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Rechercher : qu'est-ce que le Système

  • Pour réintégrer Maurras dans le paysage politique français...

    lafautearousseau se propose ici de vous faire découvrir Un patriote, nommé Maurras. Maurras est en effet inconnu du grand public, parce que volontairement ignoré par la conspiration du silence, entretenue par le Système pour lequel Maurras n'est pas "dangereux", mais "le seul dangereux", car il en a dénoncé les bases idéologiques et parce qu'il l'a remis en cause dans ses fondements révolutionnaires.

    C'est donc à une sorte de feuilleton, à la découverte de l'homme Maurras, que nous allons vous entraîner, d'ici les prochaines élections municipales.

    Celles-ci, nous l'avons dit, seront peut-être décisives pour l'avenir de la Maison du Chemin de Paradis, fermé aux Français aujourd'hui par le dernier Mur de Berlin d'Europe : celui, invisible, du sectarisme haineux de la Mairie communiste, qui préfère laisser fermée (en attendant qu'elle ne s'écroule ?) une belle demeure qui pourrait être intégrée au réseau des Maisons des Illustres, et devenir un centre national et international de recherches et débats intellectuels de haut niveau sur Maurras, sa vie, son oeuvre; un lieu culturel vivant et rayonnant...

    Du début février au 23 mars (fin de la première partie de notre campagne de sensibilisation pour la sauvegarde de la maison de Maurras) nous présenterons divers textes ou documents relatifs à Maurras, sa vie, son oeuvre... 

    Nous avons passé la semaine dernière en bonne compagnie, avec Axel Tisserand; nous passerons celle-ci en bonne compagnie également, cette fois avec Jean-François Mattéi et son intervention - le samedi 1er septembre 2012 - lors de la journée d'hommage à Charles Maurras, dans le jardin de sa maison de Martigues, pour le soixantième anniversaire de sa mort...

    MATTEI 1.jpgLe Chemin de Paradis (V/V)

    Tout l’ouvrage est donc conduit, avec la métaphore du « chemin », de la vie présente vers le Paradis futur à travers l’épreuve inéluctable de la mort. Le conte le plus remarquable, à cet égard, est celui des « Serviteurs ». Il se passe chez les Morts, comme dans le voyage d’Ulysse aux Enfers au cœur de l’Odyssée. Le narrateur, Criton (un coup d’œil au Criton de Platon qui visitait Socrate dans sa prison avant sa mort) se retrouve aux Champs-Élysées après son décès. Son ancien serviteur, Androclès, déplore que son maître soit mort comme lui et qu’il ne puisse plus régner sur ses esclaves. Et Maurras de justifier l’ordre inégalitaire de la vie grecque par un éloge de la hiérarchie qui structure une véritable communauté au lieu de la dissoudre dans un individualisme mortel.

    C’est ce que montre le conte « le Miracle des Muses », dans lequel on voit Phidias terminer la statue en or et en ivoire de Zeus à Olympie. Ulcéré d’avoir été peu rétribué par les prêtres du temple alors que la statue attire les visiteurs de toute la Grèce, il ouvre une école de sculpture où l’on blasphème les dieux, et il refuse l’aide des Muses alors qu’il sculpte leur bas-relief. Égoïste et vaniteux, il déclare qu’il mourrait plutôt que de devoir son art aux Muses et non à lui-même. Les Muses s’enfuient alors d’Olympie, et la statue de Zeus perd aussitôt son éclat, son front devient « terne et muet », tandis que toutes les statues de Phidias sombrent dans la décrépitude. Le sculpteur suit sa promesse et se donne une mort qui sera le sommet et le terme de son impiété.

    Que signifie cette mort qui frappe les personnages du Chemin de Paradis au moment même où ils sont au sommet de leur vie, de leur amour ou de leur art ? Maurras pose pour principe qu’il y a un point extrême de l’existence humaine. Lorsqu’il est atteint, seule la mort peut en garantir la pérennité. On le voit dans le conte « Le Jour des Grâces ». Le vieil Euphorion, élève de Pythagore et d’Empédocle, un homme sage donc, tue son esclave Syron. Celui-ci revient de Sybaris, capitale de toutes les voluptés, et lui raconte l’anéantissement de la ville par les dieux qui ont puni sa démesure. L’esclave lui-même a joui de ces voluptés, mais a miraculeusement échappé à la mort. Le sage alors le transperce d’un stylet parce qu’il n’a pas respecté l’équilibre de la nature. Et Euphorion de se dire en lui-même : « Rien d’entier ne demeure au monde, et la perfection entraîne la mort.  Dès que l’homme confine à Dieu, il est juste qu’il n’ait plus que faire de vivre ». Mais une telle sentence s’applique aussi à celui qui l’a prononcée. Le sage, à son tour, se donnera la mort parce qu’il est arrivé, en tuant son esclave, « au plus haut point de la sagesse ».

    Tout Le Chemin de Paradis est ainsi conduit par une esthétique de l’amour et de la mort qui exalte, et punit à la fois, la démesure, l’hubris, tout en évoquant, en contrepoint, l’idéal classique d’ordre et de mesure. Il se retrouve dans la tension constante entre les Religions et les Voluptés que le stade supérieur des Harmonies ne parvient pas, du moins en cette vie, à accorder. C’est ce que laisse entendre « La consolation de Trophime » qui appartient aux trois contes du cycle des Voluptés. L’action se passe en Arles. Une belle courtisane nommée Myrto, en hommage à la jeune Tarentine morte sous « la vague marine », veut mourir après avoir épuisé toutes les ressources du plaisir. L’évêque Trophime, étranger à la ville d’Arles, accourt pour essayer de l’amener à Dieu. Son nom grec signifie « le nourricier ». Mais Myrto ne se rend pas à l’enseignement de l’évêque qui veut la convaincre que « ce qui doit mourir » ne peut « persister dans sa forme heureuse ». En face de lui, le philosophe Philétas défend Myrto en s’appuyant sur la dialectique platonicienne de l’amour. « Elle est montée au plus haut point » de l’existence, et les arguments de Trophime ne la feront pas redescendre. Le philosophe arlésien défend ici l’« ascension dialectique » de l’âme de la courtisane au détriment de la conversion chrétienne que le prêtre lui promet. Myrto se laisse donc mourir, et la foule arlésienne, furieuse, mettra à mort le prêtre qui a échoué à la sauver.

    Maurras laisse à son lecteur le soin de comprendre qu’il est d’autres chemins de paradis que les chemins offerts par la religion. Ne peuvent y accéder que ceux qui ont accédé à un point extrême de perfection, serait-ce dans les voluptés, au-delà duquel l’homme n’attend plus que la mort. C’est la leçon du dernier des neuf contes du Chemin de Paradis : « Discours à la louange de la double vertu de la mer ». Sous une épigraphe de Frédéric Mistral, extraite de Mireille lors de la mort de la jeune provençale : « La mer, belle plaine agitée, est l’avenue du Paradis » (1), Maurras rappelle que c’est un « chemin étroit » qui conduit les hommes à leur terme, tout en leur signifiant à quel point ils seront toujours « inégaux à [leurs] espérances ».

    Jean-François Mattéi

    La Maison du Chemin de Paradis,

    Samedi 1er septembre 2012

     

    1. « La mar, bello plano esmougudo,

     Dóu paradis és l’avengudo », Mirèio, de Frédéric Mistral. 

    lafautearousseau

  • Bernanos.............. La servilité, par Frederic Poretti-Winkler.

    « Oui, pourvu qu'ils restent libres ! Non, s'ils souffrent que vous brisiez, par une mesure inouïe, le pacte national, car dès que vous aurez fait, par simple décret, des millions de Français soldats, il sera démontré que vous disposez souverainement des personnes et des biens de tous, qu'il n'y a pas de droit au-dessus du vôtre, et dès lors où s'arrêteront vos usurpations ? N'en arriverez-vous pas à prétendre décider du juste et de l'injuste, du Mal il et du Bien ? S'il en était ainsi un jour, que serais-je ? Vous auriez fait de cette vieille Chrétienté une espèce de Tyrannie analogue à celle des Barbares d'Orient…

    frédéric winkler.jpgMais l'Etat rival, tôt ou tard, fera la même chose que vous, et l’exception deviendra la règle, au consentement de tous, car je connais les hommes, moi qui suis une Patrie d'hommes. Ils trouvent la liberté belle, ils l'aiment, mais ils sont toujours prêts à lui préférer la servitude qu'ils méprisent, exactement comme ils trompent leur femme avec des gourgandines. Le vice de la servitude va aussi profond dans l'homme que celui de la luxure, et peut-être que les deux ne font qu'un. Peut-être sont-ils une expression différente et conjointe de ce principe de désespoir qui porte l'homme à se dégrader, à s’avilir, comme pour se venger de lui-même, se venger de son âme immortelle. La mesure que vous me proposez d’approuver ouvrira une brèche énorme au flanc de la Cité Chrétienne. Toutes les libertés, une à une, s'en iront par-là, car elles tiennent toutes les unes aux autres, elles sont liées les unes aux autres comme les grains du chapelet. Un jour viendra où il vous sera devenu impossible d'appeler le peuple à la guerre pour la défense de sa liberté contre l'envahisseur, car il n'aura plus de liberté, votre formule
    ne signifiera donc plus rien… » (La France contre les robots)
    « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration contre la vie intérieure. Hélas ! La liberté n’est pourtant qu’en vous, imbéciles ! »
    Le siècle des machines est celui de l’inhumanité : « l’angoisse s’est substitué à la foi ». « L’homme moderne est, avant toute chose, un déséquilibré, un anormal, et que cet homme ne pourra se sauver qu’en rompant avec la pseudo-civilisation qui détruit ses facultés supérieures. On s’obstine à ne dénoncer que les effets, sans vouloir remonter aux causes (Paul Sérant, Les dissidents de l’Action française) : « Avant d’oser parler de justice sociale, commencez donc par refaire une société, imbéciles ! » (La liberté, pour quoi faire ?). L’Etat moderne devient un « prodigieux instrument de contrainte et d’asservissement » à la fois tentaculaire, malfaisant, parasite même, vivant sur une masse d’individus que l’on rend anonyme et irresponsable : « mi-usurier, mi-policier, dont l’œil est dans toutes les serrures et la main dans toutes les poches », disposera bientôt, sans entraves, des libertés et des biens des citoyens. Il est devenu « un monstre », il a des besoins de montre, les monstres ne discutent pas, ils croissent, et leur croissance est leur seule loi. Ces organisations colossales qui ne sont plus à l’échelle humaine et qui se chargent de tout, assument tout, n’ont plus rien de politique » ». Il surveille nos vies comme nos consciences, contrôle nos besoins comme nos biens, limite notre liberté et demain ? Sera-t-il ce monstre dont la croissance sans limites tuera toute vie ?
    « Le citoyen moyen des démocraties s’attache encore désespérément à l’idée que, le cauchemar dissipé, il se réveillera dans le monde qu’il a connu jadis et qu’il pourra y jouir tranquillement de l’espèce de liberté qui lui paraît la plus précieuse – celle du commerce. En attendant, il spécule tant qu’il peut sur la hausse… » (Le chemin de la croix des âmes). Il va jusqu’à dire, plus loin que lorsque les dictateurs seront pendus, qu’on n’oublie pas d’y mettre à côté les grands spéculateurs internationaux : « …et qui pour vendre un peu plus longtemps aux dictatures leur houille, leur acier, leur pétrole, ont failli perdre le monde »
    Et puis, que peut comprendre un homme sortit de la matrice sociétale actuelle, conformiste et aseptisée. Cet homme actuel est formaté aux besoins d’une société matérialiste dont il accepte par résignation les menottes dorées. Que comprend-il encore de nos temps classiques, de nos temps médiévaux de grande lumière, où libres nous vivions. Peut-être étions-nous soumis à des disgrâces, des épidémies comme des inégalités multiples, mais quelle vie communautaire c’était alors. Que comprend encore cet homme aux lignes de Molière et de Racine, aux courbes de la Cathédrale de Chartres, comme à la grâce de Versailles. Est-il encore capable de frissonner aux dentelles des remparts de quelques murs transpirant l’histoire. Peut il apprécier l’éclosion d’une fleur comme le passage des nuages moutonnés aux couleurs arc-en-ciel. Peut-il encore apprécier la fraîcheur des sources sous les clairières, où chantent encore quelques elfes, naissant de notre subconscient imaginaire ? Il faudra un jour choisir le chemin de la vie où s’enfoncer dans celui destructeur de la technique. N’oublions jamais, comme le disait Bernanos, que nous avons le choix et c’est nous qui faisons l’histoire !
    Des monstres bureaucratiques menant une économie sans quartier, pour des masses sous tutelle de l’Etat. Un Etat caché sous des apparences libertaires impose des dictatures économiques donnant un : « idéal de réformes sociales destinées à assurer le confort des masses sous la tutelle croissante de l’Etat… Or chaque « victoire de l’égalité » est d’abord et avant tout une victoire pour l’Etat au détriment de la société. Quant aux masses, ces immenses agrégats d’individus désocialisés et impuissants, elles ne peuvent que se donner à des tyrans, ces derniers n’étant précisément que leur sublimation. A ces divers titres, les Etats démocratiques ne sont donc que des Etats totalitaires en pleine genèse et il est aussi ridicule de les opposer d’une manière tranchée que d’opposer le « têtard à la grenouille… » ». Selon Bernanos c’est une victoire de l’Etat sur la société. Les familles comme les individus ne sont plus que des masses « désocialisées », sans pouvoir, se livrant au bon vouloir de tyrans, les manipulant et les emmenant vers des sociétés concentrationnaires : « les régimes totalitaires n’avaient fait que parcourir en peu d’années le même chemin que les démocraties réalistes et matérialistes devaient parcourir en un siècle ou deux ». L’Etat républicain a réussi à supprimer la société d’Ancien régime, aidé d’ailleurs du Code civil, destructeur des familles : « Mon frère, je veux avoir à Paris cent familles, toutes s’étant élevées avec le trône et restant seules considérables, puisque ce sont des fidéicommis et que ce qui ne sera pas à elle va se dissocier par l’effet du Code civil. Etablissez le Code civil à Naples ; tout ce qui ne vous est pas attaché va se détruire en peu d’années et ce que vous voulez conserver se consolidera (grâce a l’institution des majorats). Voilà le grand avantage du Code civil. Il faut établir le Code civil chez vous. Il consolidera votre puissance puisque par lui, tout ce qui n’est pas fidéicommis tombe et il ne reste plus de grandes maisons que celles que vous érigerez en fiefs. C'est ce qui m’a fait prêcher un Code civil et m’a porté à l’établir » (Lettre de Napoléon Bonaparte à son frère Joseph). La société qui survit aujourd’hui n’est plus qu’une poussière d’individu, bref celle-ci est dans un état de décomposition et l’Etat qui reste par conséquent est omnipotent. L’Etat prend ainsi tous les pouvoirs qui jadis, constituaient la société civile. L’égalitarisme a tout nivelé ce qui, hier en était l’ossature : privilèges, corps, traditions, autorités, hiérarchie, droits. Bernanos s’insurge contre l’Etat qui a détruit la vie sociétale, composée de « l’ensemble des groupements particuliers qui la composent et se font assez rigoureusement équilibre ». Bref l’Etat moderne est un cancer et la société « un corps en train de pourrir. L’armature se fera de plus en plus rigide, prendra de plus en plus de place à mesure que le corps en occupera moins, jusqu’au jour où l’appareil orthopédique se sera tout à fait substitué au corps réduit à rien ». La destruction des corps intermédiaires, voulu par la Révolution, une certaine nuit du 04 aout et officialisé par l’Empire, entraîna l’horrible souffrance ouvrière du XIXe siècle. Ces corps protégeaient l’individu comme les familles dans l’évolution technique d’alors, désormais le progrès technologique, sans contrôle, est un des meilleurs instruments de massification pour l’asservissement progressif des peuples. La technique est aussi pour Bernanos, devenue trop présente, envahissante. L’Etat totalitaire « est moins une cause qu’un symbole, ce n’est pas lui qui détruit la liberté, il s’organise sur ses ruines ».
    Le système repose sur une fausse conception de l’homme. Pour le comprendre, il suffit de revenir sur les thèses rousseauistes, comme celles des « Lumières », qui engendreront celles du marxisme, par réaction, faisant de l’homme un « animal perfectionné ». Cette conception entraîne tous les abus possibles, comme les massacres et populicides. Ce n’est pas pour rien que selon l’historien juif Israël ELDAD : « La dernière pierre que l’on arracha à la Bastille servit de première pierre aux chambres à gaz d’Auschwitz. » Il appellera donc à une révolution « totale », spirituelle et élitiste contre la « religion du progrès », idée de « vieux acceptants » : « ce pitoyable alibi « d’hommes dévalués… préférant se venger sur l’histoire de leur dévaluation », idée qui justifie depuis deux siècles la résignation des imbéciles ». A cela Bernanos déclare que l’on ne subit pas l’histoire mais on la fait !
    F. PORETTI-Winkler (http://boutique-royaliste.fr/index.php…) à suivre..

