal dans 24 mois. 

    Ce n’est donc pas que Macron n’a aucune vision politique, c’est que cette vision est si datée et contradictoire (et impossible à financer durablement) qu’elle en devient ridicule et comme inexprimable. Il lui faut désormais avancer masqué (je veux dire, encore plus que d’habitude), et colorer son « action » des dernières modes, le vert et le néo-souverainisme politiquement correct en ce moment, et tout ce qui passera à hauteur à peu près mainstream d’ici 2022, le tout « en même temps ». Il va suivre le mouvement et feindre de l’organiser, comme les français font semblant de consommer et comme les parlementaires font semblant d’auditionner Buzyn ou Bachelot. Je le vois bien demander une commission d’enquête internationale sur le virus en Chine, et nommer Benjamin Stora ambassadeur du FLN à Paris, si ce n’est pas déjà fait. Puis en 2022 il demandera à être jugé sur ses intentions, pas sur ses réalisations. Et il continuera, au maximum, à faire du bruit en présentant de multiples facettes. C’est le destin de la toupie de continuer tant qu’il lui reste de l’énergie, et même si cela n’a plus aucun sens. 

    Alors qu'Emmanuel Macron renforce ses responsabilités présentielles par la nomination de Jean Castex au poste du chef de gouvernement, peut-il proposer aux Français la vision dont ils ont besoin ?

    Edouard Husson : Emmanuel Macron ne sait pas ce qu’est la France. Il est capable un jour d’aller célébrer Jeanne d’Arc à Orléans et quelques jours plus tard d’expliquer en Algérie que la colonisation française est un « crime contre l’humanité ». Le président attend de Jean Castex que, mieux encore qu’Edouard Philippe, il s’occupe des Français pour que lui-même puisse se projeter sur la scène européenne et mondiale - au moins en paroles. C’est pourquoi je crois plutôt qu’il va laisser un espace à son nouveau Premier ministre, exactement comme pour Edouard Philippe. Il faut bien quelqu’un pour s’occuper des Français ! Emmanuel Macron ne s’intéresse pas aux Français. Il a été élu par effraction, suite au suicide de LR (lorsque Nicolas Sarkozy et Alain Juppé se sont entendus pour tuer François Fillon) et il entend profiter de ce cadeau inattendu de la « droite la plus bête du monde » pour rester au pouvoir coûte que coûte, alors même que sa façon d’être, une arrogance assumée, et ses centres d’intérêt européistes et mondialistes, devraient le mener tout droit à la défaite. Jean Castex est un système de réassurance pour un Emmanuel Macron qui se préoccupe moins de la vision des Français que de sa propre projection sur la scène internationale. Si tout se passe comme le président de la République l’espère, il finira son second mandat à l’âge de cinquante ans ! Au même âge, Giscard était au début de son septennat et aucun des autres présidents de la Vè République n’avait été élu. Il serait en position de choisir le poste qu’il veut dans la gouvernance mondiale qu’il appelle de ses voeux. La réélection en 2022 vaut bien un Jean Castex. 

    Édouard Husson est historien. Professeur des universités, il est ancien directeur général de l’ESCP Europe. Il a été élu en 2009 professeur d’histoire contemporaine à l’université de Picardie puis en 2018 à l’université de Cergy-Pontoise.

    Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s’exprime ici à titre personnel.

  • Quelques réflexions sur le terme : extrême-droite, par Jean Mon­ne­ret.

    Un terme ou une expres­sion peuvent être uti­li­sés dans leur sens usuel, consa­cré par une longue his­toire et réper­to­rié dans les dic­tion­naires. Ils peuvent aus­si être uti­li­sés de façon arti­fi­cieuse, fourbe, spé­cieuse. On est alors en face d’une opé­ra­tion de dés­in­for­ma­tion. Dans ce cas, un mot ou une expres­sion d’apparence claire cachent, en fait, une réa­li­té floue, obs­cure, équi­voque. Ain­si en va-t-il du terme extrême-droite.

    1.jpgC’est sans doute une des expres­sions les plus usi­tées dans la vie poli­tique fran­çaise. Très péjo­ra­tive, elle désigne des gens déplo­rables, indignes de toute consi­dé­ra­tion morale. Ils sont ce qu’il y a de pire dans l’univers poli­ti­co-média­tique : des êtres dan­ge­reux, immo­raux, infré­quen­tables. Ils sont les parias de la Répu­blique, qui s’affirme démo­cra­tique, sans pou­voir se pas­ser de boucs-émis­saires.

    ​L’utilisation de ce terme agit comme un répul­sif. Gare au poli­ti­cien, à l’écrivain ou au jour­na­liste qui en est affu­blé. Il sera stig­ma­ti­sé. Comme les lépreux du Moyen-Age, il devra évi­ter les contacts. Il n’est pas acci­den­tel que M. Macron ait, un jour, dénon­cé la lèpre du popu­lisme (syno­nyme pour lui d’extrême-droite). Autre méta­pho­reà suc­cès, l’extrême-droite est « nau­séa­bonde ». Elle tient d’ailleurs des pro­pos­con­formes. Bref, elle est à fuir. On par­le­ra même de dres­ser, contre elle, un cor­don sani­taire.

    Mais une ques­tion se pose d’emblée : qu’est-ce au juste que l’extrême-droite ? Là, que de com­pli­ca­tions ! Ques­tion­nez votre entou­rage. Pas une défi­ni­tion ne cor­res­pon­dra à une autre. Comme disent les Anglais : sous chaque bon­net une opi­nion dif­fé­rente.

    ​Faut-il s’en éton­ner ? Non, car, ce que l’on désigne par extrême-droite est une nébu­leuse : elle peut dési­gner des nazillons, des monar­chistes, des cathos tra­dis, des conser­va­teurs, des patriotes, des anti-immi­gra­tion­nistes, des nos­tal­giques du gaul­lisme, des laïques anti-isla­mistes, des éco­los atta­chés au ter­roir. La liste n’est pas exhaus­tive.

    ​Essayons d’y voir clair. Jadis, droite et gauche cor­res­pon­daient à une posi­tion dans l’hémicycle par­le­men­taire. Ulté­rieu­re­ment, l’habitude s’est enra­ci­née de consi­dé­rer la gauche comme plus sou­cieuse de jus­tice sociale et la droite comme plu­spor­tée au conser­va­tisme. Avec, bien enten­du, tout ce que ce cli­vage a d’irréel et de trom­peur. Ajou­tons qu’au fil du temps, sont appa­rues des gauches et des droites.

    ​Or, s’il est admis que la gauche fran­çaise est rami­fiée et scin­dée en fac­tions ; elle se féli­cite de sa diver­si­té. Un Jos­pin a ain­si pu se dire « fier » d’avoir des com­mu­nistes dans son gou­ver­ne­ment.

    ​Plai­gnons ce mal­heu­reux !

    ​En revanche, la droite offi­cielle dite clas­sique, répu­bli­caine ou modé­rée se veut ramas­sée et homo­gène. Elle a très peur d’être conta­mi­née par « l’extrême-droite ». Elle s’en méfie, s’en tient éloi­gnée et, pour tout dire, ne recule devant aucune mesure pro­phy­lac­tique pour évi­ter la conta­gion.

    ​La droite s’impose de n’être que légè­re­ment tein­tée de conser­va­tisme. Elle se doit d’être, ô oxy­more, « fer­me­ment cen­triste » ou « modé­rée ». Trop de tra­di­tio­na­lisme ou de fier­té patrio­tique sont mal vus de cette droite-là, car ils mènent à l’étiquette infâ­mante : « extrême-droite ».

    ​La droite offi­cielle n’est ferme que sur un point : elle est atta­chée aux valeurs répu­bli­caines. Qu’est-ce au juste ? N’essayez pas de savoir : là encore, sous chaque bon­net un avis diverge. Néan­moins, il y a une grande césure : les valeurs répu­bli­caines, c’est le Bien emblé­ma­tique, l’extrême-droite, c’est le mal abso­lu, l’antithèse même de ce qui est res­pec­table. Cette consi­dé­ra­tion, un peu floue, n’empêcha pas M. Gau­din de Mar­seille d’appeler à voter, loca­le­ment, pour un com­mu­niste contre un « extrême-droite ».

     Plai­gnons aus­si ce mal­heu­reux.

    ​Long­temps, le cri­tère de l’appartenance à « l’extrême-droite » fut l’antisémitisme. Celui-ci a bien recu­lé en France, depuis la seconde guerre mon­diale, jusqu’à une époque très récente où il a resur­gi, por­té cette fois par le dji­ha­disme. Alors, pata­tras ! Il a fal­lu redis­tri­buer les cartes, car, lier anti­sé­mi­tisme et dji­ha­dis­me­ris­quait de stig­ma­ti­ser la com­mu­nau­té musul­mane. Donc, l’on s’est conten­té de lier anti­sé­mi­tisme et anti­sio­nisme. Le pré­sident de la Répu­blique l’a fait offi­ciel­le­ment.

    ​L’extrême-droite a été, de ce fait, reje­tée dans les pho­bies : homo­pho­bie, isla­mo­pho­bie, xéno­pho­bie, euro­pho­bie. En somme, tou­jours le voca­bu­laire médi­cal. Mais le racisme est dif­fi­cile à défi­nir. Cer­tains le dis­tinguent mal de la simple fier­té natio­nale, et tendent à le dénon­cer dans toute mani­fes­ta­tion d’opposition à la poli­tique (cer­tains diront la non-poli­tique) d’accueil des immi­grés légaux ou illé­gaux. Bref, le cri­tère per­met­tant d’identifier cette déplo­rable extrême-droite est très flou.

    ​Tou­te­fois, l’accusation de racisme n’est pas tou­jours bran­die à tout va. Sou­vent, les media domi­nants qui sont, certes, mas­si­ve­ment favo­rables à l’immigration, se contentent d’euphémismes ou d’allusions. Vous êtes oppo­sé à l’accueil des étran­gers, alors vous n’êtes pas « ouvert à l’autre ». Vous êtes pour le réta­blis­se­ment des fron­tières, alors vous êtes pour une France « fri­leuse ». Atten­tion aux rhumes ! Cou­rez à votre Acti­fed !

    ​Mais l’accusation de rele­ver de l’extrême-droite est bien plus infâ­mante que ces petites accu­sa­tions euphé­miques pour­raient le lais­ser croire. Quelles que soient vos convic­tions réelles, seriez-vous un simple éco­lo, un simple laïque, un simple dis­ciple de De Gaulle, un brave fran­çais de base râleur ou une vic­time d’agression n’ayant jamais fait de mal à per­sonne, vous serez immé­dia­te­ment assi­mi­lé à ce que le sigle extrême-droite couvre de plus igno­mi­nieux : le nazisme. Vous serez vu, au moins par ceux qui bran­dissent le sigle à tout va, comme un natio­nal-socia­liste. Et alors, ceci mar­che­ra, le réflexe pav­lo­vien de méfiance s’installera, car, en France, cette mani­pu­la­tion fonc­tionne.

    ​Quelques décla­ra­tions absurdes, intem­pes­tives, de quelques nazillons eux-mêmes mani­pu­lés, ou de quelques per­son­nages éga­rés ou ineptes, par­achè­ve­ront la manœuvre. Pour reprendre une expres­sion amu­sante : vous serez « adol­phi­sé ».

    ​Dans les milieux de gauche dits « pro­gres­sistes », le réflexe pav­lo­vien est bien en place. L’extrême-droite a beau être une nébu­leuse touf­fue, trouble, le terme a beau être fumeux, filan­dreux, vaseux à sou­hait, ou pré­ci­sé­ment à cause de cela, il fonc­tionne. L’expression désigne un empi­le­ment de gens n’ayant rien en com­mun, cha­cun, jus­te­ment, croit savoir de quoi l’on parle. On amal­game sans état d’âme. Cette dés­in­for­ma­tion est loin d’être inef­fi­cace. Por­tée par les media confor­mistes domi­nants, elle influence bien des milieux et bien au-delà de la gauche. Sur­tout en période élec­to­rale, ça marche et ça fait mar­cher. Sui­vez mon regard.

    ​En résu­mé, si vous n’êtes ni com­mu­niste, ni socia­liste, ni répu­bli­cain modé­ré, ni conser­va­teur cen­triste paten­té, pre­nez garde : vous ris­quez la flé­tris­sure. Vous vous retrou­ve­rez lépreux, conta­gieux, nau­séa­bond et de plus mora­le­ment indigne. Car, la morale, il faut s’en per­sua­der est à gauche, et un tout petit peu au centre sans plus. Le reste appar­tient aux démons.

    ​La dés­in­for­ma­tion est là. A qui pro­fite-t-elle ?

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Dernière lettre à Jean Raspail (1ere partie), par Anne Chevallier et Béatrice Challes.

    1A.jpgEn ce mois de juillet de «  post confinement  » nous avons voulu offrir à nos lecteurs ces belles pages d’hommage à Jean Raspail parues dans le dernier numéro de la revue d’Action française  : «  Le Bien Commun  ».

    Un bel antidote contre le Coronavirus et la sinistre mise en scène qui l’accompagne et une occasion de prendre de la hauteur. (Af.net)

    Nous ne savions trop comment condenser les hommages exprimés à Jean Raspail, soleil de nos imaginaires monarchistes, parti rejoindre le Père.

    Alors, nous lui avons écrit.

    Cher Jean,

    Parti au crépuscule de votre vie terrestre par la porte qui conduit au Ciel, c’est désormais d’en haut que vous nous gardez. Grâce à vos écrits, nous possédons les clefs d’un idéal à tenir et nous tâcherons de ne rien lâcher, quoiqu’il advienne.

    Certains de vos amis tenaient à vous remercier en partageant avec les lecteurs du Bien Commun quelques souvenirs, en attendant de les revivre lorsque nous nous reverrons, s’il-plaît à Dieu.

    C’est avec beaucoup d’humilité qu’ils ont couché sur le papier ces mots, et c’est avec autant d’émotion que nous avons recueilli ces tranches de vie.

    Bonne lecture, cher Jean, et à Dieu.

    Pour commencer, Bruno Gollnisch nous rapporte vous avoir rencontré lors de sa première apparition publique, en 1983. Il s’agissait d’une réunion du Front National. Discret jusqu’alors sur le plan politique, il était la seule personnalité lyonnaise à pouvoir accueillir Jean-Marie Le Pen.

    C’est donc à cette occasion que, face à face au dîner, vous avez pu discuter de quelque aventure sur les terres du Japon, que M. Gollnisch connaît très bien, et qui vous intéressait prodigieusement pour inspirer un hypothétique roman que vous n’avez finalement jamais écrit. L’ancien vice-président du Front National se souvient que, comme les japonais, vous aimiez les gens qui « mettent leur peau au bout de leurs idées », les héros malheureux et les destins pittoresques. M. Gollnisch rappelle également qu’invités à une réunion organisée par Bernard Antony à la Mutualité à Paris, vous avez dîné tous les trois, partageant « une pensée résolument réactionnaire ». Partageant avec vous un sentiment monarchiste, Jean Sévillia revient sur ces rassemblements que vous ne manquiez jamais :

    « J’avais lu le Camp des Saints à sa parution, en 1973. Dur et désespéré, ce roman montrait assez que Jean Raspail était férocement rebelle à l’esprit de l’époque, mais ne laissait pas deviner ses fidélités monarchistes. Ma génération avait découvert celles-ci quand l’écrivain prit l’habitude de répondre positivement aux invitations que lui adressaient les organisateurs des rassemblements royalistes des années 1970 et 1980, aux Baux-de-Provence, aux Essarts ou aux Landes-Génusson, en Vendée, où il prononçait des discours flamboyants qu’il faudrait retrouver. Je crois n’en avoir manqué aucun. C’est à Jean Raspail, à sa ténacité, que l’on doit d’avoir organisé sur la place de la Concorde, le 21 janvier 1993, l’inoubliable cérémonie du souvenir pour le bicentenaire de la mort de Louis XVI. J’y étais encore. » Bruno Gollnisch quant à lui vous a souvent croisé aux défilés du premier mai pour les fêtes de Jeanne d’Arc, rue de Rivoli : vous étiez toujours sur le trottoir. De même que sur le plan spirituel, vous étiez un chrétien du Narthex.

    « Je le revois, nous dit Jean Sévillia, dans la cathédrale de Senlis, le 2 mai 2009, sanglé dans son uniforme blanc d’Écrivain de marine, pour le mariage du prince Jean. Pour autant, Raspail n’était ni un partisan, ni un militant.

    C’était un écrivain, un démiurge, un créateur d’univers et de personnages. Mais si la figure du roi, du Jeu du Roi (1976) au Roi au-delà de la mer (2000), a tenu une place si importante dans son œuvre, c’est qu’elle en avait une éminente dans son cœur ». « Le Jeu du Roi n’est certainement pas un appel à la désertion donc ! », selon les propos rapportés par Agnès Marion, « mais un havre pour reprendre des forces, en rompant en bonne compagnie avec la médiocrité de notre époque, avant de repartir de plus belle prendre et donner des coups dans la bataille ! ».

    Pour autant, Raspail n’était ni un partisan, ni un militant. C’était un écrivain, un démiurge, un créateur d’univers et de personnages.

    Agnès Marion, aujourd’hui mère de six enfants et engagée en politique sur les terres lyonnaises, nous parle de votre première rencontre alors qu’elle était encore adolescente. « La première fois que j’ai rencontré Raspail, je devais avoir quinze ans. Avec Sire, la légende se mêlait à l’Histoire, et le réel au merveilleux ; je recevais seize siècles de France en héritage, l’aventure prenait une dimension politique, elle était exigeante mais surtout…

    Elle était belle. C’est peu dire que cette rencontre a compté. Avec sa fidélité inoxydable à ses idéaux de jeunesse, son souci des civilisations vacillantes, celles au-delà des mers comme la nôtre, son attachement à nos vieilles mœurs, on dit de Raspail qu’il est le chantre des causes perdues. Ce ne serait que cela que ce serait déjà quelque chose dans ce nouveau monde où un engouement chasse l’autre et où on recherche le changement sans voir qu’il est souvent errements. Mais Jean Raspail a, je crois, bien largement dépassé la posture romantique qui contemple, avec une désolation d’esthète, le monde qu’il affectionne se découdre. Il n’est pas décadent, au contraire. Car l’écrivain invite aussi à l’Aventure. Au sens propre quand il va et nous embarque à la rencontre des peuples que l’uniformisation du monde voue à la disparition. Dans un domaine plus politique parfois. Ainsi, un 21 janvier 1993. J’étais jeune, mais je me souviens d’un tour de force, laissant caresser l’espoir d’une réconciliation française quand, en forçant l’hommage à Louis XVI, Jean Raspail offrit aux Français un contrepoint historique, après les célébrations très univoques du bicentenaire de la révolution en 1989… On dit même qu’avec sa détermination élégante et cultivée, il avait titillé les vieilles amours du Président… » Mais votre vie politique ne s’arrête pas aux terres de France : elle s’étend par-delà les mers pour accoster en Patagonie. La description brossée par Agnès Marion en dessine les contours : « Et puis il y a ce royaume de Patagonie dont il fut le consul Général et dont j’ai l’honneur d’être sujet. » Elle vous cite : « La Patagonie, c’est ailleurs, c’est autre chose, c’est un coin d’âme caché, un coin de cœur inexprimé. Ce peut être un rêve, un regret, un pied de nez. Ce peut être un refuge secret, une seconde patrie pour les mauvais jours, un sourire, une insolence. Un jeu aussi. Un refus de conformité.

