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  • Michel Onfray : ”Mon péché mortel ? Être resté aux côtés du peuple”.

    Michel Onfray, chez lui à Chambois, dans l'Orne, en 2019.

    Photo12 via AFP

    Source : https://www.lexpress.fr/

    Souverainisme, Le Pen, Raoult, BHL, De Villiers... Dans un grand entretien musclé, le philosophe s'explique sur sa revue Front Populaire et fustige les médias.

    Il est l'intellectuel qui entend réunir les souverainistes de tous bords à travers sa nouvelle revue Front populaire, où l'on retrouve Jean-Pierre Chevènement comme Philippe de Villiers. Il est aussi celui qui concentre les critiques violentes sur sa supposée dérive idéologique qui l'aurait vu passer de la gauche libertaire de Proudhon à l'extrême-droite d'Eric Zemmour.

    Au coeur des polémiques, Michel Onfray publie également l'ultime volume de sa monumentale Contre-histoire de la philosophie (Grasset). Dans La résistance au nihilisme, on retrouve ce que le philosophe Onfray a de meilleur et, parfois, de plus caricatural : d'un côté, un populisme au sens noble du terme qui en fait un formidable pédagogue sur la pensée d'après mai-68 (avec des belles pages sur Pierre Hadot ou Robert Misrahi) comme un critique impitoyable d'une gauche intellectuelle qui a souvent préféré les jargons obscurs aux masses populaires ; de l'autre le pamphlétaire manichéen et antilibéral à qui l'outrance fait perdre le sens des nuances... 

    Dans un long entretien accordé à l'Express dans lequel il ne nous épargne pas, le philosophe s'explique sur cette nouvelle revue, mais aussi sur l'évolution de ses positions sur l'immigration, Didier Raoult, BHL, ses soutiens dans la droite radicale et son parcours personnel. 

    L'Express : Un article du Monde expliquait qu'avec votre nouvelle revue, Front populaire, "Michel Onfray séduit les milieux d'extrême-droite". Ce qui vous a fait vivement réagir. Pourquoi ?  

    Michel Onfray : Je veux bien qu'on me donne des leçons, mais seulement quand on est irréprochable... Ce journal est dit de référence, mais seulement pour les journalistes à qui il donne le ton - Libération a suivi, puis France-Inter, etc... Le Monde ne vit que des impôts du contribuable français car, sans l'aide à la presse il n'existerait plus depuis bien longtemps. Son passé est un passif, son père fondateur vient de Vichy et du maréchalisme, il attaque de Gaulle jusqu'à la fin de sa vie politique, il défend une Europe dont la matrice idéologique était fasciste. Ce journal accueille les propos négationnistes de Faurisson tout autant que les éloges de Pol-Pot par Alain Badiou, réussissant ainsi un formidable cocktail rouge- brun. Il accueille également dans ses colonnes un pédophile avéré pendant des années comme chroniqueur et, en plus de vanter les mérites de ses livres, il défend la pédophilie. Il prend parti pour l'ayatollah Khomeiny et la révolution islamique en Iran. On comprend que, devant l'aventure de Front populaire qui entend honorer la constitution en redonnant au peuple le pouvoir qu'il a perdu et qui lui revient, ce journal se déchaîne.  

    J'ajoute qu'un texte me salissant signé par un journaliste issu du PCF dont l'histoire ne fut guère plus propre (pacte germano-soviétique de 1939 à 1941, insulte du combat indépendantiste algérien dès 1945, homophobie, refus de la contraception et de l'avortement sous Thorez dans les années 50, critique de l'immigration avec Marchais, qui fut volontaire pour partir en Allemagne pour le STO, dans les années 80, insulte à Cohn-Bendit présenté comme un juif allemand en Mai 68, soutient inconditionnel au système concentrationnaire soviétique, mépris de Soljenitsyne et campagne de calomnies au moment de la traduction française de L'archipel du Goulag), tout cela n'autorise pas vraiment ces gens-là à me donner des leçons...  

     
     

    On peine à comprendre ce qui vous associe aujourd'hui, vous qui incarnez le matérialisme athéiste, à quelqu'un comme Philippe de Villiers, catholique et conservateur dont l'idole est plus Jeanne d'Arc que Nietzsche. Vous allez jusqu'à endosser sa rhétorique sur les Pères fondateurs de l'Union européenne financés par les États-Unis (Jean Monnet) ou ayant eu des liens avec les nazis (Walter Hallstein)... 

    Cette rhétorique endossée comme vous dites, je l'ai découverte en lisant le livre d'Antonin Cohen, De Vichy à la communauté européenne, publié aux Presses Universitaires de France en 2012, c'est-à-dire bien avant le livre de Philippe de Villiers qui lui est postérieur de sept années. Cet universitaire est maître de conférences en science politique à Paris Nanterre, il est rattaché au Groupe d'analyse politique et à l'Institut des sciences sociales du politique qui dépend du CNRS. Les détails concernant les financements de Jean Monnet par les États-Unis se trouvent page 20, le fait que les mémoires de Jean Monnet aient été rédigés par des "nègres" payés par les États-Unis pages 19, 20 et 23, le rôle du Monde pour défendre cette mythologie d'un Monnet père fondateur page 26, le fait qu'André Fontaine, ancien directeur du Monde, ait cité positivement Mussolini en son temps page 181. Quant à Walter Hallstein, l'ancien officier nazi qui a présidé aux destinées de l'Europe pré-maastrichienne entre le 7 janvier 1958 et le 6 juillet 1967, je vous renvoie à l'excellent article de Jean Dugenêt, Walter Hallstein était un nazi, paru dans Mediapart le 25 janvier 2020. 

    Pour le reste, l'athée que je suis préfère un catholique qui défend des idées justes, le matérialiste que je suis préfère un idéaliste qui défend des idées justes, l'homme de gauche que je suis préfère un homme de droite qui défend des idées justes à un athée, un matérialiste ou un homme de gauche qui défendent des idées injustes ! La justice et la vérité m'intéressent plus que les sensibilités politiques ou religieuses. Vous ne me ferez pas dire que, parce que je suis athée, un croyant est un imbécile, ce qui fut à l'origine de mon désaccord avec feu Jean Soler qui affirmait que l'athéisme était l'apanage de gens plus intelligents que ceux qui croyaient.  

    Vous avez un service de renseignements bien fait...

     
     

    En quoi le souverainisme serait-il la solution aux grands enjeux actuels ? Comme l'explique l'historien Yuval Noah Harari, le repli sur l'Etat-nation ne répond nullement aux problèmes de réchauffement climatique ou d'autonomisation du travail... 

    Le souverainisme n'est pas une solution, il est la condition de possibilité de la solution. Quand un bateau part à la dérive, il faut reprendre les commandes pour lui éviter l'accident. Une fois les commandes reprises, rien n'augure d'un cap qu'il faut ensuite choisir. Il y a un temps pour reprendre le pouvoir en main, c'est celui du souverainisme, un autre pour dire ce que l'on fait une fois qu'on dispose à nouveau des moyens de faire de la politique.  

     

    La haine du souverainisme qui est le corrélat de l'État maastrichien, lui-même premier temps d'un gouvernement mondial du capital, ne va pas sans une propagande qui présente le souverainisme d'une façon caricaturale : des frontières barbelées gardées par des militaires accompagnés de chiens policiers qui déambulent entre deux miradors... L'État maastrichien impose sa loi sans armée casquée ou bottée, nous sommes au XXI° siècle !  

    Le fameux "repli" national, donc nationaliste, donc belliciste, donc guerrier, est une autre modalité de la propagande ! Car, qui fait la guerre aux états musulmans souverains comme l'Afghanistan, l'Irak, la Libye, la Syrie, le Mali si ce n'est cet État maastrichien qui annonce une pseudo guerre à venir demain si le Frexit devait avoir lieu alors qu'il est de toutes les guerres néo-colonialises et islamophobes depuis vingt ans ? Un État souverain n'est pas un État autiste ou solipsiste, c'est un État qui passe des contrats en fonction de ses intérêts négociés et bien compris. 

    Que fait l'Europe de Maastricht en matière de réchauffement climatique quand la Chine, les États-Unis, l'Afrique ou l'Inde n'ont que faire des vapeurs d'un Occident qui traque de façon policière la moindre voiture qui marche au diesel dans la Lozère ? Rien...  

    En 2010, sur France 3, en réponse au "débat sur l'identité nationale", vous expliquiez que "le multiculturalisme est la seule bonne réponse" et que "le métissage est la vérité de ce qui fait l'identité nationale française". Mais, aujourd'hui, n'êtes-vous pas plus proche de Renaud que d'Albert Camus sur cette question ? Sur I24, vous avez déclaré : "Je pense que notre civilisation est en train de s'effacer", avant d'expliquer que "la démographie étant ce qu'elle est, la dénatalité des populations dites blanches en Europe et la surnatalité de populations originaires de l'immigration, il va falloir compter avec la communauté musulmane planétaire... " 

    Vous avez un service de renseignements bien fait... Il n'y a pas contradiction à dire que le métissage est inévitable et qu'en même temps il ne doit pas être sauvage ! Je ne fais qu'exprimer la loi, dont les maastrichiens se moquent absolument. Je suis pour un inévitable métissage mais décidé et voulu par la Nation et non pour un métissage en-soi présenté comme une panacée transcendantale ! Les lois de l'hospitalité sont par définition... des lois ! La liberté n'est pas la licence : la première se construit et se veut, la seconde est plein pouvoir à la liberté du renard libre dans le poulailler libre ! La France a intégré et assimilé des millions d'individus, ce qui est une chose. A-t-elle les moyens de durer encore si des millions de gens n'acceptent pas le jeu de l'assimilation et proposent d'en inverser les règles ? 

    Quant à Renaud Camus auquel on associe la paternité du concept de "Grand Remplacement" je vous rappelle qu'il a fait une émule de qualité en la personne de Houria Bouteldja qui, avec le parti des Indigènes de la république (le PIR) le revendique clairement en écrivant (page 122 de Les Noirs, les Juifs et Nous) que le Grand Remplacement est bien sûr d'actualité et que les Indigènes de la république sont en train de remplacer, on appréciera le mot valise, "les souchiens". L'immigration sous contrôle de la Nation n'est pas un refus de l'immigration, encore moins du métissage. 

    Dans La résistance au nihilisme (Grasset), vous rappelez que Pierre Bourdieu a soutenu la candidature de Coluche. Alors que certains vous prêtes des intentions politiques, rêvez-vous aujourd'hui d'être le nouveau Beppe Grillo, qui a réussi à créer une force politique populiste, le mouvement 5 étoiles, à travers son blog ?  

    Vous n'êtes pas très originaux, vous les journalistes, à me poser une question qui m'a déjà été posée des dizaines de fois et à laquelle j'ai déjà répondu des dizaines de fois : je n'aspire pas à être candidat à la présidence de la République ! Je ne suis pas du genre à dire une chose et à faire le contraire, à me parjurer ou à trahir les promesses faites ou les engagements pris...  

    Vous affirmez vouloir rassembler "les souverainistes des deux rives". Vous n'êtes pas le premier, mais toutes les initiatives ont toujours échoué. Pourquoi pensez-vous réussir ?  

    D'abord en tronquant mon propos vous lui faites dire le contraire de ce qu'il dit... Je comprends votre intérêt idéologique à travestir mon propos, mais le souci de la vérité devrait vous obliger à dire ce que j'ai dit à savoir que je souhaitais réunir les souverainistes de droite, de gauche et d'ailleurs... J'ai parfois ajouté : de nulle part... Mes amis et moi ne nous adressons pas aux états-majors de droite ou de gauche, aux chefs de partis qui ne roulent que pour eux et se moquent du peuple, qui est pour eux un bétail à séduire afin d'en obtenir les voix, mais aux électeurs qui ont pu voter à droite ou à gauche, voire voter blanc ou nul, sinon pour des partis folkloriques ( le bien-être animal est une cause juste, mais quid de la dissuasion nucléaire chez les animalistes ou la politique à mener au Moyen-Orient ?), sinon à ne pas voter du tout.  

    Nous nous adressons au peuple écoeuré par la politique politicienne en lui proposant de contribuer, via la plateforme de Front Populaire, à la création d'un programme qui, sous forme d'États généraux et de Cahiers de Doléances, permettra de faire partir la politique de la base vers le sommet et non l'inverse - c'est l'essence du projet girondin contre la tradition française jacobine... Ce qui s'appelle tout bêtement l'autogestion.  

    Pouvez-vous m'assurer que Jean-Marie Le Pen n'est pas abonné à l'Express?

    Comment expliquez-vous l'intérêt que suscite votre projet chez les acteurs de la droite radicale (du maire de Béziers Robert Ménard à l'identitaire Philippe Vardon, en passant par le théoricien de la nouvelle droite Alain de Benoist et les proches de Marion Maréchal, tous contributeurs) ? Ces gens-là ne vous détestaient-ils pas il y a encore quelques années? 

    Vous avez bien lu Le Monde vous pour vous contenter de leur argumentaire à charge ... Dans la liste des 1000 premiers abonnés d'un ensemble qui va vers les 30.000, vous avez isolé quatre noms - quatre...- pour inférer que la ligne serait celle de ces personnes ! Je vous rappelle que des abonnés ne sont pas des contributeurs ! C'est la première fois, me semble-t-il, qu'on attaque une revue qui n'est pas encore parue et dont tout le monde ignore le contenu, en attaquant ses abonnés ! 

    Donnez-moi accès au fichier des abonnés à L'Express, je suis certain de trouver parmi eux un violeur, un pédophile, un négationniste, un antisémite, un dealer, au moins, mais aussi quantité d'électeurs du Front national et du Rassemblement national - ce qui n'est pas le cas des abonnés à Front Populaire que vous exhibez sur la place publique comme jadis on exposait les criminels pour qu'on puisse les souffleter ou leur cracher dessus : aucun d'entre n'a été condamné à l'indignité nationale que je sache... Pouvez-vous m'assurer que Jean-Marie Le Pen n'est pas abonné à votre journal ? Et, le serait-il, ce serait juste le signe qu'il se tient au courant en lisant toute la presse : en quoi la ligne de votre journal s'en trouverait-elle affectée? 

    Dans "Grandeur du petit peuple" (Albin Michel), vous distinguez, à juste titre, Marine Le Pen de son père. "Je souhaiterais qu'on arrête d'hystériser cette famille pour mieux la combattre" écrivez-vous. Comment faudrait-il la combattre ? Et est-ce qu'une France dirigée par Marine Le Pen serait selon vous un problème ? 

    Elle a des idées qui sont à combattre et je ne suis pas de ceux qui estiment qu'on est coupable de porter le nom de son père. Elle est coupable de ce qu'elle aura dit ou fait, elle, pas de ce que son père aura dit ou fait. Je ne crois pas à une culpabilité qu'à celle des individus.  

    Par ailleurs : tout le monde accepte que le PCF des années 50 qui défendait la dictature du prolétariat et le totalitarisme, pourvu qu'il fut marxiste-léniniste, qui était homophobe et opposé aussi bien à l'avortement qu'à la contraception, n'a plus grand-chose à voir avec le PCF dont la plupart ignorent même aujourd'hui le nom de celui qui le dirige. Que le PS de 1974 qui, via Mitterrand au discours d'Épinay, estimait que quiconque ne veut pas rompre avec le capitalisme ne saurait être socialiste, n'a plus grand-chose à voir avec le PS qui n'est pas même capable de confier la tête de liste à l'un des siens aux dernières européennes et qui, depuis 1983, défend les thèses du Giscard de 1974. Que le RPR du discours souverainiste de Cochin soit le même, depuis qu'avec le Traité de Maastricht de 1992, il milite sous la rubrique Les républicains pour l'Europe contre la France. Mais FN un jour, FN toujours ! Quand Marine Le Pen dit que la Shoah est la plus grande catastrophe du XX° siècle, elle tient un propos antisémite ! Ou alors : elle ment et dit le contraire de ce qu'elle pense par calcul. 

    Quant à savoir si Marine

  • L'Eglise catholique et le culte musulman, par Annie Laurent.

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    Le mois dernier, la Petite Feuille Verte n° 72 traitait du thème suivant :« La France et ses mosquées » .

    Voici la PFV n° 73 qui expose le résultat des recherches effectuées par Annie Laurent sur la question délicate de la position de l’Eglise catholique en ce qui concerne les demandes de mosquées.

    A savoir : le cardinal Robert Sarah, préfet de la Congrégation pour le Culte divin, a récemment envoyé ses encouragements à Annie Laurent pour « la manière documentée et équilibrée », avec laquelle elle aborde « la question si délicate de l’Islam ».

    La France et ses mosquées - La grande mosquée de Paris, par Annie Laurent

    Annie_Laurent.jpgDans le système français de laïcité, l’autorisation accordée aux représentants des religions pour construire de nouveaux lieux de culte (églises, mosquées, synagogues, etc.) relève exclusivement de la responsabilité de l’État (cf. PFV n° 72).

    L’Église catholique n’a donc aucune compétence ni aucun pouvoir en ce domaine, mais cela ne l’empêche pas d’avoir une doctrine qu’elle s’efforce de défendre.

     

    POSITIONS DE PRINCIPE

     L’enseignement de base se trouve dans la Déclaration Dignitatis humanae de Vatican II (1965). Tout en rappelant que « l’unique vraie religion […] subsiste dans l’Église catholique et apostolique » (§ 1), le Concile déclare « que la personne humaine a droit à la liberté religieuse », celle-ci ayant « son fondement dans sa dignité » (§ 2). Il précise que ce droit « dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil » mais qu’étant « doués de raison et de volonté libre », tous les hommes sont « tenus, par obligation morale, à chercher la vérité, celle tout d’abord qui concerne la religion » (§ 2).

    Vatican II n’a pas reconnu l’équivalence entre les religions. Le « droit civil » sous-entend la responsabilité de l’État. Tout en affirmant le principe du droit à la liberté de culte, l’Église n’a donc pas à s’impliquer dans les projets des autres religions.

     

    LA GRANDE MOSQUÉE DE ROME

    Le 21 juin 1995, une Grande Mosquée, pouvant accueillir 12 000 fidèles, et le centre islamique qui lui était adjoint, ont été inaugurés à Rome. Après l’octroi du permis de construire, le maire de la ville en a informé le pape Jean-Paul II qui n’a émis aucune objection.

    Mgr Michaël Fitzgerald, alors secrétaire du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, a expliqué la position du Saint-Siège. « La liberté religieuse ne signifie pas seulement être libre de vivre sa foi en privé, personnellement, mais aussi la possibilité de la vivre avec ses coreligionnaires, dans sa dimension communautaire. Pour cela, il faut un lieu de culte […]. La mosquée de Rome peut être perçue comme une offense faite au caractère catholique de la ville. Mais s’il existe une présence musulmane importante à Rome, l’Église ne s’oppose pas à la construction d’une mosquée » (« Pax vobiscum », 30 Jours, n° 6, 1995).

    L’ensemble mosquée-institut est situé dans le quartier de Parioli, éloigné du Vatican, et il est probable que les autorités civiles ont tenu compte de cette distance. Sa localisation respecte une condition émise par Vatican II, à savoir que les pouvoirs publics ne peuvent « refuser à l’homme le libre exercice de la religion sur le plan de la société, dès lors que l’ordre public juste est sauvegardé » (Dignitatis humanae, § 3). On peut penser qu’une proximité avec la basilique Saint-Pierre aurait pu blesser la sensibilité des catholiques romains et entraîner des troubles dans l’espace public.

    La mémoire historique des Italiens est d’ailleurs marquée par le débarquement des armées turques à Otrante en 1480 (813 chrétiens décapités en cette circonstance ont été canonisés par le pape François le 12 mai 2013). Cet assaut était commandé par le sultan Mehmet II, le conquérant de Constantinople (1453) ; vingt-sept ans après s’être emparé de la « seconde Rome » et avoir islamisé la basilique Sainte-Sophie, le tour de la « première Rome » lui semblait venu. Il espérait ainsi accomplir un hadîth (propos) prophétique de Mahomet bien connu des musulmans (cf. Hervé Roullet, Les martyrs d’Otrante, éd. H. Roullet, 2018).

    En 2008, suite à de nombreux incidents avec des imams radicaux en Italie, le ministre de l’Intérieur, Roberto Maroni, envisagea un moratoire sur toute nouvelle construction de mosquées.  Le cardinal Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical pour la Culture, a rappelé le droit de l’État d’intervenir lorsqu’une mosquée adopte des finalités politiques. Réagissant à une démarche du cardinal Dionigi Tettamanzi, archevêque de Milan (+ 2017), qui protestait contre la fermeture d’un lieu de culte illégal, R. Maroni a déclaré : « Je suis le ministre de l’Intérieur, pas un constructeur de mosquée ! Nous sommes intervenus sur la soi-disant mosquée de la rue Jenner (un garage, transformé en “lieu de prière” qui débordait sur la rue, sur le trottoir et la voie publique, car il y avait un problème d’ordre public » (Joachim Véliocas, L’Église face à l’islamentre naïveté et lucidité, Éd. de Paris, 2018, p. 47 et 67).

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    La grande mosquée de Rome

     

    L’ÉPISCOPAT DE FRANCE : DES ATTITUDES CONTRASTÉES

     En 1999, la Conférence des Évêques de France a élaboré une série de fiches définissant sa position sur les diverses questions soulevées par la présence croissante de l’islam, entre autres les demandes de lieux de culte.

    « Comment gérer la symbolique de la mosquée dans l’espace public ? Quel avenir voulons-nous construire ? Le lieu de culte sera-t-il le symbole d’un accueil amical ou celui d’une “victoire à l’arraché” remportée par l’Islam sur une population hostile ? ».

    « Il faut savoir que même si la pratique religieuse pour l’islam ne recouvre pas exactement le sens qu’elle a pour un chrétien, elle garde un caractère d’obligation (en particulier la prière du vendredi). Le droit à la liberté religieuse s’étend non seulement à l’adhésion privée, mais aussi à la profession de foi publique. Ce droit, l’Église le reconnaît aussi pour les autres croyants » (Catholiques et Musulmans. Fiches pastorales, Documents Épiscopat n° 6-7, avril 1999, fiche IV).

     

    Largesses épiscopales

    Dans les années 1970-2000, en France, des évêques ont parfois soutenu publiquement des demandes précises de mosquées, même lorsque celles-ci émanaient de représentants de l’islamisme (p. ex. Créteil, Poitiers, Lyon, Saint-Dié, Créteil, Metz et Strasbourg). Certains diocèses ont autorisé le prêt ou la vente d’églises ou de chapelles désaffectées (p. ex. Lille, Nantes, Clermont-Ferrand, Asnières, Autun, Argenteuil, Amiens, Dole, Bourges). Cf. Véliocas, op. cit.

    En 1977, Mgr Jean Dardel, évêque de Clermont-Ferrand, a « prêté » aux musulmans de la ville une grande chapelle, propriété des Sœurs de Saint-Joseph, qu’ils ont transformée en « grande mosquée ». « Les portes de l’Église s’ouvrent à nous plus aisément que celles de l’administration », nous a confié sur place en 1995 Mohamed Fourati, enseignant tunisien dans cette ville (Annie Laurent, Vivre avec l’Islam ?, Éd. Saint-Paul, 1996, p. 191).

    Mgr Michel Dubost, évêque d’Évry, répondant au président du Conseil français du culte musulman, Dalil Boubakeur, qui proposait que les églises vides soient allouées au culte islamique : « Sur le principe, je préfère qu’elles deviennent des mosquées plutôt que des restaurants » (Le Figaro, 16 juin 2015). Commentaire de l’abbé Pierre Amar (ci dessous, diocèse de Versailles) : « Le fait qu’une église devienne une mosquée serait évidemment un symbole fort. Il sonnerait en quelque sorte la “victoire” du croissant sur la croix » (Famille chrétienne, n° 1954, 27 juin-3 juillet 2015).

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    Réserves et prudences épiscopales

    A Lyon, dans les années 1970, le cardinal Alexandre Renard (+ 1983), favorable à de telles cessions, finit par renoncer à son projet de mettre à la disposition des musulmans l’église Saint-Bernard, certains de ses diocésains lui ayant fait valoir l’inconvenance qu’il y avait à donner aux musulmans un lieu dédié au prédicateur de la croisade (A. Laurent, op. cit., p. 191).

    Mgr Raymond Bouchex, archevêque d’Avignon (+ 2010), estimait que l’Église n’a pas à se mêler de ces questions car « faciliter la propagation de l’islam revient à montrer aux musulmans que l’on considère leur religion comme égale au christianisme » (Ibid.).

    Mgr Pierre Raffin, évêque de Metz : « Quant aux lieux servant au culte, églises ou chapelles, il faut exclure d’emblée l’hypothèse de les prêter, afin d’éviter des situations malencontreuses » (« L’islam en Moselle », Lettre pastorale, 3 janvier 1993, p. 40).

    Mgr Bernard Panafieu, archevêque de Marseille (+ 2017). Tout en admettant qu’il « n’est pas moral que des hommes et des femmes pratiquent dans des conditions irrespectueuses de leur foi », il considérait que les mosquées « doivent être réservées à la prière, non à la propagande ». Pour lui, « la dépendance financière envers des pays étrangers pose un problème grave » (Famille chrétienne, n° 1046, 29 janvier 1998).

