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«Nouvelle carte d’identité bilingue français-anglais: un symbole très fâcheux», par Hélène Carrère d'Encausse et Frédéric Vitoux.

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Hélène Carrère d'Encausse et Frédéric Vitoux. Clairefond / Le Figaro

La nouvelle carte nationale d’identité surprend: son titre et ses rubriques sont tous traduits en anglais, et, de surcroît, en anglais exclusivement. Ce n’est pas acceptable, expliquent Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française et l’académicien Frédéric Vitoux.

La nouvelle carte nationale d’identité surprend: son titre et ses rubriques sont tous traduits en anglais, et, de surcroît, en anglais exclusivement. Ce n’est pas acceptable, expliquent le secrétaire perpétuel de l’Académie française et l’académicien*.

Dès l’été prochain, les citoyens français, comme ceux des États membres de l’Union européenne, doivent être dotés d’une nouvelle carte d’identité conformément aux exigences d’une directive bruxelloise de 2019. L’idée est certainement judicieuse, propre à garantir une meilleure sécurité du document et à faciliter les contrôles et la circulation. Mais la mise en œuvre de cette idée en France a fort étrangement tourné au ridicule, voire au scandale. Le projet qui nous est proposé est une carte bilingue rédigée en français et en anglais.

Certes la directive stipule que cette nouvelle carte d’identité doit être traduite dans au moins une langue de l’Union. Mais dans leur zèle à l’appliquer les auteurs de ce projet ont ignoré un certain nombre de réalités, et tout d’abord ce que demandait précisément la directive. Elle stipule que ce qui doit être obligatoirement traduit est le titre du document – carte d’identité – le reste étant laissé à l’initiative de chaque pays membre.

Plus encore, si la directive précise que la traduction doit être faite dans une ou plusieurs langues de l’Union, elle n’évoque pas de recours obligatoire à la langue anglaise. Le projet français ignore ces limites et, plus encore, il ne tient pas compte du Brexit qui a éloigné l’Angleterre de l’Union et par là même affaibli en son sein la position de la langue anglaise.

Nos zélateurs de l’anglais ont par ailleurs oublié que l’article 2 de la Constitution dit que «la langue de la République est le français». En traduisant la totalité du document en anglais – titre et rubrique – les auteurs du projet ont mis à parité les deux langues, français et anglais, et relativisé le statut de la langue de la République, ce qui n’est guère conforme à l’esprit de la Constitution.

De surcroît, et c’est peut-être le plus grave, les auteurs de ce projet ont oublié que la langue française est le marqueur premier de l’identité française, et ce qui unit la collectivité des Français. «Ma patrie, c’est la langue française». Cette phrase de Camus résume mieux que tout discours la fonction spirituelle et politique de la langue française. Ce lien entre langue et identité fut d’ailleurs à l’origine de la création en 1635 de l’Académie française, il explique qu’elle ouvre désormais ses portes à des écrivains venus de tous horizons, de toutes nationalités, mais qui ont fait le choix de la langue française pour s’exprimer et donc pour se définir. La carte d’identité, qui comme son intitulé l’indique est le témoin légal de notre identité, doit rendre compte du rapport privilégié de chacun d’entre nous à la langue française et ne peut donc relativiser ou minorer sa place.

Enfin, en faisant le choix de l’anglais comme seule langue de traduction, les auteurs du projet ont oublié la volonté des pouvoirs publics – soutenus par l’opinion – de préserver la langue française de l’invasion de termes étrangers, qui sont particulièrement des mots anglais, dès lors qu’ils ne lui sont pas utiles.

En choisissant l’anglais – et lui seul – pour traduire la carte d’identité, les auteurs du projet témoignent d’une curieuse indifférence aux autres langues européennes, alors que d’autres pays – tels l’Allemagne ou l’Autriche – ont fait place à la langue française dans ce document.

Et quel signal déplorable pour la francophonie qu’un document d’identité français ne reconnaissant comme langue étrangère que l’anglais! Cette soumission – Michel Houellebecq a parfaitement expliqué ce dévoiement – à une excessive et inutile anglomanie est propre à affaiblir l’attraction de la langue française partout où elle rayonne.

Il est urgent de corriger ces errements et la directive de l’Union nous en ouvre d’ailleurs le chemin, il suffit de l’appliquer à la lettre. Ainsi la carte d’identité devrait-elle avoir un titre traduit en deux, voire trois langues, plutôt qu’une seule. Pourquoi pas l’anglais, l’allemand et éventuellement l’italien ou l’espagnol? Ainsi ce document aurait un caractère européen et non plus franco- « brexitois ».

Et naturellement la traduction serait limitée au titre, les différentes rubriques qui décrivent les composantes de l’identité du titulaire restant rédigées dans la seule langue française. Nous aurons ainsi, comme tous les citoyens des autres pays de l’Union européenne un document qui atteste notre statut européen, notre respect des règles de l’Union, notre identité que notre langue porte, et notre ouverture aux autres langues et cultures de l’Europe.

Vite, que l’on nous présente un autre projet et que cette invention fâcheuse disparaisse dans les oubliettes de l’histoire !

 

est le Président de la commission d’enrichissement de la langue française.

Hélène Carrère d'Encausse est la secrétaire perpétuel de l’Académie française

Source : https://www.lefigaro.fr/vox/

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