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Rechercher : Rémi Hugues. histoire

  • Avec Mistral, Paul Gilbert (pour la ré-édition du Soliloque du prisonnier), et Motte et Soutou, sans oublier Radio Court

                Cette année, la date du 20 avril -naissance de Charles Maurras- est en quelque sorte célébrée en fanfare par l'actualité: en l'espace de même pas deux mois, on vient juste d'avoir la ré-édition du Soliloque du prisonnier, succédant à la parution, il y a quelques semaines à peine, du très interéssant Entre la vieille Europe et la seule France, Charles Maurras, la politique extérieure et la défense nationale, de Georges-Henri Soutou et Martin Motte. Lesquels sont passés à la radio (chez Radio Courtoisie) pour présenter leur ouvrage (vous aurez le lien permettant d'écouter l'émission plus bas).....

                La proximité de cette date-anniversaire du 20 avril est donc, de toute évidence, l'occasion rêvée de faire une petite pause dans l'actualité de ce qui passe, pour en revenir à ce Maurras dont le printemps, la jeunesse, l'actualité -dans ce qu'il a de meilleur...- ne passe, justement pas.... 

                Voici donc la réflexion de Paul Gilbert, sur le Soliloque du prisonnier; à laquelle nous avons joint la présentation -publiée le 1er mars- de l'étude de Motte et Soutou....

                Et puis, comme un peu de fantaisie -mais fantaisie sérieuse, ô combien !...- ne fait jamais de mal, nous mettrons également, dans une sorte de troisième partie, cette Ode à la race latine de Frédéric Mistral, que Maurras appréciait tant: elle s'insère merveilleusement dans ce contexte, et ce d'autant plus que -ne l'a-t-on pas dit mille fois, à juste raison ?...- la beauté sauvera le monde.

                Encore plus quand elle est poésie pure, et qu'elle tire vers le haut, en convoquant les hommes à la quête des sommets. Comme le dit "l'enchanteur de Bretagne", que cite Maurras dans le Soliloque "...l'homme ne se compose pas absolument de calculs positifs pour son bien et pour son mal, ce serait trop le ravaler; c'est en entretenant les Romains de l'eternité de leur ville, qu'on les a menés à la conquête du monde, et qu'on leur a fait laisser dans l'histoire un nom éternel....."

               Et que fait Mistral, dans cette poésie éminemment politique, si ce n'est entretenir les Latins de l'eternité de leur Héritage, et de leur mission ?....

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     I : Soliloque du prisonnier.

    Quel esprit étonnant que Charles Maurras ! Et comme il sait séduire ! On a beau être prévenu contre le maître d'école, le faiseur de doctrines, ses dérives, ses égarements et ses obsessions, on a beau avoir pris ses distances avec son action et avec ses idées, le hasard des relectures ou la découverte d'un texte à nouveau publié sont presque toujours des émerveillements. On comprend pourquoi Maurras a été l'un des hommes les plus adulés, mais aussi les plus haïs, de sa génération. Tout comme Barrès, parfois même mieux que Barrès parce qu'il est moderne, c'est un enchanteur. Le charme de sa pensée agit puissamment lorsqu'elle parle à notre intelligence, au meilleur de nous-même. Quand cette pensée s'élève au-dessus des contingences de la vie politique et des disputes du moment, elle porte haut, très haut.

    En rééditant tout récemment le Soliloque du prisonnier (1), les Editions de l'Herne nous donnent l'occasion de retrouver le pouvoir d'envoûtement de Maurras. C'est un texte singulier, ni un écrit de combat, ni un essai littéraire, mais une sorte de témoignage, un fragment de testament politique que le vieux prisonnier écrit d'une plume presque allègre du fond de sa geôle de Clairvaux. Nulle diatribe contre les hommes de son temps, nul plaidoyer passionné pour ce qui fut fait, ce qui fut écrit dans les années sombres, à peine quelques allusions au détour d'une page à l'actualité récente. Le Soliloque est un livre d'idées, d'idées politiques mais d'idées pures, c'est un discours qui renoue avec l'esprit des oeuvres de jeunesse - on y retrouve le charme d'Athinéa, la profondeur de l'Avenir de l'intelligence -  mais écrit avec la sûreté, la fermeté et l'expérience de l'homme mûr. Tous les grands thèmes de la pensée maurrassienne y sont présents: la Nation, cellule vivante de la civilisation, la France et son destin singulier d'héritière de la Grèce et de Rome, l'alliance des producteurs dans une nouvelle aristocratie. On y trouve également une superbe défense de la Latinité, cet espace de grande et d'antique liberté, de dialogue des hautes cultures, espace d'aventure et de rêve héroïque, que Maurras oppose à "l'abonimable utopie d'une Europe confédérée sous la direction de l'Allemagne", de ses banquiers, de ses marchands  et de ses casernes.

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    Pour Maurras, le propre de ce monde latin, c'est qu'il vit sans frontière, au gré des fleuves, des villes et des poètes qui les ont chantés. "Je suis un drôle de Méditerranéen; ma Méditerranée ne finit pas à Gibraltar, elle reçoit le Guadalquivir et le Tage, elle baigne Cadix, Lisbonne et s'étend, bleue et chaude, jusqu'à Rio de Janeiro. Elle atteint le cap Horn, salue Montevideo, Buenos Aires et, sans oublier Valparaiso ni Callao, elle s'en va, grossie de l'Amazone et de l'Orénoque, rouler dans la mer des Caraïbes, caresser amoureusement nos Antilles, puis Cuba et Haïti, ayant reçu le Meschacébé du grand enchanteur de Bretagne; elle court au Saint-Laurent et, sauf de menues variations de couleur ou de température, va se jeter dans la baie d'Hudson où elle entend parler français. Le caprice de cette Méditerranée idéale le ramène alors à notre hémisphère, mais non pas nécessairement pour revoir Balèares, Cyclades, Oran ou Alger, car ni Anvers ni Gydnis ne lui sont plus étrangers que les Polonais et les Belges ne lui apparaissent barbares: ma Méditerranée ne demande pas mieux que de devenir nordique ou baltique pourvu qu'elle rencontre, ici ou là, les deux lucides flammes d'une civilisation catholique et d'un esprit latin."

    L'union des Latins est-elle possible ? Elle le sera, nous dit Maurras, il faut faire que ce rêve devienne réalité car le monde en a besoin pour revivre. "L'humanité à venir exigera, pour condition primordiale, ce noyau actif, attractif, organisateur. (...) Ainsi tendrait à se reconstituer le Koinon du règne humain, conscience de cette grandeur dans cette unité qui est déjà exprimée de Virgile à Mistral avec une force fière, modérée et douce; les plus amples généralités de l'esprit y sont vivifiées par la généralité de l'âme, tant pour servir l'ensemble que pour l'utiliser sans en exclure personne ni rien". Difficile de rester insensible à de telles perspectives auxquelles le vieux prisonnier au fond de sa cellule donne la couleur des prophéties !

    Optimiste, Maurras ? Incorrigible optimiste ! Oui, nous dit-il, les désordres du monde auront une fin, la raison finira par l'emporter, il existe dans l'univers - pour qui sait les voir - tant de signes  de ce retour à la lumière. "Nos plus amers dépôts stagnants d'inintelligence ne sont pas immortels; La face du monde a vu flotter sur elle d'autres flaques d'aliénation mentale et morale, plus fortes que des modes, épidémies ou endémies. Elles n'ont eu qu'un temps..." Et notre Martégal d'annoncer, avec la sereine tranquillité des serviteurs d'Apollon, la fin du jacobinisme, de l'étatisme et du démocratisme, l'avènement de nations fortes et confiantes, organisées en corps et communautés libres, l'union des producteurs dans une nouvelle aristocratie de l'intelligence et du travail, une autre organisation du monde fondée sur des jeux d'alliance souples entre les Etats et sur le retour à des formes d'association plus pérenne, celles que Montesquieu appelait les "républiques éternelles" : "ce sont les plus fixes possibles, les plus capables de tenir pour former des supernations, donc recherchées, trouvées, conclues selon la loi des parentés de corps et d'esprit les plus prochaines et conduites de proche en proche selon les concordances et les raisons primordiales des affinités de naissance et de formation". La première de ces alliances, selon Maurras, sera naturellement celle des Latins.

    Certains s'étonneront de la part faite dans le Soliloque aux questions internationales et il est vrai que le livre fait alterner des vues brillantes sur la physique des nations avec des considérations particulières à tel ou tel pays, Suisse, Allemagne ou Amériques. On s'étonnera à tort car Maurras s'est toujours passionné pour la politique étrangère et Kiel et Tanger comme Le Mauvais Traité figurent parmi ses meilleurs livres. Il va même jusqu'à rappeler, avec un léger sourire, que "plusieurs années avant Bainville et Poincaré, il était correspondant de la Nacion de Buenos Aires" et que dans plusieurs pays, les cercles Charles Maurras coexistaient avec les cercles Bainville. Non, semble nous dire Maurras, et quelque soit la tendresse qu'il éprouvait pour son ami historien, le disciple n'a pas étouffé le maître et le maître revendique la paternité du plan d'ensemble, de la vue générale qui sous-tend ce que l'on appelle "la politique étrangère de l'Action française". Un autre livre, lui aussi paru très récemment, confirme cette fascination de Maurras pour la scène internationale, l'originalité de ses thèses et la constance avec laquelle il y revient dans toute son oeuvre. Il s'agit de l'ouvrage publié sous la direction du professeur Georges-Henri Soutou, de l'Institut, Entre la vieille Europe et la Seule France. Charles Maurras, la politique extérieure et la défense nationale (2). Les auteurs y mettent en lumière les différents thèmes de la géopolitique maurrassienne, comment Maurras les extrait de sa philosophie politique et comment ils les composent en visions de l'avenir. L'autre mérite de ce livre, c'est de confirmer, de la façon la plus argumentée qui soit, l'existence d'un fil rouge de la politique extérieure française qui relie Maurras, Bainville, de Gaulle, Pompidou et que nous retrouvons aujourd'hui chez Hubert Védrine.

    Livre d'idée, disions nous du Soliloque, mais livre qui donne aussi envie d'agir, malgré les inerties et les pesanteurs du monde, avec l'assurance que le juste, le bien et le bon finiront, d'une manière ou d'une autre, par prendre l'avantage. Enthousiasme et lucidité sont les deux marques de fabrique de cet ouvrage dont on sort plus fort. Ce ne sont pas les moindres ruses du séducteur Maurras. 

    Paul Gilbert

    (1): Charles Maurras, Soliloque du prisonnier. (Editions de l'Herne, mars 2010, 96 pages).

    (2): Sous la direction de Georges-Henri Soutou, de l'Institut, Entre la vieille Europe et la seule France. Charles Maurras, la politique extérieure et la défense nationale. (Economica, novembre 2009, 438 pages).

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    II : Nous remettons ici la note du premier mars, que nous avons consacrée à cet ouvrage: avec, en prime, et comme cerise sur le gâteau, l'émission du 6 avril de Radio Courtoisie, qui reçoit les deux auteurs, Georges-Henri Soutou et Martin Motte:

    http://vieilleeurope.free.fr/?p=850

     

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    Editions Economica, Institut de stratégie comparée, 432 pages, 39 euros.

    Présentation de l'éditeur :

                Si le rôle de Charles Maurras dans la politique intérieure française reste connu (et très controversé), on oublie généralement qu'il existe un autre Maurras, celui dont le Président Pompidou disait en 1972 qu'il avait "prévu le monde actuel" avec soixante ans d'avance.

                Quelles furent ses thèses sur les relations internationales et les problèmes de défense ? Dans quels postulats s'enracinaient-elles ? Ont-elles connu une évolution entre Kiel et Tanger (1910) et sa mort en 1952 ? Furent-elles unanimement acceptées au sein de l'Action française ou des divergences s 'y exprimèrent-elles ? Les analyses de Maurras supportent-elles la confrontation avec les acquis de l'historiographie actuelle ? Quelle fut leur influence sur les décideurs politiques et militaires du XXe siècle, en particulier Charles de Gaulle ? Autant de questions qui, à ce jour, n'ont pas assez retenu l'attention des chercheurs.

                Aussi le présent ouvrage a-t-il l'ambition de faire oeuvre pionnière. Au carrefour de la philosophie politique, de la diplomatie, de la géopolitique et de la stratégie, les thèmes qu'il aborde ouvrent des perspectives inattendues sur l'histoire contemporaine.


    Table des matières

    Introduction par Georges-Henri Soutou et Martin Motte

    I - CHAMP DE L’ENQUÊTE


    - Martin Motte : Kiel et Tanger

    - Charles Maurras : Que la France pourrait manœuvrer et grandir.

    - Georges-Henri Soutou : La réflexion de Charles Maurras sur les relations internationales, de 1896 à 1952 : entre la vieille Europe et la seule France.

    - Martin Motte : Maurras et l’ordre du monde.

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    II - MAURRAS ANALYSTE DES RELATIONS INTERNATIONALES

    - Stéphanie Burgaud : Maurras et le triangle Paris-Berlin-Pétersbourg.

    - Patrick Louvier : Les fondements de la puissance britannique dans Kiel et Tanger : racines et prolongements d’une lecture institutionnelle de l’Angleterre édouardienne.

    - Frédéric Le Moal : Maurras et l’Italie, heurs et malheurs d’une nécessaire amitié.


    III - LES ARMES DE LA FRANCE


    - Dimitry Queloz : L’Action française et les questions militaires avant la Première Guerre mondiale.

    - Olivier Lahaie : A propos des jugements portés par Charles Maurras sur l’affaire Dreyfus, l’armée française et ses services de renseignements dans Au signe de Flore.

    - Anne-Aurore Inquimbert : La pensée maurrassienne dans les écrits d’un « officier de fortune » : Henri Morel (1889-1944).

    - Jean-Baptiste Bruneau : La marine et le monde : l’Action française face au désarmement naval (1921-1930).



    IV - DISCIPLES ET CONTINUATEURS


    - Jérôme Grondeux : Charles Benoist et l’attraction maurrassienne.

    - Christophe Dickès : Maurras-Bainville : une influence réciproque ?

    - Christophe Réveillard : La critique maurrassienne de la fédération politique européenne et son influence.

    - Georges Pompidou : Discours prononcé à l’occasion du centenaire de l’École libre des Sciences politiques, 8 décembre 1972 (extraits).


    Conclusion par Georges-Henri Soutou

     

     

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    Oui, la pensée de Maurras a bien "saisi de nombreux problèmes de son temps"...
    Et notamment celui de l'Argent devenu Roi.
     C'est par la grâce de la Révolution -qui a supprimé le pouvoir du Sang- que l'Or règne aujourd'hui sans partage ...
    Si une part de l'oeuvre de Maurras a péri -mais c'est le lot commun de tout écrivain-
    une autre forme ce Printemps de Maurras, qui ne passe pas,
    qui reste d'une actualité et d'une présence inaltérables,
    car l'essentiel est toujours neuf.... 

              Le point de vue de Frédéric Le Moal (14 décembre 2009, lelitteraire.com):

    Une étude scientifique et novatrice sur la pensée de Charles Maurras en politique étrangère

                Maurras avait tellement raison qu'il en est devenu fou. Cette phrase prêtée au général de Gaulle suffirait à elle-même à révéler l'impact qu'a eu la pensée du chef de l'Action Française sur une bonne partie de la société de son temps. En 1972, Georges Pompidou reconnut qu'il avait prévu le monde actuel. Le livre dirigé par Georges-Henri Soutou et Martin Motte, fruit d'une journée d'études tenue à l'université Paris-IV Sorbonne, consacrée à la pensée de Charles Maurras sur la politique extérieure et les problèmes de défense, vient combler un vide historiographique. Nombreuses sont en effet les études consacrées à la pensée politique du chef de l'Action française, mais rares sont celles à s'être penchées sur les conceptions maurrassiennes en matière de politique étrangère. Maurras a pourtant traversé tout le premier XXème siècle, depuis la Belle Époque jusqu'à la Guerre froide (il meurt une année avant Staline !) et les débuts de la constructions européenne, via les deux guerres mondiales.

                 Les contributions sont rassemblées par thème : après une analyse générale de la pensée maurrassiennes, on passe à des études de cas (Allemagne, Russie, Italie, Royaume-Uni), puis aux questions de défense et enfin aux disciples et continuateurs de Maurras. Son ouvrage, Kiel et Tanger, sert d'axe structurant à l'ensemble du livre puisque Maurras y a rassemblé ses analyses de politique étrangère, constamment approfondies lors des différentes rééditions. Comme l'écrit Martin Motte, Kiel et Tanger vise à démontrer la responsabilité de la République parlementaire dans les échecs essuyés par la diplomatie française et établir la nécessité d'une restauration monarchique. A partir de là, Maurras construit toute une pensée dont les échos se font sentir pendant un demi-siècle. Maurras, à la fois européen et nationaliste n'est certes pas facile à comprendre pour les esprits de notre temps.

                  Et c'est tout le mérite de cette étude universitaire de le rendre intelligible. Les contributions dressent le portra

  • « Ici boire, manger, dormir, argent » : Le Figaro enfonce le clou sur le scandale de l’Ame. Ou : qu’est notre Douce Fran

                Nous en parlions samedi, pour approuver les déclarations de Claude Goasguen, dans Valeurs actuelles....

                Alors que les feuilles de Taxe d'habitation viennent d'arriver, après celles de la Taxe foncière, voilà que Le Figaro publie un article documenté sur cette gabegie, et ce véritable scandale, qu'est devenu l'Ame. Concrètement, sur les détournements d'argent - appelons un chat, un chat... - opérés par des voleurs, qui vivent à nos crochets, pendant que nos taxes et contributions diverses ne cessent d'augmenter.

                L'Etat et les Collectivités locale ne perçoiventt plus des impôts, comme cela est naturel dans toute société bien organisée, mais nous prennent à la gorge. Et pendant ce temps-là, à l'autre bout de la chaîne, des gaspillages insensés sont réalisés avec des fonds publics......

                Il est difficilement supportable par les contribuables que nous sommes tous de lire, en cette période de feuillles d'impôts, cet article de Sophie Roquelle, du 10 octobre, qui confirme ce que l'on savait déjà, ou dont on se doutait un peu......

    Aide médicale d'Etat : ces vérités qui dérangent 

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    La France fait face à un afflux d'immigrants d'Europe de l'Est et du Caucase. Crédits photo : OLIVIER LABAN-MATTEI/AFP

                Depuis dix ans, les étrangers en situation irrégulière peuvent se faire soigner gratuitement en France grâce à l'Aide médicale d'Etat (AME). Mais le coût du dispositif explose. Afin de comprendre pourquoi, Le Figaro Magazine a enquêté auprès des médecins, des hôpitaux et des pharmaciens. Et fait réagir les associations.

                 Une enquête sur l'Aide médicale d'Etat ? Sauve qui peut ! Dans les ministères, les administrations, les associations humanitaires, la simple évocation de ce dispositif qui permet aux étrangers en situation irrégulière de se faire soigner gratuitement déclenche une poussée d'adrénaline. «Le sujet est explosif ! s'étrangle un haut fonctionnaire qui connaît bien le dossier. Vous voulez vraiment envoyer tout le monde chez Marine Le Pen ?» La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a pris la mesure de l'hypersensibilité du dossier lorsqu'elle a timidement évoqué devant les parlementaires, en juillet, l'idée de faire acquitter aux bénéficiaires de l'AME une contribution forfaitaire de 15 à 30 euros par an. Les associations ont aussitôt accusé Mme Bachelot de vouloir grappiller quelques euros sur le dos des damnés de la terre.

                Silence gêné à Bercy, où l'on prépare un tour de vis sans précédent sur le train de vie de la nation: «coup de rabot» sur les niches fiscales, suppressions de postes de fonctionnaires, déremboursements de médicaments... Mais toucher à l'AME n'est tout simplement pas prévu au programme de la rigueur. Le projet de budget pour 2011 prévoit même une augmentation de 10 % !

                 Depuis deux ans, la facture de la couverture médicale des sans-papiers s'envole. Son rythme de progression est trois à quatre fois supérieur à celui des dépenses de santé de tout le pays: + 13 % en 2009 (530 millions d'euros pour 210.000 bénéficiaires) et encore + 17 % au début de cette année. De toute évidence, l'enveloppe de 535 millions d'euros prévue en 2010 sera largement dépassée. Pour l'an prochain, ce sont 588 millions d'euros que Bercy a mis de côté pour l'AME. Soit, à peu de chose près, le montant des recettes fiscales que le gouvernement veut récupérer sur les mariés/pacsés/divorcés, ou encore le coût global du bouclier fiscal, qui fait tant couler d'encre.

                Afin d'y voir plus clair, les ministères de la Santé et du Budget ont commandé un nouveau rapport à leurs services d'inspection. L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale des finances (IGF) ont déjà planché à deux reprises, en 2003 et en 2007, sur les nombreuses dérives de l'AME et ont émis des recommandations qui ont été partiellement suivies par les pouvoirs publics... des années plus tard. Ainsi, il a fallu attendre cette année pour que les attestations d'AME soient plastifiées et comportent la photo du titulaire.

                Pourquoi tant de gêne ? Echaudé par la séquence «identité nationale» et l'affaire des Roms, le gouvernement n'a visiblement aucune envie d'exacerber le ras-le-bol d'une opinion publique déjà exaspérée par la montée de la délinquance. Inutile non plus d'agiter un nouveau chiffon rouge sous le nez des associations, déjà très énervées par le projet de loi Besson sur l'immigration.

                Ces dernières sont sur le pied de guerre, déterminées à défendre jusqu'au bout l'accès aux soins gratuit et sans restriction des sans-papiers. «Au nom d'une certaine idée de la France», martèle Pierre Henry, le président de France Terre d'asile, mais aussi parce qu'«il s'agit d'une question de santé publique» face à la recrudescence d'épidémies. Excédé qu'«on se serve de quelques cas particuliers pour faire des généralités» et jeter l'opprobre sur l'AME, Pierre Henry réfute toute idée de ticket modérateur: «Quand vous n'avez pas de ressources, chaque centime d'euro compte. Quand vous vivez dans une précarité extrême, il n'y a pas de médecine de confort.» La Cimade, association protestante très active auprès des sans-papiers, somme les pouvoirs publics de ne pas «stigmatiser encore un peu plus les étrangers».

                Il n'empêche, les députés de droite, plusieurs fois lâchés en rase campagne sur l'AME par les gouvernements en place, ont l'intention de revenir à la charge. Au front, comme souvent sur les questions d'immigration, les députés UMP Claude Goasguen et Thierry Mariani n'entendent pas céder au «terrorisme intellectuel autour de ce dossier». A l'occasion de la discussion budgétaire, ces jours-ci, ils veulent ferrailler pour obtenir une «redéfinition des soins» éligibles à l'AME. En clair, réserver le dispositif aux soins d'urgence. «Il y a une vraie exaspération sur le terrain. Chacun doit maintenant prendre ses responsabilités», préviennent ces deux élus.

                Pour la première fois, les parlementaires pourraient rencontrer le soutien de la communauté médicale. Car médecins, pharmaciens, infirmières et même certains militants associatifs commencent à dénoncer un système sans limite ni contrôle, parfois détourné de son objectif initial, voire carrément fraudé.

                C'est Laurent Lantieri qui, le premier, a mis les pieds dans le plat. Dans un entretien à L'Express publié début septembre, le grand spécialiste français de la greffe du visage a confié son agacement de voir les principes du service public «dévoyés» avec l'AME. «Soigner les étrangers en cas d'urgence ou pour des maladies contagieuses qui pourraient se propager me paraît légitime et nécessaire, prend-il soin de préciser. En revanche, je vois arriver à ma consultation des patients qui abusent du système.» Et de raconter l'histoire de cet Egyptien qui avait eu le doigt coupé bien avant de s'installer en France et demandait «une opération de reconstruction», prétextant qu'il n'avait pas confiance dans la médecine de son pays. «En réalité, poursuit le chirurgien, ce monsieur s'était d'abord rendu en Allemagne, mais il jugeait bien trop élevée la facture qu'on lui avait présentée là-bas. Une fois en France, il avait obtenu l'AME et il estimait avoir droit à l'opération!» Ce que Laurent Lantieri lui refusa.

                Du tourisme médical aux frais du contribuable ? Claudine Blanchet-Bardon n'est pas loin de le penser. Cette éminente spécialiste des maladies génétiques de la peau voit parfois débarquer à sa consultation de l'hôpital Saint-Louis des patients AME venus du bout du monde exprès pour la voir. «Je vais vous dire comment ça se passe, confie-t-elle. Ils tapent le nom de leur maladie sur internet au fin fond de la Chine, tombent sur mon nom parmi d'autres et découvrent qu'en France, ils peuvent se faire soigner gratuitement. Ils arrivent clandestinement ici, restent tranquilles pendant trois mois et débarquent à ma consultation avec leur attestation AME, accompagnés d'un interprète. L'interprète, lui, ils le payent.» Le coût des traitements au long cours de ce type d'affection se chiffre en dizaines de milliers d'euros par an.

                Avec certains pays proches comme l'Algérie, l'affaire est encore plus simple. Un cancérologue raconte, sous le couvert d'anonymat : «Nous avons des patients qui vivent en Algérie et qui ont l'AME. Ils viennent en France régulièrement pour leur traitement, puis repartent chez eux. Ils ne payent que l'avion...»

                De plus en plus de médecins réclament un «véritable contrôle médical lors de l'attribution de l'AME». Ou, au moins, un accord de la Sécu avant d'engager certains soins. Car, à la différence de l'assuré social lambda, le bénéficiaire de l'AME n'a nul besoin d'obtenir une «entente préalable» avant d'engager des soins importants. C'est ainsi que des femmes sans-papiers peuvent faire valoir leurs droits à des traitements d'aide médicale à la procréation. «Pur fantasme!» s'insurgent les associations. «Elles ne sont pas très nombreuses, mais on en voit...» répond une infirmière d'une grande maternité de l'est de Paris, choquée que «la collectivité encourage des femmes vivant dans la clandestinité et la précarité à faire des enfants». Chaque tentative de fécondation in vitro (FIV) coûtant entre 8000 et 10.000 euros, la question mérite effectivement d'être posée.

                Le député Thierry Mariani n'en finit pas de citer cet article paru il y a deux ans et demi dans Libération* qui raconte l'histoire incroyable d'un couple de Camerounais sans-papiers qui voulait un enfant. Monsieur est «séropositif, il a deux autres femmes et sept enfants au Cameroun». Suivi en France pour son sida, il vient de se marier pour la troisième fois, mais sa jeune femme «n'arrive pas à être enceinte» et «s'est installée dans la banlieue parisienne depuis qu'elle a décidé de tenter une FIV. (...) Sans papiers, elle est en attente de l'Aide médicale d'Etat». Les médecins étaient, paraît-il, «perplexes» face à cette demande, mais ils finiront par y accéder.

                A l'heure où les hôpitaux croulent sous les déficits, «cette distribution aveugle de l'AME», selon le mot de Mme Blanchet-Bardon, finit par excéder les praticiens hospitaliers, «coincés entre leur devoir de soignant et les limites de la solidarité nationale».

                Pierre Henry, de France Terre d'asile, balaie les allégations de tricheries : «S'il y a des abus, les premiers coupables sont les médecins.» Mais le corps médical renvoie, lui, vers la Caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) qui délivre le précieux sésame. «Nous, on est là pour soigner, pas pour vérifier les attestations AME», souligne un médecin urgentiste.

