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Génocide arménien : de plus en plus, les professeurs doivent faire face au négationnisme, par Laure Marchand.

Des professeurs témoignent d'une contestation croissante du génocide arménien. Photo d'illustration. (AFP)

Encouragées par des associations franco-turques, les contestations des élèves et de leurs parents du génocide arménien sont de plus en plus fréquentes, pendant les cours et en dehors. Des enseignants témoignent de leurs difficultés et de leur malaise.

3.jpg« C’est une blague en salle des profs en début d’année : ‘Tu tiens bien ta classe? Eh bien, dans quelques jours c’est fini' », raconte Alexandre Mimouni, en poste dans un collège strasbourgeois. Peu après la rentrée, la Première Guerre mondiale est traitée en cours d’histoire en classe de troisième. L’extermination planifiée des Arméniens, commise par l’Empire ottoman en 1915, fait partie du programme et est fréquemment niée par des élèves d’origine turque et leurs parents. Plus d’un siècle après les faits, Ankara refuse toujours de reconnaître ce génocide. Cette remise en question en milieu scolaire s’inscrit dans un discours nationaliste turc qui inquiète les professeurs.

« Une montée en puissance de la négation »

Enseignant d’histoire-géo depuis vingt-trois ans, Alexandre Mimouni est habitué au déni de certains élèves et prépare avec soin le sujet afin de désamorcer les réactions possibles. Ce qui n’a pas empêché, un jour, un père de téléphoner à la cheffe d’établissement pour l’accuser « d’exciter tout le quartier depuis quinze jours avec ce soi-disant génocide » et la prévenir : « Sachez que ça suffit. » Depuis quelques années, il remarque « une montée en puissance de la négation, beaucoup plus virulente ». Le phénomène est difficile à quantifier. « Il s’agit d’une question considérée comme sensible, dépendante de l’état des relations entre la France et la Turquie », précise Jérôme Grondeux, doyen des inspecteurs généraux d’histoire-géographie. « On est passé de presque aucun signalement il y a une dizaine d’années à quelques demandes d’intervention chaque année, expose Christophe Marchand, responsable de l’équipe académique valeurs de la République (EAVR) en Alsace. Les professeurs qui font part de difficultés de façon informelle et disent redouter cette partie du programme sont plus nombreux qu’avant. »

Un négationnisme encouragé par des institutions franco-turques

Au Mémorial de la Shoah, Alban Perrin, responsable des formations des professeurs sur l’histoire des génocides, constate « des difficultés sur l’ensemble du territoire : quand on leur demande s’ils ont déjà fait face à des contestations d’un génocide, c’est celui des Arméniens qui vient en premier, alors que celui direct de la Shoah est rarissime ». Les contestations surviennent le plus souvent lorsque le génocide est abordé dans les programmes, en troisième et en première. Ou le 24 avril, journée nationale de commémoration du génocide arménien depuis deux ans.

Le négationnisme va d’une simple remarque – « c’est pas vrai » ou « les Arméniens l’ont bien cherché » – à des refus revendiqués, comme des mots dans les carnets de correspondance de parents qui ne veulent pas que leur enfant assiste au cours ou fasse un devoir… Un des élèves de Nathalie*, prof en collège, lui a apporté « une liasse de documents démontant point par point les sources utilisées dans les manuels ». « J’ai compris, dit Nathalie, que les élèves étaient préparés en amont. »

De fait, ces initiatives sont encouragées par des institutions et associations franco-turques. Cojep International, relais de Recep Tayyip Erdogan auprès de la diaspora et des institutions européennes, a ainsi édité un livret afin d' »aider [les] jeunes d’origine turque à exprimer leurs idées sur le sujet des événements de 1915, lorsqu’ils rencontrent des problèmes au cours d’une déclaration ou d’un cours d’histoire à l’école ». Le site du ministère des Affaires étrangères de Turquie présente un dossier « historique » reprenant les arguments négationnistes.

Souvent de pair avec un nationalisme exacerbé

Chez les élèves, le refus de la réalité va fréquemment de pair avec un nationalisme exacerbé. Frédéric, professeur dans un lycée sans histoires des Yvelines, a vu surgir le négationnisme pendant un cours sur l’Etat de droit en enseignement moral et civique dans une classe de seconde. Il s’accompagnait de la négation de l’existence des Kurdes et d’une promotion violente du régime de Recep Tayyip Erdogan. « Ce qui m’a le plus interpellé a été de voir à quel point le catéchisme nationaliste turc était intégré par ces élèves, confie-t-il. En tirant sur le fil, les éléments de propagande venaient les uns après les autres. Un délire identitaire et paranoïaque. Cette question du génocide arménien est parfaitement intégrée dans la défense du pouvoir actuel turc. »

La situation s’est envenimée avec un des élèves. La mère s’en est mêlée avec un message sur le logiciel de vie scolaire Pronote : « Comment pouvez-vous enseigner des choses pareilles à nos enfants? » La proviseure les a convoqués. « En allant au rendez-vous, j’ai eu peur, je ne savais pas sur qui j’allais tomber. Et si cette femme venait avec une fiole d’acide? Est-ce que ce jeune homme allait traduire en acte ses idées? » L’entretien s’est finalement déroulé sans encombre.

Lorsqu’ils ne parviennent pas à ébranler cette idéologie, des professeurs ressentent un malaise. « La dernière fois que ça m’est arrivé, c’était après l’assassinat de Samuel Paty, raconte Stéphanie, qui enseigne dans un collège de Mulhouse. Mon père m’a dit : ‘Fais gaffe quand même à ce que tu dis, je n’ai pas envie de venir te récupérer en deux morceaux.' »

* Les professeurs cités avec un prénom ont été anonymisés.

Source : https://www.lejdd.fr/

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