  • L'Action Française face à la question sociale. Partie 1 : La condamnation du libéralisme, par Jean-Philippe Chauvin.

    2737274333.79.jpgL’histoire du royalisme, souvent ignorée par les monarchistes eux-mêmes alors qu’ils devraient être hommes de mémoire, est pleine de malentendus, de bruits et de fureurs, mais elle est aussi passionnante et beaucoup plus riche qu’on pourrait le croire au regard des manuels d’histoire ou des articles de presse, souvent ricaneurs ou polémiques, qui lui consacrent quelques pages.

    jean philippe chauvin.jpgDepuis quelques années, de nombreux colloques ont étudié l’Action française, accompagnés de publications universitaires ou érudites fort intéressantes, mais il reste encore de nombreux chantiers historiques à explorer sur cette école de pensée qui fut aussi (et surtout ?) une presse et un mouvement inscrits dans leur temps, avec toutes les pesanteurs de celui-ci et les risques d’incompréhension. Ces études, d’ailleurs, liées sans doute à l’esprit et aux inquiétudes de notre époque, pourraient être utilement complétées par celles sur les stratégies des princes de la Famille de France et sur les « royalismes provinciaux », parfois moins doctrinaires sans en être moins intéressants. A quand de grandes thèses sur les parlementaires royalistes d’avant 1940 ou sur la presse royaliste « hors-AF », comme La Gazette de France, dans laquelle écrivirent Maurras et Daudet, ou Le Soleil, fort peu maurrassienne ? La revue Lys Rouge, publiée il y a quelques années par la Nouvelle Action Royaliste, a ouvert quelques pistes de recherche qui mériteraient de ne pas être refermées avant d’avoir été complètement explorées…

     

     

    J’ai été amené il y a peu à m’intéresser à nouveau au sujet de l’Action française et la question sociale, fort bien traité par Bertrand Renouvin pour l’AF d’avant 1944 et abordé par Zeev Sternhell mais aussi par François Huguenin en quelques pages lumineuses, qu’il faudrait toutes citer. C’est un sujet passionnant, et qui aborde un pan de l’histoire politique et sociale de notre pays trop souvent négligé ou phagocyté par une certaine Gauche persuadée d’être la seule légitime à parler des ouvriers ou des salariés, à tel point que nombre de penseurs ou d’électeurs de Droite considèrent toute évocation du « social » comme une revendication gauchiste ou communiste…

     

     

    Contrairement à une idée reçue, l’Action Française n’a pas méconnu la question sociale, mais elle l’inscrit dans sa critique globale du libéralisme, et Maurras se réfère à Frédéric Le Play et, plus encore peut-être, au marquis de La Tour du Pin, véritable théoricien du corporatisme et de la décentralisation, en déclarant « Ce n’est pas La Tour du Pin qui est d’Action française mais l’Action française qui est de La Tour du Pin ». Au cours de l’histoire du mouvement royaliste, d’autres apports, au-delà des trois précédents cités, viendront enrichir la doctrine sociale de l’AF et, non pas seulement l’actualiser, mais bien plutôt la préciser et la contextualiser, comme le fera un temps Georges Valois, mais aussi Nel Ariès ou Firmin Bacconnier après lui, et Pierre Debray plus près de nous. Mais, pour l’AF, la question sociale n’est pas dissociable de la question politique, encore plus que du domaine économique.

     

    La question sociale ne naît pas exactement au XIXe siècle mais bien plutôt dès les années de la Révolution française, voire même dès le milieu du XVIIIe siècle quand Louis XV accepte (avant de se raviser quelques années plus tard) la libéralisation du commerce des grains (lois de mai 1763 et de juillet 1764), véritable coup d’envoi du libéralisme économique en France dont Turgot sera le représentant le plus emblématique à la suite de Montesquieu. Les lois d’Allarde et Le Chapelier, votées par l’Assemblée constituante en mars et juin 1791, défont le modèle social corporatif français (par la suppression des corporations, l’interdiction de s’associer et de faire grève, etc.), laissant l’ouvrier démuni face au pouvoir patronal et financier. A partir de ce moment-là, les travailleurs se retrouvent, au nom de la « liberté du travail » (qui n’est que celle de celui qui a les moyens d’en donner et de le financer, et non celle du travailleur même), soumis à la loi d’airain du capitalisme et de sa loi de l’offre et de la demande dans laquelle il n’apparaît plus que comme une variable d’ajustement. Comme l’explique l’historien maurrassien Pierre Gaxotte, la réaction est légitime face à ce libéralisme inique, et « tout le syndicalisme contemporain est une insurrection contre la loi Le Chapelier » : effectivement, le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle constitueront une sorte de « rattrapage » social pour les salariés pour retrouver, d’une part une dignité déniée par l’exploitation des ouvriers par les puissances d’argent, et d’autre part des conditions de travail plus favorables à la bonne santé des salariés d’usine ou de mine. L’Action française condamne ce libéralisme esclavagiste et Maurras y consacrera quelques fortes pages lors des fusillades de Draveil et de Villeneuve-Saint-Georges ou lors de certaines grèves des années 1900, du temps de Clemenceau, prenant le parti des ouvriers et dénonçant la République antisociale : « La Révolution a supprimé les organisations ouvrières et confisqué leur patrimoine, c’est depuis lors que l’ouvrier souffre et se révolte. » Les ouvriers privés de reconnaissance, empêchés d’être propriétaires de leur métier et dépendants du bon-vouloir des patrons forment le prolétariat, pire encore que le précariat contemporain : « Situation sans analogie dans l’histoire. Le serf avait sa glèbe et l’esclave son maître. Le prolétaire ne possède pas sa personne, n’étant pas assuré du moyen de l’alimenter. Il est sans titre, sans état. Il est sauvage, il est nomade. » C’est cette « expropriation sociale », cette désaffiliation née des lois libérales de 1791, qui empêche les prolétaires de sortir de leur condition misérable et qui les pousse parfois à se révolter contre la société toute entière quand il leur faudrait concentrer leurs efforts et leurs attaques contre le système qui a favorisé cette situation indigne.

     

    Dans un article paru dans La Revue universelle en 1937, l’essayiste Thierry Maulnier synthétisera en quelques paragraphes la pensée d’AF sur la question sociale, s’appuyant sur les textes écrits et revendiqués hautement par le théoricien de l’Action française : « Ceux qui connaissent tant soit peu l’histoire de la pensée maurrassienne savent qu’elle fut orientée dès ses débuts contre ce qu’elle considérait comme le principal adversaire (…) : le libéralisme. Or, le libéralisme a deux faces, l’une politique, l’autre économique. Ces deux faces, l’analyse maurrassienne ne pouvait les séparer. (…) Si le libre jeu des volontés individuelles ne produit pas naturellement, en politique, le bien de la cité, il n’y a aucune raison pour que le libre jeu des volontés individuelles produise davantage, en économie, le bien de la cité.

    « Non seulement la critique maurrassienne de l’individualisme devait conduire son auteur à dénoncer les ravages de l’économie sociale individualiste ; mais encore elle devait le rapprocher dans une certaine mesure des critiques socialistes, par une haine commune de l’individualisme régnant. S’il est deux idées qui dominent la philosophie maurrassienne, c’est bien, d’une part, l’idée du bien public, conçu comme différent de la somme des intérêts particuliers, supérieur à ces intérêts qui doivent plier devant lui ; c’est bien, d’autre part, l’idée qu’une société où les individus sont livrés à eux-mêmes est une société barbare, qui tend naturellement à l’anarchie et à la tyrannie des plus forts. » En rappelant ces vérités simples, Maurras, dans la ligne des catholiques sociaux et des contre-révolutionnaires du XIXe siècle, réfute la doctrine de l’éclatement individualiste qui sera synthétisée par Mme Thatcher sous la formule terrible « La société n’existe pas »… La démocratie française, fondée sur les individus plutôt que sur les personnes intégrées et enracinées, forme en fait ce que Marcel de Corte baptisera du nom de « dissociété ».

    (à suivre)

  • Quand CGT et MEDEF oublient leurs devoirs sociaux..., par Jean-Philippe Chauvin.

    471283652.2.pngEn cette période particulière, quelques efforts sont demandés à chacun d’entre nous, et cela dans tous les métiers et dans toutes les catégories sociales, ce qui n’est pas, au regard des enjeux, choquant en soi-même. D’autant plus que le temps du confinement, désormais dépassé, pourrait bien entraîner, si l’on ne s’en préserve, une véritable catastrophe économique et, au-delà, sociale : la crise est devant nous, affirment nombre d’acteurs et d’observateurs de la scène publique française, et le plus compliqué reste à venir.

    jean philippe chauvin.jpgEt c’est la capacité de la « nation productrice » à aborder les temps qui viennent qui sera déterminante : résilience, bonne volonté et esprit de service devront prévaloir, et cela fait sens dans une société qui n’est pas qu’un agrégat d’individus interchangeables. Justement, le vieux pays qu’est et que reste la France fait sens, et elle incarne cette durée et cette possibilité, à échelle humaine et historique, de « l’éternité renouvelée ». Sur ces fondations-là, la crise peut, sinon être évitée, du moins être amortie et quelques mauvais coups déviés. Le fait de naître français, de le devenir, de l’être engage : l’oublier ou simplement le négliger aux heures sombres peut être, civiquement parlant (au sens athénien de la cité, de la « polis »), une forme de trahison qu’il s’agit, non de dénoncer, mais de combattre et de dépasser pour en éviter les sinistres conséquences.

     

    Or, deux faits récents montrent que le bien commun n’est pas toujours envisagé par ceux-là mêmes dont ce serait le rôle de le défendre et de le promouvoir. Ils sont révélateurs de certaines maladies qui minent l’entente sociale nécessaire à la vie et à la prospérité raisonnée que chacun doit espérer, tout en y travaillant, pour sa communauté d’ensemble nationale, ce « plus vaste cercle communautaire qui soit, au temporel, solide et complet » et qui garantit la liberté et la survie de tous les autres. Le premier, c’est la politique d’obstruction du syndicat CGT à la reprise de la production dans l’usine automobile Renault de Sandouville (site de production de véhicules utilitaires), politique qui a abouti à l’arrêt complet de celle-ci, pourtant en cours de redémarrage la semaine dernière. Les raisons de cette obstruction, liée aux conditions de sécurité sanitaire au sein de l’usine ou, plutôt, aux procédures de convocation de la commission de santé et sécurité de l’établissement, sont, à bien regarder l’affaire, sans lien véritable avec la préservation de la santé des ouvriers, l’usine étant considérée comme l’une des plus exemplaires sur ce sujet sensible. Non, il s’agit juste d’une manœuvre assez indigne d’un syndicat qui, dans cette affaire, ne l’est pas moins et qui n’a agi que selon des considérations fort peu sociales, au risque de menacer l’existence même de nombreux emplois de Renault ! Après un tel mauvais coup, qui prive les salariés d’une reprise complète de l’activité sur le site prévue initialement pour cette semaine et désormais repoussée à quelques dizaines de jours, la CGT se retrouve isolée et décrédibilisée, au moment même où un syndicalisme fort et responsable serait absolument nécessaire pour participer au mouvement de redressement productif qu’il s’agit de favoriser et d’amplifier : avec une telle obstruction, « les clients ne risquent-ils pas de se tourner vers la concurrence si on ne peut plus produire ? », s’inquiète avec raison le délégué local de la CFE-CGC de l’entreprise. La CGT se comporte là en bien mauvais défenseur du monde ouvrier ! Là où il faudrait serrer les rangs (façon de parler, évidemment, en période de distanciation physique…) et se retrousser les manches, comme l’avaient commandé les prédécesseurs de M. Martinez aux ouvriers de 1945, cette centrale syndicale appelle à la démobilisation ou au blocage : Thorez et Frachon (secrétaire général de la CGT en 1945 et auteur du livre « La bataille de la production » que devraient utilement relire les cégétistes d’aujourd’hui...) doivent se retourner dans la tombe !