                Le problème est que la CPAM ne fait elle-même qu'appliquer des textes d'une extrême légèreté, les seules conditions requises pour obtenir l'AME étant trois mois de résidence en France et des ressources inférieures à 634 euros par mois. Les demandeurs étant clandestins, le calcul des ressources relève de la fiction. «Nous prenons en compte les ressources au sens large: il s'agit plutôt des moyens de subsistance», explique un travailleur social, qui concède n'avoir aucun moyen de vérifier les dires du demandeur.

                En l'absence de données fiables, la situation des bénéficiaires de l'aide médicale est l'objet de vastes débats. Pour les associations, «l'extrême précarité» des immigrés clandestins justifie pleinement leur prise en charge totale par la solidarité nationale. Une affirmation qui doit être quelque peu nuancée. Selon une enquête réalisée en 2008 par la Direction des études du ministère des Affaires sociales (Drees) auprès des bénéficiaires de l'AME résidant en Ile-de-France, «près de 8hommes et 6femmes sur 10 travaillent ou ont travaillé en France». Il s'agit essentiellement d'emplois dans le bâtiment, la restauration et la manutention pour les hommes, de ménage et de garde d'enfants pour les femmes.

                L'hôpital représente un peu plus des deux tiers des dépenses AME, le solde relevant de la médecine de ville. Très souvent refusés par les praticiens libéraux en secteur II (honoraires libres), ces patients fréquentent assidûment les centres médicaux des grandes villes où toutes les spécialités sont regroupées. «Comme c'est gratuit, ils reviennent souvent», soupire une généraliste qui se souvient encore de la réaction indignée d'une de ses patientes, tout juste régularisée, à qui elle expliquait qu'«elle allait dorénavant payer un peu pour ses médicaments, et que pour (eux) aussi, c'était comme ça...».

                Aucun soignant - ni aucun élu d'ailleurs - ne remet en cause l'existence de l'AME ni sa vocation dans la lutte contre la propagation des épidémies, notamment de la tuberculose, en pleine recrudescence. Dans l'est de Paris, une épidémie de gale qui avait frappé un camp d'exilés afghans l'an dernier a pu être éradiquée efficacement grâce à l'aide médicale. Mais c'est la gratuité généralisée des soins qui choque un nombre croissant de médecins et de pharmaciens.

                Dans cette officine proche d'une gare parisienne, on voit défiler chaque jour une dizaine de clients avec une attestation AME. «Pour la plupart, c'est de la bobologie: aspirine, sirop...» raconte la pharmacienne, qui vérifie avec soin les documents présentés. «La paperasserie, c'est l'horreur. Les attestations papier sont tellement faciles à falsifier.» Parfois, la clientèle AME est plus nombreuse, comme dans ce quartier du Xe arrondissement de Paris où les bobos cohabitent avec une forte population immigrée. «Sur 60ordonnances par jour, je fais une vingtaine d'AME», raconte la gérante d'une pharmacie. Dans le lot figurent presque à chaque fois deux ou trois trithérapies (traitements anti-sida) et autant de Subutex (traitement de substitution à l'héroïne). «Le reste, poursuit-elle, ce sont généralement des traitements pour les petites maladies des enfants, des gouttes, des vitamines, car nous avons une forte communauté asiatique dans le quartier.»

                Les pharmaciens sont particulièrement vigilants sur le Subutex, objet de tous les trafics. Même si la Sécu veille au grain, il est bien difficile d'empêcher un patient muni de son ordonnance de faire la tournée des pharmacies pour se fournir en Subutex avant de le revendre. Le tout sans débourser un euro. Il y a deux ans, un vaste trafic de Subutex, via l'AME, a été démantelé entre la France et la Géorgie. «L'AME, c'est une pompe aspirante», insiste un autre pharmacien, las de distribuer toute la journée gratuitement des médicaments de confort et des traitements coûteux à «des gens qui n'ont en principe pas de papiers en France, alors que les petites dames âgées du quartier n'arrivent pas à se soigner».

                Sur le terrain, l'explosion des dépenses a été ressentie par tous. Et chacun a son explication. Pour les associations, c'est le résultat de la politique anti-immigration du gouvernement. Le durcissement du droit d'asile aurait rejeté dans la clandestinité un nombre plus élevé d'exilés. En outre, les sans-papiers, craignant plus que jamais d'être interpellés, attendraient la dernière minute pour aller se faire soigner. «De plus en plus de patients arrivent chez nous dans un état de santé extrêmement délabré», souligne-t-on à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), dont les 45 établissements ont vu leur facture AME grimper de 16 % l'an dernier (à plus de 113 millions d'euros). Des soins plus complexes et des durées de séjour plus longues font flamber les coûts.

                Les travailleurs sociaux ont aussi noté depuis le printemps 2009 un afflux d'immigrants d'Europe de l'Est et de l'ex-Union soviétique: des Roumains et des Bulgares (souvent des Roms), mais aussi des Tchétchènes, des Kirghiz, des Géorgiens, et même des Russes. Les associations sont débordées par ces arrivées de familles entières. «On ne va pas pouvoir accueillir tout le monde», soupire Geneviève, permanente dans un centre d'accueil pour étrangers, qui se souvient d'un Roumain arrivé en France il y a peu, avec pour seul bagage un petit bout de papier sur lequel son passeur avait écrit: «Ici boire manger dormir argent.»

    * Libération du 24 janvier 2008.

  • Pour ne jamais oublier : 1er Août et 1er Octobre 1793 : Brève évocation du génocide vendéen (2/2). Ou : le Système en ac

             Voir notre Album Totalitarisme ou Résistance ? Vendée, "Guerres de Géants"... , et plus particulièrement les documents de la partie 2 : "...et pour la liberté de l'homme intérieur". pour plus de "détails" (!) sur les atrocités commises en Vendée, notamment l'Oradour 150 ans avant Oradour que fut la monstruosité des Lucs-sur-Boulogne...

     

     

    lzare.JPG1er Octobre 1793 : jour funeste ! Devoir d’oubli ou devoir de Mémoire ?.... (suite et fin de la note du 1er Aout).

              Franchement, on préférerait parler d’autre(s) chose(s)…. Et ce n’est bien sûr certainement pas par une espèce de fascination morbide, malsaine, pour cette page noire de notre Histoire que nous revenons là-dessus. Nous préférerions vraiment la tourner définitivement, cette page, et qu’elle reste enfouie dans un oubli total dont, vu sa laideur, nul ne viendrait la tirer.....

              Oui mais voilà : avec cinq autres dates (1) de la même année 1793, cette date funeste du 1er Octobre fonde le régime qui nous gouverne aujourd’hui.  Elle est l’une de celles qui sont à la base de ce système dont  parle Boutang  lorqu’il évoque cette « désolante pourriture » d’une société qui « n’a que des banques pour cathédrales »  et dont il n’y a au sens propre « rien à conserver »

              Nous sommes donc bien obligés de remonter à la source –aux sources…-, à l’origine de ces maux que nous combattons aujourd’hui, si nous voulons re-fonder en permanence notre Royalisme et notre opposition au Régime républicain idéologique. Car pourquoi continuer à s’opposer, deux siècles après qu’elle ait eu lieu, à une Révolution qui s’est passée si loin de nous maintenant ? Si ce n’est parce que nous ne pouvons toujours pas accepter –et nous ne le pourrons jamais- ses bases et ses fondements qui s’appellent Totalitarisme, Génocide et, dans un domaine un peu différent, état d’esprit haineux et xénophobe ("l'Autrichienne", "...Qu'un sang impur..."...) préfigurant l’une des sources du Racisme moderne ?

    (1) : 1.  21 Janvier 1793 : assassinat de Louis XVI, acte fondateur des Totalitarismes modernes.

           2.  1er Août 1793 : première loi de Carnot organisant le Génocide Vendéen, premier Génocide  des Temps modernes.

           3.  1er Octobre 1793 : deuxième loi de Carnot....

           4.  16 Octobre 1793 : assassinat de Marie-Antoinette ; on trouve dans les torrents de haine et d’hystérie planifiés et orchestrés contre «  l’Autrichienne » une xénophobie exacerbée qui peut être considéréee comme l’une des sources lointaines du Racisme moderne...

           5.  A ces quatre dates doit être ajoutée celle du 3 juillet 1793, le début de la terrifiante descente aux enfers du petit Dauphin, Louis-Charles duc de Normandie, âgé à ce jour de huit ans et quatre mois. Arraché à sa mère, il va être lentement et méthodiquement détruit, son massacre prenant la forme d'un long et douloureux enfermement, au secret dans une chambre obscure, sans hygiène, sans soins et sans visites, souffrant de gale et de tuberculose; pour ne s'achever que le 8 juin 1795: il a alors 10 ans et trois mois. Le message est très clair: plus rien ne "tient" devant l'Etat, plus rien n'est sacré, plus rien n'est au-dessus de la folie des hommes, pas même l'évidente innocence d'un petit enfant, par définition -pourrait on dire- forcément exempt de tout crime: et c'est bien le Totalitarisme..... 

              Nous l’avons dit et écrit plusieurs fois (à propos de l’Espagne entre autre…). Il faut savoir oublier. Mais ce devoir d’oubli n’est pas un devoir d’amnésie. S’il faut bien sûr savoir tourner les pages, il faut aussi rester lucides, et connaître bien l’origine de nos maux; savoir d’où ils viennent; où, quand et comment ils ont commencé. Conçu ainsi, le devoir d’oubli ne s’oppose pas au devoir de Mémoire. Maurras ne disait-il pas qu’il fallait s’accommoder de la Révolution-fait mais se dépêtrer de la Révolution-Idée ?

              Voilà pourquoi cinq fois par an, à chacun de ces cinq jours de si triste anniversaire, nous ne pourrons faire autrement que d’évoquer, à côté de l’actualité du jour, cette sorte d’actualité intemporelle, qui ne passe pas, qui nous gouverne encore aujourd’hui, et dont nous subissons encore aujourd’hui les effets néfastes, désastreux et destructeurs. La Révolution-fait est achevée depuis bien longtemps; mais la Révolution-Idée est malheureusement toujours à l’œuvre en France. Dénoncer ses fondements, ses bases mêmes, est le service le plus urgent, le service premier qu’il convient de rendre à la France, à côté des autres et en parallèle avec eux, si l’on veut œuvrer pleinement et sérieusement, et d’une façon essentielle, à ce combat de simple survie de notre Nation qu’évoquait Jacques Bainville lorsqu’il disait : « Pour des Renaissances il est encore de la foi »…..

              Le décret du 1er octobre 1793, pris par Lazare Carnot, vient complèter, poursuivre et, en quelque sorte, "achever", le décret du 1er août du même Lazare carnot . Il est décliné sur le mode du discours de Caton auprès du sénat romain, "Delenda est Carthago" :

    révolution,république,totalitarisme,génocide,génocide vendéen,vendée,lazare carnot          "Détruisez la Vendée, Valenciennes et Condé ne sont plus au pouvoir de l'Autrichien... Enfin chaque coup que vous porterez à la Vendée retentira dans les villes rebelles, dans les départements fédéralistes. La Vendée et encore la Vendée, voilà le charbon politique qui dévore le cœur de la république française; c'est la qu'il faut frapper".

              (Ci-contre, les ruines du château des La Rochejaquelein, à la Durbelière...)

              Après la prise de Laval le 23 octobre, et la défaite républicaine d'Entrammes, le 26 octobre 1793, un nouveau décret daté du 11ème jour du 2ème mois, portera que "toute ville de la république qui recevra dans son sein les brigands ou qui leur donnera des secours sera punie comme ville rebelle. En conséquence, elle sera rasée et les biens des habitants seront confisqués au profit de la république".

              Les mesures préconisées furent appliquées à la lettre par les représentants en mission auprès des armées et dans les départements.

              Le 29 novembre 1793, le représentant Fayau écrit aux administrateurs du département de la Vendée :

             "Vous savez comme moi citoyens que les brigands appelés de la Vendée existent encore quoique on les aie tués plusieurs fois à la tribune de la ConventionJe vous engage à prendre les mesures les plus promptes et les plus énergiques pour que les armées catholiques et royales dans le cas ou elles rentreraient dans la Vendée n'y trouvent plus qu'un déser…Il serait bon, citoyens, que des commissaires nommés par vous se transportassent de suite dans toutes les parties de votre département pour en faire retirer toutes les subsistances et pour faire arrêter tous les citoyens qui ont pris part directement ou indirectement aux troubles de la Vendée. Il faut purger la Patrie…"

              Le représentant Francastel n'est pas en reste. Le 25 décembre 1793, il écrit au Comité de Salut Public :

             "Je fais débarrasser les prisons de tous les infâmes fanatiques qui s'étaient échappés de l'armée catholique. Pas de mollesse, que le torrent révolutionnaire entraîne tout ce qui lui résiste scandaleusement. Purgeons, saignons jusqu'au blanc. Il ne faut pas qu'il reste aucun germe de rébellion…"

    révolution,république,totalitarisme,génocide,génocide vendéen,vendée,lazare carnot          En novembre 1793, le général Turreau est nommé commandant en chef de l'armée de l'ouest avec la charge de faire appliquer le décret du 1er août. L'ordre de départ est donné le 21 janvier 1794. Cette première phase sera appelée "La Promenade Militaire", alors qu'à cette date la Grande Armée Catholique et Royale n'est plus qu'un nom. Turreau divise l'armée en six divisions de deux colonnes chacune, qui ont pour mission de ratisser le territoire et d'exterminer la population. Ce sont les Colonnes infernales, qui vont se livrer au génocide des Vendéens. L'ordre du jour du général Grignon, commandant la 2ème division est très clair :

             "Je vous donne l'ordre de livrer aux flammes tout ce qui est susceptible d'être brûlé et de passer au fil de l'épée tout ce que vous rencontrerez d'habitants". Les rapports des généraux républicains commandant les Colonnes sont aussi particulièrement explicites: "Nous en tuons près de 2000 par jour.J'ai fais tué (sic) ce matin 53 femmes, autant d'enfants.J'ai brûlé toutes les maisons et égorgé tous les habitants que j'ai trouvés. Je préfère égorger pour économiser mes munitions…".

              Le Général Westermann, dans sa lettre à la Convention du 23 décembre 1793, jour où 80.000 Vendéens sans armes - dont 50.000 femmes et enfants - furent exterminés à Savenay, précisait que : « Il n’y a plus de Vendée, citoyens républicains, elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les bois et les marais de Savenay. Suivant les ordres que vous m’avez donnés, j’ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, et massacré les femmes qui, au moins pour celles-là, n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé ».

              Lequinio, représentant du peuple dans la Charente et la Charente inférieure est encore plus explicite dans sa lettre du 8 ventôse an 2 (26 février 1794) :

              "Je crois que si par séduction, argent, violence ou autrement, on avait pu s'emparer des chefs, il serait possible de n'exterminer que les étrangers, car quoique l'on puisse en croire, ce sont les hommes du pays même qui sont le moins dangereux; ils seraient réduits à l'instant s'ils s'étaient laissée à eux mêmes; mais ce sont les prêtres, les nobles, les étrangers et les déserteurs mêlés au milieu de nous qui rendent leur réduction impossible. Il faut donc nécessairement les égorger tous. C'est le parti que facilite l'arrêté que mes collègues Garrau, Hentz et Francastel viennent de prendre, en faisant retirer dans l'intérieur de la république tous les réfugiés de ce pays, réduits au désespoir, ainsi que le sont les habitants de se pays pervertis (sic) par les scélérats étrangers qui sont au milieu d'eux et qu'il n'eut pas été possible d'en séparer. Il est impossible maintenant qu'on use envers eux des moyens que l'on pouvait employer autrefois de concert avec la poursuite des étrangers. Il faut donc se décider à tout massacrer."

              Le décret du 20 février 1794 ordonnait la déportation des innocents et des bons citoyens de manière à ne laisser plus dans les pays révoltés que "les rebelles que l'on pourra plus aisément détruire"...

    révolution,république,totalitarisme,génocide,génocide vendéen,vendée,lazare carnot          Les exemples cités supra montrent la volonté incontestable de la Convention d'anéantir une population; ce qu'explique en 1794 Gracchus Babeuf dans un pamphlet, Du système de dépopulation ou La vie et les crimes de Carrier, dans lequel il dénonce les exactions commises par Jean-Baptiste Carrier (ci-contre) lors de sa mission à Nantes, dont il affirme qu'elles renvoient à un système de dépopulation qu'il nomme « populicide ».

              Comme le mot "génocide", forgé par Lemkin en 1944, il est employé pour désigner une forme de crime dont l'appréhension est inédite, le meurtre de masse visant un peuple dont le seul tort est son origine ethnique, sociale ou son choix politique. Pierre Chaunu, historien et membre de l'Académie des Sciences Morales et Politiques depuis 1982, n'a pas hésité à parler de génocide Franco-Français dans l'avant propos du livre de Reynald Secher qu'il a signé: "Nous n'avons jamais eu l'ordre écrit de Hitler concernant le génocide juif, nous possédons ceux de Barrère et de Carnot relatifs à la Vendée".

     

              Les moyens utilisés pour ce faire, rapportés notamment par Reynald Secher (cf. ouvrage cité supra), ou par Michel Ragon (1793 l'insurrection vendéenne et les malentendus de la liberté, Albin Michel, Paris, 1992), ont été nombreux : épuration ethnique par mutilation sexuelle, création du premier camp d'extermination de l'histoire moderne à Noirmoutier, premiers essais de gazage de masse (insuccès, dû au gaz employé et à l’absence de confinement), premières crémations avec les fours à pain et les églises (exemple de l'église des Lucs-sur-Boulogne où furent brûlés vifs 563 villageois), noyades collectives avec les noyades des galiotes ou en couples avec les mariages républicains dans la Loire, création à Clisson d’ateliers de tannage de peau humaine – peau dont se vêtissent les officiers républicains - et d’extraction de graisse par carbonisation des corps des villageois massacrés…

               A force de tueries, des municipalités, pourtant républicaines, et des Représentants du Comité de Salut Public finissent par s'émouvoir. Turreau est relevé de ses fonctions en mai 1794, puis décrété d'arrestation en septembre. Jugé en décembre 1795, il est acquitté à l'unanimité...

              Son nom est gravé sur le pilier est de l'Arc de Triomphe, et ainsi offert -en quelque sorte...- à l'admiration et à la vénération des foules..... 

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    Aux bourreaux, l'Arc de Triomphe !...

  • L'affaire du professeur agressé de Juvignac, suites... (2/2).

                Pour celles et ceux qui auraient raté le début...

                II : Le rappel et l'exposé des faits.

                Décembre 2008. Philippe J. (le nom a été changé, ndlr) vient de terminer son cours, dans l’amphithéâtre de la faculté de sociologie de Montpellier. L’enseignant va quitter la salle lorsqu’un étudiant s’approche de lui.– Vous pourriez pas valider les matières où j’ai eu de mauvaises notes ? lui demande-t-il.      

                Philippe J. le regarde, interloqué, sans pouvoir mettre un nom sur son visage. Le jeune homme, un petit brun trapu, a l’air d’avoir au moins 25 ans. Un de ces « vieux » étudiants qui redoublent leurs années de fac, sans qu’on sache très bien pourquoi ils s’acharnent à suivre des études pas faites pour eux.

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    Si vos notes sont médiocres, c’est impossible, répond le professeur.
    Mais l’autre, un certain Saïd Ouamalik, insiste. Il lui pose familièrement sa main dans le dos.
    Mon ami, on peut toujours trouver une solution, dit-il avec une désinvolture qui frise l’insolence.
    Gardant son calme face à ce qu’il faut bien appeler une tentative de corruption, Philippe J. réplique sèchement :
    Une solution ? Il y en a une. Il suffit de repasser vos examens.
    Et il lui tourne le dos, passe à autre chose sans savoir qu’ils vont se revoir...

    Lundi 19 octobre 2009. Les J. passent tranquillement la soirée chez eux, à Juvignac, près de Montpellier. Cela fait cinq ans qu’ils se sont installés dans le quartier résidentiel de Fontcaude, sur les hauteurs du bourg, d’où on a une vue superbe sur le lac et le golf. Ils y habitent une maison à la façade rose pâle, entourée d’un jardinet bien entretenu. Philippe J., comme tous les soirs, a fermé à clé la porte d’entrée. Il travaille à ses cours auprès de son épouse, Clélia, docteur en sociologie comme lui. Là s’arrête d’ailleurs leur ressemblance. Alors que Philippe, âgé de 45 ans, est grand et bien charpenté, Clélia, une jeune femme d’origine brésilienne, est toute menue. Leur fils Martin, un garçon de 11 ans, joue sur son ordinateur dans sa chambre, à l’étage.
    Il est environ 22 h 30 lorsque l’enseignant croit entendre grincer la poignée de la porte d’entrée. Inquiet, il va voir, déverrouille, s’avance sur le perron. A peine a-t-il remarqué que le portillon donnant sur la rue est ouvert qu’une ombre jaillit de l’obscuri té et bondit sur lui.
    Bouge pas ! ordonne une voix masculine.
    L’homme, cagoulé, braque un pistolet sur la tête de Philippe, et le repousse à l’intérieur de la maison. Sa femme, alertée par le bruit, s’est levée de son fauteuil.
    Couchez-vous sur le sol, face contre terre ! lance l’inconnu. Et écartez les jambes.
    « Il va la violer ! », pense Philippe J., atterré. Mais l’homme a une préoccupation plus urgente. Il veut savoir s’il y a d’autres personnes dans la maison. Philippe lui explique que son fils est à l’étage. L’individu hurle au garçon de descendre. Et le petit Hugo, terrorisé, est contraint de s’allonger à côté de ses parents.
    Vous avez de l’argent ?
    Seulement quelques bijoux et des ordinateurs.
    Un simple cambriolage ? Philippe se sent vaguement rassuré. Mais l’individu s’énerve. Se met à insulter Clélia alors qu’elle a légèrement bougé.
    Si ça se passe pas bien, je repars avec un organe ! menace-t-il.
    Fait-il allusion à une mutilation ? Le voilà en tout cas qui sort de son sac à dos une bouteille d’essence et qui asperge ses victimes.
    J’ai un briquet, si vous bougez, je vous brûle ! lance-t-il d’un ton menaçant.
    Et l’horreur s’abat sur les trois occupants de la maison.
    Hugo, de l’essence plein les yeux, ne peut s’empêcher de pleurer. Le cambrioleur plonge à nouveau la main dans son sac et il en sort un rouleau de cordelette. Cette fois, Philippe J. est paniqué. Couverts d’essence et attachés, ils seront complètement à la merci de ce fou furieux. Clélia a suivi le même raisonnement, c’ est la première à réagir. Elle tente de se relever, mais l’autre lui balance un violent coup de pied dans la tête. Alors, sans plus réfléchir, Philippe se rue sur l’inconnu et lui attrape le poignet qui tient le pistolet. Par chance, l’homme porte des gants de laine, et l’arme lui glisse de la main. Philippe le fait tomber et le maintient par terre, lui bloquant le thorax de ses deux bras.
    Clélia est déjà dehors.
    Il va les tuer ! hurle-t-elle dans la rue, tout en courant chez ses plus proches voisins.
    Ceux-ci appellent aussitôt les gendarmes. Hugo tente lui aussi de téléphoner aux secours. Mais son père lui ordonne de sortir tout de suite de la maison et d’aller se mettre en sécurité. Resté seul avec le cambrioleur, Philippe se demande avec angoisse combien de temps il va réussir à le retenir prisonnier. L’autre, qui pèse au moins 80 kilos, se défend comme un diable, et l’essence a rendu le sol glissant. « Si je le lâche, pense Philippe, il va faire un carnage. Il va me tuer, et il s’en prendra ensuite à ma femme et mon fils… » Et il tient bon, parvenant même à resserrer sa prise.
    Au bout de dix minutes – autant dire une éternité – l’enseignant entend enfin une voiture s’arrêter devant la maison, et il aperçoit des uniformes à la porte du salon. Pourtant, il n’est pas au bout de ses surprises. D’abord, les militaires, ne sachant qui est l’agressé et qui est l’agresseur, le plaquent sur le sol, face contre terre, et lui passent les menottes.
    Je suis le propriétaire, proteste-t-il en vain.
    Ensuite, il entend un gendarme, penché sur l’inconnu masqué, déclarer que « l’homme est mort ». Enfin, on lui annonce que le cambrioleur porte sur lui une carte d’étudiant en sociologie. Et ce n’est qu’au moment où un enquêteur lui arrache sa cagoule qu’il le reconnaît : il s’agit de l’étudiant qui lui avait demandé de « trouver une solution » à ses mauvaises notes…
    C’est bien Saïd Ouamalik qui gît sans vie dans le salon de la maison. Mort d’un arrêt cardiaque, dira l’autopsie. En fait, le cœur, compressé entre la cage thoracique et la colonne vertébrale, a lâché. Reste à savoir ce que le jeune homme de 26 ans faisait en pleine nuit, déguisé en cambrioleur, au domicile de son professeur.
    Saïd Ouamalik n’est pas un inconnu pour la justice. Son casier judiciaire mentionne une condamnation pour violences aggravées. Mais une rapide enquête va permettre aux gendarmes de dresser un portrait autrement inquiétant de l’étudiant en sociologie.
    Le premier incident remonte à 2004, alors que Saïd, dont la famille habite à Uzès dans le Gard, prépare un bac technique dans un lycée de Nîmes. Un jour, le garçon a une banale altercation avec un camarade de classe. Le soir même, il lui téléphone.
    Je viens chez toi, je vais te mettre le feu ! lui dit-il.
    Ce n’est pas une menace en l’air. Un peu plus tard, les gendarmes l’interpellent en flagrant délit, alors qu’il est en train de répandre de l’essence devant la maison des parents de son camarade. Durant sa garde à vue, le garçon est examiné par un psychiatre. « Schizophrène », diagnostique le médecin. Déclaré irresponsable, il est hospitalisé durant deux mois dans un service psychiatrique avant d’être relâché.
    Bachelier en 2005, Ouamalik s’inscrit en licence de sociologie. Il réussit sa première année, mais échoue l’année suivante. Au printemps 2008, il apprend qu’il doit redoubler. C’est à cette occasion, on l’a vu, qu’il tente de convaincre Philippe J. d’arranger ses notes. Et c’est le second incident. Quelques semaines plus tard, les bureaux des professeurs de sociologie de l’université Paul-Valéry brûlent. L’origine criminelle de l’incendie ne fait aucun doute : on a retrouvé sur place de l’essence, du retardant et des cordelettes. L’université porte plainte. Saïd, compte tenu de son passé, fait figure de suspect. Mais les policiers ne parviendront pas à le confondre…
    Tandis que Philippe J., placé en garde à vue, explique en détail les circonstances de l’agression, les gendarmes inspectent le sac à dos de l’étudiant. L’inventaire est éloquent : une paire de menottes, un rouleau de ruban adhésif, des cordelettes, deux bouteilles d’essence de 1,5 litre et même une tenue blanche en cellophane, de celles qu’utilisent habituellement les techniciens de l’identification criminelle. Bref, avec les gants, la cagoule et le pistolet, la parfaite panoplie du « saucissonneur ». Saïd n’avait donc pas seulement l’intention de cambrioler l’enseignant et sa famille. Il avait prévu, au moins, de les séquestrer. Et ensuite ? On n’ose pas imaginer les scénarios qu’il avait en tête au moment où il a vu les trois victimes à sa merci…
    Le mardi après-midi, le procureur adjoint de Montpellier, Georges Guttierez, annonce que Philippe J. a été remis en liberté. Pour le parquet, la thèse de la légitime défense ne semble faire aucun doute.
    On peut parler d’un instinct de survie, c’était une lutte à mort, explique le magistrat.
    Pourtant, il ajoute dans la foulée que l’enseignant a été mis en examen pour « homicide volontaire » par le juge d’instruction. Autrement dit pour « meurtre ». Bien sûr, Philippe J., dont la version des faits coïncide parfaitement avec les constatations des gendarmes, devrait bénéficier rapidement d’un non-lieu. Reste que cet homme qui n’a fait que protéger sa famille se retrouve avec cette étiquette infamante, alors qu’une simple mise en examen pour homicide involontaire aurait suffi.
    Seule la famille de Saïd conteste la thèse de la légitime défense. Certes, Boussa Ouamalik, le père du jeune homme, qui habite une petite cité à la périphérie d’Uzès, reconnaît que son fils « avait un différend avec son professeur ».
    Pour nous, Saïd est allé là-bas, à Juvignac, pour régler ses comptes, dit-il. Depuis l’année dernière, il nous parlait de ce prof…
    D’autant que le jeune homme, qui avait repassé ses examens en septembre, venait d’apprendre qu’il était recalé, ce qui l’aurait rendu fou de rage. Le père de Saïd admet également que « le feu, c’est son mode opératoire », confirmant implicitement que son fils aurait pu se venger de l’enseignant en le faisant périr au milieu des flammes. Et malgré tout, il réfute la thèse des enquêteurs.
    On se pose plein de question, renchérit un oncle du garçon. Soyez sûr que ce professeur était au courant de la venue de Saïd. Je me demande même s’il n’a pas préparé sa réception. En plus, il n’a pas pu le tuer tout seul.
    En clair : Saïd serait tombé ce soir-là dans un guet-apens tendu par un enseignant machiavélique. Et l’oncle de conclure :
    Je ne crois pas à cette histoire de légitime défense.
    L’avocat des Ouamalik, Me Jean-Charles Teissèdre, s’est constitué partie civile au nom de la famille. Lui aussi émet de sérieux doute concernant la version des enquêteurs. Il rappelle que dans ses premières déclarations, l’adjoint au procureur avait un peu vite annoncé que Saïd était mort par strangulation, alors que l’autopsie a révélé qu’il a été victime d’une compression du cœur.
    Comment fait-on pour tuer un homme à mains nues quand on n’est pas un spécialiste des sports de combats ? s’interroge-t-il. D’autre part, il sera important d’établir à quel moment cette mort a eu lieu, et si elle pouvait être évitée.
    En ce qui concerne cette dernière question, la réponse est évidente : oui, la mort de Saïd aurait pu être évitée. Il aurait suffi pour cela que le jeune homme reste chez lui ce soir-là, au lieu d’aller attaquer, un pistolet à la main, une honnête famille d’enseignants que, dans son délire, il rendait responsable de ses échecs.
    Pour Me Jean-Robert Phung, l’avocat de Philippe J., les arguments de la famille Ouamalik ne tiennent pas debout.
    Je suis certain que ce garçon qui avait trois litre d’essence sur lui n’est pas venu pour cambrioler, affirme-t-il. Le réflexe qu’a eu mon client, et qui s’est terminé par un drame, en a évité un autre, encore plus atroce : il a sauvé sa vie, celle de son épouse et de son fils. Mais avoir enlevé la vie à quelqu’un est une chose dont il ne se relèvera jamais.
    Comme il n’oubliera jamais ces minutes abominables durant lesquelles il a cru mourir, brûlé vif, avec toute sa famille. Il ne faut pas se tromper de procès. Si dans cette histoire, Saïd est mort, c’est bien Philippe J. la victime. Et l’enseignant attend aujourd’hui avec impatience le non-lieu qui lui rendra son honneur.


