Feuilleton : Chateaubriand, "l'enchanteur" royaliste... (54)
Anne-Louis Girodet, Portrait de Chateaubriand,
Saint-Malo, musée d’Histoire de la Ville et du Pays Malouin.
(retrouvez l'intégralité des textes et documents de cette visite, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)
Aujourd'hui : Prophète, contre le multiculturalisme... et pour l'enracinement...
Prophète, contre le multiculturalisme...
Des Mémoires d'Outre-tombe, quatrième partie du livre douzième, chapitre six :
"...Quelle serait une société universelle qui n'aurait point de pays particulier, qui ne serait ni française, ni anglaise, ni allemande, ni espagnole, ni portugaise, ni italienne, ni russe, ni tartare, ni turque, ni persane, ni chinoise, ni américaine ou plutôt qui serait à la fois toutes ces sociétés ?
Qu'en résulterait-il pour son intelligence, ses mœurs, ses sciences, ses arts, sa poésie ?
Vous dînerez à Paris, et vous souperez à Pékin, grâce à la rapidité des communications ; à merveilles ; et puis ?..."
... et pour l'enracinement
"La folie du moment est d’arriver à l’unité des peuples et de ne faire qu’un seul homme de l’espèce entière, soit ; mais en acquérant des facultés générales, toute une série de sentiments privés ne périra-t-elle pas ?
Adieu les douceurs du foyer; adieu les charmes de la famille; parmi tous ces êtres blancs, jaunes, noirs, réputés vos compatriotes, vous ne pourriez vous jeter au cou d’un frère.
N’y avait-il rien dans la vie d’autrefois, rien dans cet espace borné que vous aperceviez de votre fenêtre encadrée de lierre ?
Au delà de votre horizon vous soupçonniez des pays inconnus dont vous parlait à peine l’oiseau du passage, seul voyageur que vous aviez vu à l’automne.
C’était bonheur de songer que les collines qui vous environnaient ne disparaîtraient pas à vos yeux ; qu’elles renfermeraient vos amitiés et vos amours ; que le gémissement de la nuit autour de votre asile serait le seul bruit auquel vous vous endormiriez ; que jamais la solitude de votre âme ne serait troublée, que vous y rencontreriez toujours les pensées qui vous y attendent pour reprendre avec vous leur entretien familier.
Vous saviez où vous étiez né, vous saviez où était votre tombe ; en pénétrant dans la forêt vous pouviez dire :
Beaux arbres qui m’avez vu naître,
Bientôt vous me verrez mourir
(Mémoires d'Outre-tombe, Garnier, 1910, Tome VI, Livre X)
Illustration : chêne de la forêt de Tronçais.
• "L'enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine. C'est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l'existence d'une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d'avenir. Participation naturelle, c'est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l'entourage. Chaque être humain a besoin d'avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l'intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie." (Simone Weil)
• "II me parait impossible d'imaginer pour l'Europe une renaissance qui ne tienne pas compte des exigences que Simone Weil a définies." (Albert Camus)