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  • Littérature • Bloy et Bernanos

     

    par Gérard Leclerc

     

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    Hier, Leonardo Castellani, un étonnant génie du pays de notre pape François, nous offrait, en quelque sorte, une clé pour entrer dans l’intimité de cet autre génie qu’est Léon Bloy.

    Une clé qui risquait d’en rebuter plus d’un. Reconnaissons-le : l’annonce du Royaume avec Bloy, ça n’est pas une partie de plaisir. Ça risque même d’en faire fuir beaucoup. Mais la Bonne Nouvelle ne se traduit pas non plus facilement en termes publicitaires. L’Évangile, qui nous amène au Vendredi saint, suffirait à nous en avertir. Et de ce point de vue là, Bloy est dans la ligne, il ne nous raconte pas d’histoire. Bernanos confirme le diagnostic de Castellani. Il a écrit en 1947 un texte intitulé Dans l’amitié de Léon Bloy, où il note que si l’écrivain a dans le monde, et singulièrement en Amérique latine, des milliers d’amis, « nul, en apparence, n’a moins que lui recherché l’amitié ; il l’eut plutôt déconcertée, découragée, il l’a souvent défiée, provoquée avec une espèce de colère sacrée… ».

    De cette attitude, Bernanos tire une leçon pour son temps qui peut être prolongée encore aujourd’hui. Et là encore, il nous faut encaisser. Nous sommes, en effet, très loin d’une thématique qui a cours chez nous autour de « l’ouverture au monde ». Nous serions trop loin des attentes du monde, et c’est pourquoi l’Évangile n’y serait pas entendu. Bien sûr, il y a quelque chose de vrai là-dedans, si l’on entend par ouverture proximité avec le prochain, écoute du cœur. Mais c’est tout autre chose qu’un alignement sur l’esprit du temps et les idéologies en cour.

    C’est là que l’inflexibilité de Bloy et de Bernanos fait réfléchir. La question n’est pas, je traduis, de se trouver du côté du monde, mais de s’y trouver avec Jésus Christ. Et pour cela, il y a des ruptures nécessaires, des conversions, et même des polémiques, comme il y a des polémiques dans l’Évangile. Polémiques qui ne servent pas à rabaisser l’autre, mais à le faire émerger, ne serait-ce que pour découvrir la charte du Royaume, où se trouve exalté l’esprit de pauvreté. Cet esprit que Léon Bloy a poursuivi toute sa vie.   

    Gérard Leclerc

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 7 novembre 2017

  • Littérature • Léon Bloy vu par Leonardo Castellani

     

    par Gérard Leclerc

     

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    Le 3 novembre 1917, il y a donc cent ans, mourait Léon Bloy, cet immense écrivain, que l’on ne pouvait mieux définir que comme « pèlerin de l’absolu ».

    Parmi ses lecteurs d’aujourd’hui, le pape François lui-même, qui le cita dans sa première homélie. Pourtant est-il personnage plus décalé pour l’époque que celui-là, qui l’était déjà totalement pour la sienne ? Si Léon Bloy écrivait aujourd’hui, il y a toute chance pour que sa prose soit considérée avec effroi, tant il serait capable de violence. Une violence qui lui vaudrait probablement d’être convoqué à la dix-septième chambre, où sont jugés les délits de presse. Mais celle violence bloyenne n’était pas inspirée par la méchanceté, en dépit d’un ton polémique qui paraîtrait inouï à nos contemporains. Elle était destinée à réveiller le lecteur, l’interlocuteur pour qu’il fasse retour sur lui-même et se pose sérieusement la question du sens de sa vie.

    C’est vrai qu’il peut faire peur celui que son collègue Huysmans appelait aussi « le mendiant ingrat ». Ses imprécations continuelles, ses insultes aussi, même à l’égard de sa patrie : « La France, naguère fille aînée de l’Église, est aujourd’hui l’immondice du monde. » Et il avait autant d’amabilités à l’égard du monde littéraire. Personne n’en a fait un tableau d’une telle cruauté. Mais tout cela serait vain, insupportable, s’il n’y avait en son cœur une foi immense, inextinguible.

    Le dernier texte sur Bloy que j’ai lu émane d’un personnage aussi étonnant que lui, un prêtre argentin, Léonardo Castellani*. S’il m’arrivait de rencontrer le pape François, je lui demanderais illico s’il connaît ce compatriote. En tout cas, Castellani a bien lu Bloy, et il ne peut s’empêcher de le rapprocher de tous ceux qui ont connu « la nuit obscure du sens » celle qui est propre aux mystiques : « Certains passent toute leur vie dans une nuit obscure. Pourquoi ? … Dieu seul le sait… », dit Jean de la Croix. Et Castellani d’interroger l’énigme : « Et si c’était parce que le monde actuel se précipite vers la nuit et que Dieu entend l’anticiper de cette manière » avec des prophètes comme le mendiant ingrat ? On trouvera que c’est difficile à avaler… Lisons Léon Bloy pour percer cette nuit.  (A suivre demain : Bloy et Bernanos)

    * Leonardo Castellani, Le verbe dans le sang (présenté et annoté par Erick Audouard), Éditions Pierre-Guillaume de Roux.

