Nous avons lu le livre événement de Patrick Buisson, par Alexandre Devecchio.
Patrick Buisson, l’homme qui se rêve en Machiavel et Saint-Simon à la fois. JEAN LUC BERTINI
Le Figaro Magazine a pu lire La Fin d’un monde (Albin Michel). Dans ce premier tome d’une œuvre qui s’annonce monumentale, l’intellectuel explore les années 1960-1975 pour mieux éclairer la crise existentielle de la France d’aujourd’hui.
La chronique médiatique l’a portraituré en «stratège diabolique», en «nouveau Raspoutine», en «grand marionnettiste», tirant les ficelles dans l’ombre, murmurant à l’oreille des puissants… L’éminence grise, adepte du magnétophone, se rêvant en un mélange de Machiavel et Saint-Simon, a sans doute lui-même participé à la création de cette légende noire.
Il est cependant probable que l’Histoire retiendra un tout autre Patrick Buisson: l’intellectuel, le sociologue, l’écrivain. Malgré ses fulgurances littéraires et conceptuelles, son précédent livre, La Cause du peuple, fut réduit par les observateurs à une charge anti-Sarkozy. La Fin d’un monde, pur livre d’histoire et premier tome de plus de 500 pages d’une œuvre qui s’annonce monumentale, devrait dissiper tout malentendu. Faire définitivement oublier le «mauvais génie» politique pour consacrer le génial penseur métapolitique.
La destruction des repères traditionnels (famille, religion), des lieux de sociabilité anciens (cafés, églises) et des ancrages locaux a contribué à l’atomisation de la société
Le bandeau rouge sur la couverture avec l’inscription «Oui, c’était mieux avant!» donne le ton. La Fin d’un monde s’inscrit dans une tradition réactionnaire assumée. Naufragé hors de son époque, Buisson remonte le temps pour mieux éclairer notre modernité, à ses yeux déshumanisée.
La grande fracture temporelle date, selon lui, d’un demi-siècle: tout se serait déroulé en l’espace de quinze ans, entre 1960 et 1975. La révolution soixante-huitarde, entamée dès le début des années 1960, sous ses dehors de révolution libertaire, aurait été, en réalité, une «révolution petite-bourgeoise» consacrant l’avènement d’une nouvelle civilisation marchande.
La destruction des repères traditionnels (famille, religion), des lieux de sociabilité anciens (cafés, églises) et des ancrages locaux, qui étaient autant de protections collectives pour les plus humbles, a contribué à l’atomisation de la société, en particulier des classes populaires. La thèse n’est certes pas nouvelle, et l’on pourrait discuter de son caractère systématique.
L’ouvrage de Buisson se distingue cependant par son style éblouissant, sa richesse et sa densité. Pour préparer son livre, l’ancien directeur de la chaîne Histoire s’est notamment plongé dans les archives télévisuelles de l’époque (émissions, feuilletons…), en extrayant foison d’images et luxe de détails.
La France de Buisson, c’est aussi celle de Brassens et de Ferré, de Gabin et de Blondin. Celle d’Audiard
Et si la plupart des penseurs déclinistes contemporains insistent sur les questions européenne et d’immigration, Buisson met l’accent sur la transformation des mœurs, des coutumes et des croyances. L’homo religiosus céderait la place à homo oeconomicus: là est, selon lui, le vrai «grand remplacement». La presse de gauche se moquera de sa nostalgie de la messe en latin et de son aversion pour les cheveux longs. Oubliant son côté anar et populaire. Car la France de Buisson, c’est aussi celle de Brassens et de Ferré, de Gabin et de Blondin. Celle d’Audiard.
Féroce, l’écrivain ne dédaigne pas de jouer les tontons flingueurs lorsqu’il s’agit de se moquer du «féminisme» lesbien du MLF, de la «génération papa poule» ou encore des prêtres défroqués. Mais c’est sa puissance d’évocation mélancolique, lorsqu’il narre le grand déracinement des paysans ou la disparition des bistrots, qui hante longtemps après la lecture. «La vérité est dite par les ruines», écrit-il. Tel un archéologue, Buisson exhume les ruines pour ressusciter la beauté d’une civilisation disparue.
Sources : https://www.lefigaro.fr/