Attentat de Romans-sur-Isère: le bâtonnier du barreau de la Drôme démissionne, par Céline Pina.
Source : https://www.causeur.fr/
Thierry Chauvin poussé à partir après une polémique.
Rendre public des échanges privés pour exalter la fraternité avec un terroriste, voilà les drôles de principes de certains avocats qui se sont opposés à lui !
« Cet homme-là, Abdallah Ahmed Osman est l’un des nôtres. Il nous ressemble. Nous sommes faits de la même chair, des mêmes os et le même sang que le vôtre coule dans ses veines. C’est notre frère ». Voilà ce qu’ont écrit neuf avocats dans Dalloz actualité, une revue juridique. L’homme dont il est ici question, ce “frère” donc, n’est autre que le réfugié soudanais qui a tué deux personnes et blessé 5 autres à Romans-sur-Isère, alors que nous étions en plein confinement.
Celui-ci ne supportait pas de vivre dans un pays de kouffars, il est donc passé à l’acte suivant le mode opératoire recommandé par l’État islamique. Un mode opératoire que nous commençons tous a bien connaître : le meurtre au couteau. Pandémie oblige, la presse en a peu parlé.
Tout ce que vous écrivez sur Facebook pourra être retenu contre vous
Alors pourquoi une telle déclaration d’amour, une telle identification à un profil aussi violent qu’haineux et perturbé ?
« J’ai certainement employé des mots durs à son égard, mais le terroriste présumé ne sera jamais mon frère, jamais! » Thierry Chauvin, le magistrat démissionnaire
Parce qu’il semble que tout soit bon parfois quand il s’agit de régler des comptes d’où les questions de pouvoir ne sont pas absentes, et que l’on choisit pour cela de s’appuyer sur l’émotion plutôt que sur la raison. En ligne de mire de la tribune: le bâtonnier du barreau de la Drôme, Thierry Chauvin. L’affaire a commencé suite à une polémique autour de propos échangés dans un cadre privé (un groupe Facebook fermé) par les avocats du barreau local.
Un avocat avait écrit, suite au drame de Romans « A tous les connards qui veulent défendre les sous-merdes du type de celui qui a tué deux personnes à Romans », le tout suivi d’un émoji « doigt d’honneur ». Le bâtonnier a commenté en écrivant : « Il peut crever où il veut, rien à … et, moi aussi je pèse mes mots », laissant entendre qu’il ne ferait pas d’effort pour désigner un avocat commis d’office.
Si l’on peut être surpris par le langage employé, il n’en reste pas moins que rien ne se déroule dans un cadre officiel, mais dans un espace censé être confidentiel, lequel entraîne souvent le relâchement des échanges. Instrumentaliser ainsi cette parole n’est donc pas faire acte de justice, mais se poser en censeur.
Si on rendait public des échanges entre ministres, collaborateurs de ministres, hauts fonctionnaires dans des cercles non officiels, on pourrait aussi être fort étonné. Or on n’est comptable que des actes que l’on pose. Il y a donc une vraie différence entre la parole publique et la parole privée : elles ne sont pas du même ordre. Imaginez que vous traitiez votre compagne ou compagnon de tous les noms, suite à une dispute, et que vous vous confiez à un groupe d’amis ; celui-ci vous laisserait probablement pérorer et pester, puis attendrait que vous ayez retrouvé vos esprits avant d’ouvrir une cagnotte Leetchi pour financer votre divorce, s’ils font preuve de discernement. De la même façon, un bâtonnier qui refuserait de nommer un avocat commis d’office dans le cadre de ses fonctions est sanctionnable. Mais un homme qui se lâche sur le coup de l’émotion dans un groupe privé n’a pas posé d’acte. Un bâtonnier peut donc faire son devoir -en l’occurrence veiller à ce que les droits de la défense soient honorés-, et pour autant n’en penser pas moins. Cette liberté-là est réelle et n’est un problème que si elle amène à faillir à sa fonction. D’ailleurs, observons que le fameux Abdallah Ahmed Osman a bel et bien un avocat, commis d’office par le barreau de Paris. Ses droits ont donc été respectés.
Indécents avocats
En revanche, les avocats signataires de la tribune, qui se positionnent comme juges d’instruction et procureurs de leurs pairs, ont eux franchi délibérément une barrière morale essentielle : celle qui distingue la parole publique de la parole privée.
Le deuxième problème est qu’ils se comportent comme des prédicateurs, imposant l’amour et la fraternité, ce qui n’a rien à voir avec la déontologie : le droit à une défense n’est pas une obligation affective, mais une exigence de justice. La « fraternité » n’a rien à voir là-dedans et tout le monde a parfaitement le droit de refuser de se sentir « frère » d’un homme qui tue ceux qui ne se prosternent pas devant le même dieu que lui. Car celui qui est cause de toute cette petite agitation à peine croyable à Valence n’est pas un innocent. L’homme qui suscite tant d’ardeur est un tueur dont l’idéologie et les crimes islamistes sont bien réels. Or, si toute personne a droit à une défense, même lorsque ses actes suscitent horreur et rejet, et ce de Klaus Barbie à Robert Brasillach en passant par Michel Fourniret, nous assigner pour autant à la fraternité avec ce type de personnage du haut de son statut d’avocat est aussi ridicule qu’indécent.
La tonalité du texte polémique, entre exaltation adolescente et ivresse de soi, est avant tout un formidable exercice d’autopromotion. Comme Marguerite dans Faust, qui rit de se voir si belle dans son miroir, cette tribune a pour but d’amener à ce que l’on s’extasie devant la hauteur de vue de ces professionnels qui porteraient si haut l’exigence de leur métier. Une hauteur de vue telle qu’elle leur donnerait le droit de faire la morale à tous leurs confrères ? et de faire symboliquement la peau du bâtonnier du barreau de la Drôme ? Cela a formidablement bien marché. L’homme vient de donner sa démission. Il s’en explique dans la presse régionale: « Comment pourrais-je continuer à exercer ma fonction auprès de confrères qui, d’un côté, s’érigent en grands moralisateurs et, de l’autre, insultent la mémoire des victimes (…) ? Notre profession se discrédite. Je ne pouvais plus en être l’un de ses représentants ». Pendant ce temps, les avocats qui ont signé cette tribune d’anthologie se considèrent peut-être comme les dignes héritiers de Zola dans « J’accuse »…
Que ces avocats permettent donc à nombre d’entre nous de préférer à ce prêchi-prêcha pseudo-humanitaire, dont certains nous rebattent les oreilles depuis le massacre de Charlie, les mots forts écrits par Riss en août 2019 dans l’éditorial de Charlie Hebdo quand nous étions sommés de bien vouloir accueillir les jihadistes français aux mains couvertes de sang et aux intentions toujours aussi violentes : « A ceux qui aujourd’hui se sont engagés dans un combat mortel contre nos libertés, nous ne souhaitons qu’une chose : qu’on les juge sans pitié et qu’ils disparaissent de nos vies à jamais ».