     

    Nouvelles recommandations

    La générosité des évêques a fini par s’émousser lorsqu’ils ont compris qu’un sanctuaire cédé provisoirement ne pouvait être récupéré, les musulmans bénéficiaires le considérant dès lors comme patrimoine du domaine de l’Islam (Dar el-Islam). Leurs confrères d’Afrique les avaient mis en garde contre ces pratiques qui pouvaient les gêner dans leur propre apostolat et amener les musulmans à se considérer vainqueurs sur le christianisme en France.

    Des orientations publiées en 2000 par la Conférence des Évêques de France montrent une prise en compte de ces éléments. « Éviter de déclencher une guerre des symboles (clocher contre minaret)Notamment, ne pas transformer une église inutilisée en mosquée car on touche à une symbolique identitaire dont le retentissement nous échappe : blessure à l’identité locale “chrétienne” ou non, perspective d’un islam dont la vocation serait de remplacer le christianisme à plus ou moins long terme. Même le prêt provisoire d’une salle ou d’un édifice n’est pas sans conséquences négatives possibles. Dans l’hypothèse d’un accord, certaines garanties sont nécessaires. Dans tous les cas, consulter l’évêque du lieu » (« L’Église et l’Islam en France », Questions actuelles, n° 15, septembre-octobre 2000, p. 30).

    La première recommandation de ce texte peut cependant entraîner des compromis du côté catholique. Ainsi, en 2007, une nouvelle église, bâtie dans la ville de Sartrouville (ci dessous, Yvelines), a été volontairement privée de cloches, ceci avec le consentement du curé, afin de ne pas « provoquer » les musulmans du quartier (Cf. Thierry Bouclier, La France au risque de l’islam, Via Romana, 2012, p. 65-66). On peut comparer cette position avec la règle imposée aux chrétiens en certains pays gouvernés par l’islam, où leurs églises, quand elles sont autorisées, ne peuvent pas être dotées de cloches.

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    L'église - sans cloches - Jean XXIII de Sartrouville...

     

    L’EXIGENCE DE RÉCIPROCITÉ

    Dans sa première encyclique, Redemptor Hominis (1979), Jean-Paul II a insisté sur la réciprocité en matière de liberté religieuse. « La limitation de la liberté religieuse et sa violation sont en contradiction avec la dignité de l’homme et avec ses droits objectifs. Je désire, au nom de tous les croyants du monde entier, m’adresser à ceux dont dépend de quelque manière, l’organisation de la vie sociale et publique en leur demandant instamment de respecter les droits de la religion et l’activité de l’Église. On n’exige aucun privilège mais le respect d’un droit élémentaire » (cité par A. Laurent, « Ouverture et fermeté », Le Temps de l’Eglise, octobre 1993).

    Or, ce principe n’est pas toujours respecté en Islam au motif que les musulmans sont les « vrais croyants » et constituent « la meilleure communauté suscitée pour les hommes » (Coran 3, 110). Reconnaître des droits aux autres religions et à leurs fidèles, ne fût-ce que du point de vue civil, reviendrait en quelque sorte à accepter la remise en cause de la supériorité de l’islam et de ses membres.

    Dans les États riverains du golfe Persique, où la nationalité se confond avec l’appartenance à l’islam, les très nombreux chrétiens étrangers, qui y résident pour des raisons professionnelles, ont certains droits en ce qui concerne leur culte mais celui-ci fait l’objet de restrictions : les églises, en nombre très insuffisant et souvent très éloignées des lieux d’habitation, sont banalisées à l’extrême, ne peuvent comporter ni croix extérieures ni cloches, et les processions sont interdites.

    En Arabie-Séoudite, où résident plusieurs millions de chrétiens étrangers, seul le culte musulman est autorisé, ceci sur la base d’un hadîth attribué à Mahomet : « Deux religions ne doivent pas coexister dans la Péninsule arabique » (cité par Antoine Fattal, Le statut légal des non-musulmans en pays d’islam, Imprimerie catholique, Beyrouth, 1958, p. 85). Le culte chrétien, totalement prohibé, ne peut être célébré que dans la clandestinité, en fait dans certaines ambassades. Un chrétien mort dans le pays ne peut même pas y être enterré, sous prétexte que l’Arabie est une « terre sacrée ».

    Le Saint-Siège ne cesse pourtant pas de rappeler aux dirigeants de ces pays le respect du droit à la liberté religieuse, faisant valoir la bienveillance pratiquée en Occident à cet égard. Il espérait que l’ouverture d’une mosquée à Rome (financée par l’Arabie-Séoudite) ouvrirait la voie à la réciprocité. Mais en vain.

    Le sujet a été évoqué avec insistance par le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, au cours d’un voyage officiel qu’il a effectué à Riyad, peu de temps avant sa mort, en 2018. Il a proposé à ses hôtes un accord sur « l’élaboration de règles communes pour la construction de lieux de culte » qui permettrait à chaque communauté religieuse « d’avoir une place appropriée pour accueillir la prière publique » (La Croix, 2 mai 2018). Cette demande n’a été suivie d’aucun effet.

  • GRANDS TEXTES (31) : Du sacré, par Vladimir Volkoff

    Vladimir Volkoff mène ici une méditation sur le sacré, qui l'emmène de l'Egypte ancienne - "elle qui nous a tant appris dans les domaines de l'esprit", et qui a créé "l'archétype de la trinité royale, Osiris, Isis et Horus" - jusqu'à Thomas Mann et Dostoïevsky, en passant par saint Paul.

    Et qui le conduit à observer la royauté sous l'angle triple de La Royauté de médiation, puis de La royauté d'exorcisme , enfin de La royauté d'eucharistie. 

    Son postulat de base est simple : la royauté, si elle renonce au sacré, se renie elle-même. 

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     "C'est l'Egypte - elle qui nous a tant appris dans les domaines de l'esprit - qui a crée l'archétype de la trinité royale, dont le mystère fondamental est celui-ci : Osiris, déjà mort, féconde sa soeur-femme Isis et engendre son héritier Horus, montrant par là que le roi, en tant que roi, ne peut pas mourir..."

    Osiris, Isis et Horus, la grande Ennéade d'Heliopolis, Musée du Louvre.

    D'autres régimes que la Royauté ont essayé de réussir dans le sacré. L'exaltation de la patrie adorée comme une idole, d'un individu jouant les hommes providentiels, ou d'une idée représentée par un parti lui-même figuré par un homme, a fait quelques emprunts aux techniques hiératiques. On pourrait citer comme exemple l'admiration des reliques de Lénine, les auto-da-fé de Nuremberg ou cette inquiétante institution du Panthéon français, par laquelle plusieurs grands hommes de la République ont été transformés, à titre posthume, en squatters involontaires de l'église Sainte-Geneviève.

    Tout cela reste épisodique. La royauté, si elle renonce au sacré, se renie elle-même.

    Cela est évident pour la française, avec son roi thaumaturge touchant les écrouelles, le sacre de Reims appliqué au moyen d'une ampoule apportée par la colombe du Saint-Esprit dans son bec, et, débordant le christianisme, le culte solaire organisé autour de Louis XIV à Versailles. 

     

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    Clovis guérit les écrouelles. Enluminure, Paris. XVème siècle

     

           

    C'est aussi clair dans d'autres pays. Le roi d'Angleterre également touchait les écrouelles. Le basileus de Byzance portait officiellement les titres de "roi de lumière égal aux apôtres" et d' "incarnation du Logos", il goûtait le vin nouveau avec Dionysos et le bénissait avec le Christ, ses familiers étaient des eunuques sous prétexte que les eunuques ressemblent aux anges, et il devait veiller "à ce que l'ordre et le rythme que le Démiurge a introduit dans l'univers gouvernent également la vie des humains".

    Les rois de Rome consultaient les nymphes dans les bois sacrés, les rois de la Grèce et ceux de Troie se confondaient avec leurs demi-dieux, l'on sait à quel point la magie et la royauté s'entremêlent en Afrique. Quant aux empereurs, les romains accédaient à l'apothéose, et il a fallu deux explosions atomiques pour que le souverain du Japon abdiquât non la couronne mais la divinité.

    Dans l'ancienne Egypte, dieux et rois appartenaient à la même famille. C'est l'Egypte - elle qui nous a tant appris dans les domaines de l'esprit - qui a crée l'archétype de la trinité royale, dont le mystère fondamental est celui-ci : Osiris, déjà mort, féconde sa soeur-femme Isis et engendre son héritier Horus, montrant par là que le roi, en tant que roi, ne peut pas mourir.

    L'astronomie égyptienne transporta ce symbole dans le ciel, où il lui servit à prédire la crue vivifiante du Nil. Cette crue correspondait au lever héliaque de l'étoile Sirius, la plus brillante de toutes, qui appartient à la constellation Canis Major. Or, par l'effet de sa conjonction avec le soleil, cette étoile n'était plus visible pendant soixante-dix jours avant sa réapparition. On voit poindre déjà le thème "mort et résurrection".

    Pour prévoir la date du retour de Sirius - donc de la crue - il aurait, semble-t-il, suffi de savoir compter jusqu'à soixante-dix. Cependant, pour une raison qui nous échappe, c'est avec vingt-et-un jours d'avance seulement que les prêtres égyptiens prédisaient la crue. En même temps, ils indiquaient à quel endroit précis du ciel Sirius réapparaîtrait. On pense maintenant qu'ils procédaient par triangulation, en se basant sur le lever héliaque de deux étoiles appartenant à la constellation d'Orion, Rigel et Betelgeuse, qui précédaient Sirius dans le ciel. A partir de leur position, celle du sommet du triangle, Sirius, pouvait être déterminée.

    Jusque là, rien de bien ésotérique. Mais il faut savoir qu'Orion était assimilé au roi Osiris, Canis Major à Isis sa reine, et Sirius, qui est alpha de Canis Major, à Horus, dont le père annonçait-déclenchait l'avènement. Dans les textes des pyramides, on trouve un passage adressé à Osiris, que l'on peut paraphraser comme ceci :

            Ta soeur Isis vient à toi d'amour rayonnante;

            tu la places sur ta pointe, qui répand ta semence en elle.

            c'est Horus qui jaillit de toi, lui qui est en Isis.

    Ainsi les astres mimaient dans le ciel l'engendrement royal qui répandait la vie sur la terre. On entrevoit l'aspect cosmique de la royauté. 

     

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    Saül luttant contre les philistins (peinture contemporaine)

    '...l'Eternel lui-même dit à Samuel : "Donne-leur un roi". Ce sera Saül. Samuel répand de l'huile sur sa tête : "Par cette onction, le Seigneur te sacre chef d'Israël".... 

     

           

    Une des traditions royales les plus nourrissantes est la juive, de laquelle la nôtre est inséparable. Vers l'an mil avant Jésus-Christ, les Juifs réclament un roi à leur vieux juge Samuel, parce qu'ils veulent être "comme les autres peuples". Samuel les met en garde : ils seront exploités par le maître qu'ils se donneront. Les Juifs insistent et l'Eternel lui-même dit à Samuel : "Donne-leur un roi". Ce sera Saül. Samuel répand de l'huile sur sa tête : "Par cette onction, le Seigneur te sacre chef d'Israël". Le roi apparaît dès lors comme un vassal de Dieu, qui "change sa nature profonde", si bien que "l'esprit divin s'empare de lui".

    Plus tard, Saül démérite par désobéissance : en effet, il n'a pas massacré tout le bétail des Amalécites, comme l'Eternel le lui avait commandé, et il a même fait grâce à leur roi Agag. Samuel le condamne et "se retourne pour s'en aller, mais Saül saisit le pan de son manteau qui s'arrache. - C'est ainsi, s'écrie Samuel, qu'aujourd'hui le Seigneur t'arrache la royauté d'Israël pour la donner à meilleur que toi."

    Après avoir égorgé Agag comme il convenait, Samuel ira, sur l'ordre exprès du Seigneur, "donner l'onction" à David, "un beau garçon roux aux yeux clairs". Alors l'esprit de l'Eternel, qui, s'est retiré de Saül, "s'empare du jeune homme et reste sur lui". L'onction n'est donc pas un geste symbolique : elle a pour but de conférer véritablement une puissance spirituelle.

    Les démêlés de Saül et David durent longtemps. Saül cherche la mort de David, mais David, chaque fois qu'il en a l'occasion, épargne Saül : "Que Dieu me préserve de porter al main sur mon maître, celui qu'il a choisi et consacré par l'onction." Au lieu de tuer son ennemi, il lui coupe un pan de son manteau et "revient près de ses hommes, le coeur battant d'avoir touché ne fût-ce qu'au manteau du roi".

    Il s'en fallait de vingt-huit générations selon saint Matthieu et de quarante-deux selon saint Luc (biologiquement plus vraisemblable) pour qu'apparût un jeune prince appauvri de la maison de David nommé Jésus. Il n'est pas à la mode, je le sais bien, de rappeler la qualité princière de Jésus, mais il n'y a pas de raison d'avoir plus d'égards pour ceux qu'elle dérange que pour ceux qui n'aiment pas à s'entendre rappeler qu'il était juif.

    Bien. Responsables devant Dieu ou eux-mêmes plus ou moins assimilés à des dieux, les rois semblent avoir de tout temps entretenu avec la divinité des relations ambigües mais persistantes.

    Pourquoi ?

    Sur quoi se fonde cette relation qui unit si constamment le royal et le sacré ?

     

    La Royauté de médiation

     

    Le roi est le médiateur par excellence. Horizontalement : entre les corps constitués, les groupes d'intérêt, les fonctions, les factions, les individus eux-mêmes. Verticalement : entre cette divinité à laquelle toutes les royautés se rattachent et les hommes en tant que sujets. Le roi est à Dieu ce que les sujets sont au roi : tous les peuples ont saisi cette structure, de manière plus ou moins consciente. 

    Le roi est médiateur par essence. S'il cesse d'être médiateur, il cesse d'être roi pour devenir chef de bande. Le chef d'une bande qui se trouve être au pouvoir.

    La royauté est un système à deux pôles, mais le roi n'est pas l'un d'eux. A la différence des autres régimes où ce sont le peuple et l'Etat qui se font face, dans la royauté les deux pôles sont l'homme et Dieu, auquel le roi sert, pour reprendre la terminologie de Simone Weil, de moyenne proportionnelle - pour ce qui regarde la vie politique s'entend.

    Etant médiateur dans la pratique, le roi bénéficie du respect religieux qui s'attache à la médiation, non seulement dans le christianisme qui s'y fonde tout entier, mais aussi dans le sentiment des peuples en général. L'hôte, le juge, le messager, le tiers qui propose ses services pour régler une dispute, tous participent de la sainteté de ce qui assure équilibre ou liaison.

    Les cultes solaires illustrent un aspect de ce rôle, parce que le soleil, centre du monde, est équidistant de tous les points de sa circonférence. Ainsi le roi est - ou doit être - équidistant de tous ses sujets pour répandre sa justice sur eux. "Le soleil, dit l'évangéliste, se lève sur les méchants comme sur les bons" : c'est que son service est royal.

    Le roi médiateur est aussi le lieu géométrique de l'harmonie des contraires sur quoi se fonde en partie la pensée gnostique.

    Servant de clef de voûte - l'on conçoit que cette pierre sans laquelle l'édifice s'écroulerait apparaisse comme sacrée - il est maintenu en place par des demi-arcs opposés dont la poussée s'équilibre.

    Je ne l'entends pas seulement au sens politique, encore que le roi soit le seul qui puisse réunir les forces contraires de la droite et de la gauche pour en former une résultante. Mais le sacré est ailleurs.

     

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     "...Tel Janus, le roi a deux visages, car il scrute à la fois les frontières et le coeur du pays. Il est successeur et précurseur, tourné en même temps vers l'avenir et vers le passé..." 

     

           

    Tel Janus, le roi a deux visages, car il scrute à la fois les frontières et le coeur du pays. Il est successeur et précurseur, tourné en même temps vers l'avenir et vers le passé. Il est le père et l'époux de la nation, de même que Dieu, pour les chrétiens, est le père de l'humanité et l'époux de l'Église. Il vise le bien, mais utilise le mal, faisant travailler les anges et les démons sur le même chantier. Il est hermaphrodite, car il contient à la fois le principe mâle de la création et le principe féminin de la continuité.

     

    La royauté d'exorcisme 

     

    Thomas Mann prétend que le mariage chrétien est la plus belle farce que l'Église ait jouée au diable.

    En effet, ces forces primitives d'Éros qui bouillonnent en nous visent la dispersion plutôt que le rassemblement et nous conduisent si facilement aux désordres quand ce n'est pas aux crimes, comment les mettre hors d'état de nuire ? Mieux, comment le scandaliser pour les rendre utiles ? Comment non seulement limiter les dégâts mais enrichir les greniers célestes de ce qui était voué à la pourriture ?

    La solution, c'est l'exorcisme, un exorcisme allant jusqu'au sacrement. Le procédé avait fait ses preuves dans le cas des sources sacrées, jadis vouées aux nymphes, et que l'Église récupérait en les consacrant à quelque saint qui bénéficiait ainsi d'une vénération déjà acquise. Éros le déchaîné allait servir de support à la société par le truchement de la famille chrétienne.

    Qu'un homme et qu'une femme s'unissent indissolublement avec l'intention de procréer et la bénédiction d'une Église qui damne Eros dans tous les autres cas, et voilà - du moins pendant quelques temps et dans quelque mesure - les moeurs assainies, la communauté stabilisée, la démographie en progrès, et même une forme de bonheur favorisée, sinon assurée à tous les coups.

    Mais Éros n'est pas le seul primitif, le seul bouillonnant. L'écorce terrestre, si séduisante par ses paysages et ses marines, enserre un noyau incandescent qu'elle maintient avec peine en place, et dont les éruptions sont des cataclysmes. Telle apparaît la violence individuelle que fait le plus fort au plus faible et à quoi - on ne renonce pas à une bonne recette - l'Église a tenté d'appliquer le sacrement de la chevalerie. Telle apparaît aussi la brutalité du plus fort de tous : l'Etat.

    Car il est vrai que la puissance de l'Etat sur l'individu peut être une chose atroce, et elle ne commence ni au goulag ni à la Bastille, mais au premier guichet de poste derrière lequel peut siéger un minus imbu d'une supériorité qui n'appartient qu'au guichet. Cette violence-ci, que limitent ou compensent des procédés dits démocratiques, tels l'habeas corpus - l'Église a essayé de la prendre à bras-le-corps pour la sanctifier à défaut de la guérir.

    Comment la sellera-t-on, la Grande Bête, comment lui mettra-t-on un mors dans la bouche, comment réduira-t

  • Les études du Pr. Raoult : l’anti-empirisme organisateur, par James Deauville.

    Table des matières

    Avertissement 

    Notre ami, James Deauville, vient apporter une position très technique et semble-t-il divergente à notre ligne éditoriale sur la posture du Docteur Raoult, position divergente que nous accueillons volontiers, étant donné que, fidèles à la tradition d’Action française nous acceptons avec plaisir le débat d’opinion, mais il est préférable néanmoins de préciser quelle est la nature de notre observation.

    Nous ne nous positionnons pas pour ou contre la chloroquine, notre combat est politique et non médical. La seule chose qui nous préoccupe, est, que, du fait de l’immobilisme inspiré par la technostructure médicale, les responsables politiques demeurent paralysés, de peur d’assumer des responsabilités qui les dépassent. Ce que nous déplorons, c’est l’interdiction faite aux médecins de ville de traiter les patients. Ce qui nous exaspère c’est l’hystérie collective des élites qui tentent de faire l’opinion dans ce pays, comme l’illustre ce florilège non exhaustif et qui montre pour le moins que ces gens ne pratiquent pas «  l’art du doute  » : 

    Qu’il ferme sa gueule, il y en a marre de ce genre de mecs !” (Daniel Cohn-Bendit sur LCI)

    “Est-ce que, psychologiquement, le Pr Raoult n’est pas un fou furieux ?” (Maurice Szafran, éditorialiste à Challenges. Raoult ? C’est un vulgaire “youtuber” (Yaël Goosz, chef du service politique de France Inter), l’animateur d’un “barnum”, un clown se donnant en spectacle dans un “cirque” (Olivier Duhamel, animateur d’une émission sur Europe 1).
    Les partisans de son traitement ? Ce sont des “hydroxychlori-connards”. (Roselyne Bachelot, chroniqueuse sur France 5).
    Sans oublier les étiquettes infamantes de “populiste” et “conspirationniste”. “Le professeur Didier Raoult est devenu une figure centrale des théories complotistes.” (Le Monde)
    Ou encore de “sombre connard” (twitt de Robert Namias, directeur des rédactions du groupe Nice-Matin)

    Après la récente publication dans la revue scientifique The lancet d’une étude concluant à l’inefficacité du traitement du professeur Raoult, le pompon du mépris médiatique revient sans doute à Raphaël Enthoven  : “On a autant de chances de convaincre un partisan du Dr Raoult qu’un platiste” (L’Express, 25 mai 2020) 

    Tout cela parce qu’un médecin propose d’avancer dans la lutte contre l’épidémie, et qui localement au moins, obtient des résultats incontestables, parce qu’il teste, isole et traite. Cet appel au lynchage est trop énorme pour que l’on parle d’une simple controverse, il y a forcément d’autres enjeux, peut-être de nature idéologique et probablement des conflits d’intérêts juteux. Ce qui nous fascine, c’est la manière dont les français, en grande majorité, se tournent vers celui qui incarne une humanité palpable face à une organisation de la santé anomique, rendue inerte, laquelle, sous prétexte de science et de professionnalisme médical est gavée de règlements et de protocoles dûment attestés et enregistrés, rendant impossible dans une ambiance perverse d’autoritarisme et de culture de la peur, toute prise en charge véritable et rapide.

    Le débat médical est animé par des spécialistes qui argumentent chacun avec talent d’un côté comme de l’autre, et j’avoue être incapable de trancher, mais devant le désastre des mesures prises par des décideurs satisfaits, si je devais boire un verre avec l’un d’eux, je préférerais instinctivement passer un moment accoudé au zinc avec Raoult plutôt qu’avec Salomon.

    Olivier Perceval

    Bonjour à tous,

    Petit article en réaction à la publication de Julien Rémy sur ce site à propos de l’hydroxychloroquine, qui m’offre ce droit de réponse, je l’en remercie grandement.

     

    Préambule

    Je me définis comme zététicien, c’est-à-dire que je pratique l’art du doute, un doute construit, qui n’invite pas à la peur mais au contraire à la recherche du bien commun, sur des bases rigoureuses. La zététique, c’est un peu l’empirisme organisateur de Maurras, pour marcher droit, il faut penser clair.

    A ce titre je ne vais pas me présenter plus que ça. S’il faut des figures paternelles et arbitraires en politique, parce qu’elles ont fait leurs preuves, l’argument d’autorité ne doit pas nous empêcher de chercher la vérité dans les faits. Un Nobel peut être victime de son succès et défendre des thèses délirantes (petite pensée pour notre champion national Pr. Montagnier), un parfait inconnu peut avoir raison tant que sa démarche est rigoureuse, ses expériences reproductibles, ses résultats significatifs.

    La science trouve sa vérité dans l’humilité  : parfois, il faut continuer de chercher avant de crier victoire. Parfois, même les plus grands se trompent. Parfois, on choisit de ne voir que les faux arguments qui nous confortent dans nos croyances.

    Alors que nous vivons à une époque où le doute n’est plus constructif mais mène à la discorde, reprenons nos esprits. Les médecins qui nous soignent sont docteurs en médecine, ils ont réalisé pendant leurs études une thèse, un travail de recherche, qui a été relu, corrigé, et validé par un jury. La recherche fait partie intégrante de l’apprentissage médical, et alors que la recherche se complexifie parce que nos compétences s’améliorent, il faut continuer sur cette voie et donner à nos futurs médecins la capacité de comprendre cette recherche et de juger de sa pertinence.

    Trêve de logorrhée, les faits.

     

    L’hydroxychloroquine et la méthode scientifique

    L’hydroxychloroquine (HCQ) est un médicament bien connu  : utilisé pour tuer le parasite responsable de la malaria, il est également utilisé depuis des années pour les maladies rhumatismales chroniques en raison de ses propriétés immunomodulatrices qui pourraient être intéressantes pour le COVID-19. En outre, l’HCQ présente une activité in vitro sur le SARS-CoV-2 à deux niveaux  :

    -Elle est capable d’empêcher le virus de se multiplier, et ce à des doses plus faibles que la chloroquine dont elle est un dérivé

    -Elle empêche la pénétration du virus au sein de la cellule.

    Rajoutons à cela que son profil de sécurité est bien connu puisque la molécule est présente depuis des décennies dans notre pharmacopée et que son coût est faible, un argument important dans un cas de pandémie, gérée comme une guerre.

    Dit comme ça, l’HCQ semble miraculeuse. Mais si des effets antiviraux ont été montrés in vitro depuis les années 60 pour la chloroquine, aucune infection virale n’a été traitée avec succès chez les êtres humains par cette molécule. Par ailleurs, on ne connait que très mal le virus sars-CoV2 et la maladie qu’il entraîne. A ce titre, les effets immunitaires de l’HCQ sont imprévisibles et on ne peut exclure qu’ils pourraient aggraver l’état de patients malades, comme cela avait été le cas lorsqu’on avait essayé de s’en servir contre le Chikungunya. C’est la raison pour laquelle des études cliniques se doivent d’être réalisées  : une hypothèse, aussi bonne soit-elle, ne doit pas dépasser le stade de conjecture sans avoir été passé au crible de la «  méthode scientifique  ».