    Gérard Leclerc

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 6 novembre 2017

  • L’avènement d’un totalitarisme

     

    par Gérard Leclerc

     

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    Le centième anniversaire de la révolution russe contraste étrangement avec ce que fut la célébration de son cinquantième anniversaire. Il ne faut pas oublier que les événements de 1968 ont suivi immédiatement cette célébration de 1967. Et à ce moment, le coup de force de Lénine était encore magnifié dans tout un secteur d’opinion militante en phase avec un milieu intellectuel encore acquis au marxisme-léninisme. Dans la tête de beaucoup de jeunes émeutiers de Mai 68, il y avait l’idée de recommencer ce qui s’était produit un demi siècle auparavant à Saint Pétersbourg avec Lénine. On peut même dire qu’il y eut durant toute cette période une sorte de réenchantement du marxisme et de l’idéal communiste. Réenchantement qui commença à se dissiper tout de suite avec la répression brutale du Printemps de Prague par les chars soviétiques. On connaît la suite, avec Soljenitsyne et la révélation de L’archipel du goulag, et puis en 1978 l’élection du cardinal Karol Wojtyla au siège de Rome.

    En 2017, la révolution de 1917 n’est donc plus reçue de la même façon. Avec l’effondrement du système soviétique en 1989, est venue l’heure d’un jugement impitoyable à l’égard d’un système totalitaire qui fit d’innombrables victimes. À l’opposé de l’image romantique du soulèvement du peuple des travailleurs, s’est imposée la réalité d’une dictature absolue, fondée sur un parti unique et sur une police politique, la Tcheka, « un organe, explique l’historien Stéphane Courtois, chargé de défendre le régime par tous les moyens de violence, depuis le fichage des populations et la délation généralisée jusqu’à la terreur de masse utilisée comme moyen de gouvernement ».

    Le pape Pie XI avait condamné ce système en 1937, dans son encyclique Divini redemptoris. Cela n’empêcha pas toute une frange de catholiques de se laisser prendre au mirage du modèle soviétique, en allant parfois très loin dans la collaboration avec le parti communiste. Pourtant en France, le père Gaston Fessard avait lancé un avertissement solennel en 1945 dans un manifeste intitulé France prends garde de perdre ta liberté. C’était Gaston Fessard aussi, qui avait rédigé auparavant un manifeste contre le nazisme France prends garde de perdre ton âme. Avec les deux totalitarismes du XXe siècle, c’était bien l’âme et la liberté qui étaient en péril. 

    Gérard Leclerc

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 9 novembre 2017

  • Le stupide mépris des ancêtres

    L'Apothéose d'Homère, Ingres, 1827, Musée du Louvre
     

    Par  Mathieu Bock-Côté

    Cette tribune [11.11] est de celles que Mathieu Bock-Côté donne sur son blogue du Journal de Montréal. Il est vrai que nous reprenons volontiers et souvent ses écrits tant ils sont pertinents, proches de nos propres idées, et collent, de façon vivante, intelligente et claire, à l'actualité la plus intéressante. Il s'agit ici de l'arrogance des modernes ...  LFAR  

     

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    Permettez-moi de méditer un peu sur notre époque et ses travers. Une des choses qui frappe le plus, lorsqu’on pense à nos contemporains, c’est leur immodestie.

    Je m’explique. Ils se regardent, ils se contemplent, et ne cessent de s’émerveiller d’être nés à notre époque.

    Immodestie

    Surtout, ils regardent leurs ancêtres avec mépris et les accablent de tous les maux. L’accusation est connue : ils étaient racistes, sexistes, homophobes et compagnie. Ils étaient fermés sur le monde. Ils étaient ignorants et arriérés. Et on pourrait continuer longtemps cette énumération de reproches. 

    Évidemment, si nos contemporains sont capables de faire ainsi le procès de leurs ancêtres, c’est qu’ils se croient moralement supérieurs à eux. Ils se sentent délivrés des anciens préjugés. Ils se voient comme des humains purifiés. 

    Cette arrogance des modernes a des conséquences bien réelles sur notre vie collective.

    Comment pouvons-nous, par exemple, avoir un minimum de fierté nationale si, au fil des siècles, nous ne parvenons pas à nous voir autrement que comme des salauds ?

    Comment admirer les héros de notre histoire si nous ne voyons en eux que des hommes machistes, écrasants, intolérants, ou des femmes dominées, soumises, martyrisées ?

    Comment admirer les fondateurs et les explorateurs de la Nouvelle-France si nous les voyons comme des conquérants pillards et racistes venus s’emparer d’un monde où ils n’auraient jamais dû mettre les pieds ?

    Fierté

    De même, comment pouvons-nous transmettre la culture à l’école si nous croyons qu’elle est contaminée par des préjugés et des stéréotypes dont il faudrait surtout la nettoyer ?

    Comment admirer de grandes œuvres littéraires si nous n’y voyons que le reflet d’époques détestables qui se seraient exprimées à travers elles ?

