Barbara Lefebvre: «Le choix de Youssoupha pour interpréter l'hymne des Bleus est un choix éminemment politique».
Le rappeur Youssoupha interprétra l'hymne des Bleus à l'Euro 2021. Denis Trasfi
La ministre des Sports a apporté son soutien à Youssoupha, après les critiques des membres du Rassemblement national. Pour Barbara Lefebvre, le choix du rappeur relève de l'idéologie.
FIGAROVOX. - Le rappeur Youssoupha, accusé d'incitation à la haine envers Marine Le Pen et Eric Zemmour, interprétera l'hymne des Bleus pour l'Euro 2021. Approuvez-vous ce choix ?
Barbara LEFEBVRE. - Je doute que mon approbation ait la moindre importance, mais je suis dubitative sur ce choix compte tenu des propos vulgaires et insultants prononcés par cet artiste dans certaines de ses chansons à l'encontre de personnalités politiques ou de journalistes qui n'ont pas l'heur de lui plaire. La justice après, l'avoir condamné en 2011 au motif que son propos à l'encontre d'Eric Zemmour avait «une portée outrageante et méprisante en ce qu'il s'insère en point d'orgue d'une menace implicite ou d'un appel à faire taire un individu, au surplus nommément désigné, ce qui est précisément contraire aux fondements de la liberté d'expression dans une démocratie.», l'avait finalement relaxé en appel. Reste que, si Youssoupha avait insulté une autre figure de la vie politique que Marine Le Pen, ou un autre journaliste qu'Eric Zemmour, je doute qu'il aurait été choisi pour porter l'hymne des Bleus. Apparemment, en France aujourd'hui, règne le deux poids deux mesures dans l'indignation s'agissant, par exemple, de propos sexistes et avilissants à l'égard d'une députée de la République.
Youssoupha est un rappeur populaire dans sa catégorie, mais il me semble que pour la majorité des Français son « œuvre » demeure confidentielle. Les Français qui vont supporter l'équipe nationale à l'Euro le connaissent-ils autant que Johnny Hallyday en 2002 ? Le choix de Youssoupha s'inscrit donc selon moi dans une logique qui est politique. Le football est ce sport populaire unique, capable d'emporter les foules, d'unir les Français le temps d'une compétition, à ce titre il est éminemment politique. Ce n'est pas pour rien que tous les dirigeants français depuis le cas Chirac en 1998 espèrent tirer profit des victoires de l'équipe nationale. Emmanuel Macron omniprésent durant la compétition n'était pas parvenu à bénéficier de l'effet Mondial en 2018, même le Monde soulignait alors qu'il avait trop compté sur « l'euphorie de la victoire, et trusté à l'excès ces heures particulières » mais que « sa cote de popularité n'avait pas frémi après la victoire » pour autant ! On sait désormais après quatre années de présidence que rien de symbolique, pas même cet hymne anecdotique, ne se décide sans l'avis présidentiel, il est donc quasi certain que le choix de Youssoupha a reçu l'approbation de l'Élysée. Il y a donc ici un signe d'abord politique qui est envoyé à l'opinion publique et surtout aux électeurs susceptibles de voir dans ce choix un signal « progressiste ». Les ficelles semblent grosses, mais on dit que plus c'est gros plus ça passe. Espérons que personne n'aura l'idée de proposer le retour de Diam's pour représenter la France à l'Eurovision 2022.
Notre ministre des Sports ne voit pas non plus de problème à ce que des femmes portent le voile islamique dans le sport amateur, dans des compétitions nationales et internationales.
Barbara Lefebvre
Roxana Maracineanu, la ministre des Sports lui a apporté son soutien sur BFMTV : « Youssoupha est un chanteur militant qui dénonce le racisme et qui est pour la diversité ». Peut-il alors tout se permettre ?
Rien d'étonnant au soutien de Roxana Maracineanu. Notre ministre des Sports ne voit pas non plus de problème à ce que des femmes portent le voile islamique dans le sport amateur, dans des compétitions nationales et internationales. Cela en dit beaucoup sur son curseur antiraciste et son engagement orienté en faveur d'une « diversité inclusive » qui exclue tous ceux qui pensent que le port du hijab est d'abord un signe politique d'humiliation de la femme qui ne dispose pas librement de son corps. Pour la ministre, le hijab n'est qu'un vêtement de sport parmi d'autres, qui ne stigmatise pas la femme (puisque les hommes ne portent pas le hijab en public que je sache), ne fait pas d'elle le porte-drapeau d'une vision conservatrice et patriarcale de la femme. Auditionnée au Sénat dans le cadre d'une table ronde sur la radicalisation dans le sport en juin 2020, elle avait complètement minoré l'importance de la pénétration islamiste dans le sport amateur, pour elle c'était « circulez, y a rien à voir ».
