Une pandémie qui nous bouscule religieusement, par Gérard Leclerc.
Le Christ tire Adam et Eve de leur tombeau,
église Saint-Sauveur-in-Chora, à Constantinople.
© Pascal Deloche / Godong
La pandémie bouscule nos habitudes et nos représentations en tous domaines. Notamment le religieux, qui est en cause jusque dans sa spiritualité, nos relations avec Dieu. La semaine sainte est propice à une méditation sur le cœur même de la mission du Christ parmi nous.
De l’épreuve actuelle, il est bien des leçons à tirer de différents ordres : politique, économique, sanitaire, industriel, social, psychologique, mais aussi religieux. C’est notre situation limite qui nous y oblige. Pierre-André Taguieff, un de nos plus perspicaces analystes dans le domaine des idées politique, en fait le constat dans un grand article de L’Express : « L’événement déclencheur, la pandémie, nous place devant une conjonction fortement anxiogène : celle de l’inexplicable et de l’incurable (jusqu’à nouvel ordre). Voilà qui heurte de front le prométhéisme des modernes, supposant que l’humanité ne rencontre que des problèmes qu’elle peut résoudre. » C’est peut-être l’occasion pour le politique de reprendre l’avantage sur le technocrate, l’art royal platonicien recouvrant tous ses droits.
Mais de cette situation bousculée, même le religieux n’est pas indemne. J’ai peut-être conclu un peu rapidement ma réponse à Laurent Joffrin, hier matin. Car, même en essayant de circonscrire un peu mieux le domaine où la personne tente de retrouver son Dieu, hors de certaines aberrations fondamentalistes, voire archaïques, celles qui nous offrent un Dieu vengeur, je n’ai fait que donner une porte d’entrée à ce qui devrait conduire à une réflexion plus exigeante et à une méditation plus intense. Comment ne pas reconnaître que nous nous trouvons démunis, par exemple, lorsque les rites liturgiques nous sont refusés ? Hier, je n’ai pu me joindre en l’église Saint-Sulpice, à la cérémonie d’adieu à un ami de cinquante ans. Bien sûr, la prière personnelle peut suppléer à la démarche communautaire, mais l’âpreté de notre dénuement n’en est que plus cruelle.
C’est alors que Dieu se présente à nous, non comme le superbe créateur de l’univers, mais celui qui nous rejoint dans l’épreuve. Le Christ comme « homme des douleurs » est familier de toute une iconographie chrétienne. Faut-il parler de dolorisme, ou bien plutôt de la réalité de l’Incarnation en tous ses aspects ? Il ne faut pas oublier, certes, ce que cet impie de Renan appelait « le printemps galiléen », mais il y a aussi cette descente du Christ à l’abîme sur laquelle nous allons méditer toute cette semaine sainte.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 7 avril 2020.