UA-147560259-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : Rémi Hugues. histoire

  • Michel Onfray : « Michel Houellebecq a diagnostiqué l'effondrement spirituel de notre époque »

     

     

    Entretien par Alexandre Devecchio

     

    A l'occasion de la parution de son dernier livre, Miroir du nihilismeHouellebecq éducateur, Michel Onfray décrypte, dans ce long et remarquable entretien,  la philosophie de l'auteur de Soumission [Figarovox, 30.09]. Une philosophie qui a pour toile de fond la situation de notre civilisation, de notre société. Bien-sûr, sa certitude que « nous allons mourir » n'est pas la nôtre. Mais sur le diagnostic porté par Onfray à travers l'oeuvre de Houellebacq, on ne peut qu'être presque en tous points d'accord. Pour qui ne veut pas mourir - et ni Houllebecq ni Onfray n'en forment le souhait - il y a là d'importantes analyses, de profondes réflexions et quelques maximes superbes.   LFAR   

     

    XVM1af2a674-a53a-11e7-b619-f944cd28c6f6.jpgVous publiez aux éditions Galilée, Miroir du nihilisme, un essai consacré à Soumission de Michel Houellebecq. Vous êtes longtemps passé à côté de l'œuvre de ce dernier. Pourquoi son dernier roman vous a-t-il fait changer de point de vue ? 

    J'avais aimé la performance littéraire d'Extension du domaine de la lutte qui était vif et bref, rapide et percutant. Les autres romans m'avaient paru techniquement moins rapides. J'aime les stylistes et les textes qui vont vite. Voilà pour la forme.

    Pour le fond, j'avais commis l'erreur de croire que le diagnosticien du nihilisme consentait au nihilisme, s'en réjouissait même, voire, s'y complaisait… C'était une erreur. C'est confondre le cancérologue qui diagnostique la pathologie avec le cancer, la pathologie qu'il a diagnostiquée. J'étais, selon l'image bien connue, l'imbécile qui regarde le doigt quand le sage lui montre la lune !

    Soumission m'a plu parce qu'il renoue avec la vitesse d'Extension. Il m'a éloigné du doigt et ramené à la lune quand j'ai constaté chez Michel Houellebecq la grande souffrance qui était la sienne à se savoir, se voir, se constater, s'expérimenter corporellement et spirituellement tel un sismographe de notre époque en cours d'effondrement.

    v_9782718608577.jpgEn termes hégéliens, il est le grand homme choisi par l'Histoire pour qu'il en fasse la narration. Il est au cœur nucléaire du processus de Ruse de la raison. Le savoir, ce qui est son cas, car il est d'une redoutable lucidité, c'est affronter les plus grands tourments.

    En quoi Houellebecq est-il le romancier du nihilisme ?

    En tant que sismographe, il enregistre toutes les secousses en rapport avec la tectonique des plaques civilisationnelles : il a diagnostiqué l'effondrement spirituel des générations produites par des parents soixante-huitards, l'écœurement d'une sexualité indexée sur la seule performance, la marchandisation des corps et des âmes, des carrières et des pensées, la contamination de l'art contemporain par le snobisme et le marché, la tyrannie de l'argent en régime libéral, la fin de la France depuis l'abandon de sa souveraineté lors du Traité de Maastricht.

    Mais aussi la veulerie du tourisme sexuel en Asie, le caractère inéluctable de l'engagement de nos civilisations occidentales vers le projet transhumaniste, l'effondrement de la religion judéo-chrétienne et des valeurs qui l'accompagnaient, et, avec Soumission, le processus de collaboration des élites avec les idéologies liberticides - ici un islam francisé.

    Depuis 1994, Michel Houellebecq dépèce minutieusement le Veau d'or - c'est en cela qu'il est le grand romancier du nihilisme occidental.

    Houellebecq s'inscrit volontiers dans la filiation d'Auguste Comte qui était positiviste…

    Mais aussi de Schopenhauer - ou de Huysmans. Il n'est pas homme à s'enfermer dans des cases, à aimer l'un, donc pas l'autre, à choisir celui-ci, donc à écarter celui-là… Il est un homme authentiquement libre.

    Ce qu'il aime chez Auguste Comte, c'est sa réflexion sur la place de la religion dans la société, sur la possibilité d'une liaison d'un certain type de sacré avec le social. Qui dira qu'il ne s'agit pas d'une question essentielle si l'on veut aujourd'hui penser la question politique ?

    Le positivisme n'est pas la philosophe un peu bêtasse de Monsieur Homais, mais la pensée mal connue d'un homme qui estimait que la religion sociologique des Hommes pouvait remplacer la religion théologique de Dieu.

    La question de la religion est un leitmotiv dans la pensée de Michel Houellebecq : que faire dans un monde vidé de toute transcendance ? Lui qui décrit dans le détail le désespoir qu'il y a à vivre dans un monde de pure immanence (ce qui n'est pas mon cas : je crois que la sagesse tragique permet de vivre dans la seule immanence sans désespoir…) , il est normal qu'Auguste Comte lui parle.

    Votre livre est sous-titré Houellebecq éducateur. Comment peut-on être à la fois nihiliste et éducateur ?

    En enseignant la nature tragique du monde, autrement dit, en évitant deux chose : la lecture optimiste du monde et… la lecture pessimiste ! L'optimiste voit le meilleur partout et ne veut pas entendre parler du pire ; le pessimiste voit le pire partout et ne veut pas entendre parler du meilleur.

    Le tragique quant à lui sait qu'il y a du pire et du meilleur partout… Michel Houellebecq nous enseigne où est le pire, ce qui n'a pas besoin d'être démontré, mais aussi le meilleur - qui provient chez lui, paradoxalement, de Schopenhauer pour qui il existe des solutions à ce monde sombre dans la pitié et la contemplation esthétique.

    N'oublions pas que Schopenhauer a aussi écrit un Art d'être heureux… On connaît sa vision du monde animal, elle est d'une grande compassion. Il y a dans sa conversation en tête à tête la même présence attentive à l'autre. On n'ignore pas non plus qu'il trouve dans l'art un sens à sa vie: il a produit des romans, des essais, des poèmes, des films, des photographies, des performances d'art contemporain…

    En tant qu'il dit le monde tel qu'il est, sans faux-semblants, et qu'il vit une vie poétique sans l'imposer ou la conseiller à qui que ce soit, il invite chacun à construire sa propre existence dans un temps de détresse.

    Beaucoup ont vu dans Soumission une critique de l'islam radical. Vous y voyez plutôt un grand roman de la collaboration. Qui sont les « collabos » d'aujourd'hui ?

    Ceux qui estiment que l'Islam est une religion de paix, de tolérance et d'amour et ne veulent pas entendre parler d'un Islam de guerre, d'intolérance et de haine.

    Certes, il existe un islam pratiqué par des gens qui voient en cette religion une coutume familiale ou un signe d'appartenance dans laquelle dominent effectivement la tolérance, la paix et l'amour.

    Mais il y a aussi, dans le Coran et dans l'histoire de l'islam, terrorismes inclus, une autre voie qui est celle de la misogynie, de la phallocratie, de l'homophobie, de l'antisémitisme, du bellicisme, de la guerre qui constituent des valeurs à exporter par le djihad guerrier.

    Le collaborateur ne veut voir que le premier islam en estimant que le second n'a rien à voir avec l'islam. Le Coran est un livre dont les sourates justifient aussi bien le premier que le second islam.

    Concrètement, ces collaborateurs sont les islamo-gauchistes qu'on trouve ici ou là au NPA, dans la France Insoumise, dans l'aile gauche du PS, au PCF, ou à EELV. Il y en a également dans l'aile gauche des Républicains - chez les juppéistes par exemple.

    C'est aussi une critique acerbe du monde universitaire. Un monde avec lequel vous avez toujours pris vos distances …

    Michel Houellebecq se contente de décrire cette institution qui fonctionne à la cooptation, au piston, donc au phénomène de cour ; avec retard, elle suit les modes qu'elle ne crée jamais ; elle se prétend du côté de la science alors qu'elle est le lieu de l'idéologie ; elle est un lieu de rituels d'écriture scrupuleux et de reproduction institutionnelle - comme l'a bien vu Bourdieu ; elle dit être un lieu de recherche mais on y cherche ceux qui y trouveraient - précisons que je parle des seuls secteurs littéraires, sociologiques, philosophiques…

    C'est pour ma part un monde contre lequel je n'ai rien puisque j'ai refusé de l'intégrer après ma soutenance alors que ma directrice de thèse me proposait d'y faire carrière et que j'ai préféré rester professeur de philosophie dans un lycée technique.

    Mais, en effet, l'Université est une institution et, en tant que telle, elle est un lieu où la liberté, l'autonomie et l'indépendance soufflent peu ! Ni Montaigne ni La Boétie, ni Descartes ni Voltaire, ni Nietzche ni Proudhon, ni Alain ni Camus n'ont eu besoin de l'université pour penser - et leurs pensées furent vraiment libres…

    Presque aussi intéressant que le livre lui-même a été son accueil au moment même où la réalité rejoignait la fiction avec les attentats de janvier 2015. Comment analysez-vous son rejet par une partie des médias ?

    J'ai repris le dossier de presse de l'accueil de ce livre pour essayer de voir comment on avait lynché l'homme sans avoir lu l'œuvre pour ne pas avoir à la lire et à la commenter - parce qu'elle mettait le doigt dans la plaie…

    Il est intéressant de constater combien les instruments et les personnes de la pensée dominante dans les médias de l'islamo-gauchisme ont sali l'homme Michel Houellebecq en lançant une polémique comme ils savent le faire pour souiller l'homme afin de discréditer l'œuvre.

    Il est également intéressant de mettre en perspective ceux qui ont écrit ou parlé en faveur de Mehdi Meklat (blogueur islamophile, antisémite, phallocrate, misogyne, antisémite, belliciste ) dans Libération , Le Monde , Les Inrockuptibles ou France-Inter et de rappeler ce que les mêmes ont écrit contre Houellebecq.

    Ce travail a été riche d'enseignements pour moi sur le fonctionnement du dispositif collaborationniste français… Je vous renvoie au détail de l'analyse (noms, lieux, citations, analyse de tweets, etc) dans mon livre…

    C'est aussi un livre sur la perte de sens dans notre civilisation occidentale. Le christianisme et l'idéologie totalitaires ont laissé la place à la religion du marché et à l'islam conquérant. En tant qu'athée et matérialiste, que cela vous inspire-t-il ? Pourquoi la raison a-t-elle échoué à être le ciment d'une nouvelle civilisation ?

    Une civilisation n'est possible qu'avec une spiritualité qui la soutient et qui, elle-même, découle d'une religion. Depuis que le monde est monde, c'est ainsi. L'Histoire témoigne.

    Elle témoigne également qu'il n'y eut pas de civilisation construite sur l'athéisme et le matérialisme qui , l'un et l'autre, sont des signes, voire des symptômes, de la décomposition d'une civilisation - je le sais au premier chef puisque je suis athée et matérialiste… On ne lie pas les hommes sans le secours du sacré.

    J'en profite pour m'opposer à cette scie musicale chantée par un certain nombre de philosophes pour lesquels la religion serait ce qui relierait les hommes entre eux - sur le principe du religare, relier… C'est une vision étroite de… matérialiste, voire… d'athée !

    Car, si la religion relie bien, elle ne relie pas les hommes entre eux, sur le terrain de l'immanence, mais avec le sacré, sur le terrain de la transcendance. Elle n'est pas un lien des hommes entre eux, mais des hommes avec ce qui les dépasse. Or nous sommes dans une civilisation qui a congédié toute transcendance.

    XVMdcf717aa-a5da-11e7-8269-811617cc40e3-200x250.jpgVous publiez également, Thoreau le sauvage, un livre sur Henry-David Thoreau. Qui était ce « penseur de champs » ?

    C'est un homme qui montre qu'il existe une philosophie américaine loin de la philosophie européenne - et qui, ostensiblement, lui tourne le dos… L'Europe philosophique aime les Idées éthérées et les concepts purs, elle chérit plus que tout le beau raisonnement même s'il est faux, elle aime les cathédrales utopiques même si elles sont inhabitables.

    Thoreau se moque des concepts et des idées, des beaux raisonnements et des cathédrales utopiques : il veut que la philosophie soit l'art de parvenir à une sagesse qui est connaissance de la nature et invitation à y trouver sa place.

    Thoreau est un marcheur, un herboriste, un géologue, un nageur, un chasseur, un pécheur, un jardinier qui mène une vie philosophique. Il n'imagine pas une seule seconde une idée découplée de ce qu'elle doit produire : une action concrète, un comportement, une pratique. C'est un penseur existentiel comme je les aime…

    Sa philosophie ne peut-elle être une alternative au nihilisme que vous décrivez ?

    C'est une solution, oui. Pas forcément la seule.

    Il faudrait ajouter que ce sympathique na

  • Le couple franco-allemand s'éloigne ... Et l'Europe avec lui ...

     

     

    En deux mots.jpgCertes l'effondrement de l'URSS il y aura bientôt 30 ans a bouleversé sinon l'ordre, du moins les équilibres du monde. Mais de ce bouleversement est née aussi une nouvelle Allemagne - sous des jours nouveaux l'Allemagne d'avant-guerre - et cela nous semble un second fait majeur.

    Il n'est pas inutile de s'y attarder, si l'on veut tenter de comprendre quelle est aujourd’hui la nature, non pas officielle, non pas rêvée, mais réelle, des rapports franco-allemands. Vieille question au fil des siècles, pour la France. Et de nos jours pour l’Europe elle-même.

    La jeune génération peine aujourd'hui, et c'est normal, à imaginer ce que fut la guerre froide, la menace d'invasion soviétique sous laquelle vécut alors l'Europe de l’Ouest, le périlleux équilibre de la terreur nucléaire, et la subversion qui émanait continûment de l'Union Soviétique et s’infiltrait dans les démocraties occidentales. Accessoirement aussi de la Chine de Mao.  

    A la menace soviétique, c'est l'Allemagne qui était la plus exposée, elle qui en eut le plus conscience et le plus à craindre. Même s'il n'eût fallu que quelques heures aux chars russes pour traverser son territoire, passer le Rhin et entrer dans Strasbourg...

    Mais ce détestable système avait fini par installer une sorte d'ordre mondial. Son écroulement aux alentours de 1990, devait être un événement considérable et l'on en eut assez vite, l'on en a encore, pleine conscience. Les conséquences n'en furent pas toutes positives : les Américains se crurent pour longtemps - ou même pour toujours - les maîtres du monde. 

    On a moins commenté, moins évalué, moins accordé d'importance à cet autre événement aux conséquences considérables, au moins à l'échelle européenne, que fut la réunification de l'Allemagne en 1989. Nous nous sommes habitués à sa forme actuelle, qui nous semble naturelle, sans nous rappeler que l’Allemagne a vécu divisée, brisée par le rideau de fer qui la coupait en deux, en deux Etats, pendant quasiment toute la seconde moitié du XXe siècle, l'après deuxième guerre mondiale. L'Allemagne à laquelle nous sommes maintenant confrontés n'est plus la même et nous n'avons pas encore vraiment pris la mesure de ce changement.

    Bundesarchiv_B_145_Bild-F015892-0010,_Bonn,_Konrad_Adenauer_und_Charles_de_Gaulle.jpgDe Gaulle disait volontiers de l'Allemagne de son temps qu'elle avait "les reins cassés". Elle était amputée des cinq länder de l'Est, de 110 000 km2, près du tiers de son étroit territoire actuel (à peine 357 000 km2), et de 17 millions d'Allemands. L'Allemagne de l'Ouest, sans la Saxe, la Thuringe, le Brandebourg, était rhénane, sa capitale était à Bonn, au bord du Rhin, et Konrad Adenauer, son vieux chancelier, avait été, avant-guerre, maire de Cologne, capitale rhénane s'il en est. Avec cette Allemagne-là, vaincue mais déjà renaissante, prospère et bourgeoise, avec Adenauer, De Gaulle n'eut pas de peine, autour de 1960, â sceller la réconciliation franco-allemande qui s'imposait après un siècle de guerre. Les deux vieillards en inventèrent les symboles et le traité de l'Elysée la formalisa. Bien qu'il ne fût pas sans ambigüités et qu'il y eût déjà de notables disparités entre l'Allemagne et la France, sur le plan de leur population comme de leur économie - l'industrie et l'agriculture françaises étaient alors florissantes - le couple franco-allemand était équilibré. 

    Cet équilibre a été rompu par la réunification. De Gaulle savait qu'elle ne manquerait pas de se faire. Vingt ans devaient passer après sa mort : les cinq ans de la présidence interrompue de Georges Pompidou, le septennat de Valéry Giscard d'Estaing et le premier mandat de François Mitterrand. C'est au début du second que l'on vit assez soudainement tomber le mur de Berlin et s'effondrer la RDA, sans que Moscou ne bouge. L'Action française avait toujours dit que Moscou détenait les clés de la réunification allemande. Et Moscou la laissa se faire, livrant sans sourciller ses amis, les dirigeants du régime communiste de Pankoff, à leur triste sort. Les poubelles de l'Histoire, l’oubli. François Mitterrand s'émut, s'effraya même, dit-on, de cette réunification en train de s'opérer, dont il voyait bien qu'elle affaiblirait la position de la France en Europe. Il tenta de s'y opposer, de concert avec Margaret Thatcher. Il était dans la nature des choses, sans-doute, que ce fût peine perdue. Faute de n'y rien pouvoir, l'on s'y résigna à Londres comme à Paris. Restait à l'Allemagne à digérer l'Est, exsangue, ruiné, avec une économie, des infrastructures, hors le temps et hors d'usage. Helmut Kohl fut l'homme de la réunification, de la reconstruction et de la remise à niveau de l'Allemagne de l'Est, effort gigantesque, de pure volonté politique, revanche sur la défaite et sur l'Histoire, clair effet du sentiment national allemand. L’Europe n'eut rien à y faire, rien à y voir. Les sacrifices que les Allemands de l'Ouest durent consentir pour réhabiliter les länder de l'Est, en langage simple se serrer la ceinture, ne furent pas, ici ou là, sans quelques grincements de dents et récriminations, mais, quels qu'ils fussent, le sentiment national allemand, en définitive, joua à fond. La solidarité interallemande ne fit pas de question, quand la solidarité de l'Allemagne fut refusée, plus tard, à la Grèce, ou quand elle l'est aux pays du Sud, dits du Club Med, par les épargnants et les retraités d'Outre-Rhin. L'intégration et la reconstruction de l'Allemagne de l'Est fut menée à l'allemande, rondement, massivement, relativement vite, s'agissant d'une entreprise considérable et sans-doute, après presque trente ans, peut-on considérer sa mise à niveau comme achevée, encore qu’à maints égards, l'ex Allemagne de l'Est reste différente, et se souvient, parfois avec certains regrets - maints observateurs en sont surpris - du temps où elle était communiste. 

    Pourquoi nous remémorer ainsi ces faits d'Histoire récents ? 'Bien-sûr pour nous éclairer sur ce qui a forgé l'Allemagne d'aujourd'hui, ce qui la structure socialement et politiquement.

    Réunifiée et reconstruite, nous avons affaire à une Allemagne qui n'est plus celle d'Adenauer, Ludwig Erhardt ou Helmut Schmidt.  Sa capitale n'est plus à Bonn mais à Berlin ; son centre de gravité s'est déplacé vers l'Est et vers de vastes territoires centraux, eux aussi sortis - mais pauvres - du communisme, réservoirs de main d'œuvre à bon marché et d'unités de production utilisables ; la population de l'Allemagne n'est plus, comme hier, grosso modo celle de la France, qu'elle dépasse aujourd'hui de 15 millions (81 contre 66) ; quant â son économie, qui fut, il n'y a pas si longtemps, elle aussi défaillante - avant les réformes Schroeder -  elle a désormais sur l'économie française, une criante supériorité. L'on connaît bien les quelques paramètres qui permettent d'en prendre la mesure : Le taux de chômage allemand autour de 5%, le nôtre au double ; son budget excédentaire (24 milliards en 2016) quand celui de la France reste en déficit de 3% ; mais plus encore,  le commerce extérieur français qui se solde par un déficit de 50 milliards, tandis que celui de l'Allemagne dégage un excédent de 250 milliards  (2016) soit un différentiel de 300 milliards (3 400 milliards cumulés pour les dix dernières années !). Encore faut-il prendre en compte le nombre d'entreprises de taille intermédiaire (TPI) qui est en Allemagne le triple du nôtre, formant un puissant tissu industriel qui fait de l'Allemagne le premier exportateur mondial, devant l'énorme Chine ! 

