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La France périphérique et les oubliés de la politique : panorama géographique (partie 2), par Fabrice VALLET (Juriste).

OPINION. La France des oubliés identifiée par le géographe Christophe Guilluy a explosé à la figure d’un système médiatique aveugle à travers les GIlets jaunes. Comment ce phénomène de déclassement géographique a-t-il été enclenché ? Cette France des gens ordinaires parviendra-t-elle à se faire entendre en 2022 ? Éléments de réponse dans cette analyse en trois volets.

La mise en lumière d’une « France périphérique », qui recouvre des territoires urbains, notamment de petites villes et de villes moyennes, périurbains les plus fragiles socialement, et ruraux, permet de souligner la place des nouvelles classes populaires à l’heure de la mondialisation. Face à un processus de désaffiliation universelle, le fait ou le sentiment d’enracinement local est une ressource essentielle pour les catégories populaires. Il apparaît ainsi que ces réseaux relationnels constituent un capital d’autochtonie en France périphérique. L’attachement à un territoire, à une cité, participe à une construction identitaire. La perte de ce capital d’autochtonie est l’une des causes de la fuite des quartiers populaires et banlieues des métropoles, mais aussi du regroupement dans des espaces périurbains et ruraux des catégories modestes d’origine française ou d’immigration ancienne. Le surinvestissement sur le territoire, la maison, son environnement culturel est désormais une tendance lourde dans les milieux populaires.

Au sein de la France périphérique, la part des bas revenus, des chômeurs, des pauvres, des emplois précaires et des propriétaires pauvres y est surreprésentée. Cette nouvelle géographie sociale, qui s’impose en France, depuis 20 ans, révèle les contours d’une nouvelle sociologie, où les catégories sociales se définissent tout autant par leur statut socio-spatial que par leur degré d’intégration à l’économie-monde. Elle contribue à une recomposition du paysage politique entre ceux qui plébiscitent la globalisation libérale et ceux qui la subissent.

Une France périurbaine et rurale

Des marges périurbaines les plus fragiles des grandes villes jusqu’aux espaces ruraux en passant par les petites villes et villes moyennes, c’est 60 % de la population qui vit à l’écart des métropoles mondialisées. Ces espaces ouvriers et populaires se caractérisent par l’importance des ménages précaires et pauvres.

L’ensemble de ces espaces forme la France périphérique, c’est-à-dire les agglomérations plus modestes, notamment quelques capitales régionales, et surtout le réseau des villes petites et moyennes. Il comprend aussi l’ensemble des espaces ruraux et les communes multipolarisées (dépendantes en termes d’emploi de plusieurs pôles urbains) et les secteurs socialement fragilisés des couronnes périurbaines des 25 premières agglomérations. La France périphérique comprend près de 34 000 communes et regroupe 61 % de la population. Les communes les plus fragiles sont concentrées dans la France périphérique qui regroupe 98 % des communes classées « populaire/fragile » représentant 72 % des Français vivant dans les territoires fragiles.

L’implosion de la classe moyenne du périurbain subi s’illustre parfaitement dans l’exemple du canton de Brignoles. Sa localisation dans ces territoires est subie, dans le sens où si elles en avaient les moyens financiers, ces populations habiteraient probablement en périurbain plus proche ou plus chic. La fragilité sociale des habitants est une des caractéristiques du périurbain subi. Les problèmes financiers sont structurels (ayant du mal à s’acquitter du paiement des traites de leur maison, des nombreux déplacements, de l’obligation de posséder deux voitures) et de l'endettement répandu.

La deuxième circonscription de l’Oise (Noailles/Chaumont-en-Vexin) comprend dans sa partie méridionale un espace périurbain subi, correspondant à des communes pavillonnaires qui ont accueilli des classes moyennes basses ayant fui la région Île-De-France. Dans sa partie septentrionale, elle se compose de territoires ruralo-industriels qui souffrent de la désindustrialisation et du chômage. Ce secteur illustre un contexte picard marqué par une très grande fragilité sociale.

Dans le Sud, les ressorts du ressentiment social tiennent au chômage et à la précarité, mais aussi au séparatisme entre une population autochtone et une population d’origine immigrée plus jeune. Ce cocktail détonnant, que l’on rencontre aussi bien à Fréjus, à Béziers, à Cogolin ou Moissac, alimente la dynamique frontiste, et est essentiellement dû à la surreprésentation des familles immigrées dans le centre-ville et parmi les ménages pauvres.

Initiative de quatre départements, l’Allier, le Cher, la Creuse et l'Allier, « les nouvelles ruralités » visent à s’appuyer sur le potentiel économique de ces territoires en favorisant un processus de relocalisation du développement et la mise en place de circuits courts.

