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"Une radicalisation de la lutte des classes", par Michel Onfray.

Comment passez-vous votre confinement? En Normandie? Pouvez-vous décrire le lieu où vous êtes? Pouvez-vous sortir facilement dans la campagne?

J’étais en Martinique depuis le 10 mars. Le confinement a été décidé alors que je m’y trouvais. Un durcissement de ce confinement a été annoncé par l’Etat. J’ai donc envisagé de rentrer en métropole en prenant un avion dont j’ai découvert qu’il effectuait la dernière liaison Fort-de-France Paris et que le vol suivant était prévu en juin. Deux ou trois jours après mon retour à Caen, à mon domicile, mon épouse et moi-même avons souffert des mêmes symptômes: très forte fièvre, maux de tête importants, courbatures comme si nous avions été roués de coups, perte d’appétit, modification des perceptions olfactives et gustatives.

Nous avons donc été diagnostiqués positifs au covid-19. Craignant un syndrome méningé, j’ai appelé le Samu qui a hospitalisé mon épouse. Aux urgences on lui a donc fait un test qui a révélé… qu’elle n’était pas positive au covid-19! J’en ai conclu que je ne l’étais pas non plus puisque nous vivions confinés l’un et l’autre dans le même lieu et que j’imaginais mal  être positif sans que Dorothée ne le soit également… En fait nous avons contracté la dengue en Martinique, une maladie tropicale assez violente. Dorothée a été hospitalisée six jours et nous avons oscillé entre 38 et 40° de température avec les symptômes que je viens de citer… Dès lors, je suis resté au lit en titubant pour aller d’une pièce à l’autre. Pas assez de force pour lire, encore moins pour écrire, juste de quoi regarder un film de temps en temps.

Quels conseils donneriez-vous aux Italiens qui vivent ce confinement depuis plus de temps que les Français?

Le confinement ne peut pas être pensé comme une idée platonicienne (genre Confinement objectif) mais comme un confinement subjectif. Tout dépend de son lieu de confinement: vaste ou exigu, agréable ou austère, en bonne ou en mauvaise compagnie, abandonné par les siens ou entouré par des amis véritables, au beau milieu de la nature ou dans une barre de HLM… J’aurais donc mauvaise grâce à donner des conseils en général, dans l’absolu, car, en pareil cas, il faut être empirique et pragmatique: c’est à chacun d’inventer les meilleures conditions de possibilité de son confinement. On ne peut philosopher, vivre, manger, aimer pour un tiers. C’est le moment où chacun se doit de philosopher pour lui-même et par lui-même pour composer avec le réel qui est le sien.

Quels textes philosophiques conseillez vous de lire dans cette période? Y a t-il des textes que vous êtes en train de relire dans ce confinement?

J’ai écrit dans Sagesse un éloge de la philosophie romaine que j’oppose à la philosophie grecque. Les Grecs sont des amateurs de concepts et d’Idées, de pureté idéale et d’envolées métaphysiques. Ils font une philosophie pour philosophes. Les Romains se moquent de la métaphysique ou de l’ontologie, ils détestent la sophistique et la rhétorique qui sont autant d’occasions de jouer avec les mots, d’étaler sa science et de séduire les interlocuteurs. Ils ont enseigné non pas avec des traités incompréhensibles mais avec des exemples qui se trouvent partout chez les historiens ou les annalistes : Aulu-Gelle, Valère Maxime, Tacite, Tite-Live, Suétone racontent ce que sont l’amour, l’amitié, le sens de l’honneur,  en rapportant le cas de gens qui se sont aimés d’amour ou d’amitié, qui ont incarné le sens de l’honneur, la fidélité, le comportement devant la maladie, la souffrance, la vieillesse, la mort, etc. Les philosophes romains sont Plutarque, Musonius Rufus, Sénèque, Lucrèce, Epictète, Marc-Aurèle, Cicéron. Tous sont utiles tout le temps, coronavirus ou pas.

Est-ce qu'il y a un texte particulier qui vous a accompagné dans les moments les pires de votre vie: l'AVC dont vous avez souffert à 28 ans, les années d'assistance auprès de votre compagne qui est décédée d un cancer, et l'AVC dont vous avez souffert il y a deux ans?

Oui, les Pensées de Marc-Aurèle… Lors de mon AVC j’étais trop abîmé pour lire la version papier que j’avais demandée à un ami. J’avais posé mon iPhone sur mon thorax pour écouter une lecture de ce texte faite par un acteur -dont je n’ai pas retrouvé le nom. J’avais l’impression, toutes lumière éteintes dans ma chambre d’hôpital, que le philosophe me parlait.