    Avec de tels écarts, le couple franco-allemand n'en est plus un. Il s'est mué en simples rapports de vassalité, où les conflits d'intérêt réels remplacent peu à peu les apparences d'une relation de couple. De sorte que, comme la pérennité de ce dernier est en effet indispensable à la poursuite du projet européen, jamais l'Europe rêvée naguère n'a été aussi éloignée du champ des possibles. En position dominante, l'Allemagne n'a nulle intention de renoncer à une once de sa souveraineté.

    Faut-il lui reprocher son insolente réussite ou plutôt à la France d'avoir décroché, d'avoir sacrifié son industrie au mondialisme, de l'avoir délocalisée à tour de bras, d'avoir détruit son agriculture qui pourtant a tout pour être la première en Europe ? Au reste, l'Allemagne a ses propres problèmes, ses propres faiblesses, qui ne sont pas minces du tout. Si son industrie triomphe, sa démographie s'écroule ; de ce point de vue, l'Allemagne s'effondre sur elle-même et cela augure mal de son avenir ; avec 25% de retraités, elle n'est plus un peuple jeune.  Il n'est de richesses que d'hommes : on ne les remplace pas par des excédents monétaires ni, durablement, par des flux massifs de migrants. A bien des égards, après avoir sacrifié beaucoup à la compétitivité de ses entreprises - avec quel succès ! - l'Allemagne vieillit même dans ses infrastructures et cela se voit, s'éprouve, on ne pourra pas les laisser vieillir indéfiniment ... Il faudra bien investir, lancer de grands travaux. Les sacrifices salariaux ne seront peut-être pas, non plus, acceptés éternellement, même si l'appel aux migrants fait, ici comme ailleurs, pression à la baisse sur les salaires. Il n'est pas sûr, surtout à l'Est, que les équilibres sociaux soient indéfiniment maintenus en Allemagne. Une certaine renaissance du sentiment national allemand face à la politique européenne et migratoire d'Angela Merkel - pas seulement du fait de l'AfD mais surtout de sa nécessaire alliance avec les Libéraux eurosceptiques - peut très bien se conjuguer à une résurgence de la revendication sociale. 

    Ainsi, sans rupture ni inimitié, le couple franco-allemand comme moteur de l'Europe s'éloigne par la force des choses. Après le départ britannique, l'Allemagne est bordée aujourd'hui d'Etats résolus à défendre leur souveraineté et leur identité, face à Bruxelles, Berlin ou même Paris. Et l'Autriche vient de les rejoindre. Quant à la France, plutôt que de se divertir dans des rêveries procédurales de refondation de l'Europe, dont elle n'a pas à elle seule le moindre moyen, le plus sérieux, sinon le plus facile ni le plus immédiat, serait de travailler à reconstruire sa souveraineté, c'est à dire sa puissance. Economique, morale et politique. Cela pourrait lui prendre dix ou vingt ans. Ce serait le meilleur service qu'elle pourrait rendre à l'Europe.  

    P.S. On voudra bien nous excuser d’avoir outrepassé les intentions de brièveté de cette chronique. Nous voulions traiter de ce sujet avec quelque détail.

    Retrouvez l'ensemble de ces chroniques en cliquant sur le lien ci-dessous

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • Dans la revue Politique Magazine : Cet homme n’est pas à sa place !, par Hilaire de Crémiers

    De discours en discours, Macron révèle une personnalité inquiétante et qui explique le désaveu de la grande majorité des Français.

     

    Le Premier des Français, le Chef de l’État, celui qui représente la France et en qui les Français devraient se reconnaître, le chef des Armées de la France, le patron des administrations françaises, le premier des magistrats, le représentant suprême des territoires et des communes de France où sa photographie est affichée, le garant des institutions de la France, le titulaire de la totalité de la puissance publique, le souverain qui assume la permanence de la nation entre son passé et son avenir, cet homme qui plus qu’aucun autre devrait veiller à la dignité de sa parole et de sa conduite, passe littéralement son temps, depuis deux ans et plus, à insulter la France et les Français. À croire que c’est un jeu chez lui et qui le fait jouir. Braver la France ! Outrager les Français. C’est son truc. Il tient là son originalité. C’est le seul chef d’État au monde qui se permette de bafouer publiquement et continûment son propre pays. Le seul ! Imaginez les Poutine, les Trump, les Johnson, les Xi Jinping qui cracheraient sur leur pays !

    Annotation 2020-02-04 035744.jpgVoilà que récemment encore, fin janvier, revenant d’Israël, il a comparé la guerre d’Algérie à la Shoah. Entendons bien : la France aurait commis en Algérie un crime contre l’humanité, un génocide, la plus épouvantable et la plus programmée des horreurs. Tel fut le sens des paroles présidentielles. Ce n’est pas la première fois que Macron prononce une telle sentence. Il a osé même l’édicter en Algérie, en rompant avec la réserve à laquelle il se devait à l’époque. Il a tenu les mêmes formulations à plusieurs reprises à propos de la colonisation en Afrique noire. Ce misérable petit sciencespotard ne sait rien de ce qu’il débite à longueur de journées, répétant, en toute question, des phrases toutes faites, reprises de lectures mal digérées et de cours tous orientés vers le dénigrement de la France dont la récitation est malheureusement la condition première du succès aux examens. Qui ne connaît ça ? C’est la règle en France : vilipender son pays. Ce qui nous donne aujourd’hui les dirigeants les plus pitoyables de la planète.

    Des militaires, des historiens, des économistes lui ont apporté la réplique, en particulier notre ami Bernard Lugan. Mais rien n’y fait. Ce n’est que devant la protestation des autorités juives que Macron a consenti à préciser sa phrase d’une manière aussi fausse qu’alambiquée, en reconnaissant l’unicité de la shoah : il fallait entendre les exégèses ridicules à force d’être lamentables de la parole présidentielle. Car le foutriquet, comme aurait dit Boutang, comme dit fort bien aujourd’hui Onfray, se garde bien de revenir sur son infamie qui stigmatise la France aux yeux du monde entier. Il se dit prêt, en revendiquant l’autorité de Chirac, à affronter ce qu’il appelle « le défi mémoriel » ! Ah, que c’est beau, ce souci psychanalytique ! Il pense par sa thérapie libérer la France de ses horrifiques fantasmes, lui faire expulser les immondices de son innommable histoire.

    La France coupable

    Son propos est net : la France, tous les Français doivent se sentir coupables, et, cela doit être spécifié, en tant que Français. Il convient d’aller plus loin que Chirac. Les deux mots doivent être définitivement associés devant le Tribunal de l’histoire et du monde : France coupable, Français salauds. En proférant son arrêt, Macron préside avec la haute conscience de son devoir. Il est le maître de la Justice ; il dit le Bien et le Mal, ce qui suppose une supériorité de nature. Tel est le Grand Juge que la France a à sa tête.

    Dans sa fatuité où la superbe le dispute à l’ignorance, l’insupportable gamin s’invente une intégrité qui surplombe tous les soupçons. Lui qui a passé sa vie à transgresser toutes les lois divines et humaines, édicte la norme. Il est des gens comme ça : des transgresseurs qui se fixent pour tâche de déterminer la règle. Car cette prétendue intégrité n’est elle-même en fait qu’une transgression ; il y transgresse la plus élémentaire honnêteté intellectuelle et morale, comme il l’a, d’ailleurs, toujours fait, dans la suite innombrable de ses transgressions, à quoi se résume sa vie, bafouant jusqu’à l’honneur des familles, jusqu’à la simple décence, singulièrement dans les honteuses fêtes de la Musique. Il bafoue tout, il ne respecte rien, et quand il fait semblant de respecter en paroles convenues, c’est qu’il prétend utiliser le protocole pour se mettre à l’honneur.

    Le citoyen comprend bien que chez lui tout est toujours calculé, y compris dans cette dernière assertion sur la culpabilité française ; il cherche à l’évidence l’électorat arabo-musulman dont il a besoin pour dresser les Français les uns contre les autres : c’est sa tactique pour gagner depuis le début. Il n’en tirera que le plus juste des mépris, comme il ne peut pareillement que s’attirer le dédain des juifs que des mots ne pourront satisfaire. Les gens ne sont pas dupes de tels calculs qui déshonorent la France.

    Comment un tel homme peut-il représenter et défendre les intérêts français ? Il est insensible à l’histoire de France, à sa réalité d’hier, d’aujourd’hui et de demain à laquelle il ne croit pas.

    Pas d’intérêt français, pas de diplomatie française

    Son discours à la Conférence des Ambassadeurs à la fin août porte la marque de cette nullité faussement savante qui le caractérise et qui le gonfle de la plus vaine des suffisances.

    Deux heures d’affilée, soixante pages de texte, des phrases confuses, une pensée chaotique et qui se croit géniale dans l’accumulation de considérations aussi vastes que creuses. À chaque phrase, ce ne sont que « réflexions profondes » qui amènent « à réfléchir profondément » sur les « profonds bouleversements » du monde. Dans le texte ! Cent fois répétés. Comment des ambassadeurs, comment des officiers généraux, comment des gens sérieux peuvent-ils endurer pareille logorrhée ? Ce prétentieux grimaud de collège ne fait pas de la diplomatie, ce qui amènerait à considérer concrètement les intérêts français. Non, il fait de « la géostraétégie », ça pose ! « La géostratégie, ça me passionne », a-t-il déclaré ingénument, comme un benêt. Et voilà notre géostratège qui définit des priorités : aucune n’est française ; elles sont toutes mondiales. « Dans la recomposition géopolitique », « notre place est à trouver dans le système qui n’est pas un système français mais européen et mondial ». C’est là que se jouent « la sécurité, la souveraineté, l’influence ». Tout cela, y compris la souveraineté, ne peut donc être qu’européen et mondial ! Car « tout se tient » ! Admirable aphorisme, n’est-ce pas ? « Pour bâtir l’ordre nouveau », « l’esprit français » qui n’est autre que « l’esprit des Lumières », doit « animer le projet humaniste » qui orientera « la stratégie européenne » en vue de l’« ordre international ». N’est-ce pas sublime ? Il s’agit de faire « des avancées », c’est son mot, c’est même sa théorie : « il faut avancer vers l’avenir ». Evidemment, c’est un but !

    Pas un mot des intérêts français ! Ce verbiage indéfini se situe dans la suite de tous ses discours aux allures prophétiques avec les mêmes dialectiques ressassées d’ouverture et de fermeture, d’universalisme et de nationalisme. À stigmatiser à tout bout de champ le nationalisme, il n’atteint en réalité que la seule nation française qui est, de fait, son unique ennemi. Il hait la France qui l’empêche « d’avancer » ! Il s’est juré de la faire « autre ». Comment serait-il possible avec de telles nuées de concevoir une honnête diplomatie et une politique nationale française ?

    Plus de politique française au Proche-Orient. Macron sait-il seulement qu’Alep et Beyrouth étaient des villes où l’on se flattait de parler français ?

    Et l’Afrique ? Y-a-t-il rien de plus outrageant que la manière dont il en parle, dont il convoque les chefs d’État ? Sait-il que cette Afrique profonde aime en réalité la France sous la souveraineté de laquelle elle a connu la paix, la sécurité, le développement spirituel et économique ?

    En Europe, dans le monde, à force de chimères, il n’a plus d’amis. Même Merkel l’abandonne. Désormais chacun s’inquiète de ses discours et de ses plans.

    Il se croit habile en rencontrant ses plus hauts homologues : Poutine, Trump, Merkel et les autres. À chaque fois il ne peut s’empêcher de donner à penser que, grâce à son génie lumineux, c’est lui qui va rendre son partenaire enfin intelligent. Qu’on se souvienne comme il s’est félicité lui-même après son sommet de Biarritz fin août ! À l’entendre, il avait réconcilié Trump et l’Iran, Poutine et l’Europe, l’Angleterre et la Commission européenne, les Gafa et le monde, l’écologie et l’économie. Même Pinault y était allé de son « Fashion Pact », bien dit en anglais pour donner une dimension globale à pareil engagement. Macron ne tarissait pas de louanges sur lui-même et, bien sûr, sur « ses équipes ». Que reste-t-il cinq mois après ? Ce serait grotesque si ce n’était tragique. La France entre ses mains est en péril.

    Ivan Rioufol intitule son dernier essai qui vient de paraître aux éditions Pierre Guillaume de Roux, Les traîtres. Le qualificatif est juste. Macron n’est pas digne de la fonction qu’il exerce.

    2195910671.png

  • Et si on rappelait le roi ?, de Frédéric de Natal.

    frédéric de natal.jpgMarianne pendue au gibet du 49.3  ! ?

    L’acte a été condamné par divers élus locaux. Hier à Toulouse et,au petit matin, une vingtaine de jeunes militants de l’Action française ont pendu « symboliquement » une effigie de « la gueuse », ce terme méprisant habituellement attribué à la République depuis l’Entre-deux-guerres par les monarchistes. Le jour–même, le gouvernement du premier ministre Edouard Philippe dégainait l’article 49.3 de la constitution de 1958 afin de faire passer en force un projet de loi sur les retraites, victime d’une obstruction parlementaire. Entre ces deux actes, aucune corrélation si ce n’est le signe d’une France malade de sa démocratie et qui semble entamer désormais le dernier chapitre de son existence sur fond de violences sociales rarement atteintes dans son histoire.

    « Contre un régime instable, irresponsable, à court terme et qui divise, contre une république centralisatrice soumise aux lobbies qui sacrifie le Bien Commun aux intérêts particuliers et à la démagogie, Vite la Monarchie ! Pour que vive la France, vive le Roi ! »

    Peut-on lire sur les divers réseaux sociaux de l’Action française, le mouvement de l’académicien Charles Maurras et dont l’ombre ne cesse de planer au-dessus d’un gouvernement drapé dans le voile aveugle d’un autoritarisme qui ne dit pas encore son nom. Montée du communautarisme religieux, crise sociale, crise identitaire, montée des populismes, scandales en tout genre (comme le Benallagate pour ne citer que celui-ci), actes de terrorisme d’extrême-gauche (osons dire un peu les choses maintenant-ndlr), les chaînes des digues qui protégeaient tout individu contre l’intolérance naturelle de l’homme se sont brisées, la France de Louis XIV de Napoléon, ou de Charles de Gaulle est désormais menacée d’éclatement.

    Encore faut-il-ajouter de nouvelles ingérences politiques étrangères au sein de l’Hexagone sans même que l’état ne daigne bouger pour assurer notre intégrité nationale. Les attaques supposées de la Russie ou des Etats-Unis, l’affaire porno-politique Piotr Andreïevitch Pavlenski, l’incendie à la Gare de Lyon en marge d’un concert d’une star congolaise, les manifestations algériennes du Herak à Paris et hier le rassemblement géant organisé à Perpignan par le député séparatiste catalan Carles Puigdemont i Casamajó sont autant d’exemples récents et de signes de la déliquescence d’une Vème République qui semble à bout de souffle et à l’agonie. Une France réduite à « l’état de servitude volontaire » vis-à-vis de Bruxelles expliquait très justement Bertrand Renouvin,leader de la Nouvelle action royaliste et ancien membre du Conseil économique et Social, dans un éditorial de décembre 2019. Certains évoquent même ouvertement une « guerre civile » à venir sans savoir de qui l’un serait l’ennemi de l’autre, ou bien qui entre deux complot francs-maçons et dans un vague délire masturbatoire, fantasment à un hypothétique coup d’état de la « Grande muette », oubliant ce qu’est la réalité d’une dictature militaire ou la notion de légalisme qui règne au sein de l’armée. Et pourtant, à regarder de plus près, ce sont encore des preuves cette atmosphère d’angoisse générale qui a envahi « le pays réel [plus que jamais opposé] au pays légal ». Rarement dans son histoire, la France post-1945 n’avait atteint un tel niveau de crise révolutionnaire et celle de 1968 paraît bien sobre au regard des événements actuels.

    Un nouveau 6 février 1934 ?

    Hier soir aux abords du parlement, des milliers de français, toutes tendances politiques, se sont rassemblés pour crier leur refus de l’utilisation du 49.3. « Oublié les cahiers de doléances et le Grand débat », vague pitrerie présidentielle qui, à travers un savant coup de marketing, avait tenté de faire redorer le blason terni de « Jupiter », le surnom donné à Emmanuel Macron. Un président qui n’est plus en odeur de sainteté auprès des français. Fin de partie, la magie s’est envolée doucement dans les volutes de l’illusion, happées par le cynisme macronien post-ado du « moi je ». Ce matin, sur les ondes de Radio France Internationale, c’est unanime que l’opposition et les syndicats ont annoncé qu’ils allaient reprendre les manifestations contre le gouvernement alors que les vacances scolaires se terminent. Avec deux motions de censures déjà déposées contre le gouvernement du premier ministre Edouard Philippe, dont la permanence au Havre, a été attaquée pour la 3ème fois consécutive depuis le début de la campagne pour les municipales du 15 mars prochain, Les Républicains (LR), le Rassemblement national (RN) et France Insoumise (FI) vont tenter avec les dissidents de La République en marche (LREM) de faire tomber le gouvernement. Bien que cela ait peu de chances d’aboutir, l’ambiance du moment n’est pas sans rappeler cette journée historique, dans l’histoire de la IIIème République, qui avait menacé les institutions jusque dans ses fondements. La France est-elle au bord de l’implosion ? C’est la théorie qu’avance l’historien et démographe Emmanuel Todd dans son nouvel ouvrage « Les luttes de classes en France au XXIe siècle » et qui évoque « cette France du XXième siècle, paralysée mais vivante, où se côtoient et s’affrontent des dominés qui se croient dominants, des étatistes qui se croient libéraux, des individus égarés qui célèbrent encore l’individu-roi, avant l’inéluctable retour de la lutte des classes ».

    Et si on rappelait le roi  ?

     Le magazine « L’incorrect » affirme que les « français en rêvent ». Il n’est peut-être pas loin de la vérité. Avec 17 % des sondages en faveur de la restauration de la monarchie, des prétendants au trône de plus en plus présents dans l’espace médiatique, des titres qui se sont multipliés sur le sujet depuis deux ans des politiques locaux ou nationaux qui ont évoqué ouvertement ce « roi qui manque à la France » et dont elle ne s’est jamais vraiment remis de sa mort en 1793, l’institution républicaine montre des signes certains de fragilité et qui appellent au redressement national. Dans un éditorial dans le magazine « Marianne », la polémiste Natacha Polony, est lapidaire sur la réalité de ce déni flagrant de démocratie. un de plus après le référendum de 2005, balayé du revers de la main par le président Jacques Chirac, irrité que les français n’aient pas voté en faveur d’un nouveau contrat européen. « le projet de réforme des retraites aura constitué un naufrage politique. D’une idée plébiscitée par une majorité de Français, l’obstination technocratique à faire travailler plus longtemps des citoyens soupçonnés de paresse congénitale aura fait une occasion de plus de construire l’image d’un pouvoir autoritaire et sourd. En face, la guerre de tranchées des députés insoumis à coups d’amendements prétextes aura davantage encore détruit ce qui reste de débat à l’Assemblée nationale » écrit Natacha Polony. Le parlementarisme actuel a atteint les limites de son existence avec l’utilisation à outrance de cet article constitutionnel ou de ses amendements. De droite comme à gauche, toutes idéologies confondues, on crie haro sur le « monarchisme républicain », pâle-copie sans saveurs de notre défunte royauté sans trop oser encore appeler à un référendum sur la question des institutions. Excepté France insoumise et son idée saugrenue de revenir à un type de IVème république, un des plus beaux échecs de gouvernance républicaine ayant existé.

    La France nostalgique de ses souverains  ?

    Exit depuis les trois derniers mandats présidentiel, l’idée d’avoir « un chef d’État arbitral, garant de la continuité et de l’indépendance nationale, véritable clef de voûte des institutions » a été dévoyée. « (…) Il n’est pas étonnant que les Français, attachés à la symbolique politique, se prononcent à chaque élection présidentielle par des votes de rejet plus que d’adhésion » constatait avec inquiétude, le prince Jean d’Orléans, comte de Paris, dans une tribune publiée dans le journal « Le Figaro », en octobre 2018 et à l’aube du mouvement des Gilets Jaunes, nos croquants de ce siècle pour lesquels, les deux prétendants au trône ont apporté leurs soutiens officiels. Les français réclament un arbitre. En guise de conclusion, le comte de Paris ne se faisait-il pas l’écho de la volonté de nos concitoyens lorsqu’il écrivait justement : « Je souhaite, dans la continuité des déclarations de mon grand-père et de mon père, que l’État soit, à nouveau, rétabli dans son indépendance selon sa vocation arbitrale afin qu’il soit pleinement au service de la France et des Français ». « L’Intérêt national et la restauration des pouvoirs régaliens méritent toute notre attention, pour la France et le Roi » martèle l’Action française. Jean d’Orléans, Louis-Alphonse de Bourbon, Jean –Christophe Napoléon, autant de descendants d’Henri IV qui se sont déclarés, ces mois passés, tous disponibles à relever le drapeau tricolore si la population le souhaite. Le cheval blanc et Jeanne d’Arc en moins.