    Le Pr. Raoult s’est défendu durant la crise sanitaire de cette approche systématique et stéréotypée de la recherche, il pense pouvoir faire mieux, plus vite et pour moins cher. Mais n’oublions pas que la qualité de la recherche scientifique contemporaine découle de cette méthode, qui a fait ses preuves et qui s’est imposé et s’est amélioré par un empirisme au cœur de notre démarche politique.

     

    Pourquoi les études du Pr. Raoult posent problème

    Je n’ai malheureusement pas le temps de détailler ici le procédé exact des études du Pr. Raoult, je vous invite si vous le pouvez à consulter ses travaux. Il est toujours intéressant de se pencher dans des études scientifiques (des outils comme Sci-Hub permettent d’outrepasser le lobby de l’édition), même si la lecture n’est pas toujours tout à fait digeste.

    Au demeurant, je vais essayer d’expliquer brièvement en quoi les 2 études de Didier Raoult, bien qu’intéressantes dans l’idée, ne permettent pas de conclure sur une utilisation de la chloroquine  :

    Le but d’un essai clinique est d’essayer de réduire au maximum le rôle des facteurs environnementaux et d’éviter le plus de biais possibles pour pouvoir tirer des conclusions. Dans cet objectif, il est essentiel d’utiliser un groupe contrôle (ou témoin) rigoureusement établi, qui permettent de réaliser des comparaisons, surtout dans le cas d’une maladie virale dont les patients guérissent généralement sans traitement. Mais le groupe témoin seul ne suffit pas, pour pouvoir discriminer les résultats observés, il est nécessaire de randomiser les échantillons  :

    Des différences de résultat entre un groupe A de jeunes militants royalistes en pleine santé et un groupe B d’antifascistes présentant de nombreuses comorbidités ne pourraient être expliqués uniquement par la prise d’un traitement. En randomisant les groupes, on fait disparaître statistiquement les variables externes influant sur l’évolution de la maladie.

    Dans les 2 études du Pr. Raoult, la première n’est pas randomisée (son groupe témoin n’est donc pas recevable), la deuxième n’a pas de groupe témoin du tout.

    Quand on réalise une étude, il faut choisir un moyen de discriminer un résultat positif d’un résultat négatif  : c’est ce que l’on appelle le choix d’outcome. Dans son étude, l’équipe Marseillaise a choisi comme outcome l’état du test PCR d’un patient à un temps donné (c’est-à-dire un test qui permet de dire s’il y a suffisamment d’ARN viral dans son organisme pour le considérer malade). Mais cela n’est pas intéressant, un patient malade J7 peut retomber malade en J8 (comme cela est arrivé pour un patient de l’étude). Dans ce genre d’étude on préfère choisir des outcome plus objectifs, comme son état clinique ou ses scanners pulmonaires. Notons aussi que transformer une charge virale en un résultat «  malade/pas malade  » fait perdre une objectivité numérique à l’étude.

    Pour bien comprendre cela, signalons simplement que le patient décédé dans la 1ère étude avait une PCR négative la veille de son décès. Difficile de considérer cela comme une guérison. Mais il y a plus interpellant  : les auteurs avaient initialement prévu que l’outcome primaire soit le pourcentage de PCR négatives à J1, J4, J7 et J14 et ils ont changé d’avis en cours d’étude sans aucune explication. Les résultats étaient-ils moins bons à J7 qu’à J6  ? On ne le saura jamais. Cette pratique, appelée «  outcome switching  » (qu’on pourrait traduire par déplacement des buts) est un énorme problème d’éthique de recherche et de fiabilité des données.

    La 1ère étude devait initialement évaluer si la mortalité était inférieure dans le groupe traitement par rapport au groupe contrôle. Il n’y a (mal)heureusement eu qu’un décès au cours de l’étude et celui-ci a eu lieu dans le groupe traitement. Les auteurs ont donc choisi d’exclure le patient et n’ont plus jamais reparlé de cet outcome qu’ils avaient prévu d’évaluer avant le début de l’étude. La conclusion n’aurait définitivement pas été la même  : «  100 % des décès ont eu lieu dans le groupe ayant reçu le traitement  », c’est plus honnête mais c’est moins vendeur.

    Enfin, autre problème majeur, 5 des 16 patients contrôles n’ont pas été testés à J6 et les auteurs ont considéré qu’ils étaient encore positifs. Dans le même ordre d’esprit, 1 patient du groupe traitement n’a pas été testé à J5 et J6 et il a été considéré comme négatif.  Autrement dit, lorsque les tests n’étaient pas réalisés, les auteurs ont extrapolé les résultats en considérant que les patients traités étaient guéris et que les patients non traités ne l’étaient pas. Des statisticiens ont refait l’analyse des données en excluant les patients qui n’avaient pas été testé, l’effet de l’hydroxychloroquine devient alors anecdotique.

    La deuxième étude a simplement prouvé que les gens guérissaient de la maladie sans aucun traitement, ce qui est attendu puisque 92 % de l’échantillon étudié présentait des formes légères. En effet, 90 % des patients avec une forme modérée ont une PCR négative dans les 10 jours suivant l’apparition des symptômes simplement en attendant que le temps passe.

     

    Quelle leçon tirer de cette affaire

    Raoult est-il un menteur, un manipulateur ou un escroc  ? Je n’en sais rien. Je le porte plutôt haut dans mon estime pour des raisons personnelles, mais ne tombons pas dans l’argument d’autorité ou dans le bon sentiment  : ses études ne permettent pas de conclure sur un réel effet de l’HCQ dans le traitement ou la prévention du Covid-19, rien de plus, rien de moins.

    De la même manière, aucune étude suffisamment pertinente ne permet de dire que le «  protocole Raoult  » est dangereux. Aussi, si la décision d’interdire aux médecins de prescrire est une honte pour la profession, une décision liberticide d’un système qui par manque d’autorité réelle se doit d’agir avec une force ridicule, il n’en reste pas moins que la prescription d’HCQ ne pourrait se faire sur la base d’une réflexion scientifique rigoureuse. Le sujet rappelle alors celui de l’homéopathie et du rôle des croyances en science, mais il faudra attendre un futur article.

    Enfin, je termine sur une analogie de statisticien pour parer l’argument selon lequel les pays ayant utilisé l’hydroxichloroquine ont été plus épargnés (je me refuse habituellement aux analogies car ils font de mauvais arguments, mais je pense que celle-ci saura vous convaincre)  : on fait une étude sur les maladies que développent des piétons quand ils restent plus de 5 minutes par semaine sur un trottoir défini par l’expérimentateur. On remarque de manière significative que les personnes qui restent statiques sur ce trottoir développent plus de cancer des poumons que les autres. Le trottoir est donc détruit et reconstruit dans un autre matériau. On a juste oublié de remarquer que sur ce trottoir se trouve un vendeur de tabac. En bref, les pays qui ont utilisé l’HCQ ont surement développé d’autres méthodes de prévention, et ce sont celles-ci qui ont joué dans les chiffres.

    La bonne gestion de la crise aurait dû passer par la mise à disposition massive de masques FFP2-3 (c’est-à-dire de protection individuelle) plutôt que par un confinement archaïque puis distribution de masques empêchant uniquement de propager sa maladie. Mais cette mauvaise gestion n’est pas celle de la présidence Macron, c’est celle de la République, qui n’a jamais placé le bien commun au-dessus de ses intérêts personnels. Le nationalisme et le souverainisme auraient permis à notre nation de perpétuer nos stocks de matériel, et de relancer rapidement une production exceptionnelle en ces temps de crise. Le peuple en prend conscience, ce sursaut doit nous être favorable.

    Pour que vive la France et qu’avec elle vive son peuple, Vive le Roi.

  • Pôle idéologique des « valeurs républicaines », par Philippe Germain.

    Chaque jour le pôle idéo­lo­gique isla­miste gri­gnote un peu plus de ter­rain. « Ils en veulent et ils nous en veulent », disait notre diplo­mate René Servoise !

    Quelle réponse apporte le pôle idéo­lo­gique des « valeurs répu­bli­caines » ? Ou plutôt,quel est son sys­tème cohé­rent de valeurs et son pro­jet de société ?

    philippe germain.jpgSon sys­tème de valeurs a pour ori­gine l’effondrement de la reli­gion du Pro­grès (consé­quence des grandes catas­trophes éco­lo­giques) et l’é­chec des expé­riences mar­xistes. Il ne res­tait plus que « 1789 » comme base de repli du mythe révo­lu­tion­naire, d’où la réac­tua­li­sa­tion du vieux cou­rant du « contrat social » du XVIIIe siècle. Il s’agit d’émanciper l’individu des déter­mi­na­tions qu’il n’a pas choi­sies : déter­mi­na­tions sociales, cultu­relles, fami­liales, voire natu­relles (d’où genre ou gen­der en bon fran­çais et trans­hu­ma­nisme !). Pour cette doc­trine, la natio­na­li­té fran­çaise ne se fonde pas sur l’appartenance à un groupe humain déter­mi­né, mais sur l’adhésion aux grands prin­cipes révo­lu­tion­naires comme l’égalitarisme, les droits de l’Homme et sur­tout le laï­cisme, éri­gé en religion.

    Et son pro­jet de socié­té ? Il est éla­bo­ré dans des socié­tés de pen­sée (Ah, Grand Orient, Libre pen­sée, Ter­ra Nova, Fon­da­tion Jean-Jau­rès et syn­di­cats de fonc­tion­naires ou d’instituteurs…). Il néces­site la construc­tion d’un socle hégé­mo­nique sus­cep­tible de fon­der un consen­sus. Pour cela, les idéo­logues répu­bli­cains n’envisagent pas de s’opposer au pôle isla­miste mais au contraire de s’allier avec lui ! Etrange ? Non car le contrôle des admi­nis­tra­tions de l’appareil d’Etat ne suf­fit pas au suc­cès de leur pro­jet. Il faut donc s’appuyer sur des mino­ri­tés. D’où leur poli­tique de réformes socié­tales. En même temps, il importe de cap­ter les voix des immi­grés au tra­vers d’un islamo-électoralisme.

    L’affaire sem­blait facile. 

    Repre­nons ; En Algé­rie, la Troi­sième Répu­blique avait sou­te­nu l’Is­lam en favo­ri­sant­la construc­tion de mos­quées jusque là incon­nues en Kaby­lie. L’Is­lam, super­fi­ciel, y était encore péné­tré d’a­ni­misme, voire, en cer­tains lieux, de résur­gences chré­tiennes. En 1905, la loi de sépa­ra­tion des Eglises et de l’E­tat ne men­tion­na­guère l’Is­lam, alors que l’Al­gé­rie fai­sait par­tie de la Répu­blique fran­çaise. Puis en 1950 – 1960, les laï­cistes s’étaient enga­gés acti­ve­ment dans la déco­lo­ni­sa­tion. Dans la fou­lée de 1970 – 1980, ils avaient cajo­lé les immi­grés cen­sés être exploi­tés à la fois comme ouvriers et non-euro­péens. Puis pour les séduire, le pôle des valeurs répu­bli­caines, s’est ral­lié au modèle d’une socié­té mul­ti­cul­tu­relle. Oui au dif­fé­ren­tia­lisme et Non à l’assimilation. Les immi­grés étaient invi­tés à s’installer en France sans renon­cer à leur iden­ti­té. Le laï­cisme évo­lua alors vers le concept de laï­ci­té ouverte, d’où d’i­né­vi­tables entorses aux prin­cipes ori­gi­nels. L’Affaire des fou­lards, res­sus­ci­ta en 1989 une vieille contro­verse : la laï­ci­té répu­bli­caine consiste-t-elle à exclure les convic­tions reli­gieuses de l’espace public (cachez ces cal­vaires !) ou à recon­naitre la plu­ra­li­té des croyances et en assu­rer l’égalité (Ah sacro-sainte Ega­li­té…) ? Le radi­cal-laï­cisme com­men­ça alors à se rai­dir sur des sujets sym­bo­liques, comme celui des cari­ca­tures de Maho­met, au nom de « la Liber­té d’expression ».

    Aie, aie, c’est là que com­mence les limites de la stra­té­gie isla­mo-élec­to­ra­liste, du pôle idéo­lo­gique des valeurs républicaines. 

    Car il faut avoir l’honnêteté de le recon­naitre, un musul­man ne sau­rait s’in­té­grer à une socié­té laï­ciste, sinon en apos­ta­siant. La loi cora­nique com­mande toute son exis­tence, publique et pri­vée. Et oui, en deman­dant aux musul­mans de deve­nir des répu­bli­cains, on leur demande d’ac­cep­ter nos lois, que fait et défait la volon­té popu­laire. Autant dire qu’on exige d’eux I ‘aban­don de la cha­ria, donc de leur reli­gion. C’est une évi­dence pour nous maur­ras­siens, dont l’histoire est la mai­tresse en poli­tique. Nous savons que raris­simes furent les musul­mans algé­riens qui acce­ptèrent d’abandonner le sta­tut cora­nique au pro­fit de la citoyen­ne­té fran­çaise – c’est-à-dire le code civil – comme leur per­met­tait le Sena­tus Consulte de 1865. Rabâ­chons : Un musul­man ne peut inté­grer une socié­té laï­ciste qu’en apostasiant

    D’où l’énorme contra­dic­tion d’une Répu­blique lais­sant s’é­di­fier sur notre sol des mos­quées, tout en par­lant d’in­té­gra­tion répu­bli­caine (les laï­cistes prennent-ils les maho­mé­tans pour des imbé­ciles ?). La laï­ci­té répu­bli­caine pré­tend impo­ser à des musul­mans ses caté­go­ries men­tales, les dépouiller, subrep­ti­ce­ment, de leur pas­sé, cou­per leurs racines. L’orgueil laï­ciste croit que les valeurs répu­bli­caines sont supé­rieures à celles des autres. Par­ti­cu­liè­re­ment à celles des musul­mans qui méprisent leur socié­té maté­ria­liste et athée. Alors oui, l’Islam radi­cal s’en prend à la France chré­tienne comme héri­tière de croi­sés, que d’ailleurs à l’époque ils nom­maient les « francs ». Oui, oui, mais c’est bien à la laï­ci­té répu­bli­caine quel’Islam cultu­rel s’oppose sur le ter­rain, au quotidien.

    La Répu­blique est dans une impasse car face aux pro­grès du pôle idéo­lo­gique isla­miste, une refon­da­tion de la laï­ci­té s’impose !

    Cette refon­da­tion, la Répu­blique est inca­pable de la réa­li­ser car la Consti­tu­tion de 1958, après celle de 1946, éta­blit que « la France est une répu­blique laïque ». 

    Oh que non disent les maur­ras­siens. Si effec­ti­ve­ment la Répu­blique fran­çaise s’est construite autour du laï­cisme ; la France elle, est chré­tienne. En cela ils suivent sim­ple­ment le comte de Paris, affir­mant « J’ai tou­jours été convain­cu que les nations avaient des voca­tions, qu’elles tiennent de leur his­toire. Celle de la France est inti­me­ment liée au déve­lop­pe­ment de la chré­tien­té : la foi n’a pas été seule­ment le ciment de notre nation, elle en a été le socle ». Est-il assez clair ?

    Ger­main Phi­lippe (à suivre)

    Pour lire les pré­cé­dentes rubriques de la série «  L’Islam enne­mi n° 1 bis », cli­quer sur les liens.

    France,  mai­son de la guerre
    Mai­son de la trêve et ter­ri­toires per­dus de la Répu­blique
    Impact sur la France de la révo­lu­tion isla­miste de 1979
    Les beurs et la kalach­ni­kov
    Le plan d’islamisation cultu­relle de la France
    Islam radi­cal et bar­ba­rie ter­ro­riste
    Pas d’amalgame mais com­plé­men­ta­ri­té
    Pôle idéo­lo­gique islamiste

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Sur le site officiel de l'Action française : Giscard, L’homme qui a normalisé la France, l’éditorial de François Marcilh

    Alors que la mort de Jacques Chi­rac a pro­vo­qué une véri­table émo­tion chez les Fran­çais, celle de Gis­card d’Estaing les a lais­sés plu­tôt froids. Certes, la pan­dé­mie n’a per­mis à aucun sen­ti­ment popu­laire de se mani­fes­ter. Mais la radio et la télé auraient pu com­pen­ser par des émis­sions ad hoc cette impos­si­bi­li­té.

    françois marcilhac.jpgOr le fait est éga­le­ment qu’aucune radio ni aucune chaîne de télé ne s’est mise en « édi­tion spé­ciale » toute la jour­née, comme ce fut le cas pour Chi­rac. Comme si cha­cun savait que le divorce par consen­te­ment non mutuel de 1981 entre Gis­card et les Fran­çais avait été défi­ni­tif. Du reste, si Gis­card ne vou­lait aucun hom­mage natio­nal, c’est qu’il n’avait jamais sur­mon­té son humi­lia­tion de ne pas être réélu en 1981 après avoir tant fait, croyait-il pour « libé­rer » la socié­té fran­çaise. Comme quoi, ce n’était peut-être pas ce que les Fran­çais atten­daient en prio­ri­té de lui en 1974. Il était éga­le­ment vexé que toutes ses ten­ta­tives de reve­nir dans le jeu poli­tique se soient sol­dées par des échecs ou des demi-échecs. Quant à sa grande œuvre, le trai­té consti­tu­tion­nel euro­péen, les Fran­çais le reje­tèrent à une large majo­ri­té. En clair, cet homme qui disait ne pas vou­loir res­ter dans l’histoire de France fut dans la mort comme dans la vie : modeste par orgueil…

    Cha­cun pour­ra tou­jours trou­ver quelque chose à gla­ner dans une vie poli­tique aus­si riche et une vie per­son­nelle aus­si longue. Il a fait son devoir, et cou­ra­geu­se­ment, à dix-huit ans, en s’engageant en 1944 pour la libé­ra­tion du ter­ri­toire ; il a res­pec­té la volon­té de Georges Pom­pi­dou s’agissant de Beau­bourg — un des ensembles cultu­rels les plus ori­gi­naux d’Europe — et il a sau­vé la gare d’Orsay de la des­truc­tion pour en faire un des musées les plus beaux du monde ; il a eu ses bonnes œuvres, aus­si. Tout per­son­nage est com­plexe. Et sa poli­tique exté­rieure s’inscrivit peu ou prou dans les pas de ses deux prédécesseurs.

    Mais reven­di­quer pour maîtres Mon­net et De Gaulle, c’était aller au-delà du para­doxe. Et déjà pra­ti­quer le « en même temps » de son fils spi­ri­tuel, qu’est Macron. Sur son cer­cueil, du reste, deux dra­peaux : le fran­çais et l’européen. Si, pour cer­tains esprits super­fi­ciels, cela peut n’être pas anti­no­mique, la double pater­ni­té reven­di­quée l’est, en revanche. Car Mon­net, ce ne fut pas seule­ment le pire enne­mi De Gaulle auprès et au ser­vice des Amé­ri­cains, ce fut aus­si celui dont le pro­jet euro­péen, co-construit, comme on dit aujourd’hui, avec les Amé­ri­cains, avait pour seul but de détruire la sou­ve­rai­ne­té des nations euro­péennes, le Royaume-Uni excep­té, comme Chur­chill, qui par­ti­ci­pait à la manœuvre, le décla­ra d’emblée. Or, quoi qu’on pense par ailleurs de De Gaulle, sur ce plan-là, le pro­jet gaul­lien était aux anti­podes du pro­jet de Mon­net. C’est pour­quoi l’élection en 1974 de Gis­card peut être consi­dé­ré comme une revanche du second sur le pre­mier. J’ignore si Gis­card aimait ou n’aimait pas la France. En amour, il n’y a que des preuves d’amour. Or le fait est que Gis­card, qui se plai­sait à regar­der la France au fond des yeux… mais de l’extérieur, comme un étran­ger — un Huron deve­nu pré­sident de la Répu­blique —, n’a pas ces­sé de rabais­ser notre pays. Après une cam­pagne menée à l’américaine, ins­pi­rée de celle de JFK près de quinze années plus tôt, c’est en anglais qu’il s’exprime le soir de son élec­tion, afin de bien mon­trer qu’il s’inscrit dans une moder­ni­té de rup­ture, laquelle ne parle pas français.

    La France était, de fait, dépas­sée pour Gis­card — comme elle l’était pour Mon­net et comme elle le sera pour Mit­ter­rand — « La France est notre patrie, l’Europe notre ave­nir » — et l’est aujourd’hui pour Macron. Mais Gis­card fai­sait dans le sym­bole, quand Macron, esprit bien moins fin et bien moins culti­vé, fait dans la pro­vo­ca­tion. La France de Gis­card, c’est celle qui ne doit plus se conce­voir que comme repré­sen­tant 1 % de la popu­la­tion mon­diale, afin de jus­ti­fier son tro­pisme euro­péiste. D’où, bien sûr, cette recherche d’une nou­velle légi­ti­mi­té, cette inven­tion arti­fi­cielle d’un peuple euro­péen à tra­vers l’élection au suf­frage uni­ver­sel du par­le­ment euro­péen, dont les membres étaient alors dési­gnés par les par­le­ments natio­naux, comme le sont tou­jours ceux du Conseil de l’Europe. C’est aus­si le sys­tème moné­taire euro­péen, qui suc­cède au ser­pent, et qui est une pré­fi­gu­ra­tion de la mon­naie unique, que Mit­ter­rand met­tra en chan­tier. Ce sera aus­si ce trai­té consti­tu­tion­nel de 2005 : Gis­card rêvait de deve­nir le pre­mier pré­sident de l’Europe, la France était bien trop petite pour lui. Devant l’impossibilité de réa­li­ser son vœu, le « pro­jet » euro­péen ne ces­sant de prendre du retard, il se prit à rêver à deve­nir son refon­da­teur, un nou­veau père de l’Europe, en s’impliquant dans le trai­té consti­tu­tion­nel. Repous­sé par les Fran­çais, on sait com­ment la for­fai­ture de Sar­ko­zy et du Par­le­ment per­mit sa rati­fi­ca­tion en 2008…

    Gis­card, c’est aus­si une France tou­jours plus petite, moins pré­sente sur la pla­nète : indé­pen­dance de Dji­bou­ti (où désor­mais les Amé­ri­cains ont une base mili­taire) et des Comores, avec le lar­gage pré­mé­di­té, contre la volon­té de sa popu­la­tion, de Mayotte, auquel l’Action fran­çaise et Pierre Pujo s’opposèrent vic­to­rieu­se­ment. Il y aurait aus­si beau­coup à dire sur sa poli­tique en matière d’indépendance indus­trielle. Pen­sons éga­le­ment à l’instauration du regrou­pe­ment fami­lial, piège qui s’est refer­mé sur la France par une déci­sion du Conseil d’Etat durant le sep­ten­nat sui­vant, qui ne sera pas remise en cause par le réga­lien — déjà les pré­mices du gou­ver­ne­ment des juges.

    Faut-il reve­nir sur le Gis­card « moder­ni­sa­teur » de la socié­té fran­çaise ? C’est celui que les media mains­tream ont le plus com­mé­mo­ré. Et pour cause. Pierre Bou­tang a écrit, dans son Pré­cis de Fou­tri­quet, sur « le men­teur, le pour­ris­seur et le fos­soyeur » des pages défi­ni­tives — « un acquis pour tou­jours » comme aurait dit l’historien Thu­cy­dide —, qui sont en même temps un réqui­si­toire contre une socié­té « qui n’a que des banques pour cathé­drales », comme Bou­tang le dira en conclu­sion de Reprendre le pou­voir. Gis­card fut, pour la France, un des archi­tectes de cette socié­té-là, qui repose sur un pro­fond mépris du peuple, par­ta­gé par Macron. Mais là où Gis­card fai­sait dans la condes­cen­dance — édu­ca­tion oblige — en allant dîner chez les Fran­çais, en jouant de l’accordéon ou au foot, en invi­tant des éboueurs à par­ta­ger avec lui un petit-déjeu­ner à l’Elysée, Macron, fait encore et tou­jours dans la pro­vo­ca­tion, sans filtre. Avec le sobri­quet de Fou­tri­quet, Bou­tang ren­voyait Gis­card à Thiers. Il est tout aus­si pos­sible d’y ren­voyer Macron, tant par son absence totale d’empathie pour le peuple et ses souf­frances réelles, que par sa bru­ta­li­té, dont l’expression était conte­nue chez Gis­card, mais explose chez Macron : il appa­raît ain­si, lui aus­si, comme un de ces grands bour­geois vol­tai­riens du XIXe siècle sûrs de leur fait.