     

    Les autres syndicats de l’usine de Sandouville avaient participé à un cycle de négociations entre la direction et les représentants des salariés, au niveau du groupe d’abord, de la France puis de chaque site de l’entreprise, dans le cadre d’un dialogue social largement apaisé au regard des circonstances particulières de la pandémie, un dialogue qu’il faut sans doute renforcer mais qui, pour le coup, était plutôt équilibré. Mieux vaut la conciliation sociale que l’antagonisme des acteurs de l’entreprise entre eux, sachant que, le plus souvent, le rapport de forces n’est pas favorable aux salariés, surtout dans le cadre d’une mondialisation qui valorise plus les « avantages comparatifs » que le « progrès social ». Mieux vaut l’unité de l’entreprise face à l’adversité concurrentielle que le rapport de forces permanent et destructeur de la justice sociale autant que de l’entreprise elle-même ! Avec cette obstruction totalement inappropriée, la CGT, au lieu de servir les salariés, risque bien d’accélérer le déclin de l’emploi dans les usines automobiles françaises : beau gâchis ! En l’espèce, la fameuse formule de Maurras, « la politique du pire est la pire des politiques », s’avère bien définir l’attitude funeste de la CGT locale…

    Le deuxième fait que je qualifierai, là aussi, d’antisocial est le discours du MEDEF et de ses alliés d’experts libéraux qui ne raisonnent qu’en termes de croissance économique quand il faudrait, d’abord, penser en termes de prospérité, celle qui ne peut exister que si le social n’est pas négligé par l’économique. La croissance n’est pas toujours la prospérité, et la prospérité n’est pas qu’affaire de croissance : l’enjeu de l’avenir sera sans doute, justement, de penser « la prospérité sans la croissance », et de l’appliquer à ce monde, en procédant à un retournement de système (par la sortie de la société de consommation et de sa logique fordo-franklinienne). Ce qui est certain, c’est que le discours du « travailler plus d’heures et plus de jours dans l’année », et vouloir l’inscrire dans la loi, est plus que maladroit, c’est une faute sociale autant que stratégique : d’abord parce qu’il n’est pas utile de l’imposer par le biais législatif (ce qui paraît d’ailleurs contradictoire avec le libéralisme prôné qui, a priori, valorise plutôt la liberté que la contrainte…), les salariés, les indépendants et les chefs d’entreprise sachant bien que des efforts seront, évidemment, nécessaires pour sauver leur propre emploi et leur revenu ; d’autre part, pourquoi évoquer cela au moment où le confinement forcé et obligatoire pour nombre de travailleurs a été vécu, déjà, comme une contrainte plutôt que comme des vacances reposantes ? Bien sûr, les situations sont différentes d’un secteur d’activité à l’autre, mais le discours brutal du MEDEF a tendance à bloquer les bonnes volontés plutôt qu’à les susciter et à les soutenir. De plus, la réticence de ce même MEDEF à accepter quelques efforts financiers, en particulier par le moindre versement de dividendes aux grands actionnaires, et le chantage au départ fiscal de ceux qui pourraient être soumis à un ISF rénové, semblent prouver un comportement bien peu patriotique, au moment où l’État injecte tant d’argent, celui des contribuables (et pas des seuls actionnaires), dans l’économie réelle pour en éviter le collapsus. Dernier point : les chefs d’entreprise des grandes sociétés et les actionnaires les plus aisés (tous ne le sont pas, et le retraité qui compte sur quelques dividendes annuels pour améliorer un peu sa retraite ne peut être confondu avec les grands spéculateurs aux comportements de prédateurs) ne peuvent s’abstraire de leurs devoirs sociaux, au risque de ne plus être considérés que comme des profiteurs sans légitimité et s’attirer les foudres de l’opinion publique, à raison dans ce cas-là. La solidarité ne doit pas être un vain mot ou ne s’exprimer que dans le cadre de sa classe sociale d’appartenance : elle doit irriguer toute la société et ses catégories diverses, dans l’équité et la péréquation sociales.

     

    Sans justice sociale, une société ne peut que se déchirer et compromettre son rétablissement économique. L’oublier, que l’on soit syndicaliste CGT à Sandouville ou libéral de l’Institut Montaigne ou du MEDEF, c’est manquer à ses obligations de solidarité française, celle qui permet de traverser les tempêtes sans briser le navire ni jeter ses passagers par-dessus bord…

  • La cgt et le medef contre la solidarité française, par Jean-Philippe Chauvin.

    Source : http://www.actionroyaliste.fr/

    En cette période particulière, quelques efforts sont demandés à chacun d’entre nous, et cela dans tous les métiers et dans toutes les catégories sociales, ce qui n’est pas, au regard des enjeux, choquant en soi-même. D’autant plus que le temps du confinement, désormais dépassé, pourrait bien entraîner, si l’on ne s’en préserve, une véritable catastrophe économique et, au-delà, sociale : la crise est devant nous, affirment nombre d’acteurs et d’observateurs de la scène publique française, et le plus compliqué reste à venir.

    jean philippe chauvin.jpgEt c’est la capacité de la « nation productrice » à aborder les temps qui viennent qui sera déterminante : résilience, bonne volonté et esprit de service devront prévaloir, et cela fait sens dans une société qui n’est pas qu’un agrégat d’individus interchangeables. Justement, le vieux pays qu’est et que reste la France fait sens, et elle incarne cette durée et cette possibilité, à échelle humaine et historique, de « l’éternité renouvelée ». Sur ces fondations-là, la crise peut, sinon être évitée, du moins être amortie et quelques mauvais coups déviés. Le fait de naître français, de le devenir, de l’être engage : l’oublier ou simplement le négliger aux heures sombres peut être, civiquement parlant (au sens athénien de la cité, de la « polis »), une forme de trahison qu’il s’agit, non de dénoncer, mais de combattre et de dépasser pour en éviter les sinistres conséquences.

     

    Or, deux faits récents montrent que le bien commun n’est pas toujours envisagé par ceux-là mêmes dont ce serait le rôle de le défendre et de le promouvoir. Ils sont révélateurs de certaines maladies qui minent l’entente sociale nécessaire à la vie et à la prospérité raisonnée que chacun doit espérer, tout en y travaillant, pour sa communauté d’ensemble nationale, ce « plus vaste cercle communautaire qui soit, au temporel, solide et complet » et qui garantit la liberté et la survie de tous les autres. Le premier, c’est la politique d’obstruction du syndicat CGT à la reprise de la production dans l’usine automobile Renault de Sandouville (site de production de véhicules utilitaires), politique qui a abouti à l’arrêt complet de celle-ci, pourtant en cours de redémarrage la semaine dernière. Les raisons de cette obstruction, liée aux conditions de sécurité sanitaire au sein de l’usine ou, plutôt, aux procédures de convocation de la commission de santé et sécurité de l’établissement, sont, à bien regarder l’affaire, sans lien véritable avec la préservation de la santé des ouvriers, l’usine étant considérée comme l’une des plus exemplaires sur ce sujet sensible. Non, il s’agit juste d’une manœuvre assez indigne d’un syndicat qui, dans cette affaire, ne l’est pas moins et qui n’a agi que selon des considérations fort peu sociales, au risque de menacer l’existence même de nombreux emplois de Renault ! Après un tel mauvais coup, qui prive les salariés d’une reprise complète de l’activité sur le site prévue initialement pour cette semaine et désormais repoussée à quelques dizaines de jours, la CGT se retrouve isolée et décrédibilisée, au moment même où un syndicalisme fort et responsable serait absolument nécessaire pour participer au mouvement de redressement productif qu’il s’agit de favoriser et d’amplifier : avec une telle obstruction, « les clients ne risquent-ils pas de se tourner vers la concurrence si on ne peut plus produire ? », s’inquiète avec raison le délégué local de la CFE-CGC de l’entreprise. La CGT se comporte là en bien mauvais défenseur du monde ouvrier ! Là où il faudrait serrer les rangs (façon de parler, évidemment, en période de distanciation physique…) et se retrousser les manches, comme l’avaient commandé les prédécesseurs de M. Martinez aux ouvriers de 1945, cette centrale syndicale appelle à la démobilisation ou au blocage : Thorez et Frachon (secrétaire général de la CGT en 1945 et auteur du livre « La bataille de la production » que devraient utilement relire les cégétistes d’aujourd’hui…) doivent se retourner dans la tombe !

     

    Les autres syndicats de l’usine de Sandouville avaient participé à un cycle de négociations entre la direction et les représentants des salariés, au niveau du groupe d’abord, de la France puis de chaque site de l’entreprise, dans le cadre d’un dialogue social largement apaisé au regard des circonstances particulières de la pandémie, un dialogue qu’il faut sans doute renforcer mais qui, pour le coup, était plutôt équilibré. Mieux vaut la conciliation sociale que l’antagonisme des acteurs de l’entreprise entre eux, sachant que, le plus souvent, le rapport de forces n’est pas favorable aux salariés, surtout dans le cadre d’une mondialisation qui valorise plus les « avantages comparatifs » que le « progrès social ». Mieux vaut l’unité de l’entreprise face à l’adversité concurrentielle que le rapport de forces permanent et destructeur de la justice sociale autant que de l’entreprise elle-même ! Avec cette obstruction totalement inappropriée, la CGT, au lieu de servir les salariés, risque bien d’accélérer le déclin de l’emploi dans les usines automobiles françaises : beau gâchis ! En l’espèce, la fameuse formule de Maurras, « la politique du pire est la pire des politiques », s’avère bien définir l’attitude funeste de la CGT locale…

     

    Le deuxième fait que je qualifierai, là aussi, d’antisocial est le discours du MEDEF et de ses alliés d’experts libéraux qui ne raisonnent qu’en termes de croissance économique quand il faudrait, d’abord, penser en termes de prospérité, celle qui ne peut exister que si le social n’est pas négligé par l’économique. La croissance n’est pas toujours la prospérité, et la prospérité n’est pas qu’affaire de croissance : l’enjeu de l’avenir sera sans doute, justement, de penser « la prospérité sans la croissance », et de l’appliquer à ce monde, en procédant à un retournement de système (par la sortie de la société de consommation et de sa logique fordo-franklinienne). Ce qui est certain, c’est que le discours du « travailler plus d’heures et plus de jours dans l’année », et vouloir l’inscrire dans la loi, est plus que maladroit, c’est une faute sociale autant que stratégique : d’abord parce qu’il n’est pas utile de l’imposer par le biais législatif (ce qui paraît d’ailleurs contradictoire avec le libéralisme prôné qui, a priori, valorise plutôt la liberté que la contrainte…), les salariés, les indépendants et les chefs d’entreprise sachant bien que des efforts seront, évidemment, nécessaires pour sauver leur propre emploi et leur revenu ; d’autre part, pourquoi évoquer cela au moment où le confinement forcé et obligatoire pour nombre de travailleurs a été vécu, déjà, comme une contrainte plutôt que comme des vacances reposantes ? Bien sûr, les situations sont différentes d’un secteur d’activité à l’autre, mais le discours brutal du MEDEF a tendance à bloquer les bonnes volontés plutôt qu’à les susciter et à les soutenir. De plus, la réticence de ce même MEDEF à accepter quelques efforts financiers, en particulier par le moindre versement de dividendes aux grands actionnaires, et le chantage au départ fiscal de ceux qui pourraient être soumis à un ISF rénové, semblent prouver un comportement bien peu patriotique, au moment où l’État injecte tant d’argent, celui des contribuables (et pas des seuls actionnaires), dans l’économie réelle pour en éviter le collapsus. Dernier point : les chefs d’entreprise des grandes sociétés et les actionnaires les plus aisés (tous ne le sont pas, et le retraité qui compte sur quelques dividendes annuels pour améliorer un peu sa retraite ne peut être confondu avec les grands spéculateurs aux comportements de prédateurs) ne peuvent s’abstraire de leurs devoirs sociaux, au risque de ne plus être considérés que comme des profiteurs sans légitimité et s’attirer les foudres de l’opinion publique, à raison dans ce cas-là. La solidarité ne doit pas être un vain mot ou ne s’exprimer que dans le cadre de sa classe sociale d’appartenance : elle doit irriguer toute la société et ses catégories diverses, dans l’équité et la péréquation sociales.

     

    Sans justice sociale, une société ne peut que se déchirer et compromettre son rétablissement économique. L’oublier, que l’on soit syndicaliste CGT à Sandouville ou libéral de l’Institut Montaigne ou du MEDEF, c’est manquer à ses obligations de solidarité française, celle qui permet de traverser les tempêtes sans briser le navire ni jeter ses passagers par-dessus bord…

     

    Jean-Philippe Chauvin

  • COVID-19 : L’Europe sans masque, par François Schwerer.

    L’Union européenne, qui ne sert à rien pour juguler la pandémie et en a même, préventivement, aggravé les effets, veut se servir de cette crise pour renforcer son contrôle inutile…

    Alors que les Français entament leur quatrième semaine de confinement, nos hommes politiques semblent surtout préoccupés d’une chose : l’Union européenne. C’est le président Macron qui, le 26 mars, expliquait à l’occasion du sommet européen tenu par visioconférence : « Ce qui est en jeu, c’est la survie du projet européen. […] Le risque, c’est la mort de Schengen ». C’est Jean-Pierre Raffarin qui, deux jours plus tard, s’inquiétait : « La situation est dangereuse, le virus menace l’existence de l’Europe ». C’est Jacques Delors qui constatait avec amertume : « Le climat qui semble régner entre les chefs d’État et de gouvernement et le manque de solidarité européenne font courir un danger mortel à l’Union européenne »… Ce qui explique cette surenchère dans le pessimisme c’est que, depuis le début de la crise actuelle, l’Union européenne brille par son absence la plus totale[1]. Et cela, malgré les multiples incantations du président français de la République.

    françois schwerer.jpgQue reste-t-il des accords de Schengen ?

    Le 26 mars, après avoir longuement expliqué que fermer les frontières ne servait à rien, le président Macron avait demandé d’installer un contrôle aux frontières de l’espace Schengen. Sans succès. Le seul à avoir alors répondu, par avance, à son appel a été le président Trump lorsque, l’espace d’une journée, il avait interdit d’accès au sol américain les Européens provenant des pays appartenant à l’accord de Schengen. Le lendemain, il l’avait étendu à tous les Européens, Britanniques compris.

    L’Allemagne avait déjà fermé ses frontières avec l’Italie, puis avec la France. Par la suite, plusieurs pays de l’Europe du Nord ont pris une même mesure. À l’inverse, les Polonais et les Autrichiens exceptés, tous ont laissé les Grecs faire face, seuls, à l’invasion migratoire décidée par la Turquie. Le 13 avril le président français a réitéré sa demande de fermer les frontières extérieures de l’espace Schengen, faisant semblant d’ignorer que « nos » partenaires ne laissent pas les Français entrer sur leur territoire.

    En fait, une seule chose a fait réagir les fonctionnaires de Bruxelles et le Premier ministre Luxembourgeois. Les uns ont simplement écrit : « La pandémie de Covid-19 perturbe fortement le 25e anniversaire de l’entrée en vigueur des accords de Schengen, ce jeudi 26 mars. » Quant à l’autre, il n’a rien trouvé de mieux que de s’insurger contre la décision de fermer les frontières prises par l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et l’Autriche, les exhortant à « rétablir Schengen dans les meilleurs délais » car, dit-il, « la réintroduction de contrôles aux frontières communes entre certains pays ne peut être que ponctuelle et temporaire et elle doit se faire en conformité avec les traités ». Devant les décisions prises en ordre dispersé, la Commission européenne a fini par décider de fermer les frontières de l’espace Schengen, mais uniquement pour un mois, du 17 mars au 17 avril, et pour les déplacements non essentiels.

    Que reste-t-il du traité de Maastricht ?

    Sur le plan économique, ce n’est pas mieux. Les accords de Maastricht, déjà mis à mal depuis longtemps avec les crises économiques à répétition, ont purement et simplement volé en éclats. Il ne reste rien de la discipline budgétaire imposée à tous les États ayant adopté la « monnaie unique » ni des règles fixées à l’action de la Banque centrale européenne. Lorsqu’elle est intervenue pour la première fois dans le débat, Christine Lagarde a déclaré qu’elle n’avait pas à s’occuper de la différence de « spread » entre les divers pays européens, ce qui a aussitôt entraîné un nouveau plongeon de la Bourse… et conduit neuf pays (France, Italie, Espagne, Portugal, Slovénie, Luxembourg, Grèce, Belgique et Irlande) à réclamer la mise en œuvre, au-delà du MES (Mécanisme européen de stabilité), d’emprunts communautaires, baptisés « coronabonds ». « Nous devons travailler sur un instrument de dette commun émis par une institution européenne pour lever des fonds sur le marché », ont écrit, le 25 mars, les neuf chefs d’État concernés au président de l’Union européenne, le Belge Charles Michel. Mais ce mécanisme qui avait été créé en 2012 pour empêcher la Grèce de quitter le giron de l’euro n’est certainement pas adapté à la crise actuelle. Il ne faut donc pas s’étonner du fait que les Allemands et les Néerlandais ont répondu par une fin de non-recevoir. Sans oublier qu’une telle demande est une atteinte à la souveraineté de chacun des membres de l’Union européenne dans la mesure où il obligerait les États bénéficiaires des fonds ainsi obtenus de respecter une discipline imposée par les garants de la dette commune, notamment l’Allemagne.

