Guerre du Tigré entre chrétiens d’Orient : pour comprendre l’imbroglio éthiopien, par Nicolas Gauthier.
L’Éthiopie connaîtra-t-elle enfin le répit ? Il est permis d’en douter, à en juger du conflit avec le Tigré, l’une de ses dix régions administratives, qui dure déjà depuis neuf mois. Pour rappel, il faut savoir que ce pays, le deuxième d’Afrique, par sa superficie, est encore la deuxième plus ancienne communauté chrétienne au monde, juste derrière l’Arménie.
Contrairement à d’autres nations, dont les frontières – souvent ineptes et sources de conflits ethniques à répétition – sont issues de la décolonisation, l’Éthiopie est forte, de longue date, d’un État souverain à peu près constitué. Il est encore une autre dimension symbolique propre à ce pays, c’est en ces terres que fut découvert le corps de Lucy, l’une des ancêtres de l’humanité.
Là où la situation se complique, c’est que l’Éthiopie est composée de 80 ethnies différentes. À eux seuls, Amharas et Oromos représentent deux tiers de la population, les Tigréens n’en totalisant que 6 %. Quant aux 77 peuples restant, ils sont évidemment trop minoritaires et éparpillés pour peser sur le jeu politique, contrairement aux dits Tigréens, assez forts pour se faire entendre, mais trop faibles pour espérer emporter durablement l’actuel conflit.
En attendant, le Tigré souhaiterait faire sécession, tout en sachant paradoxalement, qu’en cas d’indépendance, il serait trop fragile pour subvenir à ses propres besoins. Il n’empêche que son armée est désormais aux portes d’Addis-Abeba, la capitale, et son chef, le général Tsadkan Gebretensae, d’assurer : « Le rapport de force est désormais totalement en notre faveur. Nous sommes en position de marcher vers d’Addis-Abeba sans véritable opposition. » Vantardise ?
Pas forcément, affirme Gérard Prunier, spécialiste de l’Éthiopie cité par La Croix du 19 août : « Il est l’un des plus grands militaires du continent. » Et ce quotidien de rappeler : « Du temps de la guerre contre l’ancien dictateur communiste Mengistu, ce général était déjà connu pour être l’un des meilleurs commandants de la rébellion éthiopienne. C’est lui qui a été capable de prendre par les armes Addis-Abeba, en 1991. Devenu chef des armées, il a ensuite défait l’Érythrée dans la guerre de 1998-2000, avant de se retirer. » Comme quoi, même à la tête de 6 % de la population, il est toujours possible de peser.
La seule autorité qui pourrait éventuellement faire cesser le conflit demeure l’Église éthiopienne ; d’où l’appel à la paix du patriarche Mathias. Benoît Caratgé, responsable de l’Éthiopie pour l’Œuvre d’Orient, déplore : « Cette guerre qui oppose les chrétiens aux chrétiens n’a rien de religieux. Du coup, l’Église officielle est très ennuyée et elle est peu écoutée. » Quant aux musulmans, soit près d’un tiers de la population, mais n’appartenant à aucune ethnie dominante, ils se gardent bien de prendre part au conflit, prudence étant mère de sûreté.
Néanmoins, une lueur d’espoir demeure. Interrogée par La Croix, Sonia Le Gouriellec, de l’Université catholique de Lille, souligne : « Depuis l’époque de l’empereur Ménélik (qui régna de 1889 à 1913) et même avant, les conflits ont toujours existé dans ce pays. Mais jusqu’à présent, les Éthiopiens sont toujours parvenus à trouver un accord, souvent en secret et à la surprise de tout le monde. »
Puisse-t-elle être entendue, sachant qu’une bonne nouvelle en ce continent déchiré par les conflits en tous genres ne serait pas de trop.