    Au fond, Gis­card est celui qui a nor­ma­li­sé la France à la mon­dia­li­sa­tion nais­sante et Macron est celui qui veut ache­ver le tra­vail, qu’il s’agisse de l’Europe, de la sou­mis­sion éco­no­mique de la France, du mépris de la langue fran­çaise, de l’immigration, ou des ques­tions dites socié­tales, notam­ment la des­truc­tion de la famille. Sur ce plan, la mesure gis­car­dienne la plus neutre fut cer­tai­ne­ment la majo­ri­té à dix-huit ans. Le plus jeune pré­sident élu de la Ve pou­vait-il faire moins pour mon­trer sa jeu­nesse ? Ce fut aus­si la mesure la plus iro­nique : car les tout nou­veaux jeunes élec­teurs en pro­fi­tèrent, dès la pré­si­den­tielle sui­vante, pour por­ter leurs voix, comme plus proche d’eux, sur un vieux bris­card de la IVe déco­ré de la fran­cisque. Macron, deve­nu à son tour le plus jeune pré­sident élu, tente, lui aus­si, de séduire la jeu­nesse, en s’adressant notam­ment à elle par ses canaux de pré­di­lec­tion… Il n’est pas cer­tain qu’il la convainque davan­tage. En revanche, il n’est pas cer­tain non plus que la classe poli­tique sache, d’ici quelques mois, faire sur­gir de son sein un rem­pla­çant crédible…

    Le « nou­veau monde » n’est que l’achèvement de « la socié­té libé­rale avan­cée » — et on sait le sens que Bou­tang don­nait à l’adjectif « avan­cée ». Dans les lignes sui­vantes, Bou­tang rap­pro­chait Fou­tri­quet (Thiers-Gis­card) de Badin­guet (Napo­léon III). Or elles semblent avoir été écrites aus­si pour Gis­card et Macron : « Ce qui rap­proche les deux hommes est le ser­vice de Mam­mon et la com­plai­sance infi­nie pour la pour­ri­ture qu’ils confondent avec ce que Machia­vel nomme “esprit du temps” et qui n’en est que le déchet. Si hor­rible que soit ce temps… »

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Passe sanitaire : Évincer toute pensée divergente, présenter les opposants comme des nuisibles, par le doc­teur Fré­dé­r

    … « La popu­la­tion est désor­mais scin­dée en 2 groupes.

    Le pre­mier, hété­ro­gène, est com­po­sé des per­sonnes favo­rables au vac­cin. Il réunit celles qui, par convic­tion ou par las­si­tude, sont prêtes à s’y sou­mettre pour sor­tir de la crise. 

    Il abrite ain­si les per­sonnes qu’il a été pos­sible de sen­si­bi­li­ser, qui croient sans hési­ta­tion au mes­sage relayé par les ondes.

    Celles-là res­te­ront récep­tives à tous les mes­sages de dan­ger et agrée­ront la méthode de sor­tie de crise, fût-elle assor­tie de pri­va­tions pérennes de leurs droits.

    On trouve aus­si dans ce groupe les per­sonnes qui se sont cou­pées de toute infor­ma­tion depuis long­temps, pour se pro­té­ger, et qui sont deve­nues indif­fé­rentes à tout dis­cours. Pour elles, l’essentiel est de ne plus entendre par­ler du sujet. Elles ont dis­qua­li­fié tous les avis pour les neu­tra­li­ser. Ain­si le leurre des tests condui­sant à une épi­dé­mie de cas, sans morts ni malades, ne par­vient plus à leur enten­de­ment, comme si leur cer­veau avait été débran­ché. Leur prio­ri­té est de mettre un terme à la mal­trai­tance qui leur est infli­gée en se cou­pant de toute nuisance.

    Le second groupe ras­semble les détrac­teurs du vac­cin, ceux qui ont échap­pé à l’in­fluence du matra­quage média­tique, qui ont sou­vent pris des avis ou cher­ché des infor­ma­tions hors des sources clas­siques, tout en res­tant sen­sibles à la réa­li­té de leur envi­ron­ne­ment (ser­vices hos­pi­ta­liers non satu­rés, nombre de morts com­pa­rable aux années pré­cé­dentes, mesures prises non pro­por­tion­nées, ame­nui­se­ment des droits fon­da­men­taux sans jus­ti­fi­ca­tion etc.).

    Ces per­sonnes ont éga­le­ment inté­gré qu’une vac­ci­na­tion n’exemp­te­rait pas des mesures de dis­tan­cia­tion sociale et, par consé­quent, que la convi­via­li­té ne serait pas réta­blie, que le gou­ver­ne­ment gar­de­rait de façon arbi­traire le contrôle de la popu­la­tion et de ses acti­vi­tés. Elles observent avant tout l’immixtion tou­jours crois­sante de l’État dans leur quo­ti­dien et dans leur vie privée.

    Ces 2 groupes sont désor­mais sépa­rés par une ligne qu’il sera dif­fi­cile de faire bou­ger. La mani­pu­la­tion a mon­tré des limites qui étaient pré­vi­sibles et elle sera sans effets sur ceux qu’elle a ten­té, en vain, de convaincre.

    Ces groupes se sont figés, leurs effec­tifs se sont immo­bi­li­sés, et peu importe les argu­ments avan­cés, les scan­dales éta­blis ou les preuves appor­tées, ceux-ci se noie­ront dans un récit natio­nal inalié­nable impos­sible à dénon­cer sauf à être trai­té de complotiste.

    Les mots se seront sub­sti­tués à la réa­li­té et, uti­li­sés à contre-emploi, ils auront per­du de leur sens et véhi­cu­le­ront des idées en rup­ture avec les faits.

    Le pou­voir en place pour­ra même avouer ses men­songes, le peuple l’acclamera, inca­pable de le croire mal inten­tion­né et per­sua­dé qu’il est au-des­sus des soup­çons. Il n’est donc plus temps de publier des résul­tats d’é­tudes prou­vant l’ef­fi­ca­ci­té de tel pro­duit, le men­songe sur tel autre, de pro­duire des courbes démon­trant le carac­tère infi­ni­té­si­mal du risque sani­taire et dis­pro­por­tion­né des réac­tions de peur. Sur­di­té et aveu­gle­ment règnent en maître chez les per­sonnes qui, condi­tion­nées, sont pri­vées de juge­ment et inca­pables d’admettre que des faits objec­tifs puissent démen­tir la réa­li­té qu’elles ont construite.

    Orga­ni­ser l’affrontement de ces deux groupes de la popu­la­tion est une pos­si­bi­li­té – oppor­tu­ni­té ? – désor­mais envisageable.

    Nos diri­geants devraient rapi­de­ment s’en sai­sir pour encou­ra­ger une orga­ni­sa­tion sociale qui oppo­se­rait bons et mau­vais citoyens, gens sains, dociles, res­pon­sables et vac­ci­nés et gens toxiques, rebelles, incon­sé­quents et non vaccinés.

    Ce sys­tème de bons citoyens est pré­sent en Chine. Il repose sur la déla­tion et l’o­béis­sance à la règle.

    Le bon usage par le gou­ver­ne­ment de la gra­dua­tion dans la contrainte et la sou­mis­sion du peuple conduisent à ce jour à l’acceptation d’une vac­ci­na­tion inutile dont la toxi­ci­té n’est pas éva­luée et pour laquelle les labo­ra­toires, compte tenu de la rapi­di­té d’é­la­bo­ra­tion des pro­duits, ont déjà négo­cié de ne pas être tenus res­pon­sables de poten­tiels effets secon­daires, obte­nant des États qu’ils répondent de telles conséquences.

    Et pour­quoi pas en défi­ni­tive puisque les poli­tiques sont deve­nus méde­cins. Nos gou­ver­nants et nos par­le­men­taires, par leur pou­voir et leur influence, vont inci­ter toute une popu­la­tion à faire un geste dont l’intérêt n’est pas démon­tré et dont les consé­quences ne sont pas mesu­rées, et se pré­sen­ter ain­si en sauveurs.

    Cela évoque les tech­niques sec­taires et les sui­cides col­lec­tifs. Pour échap­per à la fin du monde ou aux extra-ter­restres (ici au virus mor­tel), le sacri­fice est pré­sen­té comme salvateur.

    La réa­li­té ense­ve­lie sous les mes­sages quo­ti­diens dis­cor­dants, culpa­bi­li­sants, a lais­sé la place au délire dans lequel les liens logiques se dissolvent.

    Les sectes se servent de ces moyens : iso­ler les indi­vi­dus en les cou­pant de leurs liens sociaux et fami­liaux, rendre les gens dépen­dants en les pri­vant de leurs moyens de sub­sis­tance, pro­pa­ger un dis­cours uni­voque mar­te­lé dans des grand-messes per­ma­nentes, évin­cer toute pen­sée diver­gente, pré­sen­ter les oppo­sants comme des nui­sibles qui ne com­prennent ni leur propre inté­rêt, ni l’in­té­rêt com­mun supérieur.

    « Nous contre les autres » est géné­ra­le­ment la doc­trine simple com­pré­hen­sible par cha­cun car sim­pliste, et hélas adoptée.

    Le cap est franchi.

    Main­te­nant que les lignes de par­tage qui clivent la popu­la­tion se pré­cisent, ce gou­ver­ne­ment n’a plus la pos­si­bi­li­té de reve­nir à des posi­tions plus rai­son­nables et pro­por­tion­nées. Il a fait tout son pos­sible dans le domaine de la mani­pu­la­tion, il a mobi­li­sé toutes les sphères d’in­fluence tout en res­tant cré­dible auprès d’une par­tie impor­tante de la popu­la­tion. Pour ceux qui, rebelles, refusent d’adhérer, d’autres méthodes plus coer­ci­tives encore s’imposent.

    Les signes de cette dérive tota­li­taire se trouvent dans les tech­niques de lavage de cer­veau employées, iden­tiques à celles des sectes. Elles étaient là dès le départ, mais com­ment croire qu’un gou­ver­ne­ment démo­cra­ti­que­ment élu puisse se retour­ner contre son peuple ?

    Aujourd’­hui, une par­tie de ce peuple est plon­gée dans la pau­vre­té, le désar­roi, les « non-essen­tiels » com­mencent à se sui­ci­der, les troubles psy­chia­triques se mul­ti­plient et… le conseil scien­ti­fique conti­nue d’assurer sa grand-messe à une armée de fidèles hallucinés.

    Demain, n’im­porte quel virus, réel ou fic­tif, pour­ra de nou­veau semer la ter­reur chez des popu­la­tions prêtes à se faire vac­ci­ner pour conser­ver un peu de liber­té. Elles y sont prêtes.

    Et si les tests actuels sont encore uti­li­sés ‑contre toute logique‑, même les popu­la­tions vac­ci­nées seront posi­tives et res­te­ront conta­gieuses. Les mesures de dis­tan­cia­tion res­te­ront la règle.

    Signe sup­plé­men­taire de la super­che­rie, les hommes qui mur­murent à l’o­reille des virus pré­disent déjà les vagues à venir et leurs dates d’apparition.

    Toute science a vrai­ment déser­té nos sociétés.

    Les réseaux sociaux, « com­plo­tistes », ont don­né des dates de confi­ne­ment bien avant leur annonce offi­cielle, mon­trant ain­si que toute pré­oc­cu­pa­tion sani­taire était absente des déci­sions offi­cielles. Les consé­quences humaines sont terribles.

    Tout lieu de convi­via­li­té a dis­pa­ru, les gens sont plus iso­lés que jamais, ils souffrent de mesures iniques impo­sées par une poi­gnée de diri­geants, sans aucune concer­ta­tion, sous cou­vert d’as­su­rer leur salut.

    Ce qui fait l’hu­main, sa capa­ci­té à tis­ser des liens, son besoin d’entrer en contact avec l’autre, est menacé.

    Le tis­su social s’est dis­sout dans les mesures impo­sées par un régime deve­nu fou, hors de contrôle, dérou­lant une feuille de route éta­blie de longue date en dépit de toute consi­dé­ra­tion du réel.

    Les mesures prises altèrent la san­té de la popu­la­tion et tuent. Elles sont anti-sanitaires.

    La dic­ta­ture est en marche.

    Notre mode de vie a effec­ti­ve­ment bien chan­gé ; le Covid n’en est que le pré­texte, le cata­ly­seur. Cette dégra­da­tion de nos condi­tions d’existence et la dis­pro­por­tion des mesures prises pour lut­ter contre un virus donne du cré­dit au dis­cours de ceux qui voient là le moyen d’ins­tau­rer un nou­vel ordre mon­dial qui doit anni­hi­ler notre vie pri­vée et nos droits individuels.

    Les pre­miers constats montrent les signes de la réa­li­sa­tion de cet ordre nouveau. »

    Dr Fré­dé­ric Badel, méde­cin-psy­chiatre, Bordeaux.

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Hommages à Pierre-Guillaume de Roux.

    © Benjamin de Diesbach pour L'Incorrect - droits réservés

    Alors que sont aujourd’hui célébrées les funérailles de l’éditeur Pierre-Guillaume de Roux, nous avons souhaité lui rendre hommage en rassemblant ici ces quelques témoignages d’amis, de compagnons, d’écrivains. Nous présentons également nos sincères condoléances à sa famille.

    À TOUT DE SUITE PIERRE-GUILLAUME

    Quand on raccrochait d’une conversation avec Pierre-Guillaume, il concluait par un curieux : « À tout de suite ». La première fois, j’ai cru qu’il allait me rejoindre quelque part, que j’avais mal compris… En y repensant, cet « À tout de suite » fait écho à l’ « Immédiatement » de ce père qu’il aimait tant, Dominique de Roux. Ce père dont il avait la photo dans son fameux bureau rue de Richelieu, où il ne pouvait même plus s’installer tant il y avait de livres et de manuscrits… Pierre-Guillaume, comme son père, un preux de l’édition, sans peur et sans reproche, mettait la littérature au-dessus des idéologies. Ce pourquoi le portrait que lui avait consacré Le Monde l’avait tant peiné : il était prêt à débattre avec n’importe qui, mais pas avec les valets de pieds de la propagande. Pierre-Guillaume vivait sans interruption, parmi les écrivains qu’il admirait, morts ou vifs, dans ce temps jamais perdu des livres. Il était toujours avec nous ; il est toujours avec nous. Son regard malicieux perché tout en haut de son corps de paladin ne nous quitte pas. À tout de suite Pierre-Guillaume ! Bertrand Lacarelle

    EN SOUVENIR DE PIERRE-GUILLAUME DE ROUX

    J’ai connu Pierre-Guillaume comme camarade d’édition au Rocher du temps du regretté Jean-Paul Bertrand, au début des années 2000, quand nous venions de publier dans la collection Anatolia le scandaleux Nicolas Gomez Davila, qu’il défendit aussitôt avec passion. Notre ami commun, l’éditeur Vladimir Dimitrijevic, sur son lit d’hôpital après un accident de la route, m’avait mis en garde : « Attention, ça ne va par leur plaire. » À qui donc se rapporte ce « leur » ? lui avais-je demandé. « À personne, me répondit-il. C’est bien ça le pire ». Aussi publiai-je le catholique colombien avec un plaisir redoublé. Le seul article enthousiaste sur le livre – dont je regrette aujourd’hui le titre un peu facile – Les Horreurs de la démocratie (Misère de la démocratie eût été plus juste), parut dans l’imprévisible Libération. Je revis Pierre-Guillaume à l’enterrement du cher Dimitri, qui était son parrain dans la foi orthodoxe, il y a dix ans, et il avait avec lui quelques exemplaires du livre que nous avions publié en hommage aux 40 ans des éditions de L’Âge d’homme, Les Caves du Métropole, qu’il distribuait aux amis venus aux funérailles de Gazda – « le patron » –, qu’un deuxième accident de la route n’épargna pas, cette fois. On a pu dire que Pierre-Guillaume s’était fourvoyé dans les dernières années de sa vie. Se raccrocher à la politique n’avait aucun sens quand on aimait profondément la littérature comme il le faisait. Les paroles du père Simon, prêtre-aumonier à l’Université de Vienne, ont valeur d’homélie : « Nous devons accepter humblement d’être athées en politique et garder toute notre foi pour le Très-Haut ». Pierre-Guillaume était un être discret et doux, un lecteur raffiné, amoureux des belles choses et trop pur pour s’embringuer dans la foire politique. Ses bravades, ses compromis, qui n’obéissaient qu’au souci de la survie éditoriale, appartiennent au monde terrestre. Sa foi au monde céleste. Requiescat in pace. Samuel Brussell

    PARFOIS LES DIEUX SOURIENT

    J’avais croisé Pierre-Guillaume de Roux au début du siècle, il m’impressionnait par sa stature, son élégance, son raffinement et sa réputation professionnelle. Je n’aurais jamais imaginé que vingt ans plus tard il deviendrait l’éditeur de mon premier roman, Moi, Philip Roth. Il y avait tout pour nous séparer : moi, juif new-yorkais, de taille moyenne, habillé sport, fidèle (aux US) du parti démocrate, spécialiste de Philip Roth et d’auteurs américains responsables en partie de l’éclipse de la littérature française ; et lui, le personnage qu’on connaît. Pourtant, parfois les dieux sourient : aucun autre éditeur n’aurait pu si bien accueillir un texte iconoclaste, irrévérencieux, expérimental et subversif, voire un livre fait à son image. De fait, j’ai découvert, à mon étonnement et à ma joie, que j’étais chez moi. Steven Sampson

    LE GRAND LECTEUR

    « Le Grand Lecteur était un homme de haute taille, doté de traits si remarquables qu’il était extrêmement difficile de faire la différence, au premier regard, entre son visage à la fois bienveillant et mystérieux, nimbé d’une roseur ineffable, et l’un de ces portraits princiers que l’on peut admirer en nombre au château de Bel-Œil, ce lieu caché au cœur du Brabant wallon qui résonne encore trois siècles plus tard de l’honneur, du bonheur insigne d’être né… et plus encore. Une couronne de cheveux grisonnants, qui, jadis, avaient longtemps doré au soleil d’un Âge secret et resplendissant, retombait sur son grand front bombé, pétri de mémoire. Quelle amie qui a eu le privilège d’accéder à son cœur un jour de cette brève existence, quelle femme devenue sa proche confidente ne se souvient pas de ses silences résignés ou de cette promenade rituelle qu’elle faisait à son bras, chaque crépuscule ? Était-ce vraiment dans cette vie, était-ce déjà dans le rêve qui vous transporte avec d’infinies précautions jusqu’à cet endroit où l’on se croit arrivé au Ciel, là où s’étend sous les pieds un puissant bruit de vagues allant et venant comme à l’abandon au chevet d’une mer, d’un océan insaisissable ? Quand son profil altier se dessine soudain dans le poignant contre-jour qui annonce à cette minute l’inexorable partage de l’ombre et de la lumière, son visage se fait plus indéchiffrable que jamais. Est-il sur le point de parler, d’ouvrir enfin son cœur ? Nous n’avons pas encore croisé son regard mais une fois que cela sera chose faite, pourrons-nous jamais en oublier l’expression de tendresse déchirante et de bonté magnanime, stoïquement bordée de souffrances dont il ne dira jamais rien ? »

    Extrait d’En Rêve et contre tout (Pierre-Guillaume de Roux, 2018), premier roman d’Anastasie Liou, pseudonyme d’Anne-Sophie Yoo.

    UN FLAMBOYANT INTERCESSEUR

    La littérature a été la forgerie de notre amitié. Il y avait chez Pierre-Guillaume de Roux, en harmonie avec son port altier, une noblesse stylistique qui balayait tous les conforts idéologiques. Comment parler de lui sans parler de soi dès lors qu’il s’agit de la sphère de l’art ? J’avais en souffrance un récit sur ma judéité, intitulé Trou de mémoire. Qui aurait cru qu’il reviendrait à Pierre-Guillaume de Roux de le publier (en 1991), tandis qu’il me fallait subir maints refus dont la motivation se lisait dans la dénonciation de l’ayatollah que j’étais supposé incarner en tant que défenseur d’Israël ? Pour lui n’entraient en considération que le style et la valeur de l’expérience humaine. Sensible à la forme, il savait déchiffrer les intentions et les significations constitutives de l’existence esthétique. C’est ainsi qu’au fil des années, en toute indépendance, s’est affinée et fortifiée notre relation, faite de l’autorité et du respect de chacun des deux protagonistes. Je pleure aujourd’hui le flamboyant intercesseur des lettres qui a publié en 2019 Tournier parti, à coup sûr mon dernier ouvrage. On gravit l’étroit escalier de la rue de Richelieu, on s’enfonce dans la forêt des volumes d’où émerge peu à peu la silhouette magnifique de Pierre-Guillaume de Roux, et on apprend à le connaître. Et on l’aime. Serge Koster

    QUELQUE CHOSE D’UN PIERROT

    Quelque chose d’un Pierrot, la grande taille mince, le costume de flanelle, un personnage de la Commedia dell’arte, qui vous fait passer devant et vous tient la porte de l’ascenseur. Pierre-Guillaume de Roux, c’était le charme, le sourire qui sort d’un rêve, le rire facile d’adolescent, l’enthousiasme. Puis l’intuition agile, le goût sûr, le talent, le sens du meilleur moment. Derrière cette féconde fantaisie, plus ajustée que provocatrice, il tenait à ses valeurs, fidèle à sa famille et à ses traditions, le gaullisme, la hauteur noble.

    Il nous a donné les bijoux de la collection Motif, rééditions de Roland Cailleux, de William Gerhardie, de Massimo Bontempelli, puis les proses magnifiques de Louis Jeanne et de Frédéric Ayangma, Trois contes allemands de Luba Jurgenson, L’Homme qui marche de Jean Yvane, et bien d’autres beaux livres.  Ne cherchez pas à le remplacer, il est irremplaçable et il a emporté la littérature avec lui. Quentin Debray

    GRATITUDE

    Je me souviendrai toujours avec gratitude de Pierre-Guillaume. Il a sauvé L’Atelier du roman dans un moment crucial pour sa survie. Lakis Proguidis

    UN GRAND FRÈRE INCONNU

    Longtemps, Pierre-Guillaume fut pour moi quelque chose comme un grand frère inconnu. C’est Pierre Boutang qui m’en avait parlé le premier, un jour que j’étais venu le voir dans sa thurne philosophique de Saint-Germain-en-Laye, toute pleine de poussière et de génie. Après m’avoir demandé des nouvelles de la revue Réaction dont nous préparions le deuxième numéro, il me dit son affection pour ce jeune éditeur talentueux, le fils de son grand ami Dominique, et me donna son exemplaire de L’Étrangleur de perroquets, l’essai qu’un autre de ses disciples, Philippe Barthelet, venait de publier chez Criterion, autrement dit chez Pierre-Guillaume. Malgré cette entrée en matière, pendant des années, des décennies, celui-ci demeura pourtant une sorte de mystère : quelqu’un dont vous parlent sans cesse vos amis les plus proches, à l’époque Laurent Dandrieu ou Stéphane Giocanti, dont vous admirez l’œuvre éditoriale, la finesse, le goût et le courage, quelqu’un qu’à force vous pensez connaître par cœur, alors que vous ne l’avez jamais vu. Existait-il même vraiment, cet homme qui semblait sautiller d’une maison d’édition à l’autre, et qui publiait tant de mes auteurs favoris ? Ayant tout de même fini par le rencontrer – et m’étant alors réjoui qu’il fût tel que je l’avais imaginé –, la question de son existence véritable n’en subsista pas moins, tant sa discrétion presque maladive, sa capacité à marcher sur la pointe des pieds, son aptitude à apparaître et à disparaître sans bruit l’apparentaient aux fantômes les plus distingués de la littérature britannique.

    Sans doute est-ce ainsi qu’il poursuivra ses pérégrinations sur les chemins de l’Au-delà, et qu’il continuera de visiter nos mémoires, en éclaireur élégant, amoureux du beau tombé par mégarde dans un monde de brutes. Frédéric Rouvillois

    LE VRAI COMBATTANT

    À une époque où les déclarations de résistance et de rébellion s’achètent par paquets de six, dire de Pierre-Guillaume de Roux qu’il était un résistant des lettres serait une image pauvre. Il était sans doute le Combattant, le Vrai, le Courageux.

    Des images me reviennent, comme des photographies sorties d’un album – les bureaux encombrés de ses éditions, l’escalier étroit, la première fois où il m’a reçue, tellement habitué à recevoir des tombereaux de haine qu’il n’imaginait pas que l’on voulût prendre la défense de l’Éloge littéraire d’Anders Breivik, de son auteur et de son éditeur. S’il faut des combats pour identifier qui sont les grands soldats, Pierre-Guillaume y trouva son ordalie.

    Je me disais souvent qu’il avait un catalogue idéal — Richard Millet d’abord, la correspondance Jünger-Schmitt, Ezra Pound, des bios de Paul Gégauff et Maurice Ronet, des essais où l’on tresse des couronnes à Simone Weil et Bernanos, où l’on tape sur Foucault et Sartre : il était mon éditeur imaginaire comme il y aurait un musée imaginaire.

    Il en fallait du courage pour continuer contre vents, marées et capitulations générales – « la littérature ne se vend plus, ma brave dame » – à faire vivre une maison d’édition exigeante et fière. Son œuvre est grande. Grâce à lui, « il demeure des pages comme des tours dans les nids haut perchés qu’une volée de cloches défend », disait C. Campo. Il a incarné l’exigence dans un monde applaudissant à la médiocrité, la passion de la littérature à une époque où elle est réduite à un contenu divertissant, la recherche de la Vérité et du Sens dans une société repue de sa bêtise petite-bourgeoise, où la dénonciation du politiquement correct n’est qu’une posture intellectuellement misérable. Il nous laisse une injonction à poursuivre son combat contre le Vide, le Spectacle, l’Imposture, les Ténèbres — au nom de la littérature, lumineuse, vraie — au nom de la grâce, de la force, du style. Tout lui. Muriel de Rengervé

    UN AUTHENTIQUE ARISTOCRATE

    « Le petit nombre doit l’emporter subversivement sur la subversion elle-même et sur tous ses dispositifs de misère, de honte et d’inutilité. », cette phrase de Dominique de Roux qui se trouve glissée dans ma principale cartouchière, symbolise, je crois, l’attitude et l’aventure de son fils Pierre-Guillaume. Je l’avais lue chez le père avant de connaître le fils qui m’en donna l’illustration. Contre le poids d’un milieu, d’un système, de la doxa et de ses gardiens, contre toutes les pressions du nombre et des nécessités communes, Pierre-Guillaume incarna ce petit nombre, agrégea, soutint, défendit quel qu’en fût le prix ce petit nombre, qui opposait l’esprit à la matière, l’honneur à la meute et la Littérature au Marché. Simple et altier, désinvolte et brave, profond et malicieux, il fut un authentique aristocrate, par le sang, par l’âme et par la forme. Son départ si hâtif nous désole, l’homme manquera cruellement, et nous fait craindre un dangereux refroidissement climatique dans l’ordre des lettres françaises. Romaric Sangars

    « REPOSE-TOI MON AMI, TU AS BIEN TRAVAILLÉ »

    Chez les de Roux, on meurt tôt, et c’est une fâcheuse habitude qui nous cause bien du chagrin, des peines inutiles, ainsi qu’un profond sentiment de gâchis. Malheureusement fidèle à cette tradition, Pierre-Guillaume de Roux nous a quittés prématurément vendredi 12 février, nous laissant orphelins et désemparés. Il allait avoir 58 ans. Avec son départ, nous perdons tous un ami chez qui l’élégance le disputait à la finesse ; mais aussi un très grand éditeur, au jugement aussi sûr que pérenne.