    Sous le sceptre brisé de Sa Majesté, il existe mille raisons de prêter hommage, et c’est ainsi qu’il y a plus de Patagons qu’on ne croit, et tant d’autres qui s’ignorent encore » et reprend : « La Patagonie n’est pas un royaume facile et idéal qui nous permettrait de nous complaire dans une épopée confortable et stérile en délaissant les enjeux français finalement ô combien plus tragiques ! En convoquant le panache, le sens du sacré, le goût du geste gratuit, le respect des traditions, l’émerveillement devant la beauté du monde ou encore la force du rêve éveillé, le “jeu de Roi” est au contraire un terreau dans lequel se fourbissent les armes nécessaires aux combats politiques plus prosaïques. Après tout, demander la victoire et ne pas se battre pour l’obtenir, selon les ressources et les talents qui sont les nôtres, quelle sorte de patagon ne trouverait pas cela mal-élevé ? » Votre plume, tantôt politique, tantôt littéraire, est toujours audacieuse. Ainsi, votre fameux Camp des Saints que beaucoup présentent comme une prophétie est évoqué en ces termes par Laurent Dandrieu : « Le propre des prophéties est hélas de n’être reconnues comme telles que lorsqu’elles ont été rattrapées, voire dépassées, par le réel… Le Camp des Saints a surtout apporté une preuve éclatante de l’incapacité de nos pseudo-élites à entendre les avertissements qui leur sont adressés. Dieu merci, il y a aussi chez les Patagons beaucoup de représentants d’élites authentiques, des “élites réelles” si l’on peut dire, qui par leur naturalisation patagonne ont bien montré qu’ils ne se reconnaissaient pas dans celles qui sont censées tenir les rênes du pays. Toute la question est de savoir si ces “élites réelles”, patagonnes et au-delà, vont trouver le moyen de prendre la main sur le pays légal, en lieu et place des imposteurs qui l’occupent. » Vous avez été l’un de ces rares écrivains qui ont su créer un monde. Votre œuvre, un monument de la littérature française, a séduit des générations de la jeunesse de France, cette jeunesse éternelle que les rides n’altèrent pas lorsque l’on en garde l’état d’esprit, pour reprendre les mots du Général Mac-Arthur : « Vous êtes aussi jeune que votre Foi ».

    « Sept cavaliers quittèrent la Ville au crépuscule face au soleil couchant par la porte de l’ouest qui n’était plus gardée ». Toute votre œuvre est dans cette phrase nous dit un officier de la Légion étrangère. « L’engagement de celui qui choisit le cheval plutôt que le moteur pour se lancer au loin dans une quête, une aventure. Tout est-il perdu ? La Ville. Urbs. Athènes, Rome ou la civilisation, Paris ou la France éternelle, la terre de nos pères. Celle pour laquelle une poignée d’hommes et de femmes est prête à donner sa vie. Le crépuscule d’une civilisation que l’on a pu croire éternelle et qui renonce à elle-même ». Que l’on défend malgré tout, pour l’Honneur.

    « Une certaine idée de soi-même et de sa place dans la création. Le soleil éperdu qui jette ses derniers feux sur une porte que l’homme moderne se refuse de garder parce qu’il a abdiqué toute dignité ». A l’instar de ses cavaliers, Raspail nous invite au contraire à garder « tête haute, sans se cacher, car ils ne fuyaient pas… » Ècrivain comme vous, Jean Sévillia confie : « Nous échangions systématiquement nos parutions. En 1998, un an après mon Zita impératrice courage, il avait publié son Hurrah Zara ! (aujourd’hui réédité sous le titre Les Pikkendorff) qu’il m’avait envoyé avec cette amicale dédicace : ” Zita, Zara, même combat ! “. » Laurent Dandrieu se remémore votre première rencontre en 1993, dans le cadre d’une interview pour la revue Réaction. Il appréhendait quelques peu votre discussion, car il venait de signer une critique de Sire, certes enthousiaste, mais il reprochait « néanmoins le côté “boy-scout” et “Signe de piste” de ce roman ». Inquiet que vous puissiez lui en tenir rigueur, vous avez au contraire salué avec fierté ce que Laurent Dandrieu prenait pour un défaut, car vous avez toujours tenu « Le Prince Éric pour un des chefs-d’œuvre de la littérature française contemporaine ».

    C’est cette jeunesse et cet imaginaire fougueux que souligne l’amoureux du cinéma et chroniqueur de Valeurs Actuelles lorsque nous lui avons demandé comment le vieil écrivain que vous êtes pouvait encore toucher autant de monde et de générations :

    « D’abord, Jean Raspail avait su, justement, ne pas devenir un “vieil écrivain”. C’était resté un enfant, fidèle aux rêves, aux jeux, aux enthousiasmes et aux dégoûts du petit garçon qu’il avait été. Cet esprit d’enfance, quand il est préservé chez un adulte qui a su créer un monde à partir de lui, exerce toujours une immense fascination : voyez Tolkien ! Et plus encore à une époque comme la nôtre où, si la puérilité abonde, l’esprit d’enfance s’est fait si rare. Et puis, alors que le roman français est si souvent engoncé dans un réalisme sinistre, l’œuvre de Raspail a l’immense mérite de faire souffler le grand vent de l’imaginaire, du rêve, des légendes immémorielles et des épopées fondatrices. » Il poursuit en disant que chacun de vos lecteurs a pu « puiser dans son imaginaire des leçons de courage, de dignité, de hauteur, de noblesse, y apprendre à se tenir droit et à rendre témoignage à la vérité au milieu des pires désastres. » Vous avez bien connu l’éditeur Christophe Parry, qui nous fait partager notamment un souvenir professionnel : « Nous travaillions dans son bureau – au milieu des livres, des mappemondes, des maquettes de bateaux, des fanions scouts et patagons, sous le regard de ses soldats de plomb vendéens qui partaient en procession bannières au vent – à l’édition d’une partie de ses œuvres dans la collection Bouquins (Là-bas, au loin, si loin…) où je travaillais alors. Je voulais pouvoir ajouter aux titres choisis pour figurer dans le volume un texte inédit, de quoi surprendre même ses lecteurs les plus anciens et les plus fidèles. Mais d’inédit, m’a-t-il répondu, catégorique, foin ! » Et pourtant… Vous avez fait l’honneur à Christophe Parry d’être le premier éditeur de Miséricorde, un livre qui « restera pour moi un ouvrage à part, une de mes plus grandes émotions d’éditeur… ». Quelle fierté pour ce monsieur, ému de parler de vous dans le monde parisien de l’édition : « Jean Raspail a toujours occupé une place à part dans le milieu de l’édition, une place que n’explique pas seule l’imposante liste de ses œuvres – depuis Terre de feu Alaska, en 1952 – ou de ses prix littéraires – le premier en 1966, pour Secouons le cocotier ; le plus important peut-être en 2003, le grand prix de littérature de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre ; celui sans doute dont il était le plus fier en 1997, le prix T.S. Eliot Award de Chicago pour Le Camp des Saints.

    (A suivre)

  • Sur le site officiel de l'Action française : Giscard, L’homme qui a normalisé la France, l’éditorial de François Marcilh

    Alors que la mort de Jacques Chi­rac a pro­vo­qué une véri­table émo­tion chez les Fran­çais, celle de Gis­card d’Estaing les a lais­sés plu­tôt froids. Certes, la pan­dé­mie n’a per­mis à aucun sen­ti­ment popu­laire de se mani­fes­ter. Mais la radio et la télé auraient pu com­pen­ser par des émis­sions ad hoc cette impos­si­bi­li­té.

    françois marcilhac.jpgOr le fait est éga­le­ment qu’aucune radio ni aucune chaîne de télé ne s’est mise en « édi­tion spé­ciale » toute la jour­née, comme ce fut le cas pour Chi­rac. Comme si cha­cun savait que le divorce par consen­te­ment non mutuel de 1981 entre Gis­card et les Fran­çais avait été défi­ni­tif. Du reste, si Gis­card ne vou­lait aucun hom­mage natio­nal, c’est qu’il n’avait jamais sur­mon­té son humi­lia­tion de ne pas être réélu en 1981 après avoir tant fait, croyait-il pour « libé­rer » la socié­té fran­çaise. Comme quoi, ce n’était peut-être pas ce que les Fran­çais atten­daient en prio­ri­té de lui en 1974. Il était éga­le­ment vexé que toutes ses ten­ta­tives de reve­nir dans le jeu poli­tique se soient sol­dées par des échecs ou des demi-échecs. Quant à sa grande œuvre, le trai­té consti­tu­tion­nel euro­péen, les Fran­çais le reje­tèrent à une large majo­ri­té. En clair, cet homme qui disait ne pas vou­loir res­ter dans l’histoire de France fut dans la mort comme dans la vie : modeste par orgueil…

    Cha­cun pour­ra tou­jours trou­ver quelque chose à gla­ner dans une vie poli­tique aus­si riche et une vie per­son­nelle aus­si longue. Il a fait son devoir, et cou­ra­geu­se­ment, à dix-huit ans, en s’engageant en 1944 pour la libé­ra­tion du ter­ri­toire ; il a res­pec­té la volon­té de Georges Pom­pi­dou s’agissant de Beau­bourg — un des ensembles cultu­rels les plus ori­gi­naux d’Europe — et il a sau­vé la gare d’Orsay de la des­truc­tion pour en faire un des musées les plus beaux du monde ; il a eu ses bonnes œuvres, aus­si. Tout per­son­nage est com­plexe. Et sa poli­tique exté­rieure s’inscrivit peu ou prou dans les pas de ses deux prédécesseurs.

    Mais reven­di­quer pour maîtres Mon­net et De Gaulle, c’était aller au-delà du para­doxe. Et déjà pra­ti­quer le « en même temps » de son fils spi­ri­tuel, qu’est Macron. Sur son cer­cueil, du reste, deux dra­peaux : le fran­çais et l’européen. Si, pour cer­tains esprits super­fi­ciels, cela peut n’être pas anti­no­mique, la double pater­ni­té reven­di­quée l’est, en revanche. Car Mon­net, ce ne fut pas seule­ment le pire enne­mi De Gaulle auprès et au ser­vice des Amé­ri­cains, ce fut aus­si celui dont le pro­jet euro­péen, co-construit, comme on dit aujourd’hui, avec les Amé­ri­cains, avait pour seul but de détruire la sou­ve­rai­ne­té des nations euro­péennes, le Royaume-Uni excep­té, comme Chur­chill, qui par­ti­ci­pait à la manœuvre, le décla­ra d’emblée. Or, quoi qu’on pense par ailleurs de De Gaulle, sur ce plan-là, le pro­jet gaul­lien était aux anti­podes du pro­jet de Mon­net. C’est pour­quoi l’élection en 1974 de Gis­card peut être consi­dé­ré comme une revanche du second sur le pre­mier. J’ignore si Gis­card aimait ou n’aimait pas la France. En amour, il n’y a que des preuves d’amour. Or le fait est que Gis­card, qui se plai­sait à regar­der la France au fond des yeux… mais de l’extérieur, comme un étran­ger — un Huron deve­nu pré­sident de la Répu­blique —, n’a pas ces­sé de rabais­ser notre pays. Après une cam­pagne menée à l’américaine, ins­pi­rée de celle de JFK près de quinze années plus tôt, c’est en anglais qu’il s’exprime le soir de son élec­tion, afin de bien mon­trer qu’il s’inscrit dans une moder­ni­té de rup­ture, laquelle ne parle pas français.

    La France était, de fait, dépas­sée pour Gis­card — comme elle l’était pour Mon­net et comme elle le sera pour Mit­ter­rand — « La France est notre patrie, l’Europe notre ave­nir » — et l’est aujourd’hui pour Macron. Mais Gis­card fai­sait dans le sym­bole, quand Macron, esprit bien moins fin et bien moins culti­vé, fait dans la pro­vo­ca­tion. La France de Gis­card, c’est celle qui ne doit plus se conce­voir que comme repré­sen­tant 1 % de la popu­la­tion mon­diale, afin de jus­ti­fier son tro­pisme euro­péiste. D’où, bien sûr, cette recherche d’une nou­velle légi­ti­mi­té, cette inven­tion arti­fi­cielle d’un peuple euro­péen à tra­vers l’élection au suf­frage uni­ver­sel du par­le­ment euro­péen, dont les membres étaient alors dési­gnés par les par­le­ments natio­naux, comme le sont tou­jours ceux du Conseil de l’Europe. C’est aus­si le sys­tème moné­taire euro­péen, qui suc­cède au ser­pent, et qui est une pré­fi­gu­ra­tion de la mon­naie unique, que Mit­ter­rand met­tra en chan­tier. Ce sera aus­si ce trai­té consti­tu­tion­nel de 2005 : Gis­card rêvait de deve­nir le pre­mier pré­sident de l’Europe, la France était bien trop petite pour lui. Devant l’impossibilité de réa­li­ser son vœu, le « pro­jet » euro­péen ne ces­sant de prendre du retard, il se prit à rêver à deve­nir son refon­da­teur, un nou­veau père de l’Europe, en s’impliquant dans le trai­té consti­tu­tion­nel. Repous­sé par les Fran­çais, on sait com­ment la for­fai­ture de Sar­ko­zy et du Par­le­ment per­mit sa rati­fi­ca­tion en 2008…

    Gis­card, c’est aus­si une France tou­jours plus petite, moins pré­sente sur la pla­nète : indé­pen­dance de Dji­bou­ti (où désor­mais les Amé­ri­cains ont une base mili­taire) et des Comores, avec le lar­gage pré­mé­di­té, contre la volon­té de sa popu­la­tion, de Mayotte, auquel l’Action fran­çaise et Pierre Pujo s’opposèrent vic­to­rieu­se­ment. Il y aurait aus­si beau­coup à dire sur sa poli­tique en matière d’indépendance indus­trielle. Pen­sons éga­le­ment à l’instauration du regrou­pe­ment fami­lial, piège qui s’est refer­mé sur la France par une déci­sion du Conseil d’Etat durant le sep­ten­nat sui­vant, qui ne sera pas remise en cause par le réga­lien — déjà les pré­mices du gou­ver­ne­ment des juges.

    Faut-il reve­nir sur le Gis­card « moder­ni­sa­teur » de la socié­té fran­çaise ? C’est celui que les media mains­tream ont le plus com­mé­mo­ré. Et pour cause. Pierre Bou­tang a écrit, dans son Pré­cis de Fou­tri­quet, sur « le men­teur, le pour­ris­seur et le fos­soyeur » des pages défi­ni­tives — « un acquis pour tou­jours » comme aurait dit l’historien Thu­cy­dide —, qui sont en même temps un réqui­si­toire contre une socié­té « qui n’a que des banques pour cathé­drales », comme Bou­tang le dira en conclu­sion de Reprendre le pou­voir. Gis­card fut, pour la France, un des archi­tectes de cette socié­té-là, qui repose sur un pro­fond mépris du peuple, par­ta­gé par Macron. Mais là où Gis­card fai­sait dans la condes­cen­dance — édu­ca­tion oblige — en allant dîner chez les Fran­çais, en jouant de l’accordéon ou au foot, en invi­tant des éboueurs à par­ta­ger avec lui un petit-déjeu­ner à l’Elysée, Macron, fait encore et tou­jours dans la pro­vo­ca­tion, sans filtre. Avec le sobri­quet de Fou­tri­quet, Bou­tang ren­voyait Gis­card à Thiers. Il est tout aus­si pos­sible d’y ren­voyer Macron, tant par son absence totale d’empathie pour le peuple et ses souf­frances réelles, que par sa bru­ta­li­té, dont l’expression était conte­nue chez Gis­card, mais explose chez Macron : il appa­raît ain­si, lui aus­si, comme un de ces grands bour­geois vol­tai­riens du XIXe siècle sûrs de leur fait.

    Au fond, Gis­card est celui qui a nor­ma­li­sé la France à la mon­dia­li­sa­tion nais­sante et Macron est celui qui veut ache­ver le tra­vail, qu’il s’agisse de l’Europe, de la sou­mis­sion éco­no­mique de la France, du mépris de la langue fran­çaise, de l’immigration, ou des ques­tions dites socié­tales, notam­ment la des­truc­tion de la famille. Sur ce plan, la mesure gis­car­dienne la plus neutre fut cer­tai­ne­ment la majo­ri­té à dix-huit ans. Le plus jeune pré­sident élu de la Ve pou­vait-il faire moins pour mon­trer sa jeu­nesse ? Ce fut aus­si la mesure la plus iro­nique : car les tout nou­veaux jeunes élec­teurs en pro­fi­tèrent, dès la pré­si­den­tielle sui­vante, pour por­ter leurs voix, comme plus proche d’eux, sur un vieux bris­card de la IVe déco­ré de la fran­cisque. Macron, deve­nu à son tour le plus jeune pré­sident élu, tente, lui aus­si, de séduire la jeu­nesse, en s’adressant notam­ment à elle par ses canaux de pré­di­lec­tion… Il n’est pas cer­tain qu’il la convainque davan­tage. En revanche, il n’est pas cer­tain non plus que la classe poli­tique sache, d’ici quelques mois, faire sur­gir de son sein un rem­pla­çant crédible…

    Le « nou­veau monde » n’est que l’achèvement de « la socié­té libé­rale avan­cée » — et on sait le sens que Bou­tang don­nait à l’adjectif « avan­cée ». Dans les lignes sui­vantes, Bou­tang rap­pro­chait Fou­tri­quet (Thiers-Gis­card) de Badin­guet (Napo­léon III). Or elles semblent avoir été écrites aus­si pour Gis­card et Macron : « Ce qui rap­proche les deux hommes est le ser­vice de Mam­mon et la com­plai­sance infi­nie pour la pour­ri­ture qu’ils confondent avec ce que Machia­vel nomme “esprit du temps” et qui n’en est que le déchet. Si hor­rible que soit ce temps… »

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Michel Maffesoli : la Nostalgie du Sacré.

