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Sur le blog de Michel Onfray : le Président de la République, qu’est-ce qu’un chef? (2)*.

Venant de la banque, du libéralisme et de la haute fonction publique, personne n’a obligé Emmanuel Macron, huitième président de la V° République, à se réclamer du général de Gaulle, qui n’aimait ni la banque, ni le libéralisme, ni la haute fonction publique -qui le lui ont d’ailleurs bien rendu…

De la même manière, annoncer une présidence jupitérienne, avec une parole rare, ne relevait d’aucune autre obligation chez lui que de pure et simple communication électoraliste. Dans l’image officielle qu’il se fait et veut donner de lui, il choisit de poser négligemment son fessier sur le bord d’un bureau et de placer bien en vue trois volumes de la prestigieuse collection des éditions Gallimard: la Pléiade. On sait depuis que, dans ces trois volumes savamment choisis et mis en scène par son service communication, on trouve les Mémoires du général de Gaulle.

Pour l’exercice de cette photo officielle à laquelle il s’est plié sans plaisir, et à laquelle il a consenti par nécessité, le général de Gaulle est debout, comme un phare au beau milieu de la tempête. Il porte les insignes du chef de l’Etat: grand-croix de la Légion d’honneur et grand maître de l’Ordre de la libération. La photographie est prise dans la bibliothèque de l’Elysée: il pose la main sur deux livres qui ne sont rien d’autre que la constitution de 1958 et l’Histoire de la Légion d’honneur. Aucune concession narcissique dans ces choix: par sa fonction, de Gaulle garantit l’être, la fonction et la durée de la France en même temps que la narration de qui l’a faite grande, quand et comment.

Emmanuel Macron est quant à lui en costume de ville, mais il n’est pas capable d’être debout, son âge ne le lui permet probablement pas, il pose ses fesses sur le meuble dont il tient le rebord à pleine main sur le principe de la crispation. Il a également choisi, en même temps que les Mémoires du général de Gaulle, Le Rouge et le Noir de Stendhal et Les Nourritures terrestres de Gide. Rappelons que le volume de Pléiade du Gide en question contient également Le Traité du Narcisse, L’Immoraliste, Le Retour de l’enfant prodigue et Les Faux-Monnayeurs -ce sont autant de programmes existentiels au choix, mais dont tous sont égotistes et aucun n’est romain… On trouve également sur ce bureau Louis XV deux téléphones portables l’un sur l’autre; l’homme porte également deux bagues, une à chaque main -c’est l’homme du en même temps, autrement dit de la duplicité. Personne n’ignore qu’il aime les signes comme le franc-maçon d’une loge spéculative d’Amiens certain qu’avec ces bibelots il fasse montre de tant d’intelligence concentrée dans sa petite personne!

On peut comprendre que Macron revendique le narcissisme, l’égotisme, le talent d’un jeune garçon beyliste qui séduit la mère de famille dans la maison qui l’appointe; mais pourquoi le général de Gaulle dans ce fatras d’adolescent pas terminé? Car il n’y a qu’un volume de Gaulle dans la collection prestigieuse de Gallimard. Le président ne peut donc jouer de faux semblant, prétendre qu’il renvoie plutôt au Fil de l’épée ou à Vers l’armée de métier, qui ne figurent pas dans ce volume unique: ce sont ses Mémoires, donc ce que le général fit, fut et dit.

En fait, Stendhal et Gide, c’est déjà ce qu’il a eu le temps d’être dans sa courte vie: Julien Sorel couchant avec Madame de Rênal, dont le mari l’employait ; et Nathanaël à qui le poète enseigne la ferveur, à savoir l’amour charnel… Quant au général de Gaulle, c’est ce qu’il aurait bien aimé être -mais qu’il ne sera jamais, l’heure est en effet passée depuis bien longtemps pour ce vieux jeune homme qui disposait pourtant de pas mal des cartes nécessaires. Encore eût-il fallu pour cela qu’il sache que le monde existe en dehors de sa petite personne et que l’on nomme Histoire tout ce qui est après en avoir soustrait sa petite personne.

Quelle arrogance il faut pour que, n’ayant rien réalisé d’autre dans sa vie que de parvenir au pouvoir d’un Etat dévitalisé, comme Sarkozy ou Hollande, pas plus, cette personne compare son existence à celle d’un homme qui eut une théorie des blindés dans les premières années du XX° siècle (laquelle fit le succès des attaques de Guderian dans les Ardennes), fit la Première Guerre mondiale, y fut plusieurs fois blessé, puis prisonnier, prononça l’appel du 18 juin, mit sur pied la France libre, fit de telle sorte que la France fut respectée par les Alliés, empêcha les Etats-Unis de coloniser la France après le débarquement du 6 Juin 1944, créa la V° république et la constitution de 1958, rendit possible l’élection du président de la République au suffrage universel direct, décolonisa notamment l’Algérie en 1962, mit sur pied un projet militaire nucléaire, refusa la sujétion soviétique aussi bien qu’américaine, mena une politique nationale souverainiste, refusa le projet européiste qui visait la dilution de la nation française dans la perspective d’un Etat universel tout entier dévoué au Capital! Quelle arrogance en effet il faut à Macron pour prétendre jouer dans la même catégorie que le général!