  • Bienheureux Coronavirus ! ! ! (partie I), par Antoine de Crémiers, Pierre de Meuse, Henri Augier.

    Avant propos

    Nous ouvrons aujourd’hui un débat   interne à notre mouvement proposé par des militants de longue date, inscrits dans l’histoire de l’Action française et connus pour leurs actes et leurs écrits. Ils font un constat lucide de la faillite du politique dans notre pays appuyé par une partie de l’«  élite  » intellectuelle  engagée pour la dissolution de la nation dans un mondialisme impersonnel, technocratique et aveugle aux besoins des peuples. Mais en dehors de ce constat que nous partageons tous, ils nous proposent de réfléchir, à l’occasion  éclairante de la pandémie brandie comme «  l’Armageddon  », ensemble à des alternatives possibles, pour le jour d’après, dans tous les domaines  :  Sociaux, économiques, culturels… pour rapprocher les français et trouver des outils susceptibles de contrer les agissements d’un système autiste, et méprisant toute tentative de prendre en compte l’expression populaire en la taxant de populiste, c’est-à-dire aux yeux des libéraux libertaire  :  Extrémiste et intolérante, ce qui est un comble quand on connait l’arsenal répressif déployé par le pouvoir contre toutes formes d’opposition dans notre pays. Étant donné la longueur de ce texte, il paraitra en deux parties. Nous commençons par le constat et nous continuerons sur la mise en «  ordre de bataille  ».

    Olivier Perceval

    2.jpgIl est effectivement grand temps de nous mettre en ordre de bataille pour « le jour d’après » qui sera sans doute sanglant.

    Nous sommes en 1929 et bientôt en 1933 ? Mais avec une nuance toutefois. A l’époque, la crise marque pour beaucoup la fin du libéralisme et son échec pour des causes endogènes, impossibles à dissimuler. Les libéraux dépriment et en 1938 dans la revue de Paris, Louis Rougier déplore que les partisans du libéralisme apparaissent comme « de donquichottesques paladins attardés à défendre une cause perdue ». Le libéralisme semble alors représenter une catégorie définitivement réfutée par l’histoire. Il faudra des années pour que ses adeptes le ressuscitent après l’épisode de l’État providence.

    Aujourd’hui :

    Depuis assez longtemps déjà, le système marchait vers l’abîme, condamné à patiner de plus en plus vite sur une glace de plus en plus mince, appuyé sur un endettement délirant suscité par la crise des années 2007/2008 époque où les Etats avaient répondu au problème de la dette par plus de dettes en transformant par un tour de passe-passe les dettes privées en dettes publiques. Dans un mouvement sans fin alimenté par des taux maintenus au plus bas, parfois même négatifs, et une création monétaire apparemment inépuisable dont la part essentielle, sans s’investir dans l’économie tournait en rond dans la sphère financière, le système ressemblait fort au catoblépas cet animal fabuleux tellement bête qu’il se dévorait lui-même. Nos hommes politiques ne savaient plus que faire pour dissimuler leur folie sachant que l’implosion était proche, mais qu’il   paraissait possible de la retarder indéfiniment ou du moins jusqu’au passage du relais à leurs successeurs.

    3.jpgMais l’heure des règlements de compte approchait dangereusement, lorsque survint comme par enchantement le coronavirus. Bienheureux coronavirus dont il faut à tout prix noircir et dramatiser les effets pour permettre de se déguiser en chef de guerre sans craindre le ridicule, lui attribuer tous les maux du temps présent, exonérer ceux qui en sont responsables et tuer l’économie qui ne pourra être sauvée à nouveau que par une création monétaire délirante et en «  en même temps  » tenter de rassurer les peuples par des promesses intenables, L’État devant jouer le rôle d’un assureur tous risques. Leur seule arme, c’est la planche à billets. Cette cause réputée purement exogène vient donner un répit au système. Répit qui sera de courte durée toutefois, les comparaisons rassurantes qui sont faites avec la période 2007/2008 étant nulles et non avenues  ; on voit même des prévisionnistes et analystes économiques, ceux qui se trompent toujours, expliquer doctement que oui, il y aura un moment difficile, mais dès le troisième trimestre et surtout au quatrième, la croissance repartira… Nous constaterons très vite le décalage entre promesses et réalisations. Nos économies sont à l’arrêt et beaucoup d’entreprises et de professions indépendantes cesseront leurs activités ce qui mécaniquement entraînera des baisses de rentrées fiscales et une augmentation du chômage…Or, nous ne savons pas quand la production pourra repartir, quelle sera l’importance du chômage et celle des personnes sans ressources et pas davantage combien de banques et d’assureurs vont faire faillite, nous ne savons pas… Et le jour d‘après risque fort d’être celui de la colère contre les «  habiles » qui ne peuvent cacher leurs méfaits, incapables de fournir du gel hydro alcoolique, des masques, des respirateurs, des lits, des tests, qui tiennent des propos contradictoires, prennent des décisions qui ne le sont pas moins, révélant leur dramatique incurie. Ce sera la colère des maires, celle des forces de l’ordre, du personnel médical et hospitalier et de ceux, nombreux, trompés et abusés par des menteurs professionnels qui ne feront plus illusion.

    Et pendant ce temps là… les « habiles » non seulement plaident non coupables, mais répètent qu’ils avaient raison et préparent dans les coulisses leur retour sur le devant de la scène.

    MATHIEU LAINE : Dans un livre récent intitulé « Il faut sauver le monde libre » L’auteur défile les propos convenus d’un libéralisme tranquille pourtant menacé par des ennemis qui deviennent chaque jour plus dangereux :

    « Alors qu’objectivement le monde va mieux ! Les ouvrages se multiplient relayant l’idée du crépuscule de notre civilisation, condamnant pêle-mêle l’économie de marché, la faillite de la démocratie représentative, une mondialisation à mille lieues du « doux commerce » de Montesquieu, les frictions identitaires, le désengagement citoyen ou l’individualisation d’un monde obsédé par le matérialisme  ; et il poursuit : « Du lointain boulangisme qui rassemblait les bonapartistes, les monarchistes et les républicains, tous opposés à la IIIème république, aux cinquante nuances de jaunes des années Macron, d’Orbanen Hongrie, au parti vérité et justice en Pologne, jusqu’au régime autoritaire de Maduro au Venezuela et celui d’Erdogan en Turquie en passant par l’alliance italienne entre le mouvement cinq étoiles et la ligue derrière Salviniou l’administration Trump, et désormais Boris Johnson, le populisme ramasse, mixe, et fait son miel de la multitude des frustrations, des colères et des insatisfactions, comme on drague sans nuance le fond des océans. Il prend autant de visages que d’incarnations et communie, contre la rationalité historique, contre les preuves statistiques, au rejet enflammé de tout ou partie des valeurs fondatrices du monde libre. »

    Olivier Perceval.jpgMathieu laine accuse les contestataires de sombrer dans le racisme, l’antisémitisme, l’obscurantisme, foulant aux pieds le fondement vital de nos démocraties que sont les droits essentiels, les institutions, les votes, les élus et leurs mandats. La très grande puissance du monde libre réside dans sa capacité à changer de dirigeants par le vote et non par la force. Certains l’ont manifestement oublié. (Interdit de rigoler ! ! !) Cette radicalisation est une insulte à la raison, une mise en marge de la république et une menace profonde pour l’avenir de notre communauté humaine. Et dans un paragraphe intitulé la convergence des brutes, il ajoute « l’époque n’a pas seulement redonner vie dans un concert mêlant comme jamais auparavant le vrai et le faux aux promesses les plus démagogiques elle a aussi fait resurgir les fantômes du passé. En France le mouvement des gilets jaunes, parti d’une jacquerie fiscale a réveillé le serpent de mer de la lutte des classes, des places, et des crasses. Comme à la grande époque de la convergence des brutes, le jaune a fini par s’assombrir et ressusciter une sinistre pandore délirant inexorablement au jaune rouge et au jaune brun.

    Dans un article paru dans le Figaro du mercredi 1er avril ( !) Mathieu Laine, psychorigide et monomaniaque poursuit l’analyse que lui dicte son idéologie et lui fait tenir des propos absurdes : « En ces temps tragiques où nous luttons contre un mal invisible et pleurant nos morts, mesurant dans nos chairs l’importance parfois oubliée du primat de la liberté ( !) l’heure a sonné de penser nos lendemains… A ce moment-là, un premier piège nous tendra les bras : le repli durable sur nous-mêmes. Parce que nombreux sont ceux qui associent l’épidémie à la mondialisation, la tentation sera grande de maintenir nos frontières fermées et nos volets baissés sur le pas-de-porte de l’altérité. Notre monde y allait tout droit, cédant aux injonctions de la peur, de la colère et de l’envie tout en niant les apports objectifs de la circulation des biens, des hommes et de la connaissance. Ce serait là une erreur majeure…

    ALAIN MINC  ou les raisons d’être optimistes  ! ! !

    A son tour, manifestant la même incompréhension du temps présent, et tout aussi psychorigide, Alain Minc dans un article du figaro du mardi 31 mars nous donne « des raisons sérieuses d’espérer » car dit-il,  les pouvoirs publics ont tort de proclamer que nous vivons une crise pire qu’en 1929, c’est paradoxalement grâce à eux que nous éviterons la grande dépression qui prennent les bonnes mesures : « Politique budgétaire unanime et incroyablement expansionniste, création monétaire sans limite, monétisation aussi large que nécessaire des dettes publiques, volonté de garder les effectifs professionnels et et d’éviter le chômage de masse. »

    Nous ne sommes pas non plus poursuit-il, en 2008, époque où le système bancaire aurait pu exploser et l’économie de marché sombrer. « Aujourd’hui, l’univers bancaire est efficace, alimente les circuits économiques qui fonctionnent à 65 % et demain sans doute davantage, compte tenu des redémarrages en vue. L’économie réelle marche fut-ce à vitesse réduite et sera en situation de redémarrer, une fois la crise finie, au prix d’un plan de relance ». Ayez confiance donc et résistons aux « passions tristes car, dans un monde qui ne cessait de disqualifier chaque jour l’action politique, jamais celle-ci n’a pris depuis des décennies une telle légitimité. » A voir ce libéral saluer l’action des pouvoirs publics, certains pourraient penser, à tort, que ce renforcement du rôle de l’État signe le faire-part de décès du libéralisme, il n’en est rien, bien au contraire, le renforcement de l’action des pouvoirs publics visant, c’est une constante, à sauver le marché et les règles de la concurrence, Alain Minc est un vrai libéral, il en assume complètement les contraintes. Comme le disait si bien Durkheim « L’Etat a été le libérateur de l’individu. C’est l’Etat qui, à mesure qu’il a pris de la force a affranchi l’individu des groupes particuliers et locaux qui tendaient à l’absorber, famille, cité, corporation… L’individualisme a marché dans l’histoire du même pas que l’étatisme »

    LUC FERRY : Il ne manquait plus à ce florilège de propos imbéciles que ceux du vieux barbon républicain et kantien. Dans un article du figaro, daté du jeudi 26 mars il s’attaque violemment aux « vautours » aux oiseaux de malheur qui « sonnent le réveil ». « L’avenir nous dit-il, montrera vite que cette crise ne changera au final que peu de choses. Certes, elle touchera durement des personnes et des entreprises, mais pas le système de la mondialisation libérale (Ouf !) que consacre au contraire la logique des GAFA : jamais smartphones et tablettes n’ont autant servi ! Oui, il y aura des faillites, une récession colossale et un endettement inévitable, néanmoins dramatique… Un Etatendetté, voire en faillite, n’en restera pas moins un Etatfaible. La croissance libérale mondialisée repartira donc en flèche dès que la situation sera sous contrôle. Les revenus de nos concitoyens auront diminué, certes, mais ils auront aussi fait des économies et elles inonderont le marché dès la fin du confinement. Donc, «  Ce sera reparti non pas comme en 14, mais comme dans les périodes d’après-guerre. Business as usual est l’hypothèse la plus probable, et du reste aussi la plus raisonnable, n’en déplaise aux collapsologues. »

    Les trois positions évoquées ci-dessus ne peuvent que nous laisser sidérés, elles sont assises sur une absence totale de logique, de cohérence et de cette incapacité des idéologues à comprendre le réel qui les transforment, comme le dit si bien Charles Gave à propos de Macron en parfait crétins, mais dangereux comme le montrera très certainement la suite des évènements.

  • FIN DE CYCLE

    Par Pierre Renucci  

    Une réflexion sur la nature des cycles qui constituent la vraie Histoire et sur les évolutions profondes que connaît le monde actuel. Où des motifs d'espérance se dessinent. 

    IMG_20180129_195658 (002).jpg

    Un cycle historique s’achève, entend-on souvent. Probablement. Attention pourtant à cette notion faussement simple.

    Ne nous imaginons pas les cycles historiques comme des assiettes empilées dans le buffet ou soigneusement posées sur une table. Ils ressemblent plutôt à des cercles concentriques, un peu comme des ronds dans l’eau provoqués par un caillou. Et les choses se compliquent quand ils s’entrecroisent avec d’autres ronds provoqués par d’autres cailloux lancés à des époques plus ou moins proches. Par exemple, le capitalisme industriel ne serait pas né sans la grappe d’inventions qui permit le machinisme ni sans les Lumières qui provoquèrent la révolution bourgeoise et l’esseulement de l’individu. Ce que l’on appelle fin de cycle, n’est donc bien souvent que la disparition de segments formés par l’intersection de plusieurs ronds dans l’eau… D’ailleurs, plutôt qu’à des cycles, l’Histoire ne ressemble-t-elle pas à une ligne qui s’incurve, se brise, se redresse au gré des événements ?

    587070524.jpgPartout, mais surtout en Europe, la ligne à peu près droite qui avait débuté en 1945 se tord. Cette année-là s’était achevée une guerre de trente ans entrecoupée d’une fausse paix. Une guerre perdue par l’Europe. Bien sûr, ce conflit mondial étant d’abord un conflit européen, il y eut des nations européennes vainqueurs et d’autres vaincues. Mais à l’exception de la Russie, l’Europe en tant qu’entité était la grande perdante. Vassalisée par les États-Unis et l’Union soviétique, elle entrait dans une longue dormition dont elle n’est encore pas sortie. Quoiqu’antagonistes, les deux suzerains partageaient la même détestation de la vieille Europe et la même croyance en leur propre vocation messianique. Leur objectif était en définitive identique : la création d’un homo oeconomicus standardisé, sans racine, sans culture, sans histoire. Seule la méthode différait. Les Soviétiques entendaient l’asservir à l’État communiste par la brutalité et de la planification. Les Américains, au Marché dominé par eux-mêmes, en diffusant l’american way of life avec sa culture de masse et sa production de masse.

    La ligne commence à se tordre, donc, avec la chute du mur de Berlin en 1989 et la disparition de l’URSS en 1991. Cette inflexion marque la fin du cycle communiste en Europe, mais pas de celui de l’Europe vassalisée désormais soumise aux seuls États-Unis : la ligne s’incurve, elle ne se brise pas. Évidemment, dans un premier temps, la disparition du communisme donna l’illusion de la supériorité de l’Occident, entendu comme le modèle capitaliste américain.

    De fait, jusqu’à l’orée du XXI° siècle, ce néo-libéralisme empreint de libertarisme semblait devoir s’imposer au monde et réaliser les prétentions messianiques des États-Unis. Pour sa part, si l’Europe pouvait se féliciter d’être débarrassée de la tyrannie communiste, le déséquilibre des forces qui en résulta la soumit davantage aux « valeurs »   libéral-libertaires sous lesquelles se cache l’impérialisme du système américain. Cette soumission eut deux conséquences immédiates. D’un côté le suivisme des Européens dans la politique étrangère de leur suzerain : provocation envers la Russie, aventures militaires au Kosovo, en Afghanistan, en Irak. De l’autre et surtout, le façonnage accéléré de l’homo oeconomicus par le Capitalisme au moyen de l’invasion migratoire, de la propagande et de la farce sociétale.

    policiers-autrichiens-migrants.jpgL’invasion migratoire présente le triple avantage d’importer de la main d’œuvre à bon marché mais plus encore des consommateurs subventionnés par l’impôt prélevé sur les indigènes, et de détruire les identités nationales. On sait que l’invasion migratoire - cela fut confirmé par les révélations de Wikileaks de 2010 - est souhaitée et favorisée par les États-Unis pour détruire l’Europe de l’intérieur.

    Bien sûr, l’indigène regimbe un peu. Alors on l’éduque. La propagande commence à l’École, où l’enseignement du dogme de l’Humanité a depuis longtemps remplacé les humanités. Puis la machine politico-médiatique prend le relais, sous l’influence notable d’anciens communistes de toute obédience (trotskystes, stalinistes, maoïstes) reconvertis dans le libéral-libertarisme. Les catéchistes de la nouvelle religion ordonnent leurs prêches autour de deux thèmes principaux. Un, la glorification du dieu Marché et de ses hypostases que sont l’Immigré, le Féminisme, les Minorités ou la Libération Sexuelle. Deux, la culpabilisation du Blanc - surtout européen - responsable sans partage de tous les maux. Quant aux déviants qui s’avisent de contester la bonne parole, ils sont dûment châtiés par la mise à l’index, l’exclusion sociale et si ce n’est assez, par les juges nationaux et internationaux.

    La farce sociétale relève d’un registre plus subtil. Le Système utilise ce dérivé du libertarisme soixante-huitard à plusieurs fins. Sur le plan commercial, il ne s’agit jamais que de technique de « segmentation du marché » pour créer de nouveaux besoins, de nouvelles clientèles et de nouveaux profits. Ainsi s’explique l’émergence de produits de spéculation tel le non-art du type plug annal et emballage du Pont-Neuf, ou de services de satisfaction de l’individu-roi telle la GPA pour tous. Ainsi s’explique aussi le « ciblage » de catégories de population, tels les homosexuels, les communautés ethniques etc. Mais pour que ces  « segments de marché » développent leur plein effet, il faut les intégrer dans la religion de l’Humanité, le mettre sous la protection des droits de l’Homme, ce qui nécessite l’intervention du politique.

    1f34c-1_7ndf97etytbfdmogswz5g.jpgC’est alors que la farce sociétale revêt le masque de l’« opposition progressiste » au Système. On y trouve pêle-mêle les « cultureux » subventionnés par le ministère de la Culture, les minorités activistes (LGBT, indigénistes, ultragauche…), les « féministes 2.0 », bref toutes les chapelles du « jouir sans entrave ». La confrontation est évidemment factice. En réalité, si le Système feint de se démarquer de ces pantalonnades, c’est pour mieux s’en servir : en révolution permanente, le Capitalisme trouve dans les délires sociétaux de l’« opposition progressiste » la caution nécessaire à sa fringale destructrice. C’est pourquoi, après une résistance de bon aloi, il promulgua bien volontiers le mariage pour tous, consacrant du même coup les homosexuels en communauté et en segment de marché, et qu’il érigera bientôt PMA et GPA pour tous en droit de l’Homme.

    Ainsi donc, la monade humaine décérébrée, déracinée, déracisée, voit le jour, zombie dont l’appartenance se résumera à ses segments de consommation et dont le bonheur consistera à satisfaire les désirs soufflés par le Marché.

    Mais le pire n’est jamais sûr. Les échecs américains au Proche-Orient et en Afghanistan, la question identitaire au sein même de la société américaine, la crise financière, l’émergence de la puissance chinoise et demain indienne, le refus de la Russie de se laisser dépecer et vassaliser, ont redonné espoir à ceux qui attendent le réveil de l’Europe. À tout le moins, la vision unipolaire de l’american way pour tous c’est-à-dire du Marché dominé par les seuls Américains a désormais peu de chance de se réaliser.

    La partie s’annonce rude. Les forces de dissolution sont à l’œuvre depuis longtemps. Toutefois le Système n’est plus aussi fort qu’à ses débuts. Le capitalisme financier connaît une crise si grave, qu’il ne survit qu’au moyen d’artifices financiers comme la facilitation monétaire (quantitative easing), la socialisation des pertes bancaires et le recours indéfini aux emprunts.