                En attendant, le professeur et son épouse se disent « paniqués à l'idée de retourner chez [eux] », dans un entretien paru mercredi 28 octobre dans le Midi Libre. « Quand je suis dans un endroit peuplé d'inconnus, sans une personne familière à mes côtés, je me sens très vulnérable et en permanence sur le qui-vive.... Sur le plan professionnel, je n'envisage pas pour le moment de donner à nouveau des cours, a fortiori dans des amphis où l'on se retrouve parfois face à 300 étudiants. Pour moi, je crois que les amphis, c'est terminé, alors que j'adorais ça », a déclaré l'enseignant au quotidien régional. Son épouse ajoute : « Je porte encore les stigmates de cette agression. Pour moi, c'est le masque de l'horreur.Je veux mettre de la distance entre moi et ce visage qui porte encore les traces de la maltraitance. Ce visage, ce n'est pas moi, je ne le reconnais pas », faisant référence aux graves blessures que lui a infligées l'agresseur en la frappant à la tête.

  • (I/II) : Transition énergétique, ou simple opération politique, et … gaz de schistes, par Champsaur

    Il peut sembler étrange, voire incongru qu’un site royaliste comme le nôtre aborde un tel sujet. Disons avec le poète Térence que « je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger » (Homo sum; humani nihil a me alienum puto).

    Beaucoup d’évènements concomitants sur une période du calendrier très courte, conduisent à nous arrêter plus particulièrement sur l’aventure des gaz de schistes.

    Elle n’en est qu’à ses débuts, et se présente comme un bond inattendu et gigantesque dans la course de l’Humanité à la recherche de l’énergie.

    Elle présente deux caractéristiques : les réserves potentielles sont identifiables assez précisément, et sont considérables dans certaines zones (48 selon l’Agence internationale de l’Énergie), par ailleurs les techniques évoluent à très grande vitesse, proposant des évolutions majeures tous les six mois environ.

    Nous verrons que la France s’est mise hors jeu, un monde politique pusillanime s’étant couché devant une poignée de spécialistes de l’agitprop dont on peut se demander au profit de qui ils opèrent … 

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    I) Rappel historique et état des lieux

     

    11 – Histoire

    Leur histoire commence il y a un peu moins de deux siècles avec le forage, en 1821, du tout premier puits de gaz naturel aux États-Unis. Une première compagnie gazière a été créée en 1858, mais la première fracturation hydraulique n’a été réalisée que dans les années 1940. Cette technique était encore peu rentable à l’époque. Elle consistait déjà à fracturer la roche, avec un fluide sous haute pression, pour libérer le gaz ou l’huile emprisonnés. « Ce n’est que vers la fin des années 1990 que de nouveaux essais ont été entrepris aux États-Unis. La croissance de la production des gaz de schiste n’est vraiment devenue exponentielle outre-Atlantique que vers 2005. Avant ils étaient encore peu rentables et techniquement trop difficiles à extraire », explique Michel Séranne, géologue à l’université de Montpellier. Avec la maîtrise, par la compagnie américaine Devon Energy, de la technique du forage horizontal, suivi d’essais concluants en 2005, la production a vraiment démarré aux États-Unis, avec l’essor grandissant qu’on lui connaît aujourd’hui.

    Les premiers projets d’exploitation sont nés dans les années 1970-1980, mais c’est en 2005 que la production a commencé à croître à un rythme impressionnant. Parmi les gaz non-conventionnels (gaz de réservoir/tight gas ; méthane de houille/coalbed methane et gaz de schiste/shale gas), c’est le gaz de schiste qui a connu ces dernières années le plus grand essor aux États-Unis, quoiqu’il soit exploité depuis moins longtemps que les autres. Ainsi, sa production était d’environ 30 milliards de mètres cubes en 2006, de 55 milliards en 2008, de 85 milliards en 2009 et serait d’environ 260 milliards de mètres cubes en 2012 selon la US Energy Information Administration (EIA). Aux États-Unis, les gaz de schistes représentent 23 % de la production totale de gaz (dont 58 % est "non conventionnelle"), un chiffre qui augmente chaque année. Il est encore difficile d'estimer les ressources mondiales en gaz de schistes mais elles semblent considérables et pourraient, à terme, changer la donne de la géopolitique gazière.

    Connus depuis des décennies, les gaz de schiste font beaucoup parler d’eux, parce que leur production est devenue suffisamment performante pour être rentable. Grâce à eux, les États-Unis se placent devant la Russie en termes de réserves gazières. Ces gaz font toutefois l’objet d’une controverse. Ils suscitent en effet de vives contestations, principalement en raison de l’impact supposé de leur exploitation sur l’environnement.

    Les États-Unis ont été les premiers à exploiter les gaz de schiste, mais il existe des réserves de gaz non conventionnels un peu partout dans le monde, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Cette dernière les estime à 920 Téra m3 (un Téra m3 équivaut à 1000 milliards de m3), sachant que la consommation mondiale actuelle de gaz est estimée à 3,1 Téra m3 par an.

    Du gaz (essentiellement méthane) est contenu dans des roches sédimentaires argileuses très peu poreuses et imperméables. Ces roches, riches en matière organique (de 2 à 10%), ont généré des hydrocarbures gazeux par augmentation de pression et de température lors de leur enfouissement tout au long des temps géologiques. Une grande partie de ce gaz est resté piégé dans ces roches.
    Du fait de la très faible perméabilité de ces roches, ces hydrocarbures ne peuvent être exploités avec les modes de production classiques d'où leur classement dans les gaz "non conventionnels".

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    "...il existe des réserves de gaz non conventionnels un peu partout dans le monde, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Cette dernière les estime à 920 Téra m3 (un Téra m3 équivaut à 1000 milliards de m3)..."

     



    12 - Technologie

    La production de gaz de schiste a augmenté très rapidement ces dernières années aux États-Unis et se développe dans de nombreux pays (Argentine, Pologne, Chine, etc.). Comme beaucoup d'autres sources d'énergie, elle suscite des peurs et des contestations compte tenu de ses impacts environnementaux supposés. Le gaz de schiste étant piégé dans des roches très peu perméables, son exploitation nécessite la mise en œuvre de deux technologies: le forage horizontal et la fracturation hydraulique. Le premier permet d'exploiter le gisement sur une plus grande étendue à partir d'un seul puits. La seconde vise à augmenter la perméabilité de la roche en la fracturant et, donc, à faciliter l'extraction du gaz.

    Contrairement à ce qui est propagé en France avec insistance, il s'agit de méthodes très anciennes: le forage horizontal est généralisé depuis les années 1980, et les débuts de la fracturation hydraulique remontent à 1948. Actuellement, plus de 10.000 fracturations sont effectuées chaque année dans le monde, y compris pour la géothermie ou la production d'eau potable.

    Cette technique présente l'inconvénient de requérir beaucoup d'eau (douce ou salée) mais grâce aux progrès technologiques les quantités ont fortement diminué. Des additifs chimiques, d'usage courant pour certains, y sont ajoutés en très faible quantité (moins de 0,2 %) afin de rendre la fracturation plus efficace. Les entreprises ont l'obligation d'en publier la liste.

    Une partie de l'eau utilisée revient en surface. Elle fait l'objet d'un traitement afin d'éliminer les produits injectés ainsi que ceux naturellement présents dans le gisement, notamment le sel. Pour ne pas polluer les nappes phréatiques, plusieurs tubages en acier sont mis en place sur les premières centaines de mètres du puits, comme cela se pratique dans tous les forages. La fracturation s'étend sur quelques dizaines de mètres à l'intérieur du gisement souvent situé à grande profondeur (1000 à 2000 mètres). Des technologies géophysiques sont mises en œuvre pour détecter la présence éventuelle de failles à proximité et suivre en temps réel la propagation des fractures.

    La production de gaz non conventionnels nécessite un nombre important de forages. Pour réduire l'emprise au sol, et donc limiter l'impact paysager, plusieurs «drains» (20 par hectare en moyenne avec un maximum de 70) sont forés à partir de la même plate-forme.

    Il est vrai que l'exploitation du gaz de schiste dans certains États américains s'est accompagnée de pratiques contestables. Ceci est lié au contexte spécifique américain où le propriétaire d'un terrain possède aussi les ressources du sous-sol. Par ailleurs, la réglementation technique et environnementale varie beaucoup d'un État à un autre. Elle a néanmoins été renforcée afin d'imposer des bonnes pratiques et limiter d'éventuels dommages. Enfin, l'importance des enjeux des hydrocarbures non conventionnels, une source d'énergie fossile supplémentaire, conduit l'industrie à engager des efforts en matière de recherche: l'objectif est de réduire toujours plus l'impact environnemental. Même si le risque zéro n'existe pas, il est possible d'extraire «proprement» le gaz de schiste.

    On estime à 2 millions le nombre de fracturations hydrauliques effectuées à ce jour dans le monde. L’imprécision vient de ce qu’il s’agit d’une méthode routinière de forage dont seuls les logs de forage font état sans que les media ne s’en mêlent, sauf en France. Aux Etats-Unis, les 450 000 puits à gaz forés à ce jour ont tous eu recours à la fracturation hydraulique et Mrs Elizabeth Ames Jones, Chairman de la Railroad Commission of Texas, interrogée récemment par le Sénat américain a déclaré, qu’à sa connaissance, il n’y avait jamais eu de pollution de nappes phréatiques. La Rail Road Commission of Texas est une super DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) dont elle partage les attributions.

    Bon an mal an, depuis 2009 les États-Unis forent plusieurs milliers de puits à gaz et huiles de schiste par an et tous ces puits sont fracturés hydrauliquement. À noter que la première fracturation hydraulique commerciale a eu lieu en 1949 à Valma en Oklahoma.

    On injecte sous forte pression (plusieurs centaines de bars) un mélange composé de 99,51% d’eau, de sable ou de microbilles de céramique et de 0,49% d’agents chimiques issus de l’industrie agro-alimentaire pour fluidifier la boue, tuer les bactéries, prévenir la corrosion et éviter la formation d’écailles de métal. Les produits chimiques soi-disant cancérigènes sont maintenant totalement éliminés. Aux États-Unis, les pollutions ont été provoquées par l'usage de produits interdits et par des pratiques non professionnelles pour cimenter les puits de forage. Pouvons-nous exploiter ces ressources proprement ? Nous soutenons que oui. Beaucoup de pays le pensent et y travaillent. Au-delà du contrôle des techniques de forage et des produits utilisés, il convient également d'analyser soigneusement les constituants de la roche mère qui sont délavés et remontés à la surface.

    Il est difficilement concevable et géologiquement impossible (sauf sur le papier) que les eaux de fracturation puissent contaminer les nappes phréatiques. Quelques 6000 forages ont été faits en France à ce jour dont 1500 forages d’exploration environ (wildcats) et plus de 2000 forages de développement dans le seul bassin de Paris et aucune pollution de nappes phréatiques n’a jamais été relevée. Nous sommes bien loin des 596 produits chimiques dont « certains sont cancérigènes » que Josh Fox (voir infra) n’a jamais pu nommer.

    En avril 2011, la Chambre des représentants des États-Unis a remis un rapport intitulé «Chemical used in hydraulic fracturing». Selon ce texte, les 14 principales compagnies du secteur ont, entre 2005 et 2009, utilisé 2500 produits contenant 750 composants chimiques. Plus de 650 de ces produits renferment des substances connues pour leur effet cancérigène, selon les critères américains appliqués à l'eau potable (le Safe Drinking Water Act), ou sont des polluants atmosphériques. Selon les experts, ces produits ne sont pas nécessaires, ni souvent même utiles. Fallait-il cinq années pour s'en rendre compte? Un an après, les additifs ont été ramenés au nombre de 12, tous d’origine organique.

    Les Français découvrent cette nouvelle source d'énergie par le film « Gasland » et la perçoivent majoritairement comme une menace plus que comme une opportunité ou une chance. Film documentaire américain sorti en 2010, écrit et réalisé par Josh Fox, il a pour objet l'impact environnemental et sanitaire de la méthode d'extraction par fracturation hydraulique. Josh Fox visite d'abord Dimock (Pennsylvanie), dans une zone d'exploitation du gaz de schiste. Il y rencontre plusieurs familles dont l'eau du robinet peut prendre feu si l'on en approche un briquet. Une enquête d'État menée par la Colorado Oil and Gas Conservation Commission a par la suite prouvé que le problème était dû au méthane naturellement présent dans l’eau et non à la technique de fracturation hydraulique ou à l’exploitation du gaz.

    Suite à la diffusion de ce documentaire, des doutes sont apparus quant à l’exactitude, l’attention aux détails et la justification de certains faits. Mais la profession pétrolière n’est pas la seule à avoir avancé des contre-arguments : Kiran Stacey, journaliste au Financial Times et spécialiste des questions économiques liées à l’énergie et à l’environnement, est également revenu sur plusieurs éléments clés du film. 

    13 – L’économie

    Si certains chapitres donnent dans la controverse, il en est un qui fait l’unanimité, c’est le poids économique de cette richesse. Certes cette considération ne pourrait pas supplanter toutes les autres, s’il était avéré que son extraction présente des effets induits totalement rédhibitoires.

    Le principal problème économique est que l’équilibre entre le coût et le bénéfice est encore loin d’être trouvé. Une recherche et une exploitation onéreuse ont conduit quelques entreprises à suspendre cette voie en attendant que les cours se stabilisent. Car les quantités de gaz de schiste aujourd’hui sur le marché ont quasiment écroulé les prix. Les stocks dans les schistes existent et sont sans conteste la sécurité de l’avenir.

    Aux États-Unis, grâce à l'exploitation du gaz de schiste, le prix du gaz se situe aux alentours de 3 $/MBTU (La British Thermal Unit est une unité d'énergie anglo-saxonne. MBTU signifie 1000 BTU...)

    À titre de comparaison, il se négocie à 8 $/MBTU en Europe, 12 $/MBTU en Asie et 15 $/MBTU au Japon, qui a dû négocier en urgence de nouvelles quantités après Fukushima.

    L'exploitation des gaz de schiste a fait des États-Unis le premier producteur mondial de gaz naturel, installant une nouvelle donne tant économique que politique. Faut il un exemple de la rapidité vertigineuse avec laquelle la situation évolue ? Dans un étroit couloir maritime, exactement à la frontière entre la Louisiane et le Texas, le terminal gazier de Sabine Pass est devenu le symbole de l'une des plus grandes révolutions industrielles et économiques de ces trente dernières années. En 2003, la compagnie Cheniere y a construit un terminal géant, destiné à accueillir des méthaniers transportant du gaz naturel liquéfié. Commencé en 2003, mis en service en 2008, il ne fonctionne qu'au ralenti. Car entre ces deux dates, le développement considérable des gaz de schiste aux États-Unis a transformé le pays d'importateur en premier producteur mondial de gaz naturel devant la Russie. Cheniere a donc demandé l'autorisation au gouvernement américain de transformer son terminal de Sabine Pass d'importateur en exportateur de gaz. Un investissement de 10 milliards de dollars.
    Après lui, sept autres projets du même type ont été déposés. Et la presse française du 29 Mars 2013 annonce que les premiers gaz de schiste américain arrivent en Europe, en Grande Bretagne !

    Saturé de gaz, le pays est désormais celui où il se vend à prix bradé : près de 2 dollars l'unité de référence, soit sept à huit fois moins cher qu'ailleurs dans le monde. Mauvaise nouvelle pour les compagnies gazières, qui rêvent d'exporter leurs surplus, mais excellente nouvelle pour le pays qui est en train de sortir de la crise grâce à la combinaison diabolique de son dollar faible et de son gaz de schiste bon marché. On comprend que le gouvernement hésite à ouvrir les vannes et faire profiter le monde entier du bouleversement qu'il a connu ces dernières années.
    S'il fallait une nouvelle preuve de l'influence du prix de l'énergie sur la santé d'une économie, l'apparition des gaz de schiste en constituerait une fameuse. Dans un pays ravagé par le chômage, ce seul secteur a créé plus de 600 000 emplois, surtout dans la bande centrale du pays. Plus important encore, il a provoqué une vague de relocalisation d'industries gourmandes en énergie. Pour la première fois depuis des décennies, une usine sidérurgique flambant neuve sort de terre près de Bâton Rouge en Lousiane, une autre dans l'Ohio. Chimistes et pétroliers multiplient les investissements. Barack Obama, qui voulait relancer la croissance par l'investissement dans les énergies renouvelables, voit l'économie repartir par la grâce d'un gaz de schiste qu'il n'attendait pas et dont les spécialistes assurent que les Etats-Unis possèdent pour cent ans de réserve.

    Si l'Amérique décidait d'exporter son gaz, cela aurait des conséquences économiques et géopolitiques considérables. La première serait de casser le lien ancestral entre le prix du pétrole et celui du gaz. Car contrairement au pétrole, qui voyage facilement, le coût élevé du transport du gaz, par gazoduc ou par bateau, a conduit les fournisseurs à proposer à leurs clients des contrats de long terme indexés sur le pétrole, plutôt qu'une cotation sur un marché libre. Il en a résulté un morcellement des prix du gaz. Les Américains avec leur marché libre à quelques dollars, les Européens actuellement autour de 13 dollars et les Japonais à 17. À partir du moment où les Américains exporteront massivement, autant par exemple que le Qatar, le rapport de force sera sensiblement différent.

    Et le bouleversement viendra d'ailleurs, de la dispersion de cette source énergétique. Hormis les Etats-Unis et le Canada, les grandes réserves potentielles sont en Amérique latine, en Chine, en Europe et en Afrique du Sud. La Chine, qui a doublé sa production d'électricité en cinq ans, en profitera pour réduire sa dépendance au charbon, le Japon vis-à-vis du Moyen-Orient et les pays d'Europe de l'Est, de la Russie. Reste le cas de la France, qui détiendrait les plus grosses réserves du continent mais qui s'est mise hors-jeu pour l'instant.

    Le miracle américain est dû à la conjonction de réserves abondantes, de producteurs compétents, d'une législation avantageuse et d'un large réseau de gazoducs. Il est le seul dans ce cas. L'essor de ces technologies dans des pays comme la Chine ou l'Argentine sera plus coûteux. Sitôt les quantités américaines déversées sur le monde, les prix remonteront d'autant plus vite qu'ils sont plus volatils que les contrats de long terme classiques. Enfin, le gaz n'est pas la répons

  • Périco Légasse : « Notre pays importe les cordes avec lesquelles nos agriculteurs se pendent »

     

    En pleine crise agricole et à moins d'une semaine du Salon de l'Agriculture, Périco Légasse revient sur les dégâts causés par la Commission européenne, la FNSEA et la spéculation boursière à une filière jadis reine en France.  [Entretien dans Figarovox du 19.02]. Pour lui, cette crise est le résultat d'une dérive productiviste qui met en danger notre identité nationale. Ainsi, on commence à se rendre compte que le problème agricole français n'est pas seulement économique ou financier et ne se réduit pas à une affaire de management. Il est avant tout identitaire et civilisationnel. Périco Légasse apporte au moins ici sa pierre à un débat de fond qui concerne au sens plein notre nation. Sauvegarder l'identité française, ce n'est pas seulement la préserver, par exemple, des migrants, mais aussi des maladies de la postmodernité.  LFAR

     

    La crise agricole est en train de prendre une tournure inquiétante. Est-on arrivé à ce fameux point de rupture dont certains experts pensent qu'il pourrait générer des chaos encore plus tragiques ?

    Tout porte à le croire, car les mesures décidées par le gouvernement et présentées par le Premier ministre devant l'Assemblée nationale prouvent qu'il y a, cette fois-ci, une grande inquiétude au sommet de l'Etat. Et s'il s'est décidé à passer à l'acte aussi rapidement, c'est qu'il y a urgence. Que faut-il, après les incidents de ces derniers mois, pour qu'enfin l'on comprenne à Paris comme à Bruxelles que cette crise-là n'est pas comme les précédentes ? Elle est celle de ceux qui n'ont plus rien à perdre. On sait depuis trop longtemps que certains secteurs au bord du désespoir vont basculer dans l'irréparable. Violences, suicides, affrontements.

    N'empêche, des situations aussi extrêmes auraient pu être évitées bien plus tôt puisque nos dirigeants trouvent soudain les moyens de prendre la crise par les cornes. N'empêche, la méthode reste la même : on continue, à coups de millions d'euros, trouvés dieu sait où, finalement payés par le contribuable, à colmater les brèches, à panser les plaies, à mettre des rustines sur les fuites, pour repousser le problème au prochain déluge. Cette stratégie est irresponsable car elle ne résout rien sur le fond. Elle est surtout l'aveu que le gouvernement français ne dispose plus des leviers nécessaires à une réforme structurelle du mode de fonctionnement de notre agriculture. Ces leviers, c'est la Commission européenne qui les détient et nous savons de quelle agriculture rêve la Commission. Son modèle ? Les usines à cochon allemandes, avec main d'œuvre bulgare payée à la roumaine, dont la viande de porc agglomérée a donné le coup de grâce aux éleveurs intensifs bretons auxquels on avait assuré que leurs tarifs étaient imbattables. C'est ça l'Europe libérale libre et non faussée ?

    Personne n'a donc vu venir le danger ? C'est étonnant...

    Nous avons accepté d'être dépossédés de prérogatives souveraines qui font défaut aujourd'hui à la République française pour sauver sa paysannerie. J'espère qu'il y aura un jour un tribunal de l'histoire pour juger les coupables qui ont accepté ces reniements successifs. L'éleveur laitier au bord du gouffre, qui voit son voisin revenir du super marché avec dix packs de lait UHT importés de Pologne, et auquel on demande son trentième certificat vétérinaire, a peut être des raisons de désespérer de cette Europe portée aux nues par son maire, son député, son sénateur, son président de chambre d'agriculture, son gouvernement, son chef d'Etat, souvent son journal, sa télé ou sa radio.

    La pression exercée par les services de l'Etat, la banque, l'Europe et les aléas du marché sur nos agriculteurs atteint-elle ses limites ?

    De normes sanitaires en règles communautaires, de contraintes financières en directives administratives, d'emprunts asphyxiants auxquels on les a poussés en leur tenant le stylo, aux pratiques commerciales imposées par le lobby agro industriel et par la grande distribution, les agriculteurs de France sont à bout. Pas les gros céréaliers nantis, liés à certaines coopératives et gavés de subsides européens, mais ceux qui nourrissent directement la population. Promenés et balancés de promesses électorales en programmes gouvernementaux jamais tenus, sous prétexte que nous sommes 12, puis 15, puis 18, puis 28 Etats à décider ensemble, ils ont contenu leur colère durant des décennies. « Mais rassurez vous, nous défendons bec et ongles vos intérêts à Bruxelles. Faites nous confiance, nous vous soutenons » … comme la corde soutient le pendu. Les chambres d'agriculture ont poussé les exploitants à devenir exploités, les incitant à s'agrandir en surface, à concentrer la ressource, à augmenter les rendements, à acheter des machines chaque fois plus grosses et coûteuses pour s'installer dans un productivisme global et compétitif. Ces paysans sont aujourd'hui floués, ruinés, abandonnés. On ne peut pas demander à un homme qui est à terre d'obtempérer sous peine de sanction, ni à un homme pris à la gorge, et qui ne sait plus comment nourrir sa famille, de s'acquitter des ses échéances bancaires ou sociales. Alors, épouvantable réalité, ceux qui sont acculés, à bouts de nerfs, sans lendemain, basculent parfois dans l'irréparable. La colère des agriculteurs est à l'image des désordres qui menacent la planète.

    L'importance du mouvement, la pugnacité des agriculteurs révoltés et l'extension du phénomène à toute la France révèlent-elles une souffrance plus profonde que ce que l'on peut imaginer ?