    Raphaël Juan : Michel Maffesoli dans votre dernier livre paru, La nostalgie du sacré, vous poursuivez une réflexion, entamée avecLa parole du silence, qui revient aux sources du mot religion (du latin religare, relier) et dévoile le ciment social que créée la conscience d’une sacralité commune. Ce sacré d’où provient-il et comment le définiriez-vous ?

    1.jpgMichel Maffesoli : Je précise que mes analyses sont en ce qui concerne La Parole du silence (Cerf 2016) et La Nostalgie du sacré (Cerf 2020) à rattacher à une perspective socio-anthropologique et ne concernent pas ce qui relèverait du théologique, à savoir la foi. Le sacré ou plutôt le sacral décrit la religiosité ambiante, la religion comme phénomène social alors que la foi est à comprendre dans l’intimité de chacun, dans le « for interne ».
    De nombreux auteurs, je pense en particulier à Emile Durkheim dans Les formes élémentaires de la vie religieuse ou encore Gilbert Durand dans Sciences de l’homme et tradition, montrent bien comment de diverses manières, mais avec une grande constance, la religion est un élément de fond de la vie sociale. Durkheim allant même jusqu’à parler pour bien souligner ce phénomène de « divin social ». Suivant les époques, celui-ci est plus ou moins mis en valeur. Ainsi durant toute la modernité, du 17e à la première moitié du 20e siècle, le rouleau compresseur du rationalisme évacua progressivement cette dimension religieuse, aboutissant à ce que Max Weber a bien analysé en parlant de « désenchantement du monde ». Il semblerait et c’est en tout cas mon analyse, que contemporainement, en cette postmodernité naissante, le sacré, voire même le sacral revienne à l’honneur. Quelle en est la source ? quelle en est l’origine ? il est difficile de donner une définition exacte de ce que l’on nomme le sacré. Mais l’on peut constater, dans la foulée des auteurs que je viens de citer qu’il s’agit d’une structure anthropologique, rendant attentif au fait qu’on ne peut bien saisir le visible qu’en fonction de l’invisible. Ou encore et cela a été souligné par de nombreux bons esprits, on ne peut comprendre le réel qu’à partir de ce qui est réputé irréel. C’est ce retour d’un imaginaire religieux que j’essaie, dans cet ouvrage comme dans La Parole du silence,  d’analyser.

    RJ : Votre livre insiste sur la nécessité du mystère qu’implique toute sociabilité empreinte du sacré, c’est-à-dire pour vous toute sociabilité authentique. Vous évoquez des figures étranges comme ce Roi clandestin dont parle le sociologue Georg Simmel. Qu’est-ce que ce Roi clandestin ? A-t-il quelque chose à voir avec le Roi du monde dont parle René Guénon ?

    MM : Soyons en effet attentifs au fait que dans la foulée de la philosophie des Lumières, se développant au 18e siècle et se poursuivant tout au long du 19e siècle, le mystère a été durablement relativisé, voire dénié. Pour ma part, je rappelle, dans la suite de cette dialogie existant entre le visible et l’invisible, que le clair-obscur est une des caractéristiques essentielles de toute espèce humaine. C’est en ce sens qu’il convient de comprendre le terme même de mystère qui tout à la fois insiste sur l’importance de l’ombre et sur le fait que c’est ce phénomène de l’ombre qui partagée constitue la socialité de base.

    C’est en ce sens que ce penseur important que fut Georg Simmel a, à plusieurs reprises, parlé du « roi clandestin ». Je ne sais pas si cette expression peut être comparée à ce que René Guénon nomme « le roi du monde ». L’idée même du roi clandestin rend attentif au fait que à côté d’un pouvoir surplombant, pouvoir institué, pouvoir établi, il existe une société officieuse, pour ce qui me concerne ce que l’on appelle la souveraineté populaire, qui tout en étant cachée n’en est pas moins réelle et régulièrement tend à s’affirmer et à être reconnue comme telle. Ce sont ces diverses métaphores qui soulignent l’importance qu’il convient de donner ou de redonner au mystère comme étant un élément structurant de tout être ensemble. Faut-il le rappeler, il existe une proximité sémantique entre des mots tels que mystère, mythe, muet, mythique etc. Mots qui rendent attentif au fait qu’au-delà d’une attitude quelque peu paranoïaque consistant à tout expliquer, il y a aussi, au sein même de la connaissance sociétale, des éléments secrets qui permettent de comprendre, au sens fort du terme, ce qu’est cette socialité de base, celle de la vie quotidienne qui ne peut pas être expliquée seulement à partir de la raison raisonnante. Pour ma part j’ai d’ailleurs consacré un livre, Eloge de la raison sensible, au fait qu’il faut compléter la raison, celle des Lumières, par le sensible qui renvoie à l’ombre constituant, également, la vie individuelle et la vie collective.

    RJ : La fermentation, l’œuvre au noir, l’obscurité, le secret, le silence vous semblent être des dispositions essentielles pour faire germer, à titre individuel ou collectif, le divin. Est-ce que vous pouvez nous en dire davantage sur cette « stratégie des ténèbres » ?

    MM : Il est en effet important d’observer que « l’œuvre au noir » ou ce qui est secret, est constitutif tant d’un point de vue individuel que d’un point de vue collectif de toute existence humaine. On peut, à cet égard, parler d’une « stratégie des ténèbres ».

    Pour bien me faire comprendre je rappelle que le terme latin qu’utilisait la philosophie médiévale, la discretio renvoie à la nécessité d’être discret et c’est cette discrétion qui aboutit à ce qui est peut être la caractéristique essentielle de notre espèce animale, le discernement. Donc plutôt que de mettre l’accent purement sur la dimension explicative de la raison raisonnante, le silence est aussi une manière de comprendre et ce dans le sens strict du terme, le fondement de toute vie sociale, ce que j’appelle pour ma part socialité. Expliquer, c’est déplier le réel, relier chaque phénomène à une cause, comprendre, c’est saisir l’ensemble des phénomènes dans leur interaction, ce qu’on nomme un écosystème. Expliquer relève de la pure recherche des causes rationnelles, comprendre prend en compte les rêves, les émotions, tout ce que le pur rationalisme avait laissé de côté.

    Ainsi, alors que la sociabilité est la conséquence d’un social purement rationnel, la socialité quant à elle prend en compte l’entièreté du mystère sociétal.

    RJ : Ce livre est, entre autres choses, une apologie du génie du catholicisme qui aurait su comprendre l’humaine nature mieux que les autres religions, et notamment que le protestantisme. Communion des saints, culte de la vierge, piété populaire, intégration de l’héritage gréco-romain, Trinité, « tolérance » du pêché sont des idées et pratiques qui retiennent votre attention, pourquoi ?

    MM : Il me semble en effet qu’à l’opposé de ce que fut la dimension très rationnelle du protestantisme à partir du 16esiècle, le génie du catholicisme a su garder ce que le philosophe Jacques Maritain nommait « un humanisme intégral ». Humanisme s’exprimant bien, dans le catholicisme traditionnel par le culte des saints, la dévotion mariale, la piété populaire sous ses diverses manifestations et bien évidemment par l’accentuation très forte donnée au mystère de la Trinité. Dans chacun de ces cas, ce qui est en jeu, c’est, au-delà d’une foi simplement individualiste, le fait que l’essence même de la religion est toujours un relationisme, c’est-à-dire une manière de mettre en relation, de relier. De ce point de vue, je consacre quelques pages à ce mystère dans mon livre, l’idée trinitaire qui est une particularité du christianisme traditionnel que le catholicisme met en valeur, explique bien ce primum relationis ou pour le dire à la manière du philosophe catholique Max Scheller un ordo amoris qui est le propre de tout échange et de tout partage. Il ne faut pas avoir peur de mettre en relation cet ordo amoris trinitaire avec le dogme de la communion des saints qui met l’accent sur ce qu’il convient d’appeler la réversibilité comme étant un élément important de tout être-ensemble. C’est cette réversibilité que l’on peut retrouver dans le partage, l’échange, l’entraide que la culture numérique aidant, on voit revenir avec force dans toute société. Ce qu’on appelle actuellement la société collaborative en est un bon exemple.

    RJ : Vous semblez convaincu qu’il y a un retour des jeunes générations vers le catholicisme. Or, en France (la situation est sans doute différente en Italie voire en Espagne), le déclin des pratiques et notamment de la fréquentation de la messe est quantifiable et constante depuis le milieu des années 1960. Quels signes et indices retenez-vous qui vous invitent à parier sur un retour en force du catholicisme chez les jeunes ?

    MM : Cette nostalgie du sacré est particulièrement repérable dans les aspirations et les pratiques des jeunes générations. Certes, on ne peut nier qu’il y a une sécularisation croissante dans de nombreux pays. Disons tout net que cette sécularisation est la conséquence du rationalisme des Lumières du 18e siècle et du mythe du progrès qui s’élabora tout au long du 19e siècle. Mais à côté de cette sécularisation il est non moins intéressant d’observer que depuis quelques décennies il y a un retour à des dimensions spirituelles de plus en plus affichées et dont on peut repérer les indices multiples. Par exemple le développement des communautés charismatiques, l’importante renaissance des pélerinages, la reviviscence des communautés monastiques, le tout particulièrement repérable grâce aux divers réseaux sociaux qui fleurissent sur Internet. Il y a dans ces réseaux sociaux des groupes de recherche et d’échange sur la philosophie thomiste, sur la méditation et sur diverses voies d’accès à la contemplation. Voilà quels sont les indices (index, signifie ce qui pointe) du retour en force du catholicisme dans les jeunes générations, qui par après contamine toutes les autres couches de la société.

    RJ : Vous insistez sur la tradition qui constitue la source à laquelle s’abreuve l’imaginaire des peuples pour vivre et créer. Quelle est la tradition que vous défendez, est-ce l’immémoriale sophia perennis, celle du christianisme des origines, les traditions populaires des villages, le passé mythique ? Comment peut-on favoriser la transmission de cette tradition aujourd’hui ?

    MM : Ainsi que je l’ai souvent indiqué, et tout au début de ma carrière j’y ai consacré tout un livre, le progrès fut le grand mythe du 19e siècle, qui ne l’oublions pas, est l’apogée de la modernité (La violence totalitaire, 1979). Le propre de ce progressisme consistait, en tirant toutes les conséquences de la philosophie de l’Histoire avec Hegel, à se déraciner du passé tout comme de l’espace d’ailleurs, afin d’atteindre le paradis à venir : la société parfaite. Certains bons esprits, je pense en particulier à Karl Löwith n’oubliaient pas de souligner que ce progressisme était la forme sécularisée du messianisme judéo-chrétien. Le paradis n’étant plus à réaliser au ciel, mais devant se concrétiser sur terre, ultérieurement.

    C’est ce mythe du progrès qui, en quelque sorte, invalidait la tradition, c’est-à-dire ce qui se rattachait au passé, à la lente sédimentation des cultures humaines. Il me semble, ce que l’on peut résumer avec l’expression de Léon Bloy, « le prophète est celui qui se souvient de l’avenir », qu’au-delà ou en deçà de la recherche futuriste d’un bonheur à venir, il y a de diverses manières un retour de la tradition. C’est cette tradition que le magistère de l’Eglise catholique a jusqu’ici su conserver. Ce qui est particulièrement repérable en effet dans les pratiques populaires enracinées dans les terroirs, celles du culte des saints en particulier ou des multiples pélerinages locaux. Cette tradition est en effet l’expression d’une sagesse populaire, « sophia perennis » qui d’une manière plus ou moins discrète reprend force et vigueur dans les divers festivals ou rassemblements historiques traditionnels, rappelant ce qu’est la force du rythme de la vie, à savoir (rythme : rheein, couler) qu’il ne peut y avoir écoulement qu’à partir d’une source.

    Pour reprendre l’oxymore que j’utilise fréquemment, depuis de longues années, la tradition ne peut qu’exprimer l’enracinement dynamique, c’est-à-dire la reconnaissance que comme toute plante, la plante humaine a besoin de racines pour croître et se développer.

    RJ : On sait que les relations entre les organisations de la Franc-maçonnerie et l’Eglise catholique sont complexes et même souvent conflictuelles, pour diverses raisons. Vous vous référez souvent à Joseph de Maistre qui était à la fois un catholique intransigeant et un franc-maçon de haut-grade. En quoi la figure de Joseph de Maistre – grand défenseur, lui aussi, de la tradition – vous semble être en prise avec notre temps et pensez-vous qu’une réconciliation entre la franc-maçonnerie et le catholicisme soit possible à court terme ? Cette réconciliation vous semble en tout cas souhaitable, si je vous comprends bien…

    MM : Il est certain que les relations entre la Franc-maçonnerie et l’Eglise catholique ne furent pas toujours des relations d’apaisement. Cela dit, dans la diversité des obédiences franc-maçonnes, certaines que l’on qualifie de « régulières » gardent le souci du spirituel, voire de l’ésotérisme comme étant des caractéristiques essentielles de leur manière d’être ensemble.

    Joseph de Maistre qui est pour moi toujours une source d’inspiration, a écrit de très beaux textes sur la franc-maçonnerie traditionnelle tout en étant un farouche défenseur de la catholicité. En ce sens ses écrits peuvent aider un rapprochement qui n’est plus une utopie lointaine entre la franc-maçonnerie et l’église catholique. Je rappelle à cet égard un très bel écrit de mon maître Gilbert Durand, Un comte sous l’acacia (réédité in Gilbert Durand, Pour sortir du 20esiècle, CNRS éditions 2010) qui rappelle en des pages inspirées comment la pensée de Joseph de Maistre s’inscrit dans une tradition mystique qui est un élément important de l’église catholique.

    RJ : Vous vous dites mécréant mais l’on voit bien à travers vos livres récents que vous vous détachez progressivement de l’orgiasme païen développé dans L’ombre de Dionysos, par exemple, pour vous rapprocher du grand silence des monastères catholiques. Est-ce que, personnellement, vous attendez ou espérez la Grâce ?

    MM : Il m’arrive de dire, inspiré en cela d’Auguste Conte et peut-être de Charles Maurras que je suis catholique et non chrétien. Je rappelle que grâce au culte des saints et à la vénération mariale, l’église catholique a maintenu une certaine forme de polythéisme. Dans mon livre L’Ombre de Dionysos, je montre que certains cultes des saints, par exemple Saint Pothin à Lyon, avaient pour origine la vénération d’une divinité ithyphallique que l’église catholique avait su, avec subtilité baptiser, si je peux m’exprimer ainsi. Je pense également que la mystique développée dans les monastères catholiques est tout à fait en phase avec l’esprit du temps postmoderne. Je n’ai pas à exposer ce que j’attends personnellement d’un tel mouvement, d’une telle évolution, mais je rappelle que grâce, ou à cause du mystère de l’incarnation qui est une très belle métaphore, le catholicisme a pu développer ce que j’ai souvent nommé la transcendance immanente. Cette immanentisation de l’invisible dans le visible se retrouve dans la pensée de St Thomas d’Aquin lorsqu’il rappelle qu’il n’y a rien dans l’intellect qui n’ait d’abord été dans les sens (nihil est in intellectu quod non sit prius in sensu).

    Dans le livre que je suis en train d’écrire et qui fera suite à La Nostalgie du sacré, m’inspirant du très  beau livre du cardin

  • ACTIVITÉ : Le syndrome du Second Empire plane sur nos armées, par Patrice HUIBAN.

    Ancien offi­cier 
    Bre­ve­té de l’Ecole de guerre
    Source :
     l’Opinion

    Une tri­bune d’un ancien offi­cier de l’armée de terre, 150 ans après la défaite de 1871 (Reprise dans la lettre de l’ASAF)

    Depuis de nom­breuses années, nos forces armées inter­viennent plus qu’efficacement aux quatre coins du globe, fai­sant l’admiration de nos alliés, la France étant l’un des rares pays à pou­voir pro­je­ter un sys­tème de forces com­plet à des mil­liers de kilo­mètres de ses bases.

    9.jpgAvec moins de 5 000 hommes, notre pays contient les pous­sées isla­mistes au Sahel, fixe une par­tie de ses enne­mis et ceux de l’Occident loin de nos terres sur une super­fi­cie équi­va­lente à celle de l’Europe, soit un rap­port coût-effi­ca­ci­té exceptionnel.

    Mais ces actions admi­rables cachent une situa­tion cri­tique pour nos armées et laissent entre­voir le spectre inquié­tant du Second Empire où des forces expé­di­tion­naires aguer­ries n’ont pu faire face à la résur­gence d’une menace majeure néces­si­tant de mobi­li­ser des moyens en masse.

    A l’heure du retour des Etats-puis­sance, la France n’est en effet pas prête à un conflit d’ampleur face à une armée conven­tion­nelle clas­sique bien équi­pée, ce que les spé­cia­listes appellent un conflit « symétrique ».

    Aujourd’hui, si notre force opé­ra­tion­nelle ter­restre (FOT) de 77 000 hommes, ren­for­cée suite aux atten­tats de 2015, est sur le papier capable de tenir la dra­gée haute aux 100 000 hommes véri­ta­ble­ment opé­ra­tion­nels de l’armée de terre russe, Mos­cou dépen­sant autant que Paris pour sa défense avec des effec­tifs au moins trois fois supé­rieurs, il n’en est rien dans les faits.

    Tout d’abord par la fai­blesse du niveau de pré­pa­ra­tion opé­ra­tion­nelle de nos armées qui sont mar­quées par un sur­em­ploi et un sous entraî­ne­ment, embo­li­sées, notam­ment, par les déploie­ments de Sen­ti­nelle au rap­port coût-effi­ca­ci­té dis­cu­table. Depuis le lan­ce­ment de cette opé­ra­tion dite « inté­rieure », mobi­li­sant jusqu’à 10 000 mili­taires quo­ti­dien­ne­ment, la cible de 90 jours de pré­pa­ra­tion opé­ra­tion­nelle par sol­dat de l’armée de Terre n’a plus été atteinte, stag­nant à 80 jours. De même, les nou­velles normes d’entraînement pré­vues, des­ti­nées à éva­luer la capa­ci­té des équi­pages sur cinq maté­riels majeurs en ser­vice dans les forces ter­restres – Leclerc, AMX 10RCR, VBCI, VAB et CAESAR – n’ont été réa­li­sées qu’à 57 % en 2019. Or, l’efficacité d’une armée en opé­ra­tions, qui plus est dans un conflit majeur, est d’abord le fruit de la rési­lience de ses petites uni­tés, des groupes pri­maires au sens socio­lo­gique, là où tout le monde se connaît et par­tage le même quo­ti­dien. Or, cette rési­lience ne se décrète pas le jour du péril venu, quels que soient le sou­tien de la popu­la­tion et la moti­va­tion ini­tiale des troupes. Elle se forge à tra­vers des entraî­ne­ments exi­geants qui per­mettent aux indi­vi­dus de se connaître indi­vi­duel­le­ment et col­lec­ti­ve­ment comme de déve­lop­per leur confiance en eux, en leur uni­té, à tra­vers la maî­trise par­faite de sys­tèmes d’armes de plus en plus com­plexes néces­si­tant un haut niveau de coor­di­na­tion. N’oublions jamais cette cita­tion de Napo­léon rap­pe­lant qu’ « À la guerre les trois quarts sont des affaires morales ; la balance des forces réelles n’est que pour un autre quart. », la sueur lors des entraî­ne­ments épar­gnant le sang et le défai­tisme lors des combats.