Au sein du rural profond, que ce soit dans la Mayenne, le Cantal ou la Corse, les ménages pauvres ruraux éprouvent des réticences à demander des aides qui les assimilent à des « publics pauvres ». La pauvreté rurale concerne surtout des ménages ouvriers et employés, des chômeurs et souvent des populations jeunes. Les ménages pauvres en milieu rural sont essentiellement des familles à faibles revenus d’activité avec des enfants. Aux populations pauvres déjà présentes (agriculteurs, ouvriers, personnes âgées, chômeurs, jeunes sans qualification) sont venus s’ajouter des néo-ruraux qui se sont installés à la campagne pour des raisons de coût du logement.

Aujourd’hui, ce sont les communes peu denses de la France périphérique qui attirent le plus d’habitants en proportion. Les gens ordinaires n’ont jamais abandonné l’idée de préserver un capital social et culturel protecteur. Ils sont restés attachés à la préservation du bien commun et à une forme d’enracinement.

L’équilibre fragile entre « accueillant » et « arrivant » a été remis en cause par la permanence et l’accentuation des flux migratoires. Il en a résulté l’évitement systématique des quartiers ou immeubles qui concentrent les minorités ethniques. Par ailleurs, on mesure peu le choc qu’a pu constituer l’émergence du multiculturalisme dans des quartiers populaires imprégnés d’égalitarisme républicain. Leurs habitants ont difficilement vécu le développement du différentialisme qui a contribué à une forme de racialisation des rapports sociaux. Cela a conduit les plus modestes à vouloir vivre dans un environnement où leurs valeurs restent des références majoritaires.

Il s’ensuit que le désir de fuir la ville et ses quartiers difficiles, pour les ménages populaires, est plus fort que toute rationalité économique. Les gens ordinaires ne souhaitent pas vivre à côté « d’autres gens » qui utilisent parfois des kalachnikovs pour régler leurs différends. C’est naturel. Ces mêmes gens ordinaires ne souhaitent pas non plus scolariser leurs enfants dans des collèges susceptibles d’accueillir des adolescents violents. Des rapports parlementaires établissent que les dégradations d’immeubles gênent avant tout la population résidente et que les vols à la roulotte affectent plus particulièrement les propriétaires de véhicules à revenus modestes. D’autres rapports de police attestent que « les véhicules des personnes les plus modestes, pour lesquels elles n’ont pas de garage personnel et dont peu sont munis d’alarmes, restent des journées et des nuits entières le long des rues sur des parkings des cités HLM… Ce sont également elles qui fréquentent les grandes surfaces dont les parkings sont un des lieux de prédilection des roulottiers. Pour elles, un vol d’autoradio ou d’accessoires représente, proportionnellement à leurs revenus, une perte importante. »

Si beaucoup d’habitants ont vu leur paysage et leur environnement totalement bouleversé — comme en Seine–Saint-Denis, où en 1997, la population quittant le département était équivalente, à celle qui était accueillie —, sans avoir été consulté, les conséquences des effets destructeurs d’une immigration non maîtrisée ne datent pas d’aujourd’hui. Dans son célèbre essai, Louis Chevalier démontrait qu’un processus mêlant engorgement et déficit d’accompagnement provoquait l’entassement, l’insalubrité et une promiscuité explosive. Avec des conséquences immédiates : maladies, criminalité, peurs sociales. « Injures, graffitis, coups dans les portes, boîtes aux lettres descellées à la barre à mine, porte du hall arrachée, ascenseurs souillés par l’urine » sont souvent la vie quotidienne de nombreux habitants de HLM, et ne sont qualifiés d’incivilités qu’aux yeux de ceux qui en sont prémunis par la distance sociale et les inégalités dans l’habitat. Tout en faisant mine de repeindre les cages d’escalier, on encourage à casser l’ascenseur social. Les logiques économiques et foncières ont créé les conditions de l’éviction des nouvelles classes populaires des lieux de production. Lorsqu’on porte un diagnostic sur l’évolution d’un quartier de logements sociaux où les populations immigrées sont devenues majoritaires, on constate que les catégories populaires d’origine française, souvent des retraités, sont devenues minoritaires. Quant aux DOM-TOM, ils font aussi partie de cette France périphérique. Ces territoires perçoivent avec anxiété les effets de la mondialisation, le recul de l’Etat-Providence et l’intensification des flux migratoires.

Depuis les années 2000, le ressenti des catégories populaires confrontées à l’intensification des flux migratoires, dans le contexte nouveau de l’émergence d’une société multiculturelle, a donné naissance à une insécurité culturelle. Un zonage impersonnel a relégué le peuple dans une « France périphérique » formée de zones éloignées, mal reliées aux centres-villes, peu sûres, constituées des paysages ingrats de cités ou de lotissements sommaires, avec des équipements insuffisants ou dégradés qui attestent l’échec de la « politique de la ville ». (Christophe Guilluy, Atlas des fractures françaises, 2000). Il a fallu l’alerte, bien étouffée, d’un Paul Yonnet, en 1993, observant qu’« après l’ouvrier, l’immigré était devenu la figure rédemptrice de la corruption capitaliste, et en cela, agent d’une inéluctabilité historique, dans l’imaginaire prophétique de la gauche »pour que près de trente ans plus tard, Emmanuel Macron reconnaisse, en 2019, que les bourgeois ne croisent pas l’immigration contrairement aux classes populaires qui vivent avec. Il est vrai que l’élite, dans ses quartiers réservés, échappe à la détérioration sociale jusqu’à en ignorer l’existence.

