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Non, Nicolas n’est pas le deuxième prénom le plus donné aux enfants d’immigrés maghrébins!, par Michèle Tribalat.

Image d'illustration / Unsplash

C’est en réalité Nassim

Un article scientifique d’avril 2019 dans la revue Population et sociétés indique qu’en France métropolitaine, en 2008, les prénoms les plus fréquents chez les petits-fils d’immigrés du Maghreb seraient « Yanis » et « Nicolas »

2.jpegVient de paraître, en ligne sur le portail scientifique HAL-SHS, une étude tout à fait singulière. 

Signée Jean-François Mignot, socio-démographe au CNRS associé au Groupe d’Étude des Méthodes de l’Analyse Sociologique (Gemass) à la Sorbonne, elle tente de reproduire une étude déjà publiée pour en vérifier les résultats. Il s’agit d’un Population & Sociétés sur les prénoms des descendants d’immigrés qui avait fait grand bruit à sa sortie dans la plupart des médias, du Monde à Valeurs actuelles, sans soulever la moindre interrogation car, comme l’écrivait Libération « cette fois-ci, c’est du lourd, c’est l’Institut national d’études démographiques ». Les auteurs en étaient Baptiste Coulmont, sociologue spécialiste des prénoms [1] et Patrick Simon, socio-démographe de l’Institut national d’études démographiques (Ined) qui travaille sur l’immigration et les discriminations. 

L’étude contestée a été menée à partir de l’enquête Trajectoires et origines de 2008 (TeO2008). Elle concluait que les petits-enfants d’immigrés du Maghreb recevaient des prénoms « proches de ceux que la population majoritaire donne à ses enfants ». Il faut entendre par population majoritaire, la population ne comprenant ni immigrés ni Domiens, ni leurs enfants. Nicolas aurait été ainsi le deuxième prénom le plus donné par les enfants d’immigrés maghrébins à leurs enfants et 23 % seulement des petits enfants d’immigrés maghrébins auraient reçu un prénom arabo-musulman. Soit à peine plus de prénoms typiques de leur origine que ceux des petits enfants d’immigrés d’Europe du Sud (16 %). 

Le Petit Nicolas a disparu

Jean-François Mignot s’est demandé comment les spécialistes de la question pouvaient être passés à côté d’un tel phénomène. Mais c’est le classement en deuxième position du prénom « Nicolas » parmi ceux attribués aux petits-enfants d’immigrés qui l’a fait tiquer. Il relevait ainsi que lorsqu’« on examine les prénoms attribués aux naissances annuelles en Seine-Saint-Denis de 1980 à 2014, le nombre de “Nicolas” n’a cessé de baisser (de 450 en 1980 à moins de 50 dans les années 2010) » (p. 13). Où se « cachaient » donc ces petits Nicolas s’ils n’étaient pas en Seine-Saint-Denis ? 

Jean-François Mignot a donc cherché à savoir ce qu’avaient fait précisément les deux chercheurs en question : quelle méthodologie, quels échantillons précis retenus, sachant que l’information sur les petits-enfants est recueillie de manière indirecte à partir des déclarations des enfants d’immigrés enquêtés et que, par ailleurs, sont connus les prénoms de tous les habitants du ménage des enquêtés ? Le Population & Sociétés de quatre pages ne contient qu’un encadré méthodologique succinct livrant peu d’informations utiles, en tout cas rien qui permette de refaire le travail avec certitude. Et lorsque Jean-François Mignot a essayé d’en savoir un peu plus, il s’est rendu compte que la classification des prénoms utilisée n’était pas celle décrite dans l’encadré. Sa curiosité en a été piquée et il a cherché à obtenir les informations qui lui permettraient de refaire le travail afin de vérifier les résultats affichés dans le Population & Sociétés. Mal lui en a pris car les auteurs, l’Ined, sa directrice, le directeur de publication, le responsable de l’intégrité scientifique l’ont « balladé » pendant vingt mois et ont tout tenté pour éviter de lui communiquer les documents nécessaires à la reproduction du travail à partir de TeO2008. Lui furent au final communiqués une nomenclature des prénoms utilisable, après avoir essayé de lui en refourguer une qui ne l’était pas, et un programme informatique incomplet. « Entre tentatives d’esquive, manœuvres dilatoires, multiplication de fausses excuses, faux-semblants, mensonges purs et simples, non-respect des engagements pris et autres combines, les auteurs et l’INED n’ont pas cessé de violer les règles de l’intégrité scientifique et de la “Charte nationale de déontologie des métiers de la recherche” » [2] écrit Jean-François Mignot (p. 23).

