À la découverte du "Fonds lafautearousseau"... (12) : Pour une vraie histoire des Cent jours, Napoléon et les Provençaux...
lafautearousseau, c'est plus de 28.000 Notes ou articles (et autant de "commentaires" !), 22 Albums, 47 Grands Textes, 33 PDF, 16 Pages, 366 Éphémérides...
Il est naturel que nos nouveaux lecteurs, et même certains plus anciens, se perdent un peu dans cette masse de documents, comme dans une grande bibliothèque, et passent ainsi à côté de choses qui pourraient les intéresser...
Aussi avons-nous résolu de "sortir", assez régulièrement, tel ou tel de ces documents, afin d'inciter chacun à se plonger, sans modération, dans ce riche Fonds, sans cesse augmenté depuis la création de lafautearousseau, le 28 février 2007...
Aujourd'hui : Pour une vraie histoire des Cent jours, Napoléon et les Provençaux)...
(tiré de notre Éphéméride du 30 mars)
(retrouvez l'ensemble de ces "incitations" dans notre Catégorie :
Á la découverte du "Fonds lafautearousseau")
1815 : Louis XVIII arrive à Gand, capitale du Royaume de France pendant les Cent-Jours...
Le 1er mars, Napoléon est revenu de l'Île d'Elbe et a posé le pied sur le sol français, à Golfe Juan : c'est le début de l'entreprise insensée et criminelle que l'Histoire retiendra sous le nom des Cent-Jours...
Napoléon connaît bien les sentiments royalistes de la Provence et des habitants de la vallée du Rhône, et c'est pourquoi il veut à tout prix éviter de passer au milieu d'eux, préférant l'invraisemblable "route Napoléon"...
Chateaubriand en explique la raison, en racontant son parcours vers son exil de l'île d'Elbe, après sa première abdication, et comment il fut insulté, voire menacé de mort , par des foules toujours plus hostiles, lorsqu'il fut arrivé à Orange :
De Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, Tome I, pages 884 à 892) :
"Bonaparte avait demandé à l'Alliance des commissaires, afin d'être protégé par eux jusqu'à l'île que les souverains lui accordaient en toute propriété et en avancement d'hoirie. Le comte Schouwalof fut nommé pour la Russie, le général Kohler pour l'Autriche, le colonel Campbell pour l'Angleterre, et le comte Waldbourg-Truchsess pour la Prusse : celui-ci a écrit l'Itinéraire de Napoléon de Fontainebleau à l'île d'Elbe... : "Le 25, nous arrivâmes à Orange; nous fûmes reçus aux cris de : Vive le Roi ! Vive Louis XVIII ! Le même jour, le matin, l'empereur trouva un peu en avant d'Avignon, à l'endroit où l'on devait changer de chevaux, beaucoup de peuple rassemblé, qui l'attendait à son passage, et qui nous accueillit aux cris de : Vive le roi ! Vivent les alliés ! A bas le tyran, le coquin, le mauvais gueux !... Cette multitude vomit encore contre lui mille invectives... nous ne pûmes obtenir de ces forcenés qu'ils cessassent d'insulter l'homme qui, disaient-ils, les avaient rendus si malheureux... Dans tous les endroits que nous traversâmes il fut reçu de la même manière : à Orgon, petit village où nous changeâmes de chevaux, la rage du peuple était à son comble; devant l'auberge même où il devait s'arrêter, on avait élevé une potence à laquelle était suspendu un mannequin, en uniforme français, couvert de sang, avec une inscription placée sur la poitrine et ainsi conçue : Tel sera tôt ou tard le sort du tyran. Le peuple se cramponnait à la voiture de Napoléon, et cherchait à le voir pour lui adresser les plus fortes injures. L'empereur se cachait derrière le général Bertrand le plus qu'il pouvait; il était pâle et défait, ne disant pas un mot... A un quart de lieue en-deçà d'Orgon, il crut indispensable la précaution de se déguiser : il mit une mauvaise redingote bleue, un chapeau rond sur sa tête avec une