Feuilleton : Chateaubriand, "l'enchanteur" royaliste... (24)
Anne-Louis Girodet, Portrait de Chateaubriand,
Saint-Malo, musée d’Histoire de la Ville et du Pays Malouin.
(retrouvez l'intégralité des textes et documents de cette visite, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)
Aujourd'hui : l'arrivée de Louis XVIII à Paris...
Entrée de Louis XVIII à Paris, par la Porte Saint Denis, le 3 Mai 1814...
"...Tandis que Bonaparte, connu de l’univers, s’échappait de France au milieu des malédictions, Louis XVIII, oublié partout, sortait de Londres sous une voûte de drapeaux blancs et de couronnes. Napoléon, en débarquant à l’île d’Elbe, y retrouva sa force. Louis XVIII, en débarquant à Calais, eût pu voir Louvel; il y rencontra le général Maison, chargé, seize ans après, d’embarquer Charles X à Cherbourg. Charles X, apparemment pour le rendre digne de sa mission future, donna dans la suite à M. Maison le bâton de maréchal de France, comme un chevalier, avant de se battre, conférait la chevalerie à l’homme inférieur avec lequel il daignait se mesurer.
Je craignais l’effet de l’apparition de Louis XVIII. Je me hâtai de le devancer dans cette résidence d’où Jeanne d’Arc tomba aux mains des Anglais et où l’on me montra un volume atteint d’un des boulets lancés contre Bonaparte. Qu’allait-on penser à l’aspect de l’invalide royal remplaçant le cavalier qui avait pu dire comme Attila : "L’herbe ne croît plus partout où mon cheval a passé !" Sans mission et sans goût j’entrepris (on m’avait jeté un sort) une tâche assez difficile, celle de peindre l’arrivée à Compiègne, de faire voir le fils de saint Louis tel que je l’idéalisai à l’aide des Muses. Je m’exprimai ainsi :
"Le carrosse du roi était précédé des généraux et des maréchaux de France, qui étaient allés au-devant de S. M. Ce n’a plus été des cris de Vive le roi ! mais des clameurs confuses dans lesquelles on ne distinguait rien que les accents de l’attendrissement et de la joie. Le roi portait un habit bleu, distingué seulement par une plaque et des épaulettes ; ses jambes étaient enveloppées de larges guêtres de velours rouge, bordées d’un petit cordon d’or. Quand il est assis dans son fauteuil, avec ses guêtres à l’antique, tenant sa canne entre ses genoux, on croirait voir Louis XIV à cinquante ans…
… Les maréchaux Macdonald, Ney, Moncey, Sérurier, Brune, le prince de Neuchâtel, tous les généraux, toutes les personnes présentes, ont obtenu pareillement du roi les paroles les plus affectueuses. Telle est en France la force du souverain légitime, cette magie attachée au nom du roi. Un homme arrive seul de l’exil, dépouillé de tout, sans suite, sans gardes, sans richesses ; il n’a rien à donner, presque rien à promettre. Il descend de sa voiture, appuyé sur le bras d’une jeune femme ; il se montre à des capitaines qui ne l’ont jamais vu, à des grenadiers qui savent à peine son nom. Quel est cet homme ? c’est le roi ! Tout le monde tombe à ses pieds..." (Mémoires d'Outre-Tombe, Garnier, (Tome 3, page 387)