Les djihadistes de l'État islamique ont mis en ligne une vidéo, jeudi 26 février, où ils détruisent à coups de masse des œuvres préislamiques très rares du musée de Mossoul en Irak. Que cela vous inspire-t-il ?
Gérard Leclerc: Je suis horrifié. Ce n'est pas un massacre, ni une décapitation ou une crucifixion. Mais c'est une violence qui blesse de manière très particulière, qui s'attaque à notre nature profonde. Cela m'évoque l'attentat à la bombe qui endommagea le musée des Offices à Florence en 1993, des oeuvres d'art inestimables avaient été abîmées. Les terroristes ont agi sciemment: leur réflexe consiste à éradiquer tout ce qui ne convient pas à leur conception de la vie.
Après la destruction de la tombe du prophète Jonas, c'est la deuxième fois que Mossoul est visée. Cette ville occupe-t-elle une place particulière dans la civilisation judéo-chrétienne ?
Ninive est une ville biblique. Elle est liée à l'histoire de Jonaz, prophète juif, envoyé par Dieu dans une grande ville païenne qu'il va convertir de manière improbable. D'abord sceptique, Jonas s'enfuit. Mais son bateau est pris dans une tempête. Il est alors avalé par une baleine qui au bout de trois jours et de trois nuits le rejette sur le rivage, d'où il repartira finalement convertir Ninive. Jonaz et Ninive sont ainsi restés des figures importantes de la révélation de la culture biblique puisque le Christ lui-même se référera, selon l'Évangile de saint Matthieu, au seul signe de Jonas, alors qu'on lui réclame un signe décisif pour attester du caractère de sa mission.
Jonaz est aussi un prophète pour les musulmans puisqu'ils sont reliés à la culture biblique de l'Ancien testament. Mahomet se veut l'homme qui clôt la révélation et celle-ci part d'Abraham. Il y a une parenté culturelle indéniable.
S'ils appartiennent aussi à la culture musulmane, pourquoi s'en prendre à ces sites historiques ?
Les terroristes se réfèrent à la tendance iconoclaste qu'on retrouve dans l'histoire des religions, y compris dans la théologie chrétienne. L'image, considérée comme une forme d'idolâtrie est en effet un interdit biblique. Il faut se souvenir de la célèbre querelle des images de Byzance qui s'étend de 723 à 843. Pendant cette centaine d'années, les empereurs byzantins interdirent le culte des icones et firent détruire systématiquement les images représentant le Christ ou les saints. Mais celle-ci va se clore finalement par le triomphe de l'orthodoxie et du culte des icônes lors du deuxième Concile de Nicée en 787. Cela se traduira par l'émergence de l'art religieux occidental et la production de merveilles artistiques inégalées. Néanmoins, dans le registre religieux, il y a une lutte constante entre la représentation et le refus de la représentation. Il ne faut pas oublier non plus que dans le protestantisme au XVIe siècle, il y a aussi une rage iconoclaste qui va faire des ravages dans notre patrimoine culturel. Evidemment, il ne s'agit pas de faire un rapprochement hasardeux entre le calvinisme et l'islam racical. Mais les islamistes s'appuient sur une tradition religieuse iconoclaste défaite par le christianisme. Ils ont pris le parti de la suppression de toute représentation qui à leurs yeux est idolâtrique.Cette politique de la terre brûlée se rapporte à une certaine conception du divin, qui ignore que l'épiphanie de la transcendance peut briller dans des oeuvres faites de main d'homme. Cela les conduit à se retourner contre toute la culture, même si leur fureur est encore plus grande à l'égard de toutes les civilisations étrangères à l'islam.
Au-delà du fanatisme iconoclaste religieux, n'y-a-t-il pas aussi aussi une dimension totalitaire dans ces actes ?
Oui, il y a une volonté d'éradication du passé comme si les islamistes voulaient refaire l'humanité à neuf. A travers l'application rigoureuse de la charia, ils cherchent à créer une société nouvelle et un homme nouveau. On peut faire l'analogie avec la révolution culturelle chinoise et la volonté des gardes rouges d'éradiquer tout héritage culturel et artistique, de faire table rase du passé. Il s'agissait d'araser complètement le paysage de toute mémoire. On se souvient aussi de la formidable rage de certains révolutionnaires français que l'abbé Grégoire avait dénoncée.
Pour la première fois, les djihadistes ont filmé leurs destructions. Que cela signifie-t-il selon vous ?
La diffusion des images vise à atteindre l'opinion occidentale en la touchant dans ses ressorts les plus profonds. Il s'agit de terroriser les esprits en disant: «Nous sommes les radicaux des radicaux, nous ne ferons grâce de rien...» •
FIGARO VOX Vox Monde - Alexandre Devecchio