L’abstentionnisme, ou la fin des illusions démocratiques, par Henri Feng.
Une tendance de fond s’installe en France, particulièrement depuis l’avènement du macronisme en 2017. En effet, et comme cela avait été plus ou moins annoncé par les instituts de sondage, une abstention massive a été enregistrée à l’issue du premier tour des élections régionales et départementales : 68 %, un taux record, tous scrutins confondus !
Toujours est-il que plus personne ne devrait pouvoir parler d’un phénomène conjoncturel, qui serait lié à la pluie ou au beau temps, voire même à la sinistrose inhérente aux dix-huit derniers mois de crise sanitaire. Car c’est précisément le Covid-19 et ses significations, tant politiques que géopolitiques, qui ont, entre autres, manifesté davantage encore, contre les plus sceptiques, l’incurie, si ce n’est la médiocrité des élus, ceux des démocraties libérales. Ainsi, il s’agit bien d’un phénomène de masse dont les raisons se révèlent peu à peu au grand jour.
D’abord, il convient de se rappeler que le second tour de la dernière présidentielle laissait présager déjà cette tendance de fond : 74 % seulement de participation à cette élection majeure, ce qu’il ne s’était jamais produit jusque-là. Après quoi, l’abstention s’est ancrée dans les autres scrutins : en l’occurrence, 52 % aux législatives (premier tour) et 58 % aux municipales (second tour). Pire encore quand on comprend que seuls 47 millions de Français (chiffre de 2017) votent, et encore, lorsque cela est nécessaire pour eux. Puisqu’en dépit du fait que la sociologie est à la politique ce que la métaphysique est à la physique, avec le clientélisme que celle-ci engendre nécessairement – social, sociétal ou ethnique, ou les trois à la fois –, il ne peut y avoir que de la défiance à l’endroit du suffrage universel dans la mesure où les intérêts particuliers et la perte de transcendance se conjuguent ensemble si parfaitement. En substance, pourquoi le citoyen se sentirait-il investi d’une mission lorsqu’il n’y a plus de sacré, et surtout plus d’autorité pour l’incarner ?
De fait, l’État lui-même, en dehors des régimes dits « autoritaires », n’est plus en mesure d’être Dieu sur Terre, la haute finance et les nouvelles technologies avalant tout sur leur passage. A contrario, entre le XIXe et le XXe siècle, tout était politique : l’art, la morale, etc. Aujourd’hui, plus rien n’est politique, tout devenant technologique, et, à terme, probablement quantique… Ainsi, quand le politique n’a plus aucun pouvoir, comment demander au citoyen d’être le garant de l’impuissance ?
Définitivement, nous retournons à l’ère baroque : « Le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout », disait Guy Debord. Donc, dans ce théâtre des ombres, on peut parier rationnellement sur une abstention record à la prochaine présidentielle, demande populiste ou pas. Parce que les vides sont désormais immenses, principalement entre le champ intellectuel et le champ politique. D’où le recours « Zemmour » au sein de la droite nationale, l’éditorialiste du Figaro ayant rempli progressivement, dans les sphères médiatiques, et le rôle de philosophe (de l’Histoire) et celui de politique. Et jusqu’à ce que la politique elle-même finisse par perdre son sens. Est-ce peut-être, aussi, la fin des temps modernes ?
Docteur en histoire de la philosophie
Source : https://www.bvoltaire.fr/