cocarde blanche, et monta en cheval de poste pour galoper devant sa voiture, voulant passer ainsi pour un courrier... Mille projets se croisaient dans sa tête sur la manière dont il pouvait se sauver; il rêvait aussi au moyen de tromper le peuple d'Aix, car on l'avait prévenu qu'une très grande foule l'attendait à la poste... Il nous raconta ce qui s'était passé entre lui et l'hôtesse, qui ne l'avait pas reconnu : - Eh bien ! lui avait-elle dit, avez-vous rencontré Bonaparte ? - Non, avait-il répondu. - Je suis curieuse, continua-t-elle, de voir s'il pourra se sauver; je crois toujours que le peuple va le massacrer : aussi faut-il convenir qu'il l'a bien mérité, ce coquin-là ! Dites-moi donc, on va l'embarquer pour son île ? - Mais oui. - On le noiera, n'est-ce pas ? - Je l'espère bien ! lui répliqua Napoléon... Bonaparte, qui alors voulut se faire passer pour un général autrichien, mit l'uniforme du général Kohler, se décora de l'ordre de Sainte-Thérèse...et se couvrit du manteau du général Schouwaloff... A Saint-Maximin... il le fit appeler (le sous-préfet d'Aix, ndlr) et l'apostropha en ces termes : "Vous devez rougir de me voir en uniforme autrichien : j'ai dû le prendre pour me mettre à l'abri des insultes des Provençaux... Je ne trouve que des tas d'enragés qui menacent ma vie. C'est une méchante race que les Provençaux : ils ont commis toutes sortes d'horreurs et de crimes durant la Révolution et sont tout prêts à recommencer"..." On voudrait douter de la vérité des faits rapportés par le comte de Waldbourg-Truchsess, mais le général Kohler a confirmé, dans une "suite de l'Itinéraire de Waldbourg", une partie de la narration de son collègue; de son côté, le général Schouwaloff m'a certifié l'exactitude des faits : ses paroles contenues en disaient plus que les paroles expansives de Waldbourg. Enfin, l'Itinéraire de Fabry est composé sur des documents français authentiques, fournis par des témoins oculaires..."
On comprend donc bien pourquoi Napoléon détestait les Provençaux, au sens large; comme les méprisait avant lui Albitte, sinistre "représentant en mission" de la Convention à Lyon mais aussi dans le Sud-Est, avec son complice en terrorisme Crancé, l'un et l'autre grands criminels de guerre (ce sont eux que l'on évoque dans le chant fameux de La Ligue Noire : "...J'en veux foutre cent par terre / Et de sang tout inonder ! / Oui, je veux, dans la poussière, rouler Albitte et Crancé..." ). Lors de la séance de la Convention du 17 juillet 1793 - rapportée par le Moniteur, dans lequel était notée l'intégralité de débats de l'Assemblée - Albitte avait brossé le tableau d'un Midi contre-révolutionnaire, le comparant à la Vendée, se trouvant ainsi directement à l'origine de l'expression Vendée du Midi, ou Vendée provençale...(voir l'Éphéméride du 30 décembre)
Napoléon sait donc parfaitement ce qui l'attend s'il passe par la route normale, pour "monter" à Paris : en passant par Marseille, c'est, au mieux, l'arrestation, au pire la mise à mort par une population ultra hostile à tout ce qu'ont représenté les années de l'Empire. Il décide donc d'emprunter la route des Alpes, invraisemblable et aberrante pour qui veut se rendre à Paris depuis le Sud-Est : un chemin que l'histoire officielle, évitant soigneusement d'expliquer le pourquoi de la chose, appellera pompeusement la "route Napoléon"...
Louis XVIII a deux solutions : abandonner Paris et le pouvoir, ou résister, par la force, à ce coup de force. C'est cette seconde solution qu'il choisit, confiant au Maréchal Ney le commandement d'une troupe suffisante pour arrêter Napoléon. Ney, qui promettra, théâtralement, de ramener le monstre dans une cage de fer...