Car cet homme n’a pour guerre que celle qu’il décide et déclare seul contre un virus! Cet individu joue à la guerre mais la guerre se joue de lui. Mépriser un chef d’Etat major, puis faire tout pour l’évincer, rassembler la fine fleur de l’armée française pour lui dire: "je suis votre chef", faire fuiter par un journaliste un propos tenu par un général de manière privée afin d’en faire un casus belli médiatique, remonter l’avenue des Champs-Elysées dans un engin militaire et la redescendre dans un véhicule civil, voilà qui montre une immaturité sidérante quand on dispose du feu nucléaire et qu’on est constitutionnellement le chef des Armées.

Emmanuel Macron, en tant que chef de l’Etat, porte donc plus que lui puisqu’il est investi, même si chacun a compris les mécanismes faussés de son élection, par l’onction du suffrage universel.

On a vu récemment qu’il a perdu les élections européennes mais qu’il a estimé que c’était à si peu, selon lui, que cet échec était un franc succès face au Rassemblement national qui, lui, les a gagnées. Or, un chef de l’Etat qui perd des élections, prétend les avoir gagnées, reste au pouvoir, ne modifie en rien la politique française (ni remaniement, ni dissolution, ni nouveau gouvernement) s’avère tout simplement putschiste! En 1969, quand de Gaulle perd le référendum que l’on sait, il s’en va, lui: car le général est démocrate et républicain.

Si Macron se voulait gaullien ou gaulliste, nul besoin d’afficher les Mémoires du général sur son bureau: il lui aurait suffi d’entendre ce que le peuple lui a dit, soit lors d’élections, soit dans les rues.

Or, les interminables semaines de plainte des gilets-jaunes ont été tenues par lui pour nulles et non avenues; même chose avec les revendications des personnels hospitaliers dont il se moque depuis plus d’un an; même remarque avec les retraités qui demandaient que l’argent ne fasse pas la loi partout dans leurs vies. Il n’y eut que mépris de la part de celui qui croit comme un enfant que le chef c’est celui qui méprise! Or, le chef c’est celui qui refuse de mépriser quand il en a le pouvoir.

 

C’est aussi celui qui sait que noblesse oblige, que le pouvoir ne donne pas des droits (celui de parader et de verbigérer sans cesse comme un enfant roi devant la famille réunie le dimanche élargie à la France entière…) mais qu’il confère des devoirs. Et parmi ces devoirs, celui de protéger son peuple.

Or, depuis le début de la pandémie, mais pas seulement, Emmanuel Macron expose son peuple: dès les premiers jours il a mésestimé et sous-estimé la gravité de la crise; il va chercher des Français expatriés sur les lieux même du foyer infectieux chinois; il répartit les expatriés dans des villages de province; il distribue les permissions aux militaires ayant effectué ce rapatriement sanitaire, libérant ainsi le premier feu du premier foyer; il laisse atterrir quantités d’avions chinois sur le sol français sans qu’un véritable contrôle soit effectué aux atterrissages -une vingtaine par jours à l’époque; il laisse les frontières ouvertes -puis les clôt; il annonce que les écoles ne seront pas fermées -puis il les fait fermer; il déclare nuls et non avenus les masques qui ne serviraient à rien -puis il en commande des millions; il affirme que si l’on n’est pas affectés on n’a pas besoin d’en porter un, mais à Mulhouse il sort en l’arborant ostensiblement; il annonce qu’un strict confinement est nécessaire et qu’à défaut, cette décision s’avérerait inefficace, mais il tolère que dans les territoires perdus de la République la règle ne s’impose pas, ce qui désigne le peuple français à ceux qui se réjouissent de pouvoir l’exposer à la maladie et à la mort.

Quel chef peut ainsi, dans un état qu’il a décrété de guerre, se montrer si peu chef et exposer autant son peuple de façon régulière et continue?

Si Agnès Buzyn a bien informé le chef de l’Etat dès décembre de l’étendue des dégâts à venir dans le pays, et qu’il n’en a rien fait, c’est sciemment qu’Emmanuel Macron a laissé se répandre la mort dans le pays dont il a la garde. Qu’il a laissé se répandre et qu’il laisse répandre…

Si vraiment Macron eut voulu être à la hauteur du général de Gaulle, il lui eut fallu lire Le Fil de l’épée. Lire et comprendre, comprendre et agir en regard de ce qu’il aurait lu et compris.

Dans cet ouvrage écrit avec une plume du Grand Siècle, le général s’appuie sur Bergson pour effectuer un portrait du chef. Selon lui, ni l’examen, ni le jugement, ni l’intelligence ne suffisent à caractériser le grand homme, le chef. Il faut, dit de Gaulle lecteur de Bergson, l’intuition, qui combine l’instinct et l’intelligence. Sans intelligence, pas d’enchaînement logique ni de jugement éclairé. Sans l’instinct, pas de perception profonde ni d’impulsion créatrice. L’instinct lie à la nature. Il rend ensuite l’action possible.

