La formation de l'armée nationale afghane-Extrait d'une note de 2009, par Michel Goya.
Extrait d'une note rédigée en octobre 2009
La formation de l'armée nationale afghane
La Coalition apparaît comme une immense machine tournant un peu sur elle-même et souvent pour elle-même, en marge de la société afghane.
Le quartier-général de l'ISAF (2000 personnes) et les différentes bases de Kaboul forment un archipel fermé sur l’immense majorité de la population. Les membres de la Coalition se déplacent en véhicules de base en base comme de petits corps étrangers, blindés et armés. Pour les Afghans, ces bases constituent des oasis de prospérité dont ils profitent bien peu. Prendre ses repas dans la base américaine Phoenix est surréaliste par l’abondance de produits offerts, presque tous importés des Etats-Unis, et ses couteux écrans plats diffusant en boucle les émissions de la chaîne des forces armées américaines (2/3 de sport et 1/3 de slogans sur la fierté d’être soldat, l’hygiène ou la lutte contre le harcèlement sexuel), univers aseptisé dont les Afghans sont absents sauf pour le nettoyer. Outre son caractère égoïste, cet archipel a le défaut d’être associé, dans les esprits afghans, à une administration locale corrompue, d’être multinational, avec ce que cela suppose comme complexité organisationnelle, et d’être sous domination d’une culture militaire américaine peu adaptée à ce type de conflit.
L’organisation de la formation des officiers afghans, cœur de la mission d’Epidote, est un bon exemple de ce que peut donner cette structure. Même si les Français sont plutôt leaders dans cette formation, les ordres sont donnés par un organisme conjoint Coalition-ministère de la Défense afghan dominé par les Américains. Le résultat est un empilement de périodes de formation. De Saint-Cyr au Centre des hautes études militaire, un officier français suivra sept périodes de ce type, là où le cursus de l’officier afghan, dans une armée qui n’est qu'une grosse infanterie et surtout est en guerre, en suivra neuf, avec toutes les difficultés que cela pose pour lui de venir à Kaboul, sans logement et avec une maigre solde. Durant ces différentes périodes de formation, il recevra des manuels qui ne sont que des traductions intégrales des énormes manuels américains, traductions réalisées par la société privée Military Personnel Resources International (MPRI).
Les officiers qui sortent de cette galaxie de stages sont ensuite gérés par le ministère de la Défense afghan. Pour, entre autres, les raisons pratiques évoquées plus haut, les stagiaires sont majoritairement originaires de Kaboul et ne demandent qu’à y rester, quitte à acheter leur poste. Le facteur ethnique est également omniprésent et intervient dans toutes les décisions ou presque (j’ai vu des stagiaires pashtounes se plaindre de recevoir des calculatrices plus petites que celles données aux Hazaras). On se retrouve ainsi avec un décalage important entre le corps des officiers formé à Kaboul et celui qui combat sur le terrain. Et encore, les officiers désertent-ils peu par rapport aux sous-officiers et militaires du rang, 3% contre respectivement 12% et 34 % !. Au total, l’ensemble du système de formation de l’armée afghane apparaît comme une machine à faible rendement alors que la ressource humaine locale, imprégnée de culture guerrière, est de qualité. On ne permet pas aux afghans de combattre à leur manière, en petites bandes locales très agressives, commandés par des chefs qui ont fait leur preuves sur le terrain, c’est-à-dire comme les rebelles qui nous avons en face de nous, tout en ayant du mal à les faire manœuvrer à l’occidentale.
On est donc en droit de s’interroger sur la réalisation du programme de multiplication par deux, voire trois, de l’armée afghane, demandé par le général McChrystal. Il est vrai que rien ne remplace les hommes dans ce type de guerre et que le volume de l'armée afghane actuelle est très faible par rapport à la population, mais où trouvera-t-on les officiers pour encadrer et les Coalisés pour « mentorer » cette armée dilatée ? La tentation est alors très forte de diminuer les durées des stages de formation des hommes (la formation initiale des militaires du rang pourrait ainsi passer de 20 à 8 semaines) au risque d’un effondrement de la qualité.
Les généraux afghans avec qui j’évoquais cette question considèrent que la ressource humaine est suffisamment abondante pour fournir les effectifs nécessaires, à condition d’augmenter très sensiblement les soldes. Ils sont sidérés par le décalage entre les dépenses des coalisées et la faiblesse de la solde des soldats Afghans d’autant plus qu’il existe un « marché de l’emploi guerrier ». Il suffirait probablement de doubler la solde des militaires afghans (soit un total d’environ 200 à 300 millions de dollars par an, dans une guerre qui en coûte plus d’un milliard par semaine aux seuls contribuables américains) pour, d’une part, diminuer sensiblement le taux de désertion et d’autre part attirer les guerriers qui se vendent au plus offrant, pour l’instant plutôt les mouvements rebelles qui ont également cet avantage énorme de détourner peu ou pas l'argent des soldes. Mais il est vrai que personne ne demande vraiment leur avis aux officiers afghans, comme lorsqu’il a été décidé d’échanger les increvables AK-47 dont ils maîtrisent le fonctionnement dès l’enfance, par des M-16 trop encombrants pour eux.
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