    Nous vivons dans un monde qui cultive le stupide mépris des ancêtres. Il éduque ses enfants dans une posture qui les amène à rejeter la civilisation dont ils héritent. Notre monde est suicidaire.  

    Mathieu Bock-Côté

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

  • Livres • Un prophète d’un nouvel âge ?

     

    par Gérard Leclerc

     

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    Faut-il ériger l’historien Yuval Noah Harari en prophète de notre temps ? On pourrait sérieusement l’envisager, rien qu’à constater le nombre de lecteurs enthousiastes que suscite son best-seller intitulé Homo Sapiens, traduit en une quarantaine de langues et diffusé à plus de huit millions d’exemplaires. Le président Barack Obama s’est passionné pour cet essai qui prétend nous raconter l’histoire de l’humanité en une synthèse complète. Et il est rejoint par un nombre impressionnant de personnalités, acteurs majeurs du monde actuel, tels Bill Gates ou Mark Zuckerberg. Et il semble que le second essai d’Harari, intitulé Homo Deus. Une brève histoire de l’avenir, rencontre un succès identique. Le savoir-faire de l’auteur y est pour beaucoup, car il faut du talent pour rendre crédible un tel tour de force. Mais il faut ajouter que sa prétention à nous offrir une explication globale de l’aventure humaine et à nous révéler vers quel accomplissement nous nous dirigeons a de quoi intriguer et même fasciner.

    Les deux livres d’Harari font penser à une œuvre de jeunesse d’Ernest Renan L’avenir de la science, car nous y trouvons le même projet qui consiste à imaginer le devenir de notre espèce grâce à la trajectoire du développement scientifique. Dans un cas comme dans l’autre, nous avons affaire à une sorte de gnose scientiste, un substitut de religion, puisqu’il s’agit de donner du sens à l’existence, tout en s’émancipant des âges révolus de l’humanité.

    Renan se demandait si la science n’obtiendrait pas l’ultime secret du monde, celui qui donnerait à l’homme le pouvoir de créer, qui jusqu’ici n’appartenait qu’à Dieu. Harari, lui, est aussi fasciné par les progrès de l’esprit de l’homme, mais il se montre angoissé par le développement d’une intelligence artificielle, que ce même homme a fabriquée et qui risque demain de le mieux connaître que lui-même ne se connaît. Ce n’est plus exactement la gnose scientiste de Renan, mais elle est encore plus inquiétante avec sa projection transhumaniste. Et c’est dans ce climat culturel-là, que les chrétiens ont à faire connaître la Bonne Nouvelle, dont saint Irénée montrait, qu’avec le Christ, elle était la nouveauté absolue. C’est un sacré défi !  

    Gérard Leclerc

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 16 novembre 2017

  • Islamophobie ?

     

    par Gérard Leclerc

     

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    L’éditorialiste, le chroniqueur, celui qui commente l’actualité au jour le jour est parfois tenté par le genre du feuilleton.

    Il est, en effet, des sujets récurrents, qui provoquent des controverses sans fin. Il en va ainsi du féminisme, avec des événements à rebondissement et des prises de position quotidiennes, dont j’aurais pu entretenir nos auditeurs durant plus d’un mois. Il m’a fallu renoncer à la tentation de faire l’analyse critique de dizaines de tribunes libres, qui auraient pu alimenter souvent la réflexion, souvent aussi la réplique, et de temps à autre une bienfaisante ironie. Il en va aussi de l’islam, sous les aspects les plus divers. J’en ai déjà dit un mot, mais la polémique qui fait rage ces jours-ci entre l’hebdomadaire Charlie Hebdo et Edwy Plenel, révèle la profondeur d’un désaccord, qui n’est pas près de s’éteindre.

    Une bonne part de cette querelle se concentre sur la notion d’islamophobie, le terme phobie étant d’ailleurs surexploité dans la rhétorique contemporaine. Philippe Muray s’en était moqué, en parlant de « cage aux phobes » où il s’agissait d’enfermer les gens qui vous déplaisent, pour leur régler leur compte, de préférence en les accablant de lourdes sanctions pénales. C’est le même Muray qui parlait de « l’envie du pénal », si caractéristique aussi de l’époque.

    Si l’islamophobie est une attitude qui pousse à la haine des musulmans, et en particulier de nos compatriotes musulmans, elle est d’évidence détestable. Mais s’il s’agit d’une injure destinée à faire taire ceux qui veulent réfléchir aux problèmes sérieux que pose la culture musulmane – et c’est le fait des intellectuels musulmans les plus pointus – elle est également détestable pour une autre raison. Car il s’agit d’empêcher le discernement qui s’impose, à partir d’une étude approfondie. Celle qui devrait s’engager dans le cadre du dialogue interreligieux, loin des tentations relativistes et syncrétistes, comme des comparatismes superficiels. Mais une telle étude suppose une sorte de consensus des hommes de bonne volonté, qui va bien au-delà d’un accord sur notre laïcité à la française. Vaste programme, vaste ambition dont dépend notre sort le plus immédiat.  