Institutions, services & marchés négligent de plus en plus les populations périphériques. En effet, plus de 60 % des ouvriers ou employés parisiens n’habitent pas la capitale. Néanmoins, les banlieusards du réseau SNCF parisien empruntent toujours un matériel roulant vieux de plus de trente ans. C’est pourquoi les retards sont devenus banals, affectant en permanence de 10 % à 30 % des trains sur plusieurs trajets. Si la SNCF invoque des actes de vandalisme, elle ne peut malheureusement nier que le confort et la propreté se sont eux aussi dégradés.

La transformation de l’économie française et son adaptation à la mondialisation économique se sont accompagnées d’un double mouvement de désindustrialisation des villes et de métropolisation des emplois.

La France des petites et moyennes villes

Ce sont les villes les plus touchées par la désindustrialisation et le chômage qui enregistrent les plus fortes poussées du Front national, comme Hénin-Beaumont, Saint-Dizier ou Hayange. Particulièrement dans les bassins miniers, la pauvreté s’incruste dans les petites et moyennes villes industrielles. De 2009 à l’été 2016, 1974 sites industriels ont été fermés en France. Ces fermetures se sont poursuivies début 2019 comme Ford à Blanquefort. Néanmoins, depuis de nombreuses années les plans sociaux à Gandrange, Beaucaire ou Lorient se multiplient. Et cela dans des villes où les pertes d’emplois représentent une part très importante de l’ensemble de l’emploi total de la zone concernée. Dans des villes aussi où les licenciements frappent d’abord des petites entreprises qui n’accompagnent pas les salariés par un plan social. Au sein des petites villes où l’emploi industriel était encore important, seuls la présence d’un important secteur « administration publique, enseignement, santé, action sociale » et le développement des services à la personne ont permis d’atténuer les effets de la crise.

Pour la première fois dans l’histoire, les gens ordinaires sont contraints de se déplacer vers les territoires qui concentrent le plus d’emplois. Ces mobilités contraintes sont une des conséquences de la désindustrialisation des territoires périphériques. L’employée d’aide à domicile, l’ouvrière dans l’électronique ou la logistique, la bénévole d’une maison de retraite, le préparateur de commande, l’ouvrier du bâtiment et évidemment le chauffeur routier doivent parcourir des kilomètres et des kilomètres pour accomplir leur journée de travail. À la fin, des journées qui ne cessent de s’allonger et surtout un budget transport qui vient fragiliser des ménages modestes ayant des difficultés à boucler leur fin de mois.

Une centaine de villes ont intégré en 2014 la géographie prioritaire « politique de la ville ». La nouvelle carte des quartiers aidés a été dessinée à partir d’un seul critère, celui de la faiblesse du revenu des habitants. Ce redéploiement de la politique de la ville permet d’intégrer une nouvelle question sociale, celle des territoires les plus à l’écart des zones d’emplois les plus actives. Ainsi, Villeneuve s/lot, Marmande, Joigny ou Beaune y font leur entrée.

Autour de la France périphérique, un réel modèle de développement économique alternatif, basé sur une offre & une demande locale (circuits courts, économie circulaire, économie sociale) peut voir le jour dans la mesure où ces initiatives s’inscrivent durablement dans un processus global de relocalisation des activités industrielles.

Les mécanismes de relégation géographique et culturelle ont alimenté la spirale de la relégation économique des territoires périphériques. Cette recomposition économique et sociale des territoires a cristallisé une nouvelle géographie sociale où les gens ordinaires sont de plus en plus contraints à la sédentarisation. Pour les couches populaires des espaces périurbains, ruraux et industriels, la mondialisation se confond avec une sédentarisation imposée par la faiblesse des revenus. En effet, ce sont des raisons économiques et foncières qui ont en réalité le plus contribué à séparer les catégories populaires en fonction de leur origine. Il est indéniable que la recomposition économique & sociale des territoires a été favorisée par la relégation en dehors des grandes villes des catégories populaires d’origine française et européenne.

 

Fabrice VALLET
Juriste
Juriste de formation et doté de cinq diplômes d’enseignement supérieur, il dirige actuellement une association d’insertion dans les quartiers prioritaires de Clermont-Ferrand. Il a travaillé pour le Ministère de la Cohésion sociale, de la Justice et pour la Présidence de la République.Il est l’auteur de plusieurs articles, notamment « Sauver notre modèle social aujourd’hui » et « L’Euro : croissance ou chômage ? ». Il a participé à Nuit debout et aux Gilets Jaunes.

Source : https://frontpopulaire.fr/

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