    ENF-Koblenz.jpgEn Europe, les immigrés se comportent comme le souhaite le Système : ils s’adonnent à la consommation de masse et constituent des communautés qui affaiblissent les nations. Mais leur refus de s’assimiler provoque chez les indigènes une renaissance du sentiment national. Aux États-Unis, le peuple fatigué de l’immigration massive et du capitalisme débridé, élit un président populiste, avouant par là-même l’échec de la domination américaine du Marché. L’Europe de l’Est instruite par des siècles de luttes contre l’empire ottoman et par cinquante ans d’occupation soviétique ne veut ni d’une invasion migratoire musulmane ni de la tyrannie de l’UE, ces deux derniers phénomènes étant d’ailleurs liés. L’Autriche et l’Italie sont maintenant gouvernées par des « populistes » et ouvrent peut-être la voie à l’Europe de l’Ouest. En France le mouvement des Gilets Jaunes, sonne la révolte contre l’oligarchie. Sans doute ne dénonce-t-il pas l’invasion migratoire. Mais ne faut-il pas voir dans ce silence une « pensée de derrière » à la Pascal, dont l’« habileté » serait de taire ce qu’on ne peut encore hurler ? Peut-être, tant la crainte de passer pour raciste obère la parole. Pourtant, quels que soient les défauts de ce mouvement et la récupération dont il peut faire l’objet, on peut espérer que sa spontanéité et son origine éminemment populaire marquent le retour de la nation.

    Ce que nous vivons annonce peut-être une de ces secousses historiques dont les effets se mesurent à l’échelle du millénaire. L’Europe occidentale - l’homme malade de l’hémisphère nord - doit s’y préparer sous peine de disparaître. Royaume-Uni, Belgique, Suède, France sont les plus touchés.

    comte-paris-wikipedia.pngDe ces quatre nations sœurs, on peut espérer que la France sera la première à relever l’étendard du sursaut. Mais son système politique souffre d’un grave manque de représentativité. Contrairement aux Italiens, les Français ne peuvent compter sur aucun parti ni aucune alliance propre à renverser l’oligarchie qui gouverne depuis quarante sous l’apparence d’une fausse alternance. C’est d’ailleurs pourquoi le référendum d’initiative populaire demeure la principale revendication des Gilets Jaunes.

    Dans ce combat qui ne sera gagné qu’en retrouvant nos racines, en nous souvenant de notre héritage spirituel, un authentique arbitre serait nécessaire. Or la France a la chance d’avoir la plus vieille famille dynastique d’Europe et pourrait demander à son rejeton d’exercer cette fonction de roi-conscience.

    Puisse ce prince se faire connaître et se déclarer prêt à accomplir sa tâche : lever l’étendard du sursaut, celui de Saint-Denis !   

    Pierre Renucci
    Historien du droit, des institutions et des faits sociaux 

    406080565.jpg

    Marc Antoine : un destin inachevé entre César et Cléopâtre  [26.00€]

  • Michel Onfray: «Le mal français, c’est d’abord la haine de soi dont presque tout dépend», par Vincent Trémolet de Viller

    «Aimer la France est nécessaire pour en finir avec ce qui la tire vers le fond. L’aimer c’est croire en la possibilité de lui redonner un lustre avec ce qui fit sa grandeur», avance Michel Onfray. Philip Conrad/Photo12 via AFP

    Sources : https://artofuss.blog/

    https://www.lefigaro.fr/vox/

    http://www.gaullisme.fr/

    Dans cet autoportrait politique, le philosophe, qui a lancé avec fracas et quelques polémiques une revue trimestrielle rassemblant souverainistes de tous bords, rappelle son amour de la France, celle de Corneille à Robespierre, et de Bossuet à Sartre.

    «Populaire» dans toute la polysémie du mot, le philosophe, essayiste, écrivain, professeur et désormais directeur de publication a lancé avec fracas et quelques polémiques une revue trimestrielle qui entend rassembler les souverainistes de tous bords. Proudhonien de gauche mais aussi proudhonien de droite, Michel Onfray choisit de Gaulle contre Mitterrand. Dans cet autoportrait politique, il se moque des étiquettes comme de ceux qui veulent à tout prix lui en donner, et rappelle son amour de la France, pas celle d’un homme ou d’un camp, mais tout à la fois celle de Corneille et de Robespierre, de Bossuet et de Sartre.

    LE FIGARO. – Vous avez lancé une revue dont le titre «Front populaire» emprunte à la gauche un des événements les plus importants de son imaginaire. Vous vous êtes toujours affiché comme un homme de gauche. Quelle est votre filiation: Marx? Proudhon? Jaurès? Péguy?

    Michel ONFRAY. – Le titre renvoie à deux choses: la première ce sont les images du Front populaire, celles de Willy Ronis par exemple, qui montrent des gens simples et modestes heureux de découvrir la campagne, la montagne, la mer, les plages, les bals populaires, le camping, le vélo et le tandem grâce aux avancées sociales du Front populaire qui n’ont pas fait couler une seule goutte de sang – au contraire d’autres moments de l’histoire de la gauche, je songe plus particulièrement à 1793.

    La seconde, au sens second de ces termes: faire un front qui soit populaire afin de l’opposer à un front qui existe déjà, mais qui est populicide, et qui est celui de la droite de gauche et de la gauche de droite qui communient dans une même idéologie, celle de l’européisme maastrichtien et qui a été fédéré par Emmanuel Macron. Ma filiation est simple: c’est la gauche proudhonienne antimarxiste.

    Homme de gauche, vous avez des lecteurs et des soutiens à droite et même à la droite de la droite, quelle serait votre filiation à droite: Joseph de Maistre, Tocqueville, Aron?

    Proudhon… Car son socialisme n’a pas déplu à la droite parce qu’il était pragmatique, empirique et qu’il refusait l’idéologie. Proudhon est pour la propriété privée, pour la liberté d’entreprendre, pour l’initiative et la responsabilité individuelle, mais aussi pour le mutualisme, pour la coopération, pour le partage des profits, pour l’autogestion. De même, il ne souscrit pas à l’idéologie du progrès et encore moins à sa religion, le progressisme. Il est conservateur de ce qui doit être conservé et révolutionnaire pour ce qui peut être dépassé. Un conservateur sans la révolution et un révolutionnaire sans le conservatisme incarnent l’un et l’autre deux modalités de la barbarie. Il y a les deux chez Proudhon.

    Entre le général de Gaulle et François Mitterrand, votre esprit balance?

    Il ne balance pas du tout: c’est clairement oui à de Gaulle dont la grand-mère, qui écrivait, avait publié un éloge de Proudhon. Son projet de référendum sur la participation, pour répondre à Mai 68, a été torpillé par la droite conservatrice et refusé par la gauche opportuniste. Or ce texte est fortement inspiré par le socialisme français du XIX° siècle dont de Gaulle disait par ailleurs du bien.

    Mon de Gaulle est celui de Malraux et de Gary, de Simone Weil et de Kessel, de Mauriac et de Maurice Clavel

    Michel Onfray

    Le paradoxe de ces deux-là est que de Gaulle fut un homme de gauche soutenu par la droite et Mitterrand un homme de droite soutenu par la gauche. Mon de Gaulle est celui de Malraux et de Gary, de Simone Weil et de Kessel, de Mauriac et de Maurice Clavel. Mitterrand n’eut que Jean Guitton, un philosophe pétainiste, à mettre en face…

    Le couple de Gaulle-Mitterrand a fait/défait la France du XXe siècle. Je raconte tout cela dans un livre à paraître à la rentrée qui s’intitule Les Vies parallèles

    Vous vous présentez comme souverainiste. Cette notion n’est-elle pas réductrice? Celui qui aime son pays est patriote, il sait que la souveraineté n’est jamais absolue et que la vie d’une nation est faite de dépendances, d’alliances, de contraintes extérieures avec lesquelles il faut composer…

    Bien sûr mais faites-moi la grâce de ne pas souscrire à la définition idéologique qu’en donnent ses ennemis! Le souverainisme n’est pas l’autisme de la nation mais la possibilité pour elle de recouvrer ses esprits.

    Le souverainisme n’est qu’un préalable: il est l’art de reprendre en main le gouvernail d’un bateau qui part à la dérive. Ce qui n’augure en rien d’un cap qui s’avère le second temps.

    Une première perversion des maastrichtiens ennemis de la France est qu’ils sont parvenus à associer le mot souverainisme à une insulte, ce qui veut dire qu’ils font de son contraire une vertu. Or le contraire de souverainisme c’est vassalité, soumission, dépendance, assujettissement, tutelle! Je ne crois pas pour ma part que la servitude soit une vertu…

    Le souverainisme s’appuie sur la conception gaullienne de l’Europe qui défend une Europe des nations

    Michel Onfray

    Une deuxième perversion est qu’ils sont également parvenus à faire croire que le souverainisme c’était la nation, donc le nationalisme, donc la guerre! Rappelons que les deux guerres mondiales ont moins concerné les nations que les empires! Car c’est l’impérialisme qui est la guerre. Or, cet impérialisme c’est celui de l’Europe de Maastricht et non de la France. Un entretien entre BHL et Philippe de Villiers récemment paru dans vos colonnes a permis à BHL de revendiquer pour l’Europe la nécessité d’imposer «un pôle “impérial” alternatif» – les guillemets sont de lui…

    Une troisième perversion consiste à faire croire que l’Europe c’est l’Europe libérale et que, si l’on est contre l’Europe libérale parce qu’elle est libérale, c’est qu’on est contre l’Europe tout court, donc, je me répète, car ils se répètent: c’est qu’on est pour les nations, donc pour le nationalisme, donc pour la guerre! Mais l’Europe n’existe pas en soi: Charlemagne, Napoléon, Hitler et Jean Monnet l’ont également voulue!

    Le souverainisme s’appuie sur la conception gaullienne de l’Europe qui défend une Europe des nations. Personne ne peut croire, sauf mauvaise foi polémique, que le souverainisme ce soit le repli autiste sur son carré de luzerne national…

    Le souverainisme n’a-t-il pas tendance à chercher des causes externes à ce qu’Alain Peyrefitte appelait «le mal français»? En d’autres termes reprocher à Bruxelles un certain nombre de défaillances (bureaucratie, État social trop prodigue, pression fiscale…) qui sont de notre fait et pas du fait de l’Union européenne?

    La construction de cette Europe américaine voulue par la CIA, Jean Monnet, Mitterrand, puis les maastrichtiens de droite et de gauche, s’est faite sur la haine de la France. Le mal français est moins caractérisé par la bureaucratie, l’administration, l’assistanat, les impôts que par la haine de soi dont presque tout dépend. Cette haine de soi fut vendue comme condition de possibilité de l’amour de l’Europe.

    Aimer la France est nécessaire pour en finir avec ce qui la tire vers le fond. L’aimer c’est croire en la possibilité de lui redonner un lustre avec ce qui fit sa grandeur

    Michel Onfray

    Or, aimer la France est nécessaire pour en finir avec ce qui la tire vers le fond. L’aimer c’est croire en la possibilité de lui redonner un lustre avec ce qui fit sa grandeur: un mélange de vertu austère, Corneille et Racine, et de romantisme échevelé, Hugo et Delacroix, un mixte de christianisme sévère, Champaigne et Bossuet, et de jacobinisme intransigeant, Robespierre et Bonaparte, un amalgame d’idéalisme éthéré, Sartre et Boulez, et de pragmatisme tragique, Camus et Aron.

    Vous êtes très sévère avec la sphère médiatique et politique et pourtant vous continuez à y prendre part. Vous qui avez consacré un essai à Thoreau, êtes-vous hanté par la «tentation de la cabane» ou tout au moins la poursuite d’une œuvre philosophique et littéraire loin du débat public?

    Je suis sévère parce que je parle d’expérience… Lors de la parution de mon livre sur Freud et la psychanalyse, en 2010, alors que l’ouvrage était à peine en libraire, j’ai vu fonctionner «cette sphère médiatique» qui, comme un seul homme, a lancé une curée contre moi. Il était interdit de lire l’œuvre complète de Freud et d’effectuer des variations, pendant cinq cents pages, sur un thème fourni par Freud lui-même selon lequel la psychanalyse était «un blanchiment de nègres» – cette expression est de lui. Cette expérience fut pour moi comme une porte ouverte sur la salle des machines du système! J’ai depuis accumulé les campagnes de presse contre moi… Je connais donc leurs logiques.

    Faudrait-il pour autant se taire? Je ne le crois pas. Les tenants de cette boutique l’aimeraient tant! Je crois au contraire à la nécessité de raconter sans cesse comment fonctionne la machine à décerveler, à embrigader, à gaver, à abrutir, à hébéter, à insulter, à mépriser – en un mot: à fabriquer du consentement.

    Le peuple n’a pas toutes les vertus mais il s’en prend plein la figure depuis des décennies…

    Michel Onfray

    Par ailleurs, je poursuis une œuvre philosophique (un certain nombre de textes, dont trois volumes de chacun plus de 500 pages, Brève encyclopédie du monde), historiographique (une douzaine de livres d’histoire de la philosophe avec ma Contre-histoire), poétique (une dizaine de recueils de poésie…), esthétique (une vingtaine de monographies consacrées à des peintres vivants) – ce dont la presse se moque absolument puisqu’elle veut absolument m’arraisonner à l’avatar qu’elle a fait de moi et qui ne correspond en rien à ce que je suis vraiment, un avatar sur lequel elle tape à bras raccourcis…

    Pour autant, je n’exclus pas un jour de recourir à la tentation de la cabane. Mais disons pour l’heure que l’ardeur de certains politiques, en Normandie et à Paris, à détruire l’université populaire de Caen afin de me réduire au silence était un mauvais calcul: ça m’a plutôt rendu plus bavard! D’où la création de Front populaire avec mon ami Stéphane Simon, mais également d’autres projets auxquels nous travaillons…

    Vous voulez vous faire le porte-voix du peuple mais la dialectique peuple-élite n’est-elle pas faussée et mortifère? N’y a-t-il pas un danger à habiller le peuple de toutes les vertus et les élites de toutes les turpitudes? Camus, que vous admirez, est parvenu à passer de l’école communale au prix Nobel de littérature, du «peuple» à «l’élite»…

    Je ne pense pas comme ça… Le peuple n’a pas toutes les vertus mais il s’en prend plein la figure depuis des décennies… Les élites ne sont pas toutes condamnables, mais la plupart sont souvent du côté de ceux qui portent les coups au peuple.

    Je n’essentialise aucune de ces deux catégories et j’ai pu, dans un livre sur les «gilets jaunes», Grandeur du petit peuple, dire à plus d’une reprise combien je ne me sentais pas solidaire de telle ou telle exaction commise par des «gilets jaunes», mais aussi combien j’approuvais les intellectuels qui défendaient les «gilets jaunes» tels Emmanuel Todd ou Jean-Claude Michéa, et ce factuellement, sans jamais généraliser.

     

    Par ailleurs, à l’époque de Camus, un enfant de pauvre pouvait s’en sortir grâce à l’école. Je témoigne que pour moi, qui suis né en 1959, c’était encore également possible. Je crois simplement qu’aujourd’hui il devenu très très improbable, sortant du petit peuple, d’accéder au monde des élites.

    Raphaël Glucksmann, François-Xavier Bellamy sont passés de l’arène philosophique à l’arène politique et électorale. Est-ce une tentation pour vous? Allez-vous y céder?

    Non, pas du tout. Je crois qu’on peut faire de la politique autrement qu’en devenant le porteur d’eau d’un parti politique.

  • Les droits du sol Des éléphants dans un magasin de porcelaine, jusqu'à quand?, par Bérénice Levet.

    Source : https://www.causeur.fr/

    La trêve touristique imposée par la crise sanitaire est inespérée. Voici enfin l’occasion de réfléchir à l’avenir d’un secteur mettant en péril les sites et monuments qui font la France

    La Sainte-Chapelle, ou l’« alternative économique… »

    Au lendemain de l’incendie qui a gravement endommagé la cathédrale Notre-Dame de Paris, on a vu se former à quelques encablures, en face du palais de justice, des grappes de touristes, le regard, ou plutôt le smartphone, prothèse et substitut de l’œil touristique, tourné vers les hauteurs. Qu’observaient-ils ? La flèche de la Sainte-Chapelle. Celle de Notre-Dame venait de s’ébouler et le circuit balisé par les tour-opérateurs promettait une flèche ? Qu’à cela ne tienne, on leur en a dégoté une autre !

    Soupçonnant que ce pas de côté ne relevait nullement de quelque initiative personnelle de guides instruits des beautés parisiennes – car s’il est bien une chose d’inconcevable dans l’univers touristique, c’est l’idée même de pas de côté, d’initiative individuelle –, j’ai mené l’enquête. Et j’ai découvert qu’en vertu de sa proximité avec la cathédrale mutilée, la Sainte-Chapelle avait été élue par l’industrie touristique et la presse spécialisée comme « alternative économique » à Notre-Dame, monument de « remplacement logique » – logique selon la rationalité calculante des officines de tourisme : sise dans l’île de la Cité, la Sainte-Chapelle permet de ne pas trop dévier de l’itinéraire habituel.

    S’enorgueillir du tourisme de masse?

    Cette anecdote condense à elle seule l’esprit du tourisme, activité à l’arrêt dont on souhaite vivement qu’elle ne reprenne pas, du moins dans les modalités dévastatrices qu’on lui connaît.

    Nous ne haïssons pas les voyages, ni les touristes d’ailleurs. Nous haïssons ce que les voyages et les touristes sont devenus. Le tourisme de masse nous a été imposé. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’heure est à la reconstruction matérielle du pays, pas à la reconstruction morale et civilisationnelle espérée par Simone Weil. L’économie triomphe de toute autre considération. Modernisation, rentabilité, efficacité… sont les maîtres mots de cette logique dans laquelle s’inscrit le tourisme de masse. Celui-ci va bouleverser le visage de la France, sans que jamais on ne se demande ce qu’on est en train de faire.

    Alors que le tourisme de masse n’a pas encore repris, nous sommes dans un entre-deux propice à la réflexion, loin des mièvreries de Nicolas Hulot. Aspirons-nous à demeurer la première destination touristique mondiale, statut économique bénéfique et ruineux sous tous les autres aspects ? Y a-t-il là véritablement matière à nous enorgueillir ?

    6.jpg

    La Sainte-Chapelle du Palais de Justice, élue par l’industrie touristique et la presse spécialisée comme « alternative économique » à Notre-Dame-de-paris, juin 2020. Photo: Hannah Assouline

    Demeurer une civilisation

    La démonstration a été faite que l’économie pouvait n’avoir pas le dernier mot, autrement dit, que nous demeurions une civilisation, comme l’a observé Alain Finkielkraut. Or, une civilisation ne saurait ignorer la question de la beauté, non plus que celle du sort réservé à ces témoins de pierre de son passé que sont les monuments, toutes deux mises en péril par le tourisme tel qu’il se pratique aujourd’hui. Ne nous berçons pas d’illusions, si nos responsables politiques ont pu se montrer hardis face à la logique économique, c’est qu’ils lui opposaient la vie biologique, mais la chose est bien plus incertaine lorsqu’il s’agit de prendre fait et cause pour la préservation de la physionomie d’un pays et de faire valoir la beauté des lieux. Cette beauté dont on fait volontiers un argument de vente, mais nullement un principe civilisationnel non négociable.

    La bataille, si elle a lieu, promet d’être rude. Le visage de la France aujourd’hui, et singulièrement son enlaidissement, est en grande partie imputable à l’impératif économique. Notre patrimoine naturel et architectural a besoin de paix, de silence, de solitude… il ne s’agit pas de souhaiter qu’un incendie ou une pandémie nous délivre des touristes, mais de prendre la question au sérieux.

    Réinstallons l’Eglise au milieu du village…

    Dans les semaines qui ont suivi l’incendie de Notre-Dame, j’ai savouré pour elle la tranquillité retrouvée, le halo de silence qui l’enveloppait, je lui prêtais volontiers la réplique, empruntée à Sacha Guitry, par laquelle André Dussollier ouvrait son spectacle Monstres sacrés, sacrés monstres : « Enfin seule ! » Délivrée de ces hordes de touristes, Notre-Dame était comme rendue à elle-même. Cet anthropomorphisme est assurément naïf, mais paradoxalement il remet l’homme à sa place… L’empathie nous rappelle que nous sommes les obligés du monde et non les propriétaires.

    Nous ne souhaitons pas choisir entre ces deux extrêmes, le repos intégral et le tourisme de masse. C’est pourquoi la question doit être mise à l’ordre du jour.

    Réinstallons l’église au milieu du village, la beauté et la physionomie de la France avant l’économie. L’enjeu est impérieux : nos monuments, nos villages, nos villes, nos musées survivront-ils à une version divertissante et touristique de ce qu’ils sont ? Et nous en sortirons tous gagnants, les hommes et les lieux.