    Ce sous entraî­ne­ment chro­nique est aggra­vé par le manque de dis­po­ni­bi­li­té des maté­riels, notam­ment les héli­co­ptères de manœuvre et les avions de trans­port dont à peine plus d’un sur deux est en état de voler ou les véhi­cules blin­dés de trans­port de troupes et de com­bat d’infanterie dont un sur trois ne peut sor­tir des hangars.

    Cette situa­tion est le fruit d’un sous-inves­tis­se­ment récur­rent du pays dans sa défense, pour­tant assu­rance-vie de la Nation. Cette situa­tion est d’autant plus incom­pré­hen­sible que tous les éco­no­mistes s’accordent sur le fait qu’un euro inves­ti dans les forces armées rap­porte à l’économie natio­nale entre un et deux euro(s), à court comme à long termes, grâce à une base indus­trielle et tech­no­lo­gique de défense (BITD) per­for­mante, aux emplois très peu délo­ca­li­sés et à forte inten­si­té tech­no­lo­gique, ce qui irri­gué en aval beau­coup de sec­teurs d’activité dans une logique key­né­sienne tou­jours ici opé­rante. Nous sommes ain­si pas­sés d’un effort de 5 % du pro­duit inté­rieur brut (PIB) au début des années 60 à 1,8 % aujourd’hui.

    Si des décla­ra­tions ambi­tieuses sont régu­liè­re­ment effec­tuées par les gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs, notam­ment lors de la défi­ni­tion des lois de pro­gram­ma­tion mili­taire (LPM) quin­quen­nales, lais­sant à pen­ser aux citoyens que les efforts sont consen­tis et qu’ils sont bien défen­dus, le compte n’y est pas. Les lois de finances annuelles rabotent sys­té­ma­ti­que­ment les tra­jec­toires pré­vues à tel point qu’aucune loi de pro­gram­ma­tion n’a été res­pec­tée depuis 1985 ! Et celle en cours 2019 – 2025 n’échappera vrai­sem­bla­ble­ment pas à la règle, l’essentiel des res­sources addi­tion­nelles étant pré­vues à comp­ter de… 2023. Tous les 5 ans, c’est ain­si une année d’investissement en équi­pe­ments qui est per­due, soit une dizaine de mil­liards d’euros. Non seule­ment nos armées dis­posent de maté­riels vieillis­sants dont le coût d’entretien explose, mais les déca­lages suc­ces­sifs dans les livrai­sons de maté­riels neufs aug­mentent le coût uni­taire de cha­cun, les coûts fixes des chaînes de mon­tage des indus­triels per­du­rant, ces deux phé­no­mènes ne fai­sant qu’accentuer la pres­sion bud­gé­taire. Ain­si, le coût uni­taire des fré­gates mul­ti­mis­sions (FREMM) de la Marine natio­nale a‑t-il aug­men­té de 67 % entre la com­mande ini­tiale et aujourd’hui, le volume étant pas­sé de 17 exem­plaires à 8 à coups d’étalements suc­ces­sifs des livraisons.

    Si la ten­dance actuelle se pour­suit, nous pas­se­rons d’une baisse conjonc­tu­relle de l’effort de défense, récur­rente dans l’Histoire au gré des ten­sions géo­po­li­tiques, à un déclin struc­tu­rel qui met en péril notre sou­ve­rai­ne­té dans son essence même, soit notre liber­té en tant que peuple. La dif­fé­rence entre ces deux notions ? Dans un pre­mier cas, on limite le volume et/ou l’engagement de nos forces sans com­pro­mettre nos capa­ci­tés à les régé­né­rer sur court pré­avis, soit le main­tien de capa­ci­tés indus­trielles et de com­pé­tences tech­ni­co-tac­tiques, dans l’autre, on renonce à des pans entiers de notre assu­rance-vie qui ne peut être que tous risques, nos adver­saires pro­fi­tant de toutes les failles d’une police d’assurance au tiers. Pour­quoi ? Parce que, n’ayant plus la maî­trise tech­no­lo­gique pour conce­voir et pro­duire toute la palette des sys­tèmes d’armes néces­saires pour faire face à l’éventail des menaces, nous deve­nons dépen­dants d’éventuels alliés de circonstance.

    Aujourd’hui, alors que la branche éner­gie d’Alstom, qui fabrique les tur­bines de nos sous-marins nucléaires et du porte-avions Charles de Gaulle, est pas­sée sous pavillon amé­ri­cain, pour­rions-nous encore nous oppo­ser à Washing­ton comme en 2003 alors que notre effort de défense était indé­pen­dant de la bonne volon­té des Etats-Unis ? Si quelques années de négli­gence suf­fisent à remettre en cause une défense auto­nome et cré­dible, il faut au moins une géné­ra­tion pour retrou­ver les com­pé­tences et les capa­ci­tés pour conce­voir puis pro­duire des sys­tèmes d’armes de pointe. Ain­si, 30 ans après la chute de l’Union sovié­tique, la Rus­sie de Pou­tine ne par­vient tou­jours pas à recou­vrer son auto­no­mie stra­té­gique en dépit des dis­cours natio­na­listes et d’efforts finan­ciers colos­saux, le bud­get de la défense russe ayant aug­men­té de plus de 200 % depuis 2000. Pour preuve, la mort dans l’âme, Mos­cou a dû consen­tir à l’achat de deux bâti­ments de pro­jec­tion et de com­man­de­ment (BPC) à la France, membre de l’OTAN, en 2010, avant que cette vente ne soit annu­lée en 2015 par Paris suite à l’invasion de la Cri­mée par les forces russes. La Rus­sie paie encore les consé­quences de dix ans de relâ­che­ment de son effort de défense.

    La France entame ain­si aujourd’hui de funestes choix qui remettent en cause notre capa­ci­té de défense « tous azi­muts » pen­dant que les périls montent et qu’il n’y a plus de fron­tières aux menaces. Alors qu’un effort salu­taire a été consen­ti pour doter les armées fran­çaises de capa­ci­tés offen­sives dans ce nou­veau champ de bataille qu’est le cybe­res­pace, effort qui reste à décli­ner sur le ter­rain tant les sys­tèmes d’armes sont aujourd’hui digi­ta­li­sés au plus bas niveau tac­tique, nos forces conven­tion­nelles pâtissent tou­jours de trous capa­ci­taires en cas d’engagement majeur. Si nos mili­taires sont enfin équi­pés en drones armés et de sur­veillance, ils dépendent tou­jours du bon vou­loir de Washing­ton au Sahel, notam­ment en matière de trans­port aérien tant stra­té­gique que tac­tique, tout cela pour un déploie­ment, rap­pe­lons-le, de moins de 5 000 hommes. Si la livrai­son des der­nières FREMM est pré­vue à l’horizon 2025, à sup­po­ser qu’aucun coup de rabot n’intervienne dans l’intervalle, notre Marine manque cruel­le­ment de moyens pour contrô­ler notre zone éco­no­mique exclu­sive (ZEE) de 11 mil­lions de km2, la deuxième au monde, soit de patrouilleurs hau­tu­riers, le pro­gramme qui figu­rait dans la LPM 2014 – 2019 ayant été repor­té faute de moyens. Or, les enjeux sont colos­saux, tant géo­po­li­tiques qu’économiques, nos fonds marins abri­tant des res­sources consi­dé­rables et stra­té­giques au XXIe siècle, aigui­sant les convoi­tises, comme les fameuses « terres rares » néces­saires à notre monde de plus en plus digi­ta­li­sé, mais aus­si envi­ron­ne­men­taux, la France abri­tant, en grande par­tie grâce à cette ZEE, 10 % de la bio­di­ver­si­té mondiale.

    Face au tra­gique du monde et aux ensei­gne­ments de notre pas­sé, gar­dons en mémoire qu’un relâ­che­ment de notre effort de défense se paie tôt ou tard très cher, par un asser­vis­se­ment et tant de sueur, de sang et de larmes pour ten­ter de recou­vrer notre indé­pen­dance. La res­pon­sa­bi­li­té d’hommes et de femmes d’Etat qui pensent à la pro­chaine géné­ra­tion avant la pro­chaine élec­tion est de pré­pa­rer en per­ma­nence l’imprévu comme l’impensable, soit de pré­pa­rer un « conflit de sur­vie » enga­geant toutes les forces vives du pays à com­men­cer par nos forces mili­taires. Notre liber­té n’a pas de prix. « La défense ! C’est la pre­mière rai­son d’être de l’État. Il n’y peut man­quer sans se détruire lui-même. » affir­mait Charles De Gaulle.

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    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Le libéralisme contre les libertés (partie II), par Oli­vier Per­ce­val (col­loque du 8 mai).

    Ah, la peur géné­ra­li­sée, depuis la mer­veilleuse expé­rience de la ter­reur en 1793, on n’a jamais ces­sé d’affiner le concept avec, il faut le recon­naître, moins d’effusion de sang aujourd’hui et plus de fantasmes

    Mais la peur, reste un excellent outil de condi­tion­ne­ment que savent uti­li­ser intel­li­gem­ment les libé­raux qui ont mis en place, là aus­si comme une liber­té nou­velle, le concept d’individualisme.

    olivier perceval.jpgBelle trou­vaille que cette notion d’individualisme qui affran­chit l’Homme de toute tutelle et lui per­met de déci­der seul de ses choix. Mais mal­heur à l’homme seul, car sa soli­tude le rend fra­gile devant les pré­da­teurs.  Il ne s’agit pas de nier ici l’existence de la per­sonne indi­vi­duelle, mais seule­ment de rap­pe­ler que l’Homme est un ani­mal social, ce qui lui donne l’avantage de pou­voir construire une socié­té, laquelle est natu­rel­le­ment fon­dée sur la soli­da­ri­té, et qu’elle sup­pose une orga­ni­sa­tion struc­tu­rée. Du reste il est signi­fi­ca­tif de consta­ter que cette reven­di­ca­tion indi­vi­dua­liste induit para­doxa­le­ment des com­por­te­ments for­ma­tés, gré­gaires, uni­formes, déla­teurs et accu­sa­teurs envers ceux qui s’exposent en nageant à contre-cou­rant. Cet indi­vi­dua­lisme se trans­forme alors en une marée confor­miste, et la peur aidant, agres­si­ve­ment into­lé­rante à toute sorte de man­que­ment aux règles édic­tées par les « sachants » élus sans doute par « la main invisible »

    Ce ne sont plus, aujourd’hui, « les amou­reux qui se bécotent sur les bancs publics », qui pro­voquent « le regard oblique des pas­sants hon­nêtes », mais ceux qui se pro­mènent dans la rue sans masque.

    La peur vous dis-je !

    Cela me rap­pelle un roman de Brad­bu­ry où la popu­la­tion est conta­mi­née par une plante extra­ter­restre qui anni­hile la pen­sée et contrôle l’humanité : pour pas­ser inaper­çu dans la foule, et ne pas être lyn­ché, il faut affi­cher un visage inex­pres­sif, un masque en somme. La peur est un excellent sti­mu­lant pour l’obéissance aveugle à une auto­ri­té non incar­née, ce qui donne le sen­ti­ment trom­peur d’être autonome.

    Le meilleur des mondes du vision­naire Aldous Hux­ley ne nous dit pas autre chose : Dans ce monde, nous sommes sur le che­min du rêve trans­hu­ma­niste et le Soma, une drogue bien­fai­sante, accom­pa­gnée par une libé­ra­tion sexuelle médi­ca­le­ment et digi­ta­le­ment assis­tée, per­met d’être éter­nel­le­ment heu­reux. Ce roman décrit aus­si une dic­ta­ture qui aurait les appa­rences de la démo­cra­tie, les éva­sions et les rêves pros­crits. Bref, une dic­ta­ture par­faite, comme aime­raient nous l’offrir ceux qui dirigent et pensent le monde pour nous. Les peuples encom­brants et remuants, les gau­lois réfrac­taires, doivent être anes­thé­siés et obéissants.

    Ain­si pour­ra-t-on contrô­ler la démo­gra­phie, bras­ser les popu­la­tions arra­chées à leurs cultures (can­cel culture et déco­lo­nia­lisme) et gérer la pro­duc­tion et la consom­ma­tion pour une socié­té par­faite et harmonieuse.

    C’est du reste ici que se ren­contrent le cou­rant libé­ral et le cou­rant liber­taire. La galaxie bobo, urba­no-éco­lo­giste, anti-spé­ciste, LGBTXY, paci­fiste en prin­cipe, mais prête à cau­tion­ner les pires vio­lences quand c’est un Fran­çais mâle, blanc, hété­ro­sexuel qui est la cible. Cette galaxie voit tout l’intérêt de par­ti­ci­per à une socié­té post-moderne contrô­lée par le capi­ta­lisme mon­dial anonyme.

    Phi­lippe de Vil­liers, dans son der­nier ouvrage nous révèle, ce que certes nous savions déjà, mais ici avec des argu­ments étayés que : « Big phar­ma, Big data, Big finance, la fon­da­tion Bill Gates, le Forum de Davos, com­posent une sorte de direc­toire d’influence mon­diale supé­rieur aux puis­sances publiques. » Il nous apprend aus­si que, si aucune preuve n’indique que le virus du COVID 19 a été volon­tai­re­ment dif­fu­sé à par­tir du labo de Huan, il appa­rait pour l’élite glo­ba­li­sée comme une aubaine. C’est ce que dit notam­ment Klaus Schwab, le fon­da­teur et pré­sident du forum éco­no­mique mon­dial de Davos ; C’est écrit dans son mani­feste : Covid 19, la grande réini­tia­li­sa­tion, ou « Great Reset »

    Évi­dem­ment, (peut-être même ici), va-t-on crier au com­plo­tisme, pour­tant, lorsque Phi­lippe de Vil­liers annonce cela sur les pla­teaux télé, per­sonne ne moufte ; Il n’y a pas de scan­dale et bien sûr il n’y a pas eu d’assignation au tri­bu­nal, pour la bonne rai­son que le pro­jet est affi­ché au grand jour par cette élite et por­té plus par­ti­cu­liè­re­ment par le très sérieux et très influent Klaus Schwab.

    Ain­si donc, il y a bien un com­plot, mais un com­plot si j’ose dire à ciel ouvert, bran­di sans com­plexes par les com­plo­teurs eux-mêmes, avec le sou­tien des chefs d’état occi­den­taux pour les­quels la doc­trine libé­rale est incontournable.

    Quoi faire ?

    La Révo­lu­tion, résume Maur­ras, « nous a fait pas­ser de l’autorité des Princes de notre sang » sous celle « des mar­chands d’or »

    Alors, on peut se deman­der où cela va finir ? Et quelles parades on peut oppo­ser à cet aban­don une à une de toutes les pro­tec­tions du peuple, ce peuple que chez nous on appelle le pays réel.

    On voit bien que Macron avec ses « pieds nicke­lés et poings liés », lui-même issu de la banque est com­plè­te­ment acquis à l’idéologie libé­ro mon­dia­liste. Quant à Marine Le Pen, dont on ne peut contes­ter le patrio­tisme, elle semble aus­si fra­gile qu’un roseau face au vent moder­niste, jusqu’à s’accommoder avec plus ou moins bonne grâce de l’autorité de Bruxelles qui devient fré­quen­table. Elle rêve d’être de son temps et porte comme un far­deau tout ce qui peut rap­pe­ler la vieille France. Et si elle accepte une cer­taine forme de natio­na­lisme, c’est bien sûr le natio­na­lisme jaco­bin auquel elle pense. On ne lui signe­ra cer­tai­ne­ment pas un chèque en blanc.

    Nous devons donc œuvrer pour la res­tau­ra­tion de l’État, et pas n’importe quel état, mais l’État royal qui dis­pose de l’indépendance face aux lob­bies et autres groupes de pres­sion y com­pris les plus puis­sants sur le plan inter­na­tio­nal, à la manière des capé­tiens. A ce sujet, pour ceux qui pensent que l’État ne pèse guère face aux super­puis­sances oli­gar­chiques, qu’ils sachent, qu’un état fort dis­pose du droit à l’exercice de la vio­lence légi­time. Un de mes fils me racon­tait l’autre jour, un pas­sage d’une saga, qui semble être assez pri­sé par la jeu­nesse d’aujourd’hui, en fran­çais « jeu de trônes », où un riche mar­chand, char­gé en outre de la ges­tion des finances du royaume, expli­quait à la jeune reine de ce pays, que sans lui elle n’était rien, et que c’était lui qui pos­sé­dait tout pou­voir de déci­sion. Après qu’il eut fini sa démons­tra­tion, la reine appe­la ses gardes et leur ordon­na : « met­tez cet homme à mort » et le riche bour­geois d’implorer aus­si­tôt à genoux la clé­mence de la reine » On retrouve dans ce récit l’esprit capé­tien qui s’est tou­jours exer­cé avec ceux qui pré­ten­daient domi­ner l’État.  Le roi dis­pose   de l’indépendance garan­tie par la vio­lence légi­time, mais aus­si de la durée et de la légi­ti­mi­té historique.

    Le roi capé­tien est empe­reur en son royaume.

    La dimen­sion sociale reste au cœur du rôle pro­tec­teur du chef de l’État, il faut donc, comme le fit Col­bert en son temps, redon­ner du sens au monde du tra­vail en révé­lant son poten­tiel dyna­mique et créa­tif en le pré­ser­vant et le pro­té­geant. Et l’État, dans ce domaine ne doit pas déve­lop­per une bureau­cra­tie cou­teuse et plé­tho­rique, mais faci­li­ter la réor­ga­ni­sa­tion du tra­vail par les tra­vailleurs eux-mêmes, par métiers et filières.

    Un mou­ve­ment comme le nôtre, com­po­sé socio­lo­gi­que­ment d’un nombre impor­tant de corps de métiers devrait pou­voir inté­grer les orga­ni­sa­tions syn­di­cales et mutua­listes sans se lais­ser embar­quer, voire même cor­rompre par des consi­dé­ra­tions idéo­lo­giques. De même, le monde des PME doit être inves­ti, et beau­coup d’entre nous sont déjà par­ties prenantes.

