Supprimer le grec et le latin : l’idéologie woke, un poison qui rend fou, par Marie d'Armagnac.
Ce pourrait être un conte de fées moderne. Dan-el-Padilla Peralta est un pur produit de la méritocratie américaine, un symbole parfait du rêve américain. Jugez-en : originaire de la République dominicaine, il arrive à quatre ans aux États-Unis. Sans-abri, sa mère l’élève tant bien que mal, luttant chaque jour contre l’extrême pauvreté.
Remarqué par le photographe Jeff Cowen, celui-ci prend le jeune immigré sous son aile et lui fait obtenir une bourse pour l’une des plus prestigieuses écoles privées américaines, située en plein Manhattan.
Doué, le jeune Padilla s’initie aux humanités (français, latin, grec), s’appropriant avec bonheur le substrat fondateur de la civilisation occidentale. Passé par Princeton, qui lui a accordé une bourse sur ses fonds propres puisque, sans situation régulière, il ne pouvait prétendre aux aides fédérales, il est soutenu et promu, médiatiquement et financièrement, par une grande partie de l’intelligentsia politique de gauche américaine. Stanford, Columbia, Oxford l’ont accueilli dans leurs murs, il devient l’un des plus éminents classicistes d’Amérique. Son parcours de jeune immigrant dominicain sans-abri arrivé aux postes les plus influents de l’Ivy League intéresse Hollywwod, tandis qu’un livre retraçant son odyssée paraît en 2015.
Seulement voilà. D’un conte de fées moderne, d’une success story à l’américaine dont les ressorts tiennent autant aux mérites et à l’intelligence qu’à une succession de rencontres providentielles, on est passé à un mauvais film d’horreur culturelle.
Il y a quelques semaines, le New York Times consacrait un article élogieux à l’universitaire, mais ce n’étaient pas sa maîtrise de la langue latine ni sa profonde culture grecque qui y étaient célébrées. Bien au contraire ! Lors d’un débat sur l’avenir de la culture classique – entendez l’apprentissage des langues et cultures anciennes -, Padilla a développé de façon tranchante et sans appel le fond de sa pensée : il pense en effet, au mépris de l’Histoire, de l’historiographie et de la philosophie, que c’est dans les textes classiques que se trouvent toutes les justifications « de l’esclavage, la science raciale, le colonialisme, le nazisme et autres fascismes du XXe siècle. Les lettres classiques étaient une discipline autour de laquelle l’université occidentale moderne s’est développée, et Padilla pense qu’elle a semé le racisme dans l’ensemble de l’enseignement supérieur » (New York Times).
Le petit prince des humanités classiques est tombé bassement, stupidement, dans l’idéologie racialiste américaine. De quoi s’agit-il ? « En étudiant les dommages causés par les personnes qui revendiquent la tradition classique, affirme Padilla, on ne peut que conclure que les classiques ont contribué à l’invention de la “blancheur” et à sa domination continue. »
L’universitaire, parvenu au faîte de sa carrière académique, pris au piège d’un discours essentiellement révolutionnaire, veut réinventer la tabula rasa : s’il faut détruire la supposée supériorité de la civilisation « blanche » occidentale, alors, dit-il, supprimons le grec et le latin.
À lire cette histoire, on se demande s’il n’a pas, lui aussi, été pris d’une crise de délire qui aurait aboli son jugement. Plus sérieusement, encore une preuve par l’exemple que wokisme, racialisme et décolonialisme sont des idéologies qui rendent fous.
On déplorera le fait que renier ainsi tous ces trésors classiques qui ont fait de lui un homme accompli n’est pas très glorieux. Ou que, rendu ivre d’orgueil par son incroyable parcours, Padilla, comme les héros grecs, est tombé dans l’hybris.
Mais on pourra surtout, avec Sylvain Tesson, rappeler que la figure fondatrice d’Ulysse, « c’est toi, lecteur, c’est moi, c’est nous : notre frère. On avance dans l’Odyssée comme devant le miroir de sa propre âme. Là réside le génie : avoir tracé en quelques chants le contour de l’homme. […] Homère est le musicien. Nous vivons dans l’écho de sa symphonie. »