Rod Dreher : « L’idéologie du genre et l’immigration de masse sont en train de détruire beaucoup de pays comme l’Amérique et la France. Il faut résister à cela ».
Boulevard Voltaire a interviewé Rod Dreher, auteur du Pari bénédictin, à l’occasion de la sortie de son dernier livre Résister au mensonge. Vivre en chrétiens dissidents.
Vous êtes américain, vous publiez Résister au mensonge. Vivre en chrétiens dissidents aux Éditions Artège. C’est votre deuxième livre publié dans cette maison. Il parle de l’effondrement de l’Ancien Monde et l’avènement du progressisme. Un monde où les chrétiens vivent en minorité et doivent se battre contre cette idéologie progressiste. Vous employez le terme « totalitarisme » pour définir cette idéologie. Pourquoi êtes-vous allez jusque-là ?
L’idée m’est venue des dissidents chrétiens dans les pays communistes qui connaissaient l’Amérique et qui ont déduit, à partir de ce qu’ils voyaient, les mêmes tendances. Ils pensaient qu’il serait possible que nous vivions la même chose.
Vous dénoncez le progressisme comme nouveau modèle totalitaire. Pouvez-vous préciser, pour les lecteurs français, quel est exactement le terme « wokisme » né aux États-Unis ?
Le terme woke signifie « être illuminé ». Cela vient du ghetto des Afro-Américains. Il signifie être particulièrement éveillé au courant des injustices contre les minorités. Être woke est, selon la gauche, être particulièrement au courant et attentif sur les sujets antiracistes et être au courant des idéologies de genre. La pensée woke est une pensée post-libérale. Avant, en Amérique, que l’on fût de gauche ou de droite, on croyait aux droits individuels. Aujourd’hui, les woke écrasent cela dans une volonté collective. La pensée woke a gagné un réel pouvoir en Amérique lorsqu’elle a été acceptée et institutionnalisée par les grandes entreprises américaines. C’est une manière d’interpréter ce que font ces grandes compagnies et d’anticiper les critiques de la gauche par rapport au traitement des individus en mettant en avant leur caractéristique woke afin de ne plus être critiqué. La classe dominante américaine a pratiquement accepté cette idéologie. C’est désormais l’idéologie de la bourgeoisie et des élites américaines. C’est quelque chose de vraiment très radical.
Pourquoi ce progressisme est-il promu ? Quel est l’objectif de cette mise en place de cette post-société ?
Le « wokisme » est d’abord une tentative culturelle de domination de la société. Elle a une pulsion totalitaire de contrôler l’intégralité de notre culture. Ils n’ont pas de vision positive.
Vous expliquez longuement dans votre livre que les meilleures armes pour se prémunir de cette théorie sont les valeurs chrétiennes. Néanmoins, on serait tenté de dire qu’aux États-Unis, ces valeurs sont encore prégnantes, alors qu’en France, le christianisme s’est effondré. On a l’impression que l’on veut utiliser comme arme ce que le « wokisme » a déjà détruit en France.
En réalité, aux États-Unis, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le christianisme est en train de s’effondrer, en particulier dans les jeunes générations. Je ne pense pas qu’il soit possible de gagner face à ce totalitarisme. L’objectif est de créer des liens entre les gens. J’ajouterai que les dissidents anticommunistes que j’ai côtoyés, notamment en Europe de l’Est, ne pensaient jamais voir la fin du communisme de leur vivant. Il est possible que ce soit le cas pour nous aussi. Il faut vivre pour la vérité, ne pas vivre de mensonges et s’attendre à ce que l’on puisse battre cette mouvance. Il y a un point particulièrement important. Ils n’ont pas fait cela en fonction des conséquences mais ils ont tenu tête au communisme parce que c’était la bonne chose à faire. De ce point de vue-là, ils ont gagné une victoire morale. Il faut se lever contre le totalitarisme sous toutes ses formes.