    Le tourisme des xxe et xxie siècles s’inscrit dans une longue histoire, une histoire somme toute commencée avec l’homme : l’aspiration à voyager semble bien constituer un invariant anthropologique. On peut, pour brosser les choses à grands traits, distinguer trois moments. Au temps de Montaigne, le ressort du voyage est personnel, aiguillonné par la curiosité, le désir ardent de « frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui », autrement dit se dépayser dans un sens autre. Il le demeure pour le touriste-marchand de fer de Stendhal, cultivant l’art de voir, d’observer et de consigner les mœurs, les caractères des êtres et des lieux visités. Le motif est encore tout personnel chez Proust dont les voyages ont très souvent pour chiquenaude des lectures ou la rencontre avec l’œuvre d’un peintre dont le génie consiste précisément à révéler la beauté du lieu représenté, à le charger de sens, de telle sorte que, face au tableau, on « ne pense plus qu’à courir le monde » afin de « goûter l’enchantement qu’il avait su rapporter, fixer sur sa toile, l’imperceptible reflux de l’eau, la pulsation d’une minute heureuse ».

    Le touriste est le laboureur d’une civilisation

    Au xixe siècle, avec l’avènement de la bourgeoisie, la révolution industrielle et l’essor du chemin de fer, le voyage devient phénomène social. La passivité et le conformisme marquent déjà de leur sceau le voyageur. L’heure est à M. Perrichon. Il faut lire l’extraordinaire et impitoyable portrait que Taine peint des « touristes » qu’il qualifie précisément de « dociles » : « On les voit aux sites remarquables, les yeux fixés sur le livre, se pénétrant de la description et s’informant au juste du genre d’émotion qu’il convient d’éprouver […] ont-ils un goût ? On n’en sait rien : le livre et l’opinion publique ont pensé et décidé pour eux » This triggers the tooltip.

    Vient enfin, dans la seconde moitié du xxe siècle, le tourisme de masse. Cette nouvelle figure d’humanité importe dans le domaine du voyage, du consommateur, de l’homme qui réclame, des produits toujours frais, toujours neufs, ne requérant de surcroît nul effort. Sa logique est purement consumériste et quantitative. Le touriste, c’est le lapin blanc d’Alice, hanté à l’idée de prendre du retard sur son programme, il ne s’attarde nulle part, reste partout à la surface des choses et de lui-même. Afin de s’imprégner d’un lieu, si l’on veut qu’il vienne enrichir le vocabulaire de notre sensibilité – et n’est-ce pas là la raison d’être même du voyage –, il n’y a pas d’autres voies que de l’arpenter, de le labourer, de s’y aventurer – « Les villes dont on se souvient, disait Hannah Arendt, sont celles que les pieds connaissent par cœur. »

    La grande industrialisation du tourisme

    Or, le touriste ne visite pas un lieu, il « fait » des lieux, et c’est à celui qui dévidera le chapelet le plus long. Or, « faire », l’un des verbes les plus indigents de la langue française, est accordé à la sécheresse, l’aridité, la stérilité de l’expérience touristique contemporaine. De la même façon, le beau mot de « villégiature », chargé d’une temporalité douce et lente, et empli d’échos à Goldoni et Tchekhov, ne mord plus sur aucune réalité.

    Le tourisme, c’est le contraire même de l’expérience. Pour devenir véritablement nôtres, être approchés dans leur singularité et leur beauté, un monument ou un village, une œuvre ou une ville réclament une longue et lente fréquentation, ils demandent de l’attention, de la disponibilité, de la liberté. Ce que Hannah Arendt disait de la culture vaut pour le tourisme : de la même manière que la culture n’est pas simplement une question d’objet, mais de dispositions, la visite d’un lieu suppose qu’on se libère de soi afin d’être libre pour une réalité autre et plus grande que soi. Or, le touriste est comme enkysté en lui-même, il ne se laisse pas inquiéter par ce qu’il rencontre, il demande au contraire aux lieux de se conformer à l’idée qu’il s’en fait, à son propre découpage du réel, il réclame du pittoresque.

    C’est, du moins, l’idée que les industriels du tourisme se font du touriste, si bien qu’ils reconfigurent les lieux, et c’est par là qu’ils les détruisent, afin de répondre à cette prétendue attente. C’est peut-être à ce niveau-là qu’il faudrait agir. Car à force de postuler un homme réductible à son être consumériste, il l’est devenu. « L’homme, cet être flexible […] est également capable de connaître sa propre nature, lorsqu’on la lui montre, et d’en perdre jusqu’au sentiment, lorsqu’on la lui dérobe », écrivait Montesquieu.

    Reprendre racines, un impératif

    Et si, fort de cette conviction, on essayait une autre idée de l’homme, si l’on faisait le pari de dispositions et de facultés plus hautes et plus nobles ? Tout nous enjoint à inaugurer une nouvelle phase, ou plutôt à renouer avec la première : faire de la rencontre avec un lieu une expérience en première personne.

    8.jpg

    Cette année, les Français resteront en grande majorité en France, trompette-t-on. La nouvelle n’est pas en soi et nécessairement une bonne nouvelle pour la France, le Français est un touriste comme les autres. Est-il besoin de le préciser, ce n’est pas qu’il vienne de l’étranger qui rend le touriste nuisible, mais bien la manière dont il se rapporte aux lieux qu’il visite, et cette manière est de tous les pays, y compris du nôtre. Heureuse nouvelle en revanche s’il s’agit de tirer les leçons de quarante années de mondialisation et de fuite en avant, et de reprendre racines dans un sol et une histoire, autrement dit de signer les retrouvailles avec une patrie délaissée et inlassablement conspuée. L’identité est affaire de géographie. Mais en sommes-nous vraiment là ?

    « Nation française, tu n’es pas faite pour recevoir l’exemple mais pour le donner », proclamait magnifiquement Rabaut Saint-Étienne en 1789. La France est confiée à nos soins : montrons-nous à la hauteur ! Cessons de nous comporter comme des éléphants dans un magasin de porcelaine ! La France est belle, fragile et périssable.

    Bérénice Levet

  • Régis Debray, du romantisme de la révolution à la nostalgie de la nation, par Eugénie Bastié.

    Régis Debray. SERGE PICARD/Le Figaro Magazine

    L’écrivain et médiologue publie D’un siècle l’autre, une autobiographie intellectuelle qui rembobine son parcours, des geôles de Bolivie au jury Goncourt, en passant par la case Mitterrand. Rencontre avec un «anywhere» devenu «somewhere», sans jamais se renier.

    1.jpg« L’actualité, je m’en fous » ment-il, enfoncé dans un fauteuil club élimé, pantoufles aux pieds dans sa maison de campagne aux confins de l’Île-de-France. Au coin de la cheminée, Régis Debray feuillette un volume original, magnifiquement relié, de Psychologie de l’art, de Malraux. Dehors, pèse le ciel gris de l’automne, dans l’air flotte une odeur d’encens, sur son visage l’ombre d’une moustache rasée depuis longtemps. Il y a plus d’un point commun entre le romancier ministre de la Culture et l’intellectuel qui fut conseiller de Mitterrand: le goût de l’aventure, l’intérêt pour l’art comme médiation, la nostalgie de la transcendance, le tiers-mondisme, et le « gaullisme d’extrême gauche ». «Malraux et moi, on s’est manqué», soupire Debray.

    Il raconte cette rencontre ratée et bien d’autres, réussies, dans son nouveau livre, D’un siècle l’autre (Gallimard), sorte d’autobiographie intellectuelle où il rembobine son parcours, des bancs de Janson-de-Sailly, prestigieux lycée du 16e arrondissement, où étudia ce fils de bonne famille, au jury du Goncourt, où il siégea, de 2010 à 2015, en passant par la case prison en Bolivie, son bureau de conseiller à l’Élysée et ses travaux de médiologue. Il y raconte ses mentors, de Jacques Muglioni, un hussard noir de la République, à Althusser, le philosophe gardien de la doxa marxiste à l’École normale supérieure.

    « Ma génération a eu le privilège d’avoir vu mourir un monde et en naître un nouveau », écrit-il. Né en 1940, « l’année où Hitler visita la capitale un beau matin, salué par nos agents de police au garde-à-vous », Régis Debray, comme Chateaubriand, a vécu entre deux temps, mais s’il quitte avec regret le vieux rivage où il est né, il ne nage pas avec espérance vers la rive inconnue du nouveau monde. Boomer mélancolique ? Il est né trop tard pour être résistant, trop tôt pour jeter des cailloux aux CRS. Si la « pensée d’un homme est avant tout sa nostalgie » (Camus), la sienne ne porte pas sur le bon vieux temps du plein-emploi et des Trente Glorieuses, mais sur l’époque où « une thèse pouvait prendre dix ans de travail, une phrase, trois lignes, et une conférence, une heure et demie.»

    « D’un naturel confiné »

    Réac, Régis ? « Qui embrasse trop étroitement son temps n’en sortira pas vivant », écrit-il. N’aurait-il pas eu le parcours inverse de Victor Hugo, son maître ? Hugo eut une jeunesse romantique de droite, attaché au drapeau blanc de la monarchie pour finir sa vie en figure tutélaire de la IIIe République. Debray crut, à l’orée de sa vie, au romantisme de la révolution pour se convertir au gaullisme, à la nation, au goût de la terre et des morts. Ce ne fut pas l’exil de Guernesey, mais la prison en Bolivie, après le « chemin de Damas de l’engagement ». À 25 ans, alors que la jeunesse estudiantine mime la Révolution dans les rues de Paris, lui croupit dans une geôle bolivienne pour avoir participé à la guérilla aux côtés de Che Guevara. « Régis a risqué sa peau », relève son ami Jean-Pierre Chevènement, qui souligne le caractère déterminant de cette épreuve : « Il n’y a pas de destin pour qui le front n’a pas été nimbé du prestige des armes. Le bien-fondé du projet n’est pas l’essentiel mais la découverte de soi au fond d’un cachot, avec chaque matin un cliquetis qui pourrait bien être celui du peloton d’exécution.» Échapper à Mai 68 lui a évité bien des illusions, et des désillusions.

    Revenu en 1973 à Paris, il ralliera le candidat de l’union de la gauche François Mitterrand, heureux d’avoir pêché ce gros poisson marxiste, à tendance tiers-mondiste. L’ancien ministre Hubert Védrine, son ami de longue date, se souvient de leurs premiers pas communs à l’Élysée, où ils s’occupaient tous deux des relations internationales. Après un déjeuner, où ils avaient papoté avec Garcia Marquez, les jeunes gens s’étaient promenés dans le palais vide, à la recherche de bureaux. Debray est resté quatre ans auprès de Mitterrand. On lui doit notamment le lyrique discours de Mexico (1981), qui commence ainsi: « Aux fils de la révolution mexicaine, j’apporte le salut fraternel des fils de la révolution française ! » Le « seul discours que Mitterrand n’a pas retouché en quatorze ans », d’après Védrine.

    Debray, Chevènement, Védrine : ils forment un trio, celui d’une gauche gaullo-mitterandienne, qui n’a jamais cédé aux sirènes du gauchisme culturel, est restée intraitable sur la question de la laïcité et défend la souveraineté nationale. « Debray est aux antipodes d’une partie de la gauche qui a découvert son impuissance une fois au pouvoir et a évolué vers les questions sociétales. Régis n’est jamais tombé là-dedans », souligne Védrine. Une gauche d’avant l’écriture inclusive où l’on ne décrivait pas les succès d’une candidate à l’aune de sa couleur de peau. « En 1960, juger les individus d’après leur race, leur sexe et leur physique était le fait de l’extrême droite ; en 2020, c’est celui de l’extrême gauche », écrit-il, dans D’un siècle l’autre.

    Debray, c’est l’histoire d’un anywhere devenu somewhere, d’un là-bas devenu ici, avec tout de même une permanence, le souci d’être contre. S’il a changé, Debray ne s’est jamais renié. « Je n’ai pas trop à rougir quand je feuillette mes paperasses » : page 137 de son livre, il fait la liste de ses prédictions qui se sont réalisées. Entre autres : le retour en grâce de De Gaulle (À demain de Gaulle, 1989), de la frontière (Éloge des frontières, 2010) et du sacré (Jeunesse du sacré, 2012).

    « C’est dur d’avoir 20 ans en 2020», a dit le président de la République. «Et d’avoir 80 ans en 2020 ? », demande-t-on à Régis Debray alors que sa femme, Isabelle, nous fait des grands gestes pour nous alerter de la gaffe en cours. « J’ai 55 ans de ressenti », répond-il de sa voix chuintante et moqueuse, si caractéristique. « Nous sommes d’un naturel confiné, c’est pourquoi cette année n’a pas changé grand-chose à nos habitudes », dit-il. Le médiologue a une tablette, mais manie peu l’art du smartphone. Il se qualifie lui-même d’« illectronique ». «Pendant le premier confinement, Edgar Morin, qui, à 99 ans, est bien plus au fait que moi, m’a appris à me servir de Snapchat », confie-t-il, un brin ironique envers lui-même. « Facetime », corrige sa femme, avant qu’on ait eu le temps d’imaginer les deux vieux amis s’envoyer des selfies.

    Nous sommes quelques jours après la décapitation de Samuel Paty, professeur tué pour avoir enseigné la liberté d’expression en classe. « Profs, ne capitulons pas »: dans une célèbre tribune publiée après l’affaire du voile de Creil en 1989, Debray avait déjà inventé la formule « Munich de l’école républicaine », pour qualifier la démission de l’État face à l’entrisme islamiste. Il a également fait partie de la commission Stasi, chargée de la réflexion sur l’application du principe de laïcité. On lui doit notamment la distinction entre république et démocratie: « La démocratie, dirons-nous, c’est ce qui reste d’une république quand on éteint les Lumières ». On lui parle de l’ambiance du moment, du débat sur la laïcité à l’école. «C e que je pense du sujet ? Si notre civilisation doit se réclamer face au monde de la caricature, on est mal partis. Mais je ne peux pas vous dire ça comme ça. Je ne peux m’expliquer sur ce sujet qu’en 20 pages », balaye-t-il. L’écrivain, qui ne va jamais à la télévision, se dit paralysé, inhibé, intimidé par la puissance des réseaux sociaux, qui tronquent les propos et déclenchent une polémique sur la base d’une phrase isolée. « C’est un surmoi négatif qui oblige à être terne. Quand on a le goût de la bourrasque, c’est horrible de devoir passer entre les gouttes

    Alors Debray ne tweete pas, mais il écrit. Et les formules filent sous sa plume avec une facilité prodigieuse. « Il m’a appelé après le confinement, en me disant qu’il avait bien travaillé, ça m’a immédiatement fait tomber en dépression », raconte Alain Finkielkraut. « Il n’est pas tourmenté, il pense sur ses deux oreilles. Je l’envie pour sa prolixité », dit celui qui a toujours l’impression d’écrire son dernier livre. « Ne faites pas de moi un polygraphe », s’inquiète Régis Debray, qui a publié 60 essais et trois romans, dont un prix Femina (La neige brûle, 1977). Il tient à la dimension littéraire de son œuvre et ne voudrait pas qu’on le réduise à la catégorie aussi floue qu’étriquée d’« intellectuel ».

    Génie de la formule

    « Bien sûr que c’est d’abord un écrivain », dit de lui Bernard Pivot, qui l’a fait entrer au jury du Goncourt en 2010. Lui qui a refusé l’Académie française, charge à vie bien trop lourde, a accepté pendant quatre ans cette mission moins permanente mais plus chronophage. « Il fait partie des écrivains dont on reconnaît immédiatement le style, analyse l’ancien animateur d’« Apostrophes ». Un mélange de langage philosophique, une diversité extraordinaire de vocabulaire qu’il rompt avec des expressions populaires, des jeux de mots, comme “tout à l’ego”, l’un de ses préférés ».

    Son maître, l’écrivain Julien Gracq, lui reprochait son art trop consommé de la formule. Il est vrai qu’il a le génie si français de la maxime qu’il double d’une obsession pour le rythme ternaire (« thèse, antithèse et foutaise ») hérité de la matrice khâgneuse. Si sa famille intellectuelle s’enracine à gauche, sa généalogie littéraire puise à droite: pour le verbe, il descend des Hussards plus que de Sartre ou d’Aragon. « On écrit plus âpre, fouetté et charnu à droite qu’à gauche », reconnaît-il, définissant à demi-mot son propre style.

    Dans son salon rempli de livres (qu’il classe par thèmes), trône la sculpture de Jean-Louis Faure représentant Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir refusant de serrer la main à Arthur Koestler. Le couple avait repoussé le dissident soviétique par pur sectarisme stalinien. L’œuvre est intitulée : Bêtise de l’intelligence. Un travers que Debray ignore. « Je n’ai pas forcément les idées de mes amis, ni les amis de mes idées », aime-t-il à dire. Il peut dire du bien d’Éric Zemmour (« Qui dit des bêtises à la télé, mais est très intelligent ») et a voté Jean-Luc Mélenchon. Debray est un ton plutôt qu’un système. S’il a cru un jour à la politique, il se réfugie aujourd’hui dans les livres et dans le temps long de l’histoire, loin du bruit quotidien des polémiques et de la fureur du temps ininterrompu.

    « Régis a pris de l’altitude, constate Jean-Pierre Chevènement. Unir, transmettre, croire, l’élucidation de ces mystères l’occupent à plein temps. C’est la marque d’un esprit supérieur. » Il a gagné l’amplitude mentale de Victor Hugo, à qui il ressemble de plus en plus physiquement, et regarde avec une sorte d’animisme les fourmis et les nations se batailler sous le vent de l’histoire. Hubert Védrine se souvient d’une discussion il y a une quinzaine d’années, où l’écrivain lui disait : « Nous sommes comme dans l’an mil, des pères abbés se concentrant sur des enluminures dans un océan d’ignorance et de barbarie. De temps en temps, nous enfourchons un mulet pour nous rendre visite ». Il est heureux que le père Régis sorte de temps en temps de son cloître pour éclairer la nuit de notre temps. Alors, à demain, Debray ! 

    5.jpg

    D'un siècle l'autre

    Source : https://www.lefigaro.fr/vox/

  • Yoram Hazony : «Les nouveaux universalistes vouent aux gémonies l'indépendance nationale», par Paul Sugy.

    Yoram Hazony est spécialiste de la Bible et docteur en philosophie politique. Il est auteur de The Virtue of Nationalism (Basic Books, 2018). Yochanan Katz

    Le nationalisme est sur toutes les lèvres, et pourtant, affirme Yoram Hazony, ce concept n'a jamais été aussi mal compris. Le philosophe entend réhabiliter la «vertu du nationalisme», qu'il oppose à la «tentation impérialiste», et promouvoir la vision d'un monde fondé sur l'indépendance et la liberté des nations.

    FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – Le nationalisme est sur toutes les lèvres, et pourtant, affirme Yoram HAZONY, ce concept n’a jamais été aussi mal compris. Le philosophe entend réhabiliter la «vertu du nationalisme», qu’il oppose à la «tentation impérialiste», et promouvoir la vision d’un monde fondé sur l’indépendance et la liberté des nations.

    Yoram HAZONY est spécialiste de la Bible et docteur en philosophie politique. Il a fondé le Herzl Institute et enseigne la philosophie et la théologie à Jérusalem. Ce penseur de la droite israélienne est également auteur de nombreux articles publiés dans les journaux américains les plus prestigieux, du New York Times au Wall Street Journal. Presque inconnu en France, son livre The Virtue of Nationalism a suscité un vif débat aux États-Unis.

    LE FIGARO MAGAZINE. – Le 11 novembre dernier, Emmanuel MACRON déclarait aux chefs d’Etat du monde entier: «Le nationalisme est la trahison du patriotisme.» Qu’en pensez-vous?

    Yoram HAZONY. – Aujourd’hui, on ne cesse de nous répéter que le nationalisme a provoqué les deux guerres mondiales, et on lui impute même la responsabilité de la Shoah. Mais cette lecture historique n’est pas satisfaisante. J’appelle «nationaliste» quelqu’un qui souhaite vivre dans un monde constitué de nations indépendantes. De sorte qu’à mes yeux, Hitler n’était pas le moins du monde nationaliste. Il était même tout le contraire: Hitler méprisait la vision nationaliste, et il appelle dans Mein Kampf à détruire les autres États-nations européens pour que les Allemands soient les maîtres du monde. Dès son origine, le nazisme est une entreprise impérialiste, pas nationaliste.

    Quant à la Première Guerre mondiale, le nationalisme est loin de l’avoir déclenchée à lui seul! Le nationalisme serbe a fourni un prétexte, mais en réalité c’est la visée impérialiste des grandes puissances européennes (l’Allemagne, la France, l’Angleterre) qui a transformé ce conflit régional en une guerre planétaire. Ainsi, le principal moteur des deux guerres mondiales était l’impérialisme, pas le nationalisme.

    Donald TRUMP, lui, avait déclaré il y a quelques semaines: «Je suis nationaliste.» Y a-t-il aujourd’hui un retour du nationalisme?