On pourrait me dire que cela n'a rien à voir avec Youssoupha, qui n'est pas un islamiste, mais c'est la ministre elle-même qui défend le chanteur sur le terrain de l'antiracisme et de la diversité, en empruntant le logos multiculturaliste, elle adresse un signe aux adeptes du « macronisme woke ». Elle ne dit pas « c'est un grand artiste et sa chanson est formidable », elle soutient le choix de Youssoupha en soulignant sa dimension idéologique et donc absolument politique. Tout cela est cousu de fil blanc. Et quand la polémique éclate, la majorité gouvernementale crie à l'instrumentalisation politicienne.
Plus tôt dans la semaine, le retour de Karim Benzema avait déjà suscité la polémique. Pensez-vous que les Bleus représenteront correctement et dignement la France lors de cette compétition ?
Le choix du chanteur Youssoupha est la continuation, d'une certaine façon, à la polémique de la sélection de Karim Benzema. Les capacités du joueur ne sont pas en cause, mais s'il n'avait plus été sélectionné depuis 2016 ce n'est pas par hasard. Benzema est impliqué dans une affaire judiciaire aussi glauque qu'indigne d'un joueur de l'équipe nationale. On aurait pu attendre que la justice soit rendue en octobre prochain et qu'elle l'innocente de l'accusation de « complicité de tentative de chantage ». Cette affaire est d'autant plus grave qu'elle avait pour théâtre l'équipe de France elle-même, puisqu'il a tenté de manipuler, à Clairefontaine, son coéquipier Valbuena qui faisait l'objet d'un odieux chantage à la sextape. La question qui sera tranchée par les juges est de savoir si Benzema était complice des maîtres chanteurs comme certains indices le laissent à penser. Cela en dit long sur l'ambiance de camaraderie qui régnait à cette époque parmi les Bleus. La FFF s'est constituée partie civile dans cette affaire, elle a suspendu sine die Benzema de son poste d'attaquant dans l'équipe de France fin 2015 et maintenant elle soutient sa sélection pour l'Euro. C'est étrange de ne pas avoir attendu le rendu de justice. Emmanuel Macron aussi soutient le retour de Benzema considérant qu'il a « pris de la maturité » et qu'il est capable « de s'insérer dans ce collectif ».
Chanter la Marseillaise serait un geste magnifique de réconciliation de la part de Benzema.
Barbara Lefevbre
Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit en vérité. Les Français veulent voir si Karim Benzema sera capable de chanter la Marseillaise au lieu de cracher par terre pendant l'hymne national comme il l'a fait lors de ses précédentes sélections. Désormais, l'équipe de France chante la Marseillaise, depuis que Laurent Blanc leur a expliqué que c'était une forme d'obligation implicite par égard pour le maillot et pour les Français qui aiment entendre leur hymne fièrement entonner. Certains joueurs semblent encore mal à l'aise et se contentent de bouger les lèvres mais au point où nous en sommes c'est préférable aux visages fermés et regards sombres qu'on voyait à l'époque de Ribéry et Benzema. Ce dernier sait donc qu'il sera scruté lors des hymnes. Chantera, chantera pas ? Les Français ne lui demandent pas un certificat de bon citoyen par ce geste, ils attendent de lui qu'il montre son attachement à son pays, la France. Car c'est la France, avec ses infrastructures et institutions sportives, qui lui a donné l'opportunité d'être le grand joueur international qu'il est devenu. Ce n'est pas en Algérie, pays d'origine de sa famille qu'il est libre de préférer dans son cœur à la France, qu'il a appris à jouer au football, qu'il a été repéré par des entraîneurs ayant cru en lui. Les Français qui aiment le football, aiment le joueur Karim Benzema. Ce serait courtois de sa part qu'il leur rende cette affection en montrant son amour pour la France. Chanter la Marseillaise en est le signe que cela lui paraisse trivial ou pas. S'il le comprend pour l'hymne algérien, il doit le comprendre pour celui de son pays. Ce serait un geste magnifique de réconciliation de la part de Benzema.
Barbara Lefebvre, enseignante et essayiste, est l'auteur de Génération j'ai le droit (éd. Albin Michel, 2018).
Source : https://www.lefigaro.fr/vox/