    Que reste-t-il des quatre libertés fondamentales ?

    Il convient de rappeler que l’Union européenne se veut essentiellement un « espace » dans lequel sont placées au-dessus de tout les quatre libertés fondamentales que sont les libres circulations des biens, des services, des hommes et des capitaux. Or, les trois premières ont été plus ou moins annihilées par les diverses mesures de fermeture des frontières et de confinement. Au stade actuel, il ne reste plus véritablement en vigueur qu’une seule liberté : la libre circulation des capitaux ! Comme les marchés financiers sont fortement interconnectés et fonctionnent sans flux matériels réels, cette libre circulation ne concerne pas que l’Union européenne, mais le monde entier. Ceci est révélateur de la seule chose qui compte vraiment dans le monde d’aujourd’hui, et l’Europe en particulier : la finance.

    À quoi joue l’Union européenne ?

    L’Allemagne a refusé d’aider ses voisins et d’abord l’Italie qui se débattait pourtant avec une crise sanitaire dramatique. Elle a fermé ses frontières et mis l’embargo sur les matériels de protection et d’assistance respiratoire dont ses voisins avaient besoin. Si par la suite les médias ont largement communiqué sur le fait que les Allemands ont accueilli chez eux une vingtaine de malades, ils oublient que l’Allemagne, ayant imposé à ses partenaires une politique monétaire qui lui était favorable (euro oblige), a ruiné le système hospitalier de tous les pays de l’Europe du sud. Elle y est ainsi devenue quasiment le seul fournisseur d’appareils respiratoires. C’est ce qui explique qu’au début de la crise elle disposait de six fois plus de lits de réanimation que la France ou l’Italie et d’une importante possibilité de test alors qu’elle avait officiellement moins de cas graves à soigner.

    Profitant de cette désunion, la Russie et la Chine – et aussi Cuba – ont apporté à l’Italie d’abord, à la France ensuite, une aide importante qui faisait cruellement défaut. Toutefois, il ne faut pas croire que la Russie et la Chine aient agi uniquement par solidarité ; ce qui se joue là est un épisode de la guerre géopolitique que ces deux pays livrent aux États-Unis et pourrait donc avoir des conséquences non négligeables, y compris sur l’équilibre de l’Union européenne. Mais au lieu de se préoccuper sérieusement de la situation sanitaire des pays membres, cette Union européenne se penche sur son élargissement à deux nouveaux pays, l’Albanie et la Macédoine du Nord que l’on veut accueillir quoique ne respectant pas les conditions en principe requises pour adhérer, et sur l’exclusion de la Hongrie, accusée en fait de privilégier les moyens de protéger sa population sur la discipline européenne.

     

    Tous ont laissé les Grecs faire face, seuls, à l’invasion migratoire.

     

    L’ensemble de ces observations montre que s’il existe des institutions communes (Commission européenne, Cour de Justice de l’Union européenne, Parlement européen, etc.) il n’existe pas de volonté commune des États constituant cet ensemble hétéroclite et il n’existe pas non plus de « peuple » européen. Chaque État a suivi sa propre politique, en fonction de ses priorités, de son taux d’équipement en matériels divers et de la vitesse à laquelle l’épidémie s’est propagée chez lui.

    Quand le président Macron explique, le 13 avril, qu’il faut refonder l’Europe et « bâtir des solidarités et des coopérations nouvelles », on peut se demander s’il a vraiment en tête ce que souhaitent les Français ou s’il appuie, sans le dire, la position de l’ancien Premier ministre britannique, Gordon Brown, lequel appelle à la disparition pure et simple des nations. Dans une déclaration au Guardian, il avait constaté que « cette affaire ne peut pas être réglée au niveau d’un seul pays ». C’est pourquoi il proposait « une réponse globale coordonnée » et donc la mise en place d’un « gouvernement global », qui devrait aussi se charger des questions économiques. Il rejoignait ainsi Jacques Attali qui, voilà plus de dix ans, appelait de ses vœux une pandémie, seule capable à ses yeux de conduire rapidement à un gouvernement mondial !

     

    [1].   Si l’on excepte les interventions de Mme von der Leyen, la première pour expliquer comment il faut se laver les mains (en chantant l’Hymne à la joie) et la seconde pour proposer de confiner les vieux jusqu’à la fin de l’année en cours.

  • Réindustrialisation et volonté politique : la piste royale, par Jean-Philippe Chauvin.

    Le déconfinement a commencé depuis déjà deux semaines, et nombre d’illusions sur « le monde d’après » sont déjà entrées au cimetière des bonnes intentions, peu aptes à survivre dans une société de consommation, mais aussi « distractionnaire » comme la qualifiait Philippe Muray avec une ironie un peu triste. Ainsi en va-t-il de l’idée, souvent émise au cours de la période de confinement, de la relocalisation des industries parties hier (un hier qui remonte parfois aux années 1990…) vers les pays asiatiques ou est-européens, idée qui est déjà démentie par les propos du commissaire européen au commerce, M. Phil Hogan, et que rappelle Serge Halimi dans son éditorial du Monde Diplomatique de juin 2020 :

    jean philippe chauvin.jpg« Quelques entreprises sanitaires seront relocalisées sur le Vieux Continent, comment faire autrement ? « Mais il s’agit là d’une exception », nous avertit M. Hogan. Et, s’adressant à ceux qui parlent de circuits courts, de décroissance, il prévient : « En 2040, 50 % de la population mondiale vivra à moins de cinq heures de la Birmanie. (…) Il me semble évident que les entreprises européennes ne voudront pas se priver de cette manne d’activité. Ce serait complètement idiot. » Il sait d’ailleurs déjà à quoi il emploiera les prochains mois : « Nous devons approfondir nos accords de libre-échange existants - on en a avec quelque soixante-dix pays - et chercher à en contracter d’autres. »

     

    Ainsi s’accélère la logique de mondialisation, et les désirs de « rattrapage » des dividendes perdus chez nombre d’actionnaires, de plus en plus asiatiques d’ailleurs, n’y seront pas non plus étrangers : d’ailleurs, même les actionnaires français sont sensibles à ce discours, d’autant plus que nombre d’entre eux, et il n’est pas interdit de le regretter, n’ont plus guère de sens patriotique, ce sens qui n’est rien d’autre, en économie, que la solidarité des plus aisés avec les autres classes sociales, une solidarité qui, pour être complète et efficace, doit évidemment fonctionner dans les deux sens, mais selon les critères reconnus et acceptés de la justice sociale, fondement majeur de toute harmonie nationale durable. Mais, doit-on s’accommoder de cette situation et de cette mentalité individualiste et « libéraliste » qui, si l’on n’y prend garde, pourraient bien mener notre pays à la perte de sa souveraineté économique, préambule ou accélérateur de celle de toute indépendance politique ?

     

    En fait, il n’y a pas une seule réponse économique, mais bien plutôt une stratégie politique qui doit utiliser diverses propositions ou solutions économiques, avec la boussole nécessaire du bien commun et de la justice sociale, boussole qui n’est pas exactement celle de la seule logique du Marché et de sa pratique mondialisée. Cela implique un État qui ne soit pas forcément omnipotent mais, en revanche, fort et sûr, sinon de son fait (l’erreur est toujours possible, mais il faut éviter d’y persévérer…), au moins de sa légitimité pour s’imposer aux féodalités financières, actionnariales ou économiques. Il semble bien que la République, trop dépendante des puissances qui estiment n’avoir pas de comptes à lui rendre (ce que dénonçait Jean Gabin dans son fameux discours à la Chambre, dans le film - politiquement incorrect - « Le Président »…), n’arrive pas toujours à se faire entendre d’elles, au risque d’aggraver le discrédit de la fonction politique aux yeux de nos concitoyens, de plus en plus abstentionnistes, voire « inciviques » (ou « impolitiques »), et de la désarmer un peu plus encore…

    Pour ce qui est de la relocalisation des entreprises, sans doute le terme, sympathique en lui-même, cache-t-il quelques ambiguïtés et faiblesses : relocaliser des entreprises automobiles qui produisent en Chine pour vendre dans ce même pays, n’aurait guère de sens et serait même peu responsable, ne serait-ce que pour des raisons écologiques ; mais relocaliser des usines, aujourd’hui asiatiques, dont les productions sont majoritairement destinées aux marchés français et européen, paraît beaucoup plus utile et efficace, même si les marges bénéficiaires des entreprises et les dividendes des actionnaires peuvent en être diminués sans être, pour autant, annihilés. Néanmoins, la relocalisation de quelques activités industrielles est-elle suffisante, au regard des enjeux contemporains, qu’ils soient industriels, économiques ou écologiques ? Louis Gallois, grand patron français, a des idées plus précises sur ce sujet quand il évoque, plutôt que la seule relocalisation (dont il complète la formule plutôt qu’il ne la rejette), la nécessaire réindustrialisation qui doit nous permettre de subvenir à nos propres besoins et de garantir cette souveraineté économique qui est l’une des clés (mais pas la seule…) de la capacité du politique à pouvoir se faire respecter face aux puissances de l’économique et sur la scène mondiale. Et quand il insiste sur trois domaines prioritaires de « relocalisations d’activités et de systèmes productifs », ceux de la Santé, de l’agro-alimentaire et du numérique (ce dernier domaine relevant, pour lui, de « l’Europe » - mais façon Airbus - plus que de la seule France, ce qui peut être discuté et, pourquoi pas, approuvé), il me semble bien qu’il a raison et qu’il faut l’entendre.

     

    Mais, là encore, ses propositions (qu’il n’est pas impossible de compléter, dans une logique d’ententes européennes et de grands ensembles géopolitiques dans lesquelles la France aurait sa place à tenir, en tant que telle, et non comme une simple puissance « européenne » ou prisonnière de « l’Europe ») nécessitent une véritable volonté politique, au-delà même des moyens (c’est-à-dire la fameuse « intendance » évoquée par le général de Gaulle) de sa mise en pratique, . Or, la volonté politique ne se décrète pas, elle s’institue, c’est-à-dire qu’elle s’ancre dans un État, dans une forme politique qui lui assure d’être immédiatement reconnue et suivie d’effets. Après tout, la Cinquième République, quand elle se pensait comme une « monarchie républicaine » incarnée par un homme né de l’histoire (et de la tragédie surmontée), a démontré la capacité de la volonté politique à « faire l’histoire », y compris à contre-courant des idéologies dominantes. Sans doute s’agit-il désormais de faire advenir une monarchie royale qui reprenne l’élan des débuts de la Cinquième, non pour l’imiter, mais pour incarner et pérenniser la volonté politique, au-delà d’un homme, forcément faillible (et c’est tant mieux, la nature de l’homme n’étant pas de devenir un démiurge), dans une institution familiale dont les visages vieillissent et se succèdent au rythme du temps et des générations. Car la nouvelle Monarchie royale n’aurait pas pour seul rôle (même s’il n’est pas négligeable) de « symboliser » l’État mais se devrait d’en assumer la magistrature suprême et sa fonction d’arbitrage et d’impulsion (et de garantie) des grandes politiques séculaires, celles qui ne sont pas « que » gouvernementales mais qui sont, avant tout et au fil des grands cycles politiques et géopolitiques, des politiques « du temps long » : celui-là même qu’évoquait le philosophe Michel Serres dans une émission ancienne dans laquelle il se faisait (philosophiquement parlant et sans oser employer le mot exact) l’avocat de la Monarchie de transmission intergénérationnelle, successible et héréditaire, « pour donner du temps au temps »

  • La République s’apprête à traiter avec l’islam ...

     

    Par Philippe Mesnard
     

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    Le concordat inutile

    Droit public de l'islam. La République a été capable de casser tous ses liens avec l’Église catholique qui a façonné et accompagné l’histoire de France, au nom de la laïcité, et elle s’apprête à traiter avec l’islam en lui accordant pour assurer sa paix des privilèges exorbitants.

     

    La conclusion du Rapport de l’Institut Montaigne sur La fabrique de l’islamisme est claire : si l’on veut éviter le séparatisme islamiste, il faut arracher les musulmans de France à l’idéologie islamiste, imaginée, promue et financée par l’étranger ; il faut créer un islam de France, et cet islam de France doit avoir une structuration française et un financement français pour garantir son indépendance. « En France, une réorganisation du culte pour lutter contre l’islamisme est indispensable et se traduirait par la création d’une institution chargée d’organiser et de financer le culte musulman (formation et rémunération des imams, construction des lieux de culte, travail théologique et lutte contre l’islamophobie et l’antisémitisme) : l’association musulmane pour l’islam de France (AMIF) (1). Cette institution viendrait pallier les lacunes organisationnelles et les conflits d’intérêts des organes actuels. En effet, la place prépondérante laissée aux pays d’origine des familles musulmanes et la mauvaise gestion de l’argent lié au commerce du halal, du pèlerinage et des dons individuels empêchent l’émergence d’un islam géré en France par des Français en fonction des intérêts des musulmans de France ».

    Et qui mieux que les musulmans serait capable de porter cette structure, son discours ? Personne. L’État doit donc s’engager dans la voie concordataire, avec les musulmans de France, et déployer son action anti-islamiste, et donc pro-musulmane, dans toutes les dimensions de son pouvoir : culturelle, éducative, diplomatique. « Il convient aussi d’assurer avec l’Arabie saoudite que l’AMIF aura un rôle central dans l’organisation du pèlerinage […] Plus largement, une coopération religieuse avec le Maghreb et les pays du Golfe est à envisager sérieusement ».

    Le concordat théorique

    Le Rapport, dans sa conclusion, évoque les quartiers arrachés à la loi républicaine et la masse des musulmans modérés, inaudibles et invisibles : « [L’État doit] mettre en place des dispositifs et plans d’action interministériels de reconquête républicaine dans les quartiers où c’est nécessaire. Il doit enfin assurer un travail de communication intense, qui encourage les musulmans modérés, jusqu’ici trop silencieux, à s’emparer des débats qui agitent l’islam. ». Le Rapport examine assez brièvement quartiers et musulmans dans leur différentes qualifications dans le premier chapitre L’islamisme en France : de la communauté au communautarisme de la partie IV du rapport Situation de l’islamisme en Occident. Il constate la sécession de fait, la compare avec d’autres « quartiers » européens, démontre que le halal commercial est un outil de soupçon permanent par rapport à la pureté et la licéité des mœurs mais aussi des produits comme des agents de l’État ! Enfin il dénonce la manière dont les élus ont acheté une fragile paix sociale aux « grands frères » (ceux qui avaient engagé la guerre…). Dans son rapport de 2016, 28% des musulmans seraient des sécessionnistes, selon Hakim El Karoui : ces opposants « se définissent davantage par l’usage qu’ils font de l’islam pour signifier leur révolte que par leur conservatisme. […] 28 % des musulmans de France peuvent être regroupés dans ce groupe qui mélange à la fois des attitudes autoritaires et d’autres que l’on pourrait qualifier de “sécessionnistes”. » C’est un groupe composé à 50% de jeunes.