    Nous sommes au delà de la tragédie humaine. Le désespoir agricole nous conduit à une tragédie nationale de grande ampleur. Et les effets aggravants vont exacerber les exaspérations déjà explosives. Car ce ne sont plus seulement les éleveurs bovins et les producteurs laitiers qui durcissent leurs actions. A l'Assemblée Nationale, ce jeudi 17 février, Manuel Valls déclarait que le gouvernement et l'Europe ont pris leurs responsabilités (baisse de 7 points pour les cotisations sociales des agriculteurs en difficulté et année blanche fiscale pour ceux à faibles revenus), et qu'il a appartient désormais aux agriculteurs de prendre les leurs. C'est le comble.

    Qui a conduit l'agriculture française dans cette impasse, toutes majorités confondues, depuis trente ans, en partenariat politique étroit avec le syndicat majoritaire? Qui, jusqu'au vote de la loi d'avenir, et de son programme d'agro-écologie porté par Stéphane Le Foll, en septembre 2014, par le parlement, a validé toutes les dispositions inféodant davantage l'agriculture française aux desiderata des lobbies bruxellois ? Qui a validé la dérégulation du marché et la suppression des quotas laitiers sans contreparties ? Qui refuse d'imposer la traçabilité des viandes entrant dans la composition des produits transformés ? Qui laisse pénétrer chaque année sur notre territoire des millions de tonnes de tourteau de soja destinées à gaver nos élevages intensifs ? Qui favorise l'importation déloyale et faussée de millions de litres de lait en provenance d'autres continents pour satisfaire aux oukases tarifaires de la grande distribution ? Les cours mondiaux! Toujours les cours, mais alors qu'on le dise clairement, la France est soumise aux aléas d'une corbeille boursière qui décide de la survie ou non de nos exploitations agricoles. Quelle nation souveraine digne de ce nom peut accepter de sacrifier une partie de son peuple aux ambitions de patrons de casinos où le blé, la viande et le lait sont des jetons sur un tapis vert ? La seule vraie question qui vaille est: ça nous rapporte quoi? La mort de nos campagnes, de ceux qui les entretiennent et une dépendance accrue aux systèmes agro industriels qui abîment la Terre, l'homme et l'animal.

    Alors qu'on recense environ un suicide d'agriculteur tous les trois jours, les pouvoirs publics prennent-ils la mesure du drame ?

    Les agriculteurs étranglés, aux abois, meurtris, voient leur pays importer les cordes auxquelles ils se pendent. Un paysan qui se suicide n'est finalement que le dégât collatéral de la modernisation de l'agriculture et de l'adaptation au marché globalisé. Le bœuf que l'on jette aux piranhas pour que le reste du troupeau puisse passer. Le seul problème est que, finalement, tout le troupeau y passe. Qui sont ces agriculteurs qui se suicident ? Précisément ceux qui appliquent à la lettre depuis 10 ans, 20 ans, 30 ans pour certains, les instructions et les recommandations du syndicat majoritaire, cette FNSEA qui a beau jeu aujourd'hui de barrer les routes et de bloquer les villes après avoir encouragé et accompagné toutes les politiques ayant conduit à ce massacre. Précisément ceux qui ont cru, en toute bonne foi (on leur avait si bien expliqué qu'il n'y a pas d'autres solutions possibles) que les programmes officiels, de gestion des cultures et des élevages pour se conformer aux lois du marché, les conduiraient à la richesse. Ceux-là sont ceux qui se pendent les premiers sous le regard compassé de ceux qui ont tressé la corde fatidique. Certes, il y a bien eu la PAC, avec des centaines de milliards reversés aux agriculteurs les plus riches qui s'alignaient doctement sur les critères du productivisme alors que les autres étaient obligés de tendre la main à Bruxelles pour obtenir une obole. Comment une puissance au patrimoine agricole si glorieux et si performant a-t-elle pu laisser ce trésor se détériorer aussi vite et aussi tragiquement. Quelqu'un a forcément menti à un moment donné de l'histoire.

    Le Salon de l'Agriculture s'ouvre dans dix jours. Que faut-il en attendre ?

    On l'appelait autrefois la Foire agricole. C'était une fête. La vitrine des fiertés paysannes de la France. L'engagement fervent de ceux qui montaient à la capitale pour témoigner qu'une majeure partie du pays continuait à travailler la terre pour nourrir la nation. L'édition 2016 sera marquée par les drames et les détresses ayant marqué les douze derniers mois. Mais rien n'y fera. La Foire restera celle des grandes enseignes industrielles et commerciales dont les bénéfices se sont faits sur l'éradication d'une société qu'ils ont contribué à ruiner. Qu'un vainqueur vienne planter ses aigles sur le territoire du vaincu est une chose, mais qu'un marchand de produits toxiques vienne édifier un mausolée au milieu du cimetière de ses victimes en arborant un grand panneau sur lequel on peut lire « Voici mon œuvre » est pour le moins original. Car les grandes enseignes mercantiles qui fleurissent le long des allées du salon, entre les vaches et les cochons, les sacs de grain et les bidons de lait, les vergers reconstitués et les prairies artificielles, pour faire croire qu'elles sont les bienfaitrices de ce qui n'est plus qu'un musée de la honte agricole, n'auront pas le courage de financer un grand mur sur lequel on pourrait afficher les trois mille photos des paysans qui se sont suicidés depuis 2007. Et si l'on demandait aux grandes marques dont les panneaux colorent à perte de vue les halls de la porte de Versailles d'indiquer combien de tonnes de lait en poudre néo-zélandais, de fruits et légumes saturés de pesticides, de viandes infâmes, de produits cuisinés nocifs, etc, etc, elles ont importés, puis déversés, à prix écrasés, sur les rayons des grandes surfaces, tout en creusant la tombe des agriculteurs français n'ayant pu s'aligner sur les tarifs de cette merde… Que faut-il en attendre? Plus de larmes et plus de sang pour les agriculteurs pris au piège et plus de profits et de bonne conscience pour ceux qui les exploitent.

    Existe-t-il une perspective pour sortir de cette impasse ?

    Oui, et même plusieurs: un gouvernement de combat et non un casting pour meeting électoral du PS avec supplétifs d'occasion. Exemple, dans la configuration politique actuelle, c'est Stéphane Le Foll qu'il aurait fallu nommer Premier ministre, afin de faire du programme d'agro-écologie, tout juste initié mais bientôt amplifié, une priorité nationale qui soit l'objectif premier du gouvernement de la République. Face à la détresse agricole, ce grand projet couvre toutes les problématiques et ouvre des perspectives au-delà même des enjeux agricoles. Il s'agit d'une redéfinition des logiques ayant prévalu jusqu'à aujourd'hui afin que l'agriculteur ne soit plus tributaire des spéculations et des OPA que la finance internationale lance sur les ressources alimentaires. Une seule réalité s'impose à toutes les autres: l'agriculture n'est pas faite pour produire, elle est faite pour nourrir. Nous avons la formule, nous avons le processus, nous avons des expériences. Un tel défi ne peut que susciter un vaste consensus populaire. De toutes les façons, seule une baisse générale de la production compensée par une redistribution qualitative de notre agriculture vers des formes de cultures et d'élevages répondant à la fois aux besoins et aux attentes de la population et aux impératifs d'un monde durable permettront de sortir de cette impasse. L'exacte contraire de ce que prône la FNSEA, toujours persuadée que le salut ne peut venir que d'une augmentation ultra modernisée de la taille des exploitations et des volumes, c'est-à-dire l'aggravation de tout ce qui a conduit l'agriculture française dans le mur. Cette redéfinition est une question de survie. Et plus l'on attendra avant de la décider, moins nous aurons de chance de voir nos agriculteurs redevenir des paysans. La clé du problème est là: rendez nous nos paysans!

    Et en projetant un peu plus loin ?

    De même, il est fondamental de mettre en place un programme scolaire d'éducation citoyenne du consommateur concerté avec le ministère de l'Agriculture. Les bases existent sous le projet « classes du goût », créées par Jacques Puisais en 1975 puis expérimentées un temps dans certains collèges. Le client de demain doit apprendre à consommer pour se faire du bien, pour soutenir une agriculture qui le nourrisse sainement tout en préservant l'environnement, pour soutenir une industrie agroalimentaire créatrice de richesse et d'emploi dans le respect d'une agriculture porteuse d'avenir, pour soutenir un artisanat employeur garantissant la pérennité de savoirs faire et d'activités. Consommer moins mais mieux. Chaque année, chaque Français jette 7 kilos d'aliments frais emballés. Des millions de tonnes de nourriture à bas prix que l'on pourrait reconvertir en profit pour les agriculteurs qui produiraient donc un peu moins mais mieux payés. Sur le terrain de la compétitivité internationale, nous serons toujours battus par des systèmes qui peuvent produire encore plus infâme et moins cher. Cela passe par une émancipation des diktats bruxellois et le retour à la subsidiarité française en matière de normes agricoles. Enfin, repeupler nos campagnes et remettre en culture des terres abandonnées ou abîmées tout en créant une activité agricole conformes aux enjeux contemporains, non dans la surproduction surconsommée, mais dans une juste productivité qui permette de satisfaire 99% de la demande intérieure et d'en exporter l'excellence vers des marchés demandeurs. La France a besoin de ses paysans pour vivre, pour être, pour durer.  

    Périco Légasse est rédacteur en chef de la rubrique vin et gastronomie à l'hebdomadaire Marianne.

    picture-2540921-61yhv5dr.jpgEntretien par

    Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Twitter : @AlexDevecchio

  • Annie Laurent : « la conscience d’une identité européenne s’est largement forgée dans la confrontation avec l’islam »

     

    Annie Laurent nous a fait l'amitié de nous signaler l'important entretien qu'elle vient d'accorder au site ami Le Rouge et le Noir. Les lecteurs de Lafautearousseau en prendront connaissance avec grand intérêt. Eventuellement pour le commenter et en débattre.  LFAR 

    Titulaire d’un doctorat d’Etat en sciences politiques, Annie Laurent s’est spécialisée dans les domaines touchant aux questions politiques du Proche-Orient, à l’Islam, aux chrétiens d’Orient et aux relations interreligieuses. Auteur de plusieurs livres sur ces sujets, elle fut aussi nommée experte par le pape Benoît XVI au Synode spécial des Évêques pour le Moyen-Orient qui s’est tenu à Rome en octobre 2010.

    Elle a bien voulu accorder un entretien fleuve au Rouge & le Noir à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage, L’Islam - pour tous ceux qui veulent en parler (mais ne le connaissent pas encore) publié aux éditions Artège en avril 2017. 288 pages.

     

    1435703774.jpgR&N : Quelles sont les principales questions que soulève la présence de l’islam en Europe ?

    Annie Laurent : « Naguère, nous rencontrions des musulmans, aujourd’hui nous rencontrons l’islam ». Cette phrase prononcée par le cardinal Bernard Panafieu, archevêque émérite de Marseille, dans une conférence qu’il donnait il y a une quinzaine d’années, illustre bien le changement de perspective qui s’est opéré, dans notre pays. Après la Seconde Guerre mondiale, les premiers immigrés musulmans étaient pour l’essentiel des hommes qui venaient en célibataires pour des raisons économiques et aspiraient à rentrer dans leurs pays d’origine une fois qu’ils auraient les moyens de faire vivre leurs familles chez eux. Ils n’avaient donc aucune revendication d’ordre religieux ou communautaire. Tout a changé à partir des années 1970 au cours desquelles divers gouvernements ont opté pour le regroupement familial (en France, ce fut en 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing), puis pour des assouplissements en matière de nationalité (droit du sol plutôt que droit du sang) et, enfin, la possibilité accordée aux étrangers de fonder des associations de la loi 1901. Des évolutions de cette nature se sont produites dans la plupart des pays d’Europe, certains optant même officiellement pour le multiculturalisme, comme en Grande-Bretagne.

    Ainsi, peu à peu, le Vieux Continent a eu affaire à une immigration de peuplement, donc définitive. Les musulmans en Europe veulent vivre selon les principes de leur religion et de leur culture. Il faut savoir que l’islam porte un projet qui est aussi social et politique puisqu’il mêle le spirituel et le temporel. Et cette conception repose sur une volonté attribuée à Dieu, à travers le Coran, et sur l’exemplarité de Mahomet, qualifié de « beau modèle » dans ce même Coran (33, 21).

    Or, les fondements de la culture islamique sont étrangers à ceux de la culture européenne, qui repose essentiellement sur le christianisme. Par exemple, l’islam ignore le concept de « personne », qui est d’origine biblique et s’enracine dans la réalité du Dieu trinitaire. La Genèse enseigne en effet que “Dieu créa l’homme à Son image, à l’image de Dieu, Il le créa, Il les créa homme et femme” (Gen 1, 27). Ainsi comprise, la personne humaine est dotée d’une dignité inaliénable et inviolable. Or, le récit coranique de la création occulte cette merveilleuse réalité. Allah reste étranger à l’homme, Il ne partage rien avec lui. Le mot « personne » est d’ailleurs absent du vocabulaire arabe. C’est pourquoi les chrétiens arabisés du Proche-Orient ont conservé l’usage du mot « ouqnoum », qui signifie « personne » en araméen, la langue que parlait le Christ. Dans l’islam, l’individu trouve sa dignité en tant que « soumis » à Dieu et membre de l’Oumma, la communauté des musulmans, éléments qui le privent d’une vraie liberté, notamment dans le domaine de la conscience et de la raison.

    Il s’agit là d’une divergence fondamentale entre le christianisme et l’islam concernant la vision de l’homme et de sa vocation.

    En s’établissant en Europe, les musulmans auraient pu bénéficier de la conception chrétienne en matière d’anthropologie. Mais l’islam s’installe chez nous alors que nous avons perdu de vue les racines de cette vision sur l’homme et de tout ce qui constitue les fondements de notre civilisation, notamment la liberté, dévoyée en libéralisme absolu, et l’égalité, dévoyée en égalitarisme ; alors aussi que nous sommes pervertis par l’athéisme et le laïcisme. Ayant délaissé notre héritage chrétien, nous sommes incapables de transmettre aux musulmans ce que nous avons de meilleur. En outre, ces derniers rejettent notre culture actuelle, alors qu’il y a encore un siècle elle leur paraissait attrayante et digne d’imitation.

    Pour répondre plus précisément à votre question, l’islam en Europe heurte de plein fouet une société décadente qui, non seulement la rend incapable de relever le défi existentiel représenté par cette réalité nouvelle, mais la prépare à se soumettre à un système où Dieu et la loi divine ont la première place. Le problème est donc avant tout spirituel et culturel.

    Quel statut l’islam donne-t-il au texte du Coran ? Comment l’islam accepte-t-il (ou non) la critique littéraire et historique de son texte et de sa formation ?

    Selon une définition dogmatique fixée au IXe siècle, au temps du califat abbasside régnant à Bagdad, le Coran est un Livre « incréé ». Il a Dieu seul pour auteur. Il fait même partie de l’être divin puisque, dans sa forme matérielle, il est la copie conforme d’un original, la « Mère du Livre », conservé auprès d’Allah de toute éternité (Coran 13, 39), donc préexistant à l’histoire. Contrairement à la Bible, qui se présente comme un recueil d’œuvres écrites par des hommes sous la motion de l’Esprit Saint (doctrine de l’inspiration), la créature humaine n’a joué aucun rôle dans l’élaboration et la rédaction du Coran. Pour accréditer cette thèse, les musulmans ont toujours dit que Mahomet était illettré et ils l’ont présenté comme le transmetteur passif.

    A cause de son statut divin, le Coran est intouchable. Il ne peut être soumis à une exégèse faisant appel aux sciences humaines, selon les critères historico-critiques appliqués à la Bible dans l’Église catholique. Il n’est pas interdit de s’interroger sur « les circonstances historiques de la Révélation » ; cette science est reconnue par les écoles qui ne s’en tiennent pas à une lecture littéraliste, mais elle ne peut contredire le caractère éternel du Coran dont le contenu est anhistorique. De même, les savants musulmans admettent le rôle du troisième calife, Othman, dans la composition du Coran tel qu’il existe encore. Mais ils ne s’interrogent pas, par exemple, sur les raisons qui ont motivé l’ordonnancement du texte. Les sourates et les versets ne sont pas classés par ordre chronologique de leur « descente » (mot servant à qualifier la transmission du Coran à Mahomet par l’ange Gabriel) ni par ordre thématique. L’ordre retenu est la longueur décroissante des sourates, la première mise à part, qui est très brève. Si bien que la deuxième est la plus longue tandis que la dernière, la 114è, est la plus courte. S’il en fut ainsi c’est que Dieu l’a voulu. La critique littéraire est également impossible. Le Coran se présente comme ayant été dicté en langue arabe (41, 2-3 et 43, 3). Or, des recherches effectuées par des philologues, malheureusement non musulmans, montrent que ce texte contient des emprunts à d’autres langues sémitiques comme l’araméen et le syriaque.

    Il faut espérer que des musulmans oseront un jour se lancer dans des recherches scientifiques sur tous les aspects relatifs aux origines du Coran et de leur religion. On observe cependant de nos jours une prise de conscience chez certains de leurs intellectuels du fait qu’il y a un mal interne à l’islam et que la crise actuelle, d’une gravité sans précédent, ne trouvera pas de solution tant qu’une autorité reconnue n’aura pas le courage de soutenir d’authentiques travaux scientifiques sur le Coran.

    « Ce n’est pas ça l’islam », entendons-nous régulièrement après un attentat islamique. Les mouvements djihadistes se situent-ils en marge de l’islam ?

    Il est de bon ton d’affirmer que l’islamisme, au sein duquel le djihadisme constitue la forme violente, est étranger à l’islam, qu’il en constitue une perversion ou un accident de l’histoire. Cela est faux. D’ailleurs, jusqu’au XXe siècle, en Occident, la religion des musulmans était appelée « islamisme ». Désormais, on veut distinguer l’islam compris comme religion de l’islamisme compris comme idéologie. Mais les deux dimensions sont étroitement mêlées.

    Le Coran comporte des dizaines de versets dans lesquels Allah demande aux musulmans de combattre, de tuer, d’humilier, etc. Je n’en citerai ici que deux : « Combattez : ceux qui ne croient pas en Dieu et au Jour dernier ; ceux qui ne déclarent pas illicite ce que Dieu et son Prophète ont déclaré illicite ; ceux qui, parmi les gens du Livre [juifs et chrétiens selon le Coran], ne pratiquent pas la vraie religion. Combattez-les jusqu’à ce qu’ils paient directement le tribut après s’être humiliés » (9, 29). Et celui-ci : « Que les incrédules n’espèrent pas l’emporter sur vous ! Ils sont incapables de vous affaiblir. Préparez, pour lutter contre eux, tout ce que vous trouverez de forces et de cavalerie, afin d’effrayer l’ennemi de Dieu et le vôtre » (8, 59-60).

    Les djihadistes se conforment donc à ce qu’ils croient être des ordres divins. Et ils anathématisent ceux qui, parmi leurs coreligionnaires, refusent de pratiquer la violence. Pour eux, ce sont de mauvais musulmans qui méritent donc également la mort.

    On ne doit certes pas enfermer tous les musulmans, pris indistinctement, dans un cadre idéologique légitimant la violence, mais prétendre que les djihadistes trahissent l’islam est une erreur. Le problème est qu’aucune autorité ne peut vraiment les condamner, sauf à considérer le Coran comme condamnable.

    Le concept de taqiya existe-t-il réellement dans l’islam ou est-ce une invention récente ?

    Précisons d’abord le sens de ce mot arabe : taqiya signifie « dissimulation ». Or, là aussi, contrairement à une idée reçue, il ne s’agit pas d’une perversion de l’islam. Certes, le Coran interdit formellement de renoncer à leur religion, sous peine de châtiments divins et de malédictions éternelles (cf. 2, 217 ; 3, 87 ; 4, 115 et 16, 106). Les musulmans ne peuvent donc en principe dissimuler leur identité et travestir leurs croyances. Cependant, le Coran évoque deux types de situations où il est possible, voire recommandé, de pratiquer la taqiya. D’une part, en cas de contrainte extérieure, le musulman peut renier Dieu extérieurement tout en conservant sa croyance dans le cœur (16, 106). D’autre part, en cas de rapports de forces défavorables, lorsque le fait de s’opposer aux infidèles présente du danger, il est possible de prendre ceux-ci pour alliés (3, 28-29) alors qu’en principe cela n’est pas autorisé (3, 118 ; 5, 51 ; 9, 23 ; 60, 13).

    On est loin ici de la doctrine chrétienne, pour laquelle aucun prétexte ne doit servir à dissimuler sa foi en Jésus-Christ ou son identité baptismale, ce qui peut évidemment conduire au martyre.

    Cela dit, historiquement, la taqiya a d’abord été pratiquée dans les communautés minoritaires ou dissidentes (chiites, druzes, alaouites, alévis). Mais aujourd’hui, elle est admise chez les sunnites, surtout lorsque ceux-ci sont en situation de minorités comme c’est le cas en Europe.

    Les catholiques sont invités à imiter le Christ et les saints. Quel modèle Mahomet est-il pour le musulman ? L’islam donne-t-il à ses fidèles d’autres exemples à suivre ?

    Pour les musulmans, Mahomet est le « sceau des prophètes ». « Pas de prophète après moi », aurait-il dit, selon la tradition islamique. Il est donc le plus grand, le préféré d’Allah qui lui a accordé une bénédiction spéciale, et son comportement est édifiant. Toute critique à son égard est dès lors considérée comme blasphématoire. On l’a vu avec les réactions violentes qui ont suivi les caricatures de Mahomet.

    Du fait de cette excellence, cela ordonne de lui obéir car cela revient à obéir à Dieu (3, 132 ; 4, 80). Tout ce que Mahomet a dit, a fait ou n’a pas fait, en telle ou telle circonstance est donc normatif, digne d’imitation. Les récits rapportant tous ses actes, ses recommandations et ses ordres ont été recueillis par des témoins, puis rassemblés dans des volumes qui constituent la Sunna, la tradition prophétique. Celle-ci a tellement d’importance qu’elle est la deuxième source du droit musulman. Elle complète ce qui manque au Coran dans l’ordre législatif. En Occident, on a trop tendance à minimiser l’importance de la Sunna. Ce qui me frappe, c’est que les musulmans savent que Mahomet a tué, a menti et a rusé, a pillé des caravanes, a spolié les juifs de Médine de leurs biens, a été polygame, autrement dit n’a pas eu une vie morale exemplaire. Mais ils ne s’interrogent pas sur son comportement et ne se lancent pas dans une comparaison avec celui de Jésus tel qu’il est rapporté dans les Évangile. Au contraire, le fait que Mahomet ait eu une vie comme celle de nombreux hommes sert l’apologétique islamique : elle permet de montrer que les musulmans ne considèrent pas Mahomet comme un dieu, sous-entendu comme le font les chrétiens avec Jésus.

    Pour l’islam, Jésus n’est qu’un prophète, chargé d’une double mission : apporter l’Évangile pour rectifier les erreurs que les juifs auraient introduites dans la Torah de Moïse, annoncer la venue de Mahomet comme « sceau des prophètes ». C’est en cela qu’il est digne de respect. Mais il n’est ni le Fils de Dieu, ni Rédempteur. Ignorant la réalité du péché originel, l’islam ne conçoit pas la nécessité d’un salut.

    Un personnage occupe une place privilégiée dans le Coran. Il s’agit de Marie, à laquelle la sourate 19, qui porte d’ailleurs son nom, consacre de beaux passages. Certes, son identité est floue car elle est présentée à la fois comme la mère de Jésus et comme la sœur de Moïse et d’Aaron, lesquels avaient bien une sœur portant le nom de Mariam. Mais des générations séparent les deux Marie. Selon le Coran, Marie est honorée pour avoir donné naissance au prophète Jésus, conçu miraculeusement. Sa virginité perpétuelle est également reconnue. Mais, après la naissance de son fils, elle disparaît, on ne parle plus d’elle. Cependant, elle est décrite comme une parfaite musulmane, soumise à Dieu. C’est en cela que les musulmans sont i

  • Macron, an 1: mort et vie du clivage droite-gauche ... Le président a le champ libre : Pour combien de temps ?

    Gouvernement Philippe II, juin 2017. Sipa.

     

    Par Catherine Rouvier

    Voici une intéressante analyse [Causeur, 22.06] sur fond d'Histoire. Elle suscite la réflexion - plutôt que la polémique - comme il convient s'agissant du cas Macron. On discutera tel ou tel point de cet article. D'Histoire, notamment. Mais nous trouvons l'analyse pertinente. Enfin, nous n'oublions pas que Catherine Rouvier a participé à quelques unes de nos réunions en Provence. Et c'est une occasion de la saluer en toute amitié.  LFAR 

     

    sans-titre c r.pngLes historiens du XIXe siècle savent que la France se prend au centre. Emmanuel Macron, fin et érudit, en a tiré les leçons à son profit et a provisoirement effacé le clivage droite-gauche. L'opposition atomisée, il a toutes les clés pour gouverner. Mais gare à ne pas finir comme Napoléon III.  

    La nouvelle Assemblée nationale sortie des urnes le 18 juin ne ressemble pas aux précédentes. Un parti s’étale largement en son centre et relègue ce qui reste de la droite et de la gauche aux marges de l’hémicycle. Emmanuel Macron l’a affirmé : les Français « en ont assez du tic-tac gauche-droite ».On l’imagine bien lors d’un bain de foule se penchant sur un petit garçon et lui promettant, comme Hollande en parlant de Sarkozy : «ce tic-tac, tu ne l’entendras plus». Dans le dictionnaire  du politiquement correct, on pourrait écrire en regard de « clivage droite-gauche » : « dépassé ». C’est l’opinion commune, le nouveau credo.

    Le retour des refoulés

    Qu’en est-il en réalité ? Il en va des divisions droite-gauche comme des différences sexuelles. Plus on les nie, plus elles prennent leur revanche en s’inscrivant dans le réel. Les jeunes filles se démarquent plus que jamais des garçons, avec de longs cheveux lâchés jusqu’au milieu du dos, et les garçons, soucieux de souligner leur virilité, portent la barbe, devenue le signe d’une génération. Et y a-t-il plus à droite que Trump ? Plus à gauche que Mélenchon ?

    Le clivage droite-gauche existe, même si les idéologies en franchissent la cloison aussi allègrement qu’Harry Potter franchit les murs de Poudlard. Même si sa ligne de démarcation, telle l’aiguille de la boussole, bouge au moindre déplacement.

    En France, son contenu initial – monarchistes contre républicains – s’est affaibli au fil du temps, les républicains envahissant peu à peu la totalité du champ politique. La distinction s’est alors faite entre républicains partisans d’une démocratie égalitaire – radicaux, socialistes, communistes – et partisans d’une monarchie républicaine – bonapartistes, orléanistes, gaullistes. Ces derniers ont théoriquement le ralliement plus facile que les premiers à un président « jupitérien » Mais l’extension du domaine d’En Marche qui marque l’Assemblée élue résulte aussi d’un goût profond, irrépressible quoiqu’inavoué, de la gauche, pour l’unanimité. A-t-on jamais vu plus « monarchistes » que ces communistes si longtemps attachés à la personne de Staline, de Mao, de Castro ?

    La gauche unanimiste

    En réalité, la gauche, toujours tentée par l’unanimisme, supporte mieux la dictature que la droite qui aime, comme Montesquieu, que « le pouvoir arrête le pouvoir ». La gauche rêve depuis Rousseau d’une seule assemblée populaire formée de députés auréolés, par la seule grâce de l’élection, d’une capacité d’accès à la mystérieuse « volonté générale ».

    Pour les «marcheurs», les choses sont claires : la volonté du peuple, c’est Macron qui l’incarne, et il est à gauche, « mais en même temps » à droite. Le fond du programme a du reste moins d’importance que l’adhésion à sa personne et son projet, et le projet lui-même importe moins que l’attitude positive, le « penser printemps ».