    Chers amis, il nous appar­tient d’observer atten­ti­ve­ment aujourd’hui les bou­le­ver­se­ment poli­tiques, éco­no­miques et sociaux qui rendent la Répu­blique de plus en plus fra­gile, et ça ne sera pas de notre fait, la ren­dant inca­pable de pro­té­ger la France qui la subit du reste depuis deux cents ans comme la tunique de Nes­sus.  La ten­ta­tive immi­nente qui s’annonce de dis­soudre la France et les autres nations, dans un amal­game, sans carac­tère, sans his­toire, sans ori­gi­na­li­té, sans culte ni culture, sous sur­veillance d’un ordre capi­ta­liste mon­dial échoue­ra, tant qu’il res­te­ra dans ce pays quelques vrais Fran­çais. Il nous appar­tient à nous, l’Action fran­çaise de les fédé­rer, pour ren­ver­ser cette socié­té idéale rêvée par les grands libé­raux qui œuvrent depuis les lumières, et qui n’est en réa­li­té que la socié­té du veau d’or.

    Le com­bat sera dur et épui­sant, mais nous arri­vons à l’âge des héros, et je laisse la conclu­sion à Pierre Bou­tang :« L’âge des héros rebâ­ti­ra un pou­voir ; il n’est pas de grand siècle du pas­sé qui ne se soit don­né cette tâche : même aux âges sim­ple­ment humains, où les familles, las­sées de gran­deur, confiaient à quelque César leur des­tin, à charge de main­te­nir le droit com­mun, le pou­voir recons­truit gar­dait quelque saveur du monde pré­cé­dent. Notre socié­té n’a que des banques pour cathé­drales ; elle n’a rien à trans­mettre qui jus­ti­fie un nou­vel « appel aux conser­va­teurs » ; il n’y a, d’elle pro­pre­ment dite, rien à conser­ver. Aus­si sommes-nous libres de rêver que le pre­mier rebelle, et ser­vi­teur de la légi­ti­mi­té révo­lu­tion­naire, sera le Prince chré­tien. »

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • La mort de la fraternité, par Michel Onfray.

    Sur quelques prédateurs contemporains

    Nul ne l’ignore, la devise de la République française est Liberté, Égalité, Fraternité. La triade a son importance car la Liberté sans l’Egalité, c’est la licence; l’Égalité sans la Liberté, c’est la tyrannie; or la Liberté et l’Egalité avec la Fraternité, voilà qui évite les impasses dans lesquelles conduisent la Liberté seule ou l’Égalité seule.

    michel onfray.jpgLes États-Unis, par exemple, ont le souci de la Liberté sans l’Egalité et Cuba celui de l’Egalité sans la Liberté. La droite aime la Liberté mais ne se soucie guère de l’Egalité; la gauche vénère l’Egalité mais se moque bien souvent de la Liberté.

    Mais qui parle de la Fraternité? Qui et quand? C’est le parent pauvre de la République, or ce devrait être la valeur cardinale autour de laquelle réconcilier les français des deux bords et d’ailleurs. Si l’on veut, comme c’est mon cas, défendre la liberté comme la droite et l’égalité comme la gauche, alors une politique de la Fraternité permet de réunir les deux rives du même fleuve.

    Le covid révèle nombre de choses sur l’état de notre pays, de l’Europe et de notre civilisation, dont cette évidence que la Fraternité est devenue le cadet des soucis de la plupart. On sait que le gouvernement au service de l’État maastrichtien a failli. La débandade de cet empire néo-libéral en formation apparait désormais dans le plein jour de l’Histoire: les pays se sont repliés sur eux-mêmes pour faire face au traitement de la pandémie. A la première pluie, chaque État est rentré chez lui pour se sécher… Face à l’Italie qui sombrait et la France qui perdait pied, l’Allemagne a retrouvé le chemin du nationalisme intégral.

    Le chef de l’État français a tergiversé, c’est le moins qu’on puisse dire… Depuis janvier 2020, il y a donc tout juste un an, quiconque voulait savoir pouvait savoir: ce serait bel et bien une pandémie planétaire, la Chine n’aurait pas, sinon, confiné une ville de onze millions d’habitants…

    Macron n’a pas protégé les Français, aveuglé par son idéologie doublée par son incroyable égotisme: il donne l’ordre d’aller chercher les expatriés français en Chine et offre une permission aux militaires ayant assuré le rapatriement sanitaire; il laisse les avions en provenance d’un pays contaminé effectuer leurs innombrables rotations en déversant chaque jour des centaines de touristes chinois potentiellement contaminés sur le territoire français; il proclame avec force l’inutilité des masques parce que l’impéritie des gouvernements maastrichtiens, dont il est solidaire, a renoncé aux stocks; il aurait pu affirmer que cette pénurie dont il n’était pas directement responsable nous obligeait à fabriquer des masques maisons à partir d’un tuto fourni par le ministère de la santé, c’eut été une variation sur le thème des taxis de la Marne, il ne l’a pas fait; il n’a pas fermé les frontières sous prétexte que le virus les ignorait, aujourd’hui il reconnait les frontières: entre les individus, entre les villes, entre les régions, entre les pays, entre les continents; il décrète l’interdiction des remontrées mécaniques au sport d’hiver et celle des salles de spectacle en même temps qu’il autorise l’entassement dans les avions et les aéroports, mais aussi dans les gares et dans les trains; il laisse les supermarchés ouverts, il ferme les petits magasins; il décrète une vaccination massive avant d’inviter à se hâter lentement faute d’avoir prévu, là encore, l’achats des doses; il décide seul dans un bunker entouré de Diafoirus à la Légion d’honneur dans un total mépris des élus (maires, conseillers départementaux, conseillers régionaux, présidents de région, députés, sénateurs), et dans le plus profond mépris et de la démocratie et de la république; il contracte le virus dans une soirée de politique politicienne donnée à l’Élysée qui jette par-dessus bord les mesures sanitaires - plus nul que ça, tu meurs…

    On dira que la Fraternité n’est pas le souci prioritaire de ce président de la République. Il est vrai que cette vertu suppose sympathie, empathie, estime d’autrui, affection, et que toutes ces qualités ne passent pas pour saillantes chez cet homme glacial quand on n’a pas un genou en terre devant lui.

    Mais il est plus étonnant de voir que cette Fraternité semble également le cadet de soucis du moraliste André Comte-Sponville assez remonté (contre moi à qui il a envoyé un mail de remontrance très professoral…) qu’on comprenne bien, hélas, ce qu’il dit! Car il n’a pas été fuyant, il écrit et parle clairement, c’est d’ailleurs l’une de ses vertus, quand il s’adresse aux jeunes dans la matinale d’Europe 1 en leur disant: «Ne vous laissez pas faire! Obéissez à la loi mais ne sacrifiez pas toute votre vie à la vie de vos parents et de vos grands-parents. Résistez au pan-médicalisme, au sanitairement correct et à l'ordre sanitaire qui nous menace.» Avant de conclure: «On ne peut pas sacrifier indéfiniment les libertés à la santé des plus fragiles, donc des plus vieux.» (15.X.2020)

    Il remet le couvert à France-Info: «On vit dans une société vieillissante. Or, plus on vieillit, plus on est fragiles en termes de santé. On a donc tendance à faire passer la santé avant tout, car nous sommes à mon âge plus fragiles que les jeunes. Il y a un cercle vicieux: puisqu’on fait de la santé l’essentiel, on privilégie les plus fragiles, c’est-à-dire à nouveau les plus âgés. Mais l’avenir de nos enfants est pour moi encore plus important. Je me fais davantage de souci pour l’avenir de nos enfants que pour ma santé de quasi septuagénaire.» (10.XI.2020)

    Pas besoin d’être agrégé de philosophie pour comprendre qu’André Comte-Sponville invite les jeunes à ne pas se sentir concernés par «l’ordre sanitaire», autrement dit: le confinement, les gestes barrières, le port du masque, l’usage du gel hydro-alcoolique. Certes, en bon sophiste qui manie à ravir la rhétorique normalienne, il a pris soin de préciser en amont qu’il fallait obéir à la loi. Mais comment obéir et résister en même temps? Sans la citer, il emprunte cette idée au philosophe Alain, dont il est l’un des disciples, et qui, dans l’un de ses célèbres Propos d’un Normand daté du 4 septembre 1912, invitait à «obéir en résistant». Or, on sait par la récente publication de son Journal longtemps inédit qu’Alain obéissait plutôt sans vraiment résister ce qui lui fait opter pour de mauvais choix dans les années d’Occupation… Sachant cela, on devrait éviter d’utiliser l’outil d’Alain, il est ébréché, émoussé, pas fiable.

    Quand l’impératif catégorique sponvillien lancé à destination des jeunes est: «ne vous laissez pas faire», que croit-il que les jeunes en question vont comprendre eux qui ne possèdent pas les Propos d’un Normand sur le bout des doigts?Qu’ils vont obéir en résistant? Il se trompe lourdement, voilà qui est trop subtil et d’ailleurs intenable, sauf à résister mentalement tout en se soumettant dans les faits… Non, ils vont résister en désobéissant et ils auront pour eux la caution de l’auteur du Petit Traité des grandes vertus.

    Par ailleurs, André Comte-Sponville écrit: «On ne peut pas sacrifier indéfiniment les libertés à la santé des plus fragiles, donc des plus vieux.» Autrement dit: d’abord la liberté, ensuite la santé des vieux. Ce qui veut dire, plus clairement: je revendique l’exercice de ma liberté, c’est-à-dire le pouvoir de faire ce que je veux, fut-ce au détriment de la santé des vieux! S’ils doivent mourir, ils mourront, il est de toute façon pour eux l’heure d’y songer prestement. Et le philosophe de faire semblant de se sacrifier en rappelant qu’il est quasi septuagénaire et qu’il «préfère attraper la covid-19 dans une démocratie plutôt que de ne pas l’attraper dans une dictature». Mais il ne lui est pas venu à l’esprit qu’il pouvait aussi préférer ne pas attraper le covid dans une démocratie qui l’en protégerait? Il semble que non…

    Car on ne peut exciper du peu de morts dus au covid, comme le fait André Comte-Sponville pour asseoir sa démonstration, et oublier que, c’est justement parce qu’il y a confinement et politique sanitaire planétaire qu’on peut à cette heure, fin janvier 2021, ne déplorer que deux millions de morts dans le monde. C’est une erreur de causalité de dire: la mortalité étant très basse, cessons donc cette politique sanitaire qui ne sert à rien puisque c’est très exactement cette politique sanitaire qui produit ce taux de mortalité bas. Paralogisme dirait-on rue d’Ulm. Nul besoin de mettre le chiffre des morts du covid en relation avec ceux de la peste au moyen-âge, des morts par cancer, des accidents vasculaires cérébraux ou des infarctus contre lesquels il n’existe pas de prévention possible, sauf salamalecs de nutritionnistes et prêches des vendeurs de statines… Quant à confisquer les morts de faim, il n’est pas très cohérent de les déplorer quand on proclame son engagement aux côtés des socio-démocrates en général, et de Macron en particulier, une sensibilité libérale dont les morts par malnutrition dans le monde sont le cadet des soucis puisque la paupérisation est le premier de ses effets!

    La même logique anime Nicolas Bedos qui, le 24 septembre 2020, publie un texte explicite sur les réseaux sociaux: «Vivez à fond, tombez malades, allez aux restaurants, engueulez les flicaillons, contredisez vos patrons et les lâches directives gouvernementales. Nous devons désormais vivre, quitte à mourir (nos aînés ont besoin de notre tendresse davantage que de nos précautions). On arrête d’arrêter. On vit? On aime. On a de la fièvre. On avance. On se retire de la zone grise. Ce n’est pas la couleur de nos cœurs. En ce monde de pisse-froids, de tweets mélodramatiques et de donneurs de leçons (!), ce texte sera couvert d’affronts, mais peu m’importe mes aînés vous le diront: vivons à fond, embrassons-nous, crevons, toussons, récupérons, la vie est une parenthèse trop courte pour se gouter à reculons.» Il avait raison, probablement au-delà même de ce qu’il imaginait: ce texte de donneur de leçons fut en effet couvert d’ordures par les donneurs de leçons…

    Inutile d’en rajouter. L’argumentation s’avère toujours préférable.

    On ne saurait comme le fait Nicolas Bedos opposer la tendresse et les précautions parce que, pour nos aînés justement, la tendresse est une précaution et la précaution une tendresse.

    De même, quand il invite à ne pas respecter le confinement, sauf avec des parents très fragiles, il oublie qu’il n’y a pas que soi et les parents au monde quand on est avec eux, car il y a aussi sur son visage, ses mains, ses vêtements, ses cheveux, sa peau, les virus du restant du monde qu’on aura côtoyé, touché, caressé, tripoté, croisé, palpé, trituré avant de visiter ses anciens qu’on risque ainsi de contaminer. Dans le tête-à-tête avec un parent âgé, il y a entre lui et nous ce que l’on aura rapporté du métro, du taxi, des poignées de portes, des boutons d’ascenseur, des touches de digicode, des pièces et des billets récupérés chez les commerçants, des courses rapportées du marché, du journal: la charge virale mortelle pour les plus fragiles, mais pas seulement.

    Idem pour Frédéric Beigbeder qui, dans Les Grandes Gueules (5.V.2020), affirme: «Je ne comprends pas cette soumission des citoyens qui ont obéi de manière aussi docile… En voulant se protéger de la mort, on supprime la vie en ce moment. Cette trouille nous empêche de vivre alors moi je pense que… on l’a fait pendant deux mois, c’était très utile, c’était très bien, (…) mais maintenant ça fait deux mois ça fait plus qu’au Moyen Age les gars, au Moyen Age c’était quarante jours, là on en est à cinquante! Il faut exiger de récupérer toutes nos libertés le plus tôt possible, le prix à payer est trop cher pour cette maladie: je prends un exemple, quand y’a eu des terroristes qui ont descendu tout le monde au Bataclan et qui ont attaqué les terrasses des cafés, qu’est-ce qu’il s’est passé, on a continué à vivre comme avant, on n’a pas arrêté d’aller aux terrasses des cafés. Pourquoi est-ce qu’un virus obtient plus de résultats que des terroristes assassins, y’a un moment il faut prendre conscience de ce qu’on est en train de perdre!»

    Laissons de côté l’usage un peu obscène de la tragédie terroriste du Bataclan effectuée par l’écrivain, car elle n’a pas causé deux millions de morts sur la planète et ne menace pas d’en faire autant si rien n’est fait - comparaison n’est pas raison, ici, c’est même franchement déraison. Frédéric Beigbeder ajoute: «Ne supprimons pas toute notre civilisation pour une pneumonie»! On peut se demander: qu’est-ce que «toute (sic) notre civilisation» pour l’auteur de 99 euros? Il donne sa réponse même s’il glisse de la civilisation à la culture (les philosophes allemands n’aimeraient pas…): «C’est la fin de la culture des bars, des terrasses, des discothèques.»

    Si la civilisation ici confondue à la culture ce sont les bistrots où l’on picole la «vodka haut-de-gamme» écoresponsable qu’il vient de mettre au point et qu’on trouvera, nous dit-on, à La Closerie des Lilas, les terrasses germanopratines où l’on mate les filles et les discothèques où l’on sniffe de la coke, en effet, le confinement est blâmable comme la prison des fascismes rouges ou bruns parce qu’il met en péril nos libertés fondamentales de boire, de draguer, de se camer, autrement dit: de se civiliser et de se cultiver selon la définition qui s’en trouve donnée dans les beaux quartiers de Paris!

    Que périssent en effet les plus fragiles si les plus forts peuvent vivre à leur guise, boire, manger, sortir, danser, flamber leur argent, sniffer de la poudre, en confondant licence, qui est   revendication de faire ce qu’on veut, quand on veut, comme on veut, et liberté, qui est pouvoir de faire ce que la loi issue de la souveraineté populaire a édicté ou n’a pas interdit. La licence est le tropisme de l’enfant roi; la liberté, la conquête du citoyen après que la révolution française eut aboli la théocratie et le pouvoir des seigneurs sur leurs serfs.

    Autre philippique contre le confinement, le court livre de BHL, moins de cent petites pages avec gros caractères qui semblent destinés aux malvoyants: Ce virus qui rend fou. La thèse est simple: ce virus n’est pas le problème, le problème c’est «le virus du virus», autrement dit la réaction inappropriée du monde entier avec ses mesures sanitaires pensées, via Foucault abondamment sollicité, comme une menace pour les libertés fondamentales.

    On a vu que, chez Nicolas Bedos ou Frédéric Beigbeder, ces fameuses libertés fondamentales qui, menacées, autorisent qu’on en appelle à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et, c’est nouveau chez BHL, à La Boétie, sont: la possibilité de s’installer aux terrasses des cafés pour y boire de l’alcool, celle de craquer son argent dans des restaurants, celle de danser et de draguer, sinon de se camer dans des boites de nuit, ajoutons à cela celle de prendre des avions pour voyager partout sur la planète tout en invitant à en prendre soin bien sûr... La trace carbone, c’est tout juste bon pour ces nazis de Gilets Jaunes!

    BHL écrit sous quel signe il réfléchit aux raisons de «cette extraordinaire soumission mondiale». Révolutionnaires de tous les pays, amusez-vous, voici une révélation, c’est Lui qui parle: « j’avais avec moi, toujours précieux, mon (sic) Discours de la servitude volontaire d’Etienne de La Boétie». J’aime que, dans son domicile de Saint-Germain-des-Prés, son Ryad marocain, son appartement new-yorkais, son autre domicile à Tanger, l’ancien nouveau philosophe qui affirme « J’ai trop de maisons et il y a trop d’endroits où il me faut être dans le monde», nous apprenne qu’il ne se déplace jamais sans son La Boétie dans la poche. Lui qui ne côtoie que des puissants, on imagine qu’il se sert souvent de cet auteur que les puis

  • Anne Coffinier : L’école hors contrat au secours de l’enseignement rural ?, recen­sion d’Olivier Perceval.