    En littérature comme dans beaucoup d’autres domaines, Pierre-Guillaume n’était pas du genre à transiger, à se contenter de la médiocrité, à succomber à la facilité. Chez lui, tout n’était qu’exigence. Exigence dans le travail, bien sûr, mais aussi dans l’amitié, qu’il ne concevait que

  • Anne Coffinier : L’école hors contrat au secours de l’enseignement rural ?, recen­sion d’Olivier Perceval.

    Anne Cof­fi­nier n’est pas une incon­nue pour ceux qui suivent habi­tuel­le­ment le site https://www.actionfrancaise.net. Après avoir été remer­ciée par le conseil d’administration de la fon­da­tion pour l’école dont elle était elle-même la prin­ci­pale fon­da­trice, Anne Cof­fi­nier diplô­mée de Nor­male sup et de l’ENA a fon­dé la Fon­da­tion Kai­ros pour l’innovation édu­ca­tive dans le but de sou­te­nir et déve­lop­per les écoles hors contrat basées sur la liber­té péda­go­gique et libé­rées des contraintes d’une admi­nis­tra­tion natio­nal cen­tra­li­sée, sou­vent fort éloi­gnée du terrain.

    olivier perceval.jpgAnne Cof­fi­nier a publié une tri­bune dans le maga­zine Marianne, dont voi­ci les prin­ci­paux éléments :

    Avec le Covid et l’essor de la conscience éco­lo­gique, nous sommes de plus en plus nom­breux à nous sen­tir une voca­tion de néo-ruraux. Le luxe, c’est le temps, c’est l’espace, comme dit la publi­ci­té. C’est aus­si l’air pur et la beau­té. Le retour à la terre, au char­nel, à l’enracinement, l’écologie et la per­ma­cul­ture, en réac­tion à ce monde d’arrachement et de vir­tua­li­sa­tion des rela­tions…. Bien sûr, bien sûr ! Mais la rura­li­té en 2021, c’est aus­si la coha­bi­ta­tion hasar­deuse avec ceux qui n’ont jamais quit­té leur val­lée ou leurs mon­tagnes et qui ne com­prennent pas la pas­sion sou­daine des cita­dins à venir jouer les Jean de Flo­rette là où eux-mêmes peinent à vivre et à faire encore socié­té. La grande rura­li­té, c’est aus­si les ter­ri­toires en forte déprise démo­gra­phique, où la cou­ver­ture inter­net est capri­cieuse quand elle n’est pas inexis­tante, où les ser­vices publics sont réduits à la por­tion congrue, la vie cultu­relle mini­ma­liste, les trans­ports chronophages…

    L’ÉCOLE RURALE EN DANGER

    Ce qui est cer­tain, c’est que la grande rura­li­té n’a pas d’avenir si elle ne trouve pas le moyen de gar­der ou d’attirer des jeunes familles sur son ter­ri­toire. Et ça passe d’abord par les écoles. La Fon­da­tion Kai­ros pour l’innovation édu­ca­tive vient d’organiser un sémi­naire-action sur ce sujet à l’Institut de France, réunis­sant des élus ruraux et natio­naux, des créa­teurs et déve­lop­peurs d’écoles pour iden­ti­fier les moyens d’assurer l’avenir de l’école rurale.

    L’école rurale, et nous n’en sommes peut-être pas assez conscients, est l’archétype même de l’école com­mu­nale, qui a d’ailleurs été his­to­ri­que­ment pen­sée et conçue pour le monde rural. Aujourd’hui encore, 20% des élèves étu­dient en rura­li­té et 34% des écoles en France sont rurales. Pour le chan­ce­lier Dar­cos, pré­sident de la Fon­da­tion et ancien séna­teur de Dor­dogne, « l’école rurale est un mythe au sens bar­thé­sien du terme de l’histoire fran­çaise.  (…) L’école est conçue comme le lieu sco­laire mais aus­si le lieu cen­tral de la commune. »

    C’est dans cette école à classe unique ou mul­ti­ni­veaux que tant d’inventions péda­go­giques ont été faites et cette for­mule péda­go­gique donne aujourd’hui encore, pour le pri­maire, de meilleurs résul­tats que ceux des écoles de centre-ville. En revanche aujourd’hui, à la dif­fé­rence des écoles nor­males, les INSP ne forment hélas plus à ensei­gner dans ce type de contexte péda­go­gique, en classes mul­ti­ni­veaux, avec une forte impli­ca­tion dans la vie com­mu­nale. Ce sont des tra­di­tions fécondes qui sont ici menacées.

    Mal­gré son suc­cès aca­dé­mique et son impor­tance pour la vita­li­té du vil­lage dans son ensemble, les écoles rurales sont fer­mées à tour de bras, selon une logique de ratio­na­li­sa­tion bud­gé­taire, l’étape inter­mé­diaire étant sou­vent le regrou­pe­ment des enfants en RPI (regrou­pe­ment péda­go­gique inter­com­mu­nal). C’est sou­vent un drame. Les familles ne sont pas prêtes à faire des kilo­mètres et finissent par aban­don­ner leur vil­lage parce qu’il n’a plus d’école. Ces fer­me­tures ont été déci­dées uni­la­té­ra­le­ment par l’Éducation natio­nale, qui, comme l’explique Max Bris­son, séna­teur des Hautes-Pyré­nées et ins­pec­teur géné­ral hono­raire de l’éducation natio­nale, se pense (à tort) comme une admi­nis­tra­tion réga­lienne et n’a pas la culture de la concer­ta­tion et de la contrac­tua­li­sa­tion avec les ter­ri­toires. Comme l’explique David Djaïz, haut fonc­tion­naire et essayiste, il fau­drait faire davan­tage confiance aux acteurs et davan­tage coopé­rer que nous ne le fai­sons aujourd’hui, et défi­nir les RPI ou la carte sco­laire en étroite coor­di­na­tion avec ces élus locaux. Mais, comme le disent les socio­logues des orga­ni­sa­tions Oivier Bor­raz et Hen­ri Ber­ge­ron : « La France est un pays satu­ré d’organisations mais qui orga­ni­se­ra les organisations ? »

    Face à ces logiques admi­nis­tra­tives bru­tales, des acteurs de ter­rains se battent pour pré­ser­ver leurs classes, inno­ver et expé­ri­men­ter. Encore faut-il que l’État laisse les ter­ri­toires expé­ri­men­ter et déro­ger aux lois géné­rales, comme c’est tolé­ré de la part des ter­ri­toires de REP+ en ban­lieues. C’est ce que réclament les élus locaux, tel le dépu­té du Loi­ret, Richard Ramos, ou Valen­tin Josse, maire et vice-pré­sident du conseil dépar­te­men­tal de Ven­dée, qui dit ne rien attendre d’autre de l’État que la lati­tude néces­saire pour expé­ri­men­ter au niveau local.

    « Je crois au plu­ra­lisme des solu­tions, dit le séna­teur Bris­son. Il faut sor­tir donc d’une culture au cor­deau et à l’équerre. (…) Faire de vraies conven­tions issues du ter­rain et non pas des­cen­dant de la rue de Gre­nelle et impo­sée aux ter­ri­toires (…) La confiance de ces der­niers est éro­dée car les conven­tions de rura­li­té ont sou­vent été le faux nez pour fer­mer les écoles. » Et Xavier Dar­cos, ancien ministre de l’Éducation natio­nale, d’abonder à ces pro­pos giron­dins : « c’est une uto­pie que de croire qu’on puisse depuis Paris gérer de manière unique et totale l’ensemble du sys­tème éducatif. »

    LES ÉCOLES LIBRES, UNE SOLUTION ?

    Cer­tains élus ont su sou­le­ver des mon­tagnes pour inno­ver loca­le­ment mal­gré la pesan­teur admi­nis­tra­tive de la capi­tale. Ain­si Sophie Gar­go­vitch a‑t-elle sau­vé de la fer­me­ture son école de vil­lage en la conver­tis­sant son école publique en école Mon­tes­so­ri, ce qui a convain­cu de nom­breuses familles, de nou­veaux com­merces et pro­fes­sions libé­rales de venir s’installer chez elle, à Blan­que­fort-sur-Brio­lance dans le Lot-et-Garonne… C’est aus­si le cas de Tur­sac en Dordogne.

    Mais la plu­part des expé­riences inno­vantes de redy­na­mi­sa­tion sco­laire de vil­lage ruraux se sont réa­li­sées à tra­vers la créa­tion d’écoles libres, à l’initiative ou avec le fort sou­tien de la municipalité.

    Le séna­teur Max Bris­son a sou­li­gné lors du col­loque de la Fon­da­tion Kai­ros que « la guerre sco­laire est un luxe qu’on ne peut pas se payer dans un ter­ri­toire en grande déprise démo­gra­phique. » Fon­der une école libre est évi­dem­ment une solu­tion prag­ma­tique, pour assu­rer la conti­nui­té sco­laire, se sub­sti­tuer à l’école publique fer­mée par l’État, et déve­lop­per une offre sco­laire au plus près des attentes des parents locaux et des atouts du territoire.

    « Pour­tant, ces actions de revi­ta­li­sa­tion rurale ne reçoivent aucun encou­ra­ge­ment ni aucun finan­ce­ment public »

    C’est ain­si que se sont déve­lop­pées de nom­breuses écoles libres asso­cia­tives à l’instigation directe de maires ruraux déter­mi­nés à rou­vrir leur école. Comme l’école libre Mon­tes­so­ri de Saint-Pierre-de-Fru­gie ouverte par Mar­cel Cha­baud, dans le cadre d’un pro­jet glo­bal don­nant une forte place au patri­moine et à l’écologie. Son ini­tia­tive inté­grée a ren­con­tré un suc­cès excep­tion­nel et a conduit le vil­lage à pas­ser de 360 à plus de 500 habi­tants. Il ne compte pas moins de 52 élèves ins­crits pour la ren­trée pro­chaine. Autre exemple, la renais­sance de l’école de Puy-Saint-Vincent dans les Hautes-Alpes grâce à l’ouverture d’une école libre par le maire Mar­cel Chaud. Fon­da­tion qui a convain­cu l’Éducation natio­nale de rou­vrir une classe dans ce vil­lage de Mon­tagne. On pour­rait citer aus­si l’école mater­nelle et élé­men­taire libre ouverte à Mon­ther­lant dans l’Oise, ou l’école libre ouverte à Céré-la-Ronde, grâce à la mobi­li­sa­tion finan­cière du maire et des conseillers muni­ci­paux qui sont allés jusqu’à don­ner leur solde d’élus pour rému­né­rer les professeurs.

    Par­fois c’est l’école catho­lique qui ferme et qui est reprise et sau­vée par des parents qui se réunissent en asso­cia­tion à but non lucra­tif pour sau­ver l’école. Ce fut le cas tout récem­ment à Saint-Nico­las De Brien­non dans la Loire, à l’initiative d’un groupe de parents catho­liques et de pro­fes­seurs, dont cer­tains issus d’un éco-hameau situé à la Bénis­son-Dieu. A la Bus­sière dans la Vienne, l’école Gil­bert Bécaud s’est ins­tal­lée dans l’ancienne école publique, sous les fenêtres du maire. À chaque fois, c’est un vil­lage qui renaît !

    Pour­tant, ces actions de revi­ta­li­sa­tion rurale ne reçoivent aucun encou­ra­ge­ment ni aucun finan­ce­ment public. Le droit en vigueur porte encore les stig­mates de la guerre sco­laire et inter­dit presque toutes les sub­ven­tions de la part des col­lec­ti­vi­tés locales aux écoles libres. Nombre de maires rêve­raient de pou­voir uti­li­ser le for­fait com­mu­nal qu’ils doivent ver­ser aux com­munes voi­sines pour les élèves pro­ve­nant de leur com­mune à une école qui serait située sur leur propre ter­ri­toire. Mais c’est impos­sible et ces écoles ne peuvent attendre de secours que des dona­teurs privés.

    « Faut-il encore que la pas­sion éga­li­ta­riste et tech­no­cra­tique de la France ne prenne pas le des­sus sur ces jeunes pousses »

    Si l’on veut faci­li­ter l’essor des écoles rurales, il fau­drait déblo­quer les pos­si­bi­li­tés de finan­ce­ment public sur la base du volon­ta­riat, allé­ger les règles inter­di­sant à des per­sonnes de diri­ger des écoles si elles n’ont pas cinq ans d’expérience dans un éta­blis­se­ment d’enseignement, et amé­lio­rer les trans­ports, le droit de l’urbanisme pour que les PLUi cessent d’empêcher les néces­saires construc­tions pour l’école ou les familles atti­rées par l’école, appor­ter du sou­tien admi­nis­tra­tif  et de la mise en réseau aux maires et créa­teurs d’école – ce que l’association Créer son école s’est pro­po­sée de faire -, inno­ver notam­ment grâce aux cam­pus connec­tés pour per­mettre des pour­suites d’études supé­rieures tout en res­tant au pays (car aujourd’hui 23% des élèves ruraux, bien qu’ils aient en moyenne de meilleurs résul­tats, ne pour­suivent pas après le bac contre 15% en moyenne nationale).

    Les pion­niers ont ouvert la route pour assu­rer un bel ave­nir à l’école rurale. Faut-il encore que la pas­sion éga­li­ta­riste et tech­no­cra­tique de la France ne prenne pas le des­sus sur ces jeunes pousses. Il fau­dra être vigilants !

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • La France périphérique et les oubliés de la politique : panorama géographique (partie 2), par Fabrice VALLET (Juriste).

    OPINION. La France des oubliés identifiée par le géographe Christophe Guilluy a explosé à la figure d’un système médiatique aveugle à travers les GIlets jaunes. Comment ce phénomène de déclassement géographique a-t-il été enclenché ? Cette France des gens ordinaires parviendra-t-elle à se faire entendre en 2022 ? Éléments de réponse dans cette analyse en trois volets.

    La mise en lumière d’une « France périphérique », qui recouvre des territoires urbains, notamment de petites villes et de villes moyennes, périurbains les plus fragiles socialement, et ruraux, permet de souligner la place des nouvelles classes populaires à l’heure de la mondialisation. Face à un processus de désaffiliation universelle, le fait ou le sentiment d’enracinement local est une ressource essentielle pour les catégories populaires. Il apparaît ainsi que ces réseaux relationnels constituent un capital d’autochtonie en France périphérique. L’attachement à un territoire, à une cité, participe à une construction identitaire. La perte de ce capital d’autochtonie est l’une des causes de la fuite des quartiers populaires et banlieues des métropoles, mais aussi du regroupement dans des espaces périurbains et ruraux des catégories modestes d’origine française ou d’immigration ancienne. Le surinvestissement sur le territoire, la maison, son environnement culturel est désormais une tendance lourde dans les milieux populaires.

    Au sein de la France périphérique, la part des bas revenus, des chômeurs, des pauvres, des emplois précaires et des propriétaires pauvres y est surreprésentée. Cette nouvelle géographie sociale, qui s’impose en France, depuis 20 ans, révèle les contours d’une nouvelle sociologie, où les catégories sociales se définissent tout autant par leur statut socio-spatial que par leur degré d’intégration à l’économie-monde. Elle contribue à une recomposition du paysage politique entre ceux qui plébiscitent la globalisation libérale et ceux qui la subissent.

    Une France périurbaine et rurale

    Des marges périurbaines les plus fragiles des grandes villes jusqu’aux espaces ruraux en passant par les petites villes et villes moyennes, c’est 60 % de la population qui vit à l’écart des métropoles mondialisées. Ces espaces ouvriers et populaires se caractérisent par l’importance des ménages précaires et pauvres.

    L’ensemble de ces espaces forme la France périphérique, c’est-à-dire les agglomérations plus modestes, notamment quelques capitales régionales, et surtout le réseau des villes petites et moyennes. Il comprend aussi l’ensemble des espaces ruraux et les communes multipolarisées (dépendantes en termes d’emploi de plusieurs pôles urbains) et les secteurs socialement fragilisés des couronnes périurbaines des 25 premières agglomérations. La France périphérique comprend près de 34 000 communes et regroupe 61 % de la population. Les communes les plus fragiles sont concentrées dans la France périphérique qui regroupe 98 % des communes classées « populaire/fragile » représentant 72 % des Français vivant dans les territoires fragiles.

    L’implosion de la classe moyenne du périurbain subi s’illustre parfaitement dans l’exemple du canton de Brignoles. Sa localisation dans ces territoires est subie, dans le sens où si elles en avaient les moyens financiers, ces populations habiteraient probablement en périurbain plus proche ou plus chic. La fragilité sociale des habitants est une des caractéristiques du périurbain subi. Les problèmes financiers sont structurels (ayant du mal à s’acquitter du paiement des traites de leur maison, des nombreux déplacements, de l’obligation de posséder deux voitures) et de l'endettement répandu.

    La deuxième circonscription de l’Oise (Noailles/Chaumont-en-Vexin) comprend dans sa partie méridionale un espace périurbain subi, correspondant à des communes pavillonnaires qui ont accueilli des classes moyennes basses ayant fui la région Île-De-France. Dans sa partie septentrionale, elle se compose de territoires ruralo-industriels qui souffrent de la désindustrialisation et du chômage. Ce secteur illustre un contexte picard marqué par une très grande fragilité sociale.

    Dans le Sud, les ressorts du ressentiment social tiennent au chômage et à la précarité, mais aussi au séparatisme entre une population autochtone et une population d’origine immigrée plus jeune. Ce cocktail détonnant, que l’on rencontre aussi bien à Fréjus, à Béziers, à Cogolin ou Moissac, alimente la dynamique frontiste, et est essentiellement dû à la surreprésentation des familles immigrées dans le centre-ville et parmi les ménages pauvres.

    Initiative de quatre départements, l’Allier, le Cher, la Creuse et l'Allier, « les nouvelles ruralités » visent à s’appuyer sur le potentiel économique de ces territoires en favorisant un processus de relocalisation du développement et la mise en place de circuits courts.

    Au sein du rural profond, que ce soit dans la Mayenne, le Cantal ou la Corse, les ménages pauvres ruraux éprouvent des réticences à demander des aides qui les assimilent à des « publics pauvres ». La pauvreté rurale concerne surtout des ménages ouvriers et employés, des chômeurs et souvent des populations jeunes. Les ménages pauvres en milieu rural sont essentiellement des familles à faibles revenus d’activité avec des enfants. Aux populations pauvres déjà présentes (agriculteurs, ouvriers, personnes âgées, chômeurs, jeunes sans qualification) sont venus s’ajouter des néo-ruraux qui se sont installés à la campagne pour des raisons de coût du logement.

    Aujourd’hui, ce sont les communes peu denses de la France périphérique qui attirent le plus d’habitants en proportion. Les gens ordinaires n’ont jamais abandonné l’idée de préserver un capital social et culturel protecteur. Ils sont restés attachés à la préservation du bien commun et à une forme d’enracinement.

    L’équilibre fragile entre « accueillant » et « arrivant » a été remis en cause par la permanence et l’accentuation des flux migratoires. Il en a résulté l’évitement systématique des quartiers ou immeubles qui concentrent les minorités ethniques. Par ailleurs, on mesure peu le choc qu’a pu constituer l’émergence du multiculturalisme dans des quartiers populaires imprégnés d’égalitarisme républicain. Leurs habitants ont difficilement vécu le développement du différentialisme qui a contribué à une forme de racialisation des rapports sociaux. Cela a conduit les plus modestes à vouloir vivre dans un environnement où leurs valeurs restent des références majoritaires.

    Il s’ensuit que le désir de fuir la ville et ses quartiers difficiles, pour les ménages populaires, est plus fort que toute rationalité économique. Les gens ordinaires ne souhaitent pas vivre à côté « d’autres gens » qui utilisent parfois des kalachnikovs pour régler leurs différends. C’est naturel. Ces mêmes gens ordinaires ne souhaitent pas non plus scolariser leurs enfants dans des collèges susceptibles d’accueillir des adolescents violents. Des rapports parlementaires établissent que les dégradations d’immeubles gênent avant tout la population résidente et que les vols à la roulotte affectent plus particulièrement les propriétaires de véhicules à revenus modestes. D’autres rapports de police attestent que « les véhicules des personnes les plus modestes, pour lesquels elles n’ont pas de garage personnel et dont peu sont munis d’alarmes, restent des journées et des nuits entières le long des rues sur des parkings des cités HLM… Ce sont également elles qui fréquentent les grandes surfaces dont les parkings sont un des lieux de prédilection des roulottiers. Pour elles, un vol d’autoradio ou d’accessoires représente, proportionnellement à leurs revenus, une perte importante. »

    Si beaucoup d’habitants ont vu leur paysage et leur environnement totalement bouleversé — comme en Seine–Saint-Denis, où en 1997, la population quittant le département était équivalente, à celle qui était accueillie —, sans avoir été consulté, les conséquences des effets destructeurs d’une immigration non maîtrisée ne datent pas d’aujourd’hui. Dans son célèbre essai, Louis Chevalier démontrait qu’un processus mêlant engorgement et déficit d’accompagnement provoquait l’entassement, l’insalubrité et une promiscuité explosive. Avec des conséquences immédiates : maladies, criminalité, peurs sociales. « Injures, graffitis, coups dans les portes, boîtes aux lettres descellées à la barre à mine, porte du hall arrachée, ascenseurs souillés par l’urine » sont souvent la vie quotidienne de nombreux habitants de HLM, et ne sont qualifiés d’incivilités qu’aux yeux de ceux qui en sont prémunis par la distance sociale et les inégalités dans l’habitat. Tout en faisant mine de repeindre les cages d’escalier, on encourage à casser l’ascenseur social. Les logiques économiques et foncières ont créé les conditions de l’éviction des nouvelles classes populaires des lieux de production. Lorsqu’on porte un diagnostic sur l’évolution d’un quartier de logements sociaux où les populations immigrées sont devenues majoritaires, on constate que les catégories populaires d’origine française, souvent des retraités, sont devenues minoritaires. Quant aux DOM-TOM, ils font aussi partie de cette France périphérique. Ces territoires perçoivent avec anxiété les effets de la mondialisation, le recul de l’Etat-Providence et l’intensification des flux migratoires.

    Depuis les années 2000, le ressenti des catégories populaires confrontées à l’intensification des flux migratoires, dans le contexte nouveau de l’émergence d’une société multiculturelle, a donné naissance à une insécurité culturelle. Un zonage impersonnel a relégué le peuple dans une « France périphérique » formée de zones éloignées, mal reliées aux centres-villes, peu sûres, constituées des paysages ingrats de cités ou de lotissements sommaires, avec des équipements insuffisants ou dégradés qui attestent l’échec de la « politique de la ville ». (Christophe Guilluy, Atlas des fractures françaises, 2000). Il a fallu l’alerte, bien étouffée, d’un Paul Yonnet, en 1993, observant qu’« après l’ouvrier, l’immigré était devenu la figure rédemptrice de la corruption capitaliste, et en cela, agent d’une inéluctabilité historique, dans l’imaginaire prophétique de la gauche »pour que près de trente ans plus tard, Emmanuel Macron reconnaisse, en 2019, que les bourgeois ne croisent pas l’immigration contrairement aux classes populaires qui vivent avec. Il est vrai que l’élite, dans ses quartiers réservés, échappe à la détérioration sociale jusqu’à en ignorer l’existence.

    Institutions, services & marchés négligent de plus en plus les populations périphériques. En effet, plus de 60 % des ouvriers ou employés parisiens n’habitent pas la capitale. Néanmoins, les banlieusards du réseau SNCF parisien empruntent toujours un matériel roulant vieux de plus de trente ans. C’est pourquoi les retards sont devenus banals, affectant en permanence de 10 % à 30 % des trains sur plusieurs trajets. Si la SNCF invoque des actes de vandalisme, elle ne peut malheureusement nier que le confort et la propreté se sont eux aussi dégradés.

    La transformation de l’économie française et son adaptation à la mondialisation économique se sont accompagnées d’un double mouvement de désindustrialisation des villes et de métropolisation des emplois.

    La France des petites et moyennes villes

    Ce sont les villes les plus touchées par la désindustrialisation et le chômage qui enregistrent les plus fortes poussées du Front national, comme Hénin-Beaumont, Saint-Dizier ou Hayange. Particulièrement dans les bassins miniers, la pauvreté s’incruste dans les petites et moyennes villes industrielles. De 2009 à l’été 2016, 1974 sites industriels ont été fermés en France. Ces fermetures se sont poursuivies début 2019 comme Ford à Blanquefort. Néanmoins, depuis de nombreuses années les plans sociaux à Gandrange, Beaucaire ou Lorient se multiplient. Et cela dans des villes où les pertes d’emplois représentent une part très importante de l’ensemble de l’emploi total de la zone concernée. Dans des villes aussi où les licenciements frappent d’abord des petites entreprises qui n’accompagnent pas les salariés par un plan social. Au sein des petites villes où l’emploi industriel était encore important, seuls la présence d’un important secteur « administration publique, enseignement, santé, action sociale » et le développement des services à la personne ont permis d’atténuer les effets de la crise.