    Ils ont des visages poupins malgré leurs barbes, des yeux rieurs, ils sourient, se moquent gentiment de leurs interlocuteurs mais aussi d’eux-mêmes, ils ne s’énervent pas, n’insultent pas. Ils ne peuvent être de cette droite à la Guaino qui insulte, ni de cette gauche à la Mélenchon qui engueule. Par ailleurs, ils sont issus des mêmes écoles et sont souvent restés très amis avec leurs condisciples ayant fait un choix partisan différent du leur. La perspective de travailler avec eux au sein d’un gouvernement sans querelles idéologiques leur semble exaltante.

    Et ça tombe bien puisqu’ils l’ont appris à Sciences Po, école où le XIXème siècle qui l’a vu naître est vraiment un sujet d’études : historiquement, la France se prend au centre. Pour couvrir le tic-tac droite-gauche, rien de tel que le bruit déflagrant d’une recomposition à partir du centre.

    Ce que Macron fit de Bayrou

    Macron a fait sienne cette ambition, et a mis à son service une double stratégie : une figure centriste emblématique et un nouvel imaginaire collectif. La figure emblématique du centre, le « transclivages » par excellence, ce fut François Bayrou. Homme politique de droite, catholique, père de famille nombreuse, il a été le seul chef de parti de droite à résister, en 2002, à l’OPA faite par l’UMP naissante sur tous les partis de sa mouvance. Il a gardé son UDF, seul ou presque, et a décidé de faire sentir sa différence, à la fois libérale et sociale, par rapport à l’UMP qui était alors une sorte de RPR gonflé comme une rivière de tous les affluents des partis vassaux. Cette logique séparatiste a assez logiquement débouché en 2012 sur le passage de Bayrou du centre-droit au centre-gauche concrétisé par son soutien affiché à la candidature de François Hollande. Pendant cinq ans, on ne lui en a guère été reconnaissant. Macron a honoré, en le prenant comme ministre d’Etat dans son premier gouvernement, une dette ancienne et, ce faisant, dispose d’un atout maître pour lancer sa recomposition.

    Pour l’imaginaire collectif, Macron a un modèle assumé : Mitterrand. François Mitterrand était l’homme à la francisque. C’était aussi le ministre de la répression en Algérie. Son passé envoyait donc un clin d’œil à la droite la plus nationaliste, celle qui n’aimait pas les « boches » mais pas non plus les « angliches » en 40,  celle qui en voudra toujours à De Gaulle d’avoir « bradé l’Algérie ». Fait prisonnier en Allemagne, il en était ressorti résistant. Résistant, mais pas gaulliste, donc proche des communistes. Deuxième clin d’œil, cette fois-ci à la gauche la plus dure. Enfin, ministre de la IVème république, il ne pouvait  pas ne pas avoir d’accointances avec les milieux radicaux et la gauche intellectuelle la plus raisonnable. C’est ce socle multiple et complexe qui va lui permettre dunir la gauche en 1972 derrière son nom puis, en 1981, de bouter dehors avec la complicité des gaullistes refondés par Chirac son seul véritable antinome : Giscard.

    Cohn-Bendit et Giscard

    Emmanuel Macron a terminé ses études secondaires au prestigieux lycée Henri IV – pépinière de l’Ecole normale supérieure – et avant d’être ministre à Bercy,  a travaillé trois ans à la banque Rothschild. Tout cela n’est pas sans évoquer un certain Pompidou. Par ailleurs, sa formation d’énarque, son libéralisme économique et sociétal, et  son style d’intellectuel bien élevé mêlé à  une volonté de contact direct avec le peuple – il répond lui-même un matin  au standard de l’Elysée, il roule en vélo en famille dans les rues du Touquet – évoquent nettement Valéry Giscard d’Estaing. Enfin l’amitié de Hollande, Ségolène Royal, Le Drian, Ferrand,  est symptomatique de ses bonnes relations avec la gauche “social-démocrate” et sa complicité avec Cohn-Bendit garantit qu’il n’oubliera pas  les écolo-libertaires.

    C’est donc bien assis sur un socle de gauche mais clairement inscrit dans une lignée intellectuelle rappelant ses prédécesseurs de droite gaulliste ou libérale qu’Emmanuel Macron va oser piocher dans l’imaginaire de ses concurrents les plus à droite: Le Puy du Fou, Versailles, Jeanne d’Arc, le Louvre  ce qui viendra utilement compléter son image d’homme de gauche «mais aussi de droite».

    Et le peuple dans tout ça ? Le peuple  a été littéralement soufflé du succès de cette OPA qui lui a enlevé en deux temps trois mouvements tous ses choix, celui d’un socialiste bon teint, Benoît Hamon , celui d’un homme de droite modéré – Fillon – celui du chef d’une gauche révolutionnaire – Mélenchon –  et in fine, celui de la patronne d’un parti anti-immigration et anti-islam pour lequel il avait voté massivement : Marine Le Pen.

     

    Du peuple constitué en foule

    Démuni et orphelin, le peuple français a constitué une “foule” au sens ou l’entend la psychologie collective, c’est-à-dire un groupe qui, sous l’effet d’un choc émotionnel, se trouve dans l’expectative. Cette foule est inconsciemment en quête de mots d’ordre rassurants, et, mieux encore, d’une happy end qui apaiserait les tensions de la très longue campagne de neuf mois des primaires puis de la présidentielle.

    Il était donc conditionné pour aimer Emmanuel Macron. La Bruyère écrivait que «les Français demandent du sérieux dans le souverain». Ce jeune homme impeccablement coiffé et habillé, poli et s’exprimant avec une recherche assez «vieille France» les a attendris. Oublieux assez vite du conditionnement médiatique et des incroyables soutiens financiers qui lui avaient assuré la notoriété, il a pudiquement fermé les yeux sur les banques qui l’ont financé, le quarteron d’octogénaires du gauche caviar et libertaire qui se cache dans son ombre  et sur le  combat déloyal livré à ses candidats via la presse et la justice.

    A J+1 de la présidentielle, le peuple était mûr pour  goûter les manières “jupitériennes” du nouveau Président. Certes, ceux qui restent en colère, furieux de la grandiose manipulation qui a porté si vite un jeune inconnu au pouvoir, auront voté lors des législatives Front national et France Insoumise. Mais le raz-de-marée de LREM correspond au mouvement profond, instinctif et inconscient de la foule au bénéfice du nouveau roi.

    Louis-Napoléon Macron

    Le peuple de France, constant à travers les siècles, retrouve peut-être en lui un cocktail qui l’a déjà séduit lors du premier usage qu’il fit du suffrage universel, en 1848. La période était troublée. Les émeutes de février, puis de juin, avaient effrayé la population, et Tocqueville y avait vu l’acte de naissance en France de ce socialisme révolutionnaire qui la même année triomphait en Grande Bretagne lors du premier congrès communiste international doté par Karl Marx d’un manifeste retentissant.

    Louis-Napoléon Bonaparte proposait un régime présidentiel à l’américaine, formule neuve, non encore testée par la France de la Révolution ni par  celle de l’Empire puis de la Restauration. Cette nouveauté plut. Ce fut  un libéral, un progressiste appliquant à Paris les  dernières trouvailles de l’urbanisme moderne mais aussi un dirigeant social auteur d’un ouvrage sur l’extinction du paupérisme, et d’une loi autorisant la création des  syndicats. Amateur de bonne littérature, de théâtre et de musique, ami de Hugo, de Bizet, il décida de faire de la France , avec des villes dédiées aux bains de mer comme Biarritz, Deauville, Arcachon une destination touristique d’exception.

    Progressisme, libéralisme, apaisement, désir affiché de faire de la France une nation qui compte, une start-up a dit Emmanuel Macron, voilà  un cocktail qui plait. L’ affaire est donc entendue. Mais cela peut-il durer ?

    … renversé par la guerre

    La faveur populaire est versatile. Certes, une résurrection de LR paraît impossible en l’état. Baroin est le moins gaullien des Républicains, et sa difficulté à dire non à Macron n’évoque guère le 18 juin. A part Fillon, désormais parti, les dirigeants de LR ont abandonné ce qui aurait pu donner au gaullisme une vraie force d’opposition: le catholicisme militant et le vieux fond contre-révolutionnaire et monarchiste.

    Certes, pour  contrer Marine Le Pen, une véritable guerre des images a été livrée. Pas une semaine sans couverture de magazine présentant le futur président comme souriant, fin, intelligent, aimable, sérieux, etc. Pas une semaine sans un article ou la “une” d’un quotidien suggérant que Marine le Pen ou ses proches étaient la réincarnation des nazis. Au sein du FN, le rejet explicite de la ligne Marion par la direction du parti et son départ consécutif ont  écarté temporairement le danger de la construction d’un roman national de droite qu’elle était la seule à endosser, mélange  d’héritage chrétien, d’attachement à un libéralisme économique raisonnable, et de défense de l’identité française.

    Bref, pour Macron, le seul véritable risque serait une déstabilisation venue de l’extérieur provoquant ou intensifiant une immense  révolte sociale. En 1870, la guerre menée par les Allemands et la révolte concomitante de la Commune de Paris ont, en quelques semaines, provoqué la chute du Second Empire. Napoléon III avait fait l’erreur de sous-estimer l’adversaire – l’Allemagne de Bismarck – autant que les révoltes sociales contre ce qui était devenu “l’Empire autoritaire”. Il  s’est retrouvé en quelques semaines prisonnier, destitué, puis exilé.

    Quid des Communards ?

    Aujourd’hui, la menace, en France comme en Angleterre et d’autres pays d’Europe,  vient de l’implantation de l’armée des ombres de Daech et autres officines radicales, dans des quartiers entiers de nombreuses villes, passives car tétanisées.

    Par ailleurs, une  extrême gauche désormais écartée du pouvoir, conduite par un Mélenchon ulcéré prêt a faire feu de tout bois, pourrait provoquer cette révolte sociale postélectorale appelée “troisième tour social”. Cette conjonction menacerait la fragile unité de la toute nou

  • Chevènement - Sorel : mener un combat résolu pour continuer la France

     

    Par Alexandre Devecchio 

    C'est un entretien remarquablement intéressant que Malika Sorel et Jean-Pierre Chevènement ont donné au Figaro [16.12]. Pour le nouveau patron de la Fondation de l'islam de France, l'islam politique est d'abord le révélateur du malaise français. Pour l'ancienne ingénieur de l'École polytechnique d'Alger, il s'agit de la menace prioritaire à laquelle la République est confrontée. Chez l'un comme chez l'autre, il y a une authentique visée patriotique, un vrai souci politique, au sens de Boutang, de très justes analyses et sans-doute aussi quelques illusions. Chevènement est de nouveau engagé dans une action d'origine gouvernementale. Malika Sorel est libre de ses jugements. Nous ne commenterons pas davantage. Simplement, nous avons jugé utile de proposer aux lecteurs de Lafautearousseau, familiers des sujets traités, de lire cet entretien. Il émane en tout cas de deux personnalités évidemment patriotes.   LFAR

     

    LE FIGARO. - Jean-Pierre Chevènement, votre dernier livre s'intitule Un défi de civilisation. N'y a-t-il pas davantage lieu de croire à un choc des civilisations ?

    Jean-Pierre CHEVÈNEMENT. -L'idée d'un choc des civilisations a été développée par l'essayiste américain Samuel Huntington en 1994. Celui-ci ne souhaite nullement ce choc mais il en perçoit le risque dans l'univers de la globalisation marqué par l'effondrement des grandes idéologies. Sa définition des différents « blocs de civilisation » (occidental, orthodoxe, confucéen, etc.) est contestable. Même la « civilisation musulmane » est loin d'être homogène : il y a une mosaïque de l'islam traversée par plusieurs courants et différentes écoles. L'échec de la Nahda (la Réforme) n'est pas définitif. L'humanité reste composée de nations et la nation, à mes yeux, reste encore un concept plus opératoire que celui de « bloc de civilisation ».

    Cela dit, l'hypothèse de Huntington, qui apparaissait lointaine en 1994, s'est considérablement rapprochée depuis. L'idée de choc des civilisations a été portée aux États-Unis par les intellectuels néoconservateurs qui, dès la fin des années 1990, ont théorisé l'idée d'un « nouveau siècle américain » fondée sur l'exportation de la démocratie par la force des armes. Ce courant serait resté complètement marginal sans les attentats du 11 Septembre et la réponse totalement inappropriée qu'y a apportée George Bush Jr. Celui-ci a envahi l'Irak, a détruit son État et créé les conditions de l'émergence de Daech. De l'autre côté, le fondamentalisme religieux s'est affirmé. 1979 est l'année charnière. En Iran avec Khomeyni, en Arabie saoudite avec l'occupation des Lieux saints par des extrémistes wahhabites, et en Afghanistan avec l'invasion soviétique et l'organisation d'un premier djihad armant les moudjahidins afghans. De là naîtra après la guerre du Golfe la nébuleuse Al-Qaïda. De part et d'autre, des groupes très minoritaires, au départ, ont ainsi entraîné le Moyen-Orient dans un chaos sans fin. Pour moi, le défi de civilisation n'oppose pas le monde musulman et le monde occidental. Il interpelle et traverse aussi bien l'Occident que l'Orient. Il faut rappeler que les Irakiens, les Afghans ou les Algériens ont payé le plus lourd tribut au terrorisme djihadiste. Il faut offrir un horizon de progrès à des peuples qui ont perdu leurs repères, qui ont l'impression d'aller dans le mur. C'est vrai aussi du peuple français. Il faut ouvrir des voies de réussite et d'élévation économique, sociale, morale, spirituelle. Tel est le défi de notre époque.

    Malika SOREL. - Je partage l'idée que la guerre en Irak a été une faute historique. Cependant, ce conflit à l'intérieur du monde arabo-musulman, mais aussi entre le monde arabo-musulman et l'Europe du fait des flux migratoires, a des racines beaucoup plus lointaines. Les soubresauts avaient commencé bien avant. Ils sont cycliques et s'inscrivent dans le temps long. Dès les années 1920, les Frères musulmans sont revenus en force en Égypte en faisant appel à une dimension de l'inconscient collectif dans les sociétés arabo-musulmanes : l'aspiration au retour d'un grand califat qui est associé à la nostalgie d'une époque glorieuse. Il ne faut pas nier l'influence souterraine des islamistes. Influence qui a débouché notamment sur la guerre civile en Algérie dans les années 1990.

    L'idée de choc des civilisations et celle de défi de civilisation ne sont pas incompatibles. Dès 2003, Hubert Védrine lançait un appel : « Plutôt que de nous offusquer de cette théorie du choc des civilisations, trouvons les moyens d'en sortir. Il ajoutait, et ce sont ses mots, que « ce choc a commencé il y a longtemps, qu'il se poursuit sous nos yeux et qu'il peut s'aggraver. (…) Que les racines du choc Islam-Occident plongent profondément dans l’histoire ». D'où un certain nombre de recommandations qu'il formulait pour que l'on puisse en sortir. Le livre de Jean-Pierre Chevènement évoque un défi de civilisation et c'est vrai que nous nous retrouvons, par la faute de nos élites de commandement, confrontés à un défi majeur, celui de la continuité historique de la France et de son peuple. Les principes républicains, qui sont la synthèse des us, coutumes et traditions hérités de l'histoire politique et culturelle des Français, ont été pris comme variables d'ajustement. Chacun des principes qui composent la devise républicaine a été retourné contre la France elle-même.

    L'islam politique est-il la cause première de la décomposition française ou un symptôme parmi d'autres ?

    M.S.- De nombreux éléments ont favorisé cette décomposition française. C'est donc une erreur d'analyse, ou presque, que de tout mettre sur le dos de la globalisation qui a simplement joué le rôle d'accélérateur, vu que cette globalisation a abattu les frontières et érigé en dogme la libre circulation des biens, des flux financiers et des personnes. À présent que le résultat s'étale sous nos yeux, on comprend bien que cela a servi les intérêts des tenants d'un libéralisme devenu fou. Cette libre circulation a également servi les intérêts de tous ceux qui souhaitaient fondre les peuples européens afin qu'ils n'en forment plus qu'un, et que puisse enfin s'établir à sa tête un gouvernement unique. Les nations constituaient l'obstacle majeur à ce projet. C'est pourquoi elles ont été méthodiquement dessaisies de la plupart des leviers de leur souveraineté, comme le développe très bien Jean-Pierre Chevènement dans son ouvrage. L'immigration de cultures extra-européennes a constitué, malgré elle, un merveilleux outil aux mains des apprentis sorciers européens.

    J.-P. C. - La crise des élites françaises a ses racines lointaines dans la Première Guerre mondiale dont la France est sortie affaiblie par la mort d'un million cinq cent mille jeunes gens, avec trois millions d'invalides et de blessés, des centaines de milliers de veuves et d'orphelins. Dans un essai intitulé Mesure de la France paru en 1922, Drieu la Rochelle écrit : « Qu’elle est devenue petite ma patrie ! Elle croit avoir gagné la guerre, mais en réalité cette guerre n'est pas celle qui nous opposait aux Allemands dans les tranchés de L'Argonne, c'était d'abord la guerre pour l'hégémonie mondiale entre l'Empire britannique et le Second Reich allemand. ». Nos élites dans l'entre-deux-guerres ne voulaient plus de nouvelle guerre avec l'Allemagne. La droite et la gauche étaient également gangrenées par le pacifisme. La France a perdu confiance en elle-même. Là est l'origine du grand effondrement de 1940. Ainsi comme le décrit Marc Bloch, dans L'Étrange Défaite, nos généraux parlaient-ils déjà de capitulation quinze jours à peine après la percée de Sedan. Nous vivons aujourd'hui une réplique de cette étrange défaite. Les raisons de la crise de confiance de la France en elle-même sont à chercher beaucoup plus loin dans le passé que ne le fait Malika Sorel. Elles ne remontent pas qu'au regroupement familial dans les années 1970 coïncidant avec la montée du chômage. La France en 1974 ne se voit déjà plus que comme «1 % de la population mondiale ».

    Dans le débat qui oppose les tenants de l'intégration et ceux de l'assimilation, où vous situez-vous ?

    J.-P. C. - Le mot d'assimilation figure dans le Code civil. Je préfère cependant le mot d'intégration à la communauté nationale. Celle-ci suppose la maîtrise des codes sociaux qui permet l'exercice des libertés dans la République. Bien sûr, les étrangers qui acquièrent la nationalité française ont le droit de conserver leur quant-à-soi. Ils peuvent parler leur langue à la maison, bien que cela ne soit pas forcément souhaitable. J'entends encore Robert Badinter m'expliquer que son père interdisait le russe dans la famille parce que ce n'était pas la meilleure manière de s'intégrer à la France. La France a toujours accepté des apports extérieurs, mais à condition qu'ils préservent sa personnalité qui, elle, doit demeurer. Il y a incontestablement des formes de communautarisme agressives. La République ne peut pas accepter que des petites filles soient voilées à l'âge de 6 ou 7 ans. Nos élites ont négligé les conséquences qu'allait avoir un chômage de masse dans des quartiers où ont été concentrées des populations d'origine étrangère. La politique de rénovation urbaine telle qu'elle a été impulsée par Jean-Louis Borloo et Nicolas Sarkozy a certes modifié le visage de beaucoup de quartiers. Mais il ne suffit pas d'agir sur le béton. Il faut agir aussi sur ce qu'il y a dans les têtes. C'est la mission de l'École. La concentration des élèves dans certaines zones et le fait qu'ils ne maîtrisent pas le français dès les petites classes rendent très difficile leur progression ultérieure. Là sont les principales racines de l'échec scolaire, dès l'école primaire.

    M.S. - La politique de la ville a surtout consisté en un ravalement de façade. Or, le défi de l'intégration est d'ordre culturel et non économique. D'après les chiffres de l'Uclat, 67 % des jeunes candidats au djihad sont issus des classes moyennes, 17 % sont même issus de catégories socioprofessionnelles supérieures. Comment continuer à penser que c'est une question de moyens et qu'il faut donner davantage ! Ce discours est un piège pour les enfants de l'immigration. Il nourrit leur ressentiment contre la société d'accueil. La langue pratiquée au sein des familles a un rôle dans l'acceptation ou le refus d'intégration. Lorsque j'ai vécu mes dix premières années en France, j'ai vécu à l'heure française. Mes parents s'astreignaient à parler français, malgré leurs difficultés, y compris à la maison. J'ai appris que j'étais d'origine arabe lorsque je suis allée pour la première fois en Algérie. En France, mes parents m'ont laissée me nourrir au lait de la République. Ce n'est plus le cas aujourd'hui à cause de l'explosion des flux migratoires et de l'évolution vers le multiculturalisme ainsi que vers une forme d'indifférence et de relativisme. L'assimilation ne se décrète pas. Il faut respecter la décision des personnes et aussi en tenir compte. C'est d'ailleurs ce que le Code civil prévoit, puisque « nul ne peut être naturalisé s'il ne justifie de son assimilation à la communauté française ». C'est la condition pour pouvoir maintenir un corps politique. Sans cela, la nation est appelée à s'effondrer.

    Quelle est la ligne de crête pour éviter l'embrasement du pays ?

    J.-P. C. - Ce que nous avons devant nous est un combat résolu pour continuer la France. C'est difficile, mais j'ai des raisons de ne pas être trop pessimiste. Même après soixante-dix ans de paix, alors que le patriotisme semblait s'être effacé, il connaît aujourd'hui un regain manifeste. On sent que la société française tient à ses valeurs et à leur perpétuation. La France va au-devant de secousses depuis longtemps prévisibles, mais elle peut en tirer le meilleur et pas seulement le pire. Le civisme se manifestera à tous les niveaux, y compris et peut-être d'abord chez les Français de culture musulmane. Si nous prenons la population d'origine maghrébine, une moitié se trouve assez bien intégrée, l'autre très insuffisamment. Il faut bien sûr être vigilant, mais ne nourrissons pas un pessimisme systématique. Il y a sept cents djihadistes français en Syrie, et il est légitime de redouter leur retour. Mais il faut mettre en regard de ce chiffre les dix mille soldats de tradition musulmane qui servent aujourd'hui dans l'armée française. Partout je vois émerger chez nos concitoyens de tradition musulmane des élites républicaines. C'est cela qu'il faut encourager. Il y a quatre à cinq millions de musulmans en France, pour la plupart de nationalité française. Il faut en faire des citoyens ! Je crois à la puissance de la société d'accueil dès lors qu'elle s'aime assez pour devenir attractive pour les autres. Quels que soient les réticences et les rejets, elle finira par s'exercer. Pour cela, il faut revenir aux sources de la République. Malika Sorel, elle-même, apporte un vivant démenti aux prophètes d'un malheur inéluctable.

    M.S. - J'estime pour ma part que la situation est extrêmement grave et qu'on ne pourra pas s'en sortir en se contentant de dire que la majorité s'intègre, ni en s'en tenant à des considérations d'optimisme ou de pessimisme. Dès 1981, Georges Marchais souhaitait « stopper l'immigration officielle et clandestine ». Il faut à tout le moins considérablement réduire les entrées. C'est la première des mesures à adopter. De même, pour ne pas perdre définitivement la main sur la formation des futurs citoyens, il nous faut empêcher la libéralisation de nos écoles. Il nous faut aussi créer les conditions du renouvellement des élites, car notre système politique est bloqué et cela fait peser de lourdes menaces sur notre démocratie. Il est fondamental de supprimer la Commission européenne pour la remplacer par un gouvernement des chefs d'État et de gouvernement, car il nous faut, peu à peu, réactiver le principe de subsidiarité qui nous permettra de faire revenir en France des leviers de notre souveraineté perdue. Mais rien de tout cela ne sera possible si nous ne trouvons pas le moyen d'imposer que soit respectée «la libre communication des pensées et des opinions » qui est « un des droits les plus précieux de l’homme », comme le stipule la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. C'est un enjeu décisif, car c'est lui qui permettra enfin aux Français de ne plus avoir peur d'exprimer ce qu'ils sont. 

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    Alexandre Devecchio

  • Passionnant entretien de Péroncel-Hugoz dans le mensuel islamo-gauchiste marocain Din wa Dunia (Religion & Monde)

     

    « L'Etat est par définition un monstre froid, seule peut l'humaniser une famille royale digne. »

    JEAN-PIERRE PÉRONCEL-HUGOZ Journaliste, écrivain et essayiste de renom, membre de la Société des rédacteurs du journal Le Monde et ancien correspondant du célèbre quotidien français en Egypte, en Algérie et au Liban, Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, 77 ans, partage aujourd'hui sa vie entre la France et le Maroc. Ce grand connaisseur du monde arabo-musulman et du Maroc est l'auteur de nombreux essais sur les pays du Sud et a édité quelques 70 ouvrages d'auteurs tiers autour notamment de l'histoire de France et des anciennes colonies européennes. Rencontre avec une encyclopédie vivante.

    PROPOS RECUEILLIS PAR JAOUAD MDIDECHDÎN WA DUNIA N°21-22 • AOÛT-SEPTEMBRE 2017

    Untitled_Page_2 - Copie.jpgDepuis Le Radeau de Mahomet, paru en 1983, et jusqu'à présent, dans vos écrits, on ressent une certaine peur de l'Islam, comme d'ailleurs chez d'autres intellectuels occidentaux. Cette religion est-elle si dangereuse que cela ?

    D'abord, permettez-moi de préciser qu'à mon sens, l'Islam n'est pas seulement une religion mais aussi une idéologie, un droit, une vision du monde, une façon de vivre, en somme un tout difficile à scinder. Par ailleurs si, depuis un quart de siècle, la grande majorité des attentats meurtriers commis à travers la planète étaient le fait, par exemple, de bouddhistes ou d'esquimaux, même si tous les membres de ces catégories n'étaient pas des terroristes, les gens auraient tous plus ou moins peur des Esquimaux ou des Bouddhistes... La peur est une réaction spontanée qui ne se commande pas. On peut seulement la nier et c'est ce que font bon nombre d'élites occidentales au nom du « pas d'Islamalgame ! », mais la méfiance demeure au fond d'eux-mêmes contre l'ensemble de l'Oumma. Certains Européens, qui n'osent parler que de « terrorisme », sans le définir, doivent avoir honte de leur pusillanimité quand ils entendent l'écrivain algérien Boualem Sansal fulminer contre les « djihadistes » ou le roi du Maroc, dans son discours du 20 août 2016, dénier la qualité même de musulmans aux auteurs de crimes anti-chrétiens, en France ou ailleurs.

    En dehors des tueries, une autre raison nourrit de longue date craintes et doutes à l'égard de l'Islam : c'est le sort discriminatoire que celui-ci réserve en général aux non-mahométans, même reconnus comme « Gens du Livre », à l'instar des chrétiens d'Orient. Pour les chrétiens du Maroc, cette dhimmitude, car c'est de ce statut inférieur qu'il s'agit, n'existe pas dans la mesure où ces chrétiens ne sont pas autochtones, ont le statut d'étrangers et seraient sans doute défendus, si besoin était, par leurs pays d'origine. Néanmoins, tout chrétien, croyant ou pas, qui veut, en terre islamique, Maroc inclus, épouser une musulmane, est obligé de se convertir d'abord à l'Islam ! Imaginez qu'une telle contrainte existe dans un Etat chrétien, et aussitôt on défilerait un peu partout contre cet Etat qu'on accuserait d'être « anti-musulman ».

    Pourtant vous travaillez au Maroc. L'Islam marocain vous fait-il moins peur ?