    Il faut donc, d’après le rapport, réintégrer les sécessionnistes et donner une voix aux musulmans sécularisés, ces 46% qui sont « soit totalement sécularisés, soit en train d’achever leur intégration dans le système de valeurs de la France contemporaine ». Hubert Champrun remarquait alors, dans Monde & Vie, que les sécularisés étaient quand même réputés, de l’aveu même du Rapport, « faire évoluer [les valeurs républicaines] par leurs spécificités religieuses. » La solution concordataire permettrait donc d’homogénéiser toute la population musulmane en continuant à lui laisser développer ses spécificités : l’islam de France sera un islam en France, organisé et financé par les musulmans de France sous le contrôle diplomatique de l’État en charge de coordonner les discussions théologiques avec les autres grands pays musulmans, autrement dit de réguler le flux intellectuel qui justifiera l’évolution douce des mœurs françaises ! Comme il est dit ailleurs, il n’est pas certain que c’est de ce genre de concordat qu’a besoin la France.

    Le concordat de fait

    5ee60b3_9335-1nwkyvp.jpgMais ce concordat à la mode AMIF est inutile… car il existe déjà un concordat de fait. La France n’a pas jugé bon de procéder comme le Canada à d’officiels accommodements raisonnables ; elle s’est contentée de promulguer des lois tout en incitant à ne pas les faire respecter. Si Redoine Faïd a pu rester caché trois mois en se déplaçant en burqa, dont le port dans l’espace public est illégal, c’est que personne ne contrôle, verbalise, arrête les femmes en burqa – parce que la hiérarchie conseille de ne pas contrôler, comme en témoignent les policiers. Si Gérard Collomb parle de deux populations « côte à côte » (tout en laissant son successeur face à face avec ce problème), c’est que tout a été fait pour que la population musulmane, sécularisée ou non, puisse se constituer de manière autonome. Manuel Valls parlait d’apartheid, ce qui avait effarouché les bons esprits). D’une part, en refusant tout traitement statistique qui aurait pu alerter officiellement sur les mutations démographiques en cours. D’autre part, en favorisant l’afflux d’immigrés musulmans, le sommet de l’absurdité étant atteint avec la Fraternité comme principe d’absolution des passeurs qui introduisent illégalement des immigrés (cf. Politique Magazine n° 172). Tout l’appareil judiciaire fonctionne en permanence dans la validation des mœurs islamistes, voile ou burkini par exemple, en amont et en aval, dans l’installation de zones de non-droit par le laxisme des jugements prononcés et des peines effectuées, les juges refusant de considérer et la lettre de la loi et le contexte sécessionniste des infractions. Les procédures sont compliquées à loisir et détournées à l’envi sans que jamais elles soient modifiées dans un sens efficace. Même le combat intellectuel est mené par la Justice contre les adversaires de l’islamisme, comme en témoigne le procès Bensoussan : non seulement le parquet avait jugé recevable la première plainte, mais il a fait appel du jugement de relaxe ! Et a laissé plaider le CCIF, pourtant irrecevable… Le CCIF et le PIR instrumentalisent une justice qui leur aplanit toute difficulté.

    L’islamisme a gagné

    Plus le péril est avéré, moins les politiques suivent, plus les discours de tolérance sont gravement pontifiés aux tribunes officielles. L’examen du budget prouve qu’aucun moyen n’est réellement dégagé pour les expulsions ; la police et la gendarmerie crient famine ; et Muriel Pénicaud, ministre du Travail, débloque 15 millions pour l’intégration professionnelle des « réfugiés »… terme dont on sait qu’il ne veut plus rien dire. Tout le discours politique, sans parler du monde des médias et de la culture, sur les bienfaits économiques de l’immigration, sur les bienfaits culturels de la diversité et du multiculturalisme, n’est qu’une justification de la constitution d’une « nation islamiste », aux niveaux local, régional et national. C’est fait.

    Dans ces conditions, pourquoi un concordat ? Quels bénéfices réels la France tirerait-elle d’une population musulmane constituée en bloc officiel, les activistes libérés de leurs pénibles devoirs de besogneuse infiltration ou de harcèlements judiciaires, les indécis encouragés à basculer dans la revendication identitaire ; et la majeure partie des musulmans qui n’ont que faire d’un islam de France, car ils sont bien prêts de se laisser dissoudre dans la société telle qu’elle est – curieuse vertu de ses défauts, puisqu’elle dissout tout ! –,découragés et assignés à une soumission labellisée par l’État ?

    Le concordat arrimerait irrémédiablement les Français musulmans et les musulmans résidant en France à l’islam sans détacher le prétendu islam de France de la communauté des croyants, rattachés à leurs commandeurs saoudien ou marocain ou leurs califes. Le concordat ferait de la France une « terre de fidèles », avec ce que cela signifie, dans le fantasme et la règle islamiques, comme droits nouveaux et possibilités nouvelles.  

    Philippe Mesnard
  • NOTRE FEUILLETON ESTIVAL : UN ETE AVEC JACQUES BAINVILLE...

    A partir du vendredi 19 juillet, et jusqu'à la fin du mois d'août, nous vous proposerons de découvrir, ou de mieux connaître, mais aussi de faire découvrir à d'autres (par le jeu des partages) l'immense Jacques Bainville, par le biais d'une photo quotidienne tirée de notre "Album Jacques Bainville" (lafautearousseau vous propose également un "Album Léon Daudet" et un "Album Charles Maurras").

     

     

    Aujourd'hui : 31. Le Mémorial, "évangile" malfaisant... (II/III)

    (en guise de complément, et de réponse, au très contestable Napoléon de Secrets d'Histoire, ce jeudi 15 Août...)

     

    Illustration : "...apparu dans une île du Levant pour s'éteindre dans une île du Couchant...
    ...De son île perdue, à deux mille lieues de la France, presque sans livres et sans journaux, il sonda mieux que personne l'esprit et le coeur des Français...."

    Le Mémorial, "évangile" malfaisant... (II/III)

    (De "Histoire de Trois générations, avec un épilogue pour la quatrième", Chapitre I, L'évangile de Sainte-Hélène, pages 14 à 20) :

    "...De ces choses, grandes et petites, nul témoin, nul acteur n'avait mieux compris la portée, mieux dégagé le sens général que Napoléon lui-même. Sur son rocher de Sainte-Hélène, il conçut une idée qui valait ses plans de bataille et le Code civil. Pour lui ou pour quelqu'un de sa race il prépara plus qu'un retour de l'île d'Elbe, plus qu'un coup de Brumaire. Devinant le siècle, il allait en façonner, en diriger la pensée à distance. Législateur et capitaine, il se révéla profond psychologue et psychologue d'action.
    De son île perdue, à deux mille lieues de la France, presque sans livres et sans journaux, il sonda mieux que personne l'esprit et le coeur des Français. Par une intuition géniale, il pressentit le mélange de sentiments qui était appelé à se former chez eux et il vit la semence à faire fructifier. En s'écoutant lui-même, en racontant son histoire prodigieuse à Las Cases et à Montholon, il entendait distinctement ce que la France se disait mal encore. Austerlitz et Waterloo, le drapeau tricolore tour à tour triomphant et humilié, la Révolution vaincue par le retour des Bourbons, c'est le principe des nostalgies, celle de la liberté, celle de la gloire, qui vont tourmenter le peuple français. Des désirs un moment étouffés renaîtront. Ils s'aviveront par le regret et par la magie des souvenirs. Dans une sorte de captivité morale, équivalant à celle que subissait l'empereur vaincu, il se formera un état d'esprit nouveau. Sed non satiata. La France n'était pas rassasiée de gloire, même de gloire vaine, coûteuse, payée par des invasions. Les principes de sa Révolution ne cessaient pas de lui être chers. Le désastre final, les traités de 1815, en laissant un sentiment d'humiliation et d'impuissance, inspiraient aussi la passion d'une revanche à prendre par les idées et par les armes. L'empereur voulut que son nom fût le symbole de cette revanche. 
    Ce n'était pas seulement à l'intérieur que la Révolution, continuée par Bonaparte, avait fait faillite. Elle avait échoué au dehors; pour elle, vingt ans de guerre n'avaient pas assez transformé le monde. Le cycle révolutionnaire se fermait chez nous par la restauration de la monarchie, par le gouvernement des prudents et des sages. En Europe, les traités de Vienne et la Sainte-Alliance des rois fondaient la tranquillité du continent sur les anciennes méthodes de l'équilibre , sur une combinaison de droits et d'intérêts propre à garantir chacun et tous contre les exigences des peuples, contre les mouvements nationaux et contre les appétits de domination des Etats. Ainsi d'immenses calamités étaient épargnées à la communauté européenne, où personne ne peut bouger que tous ne se heurtent. Ainsi apparaissaient des horizons sûrs. Mais c'étaient des horizons limités. Le repos, le travail pacifique succédaient à une ère de bouleversements. Etait-ce assez pour contenter les hommes ? Napoléon ne le crut pas. Toujours il avait su parler à la nation française. A Sainte-Hélène, il eut la divination des paroles qu'elle voulait entendre encore.
    Par le système européen qui était sorti du Congrès de Vienne, les ambitions et les passions des peuples - non seulement du peuple français, mais celles des autres, bien plus dangereuses, - se trouvaient comprimées. Napoléon savait que les foules ne se gouvernent pas par la raison, encore moins par le bon sens. Les rois calmaient l'Europe. Il paria pour le réveil et pour l'explosion. Dans sa solitude, il élabora la doctrine qui devait rallier à sa cause les sentiments confus qu'il sentait destinés à grandir. Déjà, pendant les Cent Jours, il avait fait alliance avec les républicains et avec les libéraux. Il avait vu, après la seconde abdication, le grand Carnot pleurer sur son épaule. A ce moment une politique nouvelle lui était apparue, la seule qu'il eût encore à tenter. Les année qui lui restaient à vivre en exil, il les employa à rajeunir l'idée napoléonienne, à changer le plumage de l'aigle. 
    Parfois il eut l'illusion qu'il travaillait pour lui-même et que, chassant les rois, les peuples viendraient le délivrer, enflammés par ses promesses. En tout cas, il travaillait pour son fils, il travaillait pour l'avenir. Il donnait à la cause napoléonienne un fondement plus vaste et plus solide que sa personne et son génie. Il l'associait à une force universelle. Tôt ou tard, quelqu'un des siens devait profiter de cette alliance entre les souvenirs d'Austerlitz, les aspirations des peuples et les regrets de la Révolution. 
    C'est peut-être de Sainte-Hélène que Napoléon aura eu le plus d'action sur les destinées de la France. Là-bas il a préparé la démocratie impériale, le règne 
    de Napoléon III, les malheurs qui ont suivi. Le premier Empire, terminé par deux invasions, avait été liquidé par Louis XVIII dans les conditions les meilleures que pût espérer la France, alors que de folles entreprises avaient amenées quatre armées ennemies sur notre territoire. La France telle qu'elle était en 1789, avant ses aventures, ne se retrouvait plus tout à fait intacte. Du moins, l'essentiel était sauf. Nos anciennes frontières étaient à peu près respectées. Le vieux péril germanique, conjuré au XVIIème siècle, après tant de luttes, par les traités de Westphalie, ne reparaissait pas à nos portes. Nous gardions le contact et la protection du Rhin. Il n'y avait pas de puissante Allemagne unie pour menacer à toute heure la paix et notre existence. L'élément positif laissé par vingt ans de guerre nous restait aussi. C'était un capital de gloire accru, une réputation de valeur militaire qui enseignait de quoi les Français étaient capables, qui conseillait aux convoitises étrangères de ne pas s'y risquer. La France, à l'abri du danger allemand, son grand danger de toujours, pouvait vivre, prospérer, se développer conformément à son génie. Avec un peu de prudence, cette situation était facile à maintenir. Avec du temps, de la patience, elle fût devenue encore meilleure. Les dernières conséquences de Waterloo eussent été réparées. Sur tous les points, sans irriter ou blesser aucune nation, nos limites naturelles pouvaient être atteintes. Il suffisait de laisser faire ceux qui savaient, ceux qui prévoyaient, ceux qui possédaient les saines méthodes et les traditions éprouvées. 
    Le vade mecum diplomatique rédigé par La Besnadière, sous l'inspiration de Louis XVIII et de Talleyrand, pour nos représentants au Congrès de Vienne, traçait très exactement la ligne de conduite qu'il y avait à suivre pour épargner à la France l'invasion de 1870 et celle de 1914. Il n'était pas possible d'être plus pénétrant. Cette instruction mémorable, dont la clairvoyance a été admirée trop tard, disait en quelques mots le suffisant et le nécessaire :
    "En Italie, c'est l'Autriche qu'il faut empêcher de dominer; en Allemagne, c'est la Prusse. La constitution de sa monarchie lui fait de l'ambition une sorte de nécessité. Tout prétexte lui est bon. Nul scrupule ne l'arrête. La convenance est son droit. Les Alliés ont, dit-on, pris l'engagement de la replacer dans le même état de puissance où elle était avant sa chute, c'est-à-dire avec dix millions de sujets. Qu'on la laissât faire, bientôt elle en aurait vingt, et l'Allemagne entière lui serait soumise. Il est donc nécessaire de mettre un frein à son ambition, en restreignant d'abord, autant qu'il est possible, son état de possession en Allemagne, et ensuite en restreignant son influence par l'organisation fédérale..."

     

     

    Tiré de notre Album "Maîtres et témoins"... (II) : Jacques Bainville" (186 photos)

  • EUROPÉENNES 2019 : LE NOUVEAU CLIVAGE PERSISTE ET SIGNE

    Par Rémi Hugues

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    Alors que se termine la campagne des élections européennes cru 2019, le premier scrutin intermédiaire de dimension nationale de l’ère Macron (les élections dites partielles ayant d’ailleurs été très rares), un enseignement peut déjà être tiré. Il concerne la structuration du système politique français issue du « collapse » de 2017.           

    Les résultants des études d’opinion suggèrent que l’opposition nationale fait jeu égal avec la majorité présidentielle, chacune réunissant un cinquième des sondés ayant l’intention de se déplacer au bureau de vote le 26 mai prochain. La République en marche (L.R.E.M.) et le Rassemblement national (R.N.) en tête, au même niveau : il y a du suspense dans l’air, comme en 2014. Lors des dernières européennes, la droite et le Front national se tiraient la bourre avec un étiage similaire dans les sondages (la première devançant la seconde d’une très courte tête), avant que celle-ci creuse l’écart de façon nette le jour du vote, rassemblant le quart du corps électoral. Pour la première fois de son histoire le mouvement lepéniste pouvait se targuer d’être le premier parti de France. « Bis repetita ! » souhaitent de tout cœur les caciques du RN.

    Quelle que soit la formation qui arrivera en tête, le rapport de force qui se dessine confirme qu’un nouveau clivage s’est substitué au clivage gauche / droite, qui depuis les débuts de la Vème République opposait le socialo-communiste aux gaullistes et leurs alliés chrétiens-démocrates. La singularité commune au président Macron et à Marine Le Pen est d’avoir posé, dans notre époque caractérisée par la mondialisation et la crise économique, la fin de la pertinence de ce clivage gauche / droite, d’avoir diagnostiqué son obsolescence.