Ce totalitarisme est différent des totalitarismes précédents. Il est doux. Il utilise essentiellement le chantage au confort afin de maintenir en place les populations actuelles.
Les dissidents anticommunistes me disaient qu’il fallait être capable de souffrir pour sa foi. Il faut embrasser la notion du martyr et chercher à imiter le martyr, car en étant prêt à souffrir pour notre foi, voilà comment nous pourrons vaincre.
Vous prônez une résistance spirituelle et intérieure. Est-ce une certitude intérieure ?
La résistance commence forcément au sein de son propre cœur. Ensuite, elle a demandé et encouragé des actes plus physiques et plus visibles, comme chez certains dissidents anticommunistes la volonté d’être prêts à aller en prison. La source de leur dissidence était le Christ. C’est à travers son exemple de souffrance qu’ils ont pu s’accrocher en prison même lorsque c’était difficile et même sous la torture. Ils savaient que la souffrance ne servirait pas à rien. Il y avait une forme d’espérance dans des jours meilleurs.
En France, un courant néo-païen considère que pour lutter contre le progressisme, il ne faudrait pas passer par le christianisme parce que ce sont les sociétés chrétiennes qui ont engendré le « wokisme » et le progressisme.
D’une certaine manière, ils n’ont pas complètement tort. Incidemment, j’ai appris hier que les enfants de Washington reprenaient seulement l’école, à un mois de la fermeture pour les congés d’été et uniquement deux matinées par semaine. Après dix-neuf mois de fermeture, et cela, bien que tous les enfants à partir de 12 ans soient vaccinés (Pfizer). Les syndicats d’enseignants estiment leurs troupes « en danger » et réclamaient « une possible réouverture en septembre ». On me dit, et je le crois, que c’est une hécatombe chez les adolescents devenus suicidaires ou violents… Friedrich Nietzsche disait que dans le christianisme, il y avait un rapport à la faiblesse. Ce que nous vivons aujourd’hui est une hérésie chrétienne qui transforme le martyr en victime et qui donne une importance à la victime qui est tout à fait démesurée. D’un point de vue chrétien, je ne souhaite pas une politique de la force, que celle-ci prévienne de la gauche ou de la droite. D’un point de vue matériel et spirituel, il faut qu’en tant de chrétiens, nous soyons prêts à résister au totalitarisme doux qui monte.
Dans ce combat des chrétiens contre le monde moderne, vous oubliez le facteur « islam ». L’Europe occidentale subit une très forte pression migratoire de la part de populations arabo-musulmanes. Les chrétiens sont pris en tenaille entre les islamistes et ce progressisme qui s’accouple, en France, d’une laïcité extrêmement offensive. Comment prendre en compte ces facteurs-là ?
En tant qu’Américain, il est très difficile pour moi de vous donner des conseils. Votre situation est très particulière. En Amérique, nos musulmans sont très bien assimilés. Les jeunes musulmans ont les mêmes problèmes que les jeunes chrétiens, c’est-à-dire qu’ils quittent leur foi en masse. Cependant, je remarque qu’en France, certains à gauche défendent les islamistes « pur jus ». À mon sens, c’est quelque chose de très dangereux, car c’est une volonté de suicide et de destruction de l’Occident en tant que tel. Je pense que tous les chrétiens conservateurs, pratiquants ou non, même les anciens libéraux, feraient mieux de s’unir pour lutter contre ces deux tendances. Depuis l’été dernier, je suis en Hongrie. On m’a longtemps expliqué que Viktor Orbán était le diable absolu. Je constate qu’Orbán a raison et que l’idéologie du genre et l’immigration de masse sont en train de détruire beaucoup de pays comme l’Amérique et la France. Il faut résister à cela. Il nous faut une sorte de solidarité transnationale entre pays conservateurs. Même à Budapest où il y a très peu de Noirs et assez peu de minorités sexuelles, on met en avant des statues à la gloire de Black Lives Matter. La gauche a cette solidarité transnationale, alors que nous ne l’avons pas.