    Pour la première fois dans l’histoire, les gens ordinaires sont contraints de se déplacer vers les territoires qui concentrent le plus d’emplois. Ces mobilités contraintes sont une des conséquences de la désindustrialisation des territoires périphériques. L’employée d’aide à domicile, l’ouvrière dans l’électronique ou la logistique, la bénévole d’une maison de retraite, le préparateur de commande, l’ouvrier du bâtiment et évidemment le chauffeur routier doivent parcourir des kilomètres et des kilomètres pour accomplir leur journée de travail. À la fin, des journées qui ne cessent de s’allonger et surtout un budget transport qui vient fragiliser des ménages modestes ayant des difficultés à boucler leur fin de mois.

    Une centaine de villes ont intégré en 2014 la géographie prioritaire « politique de la ville ». La nouvelle carte des quartiers aidés a été dessinée à partir d’un seul critère, celui de la faiblesse du revenu des habitants. Ce redéploiement de la politique de la ville permet d’intégrer une nouvelle question sociale, celle des territoires les plus à l’écart des zones d’emplois les plus actives. Ainsi, Villeneuve s/lot, Marmande, Joigny ou Beaune y font leur entrée.

    Autour de la France périphérique, un réel modèle de développement économique alternatif, basé sur une offre & une demande locale (circuits courts, économie circulaire, économie sociale) peut voir le jour dans la mesure où ces initiatives s’inscrivent durablement dans un processus global de relocalisation des activités industrielles.

    Les mécanismes de relégation géographique et culturelle ont alimenté la spirale de la relégation économique des territoires périphériques. Cette recomposition économique et sociale des territoires a cristallisé une nouvelle géographie sociale où les gens ordinaires sont de plus en plus contraints à la sédentarisation. Pour les couches populaires des espaces périurbains, ruraux et industriels, la mondialisation se confond avec une sédentarisation imposée par la faiblesse des revenus. En effet, ce sont des raisons économiques et foncières qui ont en réalité le plus contribué à séparer les catégories populaires en fonction de leur origine. Il est indéniable que la recomposition économique & sociale des territoires a été favorisée par la relégation en dehors des grandes villes des catégories populaires d’origine française et européenne.

     

    Fabrice VALLET
    Juriste
    Juriste de formation et doté de cinq diplômes d’enseignement supérieur, il dirige actuellement une association d’insertion dans les quartiers prioritaires de Clermont-Ferrand. Il a travaillé pour le Ministère de la Cohésion sociale, de la Justice et pour la Présidence de la République.Il est l’auteur de plusieurs articles, notamment « Sauver notre modèle social aujourd’hui » et « L’Euro : croissance ou chômage ? ». Il a participé à Nuit debout et aux Gilets Jaunes.

    Source : https://frontpopulaire.fr/

  • Pierre-André Taguieff: «Feux et failles du progrès, la grande désorientation à gauche».

    Pierre-André Taguieff. Mark Henley / Panos Pictures/REA

    Si la gauche n’a pas fait le deuil du Progrès, ce mot toujours magique commence désormais à être une source de divisions analyse Pierre-André Taguieff. Selon le philosophe et historien des idées, chaque frange à gauche essaie de démontrer en quoi ils seraient les vrais «progressistes», contrairement aux autres bien entendu.

    Le progrès ne va plus de soi, et l’idée de progrès s’est obscurcie à force d’être invoquée par des enthousiastes et instrumentalisée par des démagogues. Désormais, la référence au progrès divise plutôt qu’elle ne rassemble. Si le mot magique «progrès» reste mobilisateur, c’est paradoxalement parce qu’il produit du conflit entre les thuriféraires et les dénonciateurs du «progressisme» comme religion séculière.

    En France, ces divisions et ces affrontements traversent autant la droite que la gauche, extrêmes compris. Mais c’est surtout dans l’espace occupé par une gauche résiduelle et fragmentée, avant tout en raison de l’irruption fracassante de l’écologie politique, que se mène une guerre sans merci autour du progrès. Les évaluations positives et négatives du progrès jouent un rôle décisif dans les reclassements et les redéfinitions des courants de gauche. «Le progrès» a cessé d’être un marqueur idéologique de gauche. Il est devenu le plus puissant diviseur de la gauche.

    Ce serait s’aveugler toutefois que de s’en tenir au moment présent, et de conclure hâtivement à la fin du culte du Progrès. Les nombreuses éclipses du Progrès, cette idole des Modernes, n’ont pas empêché son triomphal retour dans des contextes fort différents.

    Une notion floue mais indispensable

    Le progrès est une notion floue mais indispensable, comme bien d’autres notions philosophiques descendues dans l’arène politique. Elle constitue la pièce maîtresse de l’autoreprésentation des Modernes. Dans la pensée sociale ordinaire, un progrès, c’est une nouveauté souhaitable, une innovation ou un changement qui répond à une attente ou un désir. Disons une amélioration reconnue comme telle. Il n’y a pas de débat sur une telle définition descriptive. Les controverses commencent et se multiplient dès lors qu’on veut formuler une définition du progrès en général.

    « Le progrès » est devenu le plus puissant diviseur de la gauche

    Rappelons sommairement que pour les premiers théoriciens du progrès à l’époque des Lumières, le genre humain avançait irrésistiblement sur la route du progrès, c’est-à-dire d’une transformation générale vers le mieux. Le processus d’amélioration était supposé nécessaire, linéaire, continu, irréversible et illimité. Les humains étaient donc embarqués, qu’ils le veuillent ou non, en direction de la perfection dans toutes les sphères de la pensée, de l’action et de la création.

    Telle est la vision nécessitariste du progrès, cette forme modernisée du fatalisme, qui a été soumise à la critique des philosophes comme à celles des faits historiques - rappelons que les massacres industriels du XXe siècle ont réveillé nombre de progressistes assoupis et que la dévastation de l’environnement a exhibé l’envers répulsif du progrès.

    Dans les échanges polémiques, la question de savoir ce qu’est «véritablement» le progrès est centrale. Face à ceux qui pensent classiquement le progrès comme croissance et développement sans fin, disons les «progressistes» au sens fort du terme (et qui sont tous des productivistes), on trouve ceux qui considèrent que le «vrai» progrès est dans la décroissance, dans l’acceptation d’une certaine austérité, de sacrifices et de privations pour «sauver la planète».

    Contre les partisans de l’optimisme technicien qui pensent que tous les problèmes politiques et sociaux peuvent être résolus par la science et la technique, s’insurgent ceux qui soulignent non seulement que le pouvoir de la techno-science a des limites, mais aussi qu’il engendre des effets pervers, qui peuvent être des catastrophes. Sans parler de ceux qui pensent, à juste titre, que les humains se posent souvent des problèmes qu’ils ne peuvent résoudre, ni par la science, ni par la technique.

    La dévastation de l’environnement a exhibé l’envers répulsif du progrès

    On peut définir sommairement la modernité à la fois comme l’âge des progrès techniques et scientifique, qui sont mesurables, et comme l’âge des rêves d’amélioration de la condition humaine, dont les traductions politiques sont multiples. Toutes supposent le culte du changement en tant que mouvement bon en lui-même, célébré comme une promesse de bonheur ou de justice, de liberté ou de solidarité, d’amour fraternel ou de paix universelle.

    C’est ce changement producteur de nouveautés supposées universellement désirables et chargé de réaliser les fins dernières qu’on rencontrait dans les théories classiques du progrès, chez Condorcet ou chez Saint-Simon. Ces fins ultimes dont l’accomplissement était supposé nécessaire dessinait les contours de l’insaisissable «monde meilleur» tant espéré, voire ceux, plus exaltants encore, d’une «humanité meilleure».

    Un nouveau pessimisme

    Lorsqu’on analyse les débats contemporains opposants les «progressistes» auto-déclarés à leurs adversaires, qu’ils nomment «conservateurs «ou «réactionnaires», on doit avoir à l’esprit la métamorphose contemporaine de la vision linéaire et nécessitariste, voire fataliste, du progrès comme évolution ou transformation inévitable, qui suffisait à remplir l’horizon d’attente des Occidentaux. Par l’effet de la diffusion croissante des croyances écologistes, cette vision longtemps dominante est en passe de changer de sens et de valeur: la marche fatale vers le mieux se renverse en marche fatale et finale vers le pire et l’anticipation enchanteresse devient anticipation anxiogène. Il y a là une grande inversion de sens et de valeur, qui bouleverse le champ des croyances politiques modernes.

    La marche fatale vers le mieux se renverse en marche fatale et finale vers le pire et l’anticipation enchanteresse devient anticipation anxiogène

    L’ébranlement de la foi dans le progrès annonce la fin de la modernité triomphante. Héritage de l’Aufklärung et du combat contre le mythe et la peur, l’esprit critique a fini par se retourner contre la foi dans le progrès, en la traitant comme une croyance relevant elle-même du mythe, réduit à un récit trompeur. Mais le mythe moderne du progrès nécessaire, ensemble d’illusions et de promesses intenables, est en outre dénoncé comme fondamentalement toxique.

    Porté par la magie de la prédication écologiste, l’anti-progressisme vertueux est devenu une vulgate, qui rend acceptables des perspectives catastrophistes inédites, lesquelles se traduisent soit par de nouvelles prophéties de fin du monde émises par les collapsologues, soit par des flambées d’utopisme révolutionnaire appelant à détruire la société marchande, voire l’Occident tout entier, supposé intrinsèquement coupable, accusé d’être la source de tous les malheurs du genre humain.

    Les écologistes occupent désormais le centre dynamique du camp anti-progrès

    À l’instar de la plupart des leaders politiques, qui pensent l’avenir à la lumière du progrès, le président Macron s’efforce de monopoliser les convictions et les passions dites «progressistes», en jetant dans l’enfer de la pensée réactionnaire ou conservatrice les positions de ses adversaires politiques, même lorsque ces derniers se réclament eux-mêmes du progrès. On plonge alors dans un océan de dialogues de sourds et d’arguments de mauvaise foi, chacun reprochant à l’autre de n’être pas vraiment ou pas suffisamment «progressiste».

    Quoi qu’il en soit, ces diatribes «progressistes» visant de présumés opposants au progrès présupposent que l’idée d’un «camp du progrès» est susceptible de rassembler la majorité des citoyens français. Or, désormais, l’étoile du Progrès est loin de jouer pour tous les citoyens le rôle de guide suprême pour la pensée et l’action. L’enthousiasme progressiste est en baisse, il paraît même être en voie d’extinction dans certains secteurs de la population.

    Cela dit, la référence positive au progrès ne se réduit pas chez le président Macron à une stratégie rhétorique, elle constitue un pilier de sa pensée philosophico-politique. Mais ce pilier s’avère fragile, ce dont il ne semble pas conscient. C’est pourquoi la grande tâche de ceux qui ne veulent pas en finir avec l’héritage des Lumières devrait être de repenser l’idée de progrès par-delà le progressisme, ce rejeton du culte productiviste et de la religion positiviste, qui postule l’existence d’une marche universelle et nécessaire vers le mieux.

    L’enthousiasme progressiste est en baisse, il paraît même être en voie d’extinction dans certains secteurs de la population.

    Cette vision nécessitariste du progrès oublie le hasard, la contingence et l’imprévu, elle néglige aussi le rôle de la volonté humaine. Elle est aujourd’hui fortement ébranlée. C’est pourquoi il paraît vain de l’ériger en méthode de salut en imaginant ainsi pouvoir déclencher de l’enthousiasme militant. Le résultat risque de se réduire à une profusion de discours incantatoires.

    «Progrès»: le grand diviseur de la gauche

    Quant à la gauche telle qu’elle est devenue, on constate qu’elle s’est divisée dans les positions prises face à plusieurs questions qui, dépassant le cadre stato-national, ont émergé depuis la fin du XXe siècle. En premier lieu, le surgissement des questions liées à la pollution de la planète, au réchauffement climatique et à la destruction de la biodiversité. Tous les militants de gauche, écologistes compris, sont tiraillés entre les promesses des «techno-prophètes» raisonnables et les prêches catastrophistes des collapsologues.

    Face à la gauche qui reste attachée à la religion du Progrès, on trouve une nouvelle gauche, qu’on peut appeler préservatrice ou «conservationniste», qui récuse tous les dogmes du progressisme. À cet égard, elle peut être traitée de «réactionnaire».

    En second lieu, l’irruption de l’islamisme comme nouvel ennemi mondial, abordé sous ses deux dimensions: l’islam politique avec ses stratégies de conquête (Frères musulmans, salafistes) et le terrorisme jihadiste. Face à la menace islamiste, la gauche s’est fragmentée, pour faire surgir deux camps antagonistes: d’un côté, ceux pour qui le combat contre l’islamisme doit se mener avec intransigeance au nom des Lumières, donc d’une certaine conception du progrès ; de l’autre, ceux qui placent au premier rang la «lutte contre l’islamophobie» au nom de l’idéal antiraciste.

    Face à la menace islamiste, la gauche s’est fragmentée, pour faire surgir deux camps antagonistes

    Face à une gauche engagée dans une lutte sans complaisance contre l’obscurantisme islamiste, on trouve une gauche qui, postulant que les musulmans sont désormais les principales victimes du racisme et des discriminations, prétend incarner un «antiracisme politique» dont l’un des postulats est qu’il existe en France un «racisme d’État» - alors même que la République française se caractérise par son antiracisme d’État sans équivalent. Cette gauche «islamismophile», dénoncée par les musulmans dits «modérés» ou «progressistes», peut être légitimement perçue comme «réactionnaire».

    Son antiracisme proclamé, qui trahit l’idéal des Lumières, peut être vu comme un pseudo-antiracisme au service de causes douteuses, oscillant entre une politique des identités ethno-raciales et une banalisation des normes islamistes de comportement et de pensée. Ayant tendance à voir de l’islamophobie partout, cette gauche pseudo-antiraciste s’emploie à limiter le champ de la liberté d’expression. Elle alimente l’esprit de censure, en criminalisant l’ironie et la satire.

    En troisième lieu, l’apparition de mouvements protestataires anti-élites, dits populistes, à l’extérieur du champ politique organisé. La gauche s’est divisée face aux Gilets jaunes: certains ont vu dans cette mobilisation populaire informelle la promesse d’une régénération de la démocratie, donc l’expression d’un progrès politique possible, alors que d’autres n’y ont vu qu’une régression de la contestation politique vers des formes impolitiques de violence s’accompagnant d’antisémitisme et de complotisme. Ici encore, la gauche s’est brisée en deux camps: les populistes-souverainistes et les sociaux-démocrates-pluralistes.

    En quatrième lieu, la montée des préoccupations et l’exacerbation des affrontements idéologiques concernant les questions de bioéthique, notamment à propos des pratiques biomédicales et des technologies de la reproduction humaine, qu’il s’agisse de la procréation médicalement assistée (PMA), du diagnostic pré-implantatoire (DPI), de l’avortement sélectif ou «thérapeutique» (interruption médicale de grossesse, IMG), de la Gestation pour autrui (GPA) ou de la thérapie génique germinale. Ces pratiques et ces techniques sont dénoncées par certains pour leurs «dérives eugénistes» ou pour leur caractère immoral et célébrées par d’autres comme des instruments d’émancipation.

    Ici encore, la gauche s’est brisée en deux camps : les populistes-souverainistes et les sociaux-démocrates-pluralistes.

    À gauche, on trouve des «progressistes» jouant la carte de l’extension sans fin des droits subjectifs (qu’illustrent les exigences de diverses minorités actives, dont les néo-féministes «radicales»), mais aussi d’autres «progressistes» qui appellent à fixer des limites au pouvoir des humains sur eux-mêmes. Ce que les premiers appellent «progrès», les seconds l’appellent «barbarie». Ils n’ont pas la même conception de ce qu’on appelle «civilisation», autre terme devenu problématique.

    En cinquième lieu, le surgissement d’un néo-féminisme misandre, d’affrontement, un lesbiano-communautarisme engagé dans une guerre permanente contre les mâles traités en ennemis, mais aussi contre les féministes universalistes accusées d’être complices du système patriarcal. La haine des mâles, de préférence les «mâles blancs», va de pair avec la haine de la République censée être une expression politique du patriarcat. Ces féministes ennemies se réclament du «progrès», terme auquel elles donnent un sens différent.

    En sixième lieu, le dynamisme idéologique des «politiques de l’identité», qu’elles prennent la forme douce du multiculturalisme (mieux nommé «multicommunautarisme») ou la forme dure du décolonialisme, laquelle implique de postuler l’existence d’un «racisme systémique» ou d’un «racisme d’État» dans les démocraties occidentales et de privilégier la dénonciation des discriminations censées dériver du fonctionnement même de la «société blanche». Face à cette nouvelle offre idéologico-politique qui, portée par une mode culturelle et légitimée par sa thématique «antiraciste», séduit une partie de la jeunesse, la gauche est fortement divisée.

    Au camp multiculturaliste-décolonial s’oppose le camp républicain-national, chaque camp ayant sa propre définition de l’antiracisme. Or, ces définitions sont mutuellement incompatibles et sources de conflictualité. La défense des minorités supposées discriminées dérive vers une tyrannie effective des minorités actives, incompatible avec le projet républicain d’une intégration des individus dans la communauté des citoyens sur des bases universalistes.

    Au camp multiculturaliste-décolonial s’oppose le camp républicain-national, chaque camp ayant sa propre définition de l’antiracisme

  • France : le refus de la puissance, par Henri ROURE.

    OPINION. On a trop souvent tendance à l’oublier, mais les atouts de la France ne se limitent pas au territoire métropolitain, bien au contraire. Le peuple français a toutes les raisons de rêver de grandeur, même si cette aspiration a été anesthésiée depuis tant d’années par l’impéritie de ses dirigeants et la soumission à l’idéologie néolibérale de l’Union européenne.

    5.jpgÀ écouter les informations des médias grand public, nous pourrions croire que la France se limite à sa partie européenne. Il est vrai que, depuis des décennies, nos gouvernants vivent sous l’influence d’un eurocentrisme exclusif les amenant à ne connaître que les voisins immédiats de la masse territoriale française la plus importante. Nombreux parmi ces politiques qui nous gouvernent ignorent que notre principal voisin est le Brésil avec lequel nous partageons une frontière de 730 kilomètres. Ils ignorent également que la France est un des tout premiers producteurs de nickel au monde et que sa superficie n’est pas de 550 000 km2 comme nous pouvons le lire dans quelques documents aussi incertains que catégoriques, mais de 679 796 km2, pour les seules terres émergées, si nous ne prenons pas en compte la Terre Adélie, et 1 111 196 si nous l’incluons. Leur indifférence, leur myopie ou leur ignorance les poussent à ne s’intéresser qu’à un futur économique restreint par une vision géographique aussi étroite que fausse. Ils demeurent aveugles à l’énorme potentiel de développement des près de 12 millions de kilomètres carrés de domaine maritime appartenant exclusivement à notre pays. À cet espace pourraient encore s’ajouter 1 million de kilomètres carrés. Nous sommes ainsi le second empire maritime au monde derrière les États-Unis. Qui le sait ? Ou qui souhaite le clamer ? À ce titre, la France appartient davantage au Pacifique qu’à l’Europe. À l’heure où le centre de gravité de la planète bascule vers l’Asie, il me semble bon de le dire !

    En fait, nous possédons tous les droits souverains sur ces espaces maritimes qui nous ont été accordés par la convention de Montego Bay signée le 10 décembre 1982, et entrée en vigueur le 16 novembre 1994, après sa ratification. La France est chez elle dans sa Zone économique exclusive (ZEE). Elle peut donc explorer, développer, exploiter les ressources biologiques et non biologiques des fonds marins et de leur sous-sol. Elle peut y exercer des activités économiques, y produire de l’énergie, y construire des îles artificielles… En bref, elle peut y mener, abstraction faite de la contrainte du milieu, les mêmes activités que sur sa partie émergée. Inévitablement de petits esprits poseront la question suivante : mais à quoi servent ces immensités aquatiques ? La réponse est pourtant évidente. L’avenir du monde, et donc de la France, se trouve à la fois dans l’espace et dans la mer.

    Nous savons qu’au-delà de la richesse halieutique, il existe la possibilité d’exploiter les fonds marins recouverts en grande partie de nodules polymétalliques. Il s’agit de petites boules brunâtres de 5 à 10 centimètres de diamètre. Ces concrétions se retrouvent dans les fonds marins entre 4 000 et 6 000 mètres de profondeur. Leur composition comprend des métaux de base comme le fer, le manganèse, le cuivre, le nickel, et le cobalt. Les teneurs sont comparables à celles des ressources terrestres. Les nodules recèlent également des éléments rares comme zirconium, vanadium, germanium, indium, tellure, molybdène et thallium. Argent, fer, silicium, titane, baryum sont aussi présents. Or il est manifeste que les industries nouvelles se révèlent grandes consommatrices de ces métaux. Ces terres et ces métaux rares s’avèrent indispensables à la fabrication de matériels comme les ordinateurs, les robots, les structures d’avions et les modules spatiaux. Ils sont notamment très présents dans les composants informatiques, dans l’électronique, l’environnement nucléaire, le spatial ou encore l’éolien. On sait, l’intérêt que représente le cuivre, qui fait l’objet de vols et de trafics, et son coût. Aujourd’hui, devant les envolées des prix des minerais, leur exploitation est devenue un enjeu stratégique. Ils sont un des éléments constitutifs de la souveraineté et de la puissance.

    Le développement de la Chine dans les domaines de pointe n’est pas étranger à cette situation nouvelle. On en prédit une pénurie mondiale alors que la République populaire de Chine possède 40 % des réserves connues. La détention de cette richesse, dans de telles proportions, peut lui conférer une dangereuse position dominante, une véritable hégémonie. Elle sert, naturellement, en priorité son industrie. Aussi cette ressource pourrait devenir un atout considérable pour la France à la condition que les décideurs veuillent bien accepter d’y prêter un regard attentif. Notre pays a ainsi tout intérêt à préserver ses possessions outre-mer pour valoriser ce potentiel minier. L’actuelle menace pesant sur la Nouvelle-Calédonie ne devrait pas être prise avec autant d’indifférence par nos gouvernants. Derrière le mouvement indépendantiste s’agite la Chine qui pourrait succéder à la France sur l’archipel et imposer sa loi prédatrice et renforcer considérablement sa puissance. C’est une évidence, nos DROM-COM, ne reçoivent pas toute l’attention qu’ils méritent. Leur présence dans l’ensemble national pourrait, pourtant, se montrer déterminante à court terme. Près de 3 millions de personnes y habitent. Ce sont des terres, souvent loin de la métropole, qui peuvent porter, au-delà de l’exploitation de la ZEE, une bonne part de l’avenir et de la grandeur de la France.

    Dans un passé récent, jusqu’en 1995, des atolls de Polynésie ont ainsi permis de développer notre arsenal nucléaire en accueillant le Centre d’essais atomiques. La Guyane, dont la superficie correspond, à quelques kilomètres carrés près, à celle de l’Autriche, grâce à sa position géographique équatoriale, apparaît de plus en plus comme un centre majeur de lancement d’engins spatiaux. De son sol décolle, en particulier, le lanceur franco-européen Ariane. La Nouvelle-Calédonie, malgré son étrange statut, fait de la France le deuxième producteur au monde de nickel. Les Antilles et la Réunion sont des producteurs de canne à sucre avec tous ses dérivés, de fleurs et de fruits tropicaux. Nouvelle-Calédonie, Martinique, Guadeloupe, Réunion et Polynésie disposent d’un considérable potentiel touristique, à peine ouvert. La Guyane possède une forêt peu exploitée comprenant des essences rares. Plus de 1200 espèces y ont été répertoriées. Elle recèle des ressources aurifères qui seraient les principales au monde. Les forces armées, Gendarmerie et Armée, sont contraintes pour défendre cette richesse, d’y mener de véritables opérations de guerre contre les orpailleurs clandestins, venus pour la plupart du Brésil voisin. La pêche à la crevette y est un complément économique. Du pétrole, en quantité importante, a été découvert, en 2011, au large du département.

    À vrai dire la classe politique française ne s’intéresse que très peu à cet espace qui confère pourtant des avantages considérables à notre pays. Une telle attitude est difficilement compréhensible à l’heure où la France, malmenée par toutes sortes de dérives sociales, morales et politiques, est à la recherche d’un nouvel élan. Cette classe politique au pouvoir est incapable de s’échapper de cette structuration de l’esprit qui la soumet à des pensées européistes et atlantistes. Elle est sans doute aussi tributaire d’une sorte d’idée reçue et étriquée qui lui fait considérer l’outre-mer comme un héritage obligé de l’empire colonial ; une sorte de fardeau économique qu’il est difficile d’alléger. Elle se dédouane alors, vis-à-vis de Bruxelles, par la faiblesse des obligations dérogatoires qu’elle croit devoir quémander à l’UE pour ces régions pourtant pleinement françaises. Une fois encore, nous ne pouvons échapper au constat des causes. Outre la responsabilité de dirigeants politiques nationaux aux conceptions obsolètes, l’UE phagocyte notre pays. Elle lui ôte toute possibilité de déployer vers le vaste monde, et par le biais de ces territoires extérieurs au continent européen, mais pleinement français, une énergie renouvelée, son intelligence et ses capacités d’imagination. L’UE écrase tout ce qui pourrait manifester des velléités de dimensionnement autonome de la part des États. La France, une fois encore, paie les frais des abandons de souveraineté qu’elle a concédés au profit de cette organisation internationale qui dénomme ces terres peuplées de citoyens français, des régions « ultrapériphériques » ! Or elles représentent pour la France un formidable atout pour le retour à sa dimension légitime. Pourtant rien n’est fait, par l’État, pour protéger et développer ces parties du territoire national menacées par la dislocation des protections douanières dans le cadre d’un libéralisme débridé.