    Gérard Leclerc

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 22 novembre 2017

  • Gérard Leclerc : Un amour heureux ?

    Simone de Beauvoir

    par Gérard Leclerc

     

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    Puisque le feuilleton a pris possession de l’opinion publique au travers des médias, reprenons-le aujourd’hui encore. Et distinguons deux éléments : il y a d’une part les révélations qui continuent à se bousculer. Et de ce point de vue, on ne peut que reconnaître à la parole libérée sa part bienfaisante. Il faut que certaines choses soient dites, il faut que les jeunes filles et les jeunes femmes soient averties de ce qui les menace, surtout lorsque le harcèlement sexuel s’est érigé en système, comme cela semble être le cas dans certaines organisations politiques ou syndicales. Même si le déferlement peut parfois déraper, il a sa justification. Mais il y a l’autre côté des choses, la contrepartie du déferlement. Sur quoi va-t-il déboucher ? La honte doit changer de camp, a dit le président Macron. Je préfère cette formule à celle qui s’est plusieurs fois énoncée : la peur doit changer de camp. Dans cette acception-là, il est entendu que nous sommes engagés dans une lutte camp contre camp, une lutte que remportera celui qui aura réussi à établir le meilleur rapport de force.

    Certes, on ne peut être angélique : en ignorant ce qu’il y a de domination dans certaines relations entre les sexes, on s’expose à une naïveté coupable. Mais par ailleurs, n’envisager le problème que sous l’angle des rapports de force, c’est risquer de s’enfermer dans une impasse. Veut-on la guerre perpétuelle entre les sexes, ou veut-on créer un climat favorable à la concorde et, éventuellement, au bonheur commun ? C’est en ce sens que j’ai plaidé, ces jours derniers, en faveur d’un nouvel imaginaire social, qui pourrait nous tirer de nos difficultés actuelles. Inutile de se cacher que la tâche est particulièrement ardue. Elle l’est à cause, notamment, de la conception que l’époque a de la sexualité. Lorsque celle-ci s’exprime sur le mode compulsif de la pornographie, il ne faut pas s’étonner des dégâts. Dans le même sens, ne sommes-nous pas dominés par un pessimisme inspiré par une conception nihiliste de l’existence ?

    Songeons au message ultime d’une Simone de Beauvoir, grande initiatrice du féminisme contemporain, qui considérait, au terme de sa vie, qu’elle avait été « flouée ». C’était bien la peine d’avoir répandu le feu de la contestation et de la libération ! S’il n’y a pas une lumière d’espérance pour les hommes et les femmes, il n’y a qu’amertume dans leurs relations. C’est pourquoi il faut imaginer autre chose. Et pourquoi pas un amour heureux ?  

    Gérard Leclerc

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 29 novembre 2017

  • Après notre « Lundi » - « La fabrique de l’islamisme » - l'avis de Gérard Leclerc : « L’islam aujourd’hui »

     

    par Gérard Leclerc
     

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    C’est la seconde fois que l’Institut Montaigne sonne l’alarme.

    Après une première enquête de septembre 2016, d’où il ressortait que 28 % des musulmans de France adhéraient à un islam « de nature sécessionniste et fondamentaliste », le même institut publie une étude alarmante sur l’influence grandissante de l’islamisme, notamment salafiste, à l’égard d’une opinion musulmane grand public par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Le Figaro lui donne le plus large écho, notamment dans deux pages où sont représentées les filières d’une sorte d’araignée étendant sa toile sur le monde. C’est proprement accablant, d’autant que les figures dites modérées de l’islam sont écrasées en terme d’influence et de rayonnement. Et ce sont principalement les jeunes qui subissent cette propagande qui appuie sa conception du monde sur les moyens les plus modernes. En ce sens, il est bien vrai que l’islamisme, pourtant réputé rétrograde, est à la pointe de la communication contemporaine.

    Comment lutter contre pareil phénomène ? L’auteur de cette étude est un intellectuel particulièrement brillant, dont Le Monde trace le portrait, en rappelant son parcours impressionnant. N’aurait-il pas l’oreille d’Emmanuel Macron, cet Hakim El Karoui, qui fut la plume de Jean-Pierre Raffarin ? Il a son plan en tête. Pour contrer l’islamisme en France, il entend tout bonnement prendre le pouvoir par l’argent, c’est-à-dire réguler le culte musulman par le contrôle des finances. En collectant des fonds par une redevance sur le hallal et les voyagistes qui organisent le pèlerinage à la Mecque, un islam indépendant aurait la maîtrise de la formation des imams et de la construction des mosquées.

    Ce projet m’a rappelé une longue conversation que j’avais eue autrefois avec le cardinal Lustiger. Il ne croyait pas du tout à la possibilité de l’organisation de l’islam par l’État. Aurait-il été convaincu par cette idée d’autorité indépendante ? J’en doute fortement. Ce n’est pas la laïcité qui réformera un système religieux qui a sa propre logique. La réforme d’une religion ne peut se faire que par des forces endogènes à cette religion. Or les forces endogènes de l’islam sont, pour le moment, mobilisées par le fondamentalisme. ■ 

    Gérard Leclerc

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 11 septembre.

