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Sur Figaro Vox, «N’oublions pas que nos agriculteurs sont également en première ligne!».

Un agriculteur en plein travail dans sa pommeraie. Pérenchies, 31 mars 2020 DENIS CHARLET/AFP

L’angoisse de la pénurie qui frappe de nombreux Français nous rappelle à quel point le travail de nos agriculteurs est essentiel dans notre société, estime Anne-Cécile Suzanne. Plus que jamais nous devons leur rendre hommage.

Anne-Cécile Suzanne est agricultrice en polyculture élevage dans l’Orne et diplômée de Sciences Po.

Ces rayons vides, dans les supermarchés. Cette angoisse de ne plus pouvoir aller s’approvisionner. Ces files d’attente à l’entrée des magasins, avec la hantise de passer le dernier. Cette incertitude, pour la première fois de sa vie, quant au fait d’avoir une assiette pleine à la fin de la semaine. D’un seul coup, on découvre un sentiment disparu depuis des années: la peur de ne pas pouvoir manger.

D’un seul coup, on découvre un sentiment disparu depuis des années : la peur de ne pas pouvoir manger.

L’agriculture nourricière, ça faisait rire les gens. L’agriculture française pouvait bien perdurer pour entretenir les campagnes en mode «carte postale» et pour nous faire rêver une fois par an au salon de l’agriculture. On avait envie de paysannerie, de laboureurs, le dos courbé, avec leurs chevaux dans les champs. Question nourriture, on avait ce qu’il fallait, les rayons des supermarchés et des épiceries fines en témoignaient. Ça marchait bien, on en avait juste assez d’entendre les agriculteurs se plaindre chaque année davantage et hurler à la terre entière, tels des prophètes de mauvais augure, qu’il fallait reconsidérer la place de notre agriculture nationale. Ils n’avaient qu’à se débrouiller un peu, ces pollueurs avec leurs pulvérisateurs, ces tortionnaires animaliers, et puis, si ça ne produisait pas assez, ou si les agriculteurs disparaissaient, il n’y avait qu’à importer. On a ainsi vu mourir une à une des centaines d’installations maraîchères, des vergers, des prairies, des élevages familiaux. On a vu détruire des vies de labeur entières, au profit des haricots du Kenya, des pommes de Chine, des élevages de Pologne ou encore d’Argentine. Ça n’avait pas de sens, en terme social, en terme environnemental, en terme économique, mais on continuait. Parce qu’à la fin, tant qu’on a à manger, pas cher, pour toute la famille, pourquoi se prendre la tête avec les autres réalités?

Et puis il y a eu ce moment, où il n’y avait plus de pâtes, plus d’œufs, dans les supermarchés. Il y a eu ce moment où on s’est rendu compte qu’importer n’était quasiment plus possible, que d’un coup, en l’espace d’une semaine, les frontières s’étaient fermées. Alors on a regardé nos agriculteurs, on a regardé nos usines de production alimentaire. Et on leur a demandé, inquiets: aura-t-on à manger?

Rassurez-vous, les agriculteurs français sont tenaces. On n’a pas encore réussi tout à fait à les dégoûter.

Ce n’était plus si évident, alors que 50% de notre consommation de légumes, 20% à 30% de notre consommation de viande, sont importées. Bien des filières ont été progressivement sacrifiées. Nous avons fragilisé notre agriculture, en lui imposant des normes toujours plus élevées et des prix cesse des prix plus bas, pour satisfaire une consommation de commodité ou encore pour préserver les marges des maillons intermédiaires de la filière. Nous avons ouvert nos frontières, laissant entrer des produits à la qualité, sanitaire et environnementale, très contestable, accroissant chaque jour notre dépendance alimentaire à l’extérieur et sacrifiant des générations d’agriculteurs dans nos campagnes.

Mais rassurez-vous, les agriculteurs français sont tenaces. On n’a pas encore réussi tout à fait à les dégoûter. Parce que malgré un revenu souvent de misère, malgré le manque de considération, malgré les heures de travail qui n’en finissent plus, malgré des taux d’endettement à ne plus en dormir la nuit, malgré des rapports de force dans l’agroalimentaire où ils sont systématiquement perdants, ils demeurent convaincus de la beauté de leur métier et de la grandeur de leur cause. À cela plusieurs raisons. La première est qu’il existe tout de même des citoyens, des consommateurs éclairés, qui soutiennent, résolument, leurs agriculteurs. La seconde est qu’une passion ne se commande pas, et que travailler avec la nature a quand même quelque chose de merveilleux. La troisième est que nourrir les gens est une vocation, en particulier en France. Alors les agriculteurs continuent à vous nourrir, même quand vous ne les aimez plus. Ils continuent à vous permettre chaque jour de grandir et vieillir, en prenant plaisir à manger des petits bouts du terroir français, dont aujourd’hui plus que jamais, nous sommes invités à apprécier de nouveau la beauté.

Cette crise démontre que, malgré la distance, agriculteurs et citoyens sont plus que jamais liés.

Alors que la crise que nous traversons aujourd’hui nous invite à revenir à l’essentiel, à réapprendre à apprécier ce qui a vraiment de la valeur, chacun tend aujourd’hui à reconsidérer les agriculteurs. Certains vont même jusqu’à donner un coup de main dans les champs, à renouer avec le travail d’une terre dont ils s’étaient éloignés. Une certaine reconnaissance se développe même, alors que certains producteurs vous livrent discrètement à manger à votre porte, alors qu’ils se démènent depuis leurs fermes pour approvisionner en blé, en viande, en légumes…les distributeurs alimentaires. On dit toujours «loin des yeux, loin du cœur». Pourtant, cette crise démontre que malgré la distance, malgré l’enfermement, agriculteurs et citoyens sont plus que jamais liés. Mais le travail des agriculteurs demeure par nature discret. La tendance sera forte, une fois cette crise achevée, une fois le porc chinois et les fraises espagnoles de nouveau dans les rayons, d’oublier, encore une fois, que c’est un petit bout du cœur d’un agriculteur qui réside dans chacun de vos plats, que c’est un morceau de passion qui transite, d’une ferme à votre assiette, à chaque fois que vous achetez un bon produit. Alors, même si vous ne les voyez pas, n’oubliez pas, durant cette crise comme chaque jour de l’année, que les agriculteurs sont là, pour vous permettre de vivre, grandir, vieillir, et prendre du plaisir à manger.

Anne-Cécile