    En effet, je travaille au Maroc depuis plus de 10 ans, et auparavant j'y vins pour des dizaines de reportages sous le règne de Hassan II. Je me sens davantage en sécurité ici qu'en France, où la police est plus laxiste. Ce fut un peu la même situation dans d'autres nations mahométanes, comme l'Egypte, où j'ai longtemps travaillé pour Le Monde. L'art de vivre, l'hygiène de vie des Arabo-turco-persans me conviennent mieux que l'american way of life. Leur confiance en Dieu, leur optimisme foncier, leur patience dans l'adversité m'impressionnent ; étant en outre originaire d'un continent où règnent aujourd'hui l'incroyance et la confusion des genres, j'apprécie les sociétés où demeure en vigueur la loi naturelle, c'est-à-dire tout simplement que les hommes y sont des hommes et les femmes des femmes. Last but not least, les sociétés musulmanes, contrairement aux sociétés occidentales, continuent d'honorer les notions de décence et de pudeur — Lhya, hchouma, âoura —, valeurs auxquelles je reste attaché. Ce contexte m'a permis de vivre jusqu'ici en harmonie parmi des musulmans. Du moment qu'on admet l'existence d'Orientaux occidentalisés, il faut reconnaître qu'il y a également des Occidentaux orientalisés, qui ne sont pas toujours islamisés pour autant. Je peux très bien comprendre, cependant, que la jeune convertie russe, Isabelle Eberhardt (1)jadis, se soit bien sentie « dans l'ombre chaude de l'Islam » ...

    Cependant, il existe une haute civilisation musulmane, avec ses grands hommes. Et de tout temps, il y a eu du fondamentalisme, même au sein des deux autres religions monothéistes, non ?

    boumédienne-hassan ii.jpgMême mes pires détracteurs, je crois, reconnaissent que je n'ai cessé, tout au long de mes reportages et de mes livres, de décrire les réussites historiques des cultures islamiques, de l'Indus au Sénégal via le Nil ou la Moulouya, sans m'interdire pour autant de critiquer ce qui me paraissait devoir l'être car, selon le mot de Beaumarchais, « sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur ». Hélas, cette civilisation musulmane a peu à peu décliné jusqu'à ne plus vivre que de ses souvenirs ; et si elle est en train de renaître à présent, je crains que ce ne soit sous une forme politico-religieuse radicale qui a déjà commis de nombreux dégâts...Quant aux autres « fondamentalismes », ils font bien pâle figure de nos jours, sauf peut-être, il est vrai, sous forme d'interventions militaires euro-américaines en pays d'Islam. Et c'est d'ailleurs pour cela que, tel le philosophe français indépendant Michel Onfray, j'ai toujours été hostile aux expéditions occidentales, notamment françaises, à l'étranger, sauf ponctuellement lorsqu'il s'agit uniquement de sauver nos ressortissants. La comparaison entre les attentats islamistes aveugles et nos bombardements anti-djihadistes qui tuent également des civils au Levant, en Libye ou en Afrique noire, n'est pas du tout infondée. Il faut laisser les Musulmans vider entre eux leurs querelles, tout en leur proposant évidemment nos bons offices diplomatiques.

    Estimez-vous qu'aucune cohabitation n'est possible entre Islam et laïcité française ? La démocratie en Europe est-elle si fragile ?

    Cette « cohabitation », d'ailleurs pas toujours harmonieuse, existe de facto et certains Etats européens ont fourni de grands efforts pour donner de la place aux musulmans venus s'installer chez eux. Deux des principales villes d'Europe, Londres et Rotterdam, ont des maires musulmans. En France, la liste est longue des musulmans occupant ou ayant occupé des positions de premier plan dans maints domaines : le benjamin du premier gouvernement de la présidence Macron est un jeune Marocain spécialiste du numérique ; l'acteur le plus populaire en France, et le mieux rémunéré, est aussi marocain. Le principal prix littéraire parisien est allé deux fois à des Marocains, etc. Quand on pense qu'en Egypte, le plus brillant diplomate du monde arabe au 20e  siècle, Boutros Boutros-Ghali, n'a jamais pu être ministre des Affaires étrangères à part entière, à cause de sa qualité de chrétien indigène ! Quant à la fameuse démocratie, dont Churchill disait qu'elle est « le pire des systèmes, à l'exception de tous les autres », je me demande si beaucoup de musulmans ont envie de la voir s'installer en Islam, du moins sous sa forme européenne actuelle. Car il faut avoir à l'esprit que la démocratie signifie la primauté des lois conçues par les hommes sur la loi divine, à laquelle l'immense majorité des croyants mahométans paraissent prioritairement attachés. Au Maroc par exemple, tout le monde sait que le peuple n'a aucune considération pour les politiciens et pour la plupart des partis politiques, et bien des Marocains ne craignent pas de dire qu'il vaudrait mieux augmenter les pouvoirs de Sa Majesté chérifienne plutôt que de les diminuer.

    Vous êtes un monarchiste invétéré : la royauté apporterait-elle, à votre avis, plus de sécurité, de liberté, de bonheur que la république ?

    Je suis royaliste comme on respire, à la fois de conviction, de tradition et de raison, mais je le suis pour .la France, comme le furent Lyautey ou De Gaulle. Car pour les autres nations cela n'est pas mon affaire, même si j'aime à voir fonctionner la monarchie exécutive marocaine de manière tellement plus efficace, plus moderne et en même temps plus authentique que la république algérienne voisine, où je fus correspondant du Monde sous la dictature militaire de Houari Boumédiène (2). L'Etat est, par définition, un « monstre froid ». Seule peut l'humaniser une famille royale, incarnant la pérennité nationale, et à condition, bien sûr, que cette famille soit digne. Sous le monarque marocain actuel, l'affection populaire qui s'élève vers lui semble parfois, du moins pour les observateurs occidentaux, franchir la limite du rationnel. Mohamed VI, en effet, malgré ses efforts et sa bonne volonté, n'a pas encore réussi à régler les deux principaux problèmes qui se posent au Maroc depuis des décennies : les karyane ou bidonvilles d'une part ; l'imbroglio saharien, d'autre part, dû surtout, il est vrai, à la jalousie de l'Algérie pour les progrès d'un Maroc pourtant moins riche qu'elle.

    Au sujet du match République-Royauté, feu l'opposant marxiste à Hassan II, Abraham Serfaty, répondait que « l'Histoire avait prouvé la supériorité des républiques ». Eh bien non justement, car, comme disait Lénine « les faits sont têtus », et le 20e siècle, sans remonter plus loin, a vu les plus grands crimes contre les peuples, être le fait, comme par hasard, de deux républiques, celle d'Hitler et celle de Staline...

    Existe-t-il, selon vous, un point faible pouvant expliquer, du moins en partie, les problématiques liées actuellement à l'Islam ?

    J'ai parfois l'impression que nombre de musulmans, adossés à leur certitude coranique d'être « la meilleure des communautés » et à leur dogme égocentrique selon lequel seuls les fidèles de Mahomet pourront entrer au Paradis, se trouvent ainsi dispensés d'être soumis à la critique ou à l'autocritique. En 1987, je rencontrai en France un opposant alors quasi inconnu au régime tunisien, le docteur Moncef Marzouki, qui me séduisit par l'audace critique d'un texte intitulé Arabes si vous parliez ... Je le publiai et ce fut un succès à Paris, Bruxelles ou Genève. Ce livre est une charge puissante et argumentée, par un Arabe contre les Arabes, trop enclins à trouver ailleurs que chez eux, par exemple chez les anciens colonisateurs européens, des responsables à leurs maux contemporains. En 2011, par un retournement politique inattendu, Si Moncef devint le chef de l'Etat tunisien. En accord avec lui, je décidai de republier sans y changer un mot Arabes si vous parliez..., à Casablanca cette fois-ci. Ce texte, qui repose sur l'idée que « l’autocritique est l'autre nom de la maturité », fut cette fois un échec éditorial, surtout en Tunisie... Disons quand même, à la décharge des musulmans, que les menaces des djihadistes contre ceux des « vrais croyants » qui seraient tentés par l'autocritique, peuvent expliquer les silences actuels de l'Oumm (3). En juin 1992, au Caire, Farag Foda, musulman modéré et éminent acteur de la société civile (4), osa réprouver publiquement les traitements discriminatoires dont sont traditionnellement victimes les Coptes, chrétiens autochtones. Très vite, Foda fut abattu devant son domicile par un commando djihadiste (5), après avoir été qualifié, rien que ça, d’ « ennemi de l'Islam », simplement pour avoir pointé une situation scandaleuse, mais que personne, parmi les musulmans de l'époque, n'avait jusqu'alors osé dénoncer en public.

    « Un seul juste dans le pèlerinage rachète tout le pèlerinage ! » Est-ce que ce hadith prêté jadis à Mahomet peut s'appliquer à Marzouki ou à Foda ? C'est à leurs coreligionnaires de répondre. Et d'agir. Sinon, les gens d'Al Qaïda, de Boko Haram et de Daech risquent de s'imposer un peu partout...  

     

    1. Ecrivaine suisse (de parents d'origine russe et devenue française par mariage avec Slimane Ehni) née en 1877 et installée en Algérie à partir de 1897, où elle vécut au milieu de la population musulmane. Ses récits de la société algérienne au temps de la colonisation française seront publiés après sa mort, survenue le 21 octobre 1904 durant la crue d'un oued à Aïn Sefra (nord-ouest de l'Algérie).

    2. Houari Boumédiène (1932-1978) : chef de l'État-major général de l'Armée de libération nationale de 1959 à 1962, puis ministre de la défense de Ben Bella, il devient président du Conseil de la Révolution (et chef de l'État) le 20 juin 1965 suite à un coup d'Etat, et président de la république algérienne du 10 décembre 1976 jusqu'à son décès le 27 décembre 1978. Aucune opposition politique n'était autorisée sous son règne, Boumédiène cumulait les fonctions de président, premier ministre, ministre de la Défense et président du FLN, alors parti unique.

    3. Oumma, du mot arabe « oum », mère, la communauté universelle des musulmans.

    4. Farag Foda (1946-1992) : professeur d'agronomie, il était également écrivain, journaliste et militait en faveur des droits humains et de la sécularisation de l'Egypte.

    5. L'assassinat, perpétré le 8 juin 1992, a été revendiqué par le groupe salafiste Gamaa al-Islamiya, en référence à la fatwa d'al-Azhar du 3 juin de la même année, accusant Farag Foda d'être un ennemi de l'islam. Huit des treize accusés sont acquittés et d'autres relâchés en 2012 sur ordre du président Mohamed Morsi.

  • « Le maurrassisme la pire des insultes à l'encontre de l'Eglise catholique » ? Lisez donc Maurras, Tillinac !

     

    Maurras s'explique ici, avec une hauteur et une ampleur de vue qui devrait faire rougir de honte l'auteur de l'accusation reprise en titre*. Il s'explique sur le grand respect, la sourde tendresse, la profonde affection qu'il voue - et avec lui toute l'Action française, croyants ou non - à la religion catholique. En ce temps là comme au nôtre, cet attachement - rendu pourtant parfois fort difficile par tels des revirements, des évolutions, ou des prises de position de l'Eglise - a toujours fait l'objet d'une sorte de critique catholique - venue de milieux bien déterminés - suspectant sa sincérité ou ses motivations supposées. Cette même mouvance s'employait par ailleurs, à combattre simultanément tout ce qui, dans l'Eglise pouvait relever de la Tradition. Nous n'ajouterons pas à la longueur de ce superbe texte. Il sera l'un de nos grands textesLafautearousseau

    * Denis Tillinac - Famille chrétienne, 28.04.2016

     

    I

    maurras_democratie_religieuse_1978_vignette.pngOn se trompe souvent sur le sens et sur la nature des raisons pour lesquelles certains esprits irréligieux ou sans croyance religieuse ont voué au Catholicisme un grand respect mêlé d'une sourde tendresse et d'une profonde affection. — C'est de la politique, dit-on souvent. Et l'on ajoute : — Simple goût de l'autorité. On poursuit quelquefois : — Vous désirez une religion pour le peuple… Sans souscrire à d'aussi sommaires inepties, les plus modérés se souviennent d'un propos de M. Brunetière : « L'Église catholique est un gouvernement », et concluent : vous aimez ce gouvernement fort.

    Tout cela est frivole, pour ne pas dire plus. Quelque étendue que l'on accorde au terme de gouvernement, en quelque sens extrême qu'on le reçoive, il sera toujours débordé par la plénitude du grand être moral auquel s'élève la pensée quand la bouche prononce le nom de l'Église de Rome. Elle est sans doute un gouvernement, elle est aussi mille autres choses. Le vieillard en vêtements blancs qui siège au sommet du système catholique peut ressembler aux princes du sceptre et de l'épée quand il tranche et sépare, quand il rejette ou qu'il fulmine ; mais la plupart du temps son autorité participe de la fonction pacifique du chef de chœur quand il bat la mesure d'un chant que ses choristes conçoivent comme lui, en même temps que lui. La règle extérieure n'épuise pas la notion du Catholicisme, et c'est lui qui passe infiniment cette règle. Mais où la règle cesse, l'harmonie est loin de cesser. Elle s'amplifie au contraire. Sans consister toujours en une obédience, le Catholicisme est partout un ordre. C'est à la notion la plus générale de l'ordre que cette essence religieuse correspond pour ses admirateurs du dehors.

    image.jpgIl ne faut donc pas s'arrêter à la seule hiérarchie visible des personnes et des fonctions. Ces gradins successifs sur lesquels s'échelonne la majestueuse série des juridictions font déjà pressentir les distinctions et les classements que le Catholicisme a su introduire ou raffermir dans la vie de l'esprit et l'intelligence du monde. Les constantes maximes qui distribuent les rangs dans sa propre organisation se retrouvent dans la rigueur des choix critiques, des préférences raisonnées que la logique de son dogme suggère aux plus libres fidèles. Tout ce que pense l'homme reçoit, du jugement et du sentiment de l'Église, place proportionnelle au degré d'importance, d'utilité ou de bonté. Le nombre de ces désignations électives est trop élevé, leur qualification est trop minutieuse, motivée trop subtilement, pour qu'il ne semble pas toujours assez facile d'y contester, avec une apparence de raison, quelque point de détail. Où l'Église prend sa revanche, où tous ses avantages reconquièrent leur force, c'est lorsqu'on en revient à considérer les ensembles. Rien au monde n'est comparable à ce corps de principes si généraux, de coutumes si souples, soumis à la même pensée, et tel enfin que ceux qui consentirent à l'admettre n'ont jamais pu se plaindre sérieusement d'avoir erré par ignorance et faute de savoir au juste ce qu'ils devaient. La conscience humaine, dont le plus grand malheur est peut-être l'incertitude, salue ici le temple des définitions du devoir.

    Cet ordre intellectuel n'a rien de stérile. Ses bienfaits rejoignent la vie pratique. Son génie prévoyant guide et soutient la volonté, l'ayant pressentie avant l'acte, dès l'intention en germe, et même au premier jet naissant du vœu et du désir. Par d'insinuantes manœuvres ou des exercices violents répétés d'âge en âge pour assouplir ou pour dompter, la vie morale est prise à sa source, captée, orientée et même conduite, comme par la main d'un artiste supérieur.

    Pareille discipline des puissances du cœur doit descendre au delà du cœur. Quiconque se prévaut de l'origine catholique en a gardé un corps ondoyé et trempé d'habitudes profondes qui sont symbolisées par l'action de l'encens, du sel ou du chrême sacrés, mais qui déterminent des influences et des modifications radicales. De là est née cette sensibilité catholique, la plus étendue et la plus vibrante du monde moderne, parce qu'elle provient de l'idée d'un ordre imposé à tout. Qui dit ordre dit accumulation et distribution de richesses : moralement, réserve de puissance et de sympathie.

    II

    On pourrait expliquer l'insigne merveille de la sensibilité catholique par les seules vertus d'une prédication de fraternité et d'amour, si la fraternité et l'amour n'avaient produit des résultats assez contraires quand on les a prêchés hors du catholicisme. N'oublions pas que plus d'une fois dans l'histoire il arriva de proposer « la fraternité ou la mort » et que le catholicisme a toujours imposé la fraternité sans l'armer de la plus légère menace : lorsqu'il s'est montré rigoureux ou sévère jusqu'à la mort, c'est de justice ou de salut social qu'il s'est prévalu, non d'amour. Le trait le plus marquant de la prédication catholique est d'avoir préservé la philanthropie de ses propres vertiges, et défendu l'amour contre la logique de son excès. Dans l'intérêt d'une passion qui tend bien au sublime, mais dont la nature est aussi de s'aigrir et de se tourner en haine aussitôt qu'on lui permet d'être la maîtresse, le catholicisme a forgé à l'amour les plus nobles freins, sans l'altérer ni l'opprimer.

    Par une opération comparable aux chefs-d'œuvre de la plus haute poésie, les sentiments furent pliés aux divisions et aux nombres de la Pensée ; ce qui était aveugle en reçut des yeux vigilants ; le cœur humain, qui est aussi prompt aux artifices du sophisme qu'à la brutalité du simple état sauvage, se trouva redressé en même temps qu'éclairé.

    Un pareil travail d'ennoblissement opéré sur l'âme sensible par l'âme raisonnable était d'une nécessité d'autant plus vive que la puissance de sentir semble avoir redoublé depuis l'ère moderne. « Dieu est tout amour », disait-on. Que serait devenu le monde si, retournant les termes de ce principe, on eût tiré de là que « tout amour est Dieu » ? Bien des âmes que la tendresse de l'évangile touche, inclinent à la flatteuse erreur de ce panthéisme qui, égalisant tous les actes, confondant tous les êtres, légitime et avilit tout. Si elle eût triomphé, un peu de temps aurait suffi pour détruire l'épargne des plus belles générations de l'humanité. Mais elle a été combattue par l'enseignement et l'éducation que donnait l'Église : — Tout amour n'est pas Dieu, tout amour est « DE DIEU ». Les croyants durent formuler, sous peine de retranchement, cette distinction vénérable, qui sauve encore l'Occident de ceux que Macaulay 2 appelle les barbares d'en bas.

    Aux plus beaux mouvements de l'âme, l'Église répéta comme un dogme de foi : « Vous n'êtes pas des dieux ». À la plus belle âme elle-même : « Vous n'êtes pas un Dieu non plus ». En rappelant le membre à la notion du corps, la partie à l'idée et à l'observance du tout, les avis de l'Église éloignèrent l'individu de l'autel qu'un fol amour-propre lui proposait tout bas de s'édifier à lui-même ; ils lui représentèrent combien d'êtres et d'hommes, existant près de lui, méritaient d'être considérés avec lui : — n'étant pas seul au monde, tu ne fais pas la loi du monde, ni seulement ta propre loi. Ce sage et dur rappel à la vue des choses réelles ne fut tant écouté que parce qu'il venait de l'Église même. La meilleure amie de chaque homme, la bienfaitrice commune du genre humain, sans cesse inclinée sur les âmes pour les cultiver, les polir et les perfectionner, pouvait leur interdire de se choisir pour centre.

    Elle leur montrait ce point dangereux de tous les progrès obtenus ou désirés par elle. L'apothéose de l'individu abstrait se trouvait ainsi réprouvée par l'institution la plus secourable à tout individu vivant. L'individualisme était exclu au nom du plus large amour des personnes, et ceux-là mêmes qu'entre tous les hommes elle appelait, avec une dilection profonde, les humbles, recevaient d'elle un traitement de privilège, à la condition très précise de ne point tirer de leur humilité un orgueil, ni de la sujétion le principe de la révolte.


    La douce main qu'elle leur tend n'est point destinée à leur bander les yeux. Elle peut s'efforcer de corriger l'effet d'une vérité âpre. Elle ne cherche pas à la nier ni à la remplacer par de vides fictions. Ce qui est : voilà le principe de toute charitable sagesse. On peut désirer autre chose. Il faut d'abord savoir cela. Puisque le système du monde veut que les plus sérieuses garanties de tous les « droits des humbles » ou leurs plus sûres chances de bien et de salut soient liées au salut et au bien des puissants, l'Église n'encombre pas cette vérité de contestations superflues. S'il y a des puissants féroces, elle les adoucit, pour que le bien de la puissance qui est en eux donne tous ses fruits ; s'ils sont bons, elle fortifie leur autorité en l'utilisant pour ses vues, loin d'en relâcher la précieuse consistance. Il faudrait se conduire tout autrement si notre univers était construit d'autre sorte et si l'on pouvait y obtenir des progrès d'une autre façon. Mais tel est l'ordre. Il faut le connaître si l'on veut utiliser un seul de ses éléments. Se conformer à l'ordre abrège et facilite l'œuvre. Contredire ou discuter l'ordre est perdre son temps. Le catholicisme n'a jamais usé ses puissances contre des statuts éternels ; il a renouvelé la face de la terre par un effort d'enthousiasme soutenu et mis en valeur au moyen d'un parfait bon sens. Les réformateurs radicaux et les amateurs de révolution n'ont pas manqué de lui conseiller une autre conduite, en le raillant amèrement de tant de précautions. Mais il les a tranquillement excommuniés un par un.

    III

    L'Église catholique, l'Église de l'Ordre, c'étaient pour beaucoup d'entre nous deux termes si évidemment synonymes qu'il arrivait de dire : « un livre catholique » pour désigner un beau livre, classique, composé en conformité avec la raison universelle et la coutume séculaire du monde civilisé ; au lieu qu'un « livre protestant » nous désignait tout au contraire des sauvageons sans race, dont les auteurs, non dépourvus de tout génie personnel, apparaissaient des révoltés ou des incultes. Un peu de réflexion nous avait aisément délivrés des contradictions possibles établies par l'histoire et la philosophie romantiques entre le catholicisme du Moyen-Âge et celui de la Renaissance. Nous cessions d'opposer ces deux périodes, ne pouvant raisonnablement reconnaître de différences bien profondes entre le génie religieux qui s'était montré accueillant pour Aristote et pour Virgile et celui qui reçut un peu plus tard, dans une mesure à peine plus forte, les influences d'Homère et de Phidias. Nous admirions quelle inimitié ardente, austère, implacable, ont montrée aux œuvres de l'art et aux signes de la beauté les plus résolus ennemis de l'organisation catholique. Luther est iconoclaste comme Tolstoï, comme Rousseau. Leur commun rêve est de briser les formes et de diviser les esprits. C'est un rêve anti-catholique. Au contraire, le rêve d'assembler et de composer, la volonté de réunir, sans être des aspirations nécessairement catholiques, sont nécessairement les amis du catholicisme. À tous les points de vue, dans tous les domaines et sous tous les rapports, ce qui construit est pour, ce qui détruit est contre ; quel esprit noble ou quel esprit juste peut hésiter ?

    Chez quelques-uns, que je connais, on n'hésita guère. Plus encore que par sa structure extérieure, d'ailleurs admirable, plus que par ses vertus politiques, d'ailleurs infiniment précieuses, le catholicisme faisait leur admiration pour sa nature intime, pour son esprit. Mais ce n'était pas l'offenser que de l'avoir considéré aussi comme l'arche du salut des sociétés. S'il inspire le respect de la propriété ou le culte de l'autorité paternelle ou l'amour de la concorde publique, comment ceux qui ont songé particulièrement à l'utilité de ces biens seraient-ils blâmables d'en avoir témoigné gratitude au catholicisme ? Il y a presque du courage à louer aujourd'hui une doctrine religieuse qui affaiblit la révolution et resserre le lien de discipline et de concorde publique, je l'avouerai sans embarras. Dans un milieu de politiques positivistes que je connais bien, c'est d'un Êtes vous catholiques ? que l'on a toujours salué les nouveaux arrivants qui témoignaient de quelque sentiment religieux. Une profession catholique rassurait instantanément et, bien qu'on n'ait jamais exclu personne pour ses croyances, la pleine confiance, l'entente parfaite n'a jamais existé qu'à titre exceptionnel hors de cette condition.

    La raison en est simple en effet, dès qu'on s'en tient à ce point de vue social. Le croyant qui n'est pas catholique dissimule dans les replis inaccessibles du for intérieur un monde obscur et vague de pensées ou de volontés que la moindre ébullition, morale ou immorale, peut lui présenter aisément comme la voix, l'inspiration et l'opération de Dieu même.

    Aucun contrôle extérieur de ce qui est ainsi cru le bien et le mal absolus. Point de juge, point de conseil à opposer au jugement et au conseil de ce divin arbitre intérieur. Les plus malfaisantes erreurs peuvent être affectées et multipliées, de ce fait, par un infini. Effrénée comme une passion et consacrée comme une idole, cette conscience privée peut se déclarer, s'il lui plaît, pour peu que l'illusion s'en mêle, maîtresse d'elle-même et loi plénière de tout : ce métaphysique instrument de révolte n'est pas un élément sociable, on en conviendra, mais un caprice et un mystère toujours menaçant pour autrui.

    Le-pape-Francois-inaugure-le-debut-de-l-Annee-sainte (1).jpgIl faut définir les lois de la conscience pour poser la question des rapports de l'homme et de la société ; pour la résoudre, il faut constituer des autorités vivantes chargées d'interpréter les cas conformément aux lois. Ces deux conditions ne se trouvent réunies que dans le catholicisme. Là et là seulement, l'homme obtient ses garanties, mais la société conserve les siennes : l'homme n'ignore pas à quel tribunal ouvrir son cœur sur un scrupule ou se plaindre d'un froissement, et la société trouve devant elle un grand corps, une société complète avec qui régler les litiges survenus entre deux juridictions semblablement quoique inégalement compétentes. L'Église incarne, représente l'homme intérieur tout entier ; l'unité des personnes est rassemblée magiquement dans son unité organique. L'État, un lui aussi, peut conférer, traiter, discuter et négocier avec elle. Que peut-il c

  • Le désastre d'une Ecole jadis performante, analysé par les spécialistes de SOS Education

     

    On conviendra que le sujet est suffisamment important pour que l'on s'y arrête quelques instants : voici donc une sorte de « page Education », aujourd'hui, sur Lafautearousseau, avec une étude fouillée des causes du désastre, pour commencer, suivie d'un sourire - mais bien vu, et profond, lui aussi - pour ne pas trop perdre le moral.

    Nos lecteurs connaissent bien SOS Education, que nous citons régulièrement ici, pour la pertinence et la justesse de ses analyses, ainsi que pour le courageux combat mené contre les démolisseurs de l'Ecole. Celles et ceux qui ne connaîtraient pas encore l'Association, ou qui souhaiteraient l'aider, trouveront tout ce qu'il faut en cliquant sur le lien hypertexte ci dessus.

    Voici l'un des derniers textes publiés par SOS Education (le 12 décembre), sur L'Eglise du pédagogisme, et les ravages de cette secte des pédagogistes.  LFAR

     

    Elle a son Pape émérite : Philippe Meirieu,
    Elle a sa Théologie : les « sciences de l’éducation »,
    Elle a ses Séminaires : les ESPÉ (ex-IUFM) ,
    Elle a son Saint-Office : les Inspecteurs généraux, relayés par une piétaille d'inquisiteurs subalternes dans les académies,

    Son dogmatisme et son intolérance ont déjà fait des millions de victimes parmi nos enfants...

    ... mais elle ne cesse d'étendre son emprise sur un nombre croissant de professeurs :

    l’Église du pédagogisme, la religion qui ruine depuis 40 ans l’Éducation nationale… et menace désormais l’avenir même de notre pays.

    Une secte coupée de la réalité

    Si l'enfant de vos voisins rencontre des difficultés à l'école, et si vous proposez de lui donner quelques cours de soutien, vous trouverez normal que ses parents souhaitent avoir une discussion avec vous sur votre programme et vos méthodes.

