Sécurité sociale, chronique d’une mort annoncée, par Olivier Pichon.
Illustration : Les bâtiments s’élèvent, le trou se creuse.
Les déficits sont aussi abyssaux que les prélèvements… La fraude est massive, le gaspillage est institutionnalisé, et les emprunts achèvent de ruiner le système.
Notre système-social-que-tout-le-monde-nous-envie mais que personne au monde n’imite pourrait bien vivre ses dernières années. L’agonie sera longue et cela ne devrait pas arranger les affaires d’une république et d’un régime moribonds.
On n’en parlait pas parce qu’il s’agit d’une vache sacrée de la république, mais le naufrage est en cours. Notre système social ne ressemble plus guère à celui qui naquit à la libération sous l’impulsion du CNR, contestable sans doute dès l’origine mais aujourd’hui totalement défiguré par la cinquième République finissante.
L’heure des comptes
En effet, les comptes de la sécurité sociale ont atteint des profondeurs abyssales : une dette cumulée de 136 milliards d’euros. La Cour des Comptes vient de lancer une alerte, car c’est tout le modèle social contributif français qui se retrouve mis en cause ; le double confinement est en train de l’achever avec le naufrage de la masse salariale (- 27 Mds € de cotisations en moins). Il faut donc recourir massivement à l’emprunt sur les marchés. Cette décision fut prise par Alain Juppé premier ministre, en 1996, et voilà pourquoi les cotisations peuvent se retrouver à Wall Street ! Le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, pourtant du sérail, s’alarme : « À un moment la dette se vengera… ».
Quand l’assurance sociale fait la manche
Deux organismes sont à la manœuvre, l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) et la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), et font la manche sur les marchés financiers. Pour l’Acoss qui gère la trésorerie de l’assurance sociale, soit le court terme, le versement des prestations, le plafond est poussé à 70 milliards d’emprunt, du jamais vu, même en 2008 ! Pour la Cades, c’est la dette sociale accumulée et, dans cette affaire, les banques intermédiaires encaissent des commissions sur ces placements. Cela traduit l’échec cuisant du choix fait par Juppé en 1996 de financer la dette sociale sur les marchés financiers. Il faut y ajouter que l’hôpital public représente un budget financé par la CPAM, certes, mais avec un complément de l’État, c’est-à-dire le budget général.
Chère Sécurité Sociale
Les cotisants que sont les salariés français, les artisans, les agriculteurs, les indépendants, les chefs d’entreprise, savent pourtant la lourdeur des prélèvement sociaux (record mondial) : la contribution sociale généralisée (CSG), la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), la contribution additionnelle pour l’autonomie, le prélèvement de solidarité, tout cela pris sur les revenus d’activité et les revenus du patrimoine.
Sous l’effet de la crise sanitaire, le déficit cumulé du régime général de la sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse devrait atteindre 44 Mds € en 2020 (contre 1,9 Md € en 2019). Dans un pays qui consacre presque un tiers de sa richesse (32 %) à la dépense sociale et 63 % du PIB pour la dépense totale d’État, les citoyens sont légitimement fondés à s’interroger : pourquoi des emprunts supplémentaires (+ 136 Mds €) ? Où passent toutes ces richesses prélevées ? Pourrait-on conserver la même qualité de service à moindre coût ?
Fraude, gabegie, bureaucratie
Une première réponse est donnée par l’ancien magistrat Charles Prats : se fondant sur des documents officiels à partir desquels il a fait de l’estimation de la fraude sociale un cheval de bataille, il calcule une perte potentielle de l’ordre de 30 milliards d’euros, bien loin des estimations de la Sécurité sociale, qui chiffre la fraude à quelques centaines de millions d’euros au maximum.
Néanmoins pour en arriver à de telles extrémités budgétaires et financières, il est clair qu’à la fraude il faut ajouter une gabegie bureaucratique, une inertie considérable, des pertes en lignes inexplicables, bref des défauts structurels inhérents à un système socialiste, assez largement manifestés par la gestion de la crise de la Covid : elle a révélé à la fois la domination et l’impéritie de la bureaucratie médicale.
Efficacité de la collecte, inefficacité de l’utilisation
Comment de telles sommes parviennent-elles à être collectées et qui en rend compte ? Les documents de l’Acoss sont accablants et montrent comment les agences de notation (Fitch, Standard & Poor’s, Moody’s) cautionnent les emprunts de dette français auprès des banques américaines en toute sérénité. II n’y a pas d’autre explication à ces excellentes notes que le monopole de la violence d’État et la capacité qu’a l’État français à collecter les impôts et les charges sociales avec une efficacité qui fait la signature de la France sur ces marchés. Mais de son côté, l’assujetti social qui voit ses cotisations sociales sur les marchés financiers, comme « investisseur » (en réalité, il ne le sait pas), aurait droit au compte-rendu de l’utilisation de son argent. Ce qui n’est jamais fait ! En attendant, il risque, comme malade, de voir les déremboursements croître et, comme retraité, sa pension fondre comme neige au soleil. Or les placements financiers ne sont pas sans risque. Les régimes complémentaires AGIRC et ARCCO, qui avaient placé 65 milliards de réserves en actions et obligations, n’étaient plus en mesure d’assurer le paiement des retraites de juin et juillet 2020 en raison de la chute des marchés : ils ont dû emprunter pour les payer. Dans cette affaire, on voit bien que nous cumulons les inconvénients des deux systèmes, la gestion publique et les marchés.
Une soutenabilité… insoutenable
Le président de la Cour des comptes a aussi souligné devant la commission des finances que l’évolution de la dette menaçait la « soutenabilité » même de la protection sociale : « La sécurité sociale ne pourra durablement être financée par l’emprunt […] sauf à pénaliser définitivement les générations futures […] nous avons rendez-vous avec la dette. »
Quel pouvoir politique aura le courage de résoudre un problème aussi colossal alors que naissent chaque jour des droits « champignons » votés par une chambre des députés vide, ces droits au bénéfice de minorités qui représentent des privations de libertés pour tous ? Chaque fois qu’un droit est accordé, il s’accompagne d’une contrainte économique qui donne lieu à de nouvelles charges (l’Aide Médicale de l’État vient de dépasser le milliard) de telle sorte que les citoyens paieront toujours plus pour moins de prestations. C’est le problème de la paix sociale qui pointe à l’horizon. Combiné aux autres mécontentements, cela pourrait ne pas être une révolte mais une révolution…
Source : https://www.politiquemagazine.fr/