Comment peut-on penser une seule seconde qu’Emmanuel Macron disposerait d’intuition, d’instinct et d’intelligence? Chacun a pu le voir depuis deux ans: il n’est que calcul, communication et opportunisme. Quelle liaison cet homme entretiendrait-il avec la nature? Aucune… Il est un produit du théâtre, de la banque, de la finance, de la fonction publique.

Quelle liaison ce même homme entretiendrait-il avec la culture? Aucune, sinon la relation que chérissent les bourgeois pour lesquels elle se montre un signe d’appartenance de classe -qui sépare les dissemblables et unit les semblables. La culture détend le soir du travail de la banque pendant la journée. Aux heures ouvrables on enrichit les riches et l’on appauvrit les pauvres; le soir venu, on s’habille pour sortir au théâtre.

Comme cette engeance se trouve loin, bien loin de ce que Bergson et de Gaulle enseignent! Instinct? Intelligence? Intuition? Impulsion créatrice? Saisie de l’élan vital? Inspiration? Connaissance de l’évolution créatrice? Rien de tout cela chez Emmanuel Macron qui est taillé pour le costume du Chef comme un collégien à qui l’on a destiné le vêtement pour la représentation de fin d'année. Il est bon pour les Jésuites de La Providence à Amiens, mais pas au-delà.

Or il se fait que cet homme se trouve à la tête d’un pays, la France, et qu’il le conduit comme un adolescent perdu. Hier il disait oui, aujourd’hui, il dit non, demain il dira peut-être, après-demain il dira sans vergogne: "je n’ai jamais cessé de vous le dire"... Quelle pitié que ce bateau à la dérive!

Dans Le Fil de l’épée, de Gaulle parle du chef comme d’un artiste. Or, les circonstances nous le montrent: notre chef est un peintre du dimanche...


Michel Onfray
 

*: Suite de "Qu'est-ce qu'un chef (1): Le Professeur"

Commentaires

  • Michel Onfray est un excellent maître-tailleur. Après Agnès Buzin, il taille un costume à sa mesure à Emmanuel Macron.
    De Gaulle n’a pas prôné sa théorie des Blindés au début du XXème siècle mais après la Grande Guerre pour la bonne raison que personne avant la guerre n’avait imaginé une « artillerie d’assaut ». Certes Léonard de Vinci, promu ingénieur militaire, avait imaginé un char de combat mais incapable de se déplacer avant qu’on ait inventé la machine à vapeur puis le moteur à explosion.
    On n’a pas à se réjouir de la « décolonisation de l’Algérie » qui étaient des départements français dans lesquels en 1958 les Musulmans étaient devenus des « Français à part entière » et surtout des conditions dans lesquelles s’est réalisée l’Indépendance. « Vous n’avez pas voulu de l’Algérie française, avait prédit Georges Bidault, vous aurez la France algérienne ». L’Algérie française, m’avait dit Vladimir Volkoff, qui fut officier SAS en Algérie, était d’abord une chance pour l’Algérie. Ferhat Abbas, à la fin de sa vie, avait avoué à un de mes amis que le départ des pieds-noirs, « la valise ou le cercueil », avait été un « grand malheur »

  • Très juste. De Gaulle fut un mauvais chef d'Etat dont les meilleurs idées n'ont pas pu prendre racine. Mais c'est le dernier chef d'Etat que nous ayons eu. Après il n'y a que des gestionnaires qui sont contraints (démocratie oblige) de sacrifier le long terme au court terme. Il n'y a plus de Politique, il n'y a que de la "com".
    Si l'image de de Gaulle est si "réhabiltée", c'est par la comparaison avec ses tristes successeurs.

  • L'analyse est sévère, mais juste, rude, mais fouillée. Merci à " la faute à Rousseau " de nous la donner. Pauvres de nous d'avoir un tel président.

  • Michel Onfray est un excellent maître-tailleur. Après Agnès Buzin, il taille un costume à sa mesure à Emmanuel Macron.
    De Gaulle n’a pas prôné sa théorie des Blindés au début du XXème siècle mais après la Grande Guerre pour la bonne raison que personne avant la guerre n’avait imaginé une « artillerie d’assaut ». Certes Léonard de Vinci, promu ingénieur militaire, avait imaginé un char de combat mais incapable de se déplacer avant qu’on ait inventé la machine à vapeur puis le moteur à explosion.
    On n’a pas à se réjouir de la « décolonisation de l’Algérie » qui étaient des départements français dans lesquels en 1958 les Musulmans étaient devenus des « Français à part entière » et surtout des conditions dans lesquelles s’est réalisée l’Indépendance. « Vous n’avez pas voulu de l’Algérie française, avait prédit Georges Bidault, vous aurez la France algérienne ». L’Algérie française, m’avait dit Vladimir Volkoff, qui fut officier SAS en Algérie, était d’abord une chance pour l’Algérie. Ferhat Abbas, à la fin de sa vie, avait avoué à un de mes amis que le départ des pieds-noirs, « la valise ou le cercueil », avait été un « grand malheur »

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