    Après quelques mois, si vos voisins s’aperçoivent que leur enfant ne s'améliore pas, mais rencontre au contraire encore plus de problèmes, qu’il éprouve des difficultés à faire des exercices simples, vous vous attendrez à ce qu’ils vous demandent de remettre en question vos pratiques.

    Vous-même, soucieux du bien-être de votre petit élève, et de conserver la confiance de ses parents, vous chercherez à ne pas les décevoir. Vous essaierez de leur expliquer le plus simplement possible vos choix d'enseignement. Vous les tiendrez informés de ce que vous faites, pour qu’ils comprennent votre façon de travailler et qu’ils soient au plus vite rassurés par les progrès de leur enfant.

    Ce n’est pas du tout comme ça que les membres de l’Église du pédagogisme voient l’éducation.

    L’Église du pédagogisme rassemble des personnes qui se croient investies d’une mission :« changer l’école pour faire changer la société » [1]. Enseignants, inspecteurs, formateurs, ils sont quelques milliers, mais ils tiennent toutes les clés de l’Éducation nationale.

    Les enfants sont le matériau brut sur lequel ils travaillent pour réaliser ce projet. Ils considèrent les familles comme leur principal obstacle, et les professeurs qui dispensent un enseignement en harmonie avec ce que désirent les parents comme des traîtres ou des hérétiques. Ils ont inventé un vocabulaire qui n’est compréhensible que par les initiés, pour mieux couper l'école du reste de la société.

    Tous les futurs enseignants passent par leurs séminaires, les ESPÉ. Là, ils apprennent le langage du pédagogisme. Ils intègrent les dogmes de l’Église du pédagogisme. Ces dogmes, qui ne sont fondés sur aucune démarche rationnelle, leur sont présentés sous la forme de paraboles. Par exemple : « Quand on va chez le boulanger, on ne lui explique pas comment faire le pain. De même, quand des parents mettent leur enfant à l’école, ils n’ont pas à savoir comment le professeur enseigne. »

    Avec ses quelques milliers d'adeptes militants, l’Église du pédagogisme est plus petite que les Témoins de Jéhovah en France, par exemple. Mais son influence sur la société est beaucoup plus puissante et dangereuse puisqu’ils occupent les postes de pouvoir de l’Éducation nationale, qu’ils ont carte blanche pour y faire à peu près ce qu’ils veulent, et qu’ils n’ont de comptes à rendre à personne.

    Ce sont eux qui rédigent les programmes scolaires et prescrivent discrètement les livres de classe de nos enfants. Ce sont encore eux qui mènent les expérimentations, les évaluent et qui inventent les nouvelles méthodes. Plus grave encore, ce sont eux qui inspectent les professeurs, et qui leur imposent leur manière de penser et d’enseigner, une manière dont les conséquences sont souvent, on le verra, désastreuses.

    Car en effet, grâce à ses réseaux dans certains grands syndicats de l’Éducation nationale, l’Église du pédagogisme a organisé un système redoutable pour filtrer l’accès aux postes influents. Plus on monte dans la hiérarchie de l’Éducation nationale, plus la foi dans les dogmes du pédagogisme est répandue et enracinée. Quand on arrive au niveau des inspecteurs et des formateurs en ESPÉ, on se trouve parfois face à de véritables ayatollahs.

    Instituer une nouvelle religion

    Les membres de l’Église du pédagogisme sont, comme tous les fanatiques, complètement indifférents à la réalité et aveuglés par leur foi. Si depuis les années 1970, date à laquelle ils ont commencé à se rassembler, ils ont promu d’innombrables réformes pédagogiques qui ont invariablement tourné au désastre, ils sont sincèrement convaincus que l’Éducation nationale marche de mieux en mieux. Et pour cause : apprendre à lire, écrire, compter et réfléchir aux enfants n'est pas du tout la mission qu'ils assignent à l'école.

    Citons l’expérience des « maths modernes » de 1973, celle du « collège unique » de 1975, les méthodes de lecture globales tout au long des années 70 puis « idéovisuelles »[2] dans les années 80, l’histoire « thématique », la Loi Jospin de 1989 mettant « l’enfant au centre du système éducatif »[3], la création des IUFM en 1990, le nouveau Bac en 1995, le remplacement du corps des instituteurs par celui des « professeurs des écoles », et surtout, les réformes successives des programmes tout au long de cette période, jusqu'à la création du Conseil Supérieur en 2013 par Vincent Peillon, qui prétendait instituer une « Refondation de l'école » afin d'« arracher l'élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel » [4] : si on prend ce projet au sérieux, cela suppose finalement de désapprendre aux enfants leur propre langue, ce que l'Éducation nationale s'emploie à réaliser par tous les moyens depuis 40 ans.

    Il est vrai que Vincent Peillon représente la frange la plus illuminée de l’Église du pédagogisme, n'hésitant pas à déclarer : « Toute l’opération consiste bien, avec la foi laïque, à changer la nature même de la religion » [5]. La ministre actuelle, Najat Vallaud-Belkacem, est incapable d'un tel degré d'élaboration théologique, mais elle est redoutablement douée pour la propagation du dogme, et aussi pour prononcer les excommunications.

    Quoiqu'il en soit, ces bouleversements ont bien sûr débouché sur un recul prodigieux des connaissances maîtrisées par les élèves à la fin de leur scolarité, malgré l’allongement du nombre d’années d’études et l’explosion des dépenses du système éducatif.

    En 2015, on a fait refaire à des élèves de CM2 une dictée de 5 ou 6 lignes qui avait été donnée en 1987. Il s’agissait d’un petit texte qui ne comptait aucune difficulté particulière. Déjà en 1987, le travail de sape avait considérablement affaibli le niveau des enfants, qui faisaient à cette dictée une dizaine d'erreurs. Mais en appliquant le même barème de notation en 2015, on a constaté que le nombre moyen de fautes était passé à 17,8 : soit une explosion de + 70% !

    Dans les années 90, les élèves français figuraient encore dans le groupe de tête des pays du monde en mathématiques. En novembre dernier, le comparatif international TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study) a attribué à la France, à partir de tests réalisés sur des élèves de CM1 et de Terminale S la dernière position en Europe, et de très loin.

    L'enquête internationale PISA, qui compare les systèmes éducatifs de nombreux pays du monde, vient par ailleurs de montrer que la France, qui ne cesse de sombrer dans les fonds du classement, est le seul pays développé où l'école amplifie les inégalités sociales et migratoires !

    Malgré ces faits accablants, les prélats de l’Église du pédagogisme expriment la plus grande satisfaction chaque fois qu’ils font le bilan de quarante années de réformes.

    Pour justifier les problèmes que tout le monde constate et qu’ils ne peuvent pas nier, sous peine de se ridiculiser – indiscipline, violence à l’école, illettrisme, chômage de masse des jeunes diplômés, pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans de nombreux secteurs – ils ont une réponse automatique : c’est parce qu’on n’est pas allé assez loin. Et si on n’est pas allé assez loin, c’est parce qu’on ne leur a pas donné les moyens.

    Les moyens, comprenez « des budgets et des postes supplémentaires ». En effet, l’Église du pédagogisme doit notamment son influence au soutien de certains syndicats d’enseignants, et cela fait partie du contrat qu’elle appuie leurs revendications. Une clause facile à observer d’ailleurs, puisque tous ses membres sont directement intéressés par les succès des syndicats pour augmenter le nombre de postes dans l’Éducation nationale. Chaque nouvelle hausse d’effectifs venant automatiquement remplir ses séminaires, les ESPÉ !

    Si les méthodes des pédagogistes sont, selon eux, mieux adaptées aux enfants, elles sont nettement plus coûteuses. De combien ? Ils ne nous ont jamais donné de chiffre. Tout ce qu’on sait aujourd’hui, c’est que nous sommes encore très loin d’avoir mis assez d’argent sur la table. La bonne volonté des Français n’est pourtant pas en cause. Depuis trente ans, ils acceptent chaque année de financer l’augmentation du coût de leur système scolaire. Le budget de l’Éducation nationale a plus que doublé, en euros constants, depuis les années 80. On pourrait demander à quoi sert tout cet argent, premier poste de la dépense publique ?

    Mais l'Église du pédagogisme a peu à peu réussi à imposer ses vaches à lait comme des vaches sacrées : par exemple les ZEP (ou REP). Les ZEP démontrent depuis des décennies par l’absurde que, si les méthodes d’enseignement sont mauvaises, dépenser plus ne sert à rien. Pourtant, des milliards y sont engloutis dedans chaque année, et pas un ministre n'osera y toucher, même si on n’y observe pas la moindre « réduction des inégalités », bien au contraire. Les ZEP n’ont jamais été aussi redoutées par les parents : n’y laissent leurs enfants que les familles qui n’ont strictement aucune autre possibilité, pendant que les membres de l'Église du pédagogisme regroupent leurs rejetons dans des écoles privées où l'on n'entre que sur recommandation. Qu'importe : à la moindre tentative de mettre un terme à ce gaspillage scandaleux, l’Église du pédagogisme lancera ses mots d’ordre, et ses adeptes emboîteront une nouvelle fois le pas de son clergé dans leur traditionnel pèlerinage de République à la Nation, avec chants, bannières, et grande ferveur apostolique.

    « Apprendre à apprendre »

    L’Église du pédagogisme se compose de toutes les personnes qui croient qu’éduquer un enfant ne consiste pas à lui apprendre des choses, mais à lui « apprendre à apprendre » pour lui permettre de « construire lui-même son savoir ». Elle vise donc à interrompre la chaîne de la transmission des connaissances, par laquelle la culture se transmet d’une génération à l’autre.
    Laissant les enfants « construire eux-mêmes leurs savoirs », elle espère ainsi qu’ils construiront un monde nouveau, radicalement différent de celui de leurs parents. C’est le sens de son slogan « Changer l’école pour changer la société ».

    Évidemment, cette démarche est parfaitement hypocrite car, derrière ce discours officiel neutre, il y a un projet précis. Il n’est absolument pas question de laisser les enfants construire le monde qu’ils veulent.

    S’ils se refusent à transmettre la culture classique aux enfants, ils ne se privent pas en revanche, de leur transmettre les « valeurs » qui, selon eux, devront façonner la nouvelle société. La tradition républicaine d’enseignement fondée par Jules Ferry voulait que les maîtres s’interdisent toute considération politique devant leurs élèves. Tous leurs efforts consistaient à leur transmettre un contenu factuel. Les pédagogistes au contraire ne veulent plus du contenu factuel. Et ils ont vigoureusement promu dans les écoles les matières et activités qui permettent d’influencer les valeurs des enfants. Ainsi, dès la grande section de maternelle, ils demandent aux enseignants d’organiser chaque semaine une demi-heure de débat sur des sujets de société. Officiellement, le but de ces débats est d’entraîner les enfants à l’exercice de leur liberté d’expression, pour faire « vivre la démocratie ». Dans les faits, les enfants étant incapables de prendre position, et encore plus d’argumenter, l’enseignant dirige lui-même le débat. Il énonce les arguments et récite, parfois inconsciemment, le catéchisme pédagogiste appris pendant son séminaire dans les ESPÉ. Les enfants manipulés s’approprient le raisonnement d’autant plus facilement qu’on leur fait croire qu’ils y sont arrivés tout seuls. Ces débats ont lieu tout au long de l’école primaire, l’Église du pédagogisme a inventé pour justifier ce genre d'activité destinée à remplacer l'instruction traditionnelle le concept de « vivre-ensemble ».

    L’éducation civique est une matière fortement exploitée par les pédagogistes pour influencer politiquement les élèves. Beaucoup de parents croient, à tort, que les cours d’éducation civique s’apparentent à « l’enseignement du civisme » : encourager les enfants à faire preuve de courage, de patience, de prudence, de générosité, de respect, de justice, etc. En fait, « l’ éducation civique » enseigne aux enfants leurs droits, et pas n’importe lesquels : la liberté d’expression dans les limites de la bien-pensance, le droit de contester une décision qu'ils trouvent injuste, le droit de se syndiquer, le droit de grève, les « droits sociaux » (RSA, logements sociaux, CMU, etc.) On y trouve désormais aussi de la propagande à caractère sexuel. Mais nulle part il n’est question d’enseigner aux enfants les vertus civiques.

    Les autres matières, comme la littérature, l’histoire et la géographie sont aussi fortement contaminées. Les enfants doivent « construire leurs propres savoirs » dans ces matières à partir de documents. C’est documents sont distribués en classe ou figurent dans leurs manuels. Ils doivent les observer et en tirer des conclusions. Ici, le prétexte est de leur ens

  • Alain de Benoist : « Hier on avait un métier, aujourd’hui on cherche un emploi »

     

    Par Alain de Benoist et Jean-Paul Brighelli

     

    Dans ce remarquable entretien, la distinction qu'opère Alain de Benoist entre métier et emploi nous paraît essentielle. Métier est de l'ordre du qualitatif. C'était ce que possédaient en propre ceux qui n'avaient rien, les prolétaires de jadis. Emploi est indéterminé, sans substance, sans qualité. C'est tout le reflet du monde moderne ou postmoderne. Cette opposition constitue la trame de la réflexion d'Alain de Benoist, y compris dans les passages où elle peut surprendre. Il faut savoir gré à Jean-Paul Brighelli d'avoir réalisé et publié [Bonnet d'âne & Causeur les 9 & 13.10] ce long et riche entretien qui est aussi un débat, l'amorce d'un débat.  Lafautearousseau   

     

    alain-de-benoist-elements-324x235.jpgJean-Paul Brighelli. Voilà que vous détournez le « grand remplacement » ethnique cher à Renaud Camus par un « grand remplacement » économique : l’ubérisation de l’ensemble des sociétés libérales — française, entre autres. Pouvez-vous expliquer en quoi consiste cette mutation ?

    Alain de Benoist. Le « grand remplacement économique », ce n’est pas tant l’ubérisation que le remplacement de l’homme par la machine, voire par l’intelligence artificielle, à laquelle conduit l’évolution même du travail, évolution dont l’ubérisation ne représente qu’un aspect.

    « On l’oublie trop souvent : le capitalisme, ce n’est pas seulement le capital, c’est également le salariat. C’est aussi le système qui repose sur la force de travail, base de la valorisation du capital, et la transformation du travail concret en travail abstrait, concomitante de la transformation de la valeur d’usage en valeur d’échange. La transsubstantiation du travail en argent, puis de l’argent en capital, produit l’autovalorisation de la valeur. Le travail au sens moderne est une catégorie capitaliste. La généralisation du salariat fut une révolution silencieuse, mais une mutation énorme. Hier on avait un métier, aujourd’hui on cherche un emploi. Le métier et l’emploi, ce n’est pas la même chose. L’avènement du marché où l’on peut vendre et acheter contre salaire de la force de travail implique à la fois la destruction des anciennes formes sociales et la séparation du travailleur d’avec les moyens de production.

    « La contradiction principale à laquelle se heurte aujourd’hui le capitalisme est directement liée à l’évolution de la productivité. Cette contradiction est la suivante. D’un côté, le capital recherche en permanence des gains de productivité lui permettant de faire face à la concurrence, ce qui entraîne des suppressions d’emploi et une diminution du temps de travail global (on produit de plus en plus de choses avec de moins en moins d’hommes). De l’autre, il pose le temps de travail comme seule source et seule mesure de la valeur. La contradiction tient au fait que les gains de productivité aboutissent à supprimer des emplois, alors que c’est justement la forme « emploi » qui a permis au travail d’être le moteur de l’expansion du capital. La contradiction entre le marché actuel du travail et la production réelle de survaleur fait que le système capitaliste est aujourd’hui menacé, non pas seulement d’une baisse tendancielle du taux de profit, mais d’une dévalorisation généralisée de la valeur. 

    « Avec la révolution informatique et le développement de la robotique, la production de richesses se découple par ailleurs toujours davantage de la force de travail humaine, et pour la première fois on supprime davantage de travail qu’on ne peut en réabsorber par l’extension des marchés.

    « L’argument libéral classique est de dire que tout cela n’a rien de nouveau, que le progrès technique a toujours détruit des emplois, mais qu’il en a créé d’autres. On cite l’exemple de la révolte des canuts lyonnais contre les métiers à tisser, celui des luddites anglais ou celui des tisserands silésiens de 1844. On rappelle aussi la façon dont les emplois du secteur tertiaire ont remplacé ceux des secteurs primaire et secondaire. C’est oublier qu’aujourd’hui tous les emplois ne sont pas substituables, et qu’ils le sont même de moins en moins compte tenu de l’importance prise par les connaissances et de l’inégale distribution des capacités cognitives. Si dans le passé un paysan a pu se reconvertir en ouvrier sans grand problème, un ouvrier du bâtiment aura beaucoup plus de mal à se reconvertir en programmateur informatique. C’est pourquoi la robotique détruit aujourd’hui plus d’emplois qu’elle n’en crée.

    « Mais c’est oublier surtout que nous sommes en train de sortir de l’époque où les machines faisaient les choses aussi bien que l’homme pour entrer dans celle où les machines font beaucoup mieux. Cela change tout, car cela signifie que les machines peuvent désormais entrer en compétition avec des fonctions qui ne sont plus seulement manuelles ou répétitives, ce qui pose le problème de la décision : la machine est mieux placée pour décider puisqu’elle peut traiter mieux qu’un humain les informations dont elle dispose. C’est ce qu’avaient déjà biens vu Hannah Arendt et Günther Anders. Voilà pour le « grand remplacement » !

    Vous reprenez le terme de « précariat », introduit en économie alternative par des alter-mondialistes et des anarchistes (italiens à l’origine) à la fin des années 1970 — quelques années à peine après le départ de la crise structurelle dont se nourrit depuis cette époque le libéralisme. En quoi consiste-t-il ?

    La précarité, aujourd’hui, tout le monde la constate autour de soi. Face à la montée d’un chômage devenu structurel (et non plus seulement conjoncturel), la tendance actuelle, parallèlement au remplacement des activités productives par des emplois inutiles, qui sont en dernière analyse des emplois de contrôle, destinés à désamorcer les velléités de révolte sociale, est de chercher à diminuer le chômage en augmentant la précarité. C’est la mise en application du principe libéral : « Mieux vaut un mauvais travail que pas de travail du tout ». D’où l’idée de « flexi-sécurité », qu’il faut comprendre ainsi : la flexibilité c’est pour tout de suite, pour la sécurité on verra plus tard. Le refrain mille fois répété par le Medef est bien connu : plus on pourra licencier facilement, moins on hésitera à embaucher. Mais comment expliquer alors que la précarité ait constamment progressé en même temps que le chômage ?

    « C’est cette montée de la précarité qui a abouti en Angleterre à la multiplication des « travailleurs pauvres » (working poors) et aux contrats « à zéro heure » (on en compte aujourd’hui plus de 1, 4 million), et en Allemagne, depuis les réformes Harz, aux « minijobs » (450 euros sans cotisations et sans couverture sociale) qui, en 2013, concernaient 7 millions de travailleurs, soit près de 20% de la population allemande active, parmi lesquels un grand nombre de retraités.

    « Mais la précarisation, c’est aussi de façon beaucoup plus générale la destruction de tout ce qui dans le passé était solide et durable, et se trouve aujourd’hui remplacé par de l’éphémère et du transitoire. Dans ce que Zygmunt Bauman a très justement appelé la société liquide, tout est à la fois liquéfié et liquidé. Que ce soit dans le domaine professionnel, sentimental, sexuel, éducatif, politique, social ou autre, nous vivons à l’ère du zapping : on « zappe » d’un partenaire à l’autre, d’un métier à l’autre, d’un parti politique à l’autre, comme on « zappe » d’une chaîne de télévision à une autre. Et dans tous les cas, le changement n’aboutit qu’à donner le spectacle du même. On est toujours déçu parce que, sous diverses guises, c’est toujours le même chose qui se donne à voir. L’idéologie du progrès joue évidemment son rôle : avant, par définition, c’était moins bien. Le politiquement correct (qu’il vaudrait mieux appeler l’idéologiquement conforme) joue le sien : en transformant les mots, la « novlangue » transforme les pensées. L’individualisme ambiant fait le reste.

    Un chauffeur de taxi « ubérisé » gagne fort mal sa vie, en moyenne. Serait-ce là l’un de ces « bullshit jobs » nommés pour la première fois par David Graeber pour désigner des « boulots à la con » dans la sphère administrative (privée ou publique) et désormais étendus à l’ensemble de la sphère économique ? À une époque où les employés des grandes surfaces ne sont plus jamais embauchés à temps plein, afin de les tenir en laisse en les faisant vivre avec 800 euros par mois, où un prof débutant touche après 5 à 6 ans d’études 1400 euros par mois, en quoi la précarité concertée est-elle la solution la plus adaptée trouvée par le néo-libéralisme contemporain ?

    Les promesses du « travail indépendant » (l’« ubérisation » de la société) sont de leur côté trompeuses, car la précarité y est la règle plus encore que dans le salariat. Dans le monde post-industriel, qui privilégie les connaissances plus que les machines, chacun se voit convié à « devenir sa propre entreprise » (à être « entrepreneur de soi-même ») pour valoriser ses « actifs incorporels », quitte pour les anciens salariés à devenir des travailleurs multitâches, courant d’une activité à l’autre, cherchant de nouveaux clients tout en s’improvisant juristes ou comptables. L’ubérisation n’est alors qu’un nouveau nom de la parcellisation et de l’atomisation du travail. La précarité devient la règle, car les résultats recherchés se situent sur un horizon de temps de plus en plus court. Plus que jamais, on perd sa vie en tentant de la gagner.
    « Sous couvert de « flexibilité » on recherche des hommes taillables et corvéables à merci, qui doivent sans cesse s’adapter aux exigences d’une économie dont on estime qu’ils doivent être les serviteurs, sinon les esclaves. La généralisation de la précarité, c’est l’avènement de l’homme substituable, interchangeable, flexible, mobile, jetable. C’est l’entière réduction de la personne à sa force de travail, c’est-à-dire à cette part de lui-même qui peut être traitée comme une marchandise. C’est la soumission à l’impératif de rendement, la vente de soi s’étendant à tous les aspects de l’existence.

    Sur l’ensemble du dossier présenté par votre revue, je vous trouve terriblement marxiste — « le facteur économique est bien déterminant en dernière instance ». Peut-on cependant tisser un lien entre la réalité économique à laquelle on est en train de convertir l’ensemble de l’économie mondialisée, et l’homo festivus inventé par Philippe Muray ? Ou si vous préférez, dans quelle mesure l’ubérisation tous azimuts se conforte-t-elle de la société du spectacle — et vice versa ?

    Pas du tout marxiste, mais marxien pourquoi pas ! Deux cents ans après sa naissance, il serait peut-être temps de lire Marx en étant capable de faire le tri entre les nombreuses facettes de sa pensée – en oubliant les « marxismes » et les « antimarxismes » qui n’ont fait qu’accumuler les contresens sur son œuvre. La philosophie de l’histoire de Marx est assez faible, mais il n’y a pas besoin d’être marxiste pour constater, avec lui, que notre époque est tout entière plongée dans les « eaux glacées du calcul égoïste ». Marx est à la fois l’héritier d’Aristote et celui de Hegel. Il a tort de ramener toute l’histoire humaine aux lutte de classes, mais il décrit à merveille celles de son temps. Ce qu’il écrit sur le fétichisme de la marchandise, sur la « réification » des rapports sociaux, sur l’essence de la logique du Capital (sa propension à l’illimitation, au « toujours plus », qui n’est pas sans évoquer le Gestell heideggérien), sur la théorie de la valeur, va très au-delà de ce qu’on a généralement retenu chez lui.

    « L’homo festivus dont parlait le cher Philippe Muray est en effet comme un poisson dans l’eau dans l’économie libérale aujourd’hui déployée à l’échelle mondiale. L’homo festivus ne cherche pas seulement à faire la fête tout en aspirant à se vider le crâne (il ne faut pas se prendre la tête !) grâce aux mille formes de distraction contemporaine, au sens pascalien du terme. Il est aussi celui qui a remplacé le désir de révolution par la révolution du désir, et qui pense que les pouvoirs publics doivent faire droit, y compris institutionnellement, à toute forme de désir, car c’est en manifestant ses désirs, quels qu’ils soient, que l’homme manifeste pleinement sa nature.

    « Cela s’accorde parfaitement à l’idéologie libérale, qui conçoit l’homme comme un être présocial, cherchant à maximiser en permanence son seul intérêt personnel et privé. Comme l’a si bien montré Jean-Claude Michéa, c’est parce que le libéralisme économique et le libéralisme « sociétal » (ou libertaire) sont issus du même socle anthropologique qu’ils ne peuvent à un moment donné que se rejoindre. La société du spectacle, où le vrai n’est plus qu’un moment du faux et où l’être s’efface totalement derrière le paraître, est le cadre idéal de cette rencontre. C’est la société de l’aliénation volontaire, qui croit que les rapports sociaux peuvent être régulés seulement par le contrat juridique et l’échange marchand, mais qui ne débouche que sur la guerre de tous contre tous, c’est-à-dire sur le chaos.

    Vous notez qu’Emmanuel Macron est le chantre de cette ubérisation généralisée. Mais comment diable l’a-t-on élu ? Par un malentendu ? Grâce à l’écran de fumée médiatique ? Par un désir profond d’en arriver à un salaire universel garanti (le seul candidat qui le proposait était Benoît Hamon : un hasard ?) qui permettrait de vivoter dans la précarité sans plus poser de problème à un capitalisme financiarisé qui pourrait alors s’épanouir ? Mais alors, qui achètera les merveilleux produits fabriqués demain par les quelques travailleurs encore en exercice et une noria de machines « intelligentes » ? Bref, l’ubérisation serait-elle le premier pas vers la fin du libéralisme — l’ultime contradiction interne du système ?

    Dans une démocratie devenue elle aussi liquide, Macron a su instrumentaliser à son profit l’épuisement du clivage droite-gauche et l’aspiration au « dégagisme » d’un électorat qui ne supportait plus la vieille classe politique. Il a également compris que l’alternance des deux anciens grands partis de gouvernement ne mettait plus en présence que des différences cosmétiques, et que l’heure était venue de les réunir en un seul. C’est ce qui lui a permis de l’emporter avec au premier tour moins d’un quart des suffrages exprimés.

    « Macron est avant tout un contre-populiste au tempérament autoritaire et à l’ego hypertrophié. Il reprend à son compte le clivage « conservateurs » contre « progressistes », mais c’est pour choisir la seconde branche de l’alternative : réunir les partisans de l’« ouverture » (en clair : les élites libérales de tous bords) contre les tenants de la « fermeture » (en clair : ceux qui s’opposent, instinctivement ou intellectuellement, à l’idéologie dominante). Contre ceux « d’en bas », il est le représentant de la Caste « d’en haut ». On voit bien aujourd’hui qu’il ne supporte pas qu’on lui résiste, qu’il n’aime pas les corps intermédiaires, qu’il est insensible aux aspirations populaires, qu’il n’a rien à dire à la France qui va mal. A un moment où les classes moyennes, menacées de déclassement et de paupérisation, sont en train de rejoindre les classes populaires, il démontre ainsi son intention de construire une « start up nation », en parfaite conformité avec une religion économique qui exige l’absorption du politique par la gouvernance. Cela augure plutôt mal de l

  • L’Espagne à la croisée des chemins. Espagne, où vas-tu ?

