Retrouver la plénitude d’être Français, par Pierre Le Vigan.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice LR du Val-d’Oise, déclarait récemment (CNews, 30 octobre), en critiquant le communautarisme musulman quand il met la religion au-dessus de l’appartenance à notre nation, que certains Français sont juifs, d’autres catholiques, d’autres protestants, et que d’autres Français « ne sont rien ».
Il est bien évident que cette formule doit être remise dans le contexte d’une discussion spontanée dans laquelle on ne trouve pas tout de suite le mot le plus juste. Mais c’est l’occasion d’aborder une question très importante.
« Ne sont rien » veut dire qu’ils ne se réfèrent à aucune religion. Leur seule identité est d’être Français. Et c’est là tout le problème : être uniquement Français, quand on était athée comme Alain ou agnostique comme Maurras, était une situation tout à fait tenable, il y a 70 ans. Cela ne voulait pas dire que l’on sonnait creux. Les athées avaient une morale, et une vision du monde et de l’homme, souvent aussi exigeante que les morales religieuses, et ils étaient Français par toutes leurs fibres. Et être agnostique n’empêchait pas de comprendre et d’aimer Jeanne d’Arc.
Les temps ont changé. « Être Français » ne veut plus dire grand-chose. Une France définie uniquement par les « valeurs de la République » – mot creux – et par la laïcité – ce qui est à peu près la même chose – ne donne pas des raisons de vivre, et encore moins des raisons de mourir pour la France. Être Français, qui était quelque chose de sacré jusque dans les années 1960, ne veut plus rien dire de noble. C’est un simple papier administratif. Qu’est-ce que « être Français aujourd’hui » ? Pour beaucoup d’entre nous, y compris « de souche », c’est un mot vide de sens. Être Français est devenu un simple rattachement administratif. Être catholique est un plein, être musulman est un plein, être Français est un vide. Pourquoi ? Parce que nous avons laissé s’installer ce vide. Parce que nos élites ont laissé s’installer la détestation de soi, qui est toujours plus facile que l’exigence critique vis-à-vis de soi.
Dans cette situation où la France ne propose plus aucun « exercice d’admiration », soit on accepte ce vide, et on vit dans le non-espoir et la lecture des catalogues des supermarchés, soit on le remplit par autre chose, d’où des conversions de Français de souche à l’islam, qui sont bien entendu une impasse, comme l’a montré l’expérience des « pieds-rouges » en Algérie. L’urgence est donc de redonner de la plénitude à « être Français », d’étendre le champ de la francisation aux âmes, à la perception, à l’esthétique. De faire en sorte qu’« être Français » soit plus qu’une identité, ce qui suppose quelque chose de statique, mais soit une identification, ce qui implique une dynamique, une impulsion, un mouvement, une projection. La France est un projet toujours matinal, ou elle n’est pas. Être Français doit redevenir une plénitude, une émotion, cela doit être ce qui ouvre un horizon.