On sait comment celui qui fut, malgré tout, un grand soldat, s'acquitta de sa tâche ! (il sera fusillé après la fin lamentable et catastrophique des Cent Jours : voir l'Éphéméride du 7 décembre)
Après la trahison de Ney, la folle équipée devient véritablement ce qu'elle fut : un Coup d'Etat militaire.
Chateaubriand parlera avec justesse, dans ses Mémoires d'Outre-Tombe, de ces "Quelques militaires dont la funeste fascination avait amenée la ruine de la France, en déterminant la seconde invasion de l'étranger..." (La Pléiade, Tome I, page 973). Un seul exemple suffit à démontrer cette "funeste fascination" et ce mauvais esprit : à Sisteron, le maire royaliste Joseph Laurent de Gombert entend bien arrêter Napoléon, à partir de sa forteresse dotée de canons : mais, pendant la nuit, quelques dizaines de militaires désarment la forteresse...
Et Louis XVIII se retrouve devant le même dilemme, aggravé par le risque réel, avec la trahison d'une partie de l'armée, d'affrontements sanglants, inutiles et fratricides entre Français s'il essaie à nouveau d'employer la force.
Fin politique, et conscient comme tous les esprits lucides et sensés de son temps, que l'entreprise démente de Napoléon ne peut ni durer, ni, encore moins, réussir, Louis XVIII choisit, cette fois, la solution politique : il quitte Paris, le 20 mars au soir, et, après un voyage de dix jours, va s'installer à Gand, alors en Hollande, où il sera dignement reçu, en son très bel hôtel, par le comte Jean-Baptiste d'Hane-Steenhuyse.
Le Roi trouva l'hôtel si beau qu'il écrivit : "ce logement était préférable à tous ceux que j'avais habité lors de ma première sortie de France".
Façade arrière, donnant sur le Jardin...
"...De notre château royal de Gand", écrivait Louis XVIII, dont "la force tranquille", "la confiance tranquille dans la force de son nom et de son droit lui ont rendu son trône", écrira Guizot...
De Chateaubriand (Mémoires d'Outre-Tombe, La Pléiade, Tome I, page 930) :
"Le roi, bien logé, ayant son service et ses gardes, forma son conseil. L'empire de ce grand monarque consista en une maison du royaume des Pays-Bas, laquelle maison était située dans une ville qui, bien que la ville natale de Charles-Quint, avait été le chef-lieu d'une préfecture de Bonaparte : ces noms font entre eux un assez bon nombre d'événements et de siècles..."
C'est de là que, pendant toute la durée des Cent-Jours, Louis XVIII va organiser et diriger le gouvernement royal en exil, faisant ainsi de Gand la capitale du Royaume de France, jusqu'à son retour définitif à Paris, le 8 juillet 1815
Dans la Garde qui l'avait accompagné, ou parmi ceux qui le rejoindront : les jeunes Alphonse de Lamartine et Alfred de Vigny; Guizot et Portalis; le duc de Lévis, aïeul de l'académicien qui prononcera le traditionnel éloge de son prédécesseur : Charles Maurras...
Blacas dirigeant la Maison du Roi, le ministère fut formé avec Chateaubriand à l'Intérieur, Beugnot à la Marine, Jaucourt aux Affaires étrangères, Feltre à la Guerre, et Lally à l'Instruction publique. Louis XVIII était également accompagné des maréchaux Marmont et Victor, et fut rejoint, dans ses dernières heures d'exil, par le maréchal de Bourmont, qui fit défection à Napoléon le 15 juin, soit 3 jours avant Waterloo...
Pour une vision d'ensemble des Cent-Jours, voir aussi les Éphémérides des 25 février, 8 mars, 16 mars, 17 mars, 18 juin, 22 juin, 15 juillet et 20 novembre)