    Anne Cof­fi­nier n’est pas une incon­nue pour ceux qui suivent habi­tuel­le­ment le site https://www.actionfrancaise.net. Après avoir été remer­ciée par le conseil d’administration de la fon­da­tion pour l’école dont elle était elle-même la prin­ci­pale fon­da­trice, Anne Cof­fi­nier diplô­mée de Nor­male sup et de l’ENA a fon­dé la Fon­da­tion Kai­ros pour l’innovation édu­ca­tive dans le but de sou­te­nir et déve­lop­per les écoles hors contrat basées sur la liber­té péda­go­gique et libé­rées des contraintes d’une admi­nis­tra­tion natio­nal cen­tra­li­sée, sou­vent fort éloi­gnée du terrain.

    olivier perceval.jpgAnne Cof­fi­nier a publié une tri­bune dans le maga­zine Marianne, dont voi­ci les prin­ci­paux éléments :

    Avec le Covid et l’essor de la conscience éco­lo­gique, nous sommes de plus en plus nom­breux à nous sen­tir une voca­tion de néo-ruraux. Le luxe, c’est le temps, c’est l’espace, comme dit la publi­ci­té. C’est aus­si l’air pur et la beau­té. Le retour à la terre, au char­nel, à l’enracinement, l’écologie et la per­ma­cul­ture, en réac­tion à ce monde d’arrachement et de vir­tua­li­sa­tion des rela­tions…. Bien sûr, bien sûr ! Mais la rura­li­té en 2021, c’est aus­si la coha­bi­ta­tion hasar­deuse avec ceux qui n’ont jamais quit­té leur val­lée ou leurs mon­tagnes et qui ne com­prennent pas la pas­sion sou­daine des cita­dins à venir jouer les Jean de Flo­rette là où eux-mêmes peinent à vivre et à faire encore socié­té. La grande rura­li­té, c’est aus­si les ter­ri­toires en forte déprise démo­gra­phique, où la cou­ver­ture inter­net est capri­cieuse quand elle n’est pas inexis­tante, où les ser­vices publics sont réduits à la por­tion congrue, la vie cultu­relle mini­ma­liste, les trans­ports chronophages…

    L’ÉCOLE RURALE EN DANGER

    Ce qui est cer­tain, c’est que la grande rura­li­té n’a pas d’avenir si elle ne trouve pas le moyen de gar­der ou d’attirer des jeunes familles sur son ter­ri­toire. Et ça passe d’abord par les écoles. La Fon­da­tion Kai­ros pour l’innovation édu­ca­tive vient d’organiser un sémi­naire-action sur ce sujet à l’Institut de France, réunis­sant des élus ruraux et natio­naux, des créa­teurs et déve­lop­peurs d’écoles pour iden­ti­fier les moyens d’assurer l’avenir de l’école rurale.

    L’école rurale, et nous n’en sommes peut-être pas assez conscients, est l’archétype même de l’école com­mu­nale, qui a d’ailleurs été his­to­ri­que­ment pen­sée et conçue pour le monde rural. Aujourd’hui encore, 20% des élèves étu­dient en rura­li­té et 34% des écoles en France sont rurales. Pour le chan­ce­lier Dar­cos, pré­sident de la Fon­da­tion et ancien séna­teur de Dor­dogne, « l’école rurale est un mythe au sens bar­thé­sien du terme de l’histoire fran­çaise.  (…) L’école est conçue comme le lieu sco­laire mais aus­si le lieu cen­tral de la commune. »

    C’est dans cette école à classe unique ou mul­ti­ni­veaux que tant d’inventions péda­go­giques ont été faites et cette for­mule péda­go­gique donne aujourd’hui encore, pour le pri­maire, de meilleurs résul­tats que ceux des écoles de centre-ville. En revanche aujourd’hui, à la dif­fé­rence des écoles nor­males, les INSP ne forment hélas plus à ensei­gner dans ce type de contexte péda­go­gique, en classes mul­ti­ni­veaux, avec une forte impli­ca­tion dans la vie com­mu­nale. Ce sont des tra­di­tions fécondes qui sont ici menacées.

    Mal­gré son suc­cès aca­dé­mique et son impor­tance pour la vita­li­té du vil­lage dans son ensemble, les écoles rurales sont fer­mées à tour de bras, selon une logique de ratio­na­li­sa­tion bud­gé­taire, l’étape inter­mé­diaire étant sou­vent le regrou­pe­ment des enfants en RPI (regrou­pe­ment péda­go­gique inter­com­mu­nal). C’est sou­vent un drame. Les familles ne sont pas prêtes à faire des kilo­mètres et finissent par aban­don­ner leur vil­lage parce qu’il n’a plus d’école. Ces fer­me­tures ont été déci­dées uni­la­té­ra­le­ment par l’Éducation natio­nale, qui, comme l’explique Max Bris­son, séna­teur des Hautes-Pyré­nées et ins­pec­teur géné­ral hono­raire de l’éducation natio­nale, se pense (à tort) comme une admi­nis­tra­tion réga­lienne et n’a pas la culture de la concer­ta­tion et de la contrac­tua­li­sa­tion avec les ter­ri­toires. Comme l’explique David Djaïz, haut fonc­tion­naire et essayiste, il fau­drait faire davan­tage confiance aux acteurs et davan­tage coopé­rer que nous ne le fai­sons aujourd’hui, et défi­nir les RPI ou la carte sco­laire en étroite coor­di­na­tion avec ces élus locaux. Mais, comme le disent les socio­logues des orga­ni­sa­tions Oivier Bor­raz et Hen­ri Ber­ge­ron : « La France est un pays satu­ré d’organisations mais qui orga­ni­se­ra les organisations ? »

    Face à ces logiques admi­nis­tra­tives bru­tales, des acteurs de ter­rains se battent pour pré­ser­ver leurs classes, inno­ver et expé­ri­men­ter. Encore faut-il que l’État laisse les ter­ri­toires expé­ri­men­ter et déro­ger aux lois géné­rales, comme c’est tolé­ré de la part des ter­ri­toires de REP+ en ban­lieues. C’est ce que réclament les élus locaux, tel le dépu­té du Loi­ret, Richard Ramos, ou Valen­tin Josse, maire et vice-pré­sident du conseil dépar­te­men­tal de Ven­dée, qui dit ne rien attendre d’autre de l’État que la lati­tude néces­saire pour expé­ri­men­ter au niveau local.

    « Je crois au plu­ra­lisme des solu­tions, dit le séna­teur Bris­son. Il faut sor­tir donc d’une culture au cor­deau et à l’équerre. (…) Faire de vraies conven­tions issues du ter­rain et non pas des­cen­dant de la rue de Gre­nelle et impo­sée aux ter­ri­toires (…) La confiance de ces der­niers est éro­dée car les conven­tions de rura­li­té ont sou­vent été le faux nez pour fer­mer les écoles. » Et Xavier Dar­cos, ancien ministre de l’Éducation natio­nale, d’abonder à ces pro­pos giron­dins : « c’est une uto­pie que de croire qu’on puisse depuis Paris gérer de manière unique et totale l’ensemble du sys­tème éducatif. »

    LES ÉCOLES LIBRES, UNE SOLUTION ?

    Cer­tains élus ont su sou­le­ver des mon­tagnes pour inno­ver loca­le­ment mal­gré la pesan­teur admi­nis­tra­tive de la capi­tale. Ain­si Sophie Gar­go­vitch a‑t-elle sau­vé de la fer­me­ture son école de vil­lage en la conver­tis­sant son école publique en école Mon­tes­so­ri, ce qui a convain­cu de nom­breuses familles, de nou­veaux com­merces et pro­fes­sions libé­rales de venir s’installer chez elle, à Blan­que­fort-sur-Brio­lance dans le Lot-et-Garonne… C’est aus­si le cas de Tur­sac en Dordogne.

    Mais la plu­part des expé­riences inno­vantes de redy­na­mi­sa­tion sco­laire de vil­lage ruraux se sont réa­li­sées à tra­vers la créa­tion d’écoles libres, à l’initiative ou avec le fort sou­tien de la municipalité.

    Le séna­teur Max Bris­son a sou­li­gné lors du col­loque de la Fon­da­tion Kai­ros que « la guerre sco­laire est un luxe qu’on ne peut pas se payer dans un ter­ri­toire en grande déprise démo­gra­phique. » Fon­der une école libre est évi­dem­ment une solu­tion prag­ma­tique, pour assu­rer la conti­nui­té sco­laire, se sub­sti­tuer à l’école publique fer­mée par l’État, et déve­lop­per une offre sco­laire au plus près des attentes des parents locaux et des atouts du territoire.

    « Pour­tant, ces actions de revi­ta­li­sa­tion rurale ne reçoivent aucun encou­ra­ge­ment ni aucun finan­ce­ment public »

    C’est ain­si que se sont déve­lop­pées de nom­breuses écoles libres asso­cia­tives à l’instigation directe de maires ruraux déter­mi­nés à rou­vrir leur école. Comme l’école libre Mon­tes­so­ri de Saint-Pierre-de-Fru­gie ouverte par Mar­cel Cha­baud, dans le cadre d’un pro­jet glo­bal don­nant une forte place au patri­moine et à l’écologie. Son ini­tia­tive inté­grée a ren­con­tré un suc­cès excep­tion­nel et a conduit le vil­lage à pas­ser de 360 à plus de 500 habi­tants. Il ne compte pas moins de 52 élèves ins­crits pour la ren­trée pro­chaine. Autre exemple, la renais­sance de l’école de Puy-Saint-Vincent dans les Hautes-Alpes grâce à l’ouverture d’une école libre par le maire Mar­cel Chaud. Fon­da­tion qui a convain­cu l’Éducation natio­nale de rou­vrir une classe dans ce vil­lage de Mon­tagne. On pour­rait citer aus­si l’école mater­nelle et élé­men­taire libre ouverte à Mon­ther­lant dans l’Oise, ou l’école libre ouverte à Céré-la-Ronde, grâce à la mobi­li­sa­tion finan­cière du maire et des conseillers muni­ci­paux qui sont allés jusqu’à don­ner leur solde d’élus pour rému­né­rer les professeurs.

    Par­fois c’est l’école catho­lique qui ferme et qui est reprise et sau­vée par des parents qui se réunissent en asso­cia­tion à but non lucra­tif pour sau­ver l’école. Ce fut le cas tout récem­ment à Saint-Nico­las De Brien­non dans la Loire, à l’initiative d’un groupe de parents catho­liques et de pro­fes­seurs, dont cer­tains issus d’un éco-hameau situé à la Bénis­son-Dieu. A la Bus­sière dans la Vienne, l’école Gil­bert Bécaud s’est ins­tal­lée dans l’ancienne école publique, sous les fenêtres du maire. À chaque fois, c’est un vil­lage qui renaît !

    Pour­tant, ces actions de revi­ta­li­sa­tion rurale ne reçoivent aucun encou­ra­ge­ment ni aucun finan­ce­ment public. Le droit en vigueur porte encore les stig­mates de la guerre sco­laire et inter­dit presque toutes les sub­ven­tions de la part des col­lec­ti­vi­tés locales aux écoles libres. Nombre de maires rêve­raient de pou­voir uti­li­ser le for­fait com­mu­nal qu’ils doivent ver­ser aux com­munes voi­sines pour les élèves pro­ve­nant de leur com­mune à une école qui serait située sur leur propre ter­ri­toire. Mais c’est impos­sible et ces écoles ne peuvent attendre de secours que des dona­teurs privés.

    « Faut-il encore que la pas­sion éga­li­ta­riste et tech­no­cra­tique de la France ne prenne pas le des­sus sur ces jeunes pousses »

    Si l’on veut faci­li­ter l’essor des écoles rurales, il fau­drait déblo­quer les pos­si­bi­li­tés de finan­ce­ment public sur la base du volon­ta­riat, allé­ger les règles inter­di­sant à des per­sonnes de diri­ger des écoles si elles n’ont pas cinq ans d’expérience dans un éta­blis­se­ment d’enseignement, et amé­lio­rer les trans­ports, le droit de l’urbanisme pour que les PLUi cessent d’empêcher les néces­saires construc­tions pour l’école ou les familles atti­rées par l’école, appor­ter du sou­tien admi­nis­tra­tif  et de la mise en réseau aux maires et créa­teurs d’école – ce que l’association Créer son école s’est pro­po­sée de faire -, inno­ver notam­ment grâce aux cam­pus connec­tés pour per­mettre des pour­suites d’études supé­rieures tout en res­tant au pays (car aujourd’hui 23% des élèves ruraux, bien qu’ils aient en moyenne de meilleurs résul­tats, ne pour­suivent pas après le bac contre 15% en moyenne nationale).

    Les pion­niers ont ouvert la route pour assu­rer un bel ave­nir à l’école rurale. Faut-il encore que la pas­sion éga­li­ta­riste et tech­no­cra­tique de la France ne prenne pas le des­sus sur ces jeunes pousses. Il fau­dra être vigilants !

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • 20 juin 2021, mort de la démocratie indirecte, par Michel Onfray.

    Les élections régionales et départementales ont eu lieu et, comme d’habitude, journalistes, éditorialistes, sondeurs, hommes et femmes politiques, politologues et autres animaux du cirque médiatique, y sont allés de leurs verbigérations pour expliquer que ce qui fut n’a pas été. 

    michel onfray.jpgOr ce qui fut est simple :

    Leçon numéro 1 : les grands gagnants de cette consultation électorale sont les abstentionnistes, comme toujours depuis des années. Près de 70 % des électeurs ne se sont pas déplacés. Mais, pour tout ce monde- là, ça n’est pas une information — pire : ça n’est pas l’information.

    Les animaux du cirque ont commenté, sérieusement : il faisait beau, les gens sont restés en famille ; ils ont eu peur du covid et ne sont pas sortis ; c’est la fin du confinement, ils ont voulu en profiter ; les dates de la consultation ont été reportées, ça a perturbé les électeurs ; la confusion des départementales et des régionales a créé un trouble qui les a conduits à ne pas se déplacer ; les professions de foi ont été mal distribuées dans les boîtes aux lettres ; les attributions du conseiller départemental et celles du conseiller régional ne sont pas claires pour beaucoup, ça a démobilisé les votants . Pour ces gens-là, bien payés pour déblatérer des sottises au kilomètre, les Français sont si futiles, si jouisseurs, si bêtes, si abrutis, si demeurés, si incultes, si crétins, si mal informés, si Gilets jaunes, si demeurés en effet ! Tout s’explique …

    Je ne voudrais pas parler au nom de tous les abstentionnistes, mais je crois qu’une explication majeure de leur comportement est qu’ils ont compris que les élections relevaient d’une parodie de démocratie. En 2005, lors du référendum sur le Traité européen, sur le principe de la démocratie directe que permet le référendum, les Français ont massivement dit non à ce traité. Or, trois ans plus tard, sur le principe de la démocratie indirecte qui s’appuie sur des représentants, les élus du peuple ont voté contre lui et, de ce fait, annulé sa volonté. 2008 fut un coup d’État des élus du peuple contre le peuple dont on n’a pas fini de mesurer l’écho. Car le peuple a longue mémoire.

    Ce même peuple a compris que les médias, apparemment nombreux, mais finalement concentrés entre les mains d’une infime poignée de milliardaires qui défendent un même système, celui du marché libéral maastrichtien, que ces médias, donc, fabriquent une opinion qui, à force de coup de pouces donnés aux Le Pen pendant un lustre moins quelques jours doublés d’une diabolisation in extrémis de ceux à qui on a déroulé le tapis rouge médiatique pendant cinq ans mois une semaine, ils portaient au pouvoir le candidat  d’une même idéologie  (maastrichtienne) sous des emballages différents  (mitterrandiens, chiraquiens, sarkozystes, hollandais, macroniens…) Cette construction de l’opinion s’effectue avec l’invitation des Le Pen et de leurs amis invités sur les plateaux de télévision jour et nuit, y compris ceux du service public, sans que jamais on leur trouve mauvaise haleine, sauf entre les deux tours où on leur associe la puanteur du diable nazi !

    Le même peuple a également compris que les députés, les sénateurs ne représentaient pas la France sociologique. La « France légale » et la « France réelle » — une opposition qui se trouve dans Les Misérables de Victor Hugo (les demi-sachants qui croient qu’elle est de Maurras iront voir l’œuvre de Hugo en Pléiade à la page 811) —, ne se recouvrent pas : le Rassemblement national et le PCF ne sont pas représentés au parlement en proportion des votes obtenus…

    Des catégories entières du peuple ne sont pas représentées : où sont les petits paysans, les patrons pécheurs, les jeunes au chômage, les travailleurs précaires, les femmes au foyer, les étudiants salariés, les chauffeurs de taxi, de bus, de métro, de train, les ouvriers, les prolétaires, les femmes seules s’occupant d’une famille monoparentale, les petits artisans et les petits commerçants, les éleveurs, les bergers, les vachers, les fromagers, les viticulteurs sur de petites parcelles ou de petites propriétés, les quinquagénaires au chômage, les petits retraités, les veuves avec demi-retraites de leur défunt mari, les fonctionnaires humiliés, maltraités ( instituteurs, enseignants, policiers, gardiens de prison, militaires, infirmières, contrôleurs SNCF, postiers), les ruraux sans permis de conduire ou sans argent qui leur permettent  d’aller au cinéma, au restaurant ou en vacances, les Gilets jaunes du départ, ceux des Ronds-Points, où sont-ils représentés ? Par qui ? Quand ? Où ?

    Il n’est pas interdit de penser que ceux-là ne se sont pas déplacés pour élire un conseiller départemental ou régional socialiste, macronien, insoumis, communiste ou lepéniste. À quoi bon ? Pour quoi faire ? Pour être trahis le jour où le président de la République maastrichtien les sonne avec pour projet de voter contre le peuple qui les a élus ? Combien de députés ou de sénateurs ont-ils refusé d’aller voter contre leurs élus à Lisbonne*, sinon démissionné, ce qui aurait eu de la gueule ? Aucun… Le peuple n’a pas forcément envie d’être éternellement le dindon de la farce…

    Leçon numéro 2 : les instituts de sondage se sont encore trompés. À coup de milliards d’euros, les sondeurs fabriquent une opinion sous prétexte de la mesurer afin… d’influencer l’opinion ! Ils créent la peur lepéniste pour mobiliser le camp présenté comme antifasciste et passent à côté de la vérité populaire.

    En 2002, aucun n’avait prévu un : l’échec de Jospin, deux : la présence de Le Pen au second tour, et trois : l’élection de Chirac. On dira que, pour le moins, il s’agit d’erreur et de fautes professionnelles : qui a été démissionné ? Mis au chômage ? Évincé ? Quel institut de sondage a vu sa direction renvoyée à Pôle Emploi ? Lequel a perdu ses clients ?

    Les sondeurs nous annonçaient un raz-de-marée lepéniste. Une, deux, trois régions gagnables. Voire plus. Les Darmanin, Macron, Dupond-Moretti, Schiappa et autres seconds couteaux de la macronie, du genre Castex, y allaient de leur cri de guerre antifasciste ! Il fallait éviter que des régions soient gagnées par l’arrière-petite-fille d’Adolf Hitler ! La France ne s’en remettrait pas ! Ces présidents de région risquaient de mettre à feu et à sang la France en se faisant photographier avec des repris de justice effectuant des doigts d’honneur ! Ils allaient recevoir dans leurs hôtels de région des YouTubers qui ne manqueraient pas d’abaisser leur fonction et de faire une galipette sur les pelouses ! Ils allaient soutenir mordicus leurs amis très proches qui, déguisés en policiers, tabasseraient des manifestants sans investiture républicaine ! Ils allaient tellement dévaloriser la fonction qu’ils se feraient gifler par le premier crétin venu ! Il fallait vraiment faire barrage à la menace de ce fascisme-là.

