Macron et Barkhane, à qui perd perd, par Arnaud Florac.
Dans une interview donnée au Journal du dimanche, ce 30 mai, Emmanuel Macron a longuement détaillé le fond de sa pensée en ce qui concerne la politique africaine. Après les rappels d’usage sur la nécessité de donner plus d’argent aux pays d’Afrique pour éviter une submersion migratoire, les rappels d’usage sur l’impossibilité de fermer ses frontières, les rappels d’usage sur l’immigration « chance pour la France », le Président, possiblement à court de clichés, s’attaque à l’opération Barkhane. Et là, surprise.
On sait peut-être que le chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, jusqu’ici peu suspect d’opposition au pouvoir politique, vient de donner un long entretien au Figaro dans lequel il se dit certain que Barkhane sera encore en place dans dix ans. On sera donc quelque peu étonné de lire, dans le JDD, que Macron n’exclut pas de quitter le Mali si le pays, récemment chamboulé par un coup d’État, « va dans le sens » de l’extrémisme islamiste. Alors là, il va falloir expliquer.
Il me semblait au contraire qu’en 2013, le Président de l’époque, François Hollande, avait accepté d’envoyer des troupes françaises au Mali à la demande de son président (de l’époque, lui aussi) justement pour lutter contre « l’extrémisme islamiste ». En effet, alliés par opportunité aux Touaregs indépendantistes du nord du pays, les islamistes étaient allés jusqu’à Mopti, « le verrou de Mopti » comme on disait alors, menaçant directement la capitale, Bamako. On suivait leur trace : massacres, destructions, application « rigoriste » de la charia, bref, une invitation (désormais courante) à nous rappeler que ce n’était peut-être « pas ça, l’islam », mais que pour eux, si.
En peu de mois, la victoire tactique française fut totale et les montagnes du nord (l’Adrar, pour les puristes) furent peu à peu nettoyées par les régiments qui s’y succédèrent. Cependant, au sud, dans le Mali « utile », ce furent des gouvernements qui se succédèrent, tous plus incapables les uns que les autres, tous s’affichant hostiles à la France et à son « néo-colonialisme », et la suppliant pourtant, au hasard des sommets internationaux, de mettre des sous dans la sébile. Rien ne changea avec le passage de Serval à Barkhane : l’extension du champ de bataille et la construction d’un « G5 Sahel », dont le sommet de Pau devait prouver l’immobilisme, ne modifièrent pas en profondeur le déséquilibre des forces. La France luttait contre le reliquat des djihadistes, tandis que les troupes des pays sahéliens, si elles subissaient beaucoup de pertes, ne prenaient pas la main sur leur destin.
Mais pour contrer cet immobilisme, les menaces de Macron dans le JDD ont quelque chose de ridicule. En résumé, si Barkhane ne s’est pas avéré utile, l’opération cessera : « On n’a pas réussi à vaincre le djihadisme, on plie les gaules et on rentre. » Dans la deuxième ville malienne du monde après Bamako, j’ai nommé Montreuil, on ne cillera pas. À l’Élysée non plus. Dans l’armée, on rejouera le Kosovo ou l’Afghanistan : pour les soldats, ce sont autant de frères d’armes qui seront morts pour rien. Regardons l’Afghanistan : les talibans reviennent au pouvoir, vingt ans après en avoir été chassés. La violence n’a pas cessé. La France aura montré son échec à la face du monde, laissera l’Afrique en plan, se débinera malgré des victoires tactiques.
En somme, c’est à qui perd perd. Il est peut-être temps de changer de joueur l’année prochaine.