Le grand retour du charbon, par Antoine de Lacoste
Il devait disparaître de l’horizon des pays vertueux (entendez occidentaux), unis pour « sauver la planète ». La Chine et l’Inde, gros consommateurs de cette énergie polluante, étaient montrées du doigt. Pour le remplacer, les solutions « propres » ne manquent pas : les éoliennes tout d’abord. Certes elles polluent nos paysages marins et terrestres mais c’est pour la bonne cause. Quant aux oiseaux qu’elles tuent joyeusement, ce ne sont que « des dégâts collatéraux » expression devenue célèbre depuis Jamie Shea, le porte-parole de l’OTAN lors des bombardements contre la Serbie en 1999. Il parlait des civils…
Les panneaux solaires sont censés compléter les bienfaits des éoliennes. Mais la déforestation qui accompagne leur installation commence à faire parler. Le Monde du 21 août décrit la contestation qui monte dans les Hautes-Alpes et les Alpes de Haute-Provence : 63 hectares de forêts rasées. « Ici, les sommets ont été comme tondus », rapporte le journal. Les manifestations se multiplient à Forcalquier, ou plus loin aux Pennes-Mirabeau contre un nouveau projet de 11 hectares. Les Vosges et les Ardennes ont également commencé leur déforestation.
L’hydro-électricité est censée accompagner le grand mouvement des énergies « propres » mais avec la baisse du niveau des fleuves, on ne sait plus très bien.
Cette transition énergétique devait toutefois s’étaler dans le temps. D’abord le charbon puis, progressivement, le pétrole et le gaz allaient le suivre dans les oubliettes de l’histoire. Certains scientifiques alertaient sur le fait que les éoliennes ne pourraient jamais compenser les énergies fossiles mais les grands médias sont là pour veiller au fait que ces grincheux complotistes ne puissent s’exprimer.
Et puis, le beau calendrier est devenu obsolète : Poutine a envahi l’Ukraine et il faut sévir. Les Allemands, qui n’ont presque pas de nucléaire grâce à l’esprit visionnaire d’Angela Merkel, sont bien embarrassés : par quoi remplacer le gaz russe ? Mais la pression est trop forte et le gouvernement cède : Nord Stream II, qui vient d’être terminé à la demande expresse de l’Allemagne, n’ouvrira pas.
Il est toutefois difficile d’aller plus loin. En effet, les fournisseurs de substitution ne pourront compenser le gaz russe, en tout cas pas dans l’immédiat. Malgré les multiples rencontres des dirigeants européens ou américains avec l’Algérie, le Qatar, le Canada, les Émirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite et d’autres encore, personne n’a les capacités de remplacer au pied-levé la Russie.
Celle-ci n’est guère dérangée par tout ce remue-ménage. Elle augmente ses ventes à la Chine ou l’Inde, rassure l’Afrique en autorisant les exportations de blé depuis Odessa et tente d’accélérer son grand projet (commun avec la Chine) : la dédollarisation des échanges. La pénurie de gaz à venir maintient les cours très hauts et la Russie est maître du jeu.
Les Américains sont à la fête également. Si Biden est reparti les mains vides d’Arabie Saoudite, pays qui n’a pas l’intention de se fâcher avec Poutine et n’augmentera pas significativement sa production, il compte bien augmenter ses ventes de gaz de schiste à l’Europe. Ce sera fait sous forme de GNL (Gaz Naturel Liquéfié). Mais son coût est très élevé et les capacités d’accueil et de traitement fort limités. Il y a peu de terminaux en Europe, ils coûtent des milliards et il faut en construire de nouveaux : tout cela prendra des années.
Quant aux terminaux flottants, ce n’est guère mieux : quatre ans d’attente selon le GIIGNL, cité par le Figaro du 29 juin (Cette pénurie de gaz russe qui vient).
On contourne même les sanctions pour limiter les dégâts : l’Allemagne, qui faisait réparer une turbine de Nord Stream I au Canada (c’est beau la mondialisation), a sommé ce pays de lui renvoyer la turbine réparée pour continuer à recevoir le gaz russe. Zelensky, peu habitué à ne pas être obéi au doigt et à l’œil, a protesté en vain.
Alors, dans cette débâcle auto-organisée, il faut se tourner vers le charbon.
Tout le monde s’y met : Américains et Chinois rouvrent des mines, l’Inde importe plus que jamais et l’on fait la queue chez les producteurs majeurs (Indonésie, Australie, Afrique du Sud), ravis de l’aubaine.
Même la France relance sa production, malgré ses discours rassurants sur ses stocks de gaz. La dernière centrale à charbon devait fermer en 2022 et ce ne sera finalement pas le cas. L’exécutif a demandé à GazelEnergie de relancer sa centrale de Saint Avold en Moselle. Il a fallu rappeler les salariés partis dans le cadre d’un PSE et, pour les convaincre, leur promettre une prime mensuelle de 5000€ en plus du salaire !
Il est vrai que l’entreprise y gagnera beaucoup : le megawattheure livrable en décembre atteint 1000€, soit vingt fois qu’avant la crise.
Il vaut donc mieux polluer avec du charbon cher qu’acheter du gaz à la Russie « pour ne pas financer sa guerre » qu’elle finance tout de même en vendant à d’autres.
Bienvenue en Absurdie et bon hiver aux Européens.