Les communards et les profanateurs, par Marc Eynaud.
Les images ont fait le tour des réseaux sociaux avant de faire le tour des médias. Une procession catholique organisée par le diocèse de Paris pour commémorer les martyrs de la Commune, principalement les prêtres et gendarmes otages assassinés par une poignée de communards. Une procession catholique dénuée de tout message politique, a tenu à préciser le diocèse.
Pourtant, cette procession a été interrompue par une flambée d’agressions, d’insultes et de coups par quelques dizaines de militants d’extrême gauche venus célébrer le souvenir des communards.
Qu’est-ce que la Commune ?
En 1871, le Second Empire est tombé et la France est vaincue par les Prussiens qui paradent dans les principales villes du pays. Paris a été particulièrement éprouvé et a subi un siège des plus violents. De nombreux Parisiens sont morts écrasés sous les bombes et terrassés par la faim. En exil d’abord à Bordeaux puis rassemblé à Versailles, le gouvernement de transition présidé par Adolphe Thiers a entrepris les négociations d’armistice avec l’agresseur allemand. À la suite de cet armistice, la troupe est envoyée dans les faubourg parisiens pour désarmer le peuple, et prioritairement la Garde nationale. Elle a surtout voulu s’assurer des canons disposés à Montmartre, théoriquement propriété de l’armée, qui étaient aux mains de la Garde nationale et de la population des faubourgs. Il faut se représenter la populace de l’Est parisien. Dévorée par la misère, broyée par la révolution industrielle, vaincue par la Prusse, elle voit avec colère ceux qu’elle appelle avec mépris « les Versaillais » négocier la paix, vendre le peuple contre la sécurité de leurs biens.
Alors, le peuple se souleva. Aiguillonné par la honte de la défaite et le sentiment de trahison plus que par une conscience de lutte des classes. Menés pour beaucoup par des anticléricaux, des théoriciens de la révolution et des intellectuels en mal de lutte, les Parisiens proclament la Commune, pensent à la justice sociale et attendent le temps des cerises. Des barricades sont élevées partout. Des otages sont enlevés, un gouvernement et une armée sont formés, alors commença ce qu’on a appelé la « Semaine sanglante ». La capitale est évacuée et l’armée est envoyée. De cet épisode, on déplore des milliers de morts, de fusillés sans procès et d’otages assassinés. L’épisode prit fin au cimetière du Père-Lachaise, qui vit les derniers communards pourchassés à travers les tombes. Tous les ans, la fine fleur de la gauche, mais pas seulement, se rassemble devant le mur des Fédérés, endroit ou l’ultime sang des communards s’est répandu.
Une honteuse mise en scène
Les communards sont devenus le symbole de la révolte prolétarienne contre les élites. La tentation de ressusciter leurs souvenirs pour alimenter les luttes contemporaines est grande. Aussi, lorsque 300 catholiques ont processionné, les militants de gauche venus commémorer un épisode qu’ils ont idéalisé en se l’appropriant ont vu une provocation. Ils ont fait une double erreur. La première a été, évidemment, d’agresser les fidèles en se prenant pour des communards. Entre parenthèses, l’inénarrable Taha Bouhafs, journaliste à ses heures et militant tous les jours, était sur les lieux et a filmé l’agression en prenant bien soin de montrer le visage des agressés et anonymisant les agresseurs. Une conception éthique hautement discutable. La deuxième est d’avoir amalgamé les catholiques présents avec les Versaillais de Thiers. Parmi les otages commémorés par ces catholiques, de nombreux prêtres qui avaient dédié leur vie aux pauvres et aux miséreux des faubourg les placent pourtant loin de ces « Versaillais » honnis. Accomplissant davantage pour la justice sociale que toutes les barricades de ces apprentis révolutionnaires du XXIe siècle se mettant en scène avec leurs iPhone en prétextant lutter pour la justice.
Une tribune hors-sol
Il fallait bien La Croix pour le faire. Le 2 juin, une tribune signée par « quinze catholiques engagés » a dénoncé dans le quotidien non pas l’attaque de la procession mais la procession elle-même, ou plutôt « l’aberration spirituelle et politique » de leur démarche de prière. Les fidèles et le clergé attaqués lors de la procession n’auraient pas dû faire mémoire de ces prêtres tués en raison de « leur copinage avec la bourgeoisie capitaliste ». On reconnaît bien là le style fielleux de ce courant de pensée encore appelé « catho de gauche ». Un courant qui dénonce avec moult cris la politisation du christianisme par les courants identitaires tout en ne manquant pas une occasion de politiser le Christ pour en faire une sorte de passerelle entre le catholicisme et le marxisme. Au nom de la justice, ils déterrent des cadavres, au nom de l’idéologie, ils parodient l’Évangile. Pour eux, les pèlerins étaient les marchands du Temple et les manifestants grimés en communards des Christ à imiter. Totalement aveuglés par ce prisme déformant, ils en ont oublié l’essentiel : des curés, des vieillards et des familles ont été agressés par une foule grimaçante et avinée. Cette même foule qui n’a pas une once du courage des communards. Cette foule qui n’aurait pas fait la Commune car elle aurait fui Paris au premier bombardement, oubliant que ce qui a d’abord fait saigner les communards, c’était la défense de leur ville et de leur pays par une armée étrangère.
Journaliste, la vérité et la réalité sont mon éthique, en tant que catholique, les pauvres et les faibles sont ma cause. Ce qui a animé les agresseurs de ce pèlerinage, c’était la haine. On peut la grimer en noble cause, reprocher aux victimes leur présence car, sans victime, point de coupable. On peut nier la réalité parce qu’elle ne colle pas avec son tropisme idéologique. Mais, alors, on devient un serviteur du mensonge.
Journaliste
Source : https://www.bvoltaire.fr/