Quand le pouvoir s’autorise à dire ce qu’il veut et censure qui il veut !, par Christian Vanneste.
L’optimisme revient avec l’été qui s’annonce. Les terrasses se remplissent. Notre train de la joie fonce toujours vers le pont qui va s’effondrer mais il est repeint aux couleurs de l’arc-en-ciel. Comment expliquer ce décalage sans cesse grandissant entre l’ambiance qui prévaut dans notre société et la réalité du monde ? Jamais sans doute un pouvoir dans notre pays n’a bénéficié d’un soutien médiatique aussi puissant.
On assiste à ce paradoxe d’une expression de la pensée plus libérée que jamais chez ceux qui nous dirigent tandis que la censure s’emploie à faire taire les oppositions. Ce phénomène a commencé pendant le quinquennat de François Hollande, alors qu’Emmanuel Macron le secondait à l’Elysée. Déjà un général avait parlé : c’était le général Bertrand Soubelet, responsable national des opérations de la gendarmerie nationale, venu répondre aux questions des membres d’une commission parlementaire de l’Assemblée nationale le 18 Décembre 2013. Il s’agit d’un homme mesuré qui sera un temps, très court, séduit par Macron en 2017. Mais, s’exprimant devant l’un des pouvoirs légitimes de la République, il ne s’estime tenu qu’à un devoir : la vérité, et libéré de celui de réserve. Aussi est-il clair sur la faiblesse des moyens et surtout sur celle de la réponse pénale, notamment pour les mineurs, quasi systématiquement remis en liberté. Mal lui en a pris : il doit quitter son poste pour un placard consacré à l’Outre-Mer, et outré, publie un livre en 2016 : “Tout ce qu’il faut ne pas dire”, qui le conduira à quitter la gendarmerie. Le paradoxe est flagrant : des gens qui n’ont aucune compétence particulière mais un pouvoir certain peuvent contraindre ceux qui ont le savoir, et pensent avoir le devoir de le faire connaître, à se taire ou les punir pour avoir parlé. Dans son ouvrage, Bertrand Soubelet cible le “microcosme parisien qui n’a de la société française qu’une vue partielle et bien souvent virtuelle.” Or, dans notre pays centralisé à l’excès, où la hiérarchie est définie par des diplômes acquis tôt dans la vie plus que par l’expérience, c’est cette caste politico-médiatique qui donne le “la” de la pensée autorisée, et censure le reste. Les généraux récemment insultés et menacés de sanctions par des ministres très représentatifs de notre oligarchie nationale sont dans la suite de ce premier épisode. Le devoir de réserve ne s’impose nullement à un officier rendant compte officiellement à un pouvoir officiel, ni même à des militaires retraités. C’est au contraire leur devoir d’informer les Français à partir d’une expérience acquise en mettant leur propre vie en jeu.
Or, ceux qui prétendent les censurer s’attribuent au contraire une liberté de parole sans retenue, comme si l’appartenance au pouvoir provoquait une sorte de vertige de puissance. Le style des hommes qui entouraient le Général de Gaulle était défini par un mot : “convenable”. Il fallait éviter l’ubris, la démesure, et réserver les saillies, rares, mais percutantes, au Chef de l’Etat, qui, on le sait grâce à Alain Peyrefitte, s’exprimait selon trois registres différents selon ses interlocuteurs, depuis la rudesse militaire jusqu’à l’éloquence mûrement réfléchie. François Hollande s’est répandu en confidences déplacées dans un livre rédigé par deux journalistes : “Un Président ne devrait pas dire ça”. On mesure la distance entre un général à la carrière sans ombre puni pour avoir dit ce qu’il devait dire là où il le devait, et un politicien, un président raté s’épanchant lamentablement. Son successeur s’octroie lui aussi, mais de façon plus narcissique, cette licence de dire ce qu’il veut quand il le veut. Et la presse servile ne s’en offusque pas. La manière aussi ridicule que scandaleuse dont Macron a usé pour sanctionner en humiliant le Général de Villiers dès le début de son mandat le prouve. Son besoin de s’affirmer le “chef” et d’acculer à la démission celui qui n’avait fait que son devoir, en s’exprimant franchement et à huis clos devant la commission compétente de l’Assemblée Nationale, révélait “en même temps” qu’il n’avait pas la hauteur de son rôle et qu’il en abusait cependant. Depuis, ses foucades méprisantes sur les gens qui ne sont rien, sur les Gaulois réfractaires, sur l’absence de culture française, ses lubies de repentance injustifiée, son accueil à l’Elysée, selon son bon plaisir, de gens qui n’ont rien à y faire, laissent percer une ivresse d’un pouvoir, pourtant gagné dans des conditions bien particulières. La dernière en date de ses sorties foireuses a consisté à vouloir faire de la Seine-Saint-Denis, une “Californie sans la mer”. Dans cette boutade démagogique visant un certain public, il y a un condensé du macronisme : un savoir superficiel qui confine à l’ignorance, puisque justement c’est l’océan proche qui fait de la Silicon Valley, de Stanford et de Berkeley ce qu’ils sont, et un double mépris pour ceux qui subissent la vie dans ce département criminogène et paupérisé, et pour ceux dont il pense qu’ils sont assez stupides pour croire à ce type de messages. Certes, le pouvoir politique, celui du Président dans une curieuse démocratie où le législatif est aux ordres, est le plus élevé et doit être respecté, mais à condition qu’il soit lui-même capable de respect. Dans les civilisations occidentales, Dumézil avait repéré la permanence de trois fonctions, la première sacrée et souveraine, la seconde militaire et la troisième vouée à la production. La seconde doit bien sûr être soumise à la première, mais à une double condition, d’abord que celle-ci soit respectable par ses mérites, sa compétence, ses vertus, comme le courage, et qu’ensuite elle reconnaisse dans la fonction militaire ce qui l’élève moralement au-dessus de fonctions civiles si souvent défaillantes, le fait de mettre sa vie en jeu pour assurer la première des priorités : sauvegarder la sécurité d’une nation et de ses citoyens.
Source : https://www.christianvanneste.fr/