    Leçon numéro 3 : le Rassemblement national paie la facture de sa chiraquisation. Retournons la formule de Jean-Marie Le Pen contre sa fille : « les électeurs préfèrent toujours l’original à la copie ». Les électeurs ont en effet montré que Marine Le Pen, qui s’est limé les dents — c’est métaphorique… — pour être présentable, ressemble comme deux gouttes d’eau au personnel politique dominant : respect pour l’euro, respect pour Maastricht, respect pour Schengen, respect pour la Cour européenne des droits de l’homme, pas d’amalgame pour l’islam. Plus question, si tant est qu’un jour c’eût été une tentation, de Frexit, de sortie de l’euro. Errante sur ces questions lors du désormais fameux débat d’entre les deux tours, elle s’est donné les moyens de ne plus errer : elle pense désormais comme Macron sur tous ces sujets… Elle ne risque plus de confondre monnaie commune et monnaie unique, euro et écu, elle se montre dorénavant une bonne élève de Maastricht. Elle devrait finir par trouver des banques pour financer ses campagnes et des signatures en quantité pour valider sa candidature.

    Ajoutons à cela que Marine Le Pen a pris soin récemment de donner des gages au camp du bien en disant combien elle souhaitait ne pas être assimilée à ce gueux d’Éric Zemmour, à ce pestiféré, à ce réprouvé qui dit tant de mal de nos compatriotes musulmans, qui se montre excessif en tout, qui, lui, est vraiment d’extrême-droite ! Elle croyait se dédiaboliser encore un peu plus en brûlant l’Éric sur le bûcher de ses vanités, elle sait désormais qu’elle a perdu les voix qu’elle a cru gagner. Cette fois-ci elle ne pourra pas invoquer l’influence maléfique de tel ou tel conseiller, comme ce fut le cas avec le fantasque Philippot, un faux « gaulliste » aujourd’hui vrai compagnon de route de Francis Lalanne et de Jean-Marie Bigard, jadis sacrifié en bouc émissaire de son échec aux dernières présidentielles.  À un moment donné, il faut aussi assumer les conseillers qu’on s’est choisis… On ne peut se contenter d’holocaustes dans sa garde rapprochée. À errer ainsi sans cesse Marine Le Pen a perdu le nord — si je puis me permettre…

    Leçon numéro 4 : Mélenchon récolte ce qu’il a semé. L’homme qui a d’abord mis en doute les résultats de la dernière élection présidentielle parce qu’ils ne correspondaient pas à son attente qui culminait au niveau de la haute idée qu’il se fait de lui-même ; l’homme qui a affirmé qu’en étant quatrième aux dernières présidentielles il avait failli être élu à peu de voix près ; l’homme qui s’est fait le ventriloque de Jaurès et de Gaulle avant d’estimer, eu égard aux résultats obtenus avec cette palinodie, que ça n’était pas assez payant et, dans la foulée, s’est fait le perroquet de Plenel et de Tariq Ramadan ; l’homme qui a vociféré que la République c’était lui en oubliant les caméras qui filmaient son interminable accès de déraison ; l’homme qui insulte Macron quand il se trouve loin de lui mais qui l’enduit de sucre candi et le bombarde de loukoums quand il le croise sur le port de Marseille ; l’homme qui assimile la police française à une milice fasciste et les militaires inquiets de l’avenir de la France à des factieux et qui, en même temps, trouve des vertus à Robespierre, Trotski, Fidel Castro et Hugo Chavez, tous amateurs bien connus de liberté ; l’homme qui aimait diner à la table de Jean d’Ormesson tout autant qu’à celle de Patrick Buisson ; l’homme qui estime que la Famille Traoré, dont Assa, nouvelle égérie de Louboutin, est une chance pour la France ; l’homme qui croit que la créolisation du pays est un projet de civilisation : cet homme ne fait même plus rire, désormais, il fait peur.

    Après les résultats, il a annoncé que tout allait bien pour lui et les siens ; que le système en revanche allait mal ; qu’il fallait le réformer en reconnaissant le vote blanc et en ne validant pas certaines consultations électorales quand elles ne recueillaient pas assez de suffrages. Traduit en mélenchonien cela donnait : quand 70 % de gens s’abstiennent, le si peu de voix qu’il obtient ne signifie rien. Fermez le ban. Les élections qui ne lui conviennent pas, il les annule et voudrait que ce soit gravé dans le marbre de la loi. Ensuite, il part boire une bière avec ses copains nostalgiques de Lénine.

    Leçon numéro 5 : les Républicains bénéficient de la chiraquisation de Marine Le Pen. Si elle a pour modèle le Chirac des années soixante-dix, celui du « bruit et de l’odeur », celui des rodomontades de Charles Pasqua et des pipes de Robert Pandraud, celui du lance-flammes d’Ouvéa, on sait ce qu’est son destin : une juppéisation de la France, l’eau tiède maastrichtienne présentée comme un alcool fort néo-gaulliste, un retrait du chef de l’État dans son bureau à compulser des catalogues d’art premier — en 1789, Louis XVI chassait et bricolait ses serrures … Et, loin de la période du Supermenteur de Canal +, des obsèques de héros national ayant tant mérité de la patrie pour avoir annoncé un jour : « la maison brûle et nous regardons ailleurs ».

    C’est le moment de citer le bon mot de Marie-France Garaud qui, parlant de ce tigre en papier, disait qu’elle a cru de lui qu’il était « du marbre dont on faisait les statues alors qu’il n’était que faïence dont on fait les bidets ». On peut ne pas avoir un destin de marbre, mais se battre pour avoir celui d’un bidet n’est pas bien digne.

    Marine Le Pen a dragué dans les eaux des Républicains, elle les a de ce fait remis en eau. Pour son père, ce ne doit pas être un détail de l’histoire du parti qu’il a créé.

    Pas sûr que Xavier Bertrand, qui a le charisme d’un acteur de pub pour Carglass, puisse investir le bureau du général de Gaulle dont il se réclame, mais tellement de comiques s’y sont installés depuis qu’il peut en avoir la prétention. Le ridicule ne tuant pas, sa survie est assurée.

    Juppé doit se ronger les ongles en regardant sa télévision en famille, dans un appartement des beaux quartiers de Paris, Bordeaux est si loin, pendant que son disciple affûte ses couteaux : si Édouard Philippe décide en septembre d’y aller, il pourrait ne pas se présenter en vain.

    Leçon numéro 6 : les Socialistes bénéficient de la désintégration en vol de Mélenchon. On les croyait morts et enterrés comme DSK, Hollande, Ségolène Royal, Jack Lang, sinon Jean-Marc Ayrault, l’homme au camping-car ; mais le cadavre bouge encore. Ils en sont encore tout étonnés. Mélenchon qui voulait préempter la gauche a raté son coup - trop de pathologies personnelles pour faire un destin, la télévision montre les vérités qu’on croit cacher. Elle révèle l’exactitude d’un être sans lui demander son avis. Ses conseillers en communication numérique débauchés à la sortie de l’école n’en peuvent mais.

    Moins d’un an pour faire un programme c’est trop peu. Lors de cette consultation, les écologistes n’ont pas cassé trois pattes à un canard. La compassion pour les sapins de Noël, la pollution carbone des bateaux à voile, la religion de la trottinette, la légalisation du pétard, les menus véganes dans les écoles pour éviter le jambon, le suivisme woke et son compagnonnage avec l’islamo-gauchisme, l’indigénisme, le déconstructionnisme, l’intersectionnalité, le racialisme et autres modalités du néo-fascisme, rien de tout cela n’a convaincu.

    Le socialisme des notables a sauvé sa peau à coup de clientélisme — une recette qui a également marché pour LR. Ce ne sera pas suffisant pour trouver un candidat socialiste crédible d’ici un an. D’autant que l’actuel locataire de l’Élysée en est lui-même un, nourri au lait bien gras de François Hollande… Il en a l’idéologie, la rondeur en moins.

    Leçon numéro 7 : c’est une déculottée pour LREM, mais Macron va crier au succès. Ce parti fait de rien avec rien pour rien est bel et bien rien. La chose est démontrée ce dimanche 20 juin dans les grandes largeurs. Les caciques de ce faux parti, vrai baltringue, disent qu’il faut du temps pour s’installer dans le paysage politique. Or ça n’est pas du temps qu’il faut mais du talent. Du talent, de la compétence, de la rigueur, de la méthode, du professionnalisme. Et de la passion pour la France et pour les Français. Or tout ça manque cruellement…

    LREM est un club d’afficionados créé par et pour un homme qui, sauf peut-être son épouse, n’aime personne d’autre que lui. Son projet ? lui. Son programme ? lui. Son avenir ? lui. Son passé ? lui. Sa ligne ? lui. Or, lui, c’est tout et le contraire de tout, en même temps, c’est une passion affichée sur sa photo officielle pour l’auteur de Corydon et celui des Mémoires d’espoir, c’est une alliance à chaque main, c’est un parti dont l’acronyme est constitué par ses initiales. Il est normal, quand l’homme s’effondre, que son parti épouse son mouvement.

    Ci

  • La France peut-elle retrouver sa souveraineté sans Frexit ?, par Henri TEMPLE (Co-fondateur et précédent Directeur du Ce

    OPINION. La nécessité de sortir de l’Union européenne pour retrouver l’autonomie de notre compétence fait l’objet de beaucoup de débats au sein du camp souverainiste. Si pour beaucoup, le Frexit est indispensable, l’auteur défend une autre stratégie, selon lui, davantage pertinente politiquement.

    5.jpgLa Souveraineté d'une nation, c'est sa Liberté et son indépendance politique, militaire, économique, et culturelle. Périclès avait trouvé il y a 2500 ans une formulation remarquable pour souligner l’importance de la Liberté : « Il n'est pas de bonheur sans Liberté, ni de Liberté sans courage. » Peut-être serait-il nécessaire, désormais, d'adapter au temps présent, cette belle formule : « Il n'est pas de bonheur ni d’efficacité sans Liberté, ni de Liberté sans courage et intelligence. »

    L'importance politique de la Liberté-Souveraineté est posée dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 à l’article 3 : « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » Cette formule vise aussi bien la souveraineté internationale (l'indépendance) que la souveraineté interne (la république).

    Or, ce qui fut la Communauté économique européenne des origines (Traité de Rome, 25 mars 1957) a changé de nature, en outrepassant sa finalité initiale par deux traités.

    D'abord par celui de Maastricht (1992) adopté par un référendum au score tendu (pour : 51 % des exprimés, et 49,8 % des votants) et après beaucoup de graves mensonges matraqués contre le peuple. Jean-Pierre Chevènement, dans Le Bêtisier de Maastricht (1997), cite les bêtises, parfois méprisantes ou agressives, et les mensonges notamment prononcés par Jacques Delors, Michel Rocard, Jack Lang, Michel Sapin, Julien Dray, Élisabeth Badinter, Martine Aubry, Alain-Gérard Slama, Françoise Giroud, Bernard-Henri Lévy, Simone Veil, Valéry Giscard d’Estaing, Alain Madelin, Bernard Kouchner…).

    Ensuite par le traité de Lisbonne (2007) qui, lui, non seulement ne fut pas adopté par référendum mais par le Congrès qui n'hésita pas à violer en 2008 la volonté de rejet par la nation, démocratiquement et nettement exprimée par référendum en 2005 (Rejet par 55 % des Français du projet de traité établissant une « constitution » (sic) pour l'Europe). Et cela en dépit d'une campagne médiatique honteusement orientée. Ce véritable coup d'État anti républicain est de nature à rendre nul et non avenu l'ordre juridique illégitime qui résulte de ce traité deux fois scélérat. À la suite de ces traités et de quelques décisions de la Cour de justice de l'Union européenne, le peuple français a été dépouillé malgré lui des prérogatives attachées à sa souveraineté et, notamment, du droit : faire ses lois ; battre monnaie ; maîtriser, aux frontières nationales, ou aux frontières externes de l'Europe, les flux de circulation des marchandises, des capitaux, des services, des personnes ; décider de sa politique migratoire ; voter une politique budgétaire et fiscale propre et sociale ; mener une politique industrielle et environnementale dans l'intérêt national ; avoir pour ses services publics une politique nationale ; conduire une politique étrangère ou de coopération qui ne soit pas sous tutelle. Or les Français ont désormais compris que ces asservissements, ces carcans anti-démocratiques, sont la cause de leurs malheurs personnels et des sombres échéances qu'ils sentent venir.

    Paradoxalement, bien qu'ayant voté « non » au référendum de 2005, et qu'étant d'accord sur le fait que l'euro a eu des résultats négatifs sur leur sort personnel — sondage TNS Sofres, 26/12 2006 : l'euro, « une mauvaise chose » pour plus d'un Français sur deux ; une écrasante majorité (94%) estime que le passage à l'euro a eu pour conséquence « une aggravation de la hausse des prix » —, les Français sont effrayés à l'évocation d'un sortie de l'euro ou de l'UE. Selon certains, cela serait impossible et selon d'autres ce serait dangereux. Pourtant, les nations d'Europe sont de plus en plus sceptiques sur les résultats de « l'usine à gaz bruxelloise » et elles savent bien que Bruxelles n'est pas l'Europe, mais une dérive non démocratique et inefficace usurpant le nom d'Europe.

    Une étude récente analyse les causes et la puissance de la montée de l'euroscepticisme (L. Djikstra, H. Poelman, A. Rodriguez-Pose, Géographie du mécontentement et du mal-être dans l’UE, Telos, 2 mars 2020). D’après cette étude effectuée en 2018, les votes pour les partis modérément opposés à l’intégration européenne au sein de l’UE ont connu un véritable essor, passant de 15% en 2000 à 26% en 2018. Le vote pour les partis radicalement opposés à l’UE a, quant à lui, connu un bond de 8%, de 10 à 18% sur la même période. Ainsi se séparent deux Europe : celle où les partis eurosceptiques progressent (Autriche, Danemark, Hongrie, Italie, France et désormais Espagne et Allemagne), et celle de petits pays, d'adhésion récente, ayant eu une histoire difficile, qui veulent y croire encore (Chypre, Pays Baltes, Irlande, Malte, Roumanie). Les Britanniques (qui pourtant étaient ceux qui souffraient le moins des « émanations toxiques de l'usine à gaz »), en ont déduit une conséquence radicale : le Brexit, qui ne leur a d'ailleurs attiré aucun des cataclysmes annoncés par les pythies bruxelloises.

    Pour les pays qui restent — et notamment la France —, l'enjeu hautement crucial est de savoir si, en tous domaines, les principes constitutionnels des nations sont subalternes et soumis aux règles bruxelloises (directives ou règlements, et arrêts de la CJUE). En droit la question est connue comme étant celle de la hiérarchie des normes. Selon une jurisprudence constante de la Cour de Luxembourg (CJCE puis CJUE), la primauté du droit communautaire doit revêtir un caractère « absolu » et aucune règle de droit interne des nations européennes, même incluse dans la Constitution (considérée pourtant comme étant le sommet de la hiérarchie juridique interne), ne saurait faire obstacle à l'application des règles de droit communautaire (Arrêt CJCE Costa, 15 juillet 1964, ensuite explicité, notamment par la jurisprudence Internationale Handelsgesellschaft CJCE 17 décembre 1970, Aff. 11/70.). Ces solutions prétoriennes de la Cour européenne, qui impose la suprématie du droit communautaire sur le droit national même constitutionnel, ne se fondent que sur une idéologie de juges placés à cet effet dans cette juridiction, mais pas sur des fondements juridiques tirés des Traités. Elles sont donc illégitimes et la résistance à la méthode fédéraliste bruxelloise autoritaire, provoque des spasmes juridiques de plus en plus forts des Cours constitutionnelles de plusieurs pays européens (Autriche, Hongrie, Pologne, et en Italie l'arrêt Pozzani : Cour constitutionnelle italienne, 27 décembre 1973, n° 183/73). Toutefois le cas plus digne d'attention est celui de l'Allemagne. Déjà en 1974, dans un série d'arrêts « SoLange » (Laurence Burgorgue-Larsen, Les résistances des États de droit, De la Communauté de droit vers l'Union de droit, J. Rideau (dir.), Colloque de Nice d'avril 1999, Paris, LGDJ, 2000, pp. 423-458.) le Tribunal constitutionnel fédéral (situé à Karlsruhe) avait émis des réserves de constitutionnalité sur certains points essentiels de textes de l'UE, tant qu'ils n'étaient pas compatibles avec les garanties de protection des droits fondamentaux offertes par la constitution allemande. Le Tribunal se reconnaissait en conséquence compétent pour contrôler la conformité des normes de droit communautaire avec la constitution fédérale.

    Or, voici que la Cour constitutionnelle allemande vient en 2020 rappeler sa résistance et de réitérer sa position (Arrêt du 05 mai 2020 ; Bundesverfassungsgericht [BVerfG], 5 mai 2020, 2 BvR 859/15, 2 BvR 1651/15, 2 BvR 2006/15, 2 BvR 980/16. Sur un sujet économique ultra sensible, la BVerfG a exigé que la Banque centrale européenne [BCE] justifie son programme d’achat d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires, dit « PSPP » [Public Sector Purchase Programme] lancé en mars 2015. Elle a considéré que la BCE n’avait pas expliqué pourquoi la politique qu’elle menait était « proportionnelle » aux dangers économiques auxquels la zone euro était confrontée à l’époque. C’est la première fois que l’Allemagne refuse d’appliquer une décision de la Cour de justice de l’Union européenne, laquelle avait validé en 2018 le programme PSPP de la BCE à l’occasion d’une question préjudicielle — Jean Claude Zarka, L’arrêt du 5 mai 2020 de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne…, in extenso, 03/07/2020 : « La Banque de Francfort (BCE) est sommée de justifier le bien-fondé de ses rachats de dette publique menés depuis 2015, qui, selon le BVerfG, ont eu des effets négatifs sur des pans entiers de l’économie —.

    La Commission Von der Leyen s’est sentie tenue d’enclencher (le 9 juin 2021) une action judiciaire en manquement contre l’Allemagne (Cécile Boutelet et Virginie Malingre, La Commission européenne accuse l’Allemagne de prendre le risque d’une « Europe à la carte », Le Monde 15 juin 2021 ; Anne-Marie Le Pourhiet et Jean-Eric Schoettl, Démocratie contre supranationalité : la guerre des juges aura bien lieu, Revue politique et parlementaire, 1er juillet 2021). Tant il est vrai qu’une seule maille rongée emporterait tout l’ouvrage comme l’assure La Fontaine.

