Emmanuel Macron, explorateur dans son pays !, par Philippe Bilger.
Hélas, on ne peut se satisfaire, pour la visite présidentielle à Marseille, de cette ironie amère sur la cité Bassens ayant fait l'objet d'un nettoyage complet, par des sociétés privées et des paysagistes, pour une illusion de quelques heures ou sur la cité des Flamants aux mains des trafiquants de drogue, véritable État dans l'État, avec ses frontières et ses interdictions, dans laquelle le ministre de l'Intérieur vexé a fait intervenir la police (Morandini).
Je vois, dans cette tardive équipée - huit mois avant la fin du mandat - avec une armada de sept ministres, la démonstration d'un opportunisme dont je crains par ailleurs qu'il soit impuissant, malgré les promesses à résoudre les problèmes d'insécurité de Marseille, peut-être aggravés depuis quelque temps mais connus de longue date.
Alors, bien sûr, comme il se doit, on a annoncé un plan. Une fois l'hommage rendu à "l'ardente obligation" énoncée par de Gaulle, les plans, pour être brutalement dit, sont peu ou prou du vent même si 150 millions et des renforts ne sont pas dérisoires. La France a passé son temps, dans nos banlieues notamment, à multiplier les plans, à injecter de l'argent en s'imaginant que magiquement le climat changerait.
À supposer que celui proposé pour Marseille aboutisse, ce sera au mieux dans une vingtaine d'années si, en plus, durant ce long intervalle, les constructions et rénovations entreprises ne sont pas dégradées. Sans doute suis-je trop pessimiste ou trop lucide mais le plan pour Marseille signe plus une impuissance qu'une authentique volonté d'action. Le plan pour les calendes grecques n'est rien d'autre que la faillite de la politique pour aujourd'hui.
Se décharger du présent sur le futur est une erreur fondamentale. Pour ne pas avoir à affronter la dureté du réel et se battre contre lui, on s'abandonne à des fantasmes forcément roses - puisque virtuels - sur l'avenir.
Le plan n'aura rigoureusement pas la moindre incidence sur la délinquance et la criminalité à Marseille. Ce sont des univers radicalement différents où le long terme ne fera pas le poids face à l'immédiateté, où l'amélioration des conditions de vie et d'habitation n'empêchera pas les transgressions, où la liberté et l'appétit de lucre d'une minorité malfaisante demeureront toujours plus forts que les transformations mises en oeuvre, si elles le sont.
Je sais bien qu'il faut rassurer l'humanisme niais mais ce n'est pas le social qui crée le crime. Ce dernier, quand il l'a décidé, est autonome et vit sa terrifiante existence au détriment de la majorité des honnêtes gens.
Certes je veux bien admettre que Marseille a une histoire qui peut faire de cette magnifique, pauvre et composite cité une sorte de singularité par rapport à l'insécurité générale de notre pays.
Mais rien ne justifie cette volonté permanente de faire appel, parce qu'on est dépassé par les délits, les crimes, l'affreux fléau de la drogue presque à la source de tout, à des processus hors de l'ordinaire, genre procureur spécial. On constitue Marseille comme un arbre à part qu'on voudrait efficacement répressif au sein d'une forêt nationale laxiste comme il n'est pas permis : moins un manque de moyens qu'une faiblesse dans la volonté et le courage politiques.
Marseille est un paroxysme de ce ce que subit au quotidien notre pays et plutôt que d'aspirer à des miracles par le biais d'outils spéciaux, il conviendrait de l'emporter, pour tenir enfin haut le régalien, par une efficacité, une rigueur, une sévérité ordinaires, une fiabilité exemplaire. J'approuve Vincent Trémolet de Villers quand il a évoqué Marseille comme "une France miniature" (le Figaro).
Le fondement de cette configuration que j'appelle de mes voeux est, contre le plan qui est une attitude de fuite, de restaurer l'autorité de l'Etat à tous ses niveaux si on veut bien abandonner le désastreux mélange d'une philosophie émolliente et d'une pratique gangrenée par le défaitisme. C'est seulement cette détermination dans l'instant qui pourra nous éviter les songes fumeux sur demain, au pire irréalisables, au mieux sans portée, sur ce qui détruit le quotidien de tant de citoyens.
Mais il y a plus grave et je voudrais revenir sur l'aventure marseillaise du président de la République.
Il a, paraît-il, écouté les doléances et dialogué avec les élus. Mais de qui se moque-t-on ? Doit-on donc croire qu'Emmanuel Macron, à l'Elysée, n'avait pas entendu parler de Marseille, de ses tragédies, de ses crimes, de la drogue, de la violence et du clientélisme ? De cette insécurité chronique qui sévissait bien avant lui et qui s'est amplifiée depuis ? Quel étrange comportement ou quel cynisme de feindre de découvrir, avec une attention surjouée, ce qu'il sait à l'évidence depuis longtemps, et ses ministres Darmanin et Dupond-Moretti avec lui ?
Ou bien faut-il accepter l'idée mélancolique que par décence démocratique j'ai refoulée, d'un Emmanuel Macron certes français mais si peu au fait de la France, de sa réalité, de ses désespoirs qu'il les découvre comme un explorateur ? Qu'il va au sein de la France comme si elle était une inconnue qui dévoilerait, pour lui, à chacune de ses incursions, un peu de ses mystères ?
Le président de la République tombe de saisissement et d'inquiétude face à la France qu'il préside. Ses promesses habituelles et renouvelées - c'est toujours pareil, un volontarisme énergique mais verbal : à Marseille, "ne rien lâcher contre le trafic de drogue" ou "ne lâchez rien" aux policiers marseillais - n'auront pas plus d'effet que tout au long de son mandat où son caractère n'a cessé de s'opposer à son devoir.
Explorateur dans son pays... Faudra-t-il lui permettre de le découvrir tout entier avec cinq années de plus ?
Source : https://www.philippebilger.com/