     

    A lire aussi dans Lafautearousseau ...

    La fabrique de l’islamisme

  • Livres • Gabrielle Cluzel : « Il n’y a rien à sauver du féminisme ! »

     

    par Jean-Baptiste d'Albaret

    Journaliste, rédactrice en chef à Boulevard Voltaire, Gabrielle Cluzel exécute l’idéologie féministe dans un petit livre aux formules ciselées.

     

    Le titre de votre livre est une référence à La Cérémonie des Adieux de Simone de Beauvoir…

    L’œuvre de Simone de Beauvoir puise largement dans la frustration d’être née à une époque qui réservait peu de places aux femmes intellectuelles. D’une certaine façon, le beauvoirisme est un bovarysme ! Comprenez bien que dans la France patriarcale de l’après-guerre, il a bien fallu que le féminisme se nourrisse, pour prospérer, d’un certain terreau d’injustice et de colère… Le problème, c’est qu’après avoir exigé la libération des femmes, il a prétendu libérer la femme d’elle-même et, ce faisant, l’a purement et simplement niée. Il est devenu une idéologie, une sorte d’utopie qui pouvait avoir un impact dans des sociétés riches et prospères mais qui apparaît pour ce qu’elle est dans un monde fragilisé comme le nôtre : une tyrannie plus ou moins feutrée qui prétend occulter le réel en dictant aux femmes – et aux hommes – leur conduite. Adieu Simone : il n’y a rien à sauver du féminisme !

    Où voyez-vous des brèches dans l’idéologie féministe ?

    Les féministes ne peuvent pas éternellement nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Elles font un bruit épouvantable pour imposer que l’on dise « madame « la » ministre » plutôt que « madame « le » ministre », mais on ne les entend plus quand il s’agit de dénoncer de vrais scandales. Qu’elles s’en prennent au laxisme judiciaire qui fait de notre pays une jungle où s’exerce la loi du plus fort. Car, bien évidemment, cette loi s’exerce au détriment des femmes, plus faibles physiquement – et oui ! – que les hommes. C’est d’ailleurs aussi pourquoi elles sont victimes de harcèlement. Encore un brillant « acquis » du féminisme qui, en œuvrant pour la libération sexuelle, a contribué à faire tomber les conventions qui régissaient somme toute assez bien les rapports entre les hommes et les femmes. Et je ne parle même pas du silence radio des féministes sur les risques sanitaires de la contraception et sur la souffrance morale d’une IVG. Quant au traitement dégradant subi par certaines musulmanes, jamais une voix ne s’élève pour le dénoncer. Mais la réalité est cruelle. On l’a vu au moment des événements de Cologne où le Titanic féministe s’est écrasé sur l’iceberg islamique…

    Mais, tout de même, ne faut-il pas se réjouir que la femme soit aujourd’hui l’égale de l’homme ?

    Cela dépend de quoi on parle. Promouvoir des femmes, non pour leurs compétences, mais parce qu’elles sont des femmes, j’appelle cela un système condescendant et odieusement sexiste. Il résume d’ailleurs l’erreur fondamentale du féminisme qui voudrait faire croire aux femmes qu’il leur faut choisir entre leur cerveau et leur désir de maternité. à mon avis, il devrait être tout à fait possible de mener de front une carrière professionnelle et une vie de famille épanouie. On attend le candidat qui proposera une politique familiale intelligente, valorisant les différents aspects de la féminité et de la masculinité. 

    Adieu Simone, de Gabrielle Cluzel, Le Centurion, 127 p., 11,90 euros.

  • Une France américanisée ?, par Gérard Leclerc.

    Palais de justice de Paris

    © Arthur Weidmann / CC by-sa

    La manifestation qui a lieu, mardi soir, au abords du nouveau Palais de justice de Paris constitue un événement d’une singulière signification, non seulement à cause des violences auxquelles il a donné lieu. 20 000 personnes réunies alors que tout rassemblement de foule demeure interdit, c’est déjà un motif de réflexion. Mais c’est surtout la cause de l’événement qui s’impose par sa gravité. Il s’agissait, en effet, de protester, quatre ans après la mort d’Adama Traoré, contre la violence policière qui serait à son origine.

    gerard leclerc.jpgUne farouche bataille judiciaire s’est engagée, à coup d’expertises et de contre-expertises, pour savoir si Adama est mort, oui ou non, du placage ventral dont il a été l’objet à la suite d’une arrestation musclée. La police refuse cette interprétation, alors que la famille désigne le racisme policier qui frapperait régulièrement des personnes en raison de leur peau noire.

    Mardi soir, la sœur d’Adama, Assa Traoré, en s’exprimant devant la foule rassemblée, n’a pas hésité à annoncer que ce n’était que le début d’une offensive d’importance historique. Il est difficile de prendre parti dans une querelle aussi douloureuse. Comment ne pas comprendre le chagrin et la colère d’une famille endeuillée ? Mais par ailleurs, on peut aussi s’inquiéter des dimensions sociales, politiques et idéologiques d’une affaire qui provoque une émeute, à l’image de ce qui se passe aux États-Unis après la mort de Georges Floyd. Peut-on parler, en France, de racisme institutionnel, dont notre police serait coupable ? C’est déjà discutable. Mais les choses vont plus loin encore.