    6884814_mafg_1000x625.jpgAinsi a surgi le « et-en-même-temps-de-gauche-et-de-droite » du premier, face « au ni droite ni gauche, Français » de la seconde. Dès les lendemains de l’élection présidentielle de 2012, dans les colonnes de « Trop libre »[1], je mettais en évidence que ledit clivage était en train de devenir obsolète, dépassé, archaïque, et qu’à sa place émergeait le clivage libéral / souverainiste.

    Le 26 avril 2012, d’abord : « Ce double clivage territorial – est/ouest et centre/périphérie – peut être vu comme la matérialisation en termes géographique du nouveau clivage qui caractérise la France électorale du XXIème siècle, structuré autour des thèmes de la mondialisation, de la question européenne et du libéralisme culturel : celui qui oppose ʽʽlibérauxʼʼ et ʽʽsouverainistesʼʼ, par-delà la coupure traditionnelle droite/gauche. »[2] 

    Puis le 9 mai 2012 : « clivage, qui depuis le referendum de 2005 pourrait bien être le plus opérant dans la vie politique française : celui qui oppose ʽʽlibérauxʼʼ (...) et ʽʽsouverainistesʼʼ (...) sur les questions de la mondialisation, du libre-échange et de la construction européenne. »[3]           

    Il est à noter que dautres nomment différemment ce clivage né de la mondialisation et de la crise : « ouverts » contre « fermés », « progressistes » contre « populistes », « mondialistes » contre « patriotes »... en la matière il existe une grande variété de vocables !

    Mais au-delà de la question – décisive s’il en est – de la terminologie, ce qu’il importe c’est de constater que ce nouveau clivage ne cesse de s’affermir, laissant, d’une part, une gauche éparpillée façon puzzle entre plusieurs mouvements, qui, au mieux, frôlent les 10 %, et d’autre part, une droite réduite à incarner le « parti catholique » afin d’attirer les voix de la bourgeoisie traditionnelle de province vieillissante ; lesquelles forces de l’ « ancien monde » jouent en dernière instance le rôle de supplétifs de la majorité présidentielle au second tour, dont l’avènement est résulté de la synthèse des deux.

    XVM52b7d548-65b4-11e9-8e63-23165fe113f9.jpgDépouillés de leurs oripeaux antilibéraux, de leur mystique propre, une foi messianiste dans le peuple pour lune et un amour fou de la nation pour l’autre, il ne leur restait que l’idéal libéral de l’ordre en mouvement, du tout-marché, du tout-Europe, du tout-à-l’égo, du tout-pour-la-disparition-de-la-France, idéal incarné de manière chimiquement pure par le pouvoir macronien.

    En négatif de cette synthèse s’inscrit celle de la France d’avant, qui s’accorde sur un certain nombre de points, que l’on pourrait agréger autour de la notion orwellienne de Common decency, de « décence commune », notion à laquelle pourrait adhérer autant un Étienne Chouard qu’un Patrick Buisson. Le pays réel en somme, qui estime que l’effort, le mérite, le travail, ne sont pas assez valorisés tout en défendant le dimanche chômé, le repos dominical. Qui s’émeut des onze vaccins obligatoires à trois ans et des cours d’éducation sexuelle prodigués dès l’école primaire. C’est cette France qui soutient le « mouvement des gilets jaunes », qui ne répugne pas par principe à payer l’impôt, mais qui a bien compris que ce qui nous est prélevé ne sert pas à assurer un fonctionnement optimal des services publics mais à alimenter le train de vie dispendieux d’une caste xénophile, soucieuse de servir les gnomes de la City et de Wall Street, ces « spéculateurs » dans le sens que donnait à ce terme Vilfredo Pareto dans son Traité de sociologie générale[4], qui parient à la baisse sur l’actif France, sponsorisant toute action publique ayant pour seuls bénéficiaires les sans-papiers (ou migrants), érigés en nouvelle classe messianique au détriment des catégories populaires et de la fraction paupérisée de la classe moyenne, qui usent du vote contestataire comme d’un défouloir, un moyen de faire la nique à l’élite établie.   

    macron_et_le_pen_jeudi_27.04-3025235.jpgS’il faut se risquer à un pronostic quant au vainqueur du 26 mai prochain – exercice ô combien périlleux ! –, je dirais que la liste conduite par Jordan Bardella est celle qui arrivera en tête. En mars 2018, L’humanité Dimanche mentionnait un sondage IFOP réalisé en décembre 2017 plaçant LREM en pole position avec 26 % des suffrages, suivi par le FN avec 17 %[5]. La dynamique, on le voit, par rapport à maintenant, est clairement du côté du parti rebaptisé depuis RN.

    Séparés alors par un écart de dix points, les deux partis sont aujourd’hui au coude-à-coude : pour l’observateur attentif, une telle évolution du rapport de force signifie que la liste de la ministre Loiseau sera battue. Si cela s’avère exact, le journaliste Benjamin Köning de l’hebdomadaire communiste avait vu juste en signant un article intitulé « Front national. Pourquoi il est loin d’être mort. » Réponse le 26 mai au soir...   

     

    [1]Un blog rattaché à une fondation financée indûment par nos impôts que pilotent deux fidéicommis de la maison Rothschild, Nicolas Bazire et Grégoire Chertok, administrateurs donc, outre leur activité professionnelle principale, de la chiraco-sarkozyste Fondapol.
    [2]http://www.trop-libre.fr/la-vague-rose-s%E2%80%99arrete-a-l%E2%80%99est/
    [3]http://www.trop-libre.fr/le-front-national-avant-garde-de-la-%C2%AB-nouvelle-classe-ouvriere-%C2%BB-2/
    [4]Les spéculateurs sont les « possesseurs d’actions de sociétés industrielles et commerciales […]. Il y aura aussi les propriétaires de bâtiments, dans les villes où l’on fait des spéculations immobilières; de même les propriétaires de terres, avec la condition semblable de l’existence de spéculations sur ces terres; les spéculateurs à la Bourse; les banquiers qui gagnent sur les emprunts d’Etat, sur les prêts aux industries et aux commerces. Ajoutons toutes les personnes qui dépendent de celles-là : les notaires, les avocats, les ingénieurs, les politiciens, les ouvriers et les employés qui retirent un avantage des opérations indiquées plus haut. En somme, nous mettons en- semble toutes les personnes qui, directement ou indirectement, tirent un profit de la spéculation, et qui par différents moyens contribuent à accroître leurs revenus, en tirant ingénieusement parti des circonstances. », Vilfredo Pareto, Traité de sociologie générale, vol. II, Lausanne / Paris, Payot & Cie, 1919, p. 1431. Dans cet ouvrage, le sociologue exprime avec un brin d’ironie son scepticisme vis-à-vis de la démocratie représentative, analyse que je partage entièrement : « Qui est ce dieu nouveau qu’on appelle ʽʽSuffrage universelʼʼ ? Il n’est pas mieux défini, pas moins mystérieux, pas moins en dehors de la réalité que tant d’autres divinités, et sa théologie ne manque pas plus qu’une autre de contradictions patentes. Les fidèles du ʽʽSuffrage universelʼʼ ne se laissent pas guider par leur dieu ; ce sont eux qui le guident, qui lui imposent les formes sous lesquelles il doit se manifester. Souvent, tandis qu’ils proclament la sainteté de la majorité, ils s’opposent par  ʽʽobstructionʼʼ à la majorité, même s’ils ne sont qu’une petite minorité ; et tout en encensant la déesse Raison, ils ne dédaignent nullement, en certains cas, le secours de la ruse, de la fraude, de la corruption. », ibid., p. 1396. Gustave Mirbeau était bien inspiré quand il en appelait à la « grève des électeurs ».
    [5]N° 599, 1-7 mars 2018.

    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...

    (Cliquer sur l'image)

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  • Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (16)

    lfar bleu.jpgNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFARNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

     

    2235704335.jpg2ème partie : Une révolution copernicienne 

    PLUS DE RICHES POUR AVOIR MOINS DE PAUVRES  

    Il serait urgent de s'apercevoir que la seule manière de rendre compétitive notre industrie de production de masse consiste à lui fournir des consommateurs solvables. Payer les travailleurs chassés des ateliers et des bureaux à ne rien faire ou à en faire le moins possible aboutit à écraser les entreprises de charges sociales, donc les empêcher d'investir et elles perdent pied dans la compétition internationale. Il n'y a qu'un moyen de s'en sortir, reconstituer un secteur pré­industriel assez puissant pour fournir à la main d'œuvre disponible du travail, donc des salaires. Nous n'avons pas le choix. Aucun redressement économique n'est concevable avec trois millions de chômeurs permanents.

    Il n'est qu'un moyen, c'est de réduire de façon significative l'impôt sur le revenu et de préparer sa suppression définitive. Tout a été dit sur ses défauts. Il est finalement injuste car il frappe surtout les salariés, qui ont moins de possibilités que les autres de dissimuler leurs gains. Il engendre la fraude, les évasions de capitaux ou leur gel. Ce qui entraîne une inquisition fiscale à la fois inefficace, tatillonne et finalement insupportable. Il rapporte peu, compte tenu des frais de recouvrement, provoqués par la charge que représentent 85.000 fonctionnaires et encore en faudrait-il le double pour assurer un rendement satisfaisant. Pour les petits revenus, il coûte même plus qu'il ne rapporte. Mais surtout, il paraît inadmissible de frapper les contribuables sur l'argent qu'ils gagnent. Ce qui nuit à l'émulation. A quoi cela sert-il de se battre pour améliorer ses revenus si l'on sait que parvenu à un certain niveau l'on ne travaillera pratiquement plus que pour le fisc ? Il paraît plus raisonnable de taxer les gens sur la manière, dont ils dépensent leur argent ou investissent. Ce qui permet d'orienter son utilisation en fonction de l'intérêt général.

    Néanmoins la suppression de l'impôt sur le revenu suscite des oppositions, dont la principale vient de M. Barre. Le candidat de la finance apatride et du Kremlin réunis à la présidence de la République parle dédaigneusement de promesse électorale. N'étant, ce qui n'est pas son cas, candidats à rien, nous n'avons rien à promettre. Cependant M. Barre a raison sur un point. Il est démagogique de laisser croire aux Français que l'Etat peut, du jour au lendemain, réduire massivement son train de vie. Il devra continuer à soutenir des secteurs vitaux de notre industrie. Même s'il est déraisonnable de s'endetter pour produire de la ferraille, que nous nous procurerions à moindres frais sur le marché mondial, il faudra bien continuer de fabriquer des aciers spéciaux dont ne peut se passer notre industrie d'armement. Nous ne saurions prendre le risque de laisser l'étranger maître de nos approvisionnements. En tout état de cause, les nécessités de la défense nationale supposent de lourdes dépenses. Dans vingt ans, notre force de dissuasion sera périmée. Il nous faut poursuivre la conquête de l'espace. Les impératifs militaires coïncident d'ailleurs avec nos intérêts économiques. Sans la bombe atomique la France n'aurait jamais maîtrisé le nucléaire civil.

    Seul l'Etat est en mesure de s'engager pour le très long terme. Certains investissements qu'il faut consentir dès aujourd'hui ne se révéleront rentables que pour nos petits-enfants. Même les Etats-Unis se montrent colbertiens, quand il le faut. La N.A.S.A. est une entreprise nationale. Puisque nous ne saurions sacrifier l'avenir au présent, il faut bien admettre que l'effort financier exigé de notre génération ne souffre pas de relâchement. Certes l'Etat peut faire des économies mais là encore il convient de refuser les illusions. Réduire les effectifs dans la fonction publique, donc une charge salariale devenue insupportable, exige que l'on informatise l'administration. Ce qui coûte cher. De toute façon, la France est si lourdement endettée qu'elle doit se montrer prudente. M. Barre n'a pas tort de le rappeler.

    Ce que nous proposons, ce n'est pas un allègement de la pression fiscale qui, de toute façon ne serait qu'illusoire, l'Etat récupérant d'une main ce qu'il accorderait de l'autre. Nous réclamons une réforme de la fiscalité, le manque à gagner étant compensé par l'augmentation de la T.V.A. Serait-il aussi important qu'on le prétend ? L'impôt sur le revenu coûte plus cher à l'Etat qu'il ne lui rapporte, du moins en dessous d'un certain seuil. Près de cent mille fonctionnaires seraient libérés d'une tâche ingrate, qu'il conviendrait de mieux utiliser surtout. Les Français achetant davantage, le produit de la T.V.A. et de l'impôt sur les bénéfices augmenterait. Le coût du chômage se réduirait.

    La seconde objection de M. Barre tient à son mode de raisonnement, purement quantitatif, ou, si l'on préfère un vocabulaire plus technique, exclusivement macro­économique. Il craint une « relance par la consommation ». Mais si celle-ci s'est révélée désastreuse ce ne fut que parce qu'elle favorisait les bas revenus, donc entraînait une demande accrue de biens de grande série, que l'industrie française était incapable de satisfaire. D'où une brutale augmentation de nos importations. Autre inconvénient, ce type de relance alourdit les charges salariales des entreprises donc affaiblit leur compétitivité. Par contre, la disparition progressive de l'impôt sur le revenu favorise les entrepreneurs, les cadres, les professions libérales dont le surcroît de disponibilités financières s'orientera vers l'in­vestissement ou la consommation de bien qualitatifs. L'Etat dispose d'ailleurs des moyens d'incitation suffisants. Il en use déjà en accordant des dégrèvements d'impôt en faveur de certaines dépenses. Dans une première phase, plutôt qu'une réduction uniforme qui présenterait des risques moindres, sans doute, que ne semble le penser M. Barre mais que l'on doit prendre en compte dans une période dangereuse, il serait préférable d'utiliser le système des déductions d'impôts afin d'encourager l'achat de biens qualitatifs fabriqués en France et bien sûr l'investissement, surtout à risque. La taxation absurde des « signes extérieurs de richesse » devrait, de toute évidence, disparaître.

    Barre traite de la consommation en soi alors qu'en réalité, elle prend des formes très diverses, aux effets économiques parfois opposés. Entretenir un cheval de course et acheter un magnétoscope, c'est toujours consommer mais le cheval de course engendrera des emplois en France et le magnétoscope au Japon. Si distingué que soit le « premier économiste de France », il faut bien reconnaître qu'il demeure prisonnier des thèses de Keynes. Il s'occupe à résoudre la crise de 1929.  • 

     A suivre  (A venir : Le règne de la quantité s'achève).

     

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    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray     

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  • Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (23)

     

    2293089609.14.jpgNous poursuivons la publication d'une série qui devrait faire date ; qui forme un ensemble à lire en entier : une étude de Pierre Debray parue en novembre 1985 dans le mensuel Je Suis Français, sous le titre Une politique pour l'an 2000.

    Nous sommes ici dans la 2ème partie de cette étude.

    La lecture de ces textes expliquera aux lecteurs qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener.

    Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

     

    2235704335.jpg2ème partie : Une révolution copernicienne 

    LES NOUVELLES INVASIONS BARBARES

    Un ancien coopérant, agrégé de lettres, M. Jacques Bonnaure, dans une lettre publiée par « Le Monde » daté du 17 novembre 1984, a décrit, de façon concise et précise une situation que personne ne semble plus capable de maîtriser. En voici le texte :

    « Après avoir enseigné au Caire et au Maroc, j'ai renoncé car le métier de « coopérant » tel qu'on l'exerce est une impasse absolue. Dans certains lycées (marocains) les enseignants français sont systématiquement surveillés, parfois par des élèves qui rapportent leurs propos, même anodins, au proviseur..., ou au commissaire de police. Nous n'avons pas accès au conseil d'établissement, et le conseil de classe se limite à la lecture des moyennes. Quant aux élèves, leurs sentiments à l'égard des coopérants sont très ambivalents. Dès le début de l'année, les inscriptions fleurissent au tableau : « Les étrangers dehors ! » « Nous n'avons pas besoin de professeurs étrangers ! », etc. Puis des contacts plus confiants s'établissent. Cependant le coopérant étant français, on va lui reprocher la colonisation, le néocolonialisme, le racisme, d'ailleurs exagéré avec complaisance, comme si la France était la République sud-africaine. Si le professeur est français, il doit être chrétien, d'où de nombreux essais plus ou moins aimables, de conversion à l'islam. Mais ce Français vient du pays fantasmatique où on ne bastonne plus les élèves en grève, où les chômeurs sont indemnisés, où on ne force pas les filles à se marier. On va lui demander des adresses en France, des certificats de scolarité dans des établissements français, des emplois, une place dans sa voiture... Enfin il n'est guère agréable de voir se mettre en place tous les ingrédients nécessaires à une révolution islamique (au Maroc et en Egypte) : sentiment qu'on n'a rien à perdre quand l'avenir est aussi noir, haine de sa propre société, déséquilibre entre des traditions que les jeunes refusent et un modernisme occidental, détesté et envié tour à tour mais toujours inaccessible, xénophobie et antisémitisme, exaltation religieuse (un jour que je parlais des dieux de l'Antiquité romaine, plusieurs élèves se sont dressés pour proclamer qu'il n'y avait qu'un seul Dieu). Tout est donc prêt ».

    Kadhafi ou Khomeiny servent d'alibis à notre aveuglement. Nous les tenons pour les organisateurs d'un vaste complot qui vise à déstabiliser le monde musulman. Qu'ils disparaissent ou du moins que nous leur infligions une bonne correction et tout rentrerait dans l'ordre. En réalité, ils utilisent, dans l'ensemble de façon assez maladroite, sans stratégie cohérente, une situation qu'ils n'ont pas créée et qui, pour une bonne part, leur échappe. Nous n'en sommes qu'aux prodromes de la crise. D'autres chefs charismatiques surgiront, plus dangereux. Quand l'histoire offre un rôle, l'homme providentiel se découvre toujours. L'important, ce sont les masses, qui se mettent en mouvement, encadrées par une intelligentsia prolétarisée. Quand la jeunesse pullule, l'aventure, s'offre à elle. L'Islam fournit le ferment idéologique de populations menacées dans leur identité culturelle. En effet, ne nous y trompons pas, le monde musulman ne se porte pas tellement mieux que le monde chrétien. Corrodé par l'athéisme marxiste, le laxisme moral et le modèle américain, il rêve de notre mode de vie mais se sachant impuissant à l'atteindre, il le rejette avec d'autant plus de violence qu'il l'envie. A sa manière, c'est pour lui aussi une question de survie. Il n'est besoin que d'observer, au milieu de nous, les immigrés de la seconde génération. Ils méprisent leurs pères, et s'ils nous haïssent c'est de désir refoulé. Comment devenir semblable à l'autre sans cesser d'être soi-même ? Une tragédie spirituelle se déroulé, sous nos regards indifférents ou hostiles. Sans doute sont-ils trop jeunes, sommes-nous trop vieux.

    Au lendemain de la seconde guerre mondiale, de profondes réformes s'imposaient. Il convenait de substituer à l'administration directe de nos possessions africaines des institutions mieux adaptées à l'évolution des mentalités et au rapport des forces. Bien des solutions pouvaient être envisagées. Ainsi, dès 1947, M. Senghor préconisait la constitution d'un ensemble français « à la capétienne », où un pouvoir central fort serait en mesure d'élever ses colonies au rang de provinces, dotées d'une large autonomie. Même si l'on décidait d'acheminer progressivement nos possessions vers l'indépendance, il convenait de la préparer, en formant des cadres et en substituant aux structures administratives, construites au hasard de la conquête, des entités cohérentes. Le drame du Tchad devenait inévitable dès l'instant que l'on s'obstinait à faire coexister au sein d'un même Etat les nomades musulmans et guerriers du Nord avec les paysans chrétiens ou animistes du Sud. Malheureusement les institutions de la IV' République ne permettaient ni les choix clairs ni la continuité indispensable à leur mise en œuvre et cependant il convient de reconnaître que la France s'est mieux conduite que la Grande-Bretagne. N'empêche que les Européens ont renoncé à leurs responsabilités politiques, favorisant la pénétration soviétique, la prolifération de dictatures militaires, parfois au profit de déments, le plus souvent d'idéologues primaires, le pullulement des conflits tribaux. Néanmoins ils n'ont pas renoncé au régime du pacte colonial, ce système économique fondé sur l'échange inégal, le tiers monde vendant ses matières premières et des produits tropicaux aux pays industrialisés pour leur acheter des biens de consommation.

    Seul le Japon a su comprendre la nécessité de dépasser le « pacte colonial », non par philanthropie mais par intérêt bien compris. Sa défaite l'ayant empêché de réaliser son vieux rêve de domination politique des rivages du Pacifique, il l'a repris par d'autres moyens. Sa faible superficie et la densité de sa population l'ont d'ailleurs contraint d'éviter les erreurs des Européens. Progressivement, les secteurs promis au déclin, le textile, les chantiers navals, pour une part la sidérurgie, furent transférés en Corée, à Taïwan ou à Hong Kong. Les Japonais subventionnèrent, par leurs investissements, l'installation de concurrents, dont ils comptaient faire des clients pour leurs industries d'équipement. Utilisant une main d'œuvre abondante, peu payée, dépourvue de protection sociale, les « nouveaux pays industriels » se livrèrent à une compétition acharnée dont les Européens furent les premières victimes tandis que le Japon, grâce à son avance technologique et à son organisation commerciale, partait à la conquête de nouveaux marchés.   A suivre  (A venir : Les nouvelles invasions barbares 4).

    Illustration ci-dessus : Pierre Debray au rassemblement royaliste des Baux de Provence [1973-2005]

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    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray     

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  • Mathieu Bock-Côté: « Finkielkraut, voilà l'ennemi !»

     

    Par  Mathieu Bock-Côté

    TRIBUNE - Ayant déclaré dimanche [10.12] que « les non-souchiens brillaient par leur absence » lors de l'hommage rendu à Johnny, Alain Finkielkraut a déclenché la polémique. Pour Mathieu Bock-Côté [Figarovox, 14.12], l'indignation médiatique est avant tout un prétexte pour faire du philosophe un paria. Ce qu'il nous paraît dénoncer ici avec force, c'est en quelque sorte le totalitarisme qui s'est emparé de nos sociétés modernes ou postmodernes et qui prétend imposer silence à l'intelligence et au courage. A noter que Maurras avait imaginé l'avènement d'un tel « âge de fer » tyrannique, ou âge barbare, dans son Avenir de l'intelligenceLFAR 

     

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    La simple présence d'Alain Finkielkraut dans l'espace public semble aujourd'hui faire scandale. À gauche de la gauche, on a cessé d'écouter ses arguments mais on scrute sans cesse ses propos à la recherche de ce que le système médiatique nomme un dérapage, ou du moins, pour trouver quelques propos controversés qui justifieront sa mise au pilori pour quelques jours. L'objectif, c'est de faire du philosophe un paria, de le discréditer moralement, de le transformer en infréquentable, qui ne sera plus convoqué dans le débat public qu'à la manière d'un repoussoir, sans cesse obligé de se justifier d'exister.

    Celui qui s'est imposé au fil des décennies à travers une critique subtile et mélancolique de la modernité et de sa tentation démiurgique est transformé en commentateur ronchon contre lequel on justifiera toutes les moqueries. On ne prend pas la peine de le lire et on attend simplement le moment où on pourra le lyncher pour de bon. Pour les patrouilleurs zélés du politiquement correct, qui distribuent sans cesse les contraventions idéologiques, Alain Finkielkraut n'est plus le bienvenu dans le débat public.

    C'est à la lumière de cette aversion de plus en plus revendiquée pour Alain Finkielkraut qu'on peut comprendre la tempête médiatique qui le frappe ces jours-ci. On le sait, dans le cadre de son émission hebdomadaire sur RCJ, où il répond aux questions d'Elisabeth Lévy, le philosophe est revenu sur l'hommage national rendu à Johnny Hallyday en cherchant à décrypter une passion qui lui était étrangère. Finkielkraut a aussi noté, comme d'autres, que la communion populaire autour de Johnny Hallyday révélait aussi les failles de la communauté nationale. En gros, Johnny Hallyday était plébiscité par la France périphérique, qu'il aura longtemps fait rêver d'Amérique et d'aventure, mais ignoré par la France issue de la diversité, ou si on préfère le dire moins pudiquement, par celle issue de l'immigration. Il a pour ce faire employé ironiquement le terme « sous-chien » inventé par Houria Bouteldja pour qualifier « les Français de souche » et donc celui de « non souchien » pour ceux qui ne le sont pas. Cette ironie n'a pas été comprise, elle était peut-être malheureuse, plus largement on peut partager ou non son analyse, la trouver pertinente ou insuffisante: telle n'est pas la question.

    Nous ne sommes pas dans une controverse honnête et loyale, dans une correction bienveillante mais dans une volonté délibérée de nuire. Les ennemis de Finkielkraut n'allaient pas se priver de fabriquer un scandale artificiel de part en part pour lui faire un mauvais procès en racisme. On l'a d'un coup décrété double maléfique des Indigènes de la République. Les enquêteurs de la police de la pensée et les milliers de délateurs qui les alimentent et les applaudissent sur les réseaux sociaux étaient extatiques: enfin, ils tenaient leur homme. Enfin, ils avaient devant eux le dérapage de trop. Enfin, Finkielkraut venait de tomber dans un piège dont il ne sortirait pas.

    Il ne vaut même pas la peine de revenir sur le fond du propos tellement il suffit d'un minimum de jugement et de bonne foi pour savoir qu'il n'a jamais tenu le moindre propos raciste dans son commentaire de l'hommage à Johnny Hallyday et qu'il s'est contenté de reprendre de manière moqueuse et au deuxième degré le vocabulaire de ceux qui le conspuent. Que ce qu'il a dit ne diffère en rien du jugement, sur le sujet, d'un Laurent Joffrin ou de Dominique Bussereau.

    Cela dit, la tempête Finkielkraut du moment est intéressante pour ce qu'elle révèle du dérèglement de la vie publique, et cela, pas seulement en France mais à la grandeur du monde occidental. D'abord, on y voit l'importance du buzz comme phénomène médiatique. Une petite phrase arrachée à son contexte et mise en circulation sur internet peut déclencher une marée d'indignation, chacun s'ajoutant alors à la meute en expansion des indignés, qui veulent à tout prix envoyer un signal ostentatoire de conformité idéologique au politiquement correct.

    Une société allergique au pluralisme politique et idéologique

    On s'indigne, on hurle, on exige une punition exemplaire contre celui qui vient de transgresser le dogme diversitaire et la vision irénique du vivre-ensemble. On assiste même au retour de la gauche pétitionnaire à grande échelle. C'est ainsi qu'on a vu une pétition circuler sur internet pour que Finkielkraut soit viré de l'Académique française. Ceux qui la signent ont alors le sentiment gratifiant d'avoir eux-aussi pu cracher sur le philosophe jugé galeux. Les médias sociaux ont redonné vie à la foule lyncheuse. Disons-le autrement : elles transforment en action vertueuse la lapidation virtuelle. Il s'agit d'écraser symboliquement le dissident, de provoquer sa mort sociale.

    On y revient, la tentation lyncheuse qui s'exprime sur les médias sociaux correspond à une réhabilitation de l'ostracisme dans une société de plus en plus allergique au pluralisme politique et idéologique. Il faut être progressiste ou se taire. Il faut chanter les louanges du multiculturalisme et ne jamais noter les lézardes sociales qu'il engendre ou se fermer la gueule. Il faut tweeter dans le sens de l'histoire ou se tenir éloigné de son clavier. Et si on pense autrement, si on critique, si on se moque, si on ironise, même, on sera accusé d'être un provocateur, un polémiste, même, et d'avoir bien cherché sa mauvaise réputation. On se fera coller une sale étiquette qu'il faudra porter à la manière d'un symbole d'infamie.

    Il y a là une forme d'intolérance primitive qui se maquille en tolérance supérieure. On ne se surprendra pas, alors, que les réflexes d'autocensure se développent autant chez tant d'intellectuels qui redoutent d'avoir à subir à leur tour une pluie de crachats, pour peu que quelques esprits mal tournés ne comprennent pas ce qu'ils ont voulu dire et lancent contre eux une campagne de diffamation.

    L'ensauvagement de la vie publique qui se révèle à travers l'effrayante muflerie des réseaux sociaux témoigne purement et simplement d'une régression de la vie démocratique. Et c'est en bonne partie parce qu'il ose braver cet environnement toxique qu'Alain Finkielkraut est admirable. Nous sommes devant un philosophe de grande valeur, nous le savons. Mais il arrive souvent que les meilleurs philosophes n'aient pas un caractère à la hauteur de leur intelligence. Ce n'est pas le cas d'Alain Finkielkraut, qui fait preuve d'un courage civique exemplaire et qui ose aller dans l'espace public pour penser notre temps tout en sachant qu'il n'en sortira pas indemne. Il croit à la discussion, à l'affrontement des idées, et il a toujours le souci, comme on le constate chaque samedi à Répliques, de donner la parole au camp adverse. Ceux qui lui répondent par des injures et qui en appellent à son exécution publique ne nous disent finalement qu'une chose : ils ne sont pas à la hauteur du défi qu'il leur lance.  

    Mathieu Bock-Côté

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

     
  • EUROPE RÉELLE, EUROPE RÊVÉE

     

    PAR HILAIRE DE CRÉMIERS

     

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    ANALYSE POLITIQUE. Bien des choses sont en train de changer en Europe. Chacun veut s'en rendre maître. C'est une lutte de projets.

    Le dernier sommet européen qui s'est tenu à Bruxelles, le jeudi 14 décembre, s'est déroulé dans une lourde atmosphère. Aucun accord n'en est sorti. Il n'est pas douteux que les sommets suivants s'en ressentiront. Le Conseil des chefs d'État et de gouvernement qui était le lieu habituel des discussions et des compromis, dominé par les principaux États qui s'assuraient une sorte d'hégémonie, Allemagne, France principalement, se transforme en lieu d'affrontements. L'actualité médiatique en a fait peu état. Ce dernier Conseil de l'année 2017 fut, pourtant, révélateur de la profonde disharmonie qui, maintenant, caractérise l'Union européenne : elle devient, chaque jour davantage, une désunion.

