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Loi séparatisme : la Turquie prépare sa riposte, par Constantin Pikramenos.

Le maître d'Ankara, qui se rêve en parangon de l'islam mondial, a tracé les grandes lignes de son projet de conquête des cœurs et des esprits des Français musulmans. Photo © Adem ALTAN / AFP

Alors que Erdogan réislamise son pays, ses stratèges réfléchissent au destin des musulmans de France et aux moyens concrets de les soutenir. Spécialiste de la Turquie et expert en intelligence économique, Constantin Pikramenos, co-auteur du livre-enquête MIT – Le service secret turc (VA Editions), traduit en exclusivité pour Valeurs actuelles une note d’un think-tank proche du gouvernement turc. 

La Turquie néo-ottomane prépare l’adoption d’une nouvelle Constitution (après 2023) ou l’Islam sunnite retrouvera sa place en tant que religion d’État. Un siècle après l’enterrement du Califat par Mustafa Kemal (dit Atatürk), le président Tayyip Erdogan prendra sa revanche contre… l’alcoolique. C’est le mot que les islamistes turcs “pur et dur” utilisent pour qualifier le fondateur de la République turque qui était plus que “fan” du raki (le pastis turc).

L’idéologie officielle de la nouvelle Turquie (après 2023) mélangera l’Islam, l’héritage ottoman et le capitalisme à la turque. Les trois ingrédients du soft power turc. La Turquie d’Erdogan et post Erdogan jouera sur la scène mondiale avec ses propres règles. Elle n’utilisera le droit international que lorsqu’il servira ses intérêts. Sinon, c’est l’esprit de Barberousse, celui de la piraterie et de l’équilibre des forces qui domineront ses relations avec le monde. La Grèce qui se trouve « en alerte maximale » depuis deux ans connaît bien la mentalité turque. Quatre siècles sous domination ottomane quand même… Mais elle ne pourra pas se défendre longtemps tant que les autres Européens (l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie notamment) continueront de faire affaire avec Ankara.

Concernant la loi sur le séparatisme, on peut dire qu’elle ne changera pas grand-chose au statu quo en France qui est le produit des positions politiquement correctes et du clientélisme au niveau local. Il ne s’agit que de demi-mesures et il faudra sans doute dans quelques années une nouvelle loi pour la corriger.

L’establishment politique français doit comprendre que la Turquie néo-ottomane est partie en guerre contre la France pour plusieurs raisons. Ce sera une guerre hybride avec des « mesures actives », soit des mesures de guerre psychologique et cybernétique.

J’ai traduit en exclusivité pour Valeurs actuelles le « Paper Policy » préparé par un centre de recherche très proche du gouvernement turc, le SETAV, basé à Ankara. Il explique clairement la ligne principale à suivre contre la France. Il s’agit d’une stratégie de tension qui durera pendant des années pour ne pas dire pour les décennies à venir.

Je voudrais clarifier ici qu’il ne s’agit pas d’une quelconque ingérence turque sur les prochaines élections présidentielles en France. Macron le sait, mais veut profiter de cette polarisation pour se placer en héros contre Erdogan et en tirer un gain électoral. La pensée turque dépasse largement ce cadre ponctuel.

Le Policy Paper turc commence ainsi :

« La loi sur le séparatisme ne doit pas être vue comme une nouvelle déclaration des conditions dans lesquelles l’élite de l’État français peut vivre avec les musulmans, dont le nombre est estimé entre 4 et 10 millions dans le pays. En d’autres termes, les musulmans, qui sont les représentants d’une sorte de deux mondes d’entente différents, et les Français jacobins, qui sont les représentants de l’entendement laïc, “négocient” pour les conditions minimales de vie commune. Le problème est qu’en utilisant la laïcité, l’État français intervient dans la vie des adeptes de la religion de l’islam, bien qu’en règle générale, il doit s’en abstenir.

Le processus de “négociation” entre forces inégales revient sur le devant de la scène pour des raisons telles que la perte progressive de pouvoir de la France dans la politique mondiale et le fait que l’identité musulmane est une “alternative” par les musulmans eux-mêmes, et cette situation se poursuivra à l’avenir.

Les phrases suivantes attribuées à Charles De Gaulle et censées être dites à la fin des années 1950 résument brièvement les intentions de l’État français et de ses élites : “Pensez-vous que les Français peuvent intégrer 10 millions de musulmans, 20 millions demain, 40 millions le lendemain ? Si nous décrivons tous les Arabes et Berbères d’Algérie comme Français, comment les empêcheriez-vous de venir sur le continent (France) où leurs conditions de vie sont bien meilleures ? Mon village s’appellera alors Colombey – Les deux mosquées, pas Colombey – Les deux églises. ”

On voit qu’une partie importante des musulmans de France a réalisé que de mettre leur identité musulmane avant leur identité française constitue le cœur de la question. Dans ce contexte, même si elles ne seront pas toujours en mesure de présenter les possibilités et les stratégies qui peuvent ouvertement résister à la politique oppressive de l’État français, il ne fait aucun doute qu’ils garderont leur compréhension de croyance et d’opinion en vie et essayeront de préparer le terrain pour la maturation des conditions.

Ce qu’ils doivent faire en premier lieu est d’insister sur l’expression de l’islamophobie, avec les soi-disant “experts islamiques” qui peuvent être considérés comme des “porte-parole pour les affaires islamiques” dans presque tous les pays occidentaux. La mise en place des “Instituts contre l’islamophobie”, qui peut être menée conjointement dans presque tous les pays, qu’ils soient musulmans ou non, contribuera à la professionnalisation de cet effort et sa transformation en un “langage” que les Occidentaux peuvent comprendre.

On voit qu’une part importante des musulmans de France s’est rendu compte que le cœur du problème tient au fait de faire passer leur identité musulmane avant leur identité française. Il sera particulièrement utile pour les musulmans français qui ne sont pas issus de l’immigration de se manifester et de critiquer l’anti-islamisme dans leur pays dans une perspective plus large. À cet égard, ils devraient chercher des moyens d’utiliser le soutien juridique direct ou indirect qu’ils recevront de la part de pays dont la population est musulmane pour continuer la lutte.

Comme on le sait, être en contact avec des musulmans dans d’autres parties du monde est la première étape vers ces soutiens. Ce qui ne va pas avec l’islam et les musulmans en France, ce n’est ni Erdogan ni la République de Turquie qui l’ont commencé. Ce problème a commencé avec l’invasion de l’Égypte par Napoléon Bonaparte. »

Source : https://www.valeursactuelles.com/

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