Feuilleton : Chateaubriand, "l'enchanteur" royaliste... (25)
Anne-Louis Girodet, Portrait de Chateaubriand,
Saint-Malo, musée d’Histoire de la Ville et du Pays Malouin.
(retrouvez l'intégralité des textes et documents de cette visite, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)
Aujourd'hui : tandis que Louis XVIII entre dans Paris, Napoléon part pour son exil doré de l'île d'Elbe; il traverse une France hostile et haineuse, surtout en Provence...
Caricature anti napoléonienne d'époque...
"Bonaparte avait demandé à l'Alliance des commissaires, afin d'être protégé par eux jusqu'à l'île que les souverains lui accordaient en toute propriété et en avancement d'hoirie.
Le comte Schouwalof fut nommé pour la Russie, le général Kohler pour l'Autriche, le colonel Campbell pour l'Angleterre, et le comte Waldbourg-Truchsess pour la Prusse : celui-ci a écrit l'Itinéraire de Napoléon de Fontainebleau à l'île d'Elbe... :
"Le 25, nous arrivâmes à Orange; nous fûmes reçus aux cris de : Vive le Roi ! Vive Louis XVIII ! Le même jour, le matin, l'empereur trouva un peu en avant d'Avignon, à l'endroit où l'on devait changer de chevaux, beaucoup de peuple rassemblé, qui l'attendait à son passage, et qui nous accueillit aux cris de : Vive le roi ! Vivent les alliés ! À bas le tyran, le coquin, le mauvais gueux !...
Cette multitude vomit encore contre lui mille invectives... nous ne pûmes obtenir de ces forcenés qu'ils cessassent d'insulter l'homme qui, disaient-ils, les avaient rendus si malheureux...
Dans tous les endroits que nous traversâmes il fut reçu de la même manière : à Orgon, petit village où nous changeâmes de chevaux, la rage du peuple était à son comble; devant l'auberge même où il devait s'arrêter, on avait élevé une potence à laquelle était suspendu un mannequin, en uniforme français, couvert de sang, avec une inscription placée sur la poitrine et ainsi conçue : Tel sera tôt ou tard le sort du tyran.
Le peuple se cramponnait à la voiture de Napoléon, et cherchait à le voir pour lui adresser les plus fortes injures. L'empereur se cachait derrière le général Bertrand le plus qu'il pouvait; il était pâle et défait, ne disant pas un mot...
À un quart de lieue en-deçà d'Orgon, il crut indispensable la précaution de se déguiser : il mit une mauvaise redingote bleue, un chapeau rond sur sa tête avec une cocarde blanche, et monta en cheval de poste pour galoper devant sa voiture, voulant passer ainsi pour un courrier... Mille projets se croisaient dans sa tête sur la manière dont il pouvait se sauver; il rêvait aussi au moyen de tromper le peuple d'Aix, car on l'avait prévenu qu'une très grande foule l'attendait à la poste...
Il nous raconta ce qui s'était passé entre lui et l'hôtesse, qui ne l'avait pas reconnu : - Eh bien ! lui avait-elle dit, avez-vous rencontré Bonaparte ? - Non, avait-il répondu. - Je suis curieuse, continua-t-elle, de voir s'il pourra se sauver; je crois toujours que le peuple va le massacrer : aussi faut-il convenir qu'il l'a bien mérité, ce coquin-là ! Dites-moi donc, on va l'embarquer pour son île ? - Mais oui. - On le noiera, n'est-ce pas ? - Je l'espère bien ! lui répliqua Napoléon...
Bonaparte, qui alors voulut se faire passer pour un général autrichien, mit l'uniforme du général Kohler, se décora de l'ordre de Sainte-Thérèse...et se couvrit du manteau du général Schouwaloff...
À Saint-Maximin... il le fit appeler (le sous-préfet d'Aix, ndlr) et l'apostropha en ces termes : "Vous devez rougir de me voir en uniforme autrichien : j'ai dû le prendre pour me mettre à l'abri des insultes des Provençaux... Je ne trouve que des tas d'enragés qui menacent ma vie. C'est une méchante race que les Provençaux : ils ont commis toutes sortes d'horreurs et de crimes durant la Révolution et sont tout prêts à recommencer"..."
On voudrait douter de la vérité des faits rapportés par le comte de Waldbourg-Truchsess, mais le général Kohler a confirmé, dans une "suite de l'Itinéraire de Waldbourg", une partie de la narration de son collègue; de son côté, le général Schouwaloff m'a certifié l'exactitude des faits : ses paroles contenues en disaient plus que les paroles expansives de Waldbourg.
Enfin, l'Itinéraire de Fabry est composé sur des documents français authentiques, fournis par des témoins oculaires..." (Mémoires d'Outre-Tombe, Tome I, pages 884 à 892)
On comprend donc bien pourquoi Napoléon détestait les Provençaux, au sens large; comme les méprisait avant lui Albitte, sinistre "représentant en mission" de la Convention à Lyon mais aussi dans le Sud-Est, avec son complice en terrorisme Crancé, l'un et l'autre grands criminels de guerre (ce sont eux que l'on évoque dans le chant fameux de La Ligue Noire : "...J'en veux foutre cent par terre / Et de sang tout inonder ! / Oui, je veux, dans la poussière, rouler Albitte et Crancé..." ). Lors de la séance de la Convention du 17 juillet 1793 - rapportée par le Moniteur, dans lequel était notée l'intégralité de débats de l'Assemblée - Albitte avait brossé le tableau d'un Midi contre-révolutionnaire, le comparant à la Vendée, se trouvant ainsi directement à l'origine de l'expression Vendée du Midi, ou Vendée provençale...(voir l'Éphéméride du 30 décembre)