Référendum sur le climat : l’écologie à coups de symboles, par Natacha Polony.
Le président de la République a annoncé un référendum pour intégrer le souci environnemental à la Constitution. "Dans le même temps, Emmanuel Macron a bien fait comprendre que le Ceta, le traité de libre-échange avec le Canada, qui organise le massacre de l’agriculture paysanne au profit du modèle industriel nord-américain, serait mis en œuvre", rappelle Natacha Polony, directrice de la rédaction de "Marianne".
C’était au printemps dernier, quand l’état de sidération de chacun rendait possible l’impensable. Un monde arrêté, figé, redécouvrant les bruits délicats de la nature, le vrombissement des insectes et le chant des oiseaux. Brutalement, des citadins prenaient conscience du besoin irrépressible de lumière et de verdure. Ceux qui possédaient un bout de jardin voyaient enfin ce que jamais ils ne regardent : les bourgeons qui pointent, le vert tendre des jeunes feuilles, qui s’intensifie progressivement. Toutes les utopies pouvaient alors se déployer : nous bâtirions un nouveau monde, dans lequel chacun prendrait conscience des chaînes de production et de sa responsabilité en tant que consommateur. Un monde dans lequel les métiers essentiels au fonctionnement quotidien de la société seraient davantage reconnus et rémunérés que le brassage de vide et le remplissage de tableaux Excel. C’était au printemps dernier ; il y a une éternité. L’année 2020 s’achève et tout est rentré dans l’ordre. La virtualisation de nos existences a progressé à grands pas, les représentants d’un art de vivre fait de partage et de proximité sont à l’agonie, et le président de la République annonce un référendum pour intégrer le souci environnemental à la Constitution. Un référendum que doivent valider l’Assemblée nationale et le Sénat. Pour inscrire dans l’article premier de la Constitution des principes qui sont présents depuis 2004 dans la Charte de l’environnement, intégrée au bloc de constitutionnalité. La promesse, donc, de débats politiques oiseux sur la question de savoir si ce référendum vaut soutien au futur candidat à l’élection présidentielle, pour que soit mieux passé sous silence le bilan du président sortant.
Dans le même temps, Emmanuel Macron a bien fait comprendre que le Ceta, le traité de libre-échange avec le Canada, qui organise le massacre de l’agriculture paysanne au profit du modèle industriel nord-américain, serait mis en œuvre. « Sauf si l’évaluation montre qu’il n’est pas conforme à la trajectoire de Paris. » Quelle merveille, ces accords de Paris ! En réduisant l’écologie à la baisse des émissions de gaz à effet de serre, ils permettent de ne surtout pas remettre en cause le modèle de développement fondé sur l’exploitation forcenée des hommes, des espaces et des ressources.
la France est un des pays les moins émetteurs de carbone
Allons, ne soyons pas mauvais coucheurs : la France est un des pays les moins émetteurs de carbone. C’est parce qu’elle a délocalisé sa pollution en perdant ses usines ? Nous polluons en dehors de nos frontières, comme l’indique le déficit abyssal de notre balance commerciale ? Peu importe, continuons à nous bercer d’illusions. Continuons, surtout, à pratiquer cette forme de cynisme politique qui consiste à hiérarchiser les priorités pour mieux évacuer tout changement. Le procédé est chaque fois le même : « les sondages placent le souci de l’environnement en troisième, en quatrième, en huitième position des préoccupations des Français ». Jugez-vous plus grave d’être au chômage dans un pays désindustrialisé et privé de son agriculture parce que des multinationales préfèrent importer à bas coût depuis des pays sans réglementation sociale et environnementale ou de voir s’installer la sécheresse et disparaître les oiseaux ? Question absurde.
Il n’est d’écologie que patriote, en ce sens qu’elle doit consister à préserver un territoire dans son identité, c’est-à-dire ce que font de lui la géologie, l’air, la lumière…
Notre époque, qui a su si brillamment remplacer la poésie par les classifications administratives, s’efforce de réduire notre souci de préserver un monde vivable à une démarche comptable. Combien de particules fines en moins ? Combien d’énergie économisée par tel investissement ? Pour quel rendement ? L’écologie sera au cœur de la prochaine campagne présidentielle, parce que les politiques ont renoncé à tout le reste. L’idéal de progrès, la perspective de changer la vie. Ils se sont couchés sur tout. Couchés devant le rouleau compresseur du capitalisme consumériste et de la finance devenue industrie à part entière. Ils n’ont plus d’autre récit. Mais ils réduiront l’écologie à un spectacle, puisqu’ils n’ont aucune intention de l’intégrer à une vision globale de la vie humaine et de l’organisation des sociétés. Aucune intention d’en faire autre chose qu’un dogme de plus.
Tristes tropiques
Paradoxalement, alors même que les problèmes environnementaux sont planétaires, il n’est d’écologie que patriote, en ce sens qu’elle doit consister à préserver un territoire dans son identité, c’est-à-dire ce que font de lui la géologie, l’air, la lumière… Tel est le véritable droit du sol : le fait, pour les hommes, de comprendre le territoire où ils résident et de lui permettre de donner tout ce qu’il peut plutôt que de l’exploiter en le standardisant. Et c’est en produisant au plus près des lieux de consommation, en recréant des bassins de travail, d’échange, de vie, partout, sur chaque territoire, qu’on limite le massacre de la nature et des hommes. Il faut relire les dernières pages, si mélancoliques, de Tristes tropiques pour percevoir ce qui est en jeu. Un combat pour que l’être humain n’éradique pas tout ce qui le rattache à sa condition d’être incarné, au motif qu’il pourrait pallier par la technique la disparition du monde. Quand bien même nous saurions nous passer des abeilles pour polliniser, quand bien même nous réussirions à convertir l’eau salée en eau douce, quand bien même… La destruction de la beauté du monde nous laissera moins humains, proies faciles pour la mise en tableaux Excel, dans lesquels les plus petits nombres ont vocation à disparaître.
Source : https://www.marianne.net/