    D’ailleurs, la libéralisation imposée des échanges a lourdement pesé sur leur fragile équilibre socio-économique. À titre d’exemple, les bananes des Antilles, réputées pour leur qualité, ont été pratiquement exclues du marché de l’UE, car concurrencées par les bananes produites à faible coût et de piètres valeurs, en Amérique latine, par les multinationales étatsuniennes. Dans la même trajectoire, l’UE ayant accepté de mettre un terme aux quotas sucriers a provoqué une crise majeure dans des départements où la canne à sucre est presque une monoculture. Alors que ces départements et territoires portent une partie de notre avenir, l’État français, soumis par la faiblesse morale et la carence de caractère de ses dirigeants aux injonctions de l’UE, n’ose prendre les mesures d’exception qui s’imposeraient outre-mer. Elles seraient, en réalité, une sorte d’investissement à moyen terme, dont le rapport pourrait s’avérer considérable. Des investissements de développement, dans le tourisme, l’industrie agroalimentaire, l’exploitation marine et sous-marine, résoudraient un chômage endémique, de l’ordre de 25 à 30 %, dans la plupart des départements et territoires. Le territoire néo-calédonien ayant, lui, un taux de chômage inférieur à celui de la métropole, probablement parce qu’il dispose d’un vaste espace encore à conquérir et un tempérament industrieux dans une partie de sa population. Il pourrait accueillir des citoyens venus d’autres régions de l’ensemble national, tout comme la Guyane pourrait également le faire. La création d’un organisme national dévolu à l’exploitation des océans, à l’instar de ce qu’a été le CEA pour le nucléaire, engerbant les entités existantes et disposant des moyens nécessaires, pourrait s’avérer un formidable stimulateur de développement. Ce n’est, malheureusement, qu’en modifiant fondamentalement son organisation administrative, l’expression de sa démocratie, et en retrouvant la vision de son rôle dans le monde, que la France pourra valoriser ses formidables atouts que lui offre son outre-mer. Il m’apparaît donc urgent que les responsables gouvernementaux réalisent l’impérative nécessité de se séparer de la structure européenne qui ne cesse de brider l’avenir de notre nation et qu’une nouvelle définition des échanges internationaux soit établie sur une base protectrice de nos intérêts. Il s’agirait, sans clore nos frontières, de valoriser et privilégier nos ressources, aussi bien, d’ailleurs, ultramarines que métropolitaines, en imposant, par exemple, à tout pays commerçant avec la France, d’appliquer les mêmes normes et les mêmes obligations sociales. Dans cette hypothèse il faudra revoir, aussi, l’administration de ces départements-régions et territoires, de telle manière qu’en conservant la spécificité de chacun, soit confirmé un lien solide avec la République. Il serait dommageable pour la France de perdre progressivement ces terres d’outre-mer. C’est bien grâce à elles que nous possédons cette immense ZEE qui recèle des richesses dont la planète va massivement avoir besoin.

    Notons cependant que notre pays, après avoir mené une dangereuse politique de dégradation de son outil militaire, ne dispose plus d’une flotte suffisante pour assurer la protection de ces vastes étendues marines et sous-marines, pas plus qu’elle ne dispose des effectifs de l’armée de Terre, adaptés et spécialisés, pour assurer sa souveraineté sur ces terres qui lui valent cette richesse. Quant à l’aéronautique navale et à notre armée de l’Air et de l’Espace, elles ne comptent plus suffisamment d’appareils dédiés pour la surveillance de cette immense propriété nationale. Tout est lié ! Pourtant l’enjeu est majeur. Il est autant économique, alimentaire, énergétique que scientifique et géostratégique. La France, présente sur quatre continents — et également sur le continent antarctique grâce aux Terres australes et antarctiques françaises —, dispose de ressources énormes. Elle peut, si elle le veut, exploiter le potentiel énergétique des marées, le solaire, la biomasse marine, les ressources halieutiques, tout comme agricoles, mais aussi toutes les offres géologiques et minières recélées par les fonds marins, notamment au large de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie. L’ensemble de ces productions et matières premières, il s’agit d’un fait notable, stimulerait l’ensemble économique national et pourrait utilement générer un sursaut industriel. Ce potentiel permettrait de réaliser l’indépendance énergétique de nos départements et collectivités d’outre-mer, mais aussi donnerait à nos entreprises des atouts essentiels de compétitivité, ouvrirait de nouveaux marchés, vivifierait grandement l’efficacité industrielle de la France en la mettant en tête du progrès et des innovations structurelles de l’économie.

    En effet, les océans qui couvrent 71 % de la superficie de la planète abritent la majorité de la vie sur Terre (50 à 80 % selon les estimations). Ils génèrent plus de 60 % des ensembles écosystémiques qui nous permettent de vivre, à commencer par la production de la majeure partie de l’oxygène que nous respirons. Il est certain que la mer et les fonds marins, statistiquement, représentent la plus grande part des ressources de la planète. Elle doit donc être exploitée avec soin en prenant garde à ne pas ajouter à la pollution actuelle, mais au contraire en cherchant à préserver ce capital où se jouera l’avenir de l’humanité. 28 % de la production de pétrole et 20 % de celle de gaz naturel proviennent déjà de la mer. Les fonds marins pourraient recéler 13 % des réserves de pétrole et 30 % des réserves de gaz naturel non découvertes. Les réserves minières pour quelques métaux, constituées par les nodules polymétalliques, sont estimées à des milliers de tonnes pour le manganèse, bien davantage pour le nickel, tout comme pour le cuivre, ce qui est considérable. La France est ainsi remarquablement placée, à la condition toutefois, que ses gouvernants cessent d’agir en technocrates, simples gestionnaires du quotidien, attentifs aux seules directives bruxelloises et portent, enfin, un regard géopolitique et national aux affaires du monde.

    Pour le moment, nous sommes amenés à constater, une fois encore, que face à une analyse objective et en propre du développement, nos responsables, indépendamment de leurs orientations politiques, refusent de penser autrement que par le prisme de l’ultralibéralisme et de ses vecteurs que sont les États-Unis et l’Union européenne. La France est vraiment une grande puissance anesthésiée par l’impéritie et l’aveuglement de sa classe dirigeante. Elle dispose pourtant de tous les atouts de la puissance. Contrairement à l’idée propagée, héritée de la fin de la période coloniale, selon laquelle les départements et territoires d’outre-mer seraient « les danseuses de la République », c’est bien grâce à eux que la France détient un statut planétaire. La France n’est pas européenne, elle est de tous les continents. Il est temps qu’elle reprenne en main sa destinée et accepte pleinement les énormes ressources qui sont les siennes au-delà du territoire métropolitain. Elle doit à nouveau déployer sa vision hors de ces organisations internationales qui l’asservissent et l’empêchent d’exprimer l’universalité de ses talents. Dans la perspective de l’utilisation de cet atout maître, il lui faut, bien sûr, réformer sa structure administrative sur la totalité de son domaine afin de mieux marquer son autorité, investir dans les instruments de souveraineté, mais aussi permettre l’accession au pouvoir de citoyens instruits des affaires du monde.

    Disposer d’un vaste territoire n’est pas le seul atout de la France, grande puissance. Armée solide, dissuasion nucléaire, second réseau diplomatique au monde, siège permanent au Conseil de sécurité, francophonie participent à sa puissance potentielle. Ces vecteurs nécessitent développement et mise en valeur. Bien sûr elle est aussi riche d’une économie prospère, mais un PIB n’a jamais été un facteur exclusif de dimension mondiale, contrairement à ce que d’aucuns voudraient nous faire croire. Nous sommes aveuglés par le système capitaliste ultralibéral imposé par les États-Unis classant les pays en fonction du montant, en dollars évidemment, de leur production. Si cette évaluation devait être déterminante, la Chine aurait été la première puissance mondiale dès le XIXe siècle et la Russie serait à un rang géopolitique inférieur à celui de l’Espagne ou de l’Italie. Quant à Israël, il ne ferait absolument pas le poids face à l’Arabie saoudite.

    Une puissance est avant tout une ambition. Pour notre pays elle se trouve probablement dans le peuple, sous forme de braises rougeoya

  • « Sur l’immigration, le débat existe encore dans les médias, plus dans l'opinion », par Clément Pétreault.

    ENTRETIEN. Pour Christophe Guilluy, inventeur du concept de « France périphérique », l’approche politique « par tribus » ne fonctionne plus.

    2.jpgGéographe, souvent attaqué par le monde académique, Christophe Guilluy est aujourd’hui un « intellectuel désaffilié », qui refuse catégoriquement de se rattacher à une école de pensée. Là n’est pas le moindre de ses défauts. Cet observateur clinique des transformations du pays produit des travaux qui ont rencontré un certain écho depuis quelques années.

    Il n’en fallait pas tant pour que le géographe – venu de la gauche – devienne celui qu’il fallait consensuellement détester dans sa famille politique d’origine, alors pourtant qu’il redonnait son lustre à des grilles de lecture on ne peut plus marxistes de nos sociétés… Christophe Guilluy décortique le malaise qui alimente les populismes. Interview.

    Le Point : Vous écrivez que « pour la première fois depuis les années 1980, la classe dominante fait face à une véritable opposition. Les gens ordinaires sont sortis du ghetto culturel dans lequel ils étaient assignés, ils ont fait irruption au salon ». Pour vous, le réveil des classes populaires est un mouvement inéluctable ?

    Christophe Guilluy : Pour comprendre les raisons d’un réveil des classes populaires, il faut remonter aux années 1980. Christopher Lasch, qui alertait sur la « sécession des élites », avait vu juste. Ce qu’il n’avait pas vu en revanche, c’est que ce phénomène s’étendrait au-delà des élites et toucherait l’ensemble des catégories supérieures. Elles aussi ont fait sécession. Ce n’est pas par stratégie ou volonté cynique, simplement, le modèle qui s’est imposé de fait ne permettait plus l’intégration économique du plus grand nombre. Ce modèle, c’est celui d’une mondialisation, synonyme à ses débuts d’une rationalité progressiste qui nous laissait croire, dans sa logique optimiste, que l’ouvrier d’ici allait être, pour son plus grand avantage, remplacé par l’ouvrier chinois.

    Il y a toujours eu des voix discordantes, à droite comme à gauche, pour refuser ce modèle…

    Oui, mais sans succès, car ceux qui doutaient étaient perçus comme des vieux ronchons, ce qui fut le cas de Jean-Pierre Chevènement par exemple. Pour le reste, le monde intellectuel, culturel, médiatique et les catégories supérieures allaient clairement dans le sens de ce qui semblait constituer à l’époque un progrès sympathique. Sauf que personne n’avait mesuré les effets sociaux qui allaient s’en suivre : la classe ouvrière s’est effondrée. Beaucoup pensaient à l’époque que ce phénomène se limiterait à la classe ouvrière et à la vieille industrie, au monde d’avant… Sauf que le phénomène a progressivement gagné le monde paysan, puis les petits employés d’une partie du secteur tertiaire, que l’on croyait pourtant préservé. C’est ce que j’ai appelé la désaffiliation économique des classes moyennes intégrées, qui hier étaient majoritaires. Ce modèle très inégalitaire a engendré une concentration des richesses et laissé de côté des pans entiers – finalement majoritaires – de la population occidentale. Cette réorganisation sociale s’est accompagnée d’une réorganisation géographique silencieuse très visible sur le territoire, avec l’hyper concentration des richesses dans les métropoles mondialisées.

    Le PIB n’a jamais cessé de progresser en France depuis les années 1980…

    C’est un modèle économique très pertinent, qui fonctionne tant que l’on garde les yeux rivés sur le PIB. Sur ces 40 dernières années, le PIB n’a cessé en moyenne d’augmenter. De manière globale, ce système fonctionne, mais n’intègre plus les classes populaires, ni économiquement ni culturellement. Nous sommes arrivés – et nous le constatons tous les jours – à un moment où les classes populaires ne se reconnaissent plus du tout dans la narration produite par la classe politique et la classe médiatique, nous sommes entrés dans l’ère de la défiance et d’autonomisation culturelle des catégories moyennes et populaires.

    Dans leurs stratégies électorales, les partis ne s’adressent plus qu’aux catégories supérieures et aux retraités.

    Comment expliquez-vous que les partis politiques ne soient plus capables de limiter cette défiance ?

    Les partis de droite et de gauche traditionnels ont été conçus pour représenter une classe moyenne majoritaire et intégrée. Ils ne conçoivent pas que cette classe moyenne et populaire majoritaire se soit désintégrée et continuent à s’adresser à une classe moyenne majoritaire qui n’existe plus. Le monde d’en bas ne se reconnaît pas plus dans le monde politique qu’il ne s’intéresse au cinéma français subventionné… Dans leurs stratégies électorales, les partis ne s’adressent plus qu’aux catégories supérieures et aux retraités. Cela pose un vrai problème, car leurs représentations de la société n’ont pas changé, ce sont toujours celles des populations intégrées.

    Donc d’après vous, c’est ce décalage brutal entre la réalité et les représentations qui fait naître la défiance ?

    Cette autonomisation culturelle et économique des catégories populaires ne s’est pas faite en un jour, c’est un processus, imperceptible au début, qui s’étale sur une quarantaine d’années, mais qui finit par devenir massif. Le concept de « France périphérique » a posé problème au monde académique, car je l’ai énoncé comme étant un « phénomène majoritaire », qui allait bouleverser la société tout entière. À partir du moment où il existe un bloc majoritaire, mais non représenté, il devient logique qu’il y ait une réaction. C’est ce qui s’est produit à l’occasion d’événements comme le Brexit en Grande-Bretagne par exemple.

    Est-ce une manière de dire que l’on confond les causes et les effets ? Que l’irruption de figures populistes ne serait que la conséquence d’un vide politique et non un horizon espéré par les classes populaires ?

    Les gens ordinaires utilisent des marionnettes populistes pour dire « nous existons ». Sauf que cette nouvelle organisation modifie la nature du conflit. Les mouvements sociaux prennent des airs de « mouvements existentiels ». C’était le cas des Gilets jaunes où l’on a vu sortir les catégories fragilisées et se constituer en bloc. Le message était « nous sommes encore la société, nous ne voulons pas mourir et nous cherchons une offre politique pour répondre à nos demandes ».

    À quoi ressemblerait un parti politique qui défend réellement les classes populaires ?

    Pour l’heure, aucun parti ne les représente, c’est ce qui explique l’importance de l’abstention dans ces catégories. Quand elles votent, elles choisissent souvent les partis dit populistes de gauche ou de droite. Par exemple, une fraction des classes populaires choisit le Front national pour mettre sur la table la question que les autres partis ne veulent pas traiter, qui est la question de l’immigration. Le RN existera tant que ce thème ne sera pas traité, mais en dehors de ce thème, c’est un parti qui n’existe pas, qui n’a pas de militants, pas d’ancrage… J’en viens de plus en plus à considérer l’élection comme un « sondage grandeur nature » dans lequel les catégories populaires nous disent « il y a un petit problème avec l’immigration et la société multiculturelle », ce que nous refusons d’entendre…

    Ce n’est donc pas la stratégie du RN qui serait « gagnante », mais celles des autres partis qui serait perdante ?

    Il existe presque autant de versions du RN que d’élections… Il faut se rappeler que le FN de Jean-Marie Le Pen était un parti d’extrême droite classique, qui s’adressait aux petits indépendants et à une partie de la bourgeoisie. Le FN est devenu ouvriériste lorsque la classe ouvrière a commencé à voter pour lui. Puis le FN a commencé à s’adresser à la France rurale quand le monde paysan a commencé à voter pour lui… Le problème des élites aujourd’hui, c’est qu’elles ont un tel mépris pour les classes populaires qu’à aucun moment elles ne s’imaginent que c’est l’absence de choix qui fabrique le choix par défaut.

    Pourquoi les politiques ne parviennent-ils pas à leur parler ?

    Je crois qu’il y a un sujet sur les représentations… La classe politique, tout comme la classe médiatique, est biberonnée à une vision totalement fictionnelle du monde, qui passe par une lecture panélisée des sociétés occidentales. C’est cette vision qui pousse les politiques à ne parler qu’à des segments de la société. Cette pratique de la politique par segments instaure une vision totalement néo-libérale de notre société. Il n’y a pas plus segmenté que la population des métropoles où l’on trouve des commerces hyper ciblés, correspondant à des catégories socioculturelles spécifiques. C’est la netflixisation de la société et des esprits ! De Sarkozy à Macron, ça pense en « mode Netflix », car dans le monde de Netflix il n’y a que des segments, que des tribus. À titre personnel, je pense que ce morcellement infini en tribus ne correspond pas encore à ce qu’est la société.

    Il existe quand même des sujets transversaux capables de constituer des majorités…

    Chaque campagne électorale nous le démontre ! Sur bien des thématiques, il y a des consensus majoritaires, que ce soit sur le travail, l’État providence, les modes de vie, l’immigration, l’organisation du territoire ou la sécurité… Sur toutes ces thématiques, une immense majorité de la population pense la même chose : les gens veulent vivre de leur travail, considèrent que l’on doit préserver les services publics, que l’on ne devrait pas bénéficier de droits sociaux sans travailler… Sur l’immigration, le débat existe encore dans les médias, mais il est clos dans l’opinion depuis 15 ans. Les deux tiers de l’opinion, voire davantage, pensent qu’il faut stopper l’immigration. C’est la même chose partout en Europe, aux États-Unis, au Brésil ou au Sénégal ! C’est anthropologiquement la même chose dans le monde entier. Préserver son mode de vie n’a rien de scandaleux, et lorsque je parle de mode de vie, je n’y inclus aucune lecture ethnique ou religieuse. Cette thématique du mode de vie est abordée de manière très consensuelle au Danemark par un gouvernement social-démocrate de gauche dirigé par une femme de gauche…

    Donc pour vous, tous les partis devraient se ranger à l’opinion majoritaire sur l’immigration ?

    Il y a en France des thèmes ultra majoritaires que n’importe quel parti politique normalement constitué ne devrait pas éluder. Sauf qu’on laisse de côté ces thèmes, pour cibler des segments électoraux qui, additionnés, permettent d’atteindre les 20 % nécessaires à une qualification au second tour. Cela signifie que celui qui gagne les élections est élu sur un programme ultra-minoritaire. Et c'est pourquoi depuis 15 ans, ceux qui sont élus à la tête du pays sont immédiatement minoritaires dans l’opinion. La défiance politique que l’on a pu voir dans l’anti-sarkozysme, l’anti-hollandisme, ou l’anti-macronisme atteint des niveaux extrêmes et inquiétants. Quand je parle du temps des gens ordinaires, c’est une invitation à s’inscrire dans une logique démocratique, donc majoritaire. Ce qui rend possible la cancel culture par exemple, c’est l’inexistence d’une majorité. Sans majorité culturelle, la nature ayant horreur du vide, toutes les minorités deviennent légitimes à faire exister leur vision culturelle du monde…

    Ne craignez-vous pas d’accentuer les fractures avec des discours de ce type sur l’immigration ?

    Depuis 40 ans, alors même qu’on leur dit qu’elles se plantent, les classes populaires ont fait le bon diagnostic sur l’économie, sur les territoires, sur l’immigration. Quand je dis classes populaires, certains pensent « petits blancs »… je précise donc que cette vision n’est pas ethnique, car la question de la sécurité culturelle est posée à tout le monde. Si nous voulons apaiser les choses, le seul levier républicain est l’arrêt des flux migratoires, notamment dans les « quartiers » – je déteste ce mot – où l’objectif devrait être de mieux faire « vieillir » la population pour apaiser les tensions. C’est que c’est un moyen rationnel, efficace et peu coûteux d’apaiser les choses. Je suis frappé aujourd’hui par la manière dont on présente les problèmes. L’exemple du salafisme est parlant. C’est un problème totalement mondialisé sur lequel aucune politique publique ne peut avoir de prise… raison pour laquelle il ne se passera rien. Jouer les gros durs devant les caméras sur ces sujets ne permet en rien d’apaiser les choses.

    Sous le mandat d’Emmanuel Macron, les obsessions identitaires ont littéralement explosé, de manière plus rapide et plus puissante que les pays voisins européens. Comment expliquez-vous ce phénomène, et accessoirement, comment le résoudre ?

    Soit la majorité existe, soit elle n’existe pas. Je vous renvoie aux travaux de Robert Putnam, l’historien américain qui avait démontré que plus une ville américaine était multi-culturelle, plus la défiance augmentait et plus le bien commun était réduit, car chacun était alors tenté de défendre le bien de sa communauté. Quel que soit le modèle, républicain-français, communautariste anglo-saxon, ou lié à l’État providence comme en Suède, on aboutit aux mêmes tensions. Le religieux monte partout et la question ethnique se généralise… Ce processus est d’autant plus rapide que l’on nie l’existence d’un mode de v

  • Bock-Côté : « Depuis une quarantaine d'années, on a assisté à la criminalisation progressive du sentiment national, »

     

    2293089609.14.jpgGRAND ENTRETIEN - Dans une charge contre le multiculturalisme et le politiquement correct, le sociologue québécois puise dans l'actualité récente des exemples éloquents : suppression du mot « race » de la Constitution, passages piétons aux couleurs de la gay pride à Paris... Bien d'autres sujets essentiels sont évoqués dans cet entretien foisonnant et sans concession réalisé par Alexandre Devecchio pour Figarovox [29.06]. Serons-nous d'accord sur tout ? Pas forcément. Sur le fond, sur la pensée si riche de Mathieu Bock-Côté, nous le serons, à l'évidence.  LFAR 

     

    Sur fond de moralisation de la question migratoire et de radicalisation féministe, les députés ont voté en commission le retrait du terme «race» de l'article 1er de la Constitution et y ont également introduit l'interdiction de « distinction de sexe ». Que cela vous inspire-t-il ? 

    Cela faisait un bon moment que la proposition d'un retrait du terme « race » de la Constitution traînait dans le paysage politique. On rappelle avec raison que François Hollande en avait fait la promesse lors de l'élection présidentielle de 2012. Le raisonnement est le suivant : si les races n'existent pas, comme on le dit aujourd'hui, pourquoi les mentionner ? Ils y voient l'aboutissement constitutionnel d'un antiracisme authentique. Pourquoi pas ?

    Mais il y a néanmoins un paradoxe étonnant sur lequel on doit se pencher : c'est au moment où on veut bannir le mot race que la question raciale resurgit au cœur de la vie politique, à travers l'action des groupuscules identitaires d'extrême-gauche, dont les Indigènes de la République sont emblématiques. La mouvance indigéniste entend achever la décolonisation en dénationalisant la France, ce qui implique à la fois sa soumission et sa conversion à un multiculturalisme qui veut non seulement réintroduire la race dans le débat public, mais qui veut en faire la catégorie fondatrice de la citoyenneté et de la représentation. Elle pousse à une racialisation des appartenances qui accule ensuite au séparatisme racial revendiqué, comme on le voit avec la multiplication des « rencontres non-mixtes pour personnes racisées » dans le milieu universitaire, pour emprunter les termes de la novlangue diversitaire. En fait, si on se penche un peu sur les textes de référence de cette mouvance, on constate qu'elle cultive un racisme antiblanc décomplexé. S'il y a une tentation raciste en France, elle vient de là. La mouvance indigéniste excite le repli communautariste et cherche à fissurer le noyau intime de la nation. Mais cela ne semble pas troubler exagérément les grands médias, qui accueillent les représentants de cette mouvance à la manière de grands démocrates. La haine raciale est officiellement proscrite, sauf lorsqu'elle vise ceux qu'on nous invite à appeler les « Blancs » parce qu'il s'agirait simplement d'une critique des « dominants » par les « racisés ». La mauvaise conscience occidentale a de l'avenir.

    Qu'on me permette un mot sur cette sociologie racialiste qui s'impose de plus en plus dans l'université. Faut-il mettre le Français, l'Allemand, l'Écossais, l'Anglais, le Russe, le Letton, le Québécois et le Néerlandais dans la même catégorie parce qu'ils sont « Blancs » ? Faut-il faire de même avec le Malien, l'Haïtien, le Kenyan et l'Afro-Américain parce qu'ils sont « Noirs » ? Cette racialisation débile des appartenances est incroyablement régressive : elle pousse à l'abolition de l'histoire et de la culture pour naturaliser les groupes humains en grandes catégories zoologiques. Mais puisque cette proposition vient de la gauche, ou du moins, d'une certaine frange de la gauche radicale, on l'accueille favorablement, ou du moins, sans trop la condamner.

    Alors devant cela, je me demande quel est le sens de ce vote des députés, qui me semblent incroyablement détachés du réel politique, auquel ils devraient pourtant porter attention. Que pensent les députés qui se sont ralliés à cet amendement de cette effrayante racialisation des appartenances ?