    LA QUERELLE MIGRATOIRE

    Les Vingt-Sept se sont disputés sur la question migratoire puisque tel était l'ordre du jour. L'Allemagne de Merkel est, une fois encore, à l'origine des désaccords. On se souvient comment les décisions du gouvernement allemand, en 2015, avaient aggravé le problème des flux migratoires, en provoquant des surplus d'arrivées massives, incontrôlées et incontrôlables, de migrants, qualifiés, à l'époque, de Syriens. Il ne s'agissait pas seulement d'ouvrir les frontières, il fallait encore accueillir, « relocaliser », surtout répartir les migrants par pays et par quotas.

    C'était pour la chancelière Merkel « la solution » qu'elle prétendait apporter et surtout imposer par voie européenne et communautaire, avec l'appui de Juncker, à tous les pays de l'Union, sans même, d'ailleurs, les consulter. Les résultats sont connus. Les flots devinrent ininterrompus, se frayant tous les passages possibles maritimes et terrestres en colonnes continues. Chaque pays n'avait plus qu'à essayer de faire front pour échapper à la submersion. L'Allemagne et les pays du Nord en ont, d'ailleurs, subi les conséquences ; les Allemands ont de quoi s'en souvenir : les incidents de Cologne restent gravés dans leur mémoire.
    Merkel tenta de régler, seule encore, et souverainement - financièrement aussi à coups de milliards - au nom de l'Europe - Hollande n'existant pas -, avec la Turquie cette question des frontières.

    La Turquie, bien évidemment, en profita et en profite, d'ailleurs, encore pour exercer son chantage ; Erdogan mène sa politique sans scrupule et menace une Europe qui avait décidé fort imprudemment de l'accueillir en son sein ; l'Allemagne en a su quelque chose, insultée qu'elle fut par le Sultan !

    Et maintenant qu'Erdogan se hisse au rang de haut représentant des intérêts musulmans, il est à prévoir que ses exigences seront de plus en plus implacables.

    RÉALITÉS ET IDÉOLOGIES

    Sur tout le pourtour de la Méditerranée le même genre de pression se fait sentir sur l'Europe, alimentée en outre par les migrations de plus en plus importantes et organisées venues d'au-delà du Maghreb, du Sahel, voire de l'Afrique profonde. Macron voudrait, lui aussi, résoudre le problème à la source ; louables intentions, mais encore faudrait-il avoir une politique africaine dont il a déclaré qu'il ne voulait plus, pour mieux rompre, paraît-il, avec le passé, remettant l'avenir, là aussi, à une Europe future qui n'existe pas et qui, elle-même, n'en veut pas.

    Alors que faire ? Verrouiller l'Europe ? Mais où et comment ? Aucune troupe, aucune flotte n'y suffirait et, d'ailleurs, il s'agit plutôt de sauver tant de malheureux livrés aux hasards de la mer ! Laisser le contrôle à la Turquie qui abuse de sa situation, et à la Libye où les passeurs et les modernes négriers ont installé des marchés d'esclaves ?

    Merkel a trop usé de sa position dominante pour faire avaliser par l'Europe les dispositions qu'elle avait cru devoir prendre au nom de tous : un système de répartition qui était censé résorber naturellement les flux migratoires. Les pays de l'Europe centrale ne s'y sont pas pliés. La Commission présidée par l'inénarrable Juncker, n'hésita pas à traduire devant la Cour de justice de l'U.E. les pays récalcitrants, Hongrie, Pologne, Tchéquie, au motif qu'ils n'ont pas rempli leur quota ! Inutile de souligner que de telles procédures ne laissent pas de créer des tensions dans la prétendue « Union » européenne qui, en tant qu'entité supranationale, passe son temps à faire la guerre sociale, économique, politique, non aux ennemis extérieurs, mais à ses propres membres qui n'entrent pas dans son idéologie.

    C'est ainsi qu'à peine 32 000 réfugiés ont été, selon l'expression consacrée, « relocalisés » sur les 160 000 qui avaient été sélectionnés - en quelque sorte ! - pour être répartis dans l'année 2016 ! Alors, aujourd'hui...

    Et voilà que ce sommet de décembre se réunissait, dans de telles circonstances, pour reprendre et réexaminer le même problème mais en imposant toujours la même « solution », cette fois-ci de manière définitive et non plus provisoire devant la certitude que, de toutes façons, la crise migratoire n'était plus en soi « une crise », mais un « phénomène permanent » et « régulier » auquel il convenait d'apporter en conséquence des « règles permanentes » ! C'est ce qui se pense dans les hautes sphères des stratégies mondiales et mondialistes. Sur cette ligne se retrouvaient en principe Bruxelles, Berlin et Paris.

    LE REFUS DES PEUPLES

    Mais les peuples rechignent de plus en plus ! Ils ne veulent ni de répartition ni de quotas. Ils veulent rester maîtres de leur droit d'asile, de leur politique migratoire, de leurs frontières, de leur souveraineté. Les mêmes ont donc refusé et violemment le dispositif permanent, automatique et obligatoire, qui leur était présenté. Merkel a tempêté en invoquant la solidarité et en l'érigeant en question de principe : « Il ne peut pas y avoir de solidarité sélective entre les membres de l'Union européenne... »

    Macron s'est trouvé mal pris, comme d'habitude, entre ses rêves d'Europe et ses promesses électorales. Il a botté en touche, selon sa manière, avec son fameux en même temps : « On ne peut pas transiger sur la solidarité européenne, mais on peut discuter les modalités d'application ». Les pays du groupe de Visegrad ont campé sur leur position, se contentant d'allouer à l'Italie un chèque de 35 millions d'euros pour l'aider à contrôler la Méditerranée. Le plus drôle, et le plus exaspérant pour Mekel, fut que Donald Tusk, président permanent du Conseil européen, se souvenant pour une fois qu'il était polonais, a pris acte de la totale inefficacité des solutions préconisées. Il a fallu que Juncker publiquement condamne une telle « provocation » !

    Autre drôlerie, encore, dans ce caravansérail européen : au dîner du soir Theresa May venait faire son « vingt-huitième » ! Avec, dans sa valise, pour le lendemain, toutes les difficultés du Brexit sur lequel, malgré toutes ses oppositions, elle ne reviendra pas, tergiversant entre les accord possibles, transitoires et définitifs, pour mieux manoeuvrer. Barnier, l'autre inénarrable pantin de l'eurocratie, en perd son anglais et est obligé de renvoyer aux calendes de mars ces discussions sans fin et sans raison ! Il fera entendre raison à l'Angleterre : Ah ! Mais !

    LE RÊVE MACRONIEN

    La-dessus, Macron échaffaude son plan de conquête de l'Europe. II pense réussir en 2019 au niveau Européen ce qu'il a réussi en 2017 en France : bouleverser totalement la donne politique. Les vieux partis, sinon éliminés, démodés, conservateurs et sociaux-démocrates, resterait à constituer un vaste centre, qui entrerait résolument dans les conceptions macronniennes et qui permettrait d'ouvrir tous les chantiers de l'Europe future, tels que Macron les a développés dans son discours de la Sorbonne ! Voilà ce à quoi il pense. Inutile de souligner le septicisme des Allemands. Il n'est pas question pour Merkel que l'Allemagne perde son influence. Macron commence à devenir un rival.

    Pour réussir son coup• en 2019, Macron prévoit en France des listes nationales et suggère déjà une liste transnationale pour les 73 députés qui devraient remplacer les eurodéputés britanniques après le Brexit. Nathalie Loiseau, ministre des Affaires européennes, est déjà en charge de cette stratégie.

    Il est des macroniens qui, dans leur enthousiasme, parlent à ce propos de pont dArcole pour leur nouveau petit Bonaparte. Ils ne voient pas que les peuples se révoltent devant de tels arrangements qui les priveront de toute expression politique.

    À un moment ou à un autre, leur Napoléon connaîtra, à sa manière, « sa bataille des Nations », celle où les peuples, apparemment ralliés, se retournent contre leur pseudo-fédérateur. Ce genre d'aventure se termine un jour à Waterloo.  ■ 

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  • Enfumage

     

    Par François Marcilhac

     

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    Emmanuel Macron serait-il en passe de réussir son pari et de «  modifier les choses  » en profondeur  ? Pourtant, les sondages, qui valent ce qu’ils valent, c’est vrai, ne semblent pas le confirmer. Et il a beau multiplier ce qu’il croit être de beaux coups médiatiques, notamment à l’international, ou donner dans une prétendue solennité à l’américaine en signant, lundi 30 octobre, de son bureau présidentiel, devant les caméras, entouré de Castaner, le porte-parole du Gouvernement, et de Collomb, le ministre de l’Intérieur, la loi «  renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme  » – il avait fait de même avec la loi de moralisation de la vie politique –, toutes ces pitreries médiatiques ne le font pas progresser dans l’estime des Français qui n’ont pas mis longtemps à percer l’arrogant mépris du personnage à leur endroit. Les médias et le pays légal dans son ensemble ne sont pourtant pas en reste pour faire son éloge. L’enfumage a même dépassé tout ce qu’on pouvait imaginer s’agissant de la directive européenne sur les travailleurs détachés, dont Macron avait fait du «  durcissement  » son cheval de bataille durant l’été, allant jusqu’à insulter les Polonais. Européiste fanatique, il veut faire de sa politique européenne le grand marqueur de son quinquennat. En l’occurrence, montrer que l’Europe saurait aussi protéger. C’est en gardant en tête cet axe qu’il faut juger sa prétendue victoire sur le sujet. Or, s’il est vrai que, désormais, le travailleur détaché devra recevoir une rémunération égale à celle de ses collègues locaux, selon les termes de l’accord trouvé à Luxembourg le 23 octobre dernier, il ne faut pas oublier que les cotisations sociales et retraites – du salaire différé – seront toujours celles du pays d’origine ou encore que Macron a dû jeter du lest concernant la durée des détachements (non pas six mois, mais douze, voire dix-huit). On dira que ce dernier point est symbolique, puisque en France – deuxième pays d’accueil derrière l’Allemagne –, la durée moyenne d’un détachement est de trente-cinq jours  ? Macron, d’un côté, ne fait donc que dans le symbolique et, de l’autre, n’a rien cherché à obtenir concernant les grosses entreprises du BTP, qui continueront toujours à avoir intérêt à embaucher des salariés qui socialement ne leur coûteront rien et dont ils pourront indéfiniment répéter les détachements. Quant aux transporteurs routiers, pourtant un gros morceau, ils échappent au «  durcissement  » de la directive, alors que le transport routier français a été divisé par trois en quinze ans en raison de la concurrence déloyale des pays de l’Est et des pays ibériques – qui auraient rejoint les premiers si Macron s’était entêté. Enfin, ces mesures entreront en vigueur, après l’accord du Parlement européen, au plus tôt en… 2022  ! Et la création d’une «  autorité européenne du travail  » permettant de contrôler leur application est renvoyée aux calendes grecques au profit d’une coopération administrative entre États… qui n’a jamais fonctionné jusque-là. On comprend immédiatement le caractère pernicieux de cet accord  : invalider dans l’œuf toute nouvelle critique de la directive en prétextant que son durcissement a réglé tous les problèmes. Ce qui est évidemment faux, comme on vient de le voir. Mais le but de Macron – comme de sa fausse opposition, de droite et de gauche, qui ne peut donc le critiquer sur ce point – est d’édifier une Europe sociale à bas coût, sur le modèle allemand dans un premier temps – il l’a explicitement annoncé à la Sorbonne – avant d’imposer une précarité encore plus grande. Alors qu’une vraie politique de protection de l’économie et des travailleurs français aurait été de contester le principe même de cette directive ou d’imposer, par exemple, sur les chantiers, la clause Molière. Mais Macron ne pense pas français. Macron thinks European

    Pour en finir avec le tirage au sort

    Les nouvelles mesures annoncées ce 30 octobre par le Gouvernement pour mettre fin au scandale – notamment l’ubuesque tirage au sort – de l’inscription des néo-bacheliers dans le premier cycle universitaire participent du même enfumage. Elles ont beau constituer pour le Premier ministre «  une réforme profonde du premier cycle universitaire  » assortie d’«  un contrat pédagogique  », elles trahissent le piège dans lequel se trouve pris tout gouvernement qui n’entreprendra pas une refonte totale du système. D’ailleurs, Édouard Philippe d’ajouter piteusement, comme pour plaire à tout le monde – et on sait que dans ce cas, on ne plaît à personne  : «  Je n’ai pas et je n’ai jamais eu peur du mot sélection, mais ce n’est pas ce que nous proposons. L’objectif n’est pas que l’université dise non. Dans la plupart des cas, elle dira oui, et dans certains cas elle dira oui si.  » Et les organisations étudiantes et lycéennes d’appeler à une mobilisation le 16 novembre contre une sélection qui ne dirait pas son nom, le «  oui si  », voire un «  non  » rarissime pour des potaches qui n’auraient décidément pas le profil des études envisagées leur paraissant encore trop sélectif. Mais comment leur donner tort  ? Et oublier que l’entrée à l’université est déjà soumise à une sélection, qui a pour nom, précisément, le baccalauréat, qui est non pas, comme on le croit ordinairement, un examen de fin de cycle mais le premier grade universitaire  ? Aussi le pouvoir se trouve-t-il coincé par plusieurs décennies de démagogie ayant abouti à priver le bac, désormais donné à tous, de sa raison d’être. Pourtant, dès les années 1970, le sociologue Raymond Boudon, dans L’Inégalité des chances, avait montré le caractère pervers, pour les élèves les plus défavorisés, de la massification des diplômes, qui les prive de toute valeur. Aussi les mesures prévues – outre le «  oui si  » des universités, un dispositif spécifique pour les filières en tension, l’avis des professeurs de terminale, la nécessité d’un prérequis pour les étudiants ayant reçu un avis sous condition ou encore des stages de prérentrée ou des cours renforcés (donnés par qui, où, avec quel argent  ? ) – seront-elles inefficaces et coûteuses tout en ne faisant qu’aggraver la situation, puisque Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, a annoncé que 500 millions d’euros seraient investis dans le but de créer de nouvelles places dans les filières les plus demandées par les étudiants, sans même que soit étudié le besoin social et économique auquel répondent ces filières. Comme si c’était à la société – l’université étant gratuite en France – de financer des études dans des filières dont le seul débouché est le chômage.

    Une impasse républicaine

    Oui, le pouvoir est coincé  : soit il restaure le bac dans sa plénitude de premier grade universitaire, ce qui impliquerait de le rendre à nouveau sélectif et de ne plus le donner à 80  % d’une classe d’âge, soit il en fait un simple diplôme de fin de cycle, et autorise les universités à organiser leur propre sélection. Avec la fac pour tous, nous sommes aujourd’hui dans le pire des scénarios, celui qui refuse tout sélection, la fac servant seulement à soulager Pôle emploi. Mais quelle serait l’acceptabilité sociale d’une de ces deux réformes auprès des familles, alors même qu’avoir le bac, et donc entrer à l’université, est devenu un droit  ? Et que faire des jeunes qui seraient refoulés  ? On voit bien qu’il faut reprendre le problème de l’orientation dès le collège… et celui de l’apprentissage des fondamentaux, parfois ignorés des étudiants de première année, dès l’école primaire. Tout en prévoyant des filières professionnelles valorisantes… Mais comment la République, qui repose sur le mythe incapacitant de l’égalité, pourrait-elle entreprendre une telle refonte  ?