    Le prochain et nouveau gouvernement français devra dès mai 2022 (dans neuf mois) mettre à profit son état de grâce pour annoncer son intention de consulter, par référendum, la Nation sur les réformes profondes de nature à enrayer le déclin rapide du pays, et donc de prévenir de graves troubles. Mais le référendum essentiel, s’il ne devait y en avoir qu’un seul, serait celui qui trancherait cette question de la « hiérarchie des normes » et permettrait ainsi à la Nation de reprendre sa Liberté dans les domaines les plus importants, consubstantiels de sa Souveraineté. Ce référendum (en octobre 2022 ?) devrait proposer au Peuple français une profonde réforme de la Constitution pour qu’il retrouve sa dignité et sa liberté républicaines. Ainsi les plus graves des atteintes à la souveraineté de la République seraient abrogées à jamais, et l’Union européenne sauvée d’elle-même.

    Le contenu possible du texte référendaire pourrait être :

    Un rappel fondamental du Préambule constitutionnel (déjà existant) : « Le Peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004. »

    La conséquence oubliée de ce préambule dans la question essentielle : « Voulez vous que, pour restituer sa pleine souveraineté à la République et à la France, soient introduits ou ajoutés dans la Constitution les principes suivants ? »(les ajouts et modifications sont en gras)  :

    Article 3 : La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum, selon les règles des articles 11, 53, 54, 55 bis, 88-1, 89. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. Quiconque, français ou étranger, tenterait de porter, ou porterait atteinte aux principes du préambule et du présent article se rendrait coupable de crime contre la Nation, trahison, ou autres crimes d'atteinte à la sécurité nationale. — notons que le code pénal évoque la trahison (art. 411-1 et s.) et le complot (art. 412-1 et s.). Le Code de justice militaire n'évoque pas expressément la haute trahison mais les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation en temps de guerre (art. 476-1 et s.) ce qui renvoie aux infractions du code pénal. Faudrait-il étendre ces incriminations, notamment la trahison, au temps de paix ?

    Article 53 : Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'Etat, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi. Ils ne prennent effet qu'après avoir été ratifiés ou approuvés. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des populations intéressées.

    Lorsqu'un traité n'est pas applicable sans une modification ou une atteinte à la Constitution ou à ses principes fondamentaux, un référendum est organisé. Tout manquement à cette règle entraîne la nullité de plein droit de la ratification et de l'application de ce traité, la mise en cause pénale du chef de l'état, des membres du gouvernement, pour forfaiture ou haute trahison ainsi, s'il y a lieu, des juges, co-auteurs ou complices de cette forfaiture ou haute trahison.

    Article 54 : Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante députés et sénateurs (au lieu de soixante députés ou soixante sénateurs), a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après la révision de la Constitution. Cette révision ne peut être adoptée que par référendum.

    Article 55 : Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. La constitution est la loi suprême du peuple français. Aucune règle même internationale ou européenne ne peut s'imposer à la constitution du peuple français.

    Tout manquement à cette règle entraîne la nullité ou l'inexistence de plein droit de tout acte contraire, la mise en cause pénale du chef de l'état, des membres du gouvernement, ainsi que toute autorité institutionnelle, y compris judiciaire, ou étrangère, pour forfaiture, haute trahison, ou atteinte à la souveraineté nationale.

    Article 55 bis : Les règles concernant l'immigration, la nationalité, sont établies par référendum, ont valeur constitutionnelle et ne peuvent être modifiées que par référendum. »

    Article 88-1 : La République participe à l'Union européenne constituée d’États « souverains » qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent des seuls traités ratifiés par référendum (à la place du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007).

    Voilà comment pensons-nous — comme d'ailleurs d'autres juristes — la meilleure façon de rétablir l’essentiel de la souveraineté internationale de la France, sa libération du carcan bruxellois sur les sujets majeurs, sans pour autant tenter l'aventure du Frexit qui serait fatale à la belle idée européenne.

    Il resterait à régler néanmoins deux autres questions de souveraineté : celle de la souveraineté interne du Peuple français, qui pourrait résulter d'une systématisation de référendum obligatoires sur les sujets majeurs, ainsi que de l'élargissement des référendums d’initiative, ainsi que celles, épineuses, de la dette et de l'euro. Nous y reviendrons prochainement.

    Source : https://frontpopulaire.fr/

  • La France périphérique et les oubliés de la politique : panorama géographique (partie 2), par Fabrice VALLET (Juriste).

    OPINION. La France des oubliés identifiée par le géographe Christophe Guilluy a explosé à la figure d’un système médiatique aveugle à travers les GIlets jaunes. Comment ce phénomène de déclassement géographique a-t-il été enclenché ? Cette France des gens ordinaires parviendra-t-elle à se faire entendre en 2022 ? Éléments de réponse dans cette analyse en trois volets.

    La mise en lumière d’une « France périphérique », qui recouvre des territoires urbains, notamment de petites villes et de villes moyennes, périurbains les plus fragiles socialement, et ruraux, permet de souligner la place des nouvelles classes populaires à l’heure de la mondialisation. Face à un processus de désaffiliation universelle, le fait ou le sentiment d’enracinement local est une ressource essentielle pour les catégories populaires. Il apparaît ainsi que ces réseaux relationnels constituent un capital d’autochtonie en France périphérique. L’attachement à un territoire, à une cité, participe à une construction identitaire. La perte de ce capital d’autochtonie est l’une des causes de la fuite des quartiers populaires et banlieues des métropoles, mais aussi du regroupement dans des espaces périurbains et ruraux des catégories modestes d’origine française ou d’immigration ancienne. Le surinvestissement sur le territoire, la maison, son environnement culturel est désormais une tendance lourde dans les milieux populaires.

    Au sein de la France périphérique, la part des bas revenus, des chômeurs, des pauvres, des emplois précaires et des propriétaires pauvres y est surreprésentée. Cette nouvelle géographie sociale, qui s’impose en France, depuis 20 ans, révèle les contours d’une nouvelle sociologie, où les catégories sociales se définissent tout autant par leur statut socio-spatial que par leur degré d’intégration à l’économie-monde. Elle contribue à une recomposition du paysage politique entre ceux qui plébiscitent la globalisation libérale et ceux qui la subissent.

    Une France périurbaine et rurale

    Des marges périurbaines les plus fragiles des grandes villes jusqu’aux espaces ruraux en passant par les petites villes et villes moyennes, c’est 60 % de la population qui vit à l’écart des métropoles mondialisées. Ces espaces ouvriers et populaires se caractérisent par l’importance des ménages précaires et pauvres.

    L’ensemble de ces espaces forme la France périphérique, c’est-à-dire les agglomérations plus modestes, notamment quelques capitales régionales, et surtout le réseau des villes petites et moyennes. Il comprend aussi l’ensemble des espaces ruraux et les communes multipolarisées (dépendantes en termes d’emploi de plusieurs pôles urbains) et les secteurs socialement fragilisés des couronnes périurbaines des 25 premières agglomérations. La France périphérique comprend près de 34 000 communes et regroupe 61 % de la population. Les communes les plus fragiles sont concentrées dans la France périphérique qui regroupe 98 % des communes classées « populaire/fragile » représentant 72 % des Français vivant dans les territoires fragiles.

    L’implosion de la classe moyenne du périurbain subi s’illustre parfaitement dans l’exemple du canton de Brignoles. Sa localisation dans ces territoires est subie, dans le sens où si elles en avaient les moyens financiers, ces populations habiteraient probablement en périurbain plus proche ou plus chic. La fragilité sociale des habitants est une des caractéristiques du périurbain subi. Les problèmes financiers sont structurels (ayant du mal à s’acquitter du paiement des traites de leur maison, des nombreux déplacements, de l’obligation de posséder deux voitures) et de l'endettement répandu.

    La deuxième circonscription de l’Oise (Noailles/Chaumont-en-Vexin) comprend dans sa partie méridionale un espace périurbain subi, correspondant à des communes pavillonnaires qui ont accueilli des classes moyennes basses ayant fui la région Île-De-France. Dans sa partie septentrionale, elle se compose de territoires ruralo-industriels qui souffrent de la désindustrialisation et du chômage. Ce secteur illustre un contexte picard marqué par une très grande fragilité sociale.

    Dans le Sud, les ressorts du ressentiment social tiennent au chômage et à la précarité, mais aussi au séparatisme entre une population autochtone et une population d’origine immigrée plus jeune. Ce cocktail détonnant, que l’on rencontre aussi bien à Fréjus, à Béziers, à Cogolin ou Moissac, alimente la dynamique frontiste, et est essentiellement dû à la surreprésentation des familles immigrées dans le centre-ville et parmi les ménages pauvres.

    Initiative de quatre départements, l’Allier, le Cher, la Creuse et l'Allier, « les nouvelles ruralités » visent à s’appuyer sur le potentiel économique de ces territoires en favorisant un processus de relocalisation du développement et la mise en place de circuits courts.

    Au sein du rural profond, que ce soit dans la Mayenne, le Cantal ou la Corse, les ménages pauvres ruraux éprouvent des réticences à demander des aides qui les assimilent à des « publics pauvres ». La pauvreté rurale concerne surtout des ménages ouvriers et employés, des chômeurs et souvent des populations jeunes. Les ménages pauvres en milieu rural sont essentiellement des familles à faibles revenus d’activité avec des enfants. Aux populations pauvres déjà présentes (agriculteurs, ouvriers, personnes âgées, chômeurs, jeunes sans qualification) sont venus s’ajouter des néo-ruraux qui se sont installés à la campagne pour des raisons de coût du logement.

    Aujourd’hui, ce sont les communes peu denses de la France périphérique qui attirent le plus d’habitants en proportion. Les gens ordinaires n’ont jamais abandonné l’idée de préserver un capital social et culturel protecteur. Ils sont restés attachés à la préservation du bien commun et à une forme d’enracinement.

    L’équilibre fragile entre « accueillant » et « arrivant » a été remis en cause par la permanence et l’accentuation des flux migratoires. Il en a résulté l’évitement systématique des quartiers ou immeubles qui concentrent les minorités ethniques. Par ailleurs, on mesure peu le choc qu’a pu constituer l’émergence du multiculturalisme dans des quartiers populaires imprégnés d’égalitarisme républicain. Leurs habitants ont difficilement vécu le développement du différentialisme qui a contribué à une forme de racialisation des rapports sociaux. Cela a conduit les plus modestes à vouloir vivre dans un environnement où leurs valeurs restent des références majoritaires.

    Il s’ensuit que le désir de fuir la ville et ses quartiers difficiles, pour les ménages populaires, est plus fort que toute rationalité économique. Les gens ordinaires ne souhaitent pas vivre à côté « d’autres gens » qui utilisent parfois des kalachnikovs pour régler leurs différends. C’est naturel. Ces mêmes gens ordinaires ne souhaitent pas non plus scolariser leurs enfants dans des collèges susceptibles d’accueillir des adolescents violents. Des rapports parlementaires établissent que les dégradations d’immeubles gênent avant tout la population résidente et que les vols à la roulotte affectent plus particulièrement les propriétaires de véhicules à revenus modestes. D’autres rapports de police attestent que « les véhicules des personnes les plus modestes, pour lesquels elles n’ont pas de garage personnel et dont peu sont munis d’alarmes, restent des journées et des nuits entières le long des rues sur des parkings des cités HLM… Ce sont également elles qui fréquentent les grandes surfaces dont les parkings sont un des lieux de prédilection des roulottiers. Pour elles, un vol d’autoradio ou d’accessoires représente, proportionnellement à leurs revenus, une perte importante. »

    Si beaucoup d’habitants ont vu leur paysage et leur environnement totalement bouleversé — comme en Seine–Saint-Denis, où en 1997, la population quittant le département était équivalente, à celle qui était accueillie —, sans avoir été consulté, les conséquences des effets destructeurs d’une immigration non maîtrisée ne datent pas d’aujourd’hui. Dans son célèbre essai, Louis Chevalier démontrait qu’un processus mêlant engorgement et déficit d’accompagnement provoquait l’entassement, l’insalubrité et une promiscuité explosive. Avec des conséquences immédiates : maladies, criminalité, peurs sociales. « Injures, graffitis, coups dans les portes, boîtes aux lettres descellées à la barre à mine, porte du hall arrachée, ascenseurs souillés par l’urine » sont souvent la vie quotidienne de nombreux habitants de HLM, et ne sont qualifiés d’incivilités qu’aux yeux de ceux qui en sont prémunis par la distance sociale et les inégalités dans l’habitat. Tout en faisant mine de repeindre les cages d’escalier, on encourage à casser l’ascenseur social. Les logiques économiques et foncières ont créé les conditions de l’éviction des nouvelles classes populaires des lieux de production. Lorsqu’on porte un diagnostic sur l’évolution d’un quartier de logements sociaux où les populations immigrées sont devenues majoritaires, on constate que les catégories populaires d’origine française, souvent des retraités, sont devenues minoritaires. Quant aux DOM-TOM, ils font aussi partie de cette France périphérique. Ces territoires perçoivent avec anxiété les effets de la mondialisation, le recul de l’Etat-Providence et l’intensification des flux migratoires.

    Depuis les années 2000, le ressenti des catégories populaires confrontées à l’intensification des flux migratoires, dans le contexte nouveau de l’émergence d’une société multiculturelle, a donné naissance à une insécurité culturelle. Un zonage impersonnel a relégué le peuple dans une « France périphérique » formée de zones éloignées, mal reliées aux centres-villes, peu sûres, constituées des paysages ingrats de cités ou de lotissements sommaires, avec des équipements insuffisants ou dégradés qui attestent l’échec de la « politique de la ville ». (Christophe Guilluy, Atlas des fractures françaises, 2000). Il a fallu l’alerte, bien étouffée, d’un Paul Yonnet, en 1993, observant qu’« après l’ouvrier, l’immigré était devenu la figure rédemptrice de la corruption capitaliste, et en cela, agent d’une inéluctabilité historique, dans l’imaginaire prophétique de la gauche »pour que près de trente ans plus tard, Emmanuel Macron reconnaisse, en 2019, que les bourgeois ne croisent pas l’immigration contrairement aux classes populaires qui vivent avec. Il est vrai que l’élite, dans ses quartiers réservés, échappe à la détérioration sociale jusqu’à en ignorer l’existence.

    Institutions, services & marchés négligent de plus en plus les populations périphériques. En effet, plus de 60 % des ouvriers ou employés parisiens n’habitent pas la capitale. Néanmoins, les banlieusards du réseau SNCF parisien empruntent toujours un matériel roulant vieux de plus de trente ans. C’est pourquoi les retards sont devenus banals, affectant en permanence de 10 % à 30 % des trains sur plusieurs trajets. Si la SNCF invoque des actes de vandalisme, elle ne peut malheureusement nier que le confort et la propreté se sont eux aussi dégradés.

    La transformation de l’économie française et son adaptation à la mondialisation économique se sont accompagnées d’un double mouvement de désindustrialisation des villes et de métropolisation des emplois.

    La France des petites et moyennes villes

    Ce sont les villes les plus touchées par la désindustrialisation et le chômage qui enregistrent les plus fortes poussées du Front national, comme Hénin-Beaumont, Saint-Dizier ou Hayange. Particulièrement dans les bassins miniers, la pauvreté s’incruste dans les petites et moyennes villes industrielles. De 2009 à l’été 2016, 1974 sites industriels ont été fermés en France. Ces fermetures se sont poursuivies début 2019 comme Ford à Blanquefort. Néanmoins, depuis de nombreuses années les plans sociaux à Gandrange, Beaucaire ou Lorient se multiplient. Et cela dans des villes où les pertes d’emplois représentent une part très importante de l’ensemble de l’emploi total de la zone concernée. Dans des villes aussi où les licenciements frappent d’abord des petites entreprises qui n’accompagnent pas les salariés par un plan social. Au sein des petites villes où l’emploi industriel était encore important, seuls la présence d’un important secteur « administration publique, enseignement, santé, action sociale » et le développement des services à la personne ont permis d’atténuer les effets de la crise.

    Pour la première fois dans l’histoire, les gens ordinaires sont contraints de se déplacer vers les territoires qui concentrent le plus d’emplois. Ces mobilités contraintes sont une des conséquences de la désindustrialisation des territoires périphériques. L’employée d’aide à domicile, l’ouvrière dans l’électronique ou la logistique, la bénévole d’une maison de retraite, le préparateur de commande, l’ouvrier du bâtiment et évidemment le chauffeur routier doivent parcourir des kilomètres et des kilomètres pour accomplir leur journée de travail. À la fin, des journées qui ne cessent de s’allonger et surtout un budget transport qui vient fragiliser des ménages modestes ayant des difficultés à boucler leur fin de mois.

    Une centaine de villes ont intégré en 2014 la géographie prioritaire « politique de la ville ». La nouvelle carte des quartiers aidés a été dessinée à partir d’un seul critère, celui de la faiblesse du revenu des habitants. Ce redéploiement de la politique de la ville permet d’intégrer une nouvelle question sociale, celle des territoires les plus à l’écart des zones d’emplois les plus actives. Ainsi, Villeneuve s/lot, Marmande, Joigny ou Beaune y font leur entrée.

    Autour de la France périphérique, un réel modèle de développement économique alternatif, basé sur une offre & une demande locale (circuits courts, économie circulaire, économie sociale) peut voir le jour dans la mesure où ces initiatives s’inscrivent durablement dans un processus global de relocalisation des activités industrielles.

    Les mécanismes de relégation géographique et culturelle ont alimenté la spirale de la relégation économique des territoires périphériques. Cette recomposition économique et sociale des territoires a cristallisé une nouvelle géographie sociale où les gens ordinaires sont de plus en plus contraints à la sédentarisation. Pour les couches populaires des espaces périurbains, ruraux et industriels, la mondialisation se confond avec une sédentarisation imposée par la faiblesse des revenus. En effet, ce sont des raisons économiques et foncières qui ont en réalité le plus contribué à séparer les catégories populaires en fonction de leur origine. Il est indéniable que la recomposition économique & sociale des territoires a été favorisée par la relégation en dehors des grandes villes des catégories populaires d’origine française et européenne.

     

    Fabrice VALLET
    Juriste
    Juriste de formation et doté de cinq diplômes d’enseignement supérieur, il dirige actuellement une association d’insertion dans les quartiers prioritaires de Clermont-Ferrand. Il a travaillé pour le Ministère de la Cohésion sociale, de la Justice et pour la Présidence de la République.Il est l’auteur de plusieurs articles, notamment « Sauver notre modèle social aujourd’hui » et « L’Euro : croissance ou chômage ? ». Il a participé à Nuit debout et aux Gilets Jaunes.

    Source : https://frontpopulaire.fr/