Une exploitation erronée de bonne foi ?

Après bien des péripéties, il a donc refait le travail au plus près de celui supposément conduit par les auteurs. Après avoir examiné les prénoms de l’entourage des petits enfants d’immigrés maghrébins et avoir établi des critères stricts de distinction, il s’est avéré que les Nicolas étaient presque tous des petits-fils de pieds-noirs dont les parents avaient été classés à tort comme enfants d’immigrés du Maghreb : 9 sur 11 Nicolas. D’ailleurs, l’auteur s’étonne à raison de la publication d’un résultat reposant sur un effectif aussi réduit de Nicolas. Quoi qu’il en soit, après avoir exclu les descendants de pieds-noirs indûment classés comme descendants d’immigrés du Maghreb, les deux prénoms les plus fréquents donnés aux petits-fils d’immigrés du Maghreb ne sont plus Yanis et Nicolas mais Karim et Nassim. Ce ne sont plus seulement 23 % des petits enfants d’immigrés du Maghreb qui ont reçu un prénom arabo-musulman mais 49 %, d’après la nomenclature de l’Ined.

Comment expliquer pareille impasse de la part des auteurs ?

Jean-François Mignot ne croit pas à une exploitation erronée de bonne foi. En effet, la difficulté posée par la distinction entre migrants d’Algérie et pieds-noirs dans les enquêtes est bien connue et ne peut avoir échappé aux deux chercheurs. Pour accepter leurs résultats, il leur a fallu trouver normal que la moitié seulement des petits-enfants d’immigrés du Maghreb aient au moins un parent musulman : « On peine à envisager que des chercheurs compétents, des spécialistes comme Coulmont et Simon aient pu croire en la fiabilité des résultats qu’ils ont publiés. Il est plus vraisemblable qu’ils ne savaient que trop bien que leurs spectaculaires résultats étaient faux. C’est pourquoi, dès fin avril, début mai 2019, ils ont empêché leur libre examen » (p. 66). 

Cette « fraude scientifique » a été possible en raison de la complaisance de l’Ined, mais plus généralement de l’écosystème de recherche sur la question migratoire. Notamment celle des centaines de chercheurs de l’Institut Convergences Migrations dirigé par François Héran et où Patrick Simon est responsable de l’un des quatre départements (INTEGER). Jean-François Mignot évoque aussi « un climat d’impunité plus général en sciences sociales » (p. 71), domaine où la rétractation d’articles bidonnés est rarissime.

C’est pourtant ce qu’il demande, la rétractation en bonne et due forme (publication par l’Ined d’une notice de rétractation et article maintenu en ligne, barré en rouge par le mot « rétracté » sur chacune des quatre pages) du Population & Sociétés N° 565. Si l’Ined obtempère, ce serait une première !

Le travail de Jean-François Mignot est celui d’un chercheur n’appartenant ni au champ d’études des migrations ni à celui de l’étude des prénoms qui ne peut être soupçonné de quelque rivalité malsaine avec les deux auteurs. Jean-François Mignot est plutôt un lanceur d’alerte dans un milieu académique peu enclin à la remise en question : « En biaisant les faits publiés et communiqués aux journalistes, au grand public et aux pouvoirs publics, les méconduites scientifiques sapent la confiance dans la recherche et dégradent le débat démocratique. Si la recherche en sciences sociales doit aider à éclairer le débat public et à lutter contre certaines idées colportées par des militants de tous bords, c’est en apportant aux citoyens des arguments factuels, fondés sur une méthode scientifique dénuée d’idéologie » (p. 7). 

Pour conclure, il faut ajouter que le document mis en ligne, s’il compte 357 pages, est astucieusement conçu. Nul n’est obligé de tout lire pour savoir de quoi il retourne puisqu’il comprend un très court résumé d’une page (p. 2) [3] , un résumé de cinq pages (p. 3-7) et un texte plus développé (p. 8-85), suivi d’annexes détaillées que seuls les « mordus » liront…

 

[1] Travaillant à l’Université Paris 8 au moment où il signe le Population & Sociétés.

[2]https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/16/ined_charte_deontologie.comite.ethique.fr.pdf

[3] Résumé qui figure aussi sur le site Academia et qui donne accès en un clic à l’ensemble du texte :

https://www.academia.edu/50978335/Pr%C3%A9noms_des_descendants_dimmig%C3%A9s_en_France_Essai_de_reproduction_dun_article_scientifique.

 

 
Démographe. Retraitée depuis 2015, Madame Tribalat continue à s’intéresser au phénomène migratoire, notamment sur son site
 

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