 Aujourd’hui beaucoup de gens, confinés chez eux, commencent ou recommencent à écrire. Quels conseils  leur donneriez vous? Sur quoi écrire?

Si l’on ne sait pas sur quoi écrire, il n’y a aucune utilité à écrire… Je reçois beaucoup de manuscrits ou de livres publiés à compte d’auteur… Or, savoir écrire une lettre à sa grand-mère ne fait pas du scripteur un auteur digne de ce nom. Il y a pléthore de mauvais livres et de mauvais textes. L’idéal serait que l’écriture soit d’abord un exercice de modestie: par exemple, prendre des notes de lectures, un mélange de synthèses objectives et de commentaires personnels, des philosophes romains par exemple. Depuis le triomphe de l’autofiction, le texte narcissique, égotiste, contribue à la fabrication de vedettes parisiennes du monde des lettres. Il n’est pas utile de grossir la liste de cet égotisme littéraire.

Pas mal d'Italiens pensent que cette expérience va réévaluer un certain "otium" dans le sens des anciens romains, dans le sens haut et classique du terme: qu'en pensez-vous?

Je ne crois pas que le monde changera dans cette direction-là… L’otium, rappelons-le, était le privilège des gens riches, fortunés, qui, la plupart du temps, ne travaillaient pas, avaient à leurs disposition des esclaves et un domesticité. Les gens modestes paieront la facture, comme toujours et ceux qui jouissent déjà de l’otium contemporain continueront à jouir de leurs privilèges. Il n’y aura pas une démocratisation de l’otium mais une radicalisation de la lutte des classes.

Est-ce que ce confinement va redonner un nouveau sens à la vie? Est-ce qu'il va aussi nous pousser à faire face à thématiques oubliées? Lesquelles?

La nature humaine étant ce qu’elle est, les hommes ne vivront demain d’amour et d’eau fraîche, pas plus, pas moins… Lisez ou relisez La Fontaine pour avoir ce que sont les invariants de la nature humaine. Quand le retour à la vie normale reviendra, ce ne sera pas pour réaliser le bonheur sur terre! On ne confine pas des gens dans des cages comme des animaux pendant des semaines sans que, le jour où l’on ouvre les barreaux de ces cages, ne se libèrent des passions tristes et du ressentiment –sûrement pas de l’amour…

Est-ce qu'on peut être en réalité plus libres dans ce genre de confinement que dans la vie de tous les jours?

Votre question sent son Sartre ("on na jamais été autant libre que sous l’occupation allemande", disait le philosophe qui écrivait des articles dans une revue collaborationniste…) mais c’est juste pour rire, du moins je l’espère… On ne me fera pas dire que, vivre privé de la liberté de se déplacer, privé de la liberté de rencontrer qui l’on veut, privé de la liberté de voyager, privé de la possibilité de serrer la main ou d’embrasser qui l’on veut, privé de la liberté d’aller au restaurant, dans les musées, dans les bars, aux concerts, dans les stades, dans les librairies, ce soit expérimenter un forme supérieure de liberté! Des sophistes défendront cette thèse, mais elle est fausse.

Commentaires

  • On approuve des deux mains les propos de Michel Onfray, et son ton libre me fait penser qu'on a peut-être enfin trouvé la réponse à l'interrogation de Leibnitz : "Pourquoi y a -t-il quelque chose plutôt que rien ?" Parce que le rien c'était Macron, et que n'importa quoi valait mieux.

  • La privation de liberté, notre droit le plus élémentaire, le seul que nous possédions finalement, ne peut être perçue par beaucoup, dans la mesure où elle est imposée et non choisie, que comme étant contrainte, emprisonnement, et ne peut engendrer qu'amertume et ressentiment, désir de revanche à postériori. Certains d'entre nous pourront sans doute inventer une autre forme de liberté, intellectuelle, personnelle. Mieux vaudrait s'en remettre à l'auto-censure de chacun. Mais en sommes-nous tous capables? Là est la question!

  • Un jour peut être serons nous définitivement confinés : l'air, devenu irrespirable par la pollution, des compagnies pourraient se charger d' alimenter en air pur les domiciles sur le même principe que la fourniture de gaz domestique actuel ; il suffira de souscrire un abonnement ; pour les sorties , limitées : appareil de respiration individuel autonome avec la bombonne dans le cabas , la poussette ou le sac à dos . Et la vie sociale ? les réseaux sociaux , la vidéophonie y pourvoiront ; le mode de vie connu au vingtième siècle serait ainsi remisé dans l'autre temps avec celui des chandelles et des chemins creux .

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