    Le rapprochement avec les États-Unis est plus qu’inquiétant, car tout se passe comme si l’on voulait que la France entre complètement dans le modèle américain avec toutes les connotations d’une histoire marquée par l’esclavage, la lutte pour les droits civiques mais encore les tendances persistantes au suprémacisme blanc et les affrontements sanglants. Et cela correspond à toute une construction intellectuelle également importée d’outre-Atlantique, qui voudrait que « la domination blanche » structure notre société, et que celle-ci ne peut que se comprendre à partir de termes ethno-raciaux binaires, du type blanc-noir. Ainsi notre pays, dans cette logique, devrait participer à la grande bataille qui secoue en ce moment les États-Unis. Une France essentialisée raciste, c’est, pour moi en tout cas, un grand danger à éviter et, pour rester dans le même vocabulaire, à déconstruire d’urgence.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 4 juin.

  • De Gérard Leclerc (3/3) : Quand les passions s’échauffent.

    Paris Batignolles 2 juin 2020 manifestation

    pour Adama Traoré et George Floyd

    © Langladure / CC by-sa

    L’affaire Traoré, relancée par les événements qui se déroulent aux États-Unis, est traitée par les différents médias selon leur angle de vue idéologique. C’est inévitable. Encore faut-il y aller voir de près pour constituer le dossier d’informations nécessaire.

    Dans une période où les passions s’échauffent, est-il possible de faire son métier de journaliste avec toute la rectitude nécessaire, la volonté de collecter le maximum d’informations utiles à l’expression, sinon de la vérité, du moins de la complexité des événements ?

    gerard leclerc.jpgC’est problématique ! La simple lecture des quotidiens montre à quel point, selon les options des uns et des autres, certains aspects de la réalité sont privilégiés au détriment d’autres aspects, chacun étant sûr de son bon droit, en rapport avec la cause qu’il défend. J’en prendrai pour cette fois un seul exemple. Dans Le Monde daté d’aujourd’hui, un article entend établir « l’histoire d’une mobilisation », celle qui a permis la grande manifestation parisienne du mardi 2 juin pour soutenir la cause d’Adama Traoré, dont la mort, il y a quatre ans, a suscité une intense bataille judiciaire. On apprend beaucoup à lire cette enquête, ses auteurs Louise Couvelaire et Abel Mestre ont travaillé sérieusement, en s’attachant au parcours militant de la sœur d’Adama, Assa Traoré, qui s’est révélée comme animatrice charismatique de tout un mouvement.

    Il y a d’évidence beaucoup d’empathie dans ce papier, et cela concourt à lui donner une certaine force. Mais les auteurs disent-ils toute la vérité ? D’évidence non, et l’on est bien obligé de se référer à d’autres sources, pour avoir les compléments nécessaires. Ainsi, j’ai retrouvé sur le net un article publié par le général Bertrand Cavallier dans une publication intitulée La voix du gendarme. Le général rappelle les cinq nuits d’insurrection qui suivirent la mort d’Adama Traoré, au cours desquelles trente-cinq membres des forces de l’ordre furent blessés, dont treize par armes à feu. Au total, une centaine de coups de feu ont été identifiés. Dans une situation extrêmement tendue, il était ardu de rétablir l’ordre. Est-il vrai que tout un territoire se trouvait terrorisé par des bandes de voyous et que la population s’est félicitée qu’ils aient été neutralisés ? Cinq frères d’Adama Traoré ont été inculpés à la suite de ces violences. Le général Cavallier s’indigne qu’à cause de la propagande d’Assa Traoré, l’opération des forces de l’ordre ait été stigmatisée, comme relevant d’une dimension raciale.

    Ce qui est sûr, c’est que, journaliste, je ne puis que recueillir les deux pièces du dossier, en attendant d’autres pour établir l’ensemble des faits. Puis, éventuellement, formuler mon propre jugement.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 9 juin 2020.

  • Les rapports police-État, par Gérard Leclerc.

    © Ella_87 / Pixabay

    Que les policiers soient en colère à la suite de déclaration de Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur et donc leur ministre, se conçoit aisément. Ils s’estiment désavoués en une période d’extrême tension psychologique. Qu’un « soupçon avéré d’acte ou de propos raciste » entraîne systématiquement une suspension, selon les propos du ministre, leur est intolérable. Qu’est-ce qu’un soupçon avéré ? Un soupçon est un soupçon. S’il est confirmé par une vérification sérieuse, ce n’est plus un soupçon, c’est une vérité. On ne suspend pas un policier sur un soupçon.

    gerard leclerc.jpgEt par ailleurs, nos forces de l’ordre s’estiment également désarmées pour procéder à des arrestations de personnes violentes, si on leur interdit certaines pratiques physique. Une menace plane dans l’air : tout simplement laisser fuir les individus, dès lors que les moyens adéquats sont refusés à la police par le ministre de l’Intérieur.

