Ubisoft, ou les incroyables errances progressistes de l’industrie du jeu vidéo, par Florent Valet.
Ce jeudi 7 octobre est sorti Far Cry 6, la dernière mouture de la série à succès du géant français du jeu vidéo Ubisoft. Dans le décor d’une île caribéenne en proie à la dictature, ce nouvel opus se veut porteur d’une histoire forte.
Le scénariste en charge du jeu, Navid Khavari, revendique le caractère politique du projet et met en exergue le traitement de sujets tels que « la montée du fascisme, les coûts de l’impérialisme, le travail forcé, le besoin d’élections démocratiques et les droits des LGBTQ+ ». Riche programme qui offre l’occasion de revenir sur l’évolution idéologique d’Ubisoft, illustration d’une industrie vidéo-ludique gangrenée par le progressisme sur fond d’hypocrisie mercantile.
Sur le sujet, la seconde moitié de la décennie 2010 a marqué un tournant. La firme française a adopté, graduellement, un discours qui fait le lit des polémiques à l’ordre du jour. Sorti dans l’Amérique de Trump, Far Cry 5 avait ainsi défrayé la chronique par son esthétique rappelant fortement le mouvement des miliciens, le sectarisme évangéliste et le séparatisme blanc. Même prisme idéologique avec la série des Watch Dogs. Situé dans la baie de San Francisco, le deuxième épisode de la saga met en scène un jeune hacker afro-américain. Son périple fournit l’occasion d’évoquer la reconnaissance faciale des Noirs par les algorithmes, le manque de diversité dans la Silicon Valley ou encore le sort des minorités sexuelles avec, pour arrière-plan, la lutte contre un État policier à la solde d’intérêts privés. La série Legion poursuit sur cette lancée avec la description d’une Angleterre post-Brexit victime du contrôle autoritaire d’une société de sécurité privée.
Cependant, dans les exemples cités, le progressisme est avant tout un enrobage, une esthétique, qui ne transparaît qu’à de brefs moments dans le texte, sans grande prise de risque. La piètre qualité des scénarios et des dialogues n’aide pas à élever le propos, souvent aussi caricatural que bête. En témoigne Ghost Recon Widlands, dont l’histoire présente une Bolivie sous la coupe de paramilitaires et de narcotrafiquants, ce qui a valu à l’ambassadeur français une convocation par les ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur boliviens.
À cette bonne conscience d’airain, l’entreprise ajoute un à-plat-ventrisme grandissant. Ubisoft s’est ainsi vu accuser, récemment, d’homophobie pour n’avoir autorisé qu’une relation hétérosexuelle dans une extension d’Assassin’s Creed Odyssey, de « validisme » pour la description d’un personnage défiguré dans Valhalla ou de racisme pour l’emploi, dans Tom Clancy’s Elite Squad, d’un logo au poing levé. À chacune de ces polémiques, Ubisoft a présenté des excuses tout en s’engageant à rectifier le problème soulevé.
Intrigues plates, excuses improbables, mais également révisionnisme. Les derniers Assassin’s Creed se sont ainsi distingués par leur féminisme, bien éloigné de l’authenticité historique originellement promue par la série. Dans Odyssey, situé dans la Grèce antique, le joueur a ainsi la possibilité d’incarner une femme guerrière, un choix inclusif destiné à faire fi du « sexisme historique ». L’opus suivant, Valhalla, a profité des débats historiques récents pour représenter un nombre improbable de guerrières vikings.
Cette approche féministe cadre difficilement avec les scandales que traverse l’entreprise. À l’été 2020, la presse avait fait état de cas de harcèlement et d’agressions sexuelles dans l’entreprise que la direction d’Ubisoft aurait cherché à étouffer. À la suite de ces révélations, une enquête interne avait abouti à une série de licenciements, de démissions et de sanctions qui ne parviennent pas à mettre un terme à l’affaire. En juillet dernier, plusieurs victimes ont ainsi décidé de porter l’affaire en justice en lançant une action collective au tribunal de Bobigny.
Pour répondre à ces polémiques, Ubisoft a intensifié son militantisme idéologique. En septembre 2020, l’entreprise s’est ainsi fendue d’un communiqué dans lequel elle s’engageait à soutenir davantage l’insertion professionnelle des femmes et des minorités ethniques dans le milieu du développement de jeux vidéo. Une annonce couronnée, en décembre, par la nomination de Raashi Sikka au poste de vice-présidente « Diversité & Inclusion » d’Ubisoft avec, pour mission, de « concevoir et mettre en œuvre une feuille de route globale en matière de diversité et d’inclusion afin de soutenir et enrichir la culture d’entreprise à tous les niveaux ». Un bel objectif en attendant que jugement soit rendu sur les accusations portées contre la firme qui inaugure un nouveau jeu : survivre dans la jungle du politiquement correct.
Source : https://www.bvoltaire.fr/