    Le nationalisme est en effet en vogue en ce moment: c’est du jamais-vu depuis 1990, date à laquelle Margaret THATCHER a été renversée par son propre camp à cause de son hostilité à l’Union européenne. Depuis plusieurs décennies, les principaux partis politiques aux États-Unis et en Europe, de droite comme de gauche, ont souscrit à ce que l’on pourrait appeler «l’impérialisme libéral», c’est-à-dire l’idée selon laquelle le monde entier devrait être régi par une seule et même législation, imposée si besoin par la contrainte. Mais aujourd’hui, une génération plus tard, une demande de souveraineté nationale émerge et s’est exprimée avec force aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Italie, en Europe de l’Est et ailleurs encore.

    Avec un peu de chance et beaucoup d’efforts, cet élan nationaliste peut aboutir à un nouvel ordre politique, fondé sur la cohabitation de nations indépendantes et souveraines. Mais nous devons aussi être lucides: les élites «impérialistes libérales» n’ont pas disparu, elles sont seulement affaiblies. Si, en face d’eux, le camp nationaliste ne parvient pas à faire ses preuves, elles ne tarderont pas à revenir dans le jeu.

    Quel est ce «nouvel empire libéral» dont vous parlez? Et qu’entendez-vous exactement par «impérialisme»?

    Historiquement, le «nationalisme» décrit une vision du monde où le meilleur système de gouvernement serait la coexistence de nations indépendantes, et libres de tracer leur propre route comme elles l’entendent. On l’oppose à «l’impérialisme», qui cherche à apporter au monde la paix et la prospérité en unifiant l’humanité, autant que possible, sous un seul et même régime politique. Les dirigeants de l’Union européenne, de même que la plupart des élites américaines, croient dur comme fer en l’impérialisme. Ils pensent que la démocratie libérale est la seule forme admissible de gouvernement, et qu’il faut l’imposer progressivement au monde entier. C’est ce que l’on appelle souvent le «mondialisme», et c’est précisément ce que j’entends par «nouvel empire libéral».

    Bien sûr, tous les «impérialistes libéraux» ne sont pas d’accord entre eux sur la stratégie à employer! L’impérialisme américain a voulu imposer de force la démocratie dans un certain nombre de pays, comme en Yougoslavie, en Irak, en Libye ou en Afghanistan. En Europe, on se désolidarise du militarisme américain: les impérialistes allemands ou bruxellois préfèrent d’autres formes de coercition… mais leur objectif est le même. Regardez comment l’Allemagne cherche à imposer son programme économique à la Grèce ou à l’Italie, ou sa vision immigrationniste à la République tchèque, la Hongrie ou la Pologne. En Italie, le budget a même été rejeté par la Commission européenne!

    Est-ce que, selon vous, le nationalisme et l’impérialisme sont deux visions de l’ordre mondial qui s’affrontaient déjà dans la Bible?

    Le conflit entre nationalisme et impérialisme est aussi vieux que l’Occident lui-même. La vision nationaliste est l’un des enseignements politiques fondamentaux de la Bible hébraïque: le Dieu d’Israël fut le premier qui donna à son peuple des frontières, et Moïse avertit les Hébreux qu’ils seraient punis s’ils tentaient de conquérir les terres de leurs voisins, car Yahvé a donné aussi aux autres nations leur territoire et leur liberté. Ainsi, la Bible propose le nationalisme comme alternative aux visées impérialistes des pharaons, mais aussi des Assyriens, des Perses ou, bien sûr, des Babyloniens. Et l’histoire du Moyen Âge ou de l’époque moderne montre que la plupart des grandes nations européennes – la France, l’Angleterre, les Pays-Bas… – se sont inspirées de l’exemple d’Israël.

    Mais le nationalisme de l’Ancien Testament ne fut pas tout de suite imité par l’Occident. La majeure partie de l’histoire occidentale est dominée par un modèle politique inverse: celui de l’impérialisme romain. C’est de là qu’est né le Saint Empire romain germanique, qui a toujours cherché à étendre sa domination, tout comme le califat musulman. Les Français aussi ont par moments été tentés par l’impérialisme et ont cherché à conquérir le monde: Napoléon, par exemple, était un fervent admirateur de l’Empire romain et n’avait pour seul but que d’imposer son modèle de gouvernement «éclairé» à tous les pays qu’il avait conquis. Ainsi a-t-il rédigé de nouvelles constitutions pour nombre d’entre eux: les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne… Son projet, en somme, était le même que celui de l’Union européenne aujourd’hui : réunir tous les peuples sous une seule et même législation.

    Pourquoi le modèle nationaliste est-il meilleur, selon vous?

    Parce que ce modèle permet à chaque nation de décider ses propres lois en vertu de ses traditions particulières. Un tel modèle assure une vraie diversité politique, et permet à tous les pays de déployer leur génie à montrer que leurs institutions et leurs valeurs sont les meilleures. Un tel équilibre international ressemblerait à celui qui s’est établi en Europe après les traités de Westphalie signés en 1648, et qui ont permis l’existence d’une grande diversité de points de vue politiques, institutionnels et religieux. Ces traités ont donné aux nations européennes un dynamisme nouveau: grâce à cette diversité, les nations sont devenues autant de laboratoires d’idées dans lesquels ont été expérimentés, développés et éprouvés les théories philosophiques et les systèmes politiques que l’on associe aujourd’hui au monde occidental.

    À l’évidence, toutes ces expériences ne se valent pas et certaines n’ont bien sûr pas été de grands succès. Mais la réussite de l’une seule d’entre elles – la France, par exemple – suffit pour que les autres l’imitent et apprennent grâce à son exemple. Tandis que, par contraste, un gouvernement impérialiste comme celui de l’Union européenne tue toute forme de diversité dans l’œuf. Les élites bruxelloises sont persuadées de savoir déjà avec exactitude la façon dont le monde entier doit vivre. Il est pourtant manifeste que ce n’est pas le cas…

    Mais ce «nouvel ordre international» n’a-t-il pas permis, malgré tout, un certain nombre de progrès en facilitant les échanges marchands ou en créant une justice pénale internationale, par exemple?

    Peut-être, mais nous n’avons pas besoin d’un nouvel impérialisme pour permettre l’essor du commerce international ou pour traîner en justice les criminels. Des nations indépendantes sont tout à fait capables de se coordonner entre elles. Alors, certes, il y aura toujours quelques désaccords à surmonter, et il faudra pour cela un certain nombre de négociations. Et je suis tout à fait capable de comprendre que d’aucuns soient tentés de se dire que, si on crée un gouvernement mondial, on s’épargne toutes ces frictions.

    Mais c’est là une immense utopie. La diversité des nations rend strictement impossible de convenir, universellement, d’une vision unique en matière de commerce et d’immigration, de justice, de religion, de guerre ou de paix. La diversité des points de vue, et, partant, chacun de ces désaccords, sont une conséquence nécessaire de la liberté humaine, qui fait que chaque nation a ses propres valeurs et ses propres intérêts. La seule manière d’éviter ces désaccords est de faire régner une absolue tyrannie – et c’est du reste ce dont l’Union européenne se rend peu à peu compte: seules les mesures coercitives permettent d’instaurer une relative uniformité entre les États membres.

    Ne redoutez-vous pas la compétition accrue à laquelle se livreraient les nations dans un monde tel que vous le souhaitez? Au risque de renforcer le rejet ou la haine de ses voisins?

    Dans mon livre, je consacre un chapitre entier à cette objection qui m’est souvent faite. Il arrive parfois qu’à force de vouloir le meilleur pour les siens, on en vienne à haïr les autres, lorsque ceux-ci sont perçus comme des rivaux. Mais nous devons alors reconnaître, tout aussi humblement, que les mouvements universalistes ne sont pas exempts non plus d’une certaine inclination à la haine ou au sectarisme. Chacun des grands courants universels de l’histoire en a fait montre, qu’il s’agisse du christianisme, de l’islam ou du marxisme. En bâtissant leur empire, les universalistes ont souvent rejeté les particularismes nationaux qui se sont mis en travers de leur chemin et ont refusé d’accepter leur prétention à apporter à l’humanité entière la paix et la prospérité.

    Cette détestation du particulier, qui est une constante dans tous les grands universalismes, est flagrante aujourd’hui dès lors qu’un pays sort du rang: regardez le torrent de mépris et d’insultes qui s’est répandu contre les Britanniques qui ont opté pour le Brexit, contre TRUMP, contre SALVINI, contre la Hongrie, l’Autriche et la Pologne, contre Israël… Les nouveaux universalistes vouent aux gémonies l’indépendance nationale.

    En quoi le nationalisme est-il une «vertu»?

    Dans le sens où un nationaliste ne prétend pas savoir ce qui est bon pour n’importe qui, n’importe où dans le monde. Il fait preuve d’une grande humilité, lui, au moins. N’est-ce pas incroyable de vouloir dicter à tous les pays qui ils doivent choisir pour ministre, quel budget ils doivent voter, et qui sera en droit de traverser leurs frontières?

    Face à cette arrogance vicieuse, je considère en effet le nationalisme comme une vertu. Le nationaliste, lui, dessine une frontière par terre et dit au reste du monde: «Au-delà de cette limite, je renonce à faire imposer ma volonté. Je laisse mes voisins libres d’être différents.» Un universaliste répondra que c’est immoral, car c’est la marque d’une profonde indifférence à l’égard des autres. Mais c’est en réalité tout l’inverse: le nationaliste est vertueux, car il limite sa propre arrogance et laisse les autres conduire leur vie à leur guise.

    Que vous inspirent les difficultés qu’ont les Britanniques à mettre en œuvre le Brexit ? N’est-il pas déjà trop tard pour revenir en arrière?

    Non, il n’est pas trop tard. Si les différents gouvernements nationalistes aujourd’hui au pouvoir dans le monde parviennent à prouver leur capacité à diriger un pays de manière responsable, et sans engendrer de haine ou de tensions, alors ils viendront peut-être à bout de l’impérialisme libéral. Ils ont une chance de restaurer un ordre du monde fondé sur la liberté des nations. Il ne tient désormais qu’à eux de la saisir, et je ne peux prédire s’ils y parviendront: j’espère seulement qu’ils auront assez de sagesse et de talent pour cela.

     

    Yoram Hazony est spécialiste de la Bible et docteur en philosophie politique. Il a fondé le Herzl Institute et enseigne la philosophie et la théologie à Jérusalem. Ce penseur de la droite israélienne est également auteur de nombreux articles publiés dans les journaux américains les plus prestigieux, du New York Times au Wall Street Journal. Presque inconnu en France, sonlivre The Virtue of Nationalism a suscité un vif débat aux Etats-Unis.

    Source : https://www.lefigaro.fr/vox/

  • Molière réécrit: le mépris et l’abêtissement, par Anne-Sophie Chazaud.

    Jean-Baptiste Poquelin dit Molière. libre de droits

    Anne-Sophie Chazaud fustige l’instrumentalisation de la part de certains journalistes et sociologues, de la proposition du centre international de théâtre francophone concernant l’apprentissage de la langue française aux étrangers. Pour la chercheuse, cette caste médiatique souhaite procéder à la simplification des textes de Molière par démagogie égalitariste.

    3.jpgSi le français se trouve être désigné dans la Constitution comme étant la «langue de la République», ce qui souligne avec force le lien consubstantiel entre une identité nationale et un système linguistique chargé au fil des siècles d’histoire, d’usages et de culture, l’on emploie également souvent l’expression «langue de Molière» pour la qualifier.

    Parce que celle-ci incarne une sorte de moment de perfection, d’âge d’or reflétant l’esprit français, par son classicisme certes, celui du Grand Siècle, mais aussi par sa puissante charge ironique, son esprit frondeur, sa vivacité, son rapport à la fois au pouvoir et à la dissidence, bref, à l’intérieur même de ce qui est devenu son classicisme, par son aspect éternellement vivant, intempestif et toujours actuel.

    Accéder à la connaissance fine d’une langue, c’est donc accepter avec modestie, humilité, ambition et travail, de se plonger dans une Histoire dont on est, dans le maniement des mots, les récipiendaires, les héritiers, et que nous avons la charge de faire vivre, non dans une forme figée ou sacralisée de manière paralysante, mais dans une forme mouvante qui reprend le passé à son compte en le métamorphosant avec lenteur, avec la sage lenteur de la vie elle-même, avec authenticité et non par parti pris idéologique ou par paresse intellectuelle, comme le rappelle avec force Victor Hugo dans la si célèbre préface de Cromwell: «Les langues ni le soleil ne s’arrêtent plus. Le jour où elles se fixent, c’est qu’elles meurent.»

     

    On passe d’une initiative visant l’enseignement du Français aux étrangers, à une remise en question du répertoire et de la langue de Molière. 

     

    Une initiative du centre international de théâtre francophone en Pologne conduite en partenariat avec la Comédie-Française, intitulée «10 sur 10», menée depuis plusieurs années, a ainsi pour objectif de donner à 10 jeunes auteurs francophones pendant 10 jours la possibilité de réécrire de nouvelles pièces «destinées essentiellement à l’enseignement du français en langue étrangère (FLE)».

    Cette ludique bricolette d’ateliers d’écriture, comme il en fleurit partout, ne pose en soi aucun problème et semble par ailleurs animée des meilleures intentions du monde puisqu’il s’agit d’amener vers la langue française un public qui, a priori, ne la maîtrise pas. On ne peut donc que s’en féliciter. Il s’agissait ici en l’occurrence de revisiter le répertoire de Molière. Pourquoi pas.

    La réaction fut vive, en revanche, en particulier sur les réseaux sociaux, face à la manière dont cette information a été traitée par la radio dite culturelle du service public audiovisuel, toujours prompte à tirer la couverture idéologique à elle et dans le sens qui lui convient, avec un tweet qui eut tôt fait de circuler en ne manquant pas de produire l’effet de réaction escompté par l’habituel conformisme anticonformiste en vigueur, énonçant notamment, quitte à dévoyer le projet francophone initial: «La langue de Molière est-elle devenue trop ardue pour les écoliers d’aujourd’hui?».

    L’on passe donc, doucement mais sûrement, avec la belle opiniâtreté déconstructiviste en vogue, d’une initiative visant l’enseignement du Français Langue étrangère, destinée donc, comme son nom l’indique, à des étrangers, à une remise en question du répertoire et de la langue de Molière visant le public (jeune) français. Le tour était joué en un tournemain.

    Afin de venir appuyer cette hypothèse, un professeur de Lausanne fut appelé à la rescousse, venant comme de bien entendu nous estourbir d’un méta-discours pédagogiste de la meilleure facture: «[il s’agit] d’inventer avec lui [Molière] des pratiques pédagogiques et des nouvelles formes d’écriture dramatique pour les dramaturges d’aujourd’hui.» (on a ici clairement quitté les rivages du Français Langue étrangère).

    Puis de poursuivre, tout à son enthousiasme, en donnant l’exemple des Femmes savantes dans lequel un «beau nœud» désigne un bon mariage (et non quelque objet phallique de circonstance) pour finir en apothéose par énoncer ce que France Culture ne manquera pas de choisir comme punchline: «Le comique de Molière fonctionne sur des sketches. Ce qu’il y a de plus proche de l’humour de Molière aujourd’hui, ce serait peut-être l’humour des Youtubeurs». Il faut bien avouer que c’est à ce niveau de défaite de la pensée que l’humour de Molière nous est d’un précieux secours.

     

    Ramener l’humour de Molière au niveau des Youtubeuses de la post-modernité, c’est admettre cet aplatissement de la culture. 

     

    Outre l’aspect ridicule (et non précieux) de ce galimatias démagogique post-gauchiste de la plus belle facture, ces affirmations et l’écho si bienveillant qu’elles rencontrent évidemment auprès de la radio de service «culturel» public pose de nombreuses questions de fond.

    Tout d’abord, cet aveu d’une langue si riche, si foisonnante, si chargée d’histoire, désormais inaccessible (prétendument) aux jeunes lecteurs signe l’aveu d’un échec de la démocratisation culturelle qui, dans la lignée de Malraux puis du Théâtre National Populaire de Jean Vilar (pour ce qui concerne le théâtre) se fixait au contraire pour but d’amener les citoyens, jeunes ou pas, vers la culture, de les y élever (mais il est vrai qu’on ne dit plus un «élève» mais un «apprenant», puisque l’idée même d’élévation semble proscrite).

    En l’occurrence, de leur permettre de se plonger dans toute la richesse truculente de la langue française, comme le fit à sa manière le si regretté Alain Rey avec sa magistrale entreprise de Dictionnaire historique de la langue française, lui que l’on peut difficilement suspecter pourtant d’avoir été un dangereux réactionnaire et qui affirmait «la langue française ne s’appauvrit pas», en réponse aux déclinistes de tout poil.

    Ramener l’humour et la saveur de Molière au niveau des Youtubeuses incultes de la post-modernité agonisante, c’est admettre cet aplatissement de la culture sur l’abêtissement des médias de masse et du formatage idéologique qui l’accompagne. C’est priver les jeunes et les citoyens de liberté.

    C’est aussi, en réalité et sous couvert d’un égalitarisme démagogique que l’on croyait noyé dans les limbes des MJC des années 1970-80, promouvoir un système culturel à deux vitesses: celui des sachants, de ceux qui maîtriseront la langue de Molière et son épaisseur historique, ceux-là même qui pourront ensuite gloser tout à loisir sur les chaînes de radio ou dans d’obscurs projets pédagogiques indéchiffrables pour le commun des mortels afin de déconstruire encore et toujours les codes qu’ils ont en horreur tout en les maîtrisant parfaitement, et de l’autre côté une sorte de lumpen-prolétariat culturel que l’on flattera dans le sens du poil, en le gavant de sous-culture Youtubeuse, en lui faisant perversement croire que ceci vaut cela, que tout se vaut dans un relativisme qui n’a pour seul réel objectif que de permettre au mandarinat déconstructiviste post-soixante-huitard aux manettes de conserver jalousement son pouvoir.

    Ce discours est en réalité chargé d’un profond inégalitarisme: gardons la fine connaissance de la langue de Molière pour nous ; donnons-leur des inepties Youtube, ce sera la version moderne du pain et des jeux. Les «jeunes» apprécieront l’image que l’on se fait d’eux.

     

    Il s’agit d’un abêtissement démagogique au motif que ce français si riche serait trop compliqué pour ces « jeunes » qui ne sont rien. 

     

    Notons au passage que cette démarche constitue l’exact inverse de la si belle expérience mis en scène dans le remarquable film L’Esquive d’Abdellatif Kechiche dans lequel des adolescents d’une cité HLM découvrent et plongent peu à peu dans le texte de Marivaux, le travaillent, le malaxent, se laissent travailler par lui à mesure que leurs propres émois se font jour dans Le Jeu de l’amour et du hasard, jeu tendre et cruel qui devient le leur à proportion qu’ils en font l’expérience personnelle: c’est ici tout le vrai sens, exigent, respectueux, de l’appropriation par enrichissement culturel qui est proposé, et non l’abêtissement démagogique des foules au motif que ce français si riche serait bien trop compliqué pour ces gens de rien, ces gens qui ne sont rien.

    Enfin, quitte à revisiter Molière dans son intemporelle et toujours vivace actualité: chiche! Et plutôt que d’opter pour les si faciles Précieuses ridicules, qui ne font pas courir grand risque, pourquoi ne pas montrer la terrible actualité d’un Tartuffe revisité qui imposerait la burqa ou le voile aux femmes en leur intimant l’ordre de «cacher ce sein [pire: ce visage!] que je ne saurais voir»?: en voilà une réactualisation qui serait audacieuse, courageuse, qui parlerait à notre époque… Trop courageuse, trop impertinente sans doute, de la vraie impertinence et non de la démagogie à la petite semaine.

    Pour ce qui est de la langue, on pourrait bien sûr céder à la facilité d’une porte-parole du gouvernement qui annoncerait dans les Femmes savantes «wesh meuf, le petit chat est dead!», ou remplacer «la peste soit du fou fieffé» du Médecin malgré lui par un «on les aura ces connards!» adressé à quelque Ministre des Diafoirus. Car la langue est aussi un objet éminemment politique…

    «Ma patrie, c’est la langue française» disait Albert Camus. On comprend donc bien qu’il soit urgent pour certains de l’abaisser au plus vite, de l’abraser, de l’aseptiser, de l’abêtir, comme on cherchera à gommer toute l’épaisseur historique d’un pays en déboulonnant des statues, renommant des rues, contestant des héritages, tripatouillant la langue elle-même pour, sous prétexte de la rendre inclusive, la rendre en réalité illisible et inepte, réservée toujours aux mêmes sachants experts en salmigondis. La guerre à mener est bel et bien culturelle, et la langue en est le cœur vivant.