    Les polémiques actuelles semblent désarçonner le gouvernement et le président lui-même qui, pour le coup, ne veulent pas encourir le soupçon de complaisance pour le racisme. D’où d’autres propos pour le moins curieux de Christophe Castaner déclarant que des manifestations interdites peuvent être tolérées du fait d’une « émotion saine ». L’émotion primerait donc le droit ? Il n’est pas seul en cause. La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, s’est exposée à la critique en invitant la famille d’Adama Traoré à venir parler avec elle place Vendôme. Elle a d’ailleurs reçu un refus bien ajusté d’Assa Traoré, la sœur d’Adama, qui a rappelé tout bonnement les règles juridiques élémentaires.

    C’est que le climat actuel est malsain, en dépit du grand mouvement anti-raciste que beaucoup saluent. S’il y a des actes et des propos racistes de la part de certains policiers, ils doivent être sanctionnés. Mais il y a aussi urgence pour un pays de retrouver sa confiance envers ceux qui protègent sa vie quotidienne. Et cela d’autant plus qu’ils sont, depuis des années, soumis à rude épreuve. Que l’on songe à leur mobilisation incessante contre le terrorisme, aux débordements de certaines manifestations dues souvent aux fameux black-blocs. Aux surveillances nécessitées par le confinement… Le gouvernement risque d’être en difficulté, s’il a perdu durablement la confiance de sa police.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 11 juin 2020.

  • Sortie de crise : vers un élan national ?, par Gérard Leclerc.

    Le discours d’hier soir du président de la République est significatif non plus d’une opération de déconfinement mais de sortie de crise et de définition d’un élan national qui suppose unité et solidarité. Emmanuel Macron sera-t-il compris de l’opinion publique ?

    Qu’on l’accepte ou pas, le discours qu’a prononcé hier soir le président de la République marque une redéfinition globale de la politique du pays. L’épisode sans précédent que nous avons vécu, à l’unisson de l’Europe et du monde entier, entraîne, en effet, un réexamen de ce qu’on peut appeler la philosophie qui doit présider au déploiement de toute notre activité.

    gerard leclerc.jpgNe disposant plus que de deux années d’exercice du pouvoir, Emmanuel Macron est obligé d’envisager un plus large horizon, c’est pourquoi il a parlé de la décennie à venir. Il est bien certain que les décisions prises, en concertation – il a insisté là-dessus –, engageront l’avenir et qu’elles ne pourront se réaliser dans des délais trop courts. Par ailleurs, qui dit philosophie n’implique pas dans l’immédiat un véritable programme concret. Celui-ci se décidera au fur-et-à-mesure. En juillet, le président reprendra la parole, pour formuler sans doute les premières précisions concrètes.

    Le nouvel élan s’inscrit d’évidence dans la dynamique, non plus de ce qu’on a appelé le déconfinement mais de la sortie générale de crise. Le pays, dans son ensemble, est-il prêt à se lancer avec conviction dans la reconstruction qui se dessine, avec ses objectifs d’indépendance, de conversion écologique, de relocalisation ? Il faudra pour cela surmonter les handicaps inhérents à l’arrêt qui a été donné à l’activité économique et se traduit par un chômage record et des faillites d’entreprise. La notion d’esprit public prend, dans ce contexte, toute son importance, avec ses exigences d’unité et de solidarité.

    De ce point de vue, Emmanuel Macron ne pouvait ignorer les derniers événements qui n’ont rien arrangé, telles les querelles autour du racisme, la déstabilisation morale des forces de l’ordre, et plus généralement la remise en question de notre identité historique. Là-dessus, il s’est montré extrêmement ferme en affirmant qu’aucune trace de notre histoire, aucun nom ne seraient effacés, aucune statue ne serait détruite. Cela importe à l’affirmation de patriotisme qu’il a voulue vigoureuse. Sur ce point aussi, il a marqué une nette inflexion par rapport à certains dérapages de sa campagne présidentielle, lorsqu’il allait jusqu’à contester l’existence d’une culture française. Il n’est pas question désormais de déconstruction de notre passé, il s’agit bien plutôt d’un projet commun fédérateur. Le pays est-il prêt à le comprendre et à le suivre ? C’est toute la difficulté.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 15 juin 2020.

  • Un pays aux esprits divisés, par Gérard Leclerc.

    Rassemblement à Paris contre le racisme et les

    violences policières, 13 juin.

    CC by : Jeanne Menjoulet

    S’il est vrai, comme l’écrit l’éditorialiste du Monde, que la France en voie de déconfinement est un pays profondément divisé, il est à craindre que la situation ne s’améliore pas. À coup de déclarations incendiaires, nous risquons de nouvelles déchirures.

