Les chiens de guerre russes, par Frédéric de Natal.
La milice paramilitaire privée Wagner s'est installée en Afrique. Elle y prospère aux dépens de la France. Paris s'inquiète : est-ce déjà trop tard ?
C’est en Centrafrique, pays indissociable du septennat du président Valéry Giscard d’Estaing et de sa famille, que le groupe Wagner a décidé de poser ses valises.
Fondé en 2014 et financé par l’oligarque Evgueni Viktorovitch Prigojine, bien que ses liens avec cette société militaire privée ne soient pas clairement établis. Celle-ci n’est pas inconnue de la Défense française. En janvier 2019, lors d’une audition publique au Sénat, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a dénoncé la présence de Wagner en Centrafrique : « il y a une présence active de la Russie, récente, significative, antifrançaise dans les propos, dans les réseaux [sociaux] ». Très proche du Kremlin, Evgueni Viktorovitch Prigojine a tissé sa toile sur l’ensemble du continent africain en nouant des contacts avec divers chefs d’État et diplomates locaux. Sous le coup de sanctions diverses, inquiètant les autorités militaires françaises, l’Union européenne et le Royaume-Uni, le groupe Wagner menace les intérêts d’une Françafrique qui perd peu à peu du terrain dans ce qui est encore considéré comme sa chasse gardée.
L’influence française s’évanouit
Son nom a déjà été cité lors de la guerre civile en Syrie où des rapports ont démontré la présence de ces « chiens de guerre » venus opérer dans le sillage des Russes. On évoque même sa participation dans le conflit ukrainien sans que rien puisse étayer les affirmations du Trésor américain qui enquête également sur Wagner. Pour la France, il y a urgence à s’intéresser aux activités de ce groupe qui menace ses intérêts. Et ce n’est pas peu dire. Capitale de l’ancien empire de Bokassa Ier, Bangui regorge de militaires russes qui ont établi leur campement à l’intérieur du palais en ruine de Berengo. le drapeau tricolore de Moscou flotte au-dessus de la tombe de « Papa Bok’ ». Une Russie sous le feu des critiques depuis que l’Organisation des Nations Unies a affirmé que l’armée régulière centrafricaine avait commis des exactions avec l’aide des kakis russes. Les conseillers et experts militaires moscovites (notamment l’omniprésent Valery Zakharov) ont même pris pied dans la résidence présidentielle et assurent la sécurité du président Faustin-Archange Touadéra.
Quel est donc le rôle du groupe Wagner ? C’est déjà la propriété d’un ancien officier militaire du Spetsnaz, une unité d’intervention d’élite du FSB russe. Admirateur du IIIe Reich, Dimitri Outkine s’est adjoint les services d’anciens suprémacistes sud-africains, d’anciens de l’Armée rouge qui ont combattu en Afghanistan, de membres du Parti national-bolchévique et de Tchétchènes qui opèrent en toute impunité sur le sol africain. En 2019, ils auraient participé à la bataille de Tripoli aux côtés du maréchal Khalifa Haftar qui tente toujours de s’emparer du pouvoir. L’agence Bloomberg a même indiqué que le groupe Wagner (dont l’activité est interdite en Russie et qui a établi son siège à Buenos Aires, en Argentine) serait également présent en « Afrique du Sud, au Soudan et au Mozambique dans le but de former les armées locales, de protéger des personnalités de haut niveau, de combattre des groupes rebelles et terroristes, en plus de la protection des mines de diamant, d’or et d’uranium (…) En échange de ces services, les branches de Wagner auraient obtenu des privilèges exclusifs, contrats et licences pour procurer des armes, de la technologie et des services militaires, mais également pour l’exploitation des ressources naturelles dans ces pays » affirme même l’agence Andadolu, qui évoque une stratégie mise en place par le Kremlin pour occuper un espace dont la France avait fait son fief. Or l’influence politique et économique de l’Hexagone, en Afrique, se délite doucement.
Faiseur de rois
Dans sa dernière édition, le mensuel Jeune Afrique a consacré un long dossier au groupe Wagner. Réputé pour la fiabilité de ses informations, le magazine établit des liens très sérieux entre cette société et d’autres plus locales, affirmant même que la Russie a réussi à créer en Centrafrique une entreprise minière et à se faire attribuer l’exploitation d’un aérodrome lui permettant d’acheminer tranquillement des tonnes de matériel et d’armement. Le gouvernement aurait même octroyé des contrats de sécurité au groupe sur les activités duquel il ne fait pas bon d’enquêter. Selon divers médias, trois journalistes d’opposition auraient été assassinés après avoir tenté de dénoncer les liens entre Wagner et la présidence. Pis, toujours d’après le mensuel, le groupe n’hésiterait pas à exploiter le sentiment anti-français (comme au Mali où des manifestations pro-russes ont été organisées à Bamako) afin d’étendre sa toile. Au Soudan voisin, l’ascendant de Wagner sur le pouvoir en place n’a cessé de croître. D’un régime à un autre, les mercenaires russes ne s’embarrassent pas de détails. Une des filiales de Wagner, M-Finance, aurait prêté quelques hommes pour permettre à l’ancien président Omar El-Béchir de réprimer les manifestations contre son régime, finalement victime d’un putsch. Une puissance de feu qui a permis à Evgueni Viktorovitch Prigojine de s’ingérer dans le conflit civil centrafricain et de proposer à toutes les parties concernées un partage équitable du pouvoir. Un succès pour le Kremlin qui nie pourtant tout lien avec Wagner. « Des élucubrations », comme l’a indiqué en janvier dernier la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova.
Les activités de Wagner commencent-elles à déranger ? La société a reçu du gouvernement libyen l’ordre de quitter le pays sous un délai de trois mois et de mettre fin à ses activités. Une injonction qui n’a pas eu d’effets puisqu’un récent rapport a encore confirmé que Wagner était toujours aux côtés du maréchal Haftar… Moscou a été sommé par le conseil de Sécurité de l’ONU de s’expliquer sur ses relations avec Wagner et d’autre groupes du même genre. Poutine a-t-il demandé à Evgueni Viktorovitch Prigojine de faire profil bas ? C’est ce qu’écrit Mathieu Olivier dans Jeune Afrique, qui note que Valery Zakharov a cessé de fréquenter les réseaux sociaux et qu’il aurait décider de réduire le nombre de Russes au sein de la sécurité rapprochée de Touadéra. Rien qui ne doive faire baisser la garde à la France, victime récurrente du soft-power russe. En juillet dernier, lors de son dernier entretien avec le président tchadien, Emmanuel Macron aurait abordé ce dossier sensible avec Mahamat Idriss Deby, avertissant ce fidèle allié de la Françafrique que le groupe Wagner aurait contacté les groupes rebelles qui menacent de le faire tomber. Un luxe que ne peut s’offrir Paris déjà enlisé dans le marigot sahélien et qui ne sait plus comment mettre fin à l’opération Barkhane contre les djihadistes. Une brèche dans laquelle compte bien s’engouffrer Wagner qui a récemment approché le nouveau régime putschiste du colonel Goïta au Mali.
Illustration : Une armée privée au service de ceux qui ont besoin de mercenaires aguerris, mais aussi un instrument de déstabilisation des intérêts occidentaux en Afrique.
Source : https://www.politiquemagazine.fr/