     

    Anne-Sophie Chazaud est chercheuse et auteur. Elle a notamment publié Liberté d’inexpression, des formes contemporaines de la censure, aux éditions de l’Artilleur.

    Source : https://www.lefigaro.fr/vox/

  • L’Amérique vers la guerre civile ?, par Aristide Renou.

    Le dernier essai de Christopher Caldwell montre tout ce que le combat pour les droits civiques a apporté aux Américains : la mainmise fédérale sur toute la vie sociale et la religion, exaltée, de la lutte contre les discriminations, opposant de plus en plus violemment deux camps.

    Le 16 juin 1858, Abraham Lincoln prononçait un discours resté célèbre dans lequel se trouvait cette prédiction : « Une maison divisée contre elle-même ne peut tenir. Je crois que ce gouvernement ne saurait subsister en étant, de manière permanente, à moitié esclavagiste et à moitié libre. Je ne m’attends pas à ce que l’Union soit dissoute – je ne m’attends pas à ce que la maison s’écroule – mais je m’attends à ce qu’elle cesse d’être divisée. Elle deviendra tout l’un ou tout l’autre. »

    Trois ans plus tard, la guerre civile commençait. Cent cinquante-cinq ans après la fin de cette guerre, la plus meurtrière que les Américains aient connue, les États-Unis sont-ils à nouveau à cette « maison divisée contre elle-même » dont parlait Lincoln ? Cette question est au cœur du dernier livre de Christophe Caldwell, intitulé The Age of Entitlement, bien que celui-ci ne la pose jamais explicitement.

    Christopher Caldwell est un journaliste américain, mais le terme « journaliste » ne rend pas justice à l’ampleur de ses vues, à l’étendue de sa culture et à la profondeur de ses analySes. Il serait plus exact de dire que Caldwell est l’un des meilleurs analystes politiques américains actuellement en exercice. Son livre précédent Reflections on the Revolution in Europe, paru en 2009 (et publié en français en 2012 sous le titre Une révolution sous nos yeux), décrivait l’islamisation de l’Europe et le « séparatisme » à l’œuvre dans un pays comme la France dix ans avant que nos gouvernants acceptent d’ouvrir les yeux sur le phénomène.

    Un changement de régime

    The Age of Entitlement (que l’on pourrait traduire par « l’âge des droits acquis » ou « l’ère des privilèges ») est sous-titré « America Since the Sixties », et Caldwell brosse en effet une vaste fresque de l’évolution des États-Unis ces soixante dernières années avec un art très sûr du détail révélateur. Mais tous les panneaux qui composent cette fresque sont unis par un thème commun : le changement de régime politique provoqué par ce que l’on a appelé « le mouvement des droits civiques ». Le mot changement de régime n’est pas trop fort car la thèse de Caldwell est que, avec la législation sur les droits civiques, les États-Unis se sont donné, sans vraiment le vouloir ni le comprendre, une nouvelle Constitution, essentiellement incompatible avec la Constitution officielle.

    Le Civil Rights Act de 1964, accepté sans beaucoup de réflexion par un pays encore sous le choc de l’assassinat du président Kennedy, avait pour objet de mettre fin aux discriminations raciales qui persistaient dans les États du sud. Il interdisait la discrimination raciale dans les bureaux de vote, les hôtels, les restaurants et les théâtres, les installations publiques, des bibliothèques aux piscines en passant par les toilettes et les écoles publiques.

    Mais il donnait également au gouvernement fédéral le pouvoir de réformer les institutions qui faisaient obstacle à l’égalité raciale. En développant la Commission fédérale des droits civils ; en soumettant à un examen bureaucratique minutieux toute entreprise ou institution qui recevait de l’argent du gouvernement ; en établissant des pratiques d’embauche pour toutes les entreprises de plus de 15 employés et en créant une nouvelle agence, la Commission pour l’égalité des chances en matière d’emploi (EEOC), dotée du pouvoir d’intenter des procès, de mener des enquêtes et d’ordonner des réparations, etc.

    La liberté d’association disparaît

    Le problème de cette chasse à la discrimination est que celle-ci se heurte très vite à une liberté fondamentale garantie par la Constitution des États-Unis : la liberté d’association. Dès lors que les pouvoirs publics se donnent pour mission de faire disparaître les « discriminations », ils se donnent inévitablement pour mission de scruter tous les choix privés afin de s’assurer que ces choix ne reposent pas sur des critères « discriminatoires » prohibés par la loi.

    Non seulement une confrérie ou un club privé ne peut pas être interdit aux Noirs, ou aux Juifs, ou à qui on voudra, mais un employeur ne peut pas être libre de recruter qui il veut sur les critères de son choix, un propriétaire ne peut pas être libre de louer son bien à qui il veut sur les critères de son choix, et ainsi de suite. Comme l’expliquait le philosophe Léo Strauss dès 1962 : « L’interdiction de toute “discrimination” signifierait l’abolition de la sphère privée, la négation de la différence entre l’État et la société, en un mot, la destruction de la société libérale. »

    Au fil du temps, de plus en plus d’institutions sont donc tombées dans l’orbite de la loi et ont été scrutées attentivement pour voir si, par hasard, elles ne pratiqueraient pas une forme ou une autre de « discrimination ». Aujourd’hui plus aucune n’échappe à cette inquisition soupçonneuse.

    Mais le mouvement des droits civiques était plus que le seul Civil Rights Act. Il était une révolution morale et intellectuelle, que Caldwell résume ainsi : « La réinterprétation de toute l’histoire américaine et de la finalité du régime américain à la lumière de son problème racial est le principal héritage idéologique de ces cinquante dernières années […] La race fut investie d’une signification religieuse. Elle devint un principe moral absolu. On pourrait même dire que le mouvement des droits civiques, à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement, est devenu une institution doctrinale, analogue aux Églises officielles dans l’Europe pré-démocratique. »

    En investissant les pouvoirs publics de la mission « sacrée » de mettre fin aux discriminations raciales, les Américains, sans le comprendre ni le vouloir, ont donc abdiqué la liberté essentielle de s’associer avec qui ils le souhaitent dans presque tous les domaines de l’existence, non seulement à titre individuel mais, ce qui est peut-être plus grave encore, aussi à titre collectif, en tant que peuple.

    Apparition du politiquement correct

    En octobre 1965, la loi Hart-Celler fut promulguée. Cette loi abolissait les quotas basés sur la nationalité qui existaient depuis 1924. Désormais, la notion de quotas nationaux serait assimilée à une discrimination impie et la volonté de préserver la composition ethnique de la population américaine à une manifestation de racisme. Désormais, l’esprit des lois relatives à l’immigration serait que les États-Unis n’avaient pas le droit moral de sélectionner ceux qui désiraient s’installer dans le pays.

    Les conséquences de la loi Hart-Celler dépassèrent de très loin ce que ses promoteurs attendaient : les projections démographiques montrent aujourd’hui que les Blancs, qui formaient presque 90 % de la population en 1965, seront devenus minoritaires aux alentours de 2040.

    Puis d’autres libertés, que les Américains considéraient comme leur héritage le plus précieux, leur furent également ôtées à mesure que la révolution des droits civiques déployait toutes ses conséquences, à commencer par la liberté de paroles.

    En 1964, tout le monde s’attendait à ce que les Noirs, une fois libérés des lois et des pratiques injustes qui les avaient tenus à l’écart, progressent rapidement dans tous les domaines et rejoignent les autres Américains du point de vue des grands indicateurs économiques et sociaux. Mais ces espérances furent bientôt déçues. Dans tous les domaines, les Noirs progressaient beaucoup moins vite qu’espéré, voire même régressaient.

     

    Selon la nouvelle “constitution”, les « droits » des minorités l’emportent sur tous les autres.

     

    De cette distance béante entre la réalité et ce qu’elle était censée être, naquit une nouvelle forme de censure, le « politiquement correct ». La seule explication admissible à l’échec des Noirs dans tant de domaines était que le racisme et la discrimination étaient plus que jamais à l’œuvre. Il fallait donc redoubler d’efforts pour mettre fin à ces « discriminations » et ceux qui osaient déroger à cette unanimité étaient accusés d’entretenir un « climat hostile » à l’égard des minorités, et ainsi de contribuer à leur échec. Discuter librement de la réalité et suggérer, par exemple, que peut-être l’échec des Noirs n’était pas entièrement dû au racisme de la population blanche devint une marque de racisme, et le racisme devint l’équivalent fonctionnel de l’hérésie aux plus belles heures de l’inquisition espagnole.

    « Les Américains de tous milieux, écrit Caldwell, se mirent à parler des moindres choses comme s’ils risquaient de voir leur vie détruite pour avoir soutenu une opinion erronée. Et c’était une supposition raisonnable. […] L’hypocrisie était la seule façon pour une personne raisonnablement désireuse de se protéger de parler en public de questions raciales – et lorsqu’il s’agissait de droits civiques, tous les lieux étaient publics. »

    Aujourd’hui, la logique implacable de la « lutte contre les discriminations » s’est diffusée partout et toute différence statistique entre une « minorité » et la « majorité » (qui correspond, à toutes fins utiles, aux hommes blancs hétérosexuels) est interprétée comme la preuve d’une intention maligne, tandis que la chasse aux pensées impies qui osent encore s’exprimer s’intensifie presque chaque jour.

    Deux constitutions

    La population blanche mit longtemps à comprendre ce qui était en train de lui arriver. Les Américains Blancs croyaient vivre encore sous l’empire de la Constitution de 1788, selon laquelle les élections décident des politiques publiques. Mais cette Constitution avait été subrepticement remplacée par une autre, selon laquelle les « droits » des minorités l’emportaient sur tous les autres en cas de conflit, et où le pouvoir réel reposait entre les mains des juges et des administrations chargées de protéger ces « droits ». Pour les Blancs non acquis à l’idéologie diversitaire, remporter les élections était devenu à peu près inutile : quels que soient les résultats électoraux, le rouleau-compresseur de la « diversité » progressait et les marginalisait, érodant inexorablement leurs droits et leur statut social.

    Il y avait désormais deux classes de citoyens, basées sur la race, et les Blancs étaient tout en bas.

    The Age of Entitlement se clôt sur l’annonce par Donald Trump de sa candidature à la présidentielle en juin 2015. Caldwell interprète à l’évidence l’élection surprise du businessman aux cheveux orange comme le signe que la population blanche a enfin compris ce qui était en train de se passer. La promesse faite par Trump de « rendre sa grandeur à l’Amérique » doit être comprise comme la promesse d’une restauration : ce que Trump promettait aux Américains qui l’ont élu, c’est de leur rendre leur pays, c’est-à-dire d’abord leur Constitution, celle qui, pour la première fois dans l’histoire humaine, avait établi « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».

    Cette restauration, nous le savons, n’a pas eu lieu, et la victoire de Joe Biden signifie la victoire – peut-être provisoire – des partisans de la nouvelle Constitution, la Constitution officieuse issue des droits civiques.

    Tout comme en 1860, au moment de l’élection d’Abraham Lincoln, le peuple américain semble se trouver divisé en deux camps irréconciliables car séparés par des questions de principe au sujet desquelles aucun compromis n’est possible.

    Les États-Unis peuvent-ils continuer à exister en tant que nation indépendante en ayant deux Constitutions aux principes opposés qui opèrent en même temps et réclament l’allégeance des citoyens ? Si les mêmes causes produisent les mêmes effets, la seule conclusion possible est que la guerre est inévitable. Mais s’il est un enseignement de l’histoire, c’est que celle-ci ne se répète jamais tout à fait à l’identique. Deux situations en apparence semblables peuvent en réalité différer par des éléments subtils, mais décisifs, qui amèneront des conséquences très différentes.

    Tout ce qu’il est possible d’espérer à l’heure actuelle, c’est précisément que des forces de ce genre soient à l’œuvre, des forces que nous n’apercevons pas pour le moment, dans le brouillard de l’actualité, mais qui produiront un dénouement plus heureux qu’en 1860.

     

    Christopher Caldwell, The Age of Entitlement : America Since the Sixties. Simon & Schuster, 2020.

     

    Illustration : Les militants blancs américains savent qu’ils ne peuvent espérer une existence politique qu’à condition de s’agréger aux revendications des groupes soi-disant minoritaires. Tout autre cause est disqualifiée d’avance.

    6.jpg

    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • Pour faire aimer la France…, par Phi­lippe SCHNEIDER.

    Face à l’islamisme, le « sépa­ra­tisme » comme dit le gou­ver­ne­ment, que faire ? A cette ques­tion, Xavier Lemoine, le maire de Mont­fer­meil, ville de la ban­lieue pari­sienne dont la popu­la­tion est en grande par­tie com­po­sée d’immigrés ou des­cen­dants d’immigrés, répond dans l’hebdomadaire « France Catho­lique » du 8 jan­vier 2021 :

    « On ne peut en vou­loir aux per­sonnes de ne pas nous res­pec­ter si on ne leur dit pas ce que la France a de plus beau. Il faut faire connaître, res­pec­ter et aimer la France. C’est ce que j’essaye de faire dans ma ville, en emme­nant par exemple des jeunes, dont cer­tains ont un casier judi­ciaire char­gé, au Puy-du-Fou. Au début, c’était un car, main­te­nant il y en a deux ! Mal­gré leur pro­fil, il n’y a eu aucun pro­blème, car ils étaient en face de la gran­deur de la France. » C’est le bon sens même mais le pou­voir ne veut pas que les Fran­çais aiment la France.

    Dans le même sens, Mgr le comte de Paris a effec­tué des visites com­men­tées de la basi­lique cathé­drale de Saint Denis et du châ­teau de Dreux avec des enfants défa­vo­ri­sés en par­ti­cu­lier venant des ban­lieues pari­siennes en particulier. 

    Nous avons aujourd’hui en France, qu’on le veuille ou non, une part impor­tante de jeunes issus de l’immigration ou immi­grés deve­nues Fran­çais. Que soit arrê­tée aujourd’hui l’immigration – ce qui est sou­hai­table – ne résou­dra pas le pro­blème. Or, soit ils sont lais­sés dans leurs « ghet­tos », à la mer­ci de groupes eth­niques orga­ni­sés vou­lant en faire des agents de leurs pays d’origine ou d’organisations isla­mistes, soit nous fai­sons en sorte de les inté­grer dans notre Patrie. Dans le pre­mier cas, ils devien­dront, pour ceux qui ne le sont pas déjà, nos enne­mis avec tous les risques de conflits, de guerres futures à l’intérieur de nos fron­tières. C’est le scé­na­rio hélas le plus pré­vi­sible aujourd’hui si la poli­tique actuelle est pour­sui­vie. Et ce ne sont pas les poli­tiques de l’urbanisme – gouffres finan­ciers – qui y chan­ge­ront quelque chose ! Ces poli­tiques ne peuvent être utiles qu’à la condi­tion d’être accom­pa­gnées par une véri­table poli­tique d’assimilation de ces populations.

    Encore faut-il savoir à quoi les « assi­mi­ler » ? Le Prince Jean, comme Xavier Lemoine et, heu­reu­se­ment, beau­coup d’autres en France, le disent bien : si nous leur mon­trons la gran­deur de la France, de son his­toire, nous pou­vons en faire de vrais Fran­çais et, alors, tout espoir est per­mis. Mais com­ment le pou­voir actuel pour­rait-il faire aimer la France et son his­toire alors qu’il dénigre tous les jours le pas­sé de notre pays et qu’il veut qu’elle dis­pa­raisse dans un ensemble supra natio­nal diri­gé par des finan­ciers apa­trides ? Je n’en prends pour preuve que les décla­ra­tions du pré­sident Macron sur notre his­toire en Afrique, Asie ou même en Europe, où il montre d’ailleurs, qu’il ne la connaît pas. Et il y a sa poli­tique – la même que celle de ses pré­dé­ces­seurs – de sou­mis­sion à l’Union Euro­péenne, donc à l’Allemagne et aux Etats-Unis d’Amérique qui nous enlève toute pos­si­bi­li­té d’action. Il faut bien se rendre compte que nous avons aban­don­né pra­ti­que­ment tous les pou­voirs réga­liens : jus­tice inféo­dée aux lois « euro­péennes », affaires étran­gères gui­dées par Washing­ton ou Ber­lin (notre auto­no­mie est de plus en plus limi­tée), mon­naie à Franc­fort et même main­te­nant défense que l’on vou­drait « euro­péenne ». Heu­reu­se­ment, ce n’est pas encore fait mais, déjà, une bonne par­tie de notre indus­trie d’armement n’est plus natio­nale. Est-ce vou­lu ? L’exemple de Laté­coère – entre autres – semble le démontrer.

    Eh oui, pour faire aimer la France, il faut d’abord un pou­voir qui montre qu’il l’aime, qui donne l’exemple, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Sans cela, il n’y aura pas d’intégration pos­sible des jeunes issus de l’immigration. C’est aus­si le pro­blème des jeunes fran­çais dit « de souche » plus ou moins loin­taine, qui n’y sont plus atta­chés « grâce », sou­vent, à la pro­pa­gande anti fran­çaise que nos enfants subissent dans la plu­part des écoles. Ces éta­blis­se­ments sco­laires dépen­dant du gouvernement !

    Nous le voyons, si toutes les ini­tia­tives indi­vi­duelles sont utiles et néces­saires, il est indis­pen­sable d’avoir une volon­té gou­ver­ne­men­tale de faire aimer la France. Et la pre­mière chose est d’avoir des per­sonnes à la tête de l’Etat qui aiment la France, la défendent, veulent lui rendre son indé­pen­dance et sa gran­deur. Or, nous le consta­tons, hélas, tous les jours, ce n’est pas le cas des indi­vi­dus qui nous gou­vernent actuel­le­ment, bien au contraire.

    Nous consta­tons que c’est dans la nature de notre régime répu­bli­cain d’avoir des gou­ver­nants de plus en plus apa­trides et anti fran­çais, à de rares excep­tions près. Et cela s’aggrave au fur et à mesure que le temps passe et qu’ils ont de moins en moins de culture fran­çaise et his­to­rique. Au moins, les « hus­sards noirs » du siècle der­nier, s’ils étaient anti­clé­ri­caux, fai­saient aimer notre nation ! Nous sommes tom­bés bien bas depuis !

    Il en serait tout autre­ment si nous avions à la tête de l’Etat un homme, une famille, qui ne soit pas tri­bu­taire des lob­bies élec­to­raux et finan­ciers. Un homme repré­sen­tant his­to­ri­que­ment la Nation Fran­çaise. Cet homme, c’est notre Roi. Il sau­rait, lui, faire aimer la France non seule­ment aux Fran­çais dit « de souche », mais aus­si à tous les autres et en faire de bons Fran­çais, atta­chés à leur pays. Et l’action du Prince Jean montre bien qu’il ne s’agit pas de « paroles en l’air ». Bien sûr, il y aurait des récal­ci­trants qui conti­nue­raient à pré­fé­rer un autre pays. Eh bien, il fau­drait les satis­faire et les prier d’y aller… C’est ce que Léon Blum a su bien faire avant la deuxième guerre mon­diale avec ceux qui ne vou­laient pas s’assimiler à la France.

    Avec notre Roi et tous les Fran­çais, nous recons­trui­rons alors notre pays. Il faut tra­vailler à son instauration.

    LA LORRAINE ROYALISTE

    284 ave­nue de la Libération

    54000 – NANCY

    Direc­teur de la Publi­ca­tion : Phi­lippe SCHNEIDER

    Rédac­teur en Chef : Jean NEDISCHER

    Source : https://www.actionfrancaise.net/blog/

  • Mila: le plus bel âge de la vie, par Céline Pina.

    Mila au tribunal à Paris, le 3 juin 2021 © Francois Mori/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22573239_000003

    Selon Céline Pina, le procès Mila apporte la preuve que la propagande des islamistes et leur vision du monde se diffusent au-delà de leur cible musulmane. L’amalgame entre blasphème et racisme est au cœur de leur stratégie de sape obscurantiste. Quant au débat sur le caractère néfaste des réseaux sociaux, il permet d’occulter les vrais problèmes… Analyse.

    Mila a 18 ans et comme avant elle, Paul Nizan, elle pourrait écrire « Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie ». Incitations au suicide, menaces de mort, de viols, propos orduriers, voilà ce que subit cette toute jeune femme depuis maintenant deux ans. Son « crime », avoir critiqué de façon véhémente l’islam, après avoir été lourdement draguée puis insultée par un jeune musulman. Cette histoire qui n’aurait pas dû dépasser le stade d’une embrouille de cour d’école est pourtant devenue virale. Mila est devenue une cible, un symbole à détruire physiquement et moralement. La harceler devient identitaire, un moyen d’affirmer sa foi ou son soutien à une idéologie.