    Les paroles d’Emmanuel Macron dans son discours de dimanche soir concernant l’incendie qui s’est déclenché chez nous à propos de l’affaire Adama Traoré étaient soigneusement balancées.

    gerard leclerc.jpgD’un côté, le président insistait sur sa détermination à combattre le racisme, de l’autre il mettait en garde contre le danger du communautarisme, celui qui se traduit par « une réécriture haineuse ou fausse du passé ». L’éditorialiste du Monde se demande si « cet équilibrisme dosé au millimètre, suffira à ramener la concorde. La France déconfinée reste un pays profondément divisé. » Difficile de contredire le signataire de ces lignes. La simple lecture de son journal montre comment la division du pays peut se traduire dans la presse, avec l’opposition des sensibilités, des rhétoriques, des analyses. D’une publication à l’autre, l’enquête sur la mort d’Adama Traoré donne lieu à des interprétations opposées. Lorsqu’on est incapable de s’entendre sur la réalité des faits, c’est que décidément la division des esprits est profonde.

    Cette division s’exprime à propos de la police, qui manifeste aussi spectaculairement sa colère. Ce n’est sûrement pas la diatribe que Jean-Luc Mélenchon a développée à son égard qui arrangera les choses. Prétendre que les syndicats de police « réclament le droit d’étrangler les gens ou de leur tirer dessus des coups de fusil électrique », c’est à tout coup attiser les ressentiments. Est-ce à dire que cette opposition est promise à de nouveaux épisodes, au risque d’allumer de nouveaux incendies, c’est hélas fort possible.

    J’ai de bonnes raisons de penser que la controverse intellectuelle va rebondir dans les prochains mois, notamment dans le cadre universitaire, où le courant des études post-coloniales s’est solidement implanté mais suscite une opposition grandissante de la part d’intellectuels qui redoutent une évolution à l’américaine. Les derniers événements ont montré comment on est passé de l’affaire Floyd de Minneapolis au réveil de l’affaire Traoré qui date de quatre ans, avec la contamination de problématiques américaines. Si l’on peut émettre un souhait dans la situation présente, c’est qu’au moins l’affrontement des idées aboutisse à un relatif éclaircissement qui permette de mieux comprendre les causes et si possible, les remèdes de nos divisions.

    Chronique diffuse sur Radio Notre-Dame le 16 juin 2020.

  • Une révolution culturelle ?, par Gérard Leclerc.

    Que penser de cette vaste offensive qui aux

    États-Unis et en Europe s’en prend à des

    statues emblématiques du passé de nos

    nations ?

    © Cezary p / CC by-sa

    Depuis quelques jours, nous assistons aux États-Unis et en Europe à une vaste entreprise iconoclaste. Il faut prendre le mot au sens purement étymologique. L’iconoclaste c’est simplement un briseur d’images. Si l’on consulte le Petit Littré, on est renvoyé à tout un contexte religieux ancien, notamment à cette secte qui sévit au VIIIe siècle pour faire la guerre aux saintes images. Voilà qui parle d’ailleurs directement à nos amis orthodoxes qui célèbrent, chaque année, le triomphe de l’orthodoxie, précisément sur l’iconoclasme, c’est-à-dire l’interdit jeté sur la vénération des icônes du Christ, de la Vierge et des saints.

    gerard leclerc.jpgL’iconoclasme, sous une autre forme, réapparaît d’ailleurs au XVIe siècle, avec une tendance de la Réforme anti-catholique. Mais l’iconoclasme qui sévit en ce moment n’a de rapport avec ces précédents que par la mise en cause de certaines représentations que l’on pourrait définir comme inhérentes à un certain sacré profane. Car ce sont les icônes de la vie civile qui se trouvent souillées ou détruites en raison de ce qu’elles symbolisent dans la vie des nations.

    Il n’y a pas que Colbert qui soit visé comme rédacteur du Code noir au XVIIe siècle. Il y a aussi George Washington, Winston Churchill, le général de Gaulle. On a même vu des tombes d’un cimetière militaire saccagées. Comment ne pas songer plus encore qu’à l’iconoclasme religieux, à la révolution culturelle chinoise, telle qu’elle fut déclenchée en en 1966, à l’instigation de Mao Tsé-toung. Il s’agissait sans doute, pour le grand timonier, de reprendre en main solidement les rênes du pouvoir. Mais c’était sous le mode d’une révolution culturelle, où il s’agissait d’arracher le pays à son passé et à toutes ses valeurs traditionnelles. C’est ainsi que des milliers de sculptures et de temples bouddhistes furent détruits. Fort heureusement, la révolution culturelle, à laquelle nous assistons, ne se distingue pas par la férocité de la révolution chinoise qui fit des millions de morts. Mais il y a quelque chose d’analogue dans cette volonté forcenée de vouloir effacer et détruire les symboles du passé.

    Sans doute, la question du racisme et du passé esclavagiste de l’Occident est elle à l’origine de cette révolution culturelle, et c’est plutôt une volonté purificatrice qui s’affirme ainsi dans le but d’imposer un discernement historique. Mais force est de constater aussi que la dynamique purificatrice va beaucoup plus loin lorsqu’elle s’en prend à des figures aussi emblématiques que Washington, Churchill et de Gaulle. C’est du passé global que l’on veut faire table rase, et du même coup on expose toute une jeunesse à une aventure non seulement inconsidérée, mais dangereuse dans ses finalités et ses conséquences.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 17 juin 2020.