     

    par Pascual Albert *

     Publié le 13 novembre 2012 - Actualisé le 20 octobre 2017

    20170814_161658 - Copie.jpgEn moins de deux mois, des élections régionales se seront tenues en Galice, au Pays Basque et en Catalogne, les trois Communautés qui, les premières, ont obtenu l’autonomie et qui ont le plus de compétences, dans leurs Statuts d’Autonomie.

    Si les élections au Pays Basque et en Galice étaient prévues et ont eu lieu parce que c’était le moment qu’elles se tiennent, les élections catalanes seront anticipées, le président Mas (1) ayant dissous le parlement, par une manœuvre opportuniste, résultat de la manifestation indépendantiste massive du 11 septembre, à Barcelone. Il prétend élargir sa majorité – jusqu’à la rendre absolue, si c’est possible – pour ne pas dépendre de l’appui parlementaire du Parti Populaire.

    Dans les trois Communautés Autonomes (2), les partis d’implantation nationale sont présents : Parti Populaire ; socialistes et communistes ; ainsi que, bien sûr, tous les groupes nationalistes anti-espagnols de tous poils : Bloc Nationaliste de Galice, Parti Nationaliste Basque, Convergencia i Unio, Bildu, ERC, etc.

    Les positions politiques des uns et des autres, quant au sens de la nation et quant aux structures de l’Etat, sont clairement différentes.

    Le Parti Populaire (Droite « homologuée »), actuellement au pouvoir, en charge du gouvernement national, comme dans la plus grande partie des Communautés Autonomes et des Municipalités, défend catégoriquement la structure et les institutions actuelles, se refusant, dans les circonstances présentes, à faire des réformes qui, nécessairement, incluraient celle de la Loi Fondamentale : la Constitution. La priorité absolue du Parti Populaire est de tenter de surmonter la crise économique, en suivant les recommandations des institutions européennes et mondialistes. Malgré ses efforts, et la rigueur des mesures prises, malheureusement, les résultats ne sont pas au rendez-vous.

    Le Parti Socialiste apparaît beaucoup plus ambigu et confus ; l’un de ses courants aurait une position assez proche du Parti Populaire, l’autre a commencé à demander la transformation de l’Espagne en un Etat fédéral. Cette ambiguïté fait qu’il lui est difficile de pouvoir profiter de l’importante usure gouvernementale dont la situation (crise, mesures sociales, corruption) fait supporter la conséquence à ses rivaux du Parti Populaire.

    L’extrême-gauche communiste, qui est, par surcroît, écolo-pacifiste et « genderiste », recueille, en général, les désenchantés du socialisme et correspond, et même davantage, à la devise qu’elle porte, dans son âme, écrite en lettres de feu : « tout ce qui est anti-espagnol est nôtre ».

    Les nationalistes de différentes tendances : bourgeois, prolétaires, modérés, radicaux, etc. ont fini par donner du lustre à leurs positionnements maximalistes et demandent des référendums d’autodétermination et autres processus qui puissent les conduire vers leur eldorado indépendantiste.

    Les résultats électoraux sont conformes aux prévisions des enquêtes : en Galice, où, heureusement, le nationalisme ne parvient pas à se développer, le Parti Populaire, comme il était très probable, a validé sa majorité absolue, bien qu’il ait perdu un certain nombre de voix. Le Parti Socialiste a subi, comme prévu, une déroute complète.

    Le Pays Basque, c’est une autre histoire et - quoique l’information distillée par les médias, tant nationaux qu’internationaux, se soit surtout concentrée sur la Catalogne, comme conséquence des derniers événements : le virage stratégique brutal de ce que l’on appelle le « nationalisme catalan modéré », et sa suite, la manifestation « indépendantiste » de Barcelone - il est certain que le plus grand problème institutionnel et politique que l’Espagne a connu ces dernières années a été le terrorisme de l’E.T.A. avec son sanglant cortège de morts, de blessés et de souffrances.

    BILDU, parti ou coalition clairement inspirée et certainement dirigée par l’E.T.A., s’est présenté aux élections régionales dans le nouveau contexte quasi pacifique, l’E.T.A ayant annoncé, il y a déjà quelque temps, qu’elle renonçait à la « lutte armée », sans, pour autant, qu’elle se soit dissoute.

    Lors des élections précédentes – sous différents noms – les radicaux se présentaient aux élections au milieu des bombes et des coups de feu. Déjà, lors des dernières élections municipales et « forales » – tenues dans ce contexte d’armistice ( ?) – ils avaient obtenu des résultats très inquiétants, remportant, entre autres, la mairie de Saint-Sébastien et la présidence forale du Guipúzcoa – avec la complicité du Parti Nationaliste Basque qui n’avait pas accepté l’offre, des partis constitutionnalistes, d’un pacte pour l’empêcher.

    Quant aux dernières élections, les sondages prévoyaient ce qui s’est réalisé : une consolidation de l’espace nationaliste – modéré et radical – et une chute des partis espagnols (nationaux) ; le Parti Socialiste, qui gouvernait la Communauté Autonome Basque, avec l’appui parlementaire du Parti Populaire, a subi, ainsi que ce dernier, de fortes pertes en voix et en sièges.

    Enfin, en Catalogne, le processus étant très en retard – en raison de son caractère imprévu et soudain – il n’y a pas encore une perception très nette du contexte électoral à venir. Ce qui, toutefois, est certain, c’est que si le président nationaliste Arturo Mas a franchi le pas qu’il a franchi (convocation d’élections anticipées), c’est parce qu’il espère renouveler et conforter sa majorité ; l’ampleur indéniable de la manifestation indépendantiste de Barcelone rend assez prévisible que la situation électorale soit plus ou moins similaire à celle du Pays Basque.

    Que s’est-il passé pour qu’en un si court espace de temps, moins de dix ans, le label de l’Espagne, laquelle apparaissait tellement consolidée, avec ses réussites économiques, politiques, sociales, sportives, etc., au point d’être montrée comme un exemple à suivre, dans le même temps qu’ apparaissaient dans le monde des situations nouvelles « compliquées » : par exemple, la chute de l’empire soviétique, les Balkans, etc.

    Naturellement, de nombreux éléments se sont conjugués, parmi lesquels, sans aucun doute, les facteurs de crise économique brutale et la perte de prestige accélérée de la caste politique ne sont pas les moins importants. Mais se conjuguent, aussi, d’autres causes, de différents ordres, qui rendaient prévisible que cette situation se produise, un jour ou l’autre.

    Je vais tenter de les expliquer le plus brièvement possible :

    I. Des raisons qui sont profondément liées au processus historique de formation de la nation Espagne 

    Le processus de formation de l’Espagne est très différent de celui de la France (où, à partir de la « centralité » d’une dynastie, les Capétiens, se construit, peu à peu, empiriquement, une nation, à travers des conquêtes et/ou des alliances, à la recherche des frontières du « pré-carré »).

    231339459.jpgL’invasion arabe et le processus  de reconquête chrétienne qui l’a suivie, font naître et se développer une série de royaumes et principautés, qui confluent, finalement, vers deux grandes couronnes : la Castille et l’Aragon, accompagnées d’un Portugal qui, progressivement, s’auto-affirmera et fera son chemin séparément, et d’un royaume de Navarre qui, quoique avec une beaucoup plus grande assise territoriale et incidence historique initiale dans la péninsule ibérique, sera porté, par les avatars de l’Histoire, à n’être qu’un appendice de la France. La Castille et l’Aragon s’unissent, en la personne de leurs rois, Ferdinand et Isabelle. Les Rois Catholiques conquièrent Grenade – le dernier bastion musulman ; avec eux commence la découverte et la colonisation de l’Amérique et, en s’immisçant dans les querelles internes de la Navarre, ils annexent la partie ibérique de ce royaume, et, en quelque manière, ils atteignent leurs frontières naturelles. Mais cette union se réalise à travers la personne des Rois Catholiques et chacun de ces peuples conserve ses lois, usages, coutumes et sa langue : en conclusion, ses « Fueros » (3). Les langues parlées sont : le galicien portugais, le catalan et le castillan, d’origine latine et la langue basque préromane. 

    La modernité a rogné progressivement ces « Fueros » et libertés : la vision « régalienne » de Charles premier d’Autriche en a presque fini avec les libertés castillanes et le « centralisme » du premier Bourbon, Philippe V, abroge les fueros d’Aragon, de Catalogne, de Valence et des Iles Baléares (couronne d’Aragon). Par parenthèse, il serait peut-être intéressant d’approfondir, un jour, le thème de la guerre de succession d’Espagne, origine des mythes les plus enracinés du nationalisme catalan et du pan-catalanisme.

    Mais tout cela – quoique grave – est sans aucune comparaison avec l’authentique agression centraliste et, plus encore, uniformisatrice  (dont, vous, les Français, êtes paradoxalement, à la fois, les « coupables », les victimes et le modèle paradigmatique) que les « fils des Lumières » et leurs héritiers, les Jacobins enragés, ont impulsé avec le libéralisme. Mais, en Espagne, cela ne leur fut pas facile et, en l’espace de cinquante ans (1830-1880), ils se sont retrouvés face à un peuple en armes, pour défendre jusqu’à la mort ses traditions.

    On a appelé cela les guerres carlistes et – quoique perdues – celles-ci ont rendu possible qu’au moins les Basques et les Navarrais conservent de nombreuses particularités « forales » dans leurs Statuts, parmi lesquelles la « Concertation Economique » qui consiste en ce qu’ils perçoivent l’impôt et, ensuite, payent à l’Etat le montant « pacté » (qui, naturellement, est toujours inférieur en pourcentage à la contribution directe des autres régions).

    En conclusion, nous pourrions dire qu’en Espagne le changement de l’ « Ancien Régime » au nouveau n’a pas été bien achevé. De fait, l’actuelle fièvre catalane a pour excuse le refus du gouvernement central de négocier une « Concertation Economique ». D’un autre côté, il faut dire que le gouvernement ne peut faire autre chose, parce que la Constitution ne le permet pas. Auparavant, il faut la réformer. 

    2. Des raisons qui sont liées à la structuration de l’Espagne actuelle et à sa Constitution

    Ici, nous pourrions commencer par la fin. Ce qui a été la première tentative de résoudre les problèmes signalés au point précédent, à partir de positions pacifiques et en recherchant des accords entre les forces politiques, n’a pas donné de résultat ; le modèle semble épuisé. Les causes sont nombreuses ; on va le voir ci-après.

    Dans les années dites de la Transition (1970-1990), il y avait un sentiment de « différence » et une mobilisation pour cette différence, en Catalogne, à Valence,  aux Baléares,  au Pays Basque et en Navarre, et, dans une bien moindre mesure, en Galice.

    Ce sentiment que j’appellerai « différentialiste » se centrait fondamentalement sur les questions culturelles et linguistiques, sans que l’on méconnaisse d’autres aspects de la revendication : politiques, économiques, administratifs.

    Il est logique que ce soient les territoires signalés qui aient été les plus motivés, parce qu’y survivaient, avec une plus ou moins grande intensité, une langue et une culture propres, partageant l’espace, de manière inégale avec le castillan, langue de la culture officielle ; elles étaient généralement maltraitées. Mais ces langues étaient très vivantes (rien à voir avec la situation des langues régionales en France) et utilisées habituellement par des millions de personnes.

    Il faut dire que, dans ces années-là, l’immense majorité des gens mobilisés le faisaient par AMOUR de ce qui était leur ; il y en avait très peu qui le faisait en HAINE de l’Espagne et de ce qui est espagnol. Cette situation a changé ; maintenant, énormément de jeunes de ces régions – surtout basques et catalans – s’activent par HAINE de l’Espagne. Ils l’ont apprise par une gigantesque opération de lavage de cerveau qui a duré trente ans, dans les écoles, instituts, universités et moyens de communication.

    Dans un premier temps, on aurait pu donner une suite à ces véritables aspirations d’autonomie, d’une part en les centrant sur ce qui est fondamental, en ne livrant pas, avec armes et bagages, tout le pouvoir médiatique, culturel et éducatif, aux partis nationalistes, ou en maintenant des programmes éducatifs et d’enseignement cohérents et unitaires – bien qu’à Barcelone on les enseigne en catalan et à Séville en castillan – d’autre part en faisant appliquer les lois - aussi bien nationales que régionales - relatives à l’enseignement et à l’usage des langues co-officielles, et en n’acceptant pas les injustices, comme les difficultés de beaucoup de familles en Catalogne et au Pays Basque – aussi bien qu’en Galice – pour pouvoir faire donner à leurs enfants un enseignement en castillan, ou les amendes infligées aux entreprises et commerces qui ne rédigent pas en catalan, etc.

    Cependant, les politiciens de bonne foi, peut-être pour banaliser la chose, ont décidé d’étendre l’état d’autonomie à toutes les régions, y compris lorsque certaines d’entre elles n’en avaient pas besoin et ne le demandaient même pas. Depuis lors, ce qui a fait fureur, c’est la surenchère comparative, le « Moi je veux plus », etc., des partis nationalistes au Pays Basque et en Catalogne, parce que eux « ne peuvent pas être » égaux au reste des Espagnols. Ce qui a commencé par être une revendication de leur légitime « différence », est, maintenant, u

  • Qui sera le Prince ? La réponse de Pierre Boutang

     

    Pierre Boutang revient ici, sur L'Avenir de l'Intelligence, qu'il appelle « cet immense petit livre », publié par Maurras en 1905. L'actualité - le monde, la société postmodernes - nous y ramène, comme elle y ramenait Boutang en 1952. 

    Maurras y oppose - un peu à la manière des tragédies de la Grèce antique - deux personnages ou entités allégoriques, engagés dans une lutte à mort : l'Or, c'est-à-dire les puissances d'Argent, les forces du matériel rendues abstraites, et le Sang, c'est-à-dire l'ensemble des forces de la Tradition et de l'Esprit : politique, histoire, culture, religion, spiritualité. Ainsi se définit pour Maurras l'opposition Révolution / Contre-Révolution ou Révolution / Tradition.

    La Révolution, en détruisant le pouvoir royal venu du fond des âges, et qui s'appuyait sur les forces de la Tradition et de l'Esprit, a ouvert toutes grandes les portes aux forces de l'Or, qui règnent maintenant sans partage, et nous sommes aujourd'hui dans cet Âge de fer ou âge barbare, prophétisé par Maurras, qu'ont amené les philosophes du XVIIIe siècle, mais aussi leurs prédécesseurs de la Réforme et de la Renaissance.

    Cela durera-t-il toujours ? La victoire de l'Or sur le Sang est-elle définitive ? C'est, évidemment, une possibilité, et les apparences, aujourd'hui, semblent plaider en faveur de cette hypothèse.

    « A moins que...», dit toutefois Maurras, dans la conclusion de L'Avenir de l'intelligence, son immense petit livre. Et d'esquisser comme une stratégie de la contre-révolution, son souci n'ayant jamais été que de conjurer les perspectives d'un effondrement de notre civilisation et de faire triompher les solutions qui l'en sauveraient.  

    Disciple et continuateur de Maurras, Boutang poursuit ici cette réflexion, dans l'espérance que l'à moins que... par quoi s'achevait l'Avenir de l'Intelligence ne soit pas une attente vaine.

    Les Soviets ont disparu, dans l'effondrement cataclysmique de l'utopie messianique marxiste; et c'est aujourd'hui le vide de la postmodernité qui s'y est substitué... Certains événements, certains personnages dont il est question dans ce texte appartiennent au passé. L'essentiel, la question centrale, plus actuelle que jamais demeure : Qui sera le Prince de ce temps ? Elle est au coeur de notre présent. Lafautearousseau  

     

    4110103012.jpgQui sera le Prince ?

    Article de Pierre Boutang paru dans Aspects de la France les 21 et 28 novembre, et le 12 décembre 1952 [Extraits]

     

    Qui sera le Prince ? Telle est l'unique question du vingtième siècle méritant l'examen, capable de mobiliser les volontés. La fraude démocratique consiste à lui substituer celle de la société, la meilleure possible, et le débat sur son contenu spirituel et moral. Quelle est l'organisation la plus juste, la plus humaine, et d'abord quelle est la meilleure organisation du débat sur cette organisation ?  Voilà le chant des sirènes des démocrates.

    Fiez-vous y ! Le vent et les voleurs viendront.

    Les voleurs et le vent sont à l'oeuvre. La diversion est plus que bonne : très sûre. Pendant ces beaux débats, toutes fenêtres ouvertes, le vent apporte sa pestilence. Et sous le masque de l'opinion reine, de la liberté de jugement des Lazurick ou des Lazareff, l'or triomphe; il détient tout le réel pouvoir dont la presse a mission et fonction cher payée de cacher la nature et de divertir dans le peuple la nostalgie croissante et le désir évident.

    Qui sera le Prince ? Il s'agit de l'avenir : il n'est pas de principat clandestin, de royauté honteuse de soi-même et qui puisse durer. Une société sans pouvoir qui dise son nom et son être, anarchique et secrètement despotique, sera détruite avant que notre génération ait passé. Pour le pire ou pour le meilleur elle disparaîtra. A la lumière très brutale et très franche de la question du Principat, de la primauté politique, les sales toiles des araignées démocratiques, les systèmes réformistes, les blagues juridiques, les ouvrages patients des technocrates européens; seront nettoyés sans recours. Par quelles mains ? C'est le problème... Qui tiendra le balai purificateur ? Non pas quel individu, pauvre ou riche, de petite ou très noble extrace, mais quel type d'homme ? Incarnant quelle idée ? Réalisant quel type de la Force immortelle, mais combien diverse et étrangère par soi-même au bien et au mal ?  

    L'heure nouvelle est au moins très sévère, a dit le poète. Cette sévérité, aujourd'hui, tient à ce fait : nul ne croit plus à la meilleure structure sociale possible, la plus humaine et la plus juste. Tous voient qu'elle ne profite, cette question toujours remise sur le métier de l'examen, sans personne pour la tisser, qu'aux coquins et aux domestiques de l'argent. Les fédéralistes eux-mêmes, armateurs de débats sur les pactes volontaires, reconnaissent que la question du fédérateur est primordiale; mais les uns tiennent que ce fédérateur doit être un sentiment, la peur panique inspirée par les soviets, les autres avec M. Duverger dont les articles du Monde viennent d'avouer la honteuse vérité, que l'or américain, l'aide en dollars, est le seul authentique fédérateur de l'Europe.....

    Positivement, les malheurs du temps ont fait gagner au moins ceci à l'intelligence mondiale, et la vague conscience des peuples : à l'ancienne utopie succède l'inquiétude, la question chargée de curiosité et d'angoisse -qui, quelle force, quelle espèce de volonté humaine, va garantir ou réaliser un ordre politique et social, juste ou injuste, mais qui sera d'abord le sien ? Nos contemporains savent ou sentent qu'il n'y a pas de justice sociale sans société ni de société sans une primauté reconnue, établie en droit et en fait. La réelle nature de la force publique, du Prince qui garde la cité et y exerce le pouvoir, importe plus aux hommes qui ont été dupes si longtemps, que le jeu de patience et d'impatience des réformes sociales; ces réformes sont innombrables dans le possible, imprévisibles dans leurs conséquences; ce qui compte, ce qui est digne de retenir l'atttention ou d'appeler l'espérance, réside dans la loi vivante de leur choix, dans la réalité organique, dans la volonté responsable qui les ordonne et les préfère.

    Reconnaître l'importance capitale de la question du Prince, considérer les autres problèmes politiques comme des fadaises ou des diversions vilainement intéressées, tel est el premier acte d'une intelligence honnête de notre temps. Car cette question du prince est toujours essentielle, et toujours oubliée : mais elle était jadis oubliée parce qu'elle était résolue, et les utopies elles-mêmes s'appuyaient sur la réalité incontestée d'un pouvoir légitime. Depuis le dix-huitième siècle la puissance de l'or, clandestine, masquée par les fausses souverainetés du nombre et de l'opinion n'a pas comblé dans les esprits, les coeurs, les besoins, le vide laissé par la démission des Princes. Les balançoires, les escarpolettes constitutionnelles, dont les brevets continuent en 1952 d'être pris à Londres (ou dans les "démocraties royales" rétrogrades) ne satisfont pas, avec leurs recherches d'équilibre, le goût profond que gardent les peuples pour la stabilité et la connaissance des vraies forces qui soutiennent un gouvernement. L'homme du vingtième siècle n'a pas envie de se balancer à l'escarpolette démocratique et parlementaire : les expériences faites en Europe centrale lui montrent quel est l'usage probable des cordes libérales dont se soutenaient ces jolis objets et jouets des jardins d'Occident. Elles portent bonheur aux pendus..... 

    Quand on voit, quand on sait l'enjeu de cette guerre engagée sous nos yeux pour le Principat, l'inventaire des forces, des réalités naturelles et historiques, capables de répondre à la commune angoisse, s'impose rapidement. L'intellectuel, l'écrivain, disposent de l'outil du langage, dont la fonction est de distinguer des provinces de l'être. Ils font donc leur métier, lorsqu'ils dénombrent les prétendants au Principat. Ils peuvent faire leur salut temporel, en choisissant, en aidant, la force naturelle qui leur apparaît salutaire et légitime.

    La recherche de l'intelligence, dans ce domaine, est libre entre toutes. Elle ne doit de comptes qu'à la vérité, et lorsqu'elle se soumet à ses lois supérieures, à la patrie. Sa liberté propre se moque du libéralisme doctrinaire. Que ses lois propres, et sa soumission la conduisent à vouloir le Principat du Prolétaire, ou celui du Sang dans l'ordre dynastique, son choix ne dépendra pas, par exemple, du retard que tel prolétaire ou tel groupe prolétarien peuvent avoir, dans leur opinion subjective, sur la réalité et la force que le Prolétaire incarne pour un monde nouveau. Les difficultés qui naissent de ces retards, de ces rétrogradations, ne sont pas inconnues des marxistes. Il eût été bien étrange qu'elle fussent épargnées au nationalisme. Leur caractère de phénomène aberrant et transitoire laisse intacte la vraie question : quelle force réellle, capable d'extension, douée d'un sens universel, assumera le Pouvoir que l'on occupe clandestinement, mais n'incarne ni n'accomplit ? Est-ce que ce sera leProlétaire selon Marx, ou le Sang, le principe dynastique, selon Maurras ? Le reste est futilité, opportunisme naïf que l'histoire balaiera sans égards.  

    Non point selon l'ordre national, mais selon l'appparence, un premier Prince apparaît, prétendant du moins au Principat : le journal, le pouvoir de l'opinion. Prétention qui n'est monstrueuse que si l'on néglige les causes et les effets : si le peuple , si le nombre ou la masse - quelles que soient les définitions matériellles que l'on donne de ce Protée - était décrété souverain, l'évidence de son incapacité, de ses faibles lumières, de son enfance, selon le dogme du progrès, imposaient la régence pratique du pédagogue. Ce pédagogue du peuple souverain devait éclairer et former la volonté générale : l'extension rapide du pouvoir de lire rendait incertaine l'action des clubs et des assemblées : la presse seule pouvait se glisser partout en renseigner l'enfant Démos aux mille têtes folles, les mettre à l'abri de la séduction des anciennes autorités, de la mainmise de l'Eglise, de la séduction des Princes ou des généraux.

    Le combat du XIXe siècle pour la liberté de la presse apparaît ainsi comme le plus noble, le plus raisonnable qui pût être conduit, avec les prémisses de la démocratie. Des milliers d'hommes sont morts pour que nous ayons le droit d'accomplir, comme l'a dit Péguy, cette formalité truquée du suffrage universel. Mais la mort demillions n'eût pas été insensée pour que les conditions intellectuelles de cette formalité, la liberté de la presse, seule capable de vaincre le truquage, fût réalisée. Marx avait raison dans sa logique de démocrate radical, qui allait le conduire très loin du libéralisme formel : "La presse est la manière la plus générale dont les individus disposent pour communiquer leur existence spirituelle" (Gazette rhénane, 1842). Or, cette communication est le devoir démocratique majeur, où tout esprit doit enseigner sans cesse le peuple, innombrable héritier du Pouvoir, ayant une charge aussi certaine que celle dont Louis XIV accable un Bossuet. Il n'y a donc pas de limite démocratique à la liberté de la Presse, ce pédagogue des nations, mais dont la mission ne peut finir qu'avec la parfaite majorité de Démos.

    La difficulté commence (et commença !) avec la définition de l'enseignement ainsi donné : le pédagogue se révèle innombrable, indéfini, comme l'élève. A la limite théorique, Démos qui sait ou peut écrire enseigne Démos qui sait et peut lire. Les deux données quasi matérielles et de hasard, écrire et lire, se substituent au choix humain du précepteur, et à la présence naturelle de l'élève royal.

    En fait, par la simple existence d'un commerce de la librairie, une merveilleuse possibilité s'ouvrait ainsi aux forces secrètes qui disposeraient de l'or. Vainement, Marx s'écriait-il, dans la même Gazette de Francfort, à l'occasion des extraordinaires débats de la Diète rhénane qui devaient jouer un rôle décisif dans la formation de son mythe révolutionnaire "la première liberté consiste pour la presse à n'être pas une industrie !" La presse était une industrie, ou le devenait à toute vitesse.

    Si l'or ne renonçait pas, avec les organes de corruption des partis et les truquages électoraux, à gouverner directement le peuple et lui imposer des représentants, du moins les Pourrisseurs les plus scientifiques s'aperçurent très vite de l'existence d'un moyen économique et supérieur : il suffisait de tenir "le quatrième pouvoir" inconnu de Montesquieu, et d'agir sur le pédagogue de Démos. La divisibiliét infinie de l'or, sa séduction aux mille formes s'adaptaient naturellement au maître divers, au pédagogue polycéphale.... On pouvait y aller. On y alla ! 

    Le pédagogue de Démos ne pouvait prétendre, au départ, à un enseignement si bien assimlilé par son élève que le choix des meilleurs en résultât, automatiquement, à l'heure des votes. Était-il écouté, suivi ? Les gouvernements considéraient qu'ils avaient, eux, atteint leur majorité en obtenant la majorité; ils s'émancipaient; ils agissaient à leur tour, par des lois ou par des fonds secrets, sur la presse écoeurée de cette ingratitude. Mais il y avait une ressource : c'était la fameuse opposition. L'opposition au parlement pouvait être méconnue; elle se composait en somme de vaincus. S'appuyait-elle sur une presse vivace, expression du citoyen contre le Pouvoir du moment, éducatrice de son successeur inévitable, alors les chances de la liberté étaient maintenues, on était encore en république !

    Hélas ! La presse d'opposition, précisément parce qu'ellle pouvait influer sur la décision prochaine de Démos, tant qu'elle acceptait le système et ses profits glorieux, tenait à l'or autant que l'autre. Du moins sauvait-elle les apparences.

    Il fallut attendre une déclaration vraiment décisive de l'éditorialiste du quotidien Figaro, feuille conformiste à l'immense tirage, pour que cette dernière décence, cette ultime réserve et pudeur de la putain Démocratie fût gaillardement sacrifiée. Nous commentons dans la Politique de cette semaine ce texte monumental (auro, non aere, perennius !) dû à l'ingéniosité perverse de Mauriac. Citons-le ici pour mémoire :

    « Je sais, on reproche souvent au Figaro d'être toujours du côté du gouvernement. Dans une démocratie, je prétends qu'un grand journal ne peut être un journal d'opposition. Un journal comme Figaro, en raison même de son audience ne peut fronder. Il a des responsabilités sur le plan patriotique. J'admire les gens qui peuvent trancher de tous les problèmes dont ils ignorent les difficultés. Or, le nom du président du Conseil peut changer, les difficultés restent les mêmes au gouvernement.»