    Ce progressisme langagier peut-il vraiment réduire ou corriger les injustices et les inégalités ?

    Allons-y d'une évidence : le langage évolue, et d'une époque à une autre, il y a une forme de tri naturel qui n'est rien d'autre qu'un mouvement de civilisation des mœurs. Dans notre monde, on ne dit plus nègre, on ne dit plus rital, on ne dit plus youpin, et globalement, c'est très bien. L'histoire de la politesse nous rappelle que ce qui peut se dire ou ne pas se dire d'une époque à l'autre varie et on peut se réjouir que certaines insultes hier prisées méritent aujourd'hui à ceux qui les emploient une très mauvaise réputation. Il arrive aussi que ce souci de « politesse » bascule dans l'euphémisation du réel, lorsque le sourd devient le malentendant ou l'aveugle, le non-voyant. On ne sait pas trop ce qu'on gagne à parler ainsi, sinon à déréaliser le langage et à l'enfermer dans un univers autoréférentiel.

    Mais ce n'est plus de cela dont il s'agit ici dans cette orwellisation du langage qui caractérise aujourd'hui la langue médiatique. Souvent, il s'agit de masquer le réel, tout simplement, comme c'est le cas avec la référence obsédante au vivre-ensemble, au moment même où la société se décompose et s'effiloche. Il peut aussi inverser le sens du réel. Il faudrait se souvenir de Jacqui Smith, l'ancienne ministre de l'intérieur britannique, qui en 2008, avait affirmé qu'il fallait parler non plus d'attentats islamistes, mais anti-islamiques, parce qu'ils seraient contraires à la vocation naturellement pacifique de l'islam. De la même manière, quand un homme comme Jacques Toubon joue avec les chiffres et les définitions pour laisser croire que l'immigration massive n'a pas eu lieu en France depuis 40 ans, comme on l'a vu récemment, il s'engage dans un travail de falsification de la réalité qui pousse le commun des mortels à croire que les autorités cherchent moins aujourd'hui à agir sur le réel qu'à le dissimuler. Cette idéologisation du langage devrait nous pousser à relire Milosz et Koestler, qui ont consacré des pages lumineuses à l'aveuglement idéologique.

    La guerre culturelle, qui s'est substituée à la lutte des classes, est d'abord une bataille pour déterminer la signification de notre univers symbolique et pour transformer les codes et repères qui constituent le monde commun. On veut déterminer les paramètres de la perception commune et décider quels phénomènes sociaux ou aura le droit de voir ou non. Comment se représente-t-on la société ? Comment a-t-on le droit de la représenter ? En fait, le politiquement correct est un dispositif inhibiteur installé au cœur de l'espace public qui a pour fonction de refouler dans ses marges ceux qui affichent leur dissidence avec l'orthodoxie diversitaire. Et le politiquement correct se radicalise au rythme où la société diversitaire se décompose, comme s'il fallait à tout prix empêcher qu'on en tienne compte. De ce point de vue, le multiculturalisme est un régime idéocratique et autoritaire.

    Je vous donne un exemple : on parle beaucoup, depuis quelques années, d'une « libération de la parole xénophobe » et il est bien vu de s'en inquiéter. Il y aurait même une montée de l'intolérance en Europe, et la démocratie serait mise en péril par la tentation du repli identitaire - on connaît ce lexique. Mais on peut voir les choses autrement : depuis une quarantaine d'années, on a assisté à la criminalisation progressive du sentiment national, au point où même la forme la plus bénigne de patriotisme a été assimilée à une inquiétante dérive nationaliste. À travers cela, c'est le besoin d'enracinement qu'on a moralement disqualifié. Il n'est plus légitime, pour un peuple, de vouloir assurer sa continuité historique ou de défendre ses frontières devant l'immigration massive sans qu'on présente de telles aspirations comme autant de symptômes de la progression de l'extrême-droite dans la vie publique.

    Alors s'agit-il vraiment d'une libération de la parole xénophobe, ou du simple éclatement d'une digue idéologique et médiatique qui censurait le sentiment national ? S'agit-il d'un retour du racisme 70 ans après la deuxième guerre mondiale ou d'un refus enfin affirmé de xénophobiser tout ce qui relève de près ou de loin de la nation ? À tout le moins, on comprend que toute bataille politique suppose une bataille pour définir la réalité, mais celle-ci n'est pas infiniment malléable et elle finit par regagner ses droits, que nous la regardions en face ou non.

    Plus anecdotique, Anne Hidalgo a décidé d'installer de manière permanente des passages piétons LGBT après qu'un passage piéton « arc-en-ciel » a été recouvert d'insultes homophobes. Dans le même temps, l'Assemblée nationale sera pour la première fois pavoisée aux couleurs LGBT. Cette politique en direction des minorités, sous prétexte de lutte contre les discriminations, ne trahit-elle pas finalement l'idéal égalitaire et anti-communautaire républicain ?

    Je ne suis pas certain que cela soit si anecdotique. Ces insultes contre les homosexuels sont inadmissibles, évidemment, et il est bien qu'on le dise, qu'on le répète, même. Ils relèvent d'une bêtise crasse, abjecte et militante qui devrait avoir honte d'elle-même.

    Mais on voit ici comment le politiquement correct récupère ces insultes pour les instrumentaliser : on cherche ainsi à faire croire qu'elles seraient symptomatiques d'une renaissance du démon de l'homophobie qui hanterait la France. Il faudrait urgemment se mobiliser contre lui pour le chasser de la cité. Cela correspond à la sociologie diversitaire qui soutient que les sociétés occidentales se définiraient aujourd'hui essentiellement par une structure patriarcale, homophobe, raciste et sexiste qu'il faudrait faire tomber urgemment. Pouvons-nous raison garder ? On constate ici que le système médiatique est prêt à récupérer n'importe quel événement pour maintenir en vie ce grand récit de l'hostilité occidentale à la différence.

    XVM70472746-7bc0-11e8-9b13-5c6ef20204ff-400x500.jpgEt cela peut aller plus loin. Si la France suit la pente nord-américaine, c'est au nom de la lutte contre l'homophobie, et demain, contre la transphobie, qu'on voudra de nouveau la convertir à la théorie du genre ou qu'on militera pour la reconnaissance d'un troisième sexe normalisé dans les formulaires administratifs, et cela, pour en finir avec la représentation binaire de la différence sexuelle. Et comme on doit s'y attendre, à ce moment, ceux qui ne participeront pas aux applaudissements obligatoires seront rangés dans le camp des réactionnaires. Cela devrait nous amener à réfléchir à la « lutte contre les discriminations », à laquelle en appellent tous les politiques, sans prendre la peine de réfléchir au cadre théorique dans lequel elle s'inscrit et qui la justifie. La moindre différence est désormais pensée comme une discrimination illégitime à combattre.

    Autre chose. Il faudrait se questionner sur ce qui, dans le logiciel médiatique, permet de transformer un fait divers en fait politique. Ces insultes sont comprises comme un événement politique exigeant une réponse politique. Mais quelle est la matrice idéologique qui transforme les faits divers en faits politiques, et comment fonctionne-t-elle ? Pourquoi, par exemple, le scandale de Telford est-il traité comme un fait divers n'ayant aucune signification particulière ? Pourquoi avons-nous parlé avec tant de pudeur des agressions sexuelles à grande échelle de Cologne ? Pourquoi la hausse de l'insécurité causée par l'immigration massive est-elle tue, ou même niée, au point même où ceux qui en font mention passent pour des agitateurs racistes et des prêcheurs de haine ?

    En fait, tout ce qui remet en question la grandeur de la société diversitaire est abordé avec une gêne extrême : on craint que si l'information se rend au peuple, ce dernier n'en tire des conclusions indésirables. Alors on ira même jusqu'à criminaliser les porteurs de mauvaises nouvelles, comme on le voit avec les procès idéologiques à répétition, qu'ont subi bien des intellectuels et journalistes français ces dernières années.

    De manière plus large, est-on en train d'assister en France à un nouveau tournant politiquement correct? Régis Debray a-t-il raison de parler d'américanisation de l'Europe ?

    Je ne suis pas particulièrement porté à l'anti-américanisme mais je constate qu'il est aujourd'hui nécessaire de critiquer une nouvelle forme d'impérialisme idéologique qui vient d'Amérique et qui pousse chaque nation à la déculturation. Ce n'est pas être anti-américain que de ne pas vouloir devenir américain et de ne pas vouloir plaquer sur la France des catégories historiques et sociologiques qui n'ont rien à voir avec elle. Pour parler du politiquement correct, on pourrait peut-être même parler, pour s'inscrire dans l'histoire culturelle américaine, d'une forme de puritanisme idéologique, qui consiste à vouloir purger une société de toutes ses aspérités culturelles et symboliques, pour les rendre conformes au dogme diversitaire. Il faut refouler les mauvais sentiments que nous inspire la postmodernité et envoyer sans cesse à ses contemporains des signes ostentatoires de vertu, pour emprunter la formule de Vincent Trémolet de Villers. On le fera en dénonçant rituellement, et sur une base quotidienne, s'il le faut, les phobies qui polluent notre monde, quitte à en inventer des nouvelles, comme la grossophobie ! Ceux qui prendront la peine de s'intéresser à ce que devient aujourd'hui l'université américaine et aux types de controverses qui l'animent seront sincèrement horrifiés.

    Mais on peut aussi voir dans l'idéologie diversitaire qui a fait du politiquement correct son régime de censure médiatique une poursuite de la tentation totalitaire qui hante la modernité et qui se présente aujourd'hui sous un nouveau visage. De nouveau, on rêve à un monde réconcilié, réunifié et absolument transparent à lui-même. Un monde sans identités, mais aussi sans carnivores, sans fumeurs, sans buveurs, sans dragueurs, sans aventuriers et sans relations particulières, c'est-à-dire un monde sans amitié, absolument programmé, lisse, amidonné - un monde qui aurait fait mourir d'ennui un Joseph Kessel et qui donnerait des envies d'exil à un Sylvain Tesson. Nous recommençons à rêver de l'homme nouveau, mais il s'agit cette fois de l'homme sans préjugés, délivré de ses appartenances, de sa culture, de ses désirs et du vieux monde auquel il était encore lié. Le politiquement correct a pour vocation d'étouffer la part du vieux monde encore vivante en lui pour lui permettre d'enfin renaître après son passage dans la matrice diversitaire, purifié et prêt à embrasser une nouvelle figure de l'humanité, délivrée de cette préhistoire morbide qu'aura été l'histoire de l'Occident. Car pour que l'humanité nouvelle advienne, on doit d'abord en finir avec l'Occident en général et l'Europe en particulier. Si on ne comprend pas cela, on ne comprend fondamentalement rien au progressisme d'aujourd'hui.

    Ce politiquement correct a été embrassé depuis longtemps en Amérique du Nord. Quand est-il né exactement? Comment a-t-il imposé son hégémonie culturelle ?

    En un mot, il naît sur les campus américains, à partir de la fin des années 1960, et se développe jusqu'aux années 1980, où il commence à s'institutionnaliser dans l'université, avant de devenir médiatiquement hégémonique avec les années 2000. C'est le fruit des Radical Sixties et d'un croisement bien particulier entre le néomarxisme et les formes les plus toxiques de la contre-culture. Très schématiquement, il repose sur une critique radicale de la civilisation occidentale, accusée d'avoir construit une figure aliénante de l'homme, qu'il faudrait déconstruire en s'appuyant sur les différentes minorités qui auraient subi son hégémonie. Il faut dès lors attaquer ou censurer ce qui était encore hier la norme majoritaire de nos civilisations, et valoriser ce qui était marginalis

  • Comment le Pentagone a consciemment financé les Taliban via ses contractants, par Maxime Chaix.

    Alors que la Russie est accusée d’avoir payé les Taliban pour tuer des soldats américains, nous allons vous rappeler un fait méconnu : des contractants du Pentagone ont massivement payé ces mêmes Taliban pour qu’ils épargnent les lignes de ravitaillement de l’armée américaine en Afghanistan.

    En exclusivité pour nos abonnés, nous avons traduit une importante enquête sur ce sujet, qui n’avait pas été reprise dans les médias francophones lorsqu’elle fut publiée en 2009. L’on y apprend dans le détail comment le Pentagone a financé à contrecoeur ses ennemis taliban via ses sous-traitants, n’ayant pas d’autre choix pour ravitailler ses troupes et poursuivre cette interminable guerre d’Afghanistan.

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    « Comment les États-Unis financent les Taliban »

     

    Texte original par Aram Roston (The Nation, 11 novembre 2009)

     

    Traduction exclusive par Maxime Chaix

     

    Le 29 octobre 2001, alors que le régime des Taliban était attaqué en Afghanistan, leur ambassadeur à Islamabad donna une conférence de presse chaotique devant plusieurs dizaines de journalistes assis dans l’herbe. À la droite du diplomate taliban se tenait son interprète, Ahmad Rateb Popal, un homme à la présence imposante. À l’instar de l’ambassadeur, Popal portait un turban noir et une énorme barbe touffue. Il avait une tache noire sur l’orbite de l’œil droit, un bras gauche prothétique et une main droite déformée, à la suite de blessures causées par des explosifs lors d’une vieille opération contre l’URSS à Kaboul.

     

    Mais Popal était plus qu’un ancien moudjahidine. En 1988, un an avant que les Soviétiques ne fuient l’Afghanistan, il fut accusé aux États-Unis d’avoir planifié l’importation de plus d’un kilo d’héroïne. Son dossier judiciaire montre qu’il a été libéré de prison en 1997.

     

    Sautons alors en 2009 : l’Afghanistan est désormais dirigé par le cousin de Popal, le Président Hamid Karzaï. Popal a coupé et taillé son énorme barbe. Il est devenu un homme d’affaires extrêmement riche avec son frère Rashid. En 1996, dans une affaire distincte, ce dernier avait plaidé coupable d’avoir trafiqué de l’héroïne à Brooklyn. Les frères Popal contrôlent désormais l’immense Watan Group en Afghanistan, un consortium engagé dans les télécommunications, la logistique et, surtout, la sécurité. Watan Risk Management, la branche de mercenariat des Popal, est l’une des quelques dizaines d’entreprises de sécurité privée en Afghanistan. Clé de l’effort de guerre, l’une des firmes du Watan Group est chargée de protéger les convois de camions afghans qui voyagent de Kaboul vers Kandahar, et qui transportent le ravitaillement des forces américaines.

     

    Bienvenue dans le grand bazar des contrats militaires en Afghanistan. Il s’agit d’un véritable carnaval de personnages improbables et de relations louches. Ces derniers incluent des ex-responsables de la CIA et d’anciens officiers de l’armée américaines, qui se joignent aux ex-Taliban et moudjahidines afin de collecter des fonds du gouvernement américain au nom de l’effort de guerre.

     

    Dans ce carnaval grotesque, les sous-traitants de l’armée des États-Unis sont obligés de payer des insurgés présumés afin de protéger les voies d’approvisionnement américaines. Dans le cadre de l’opération de logistique militaire en Afghanistan, il est donc accepté que le gouvernement américain finance les mêmes forces que ses troupes combattent. Cette ironie est mortelle, car ces fonds représentent une énorme source de financement pour les Taliban. « Il s’agit d’une grande partie de leurs revenus », comme nous l’a déclaré l’un des plus hauts responsables de la sécurité du gouvernement afghan. En fait, les hauts gradés américains à Kaboul estiment qu’au moins 10% des contrats logistiques du Pentagone – soit des centaines de millions de dollars –, sont des paiements aux insurgés.

     

    Comprendre comment nous en sommes arrivés là nécessite de démêler deux fils. Le premier est l’ensemble de tractations entre initiés qui détermine les gagnants et les perdants dans les affaires afghanes. Le second est un mécanisme troublant, à travers lequel la « sécurité privée » garantit le fait que les convois de ravitaillement américain parcourant ces anciennes routes commerciales ne soient pas pris en embuscade par les insurgés.

     

    Le meilleur moyen de dérouler le premier fil est de nous intéresser à la NCL Holdings. Il s’agit d’une petite firme qui a noué avec les États-Unis un contrat de logistique militaire de plusieurs centaines de millions de dollars. À l’instar de la Watan Risk des Popals, la NCL est une société de sécurité agréée en Afghanistan.

     

    Ce qui fait la notoriété de la NCL Holdings dans les milieux des contractants à Kaboul, c’est l’identité de son principal directeur, Hamed Wardak. Il s’agit du jeune fils américain de [celui qui était alors] ministre de la Défense de l’Afghanistan, le général Abdul Rahim Wardak. Ce dernier fut d’ailleurs l’un des chefs des moudjahidines combattant les Soviétiques [dans les années 1980]. Hamed Wardak s’est immergé dans les affaires et la politique. Il a grandi et a été scolarisé aux États-Unis, où il fut major de promotion de l’Université de Georgetown en 1997. Il a obtenu une bourse Rhodes et a effectué un stage au sein du groupe de réflexion néoconservateur de l’American Enterprise Institute (AEI). Ce stage jouera un rôle clé dans sa vie. En effet, c’est à l’AEI qu’il noua des alliances avec des personnalités majeures des cercles américains de la politique étrangère conservatrice, comme feu l’ambassadrice Jeane Kirkpatrick.

     

    Début 2007, aux États-Unis, Wardak lança la société NCL, bien que cette firme avait probablement déjà opéré en Afghanistan. Il était logique de s’installer à Washington, en raison de ses relations dans la capitale. Parmi elles, nous pouvons citer Milton Bearden, qui est un ancien officier bien connu de la CIA. Bearden est une voix importante sur les questions afghanes ; en octobre [2009], il témoigna devant la Commission sénatoriale des affaires étrangères, où son président – le Sénateur John Kerry –, le présenta comme « un ex-officier traitant légendaire de la CIA et un penseur et auteur lucide ». Toutes les sociétés militaires privées n’ont pas un conseiller aussi influent que lui.

     

    Mais l’accord le plus important obtenu par la NCL fut le Host Nation Trucking [, qui est un ensemble de contrats de sous-traitance routière avec le Pentagone]. Plus tôt cette année, et malgré son inexpérience dans le transport routier, la NCL fut nommée parmi les six sociétés qui allaient gérer la majeure partie du ravitaillement américain en Afghanistan, fournissant du matériel au réseau de bases et d’avant-postes disséminés à travers le pays.

     

    Au début, ce contrat était important mais pas gargantuesque. Or, la donne a soudainement changé, comme un immense jardin qui fleurit. Au cours de l’été [2009], l’armée américaine annonçait une prochaine augmentation de troupes [, le « surge »], ainsi qu’une nouvelle doctrine baptisée « L’argent en tant que système d’arme ». Dès lors, le Pentagone étendit ce contrat de 600% pour la NCL et les cinq autres sociétés. Cet accord mettait en garde ses sous-traitants contre les conséquences désastreuses d’une absence d’augmentation de ces dépenses : « Nos militaires n’obtiendront pas la nourriture, l’eau, l’équipement et les munitions dont ils ont besoin ». Chacun des six contrats de transport routier militaire atteignit les 360 millions de dollars, soit un total de près de 2,2 milliards de dollars. Pour vous donner un ordre de grandeur, cet incroyable effort pour embaucher des chauffeurs afghans et acquérir les camions nécessaires sur une période de deux ans représentait 10% du PIB local. C’est comme si la NCL, qui était dirigée par le fils bien connecté du ministre de la Défense, avait trouvé de l’or pur.

     

    En effet, ce contrat permettait de poursuivre les efforts militaires américains en Afghanistan. « Nous fournissons tout ce dont l’armée a besoin pour survivre ici », m’a expliqué le chef américain d’une entreprise de transport routier. « Nous leur apportons leur papier hygiénique, leur eau, leur carburant, leurs armes, leurs véhicules. » L’épicentre de ce dispositif est la base aérienne de Bagram. Située à seulement une heure au nord de Kaboul, c’est de là que pratiquement tout est transporté par camion jusqu’aux confins de ce que l’armée appelle « la zone de combat », soit l’ensemble du pays. Garés près du point de contrôle d’entrée n°3, les camions s’alignent, changent de vitesse et soulèvent des nuages ​​de poussière alors qu’ils se préparent pour leurs différentes missions à travers le pays.

     

    Le véritable secret du transport routier en Afghanistan est d’assurer la sécurité sur les routes périlleuses, contrôlées par les chefs de guerre, les milices tribales, les insurgés et les commandants taliban. Le chef d’entreprise américain à qui j’ai parlé me déclara sans ambages : « L’armée des État-Unis paie essentiellement les Taliban pour ne pas avoir à leur tirer dessus. C’est de l’argent du Département de la Défense. » Manifestement, tout le monde s’accorde sur cette question.

     

    Mike Hanna est le chef de projet d’une entreprise de transport routier appelée Afghan American Army Services. Cette firme, qui opère toujours en Afghanistan, assurait ces missions pour les États-Unis depuis des années, mais elle a perdu le Host Nation Trucking que la NCL a remporté. Hanna nous expliqua les réalités sécuritaires locales avec clarté : « Pour déplacer vos camions, vous payez des gens dans différentes zones – certains étant des chefs de guerre, d’autres étant des politiciens au sein des forces de police. »

     

    Il ajouta que les prix varient en fonction de l’itinéraire : « En clair, on nous extorque. Là où vous ne payez pas, vous allez être attaqué. Nous avons juste nos gars de terrain qui vont là-bas, et ils rémunèrent qui ils ont besoin de payer. » Selon lui, les frais d’extorsion peuvent être élevés ou non. « Déplacer dix camions, c’est probablement 800 dollars par véhicule pour traverser une zone. Cela dépend du nombre de camions et de ce que vous transportez. Si vous avez des camions de carburant, ils vont vous facturer plus cher. Si vous avez des camions de marchandises, ils ne vous factureront pas autant. Si vous transportez des véhicules MRAP ou des Humvees, ils vous demanderont plus d’argent. » Hanna souligne que c’est juste un mal nécessaire : « Si vous me dites de ne pas payer ces insurgés dans telle ou telle zone, les chances que mes camions soient attaqués augmentent de façon exponentielle. »

     

    En Irak, l’industrie de la sécurité privée a été dominée par des entreprises américaines et mondiales comme Blackwater, opérant de facto comme des extensions du gouvernement des États-Unis. En Afghanistan, sachant qu’il y a beaucoup d’acteurs locaux, le milieu des contractants de Kaboul est nettement plus concurrentiel : « Chaque chef de guerre possède sa société de sécurité », m’a expliqué un dirigeant du secteur.

     

    En théorie, les sociétés de sécurité privée à Kaboul sont fortement réglementées, bien que la réalité soit différente. Trente-neuf sociétés ont obtenu des licences jusqu’en septembre [2009], date à laquelle ce nombre fut réduit à une dizaine. De nombreuses firmes agréées ont des liens avec la politique locale : tout comme la NCL appartient au fils du ministre de la Défense et la Watan Risk Management est dirigée par les cousins ​​d’Hamid Karzaï, l’Asia Security Group est contrôlé par Hashmat Karzaï, un autre parent du Président. Cette société a monopolisé une rue entière dans le quartier de Sherpur, où les prix sont élevés. Une autre entreprise de sécurité est contrôlée par le fils du président du Parlement, selon plusieurs sources. Et ainsi de suite. 

     

    De la même manière, l’industrie locale du transport routier, qui est la clé des opérations logistiques, est souvent liée à des personnalités importantes et à des chefs tribaux. L’Afghan International Trucking (AIT), qui est un transporteur majeur en Afghanistan, a versé 20 000 dollars mensuels en pots-de-vin à un responsable des appels d’offre du Pentagone, d’après son accord de plaidoyer devant un tribunal américain en août [2009]. L’AIT est une entreprise très bien connectée : elle est dirigée par le jeune neveu du général Baba Jan, l’ancien commandant de l’Alliance du Nord désormais chef de la police de Kaboul. Dans une interview, Baba Jan, un leader jovial et charismatique, a insisté sur le fait qu’il n’avait rien à voir avec l’entreprise de son neveu.

     

    Mais le cœur du problème est que les insurgés sont payés pour qu’ils n’attaquent pas les convois routiers. En effet, il existe peu d’autres moyens d’acheminer des marchandises vers les avant-postes de combat et les bases avancées où les soldats en ont besoin. Par définition, de nombreux avant-postes sont situés en terrain hostile, dans le Sud de l’Afghanistan. Les entreprises de sécurité ne protègent pas vraiment les convois de matériels militaires américains dans ce pays, tout simplement car elles ne le peuvent pas ; elles ont besoin de la coopération des Taliban.

     

    L’un des gros problèmes pour les firmes qui expédient ces ravitaillements américains à travers le pays est qu’il leur est interdit de s’équiper avec une arme plus lourde qu’un fusil d’assaut. Cela les rend inefficaces pour lutter contre les attaques des Taliban contre les convois. « Ils tirent sur les chauffeurs à 900 mètres avec des PKM », m’a expliqué un dirigeant d’une entreprise de transport routier basé à Kaboul. « Ils utilisent des [lance-grenades] RPG qui peuvent détruire un véhicule blindé. Les sociétés de sécurité sont donc pieds et points liés. À cause des règlementations, elles ne peuvent transporter que des AK-47, et c’est tout simplement ridicule. Je peux porter un AK – mais c’est juste pour me tirer dessus si je dois le faire ! »

     

    Ces règles existent pour une bonne raison, soit pour se prémunir contre les dommages collatéraux dévastateurs causés par les forces de sécurité privée. Pourtant, comme le souligne Hanna, qui dirige l’Afghan American Army S