    Je vous demande de vous arrêter

    L’ouverture du procès de 13 de ses harceleurs, loin de calmer le jeu a au contraire relancé les attaques. D’abord parce que le sentiment d’impunité des prédateurs de Mila sur les réseaux et dans la vraie vie est tel qu’ils ont l’impression aujourd’hui d’avoir gagné : ils ont imposé leur loi, rétablit le délit de blasphème et fait la preuve que les élites républicaines préféraient abandonner les enfants des classes moyennes aux minorités radicalisées, plutôt que de défendre la liberté d’expression. Le fait que la ministre de la Justice de l’époque a accrédité une partie des éléments de langage des islamistes en présentant la parole de Mila comme portant atteinte à la liberté de conscience, a légitimé la violence qui s’exerçait contre la jeune fille. Or Mila n’a commis aucune infraction en usant de sa liberté d’expression. Au vu de la situation, une toute jeune fille innocente, dont la vie est gâchée suite à une persécution mise massivement en œuvre sur les réseaux, on s’étonne de ce que toute la classe politique ne se tienne pas debout derrière Mila. Pourtant, on a du mal à imaginer plus juste cause que la sienne. Eh bien non. La pression de tous les représentants de l’islam, qu’ils soient franchement islamistes ou représentants du culte musulman a fait de la défense de Mila, un tabou politique. Le président de la République, qui aime tant se mettre en avant, la soutient à peine et la plupart de nos représentants nationaux sont très discrets sur la question. Dans cette histoire, le problème n’est pas Mila, mais l’islam, car si Mila avait déclaré solennellement « mettre un doigt » dans le fondement de Jésus-Christ, elle mènerait aujourd’hui une vie parfaitement normale. Cela tout le monde le sait très bien, mais il est malvenu de le dire clairement.

    2.jpg

    Nicole Belloubet, en janvier 2020 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA Numéro de reportage: 00940194_000005

    Quant au procès en cours, le premier message que la Justice semble tenter d’envoyer est dramatique pour l’image des enquêteurs comme l’image de ladite justice est effrayante pour tout justiciable. La première impression que l’on a est celle d’une manipulation : plus de 100 000 messages violents, appelant à la haine, au viol et au meurtre ont été déversés sur une jeune fille de 16 ans qui n’avait commis aucune faute et au bout de deux ans, il n’y a que 13 accusés à juger ? Certains d’entre eux n’ont fait qu’un seul tweet et leurs profils semblent délibérément sans relief afin d’accréditer l’idée que tout cela serait la faute des réseaux. Sur 100 000 messages à caractère violent, seuls 13 auteurs auraient été identifiés ? Si oui, alors la France est une invitation à la cyber-criminalité. Visiblement, l’État comme la justice n’auraient ni les moyens ni le personnel qualifié pour identifier des cyber-harceleurs. Ils seraient aussi d’une immense naïveté. Ils ne savent pas remonter un filon jusqu’à sa source ? La plupart des journalistes, quant à eux, ne paraissent pas s’interroger sur le fait qu’il est rare que 100 000 personnes attaquent spontanément une inconnue dans un laps de temps très court, mais ils répandent l’idée que les profils des accusés mettent à mal la thèse de l’influence islamiste. Le problème, c’est que pour qu’une inconnue se retrouve avec de telles attaques de masse, il faut qu’elle ait été signalée via des réseaux communautaires, des personnes d’influence et des sites activistes liés à l’islam politique. On l’a vu avec le meurtre de Samuel Paty : il y a eu assassinat parce que de nombreuses personnes ont fait monter la sauce communautaire et que l’islam politique s’en est mêlé. Contrairement à ce que l’on imagine, rien n’est moins spontané que les réseaux et le viral est souvent un construit.

    Regarder la réalité de l’islamisme en face

    Là on peut se demander si le but n’est pas de nier la dimension idéologique de ce que subit Mila parce qu’alors que se rapproche l’élection présidentielle, on ne voudrait surtout pas regarder en face la réalité et encore moins se mettre à dos des relais électoraux utiles pour activer un vote communautaire. L’emprise islamiste peut aussi avoir ses avantages en politique…

    Le choix des accusés comme le peu d’enquête sur les réseaux qui ont amené à ce harcèlement de masse montre que l’affaire Mila embarrasse le pouvoir. Les islamistes l’ont compris. Mila témoigne d’ailleurs de la violence des attaques qu’elle subit à nouveau et montre à quel point la justice n’agit pas : « L’un de ces sinistres individus, jamais poursuivi et encore moins condamné, s’est vanté sur TikTok de torpiller mes comptes en usurpant mon identité et en achetant des abonnés par milliers. Ces types ne me lâcheront jamais ». Il faut dire qu’en ne cherchant pas à les poursuivre ou en ne ciblant que les lampistes, la Justice est en train d’offrir un totem d’immunité aux entrepreneurs de l’islam politique. Le but est-il de dédouaner la propagande islamiste des violences qu’elle induit parce qu’en période de présidentielle, il faudrait mettre la réalité sous le tapis pour ne-pas-faire-le-jeu-de-l’extrême-droite ? Y aurait-il volonté d’écarter tout ce qui pourrait laisser entendre que les islamistes étaient bel et bien à la manœuvre dans cette histoire ? Si oui la démonstration n’en est pas moins ratée. 

    En effet, si les accusés apparaissent comme très divers voire anodins et a priori loin du milieu islamiste, en revanche leur ligne de défense lors de cette première audience est unique, quel que soit leur profil. Or leur choix de défense et les motivations qu’ils donnent à leurs actes montrent et démontrent l’influence des représentations et de la vision du monde des islamistes et le rétablissement du blasphème par ensemencement des esprits. Lors du premier jour d’audience, avant que le procès ne soit reporté, cette défense consistait en un amalgame qui rend hommage involontairement à la qualité de la propagande islamiste et montre que leur vision du monde se diffuse au-delà de leur cible musulmane.

    Culture tribale

    Cette propagande assimile le blasphème au racisme et la critique d’une religion, à la persécution des croyants. Du coup, user de sa liberté d’expression devient un acte raciste et offensant, une atteinte à l’honneur collectif et cela mérite donc le pire des châtiments : viol et meurtre. On est là dans des représentations qui n’appartiennent ni à notre culture ni à notre espace mental. Dans le règne de la tribu le bien et le mal n’existent pas, seul compte ce qui est bon ou mauvais pour le groupe. Mais dans nos civilisations on distingue la peau et la chemise, l’intérêt général de la poursuite des intérêts particuliers et des croyances personnelles. Ainsi la critique et l’offense à une croyance, une religion, un Dieu, un prophète ou un personnage mythique ou historique relève de la liberté d’expression. En revanche appeler à la haine ou au meurtre à raison de l’appartenance ethnique, religieuse ou sexuelle est condamnable. En vertu de ce principe, les catholiques, qui pourtant n’étaient guère fans des caricatures de Charlie n’ont jamais eu l’idée d’appeler au meurtre des dessinateurs pour venger leur honneur et aucune de leurs ouailles n’est passée à l’acte. Or pour Mila, certains leaders islamistes, et même le CFCM ont jeté de l’huile sur le feu. La destruction de la vie d’une gamine de 16 ans n’était rien à côté de leur volonté d’imposer le retour de la condamnation du blasphème à l’égard de leur religion sur notre sol.

    C’est cette logique, qui place le religieux au-dessus des lois de la cité, qui est une véritable inversion de nos valeurs, de nos principes et de notre lien social. Or cette inversion et l’amalgame entre blasphème et racisme font partie des éléments de langage des islamistes et des racialistes. Cette propagande et cette logique sont surreprésentées dans les lieux où se tissent les représentations comme l’université, les médias, le monde politique associatif et syndical alors qu’ils émanent d’un courant de pensée totalitaire et obscurantiste. La stratégie des Frères musulmans, la secte islamiste la plus puissante chez nous, cible les lieux de pouvoir et la jeunesse. Et cela marche. Certains jeunes adoptent une vision du monde très loin de notre civilité et cela se ressent dans la dégradation des rapports hommes/femmes, dans la volonté d’imposer l’interdiction du blasphème, dans un racialisme qui se traduit en haine du blanc et un décolonialisme qui se traduit en haine de la France et de ses principes… Quant aux lieux de pouvoir, l’influence de l’islamo-gauchisme empêche de tenir un discours clair, de nommer et de désigner l’ennemi donc de le combattre efficacement. 

    Résultat : aujourd’hui en France, une des personnes les plus menacées et les plus protégées est une jeune femme qui a 18 ans et dont le « crime » aux yeux d’arriérés est d’avoir insulté leur religion. Et ceux qui la menacent ne viennent pas d’Afghanistan. La plupart ont grandi en France, mais ils vivent dans un univers de rancœur, de violence décomplexée et de haine qu’ils n’ont pas construit tout seul. Alors ce procès va-t-il ouvrir les yeux de ceux qui nous représentent, ou est-il là pour noyer le poison islamiste dans la dénonciation des réseaux sociaux pour préserver un clientélisme électoral qui est en train de nous détruire collectivement ? 

     

    Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

    Source : https://www.causeur.fr/

  • Dans quel état LR erre, LR : ce qui se passe en général quand la droite se veut d’avant-garde, par Frédéric Rouvillois,

    Atlantico.fr : Damien Abad a déclaré lors des journées parlementaires LR, « Les Français veulent une droite qui n’est plus l’antichambre de combats d’arrière-garde mais l’avant-garde des combats de la nouvelle génération ». Faut-il y voir un appel à une « nouvelle droite » ou des mots vides de sens ? 

    Frédéric Rouvillois : Ce qui frappe d’emblée le lecteur de ce tweet d’anthologie, c’est, juste après la grosse faute de grammaire, et par-delà le caractère hypothétique du présupposé initial (« les Français veulent une droite… »), le vide sidéral d’une telle affirmation. On en appréciera volontiers le côté martial, qui oppose des « combats d’arrière-garde » à « l’avant-garde des combats » : mais faute de savoir précisément ce qu’il faut entendre par « arrière-garde » ou par « nouvelle génération », bien malin qui pourrait dire s’il s’agit ( poursuivant fièrement dans la métaphore militaire), de ralliement en rase campagne au progressisme sociétal ou écologique ( Tous avec Greta !), d’une alliance dialectique avec le conservatisme postmoderne ( Tous avec Marion !) ou d’un coup de clairon destiné à ceux qui, au sein du parti, n’auraient pas compris que les vieux birbes ont fait leur temps et qu’il est urgent de laisser place aux jeunes avant qu’ils aient cessé de l’être ( Tous avec Damien !).

    En somme, cet appel énigmatique peut signifier tout et son contraire, et être lu aussi bien comme inclinant du côté du progressisme cher aux « macrono-compatibles » à la Estrosi, que du côté inverse, celui des conservateurs de Sens commun qui, 12 octobre, viendront exposer leurs thèses au siège du parti.

    Gilles Richard : Lorsque l’on analyse la vie politique, il faut entendre les mots qui se prononcent et savoir regarder ce qui se cache derrière. Damien Abad est engagé dans une concurrence à long terme avec Christian Jacob. Il vient de l’UDF et a déjà utilisé des formules pour montrer qu’il n’était pas pour une droite caricaturale, repliée sur elle même. On peut y voir la trace d’une inquiétude car lorsqu’il dit la droite, il pense Les Républicains et à son avenir incertain face à Emmanuel Macron. Le parti est sur une espèce de ligne de crête et peut tomber ou bien rebondir. C’est l’enjeu d’un combat actuel à LR dans lequel Damien Abad a envie de jouer un rôle important. 

    En s’exprimant ainsi, Damien Abad veut montrer qu’il pourrait refuser les alliances avec les nationalistes. Il ferme la porte à ces derniers pour montrer que l’alliance penche plutôt de l’autre côté avec les néo-libéraux comme En Marche. 

    La droite a-t-elle aussi déjà revendiqué ou incarné l’avant-garde dans son histoire ? Et quel en a été le résultat pour elle ?

    Frédéric Rouvillois : Je pourrais commencer par répéter ce que je disais à propos des mots « arrière-garde » et « jeune génération » : en soi, la formule « avant-garde » ne signifie pas grand-chose, sinon la ferme volonté d’en découdre. Ou du moins, de le faire croire. Historiquement, elle a d’ailleurs été utilisée, en France, aussi bien par la droite dure que par l’extrême-gauche : c’est ainsi qu’au début du XXe siècle, le jeune Georges Bernanos dirige un hebdomadaire royaliste et catholique intitulé L’Avant-garde de Normandie, tandis que de l’autre côté de l’échiquier politique, les Jeunesses communistes donnent ce même titre à leur organe central. Ce que l’on peut en déduire, c’est qu’il n’existe pas, du moins en politique, une (et une seule) avant-garde – que, rétrospectivement, on aurait tendance à confondre avec ce qui est le plus moderne, le plus progressiste. Au fond, il existe une avant-garde dans chaque mouvement, sinon dans chaque parti, avant-garde qui n’est autre que le groupe le plus actif, le plus mobilisé, le plus créatif, généralement le plus intransigeant et sociologiquement le plus jeune.

    Si pourtant l’on voulait absolument répondre à cette question, on pourrait évoquer quelques moments de l’histoire où la droite semble avoir été à l’avant-garde de la société française : et à ce propos, on songe en particulier à la Restauration, dans la décennie 1817–1827, lorsque la future génération romantique regroupe les plus belles intelligences de l’époque autour de Chateaubriand et de sa revue Le Conservateur, créée en 1818, un an avant que Victor Hugo, alors très fervent royaliste, ne lance Le Conservateur littéraire. À ce moment-là, la droite, une droite incontestable, semble incontestablement à l’avant-garde du pays.

    Gilles Richard : L’avant-garde est un mot qui a des connotations et dont la définition n’est pas certaine. C’était le titre d’un journal communiste dans les années d’après-guerre. Être à l’avant-garde, cela veut plutôt dire ici, si l’on traduit la langue de bois politique, être attentif aux mutations de la société et aux attentes majoritaires dans la société. On peut prendre l’exemple de Valéry Giscard d’Estaing qui a su en 1974 faire des réformes portées par le mouvement féministe. Cela ne veut pas dire autre chose et tous les mots doivent être replacés dans leur contexte. 

    La grande rupture entre De Gaulle et Pompidou en 1968 est un autre exemple de la droite dans l’avant-garde. De Gaulle voulait opérer des réformes profondes dans l’organisation de la vie sociale et économique avec le projet de loi Schuman, il voulait donner un véritable pouvoir de contrôle aux comités de participation des entreprises de plus de 100 salariés. Cela a été un tollé. Les néo-libéraux contre cette réforme ont tout fait pour l’en empêcher. Ils ont donc fait triompher le non au référendum de 69.  

    La modernité est un terme piégé qui veut tout dire et ne rien dire. Il est à la mode depuis les années 30 et il faut toujours moderniser à coups de réformes alors que personne n’irait dire que la France n’est pas moderne par rapport à ce qu’elle était en 1945. Pourtant, les gens prétendent qu’elle n’est pas encore assez moderne. Derrière modernisation, il y a un mot d’ordre des libéraux  qui consiste à développer le plus possible la société derrière un type d’organisation capitaliste. Aujourd’hui les libéraux sont au pouvoir avec Emmanuel Macron et ont réussi à convaincre une bonne partie des socialistes. Ils sont puissants mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de contestation. Ce sont donc les modernisateurs qui dirigent le pays sans discontinuité depuis 85.

    Quand la gauche s’est-elle appropriée de monopole de l’avant-gardisme et du progrès ? 

    Frédéric Rouvillois : L’avant-gardisme, on vient de le dire, est à tout le monde, mais l’idée de Progrès n’est qu’à la gauche – l’idée de Progrès, c’est-à-dire, non le constat que certains progrès existent dans certains domaines et qu’il faut s’en féliciter, mais la conviction quasiment religieuse qu’il y a un « sens de l’histoire » qui pousse nécessairement l’humanité dans son ensemble vers une perfection toujours plus grande. À mon sens, on pourrait démontrer que tel est le critère décisif qui permet de définir la gauche, et de la distinguer de la droite. La droite, c’est en cela qu’elle est foncièrement conservatrice, reconnait que l’homme, quels que soient ses efforts et son génie, est par nature condamné à l’imperfection, au relatif, au limité, alors que la gauche est certaine qu’il atteindra la perfection. La droite se résume dans le mot humble et résigné de Bainville, « rien n’a jamais bien marché », tandis que la gauche se reconnaît dans le projet prométhéen du serpent de la Genèse : « vous serez comme des dieux ». 

    Voilà pourquoi la gauche n’a jamais eu à s’approprier la thématique du progrès et l’idéologie progressiste, puisque celles-ci lui appartiennent en propre. À l’inverse, une droite qui s’en réclameraient se condamnerait par là- même à trahir ses principes et ses valeurs : c’est-à-dire, à se renier comme droite, et du coup, à se rallier au camp adverse. Mais tel est peut-être, au fond, le sens caché de la déclaration de Damien Abad ?

    LR, et la droite plus généralement sont-ils condamnés montrer constamment patte-blanche et donner des gages permanents de modernité, ou peuvent-ils produire un discours qui s’en dégage ?

    Frédéric Rouvillois : Ici, il faudrait introduire une distinction supplémentaire, entre « droite » au sens philosophique ou idéologique, et « droite » au sens politique, ou politicien, le premier désignant une construction intellectuelle stable et cohérente, le second, un positionnement politique éminemment relatif et changeant ( ainsi par exemple, sous la Révolution, les républicains modérés siègent à l’extrême-gauche en 1789, puis à l’extrême droite en 1793, au centre en 1795 puis à nouveau à gauche en 1800). Deux sens qui, de nos jours, sont très loin de se confondre, ce qui conduit à constater qu’une large part de ce que l’on appelle aujourd’hui « la droite » ( a fortiori lorsque l’on y intègre l’actuel président la République) n’est pas vraiment, voire pas du tout, « de droite ».

    Si la modernité coïncide avec les idéaux progressistes d’émancipation, de mobilité, d’égalisation, de rationalisation ou de dépassement des affiliations, bref, si elle n’est que le nom générique du « Nouveau Monde » rêvé par le macronisme, alors la droite au sens philosophique ne peut que constater qu’elle se situe sur l’autre rive : celle de l’avant, ou de l’après modernité. Et que tout rapprochement est impossible. 

    En revanche, la droite au sens politicien, non seulement peut lui donner des gages - par exemple, voter avec elle les lois sur le mariage pour tous, la PMA ou l’allongement du délai d’avortement-, mais elle le doit. Et elle se le doit. Elle le doit, parce qu’ayant intégré les présupposés du progressisme, elle doute de sa propre légitimité ; au fond, elle a honte d’elle-même, ou du moins, de ce qu’on puisse l’assimiler à la « droite » au sens idéologique, au conservatisme, à la réaction, voire à la contre-révolution. D’où, sa volonté de se montrer aussi discrète que possible (elle a longtemps évité prudemment de se servir du mot droite), et de se faire pardonner aussi souvent que possible ces rapprochements fâcheux avec le Camp du Mal.

    Gilles Richard : Il y a des droites, les néo-libéraux et les nationalistes. Du côté des néo-libéraux, il se pose un problème pratique. Emmanuel Macron a profité de la crise des partis. Nous avons un président néo-libéral, sans parti structuré à l’échelle national capable de relayer la politique présidentielle. Pourtant de l’autre côté, nous avons un grand parti néo-libéral, LR, sans leader.

    C’est le problème des libéraux face aux nationalistes dont le RN est la grande structure politique. Les néo-libéraux ont donc un souci d’organisation partisane. Le président a reconstruit les néo-libéraux en fusionnant les juppéistes et strausskahniens mais il n’a pas su transformer cette alliance électorale en parti politique. Il reste donc toujours un PS et un LR. LREM étant un parti non fini. Il va falloir que tout cela se coordonne car la présidentielle pointe ces problèmes. 

    Quand l’UMP est fondé par Juppé en 2002, il est sur une base néo-libérale et européeiste. Nicolas Sarkozy a choisi la carte de l’élargissement vers les nationalistes et a réussi à en intégrer une partie chez les militants. C’est une situation qui est apparue dans la primaire entre les juppéistes et les fillonistes avec en résultat : l’affaiblissement de LR. Le mouvement des juppéistes vers LREM n’a cependant pas été achevé complètement et LR a une base militante qui est moins néo-libérale que ses dirigeants. Elle est plus attirée par le RN et ce que cela représente. 

    Le parti est en difficulté car il y a une dissension entre ses dirigeants et sa base. En ayant choisi Jacob, qui est d’accord avec tout le monde, cela ne règle pas le problème. Il est donc probable que Damien Abad ait envie de se placer contre une ligne Wauquiez et Retailleau. Bruno Retailleau ne sera jamais candidat car il n’aura jamais les signatures ou si il les a, il aura un score dérisoire…

    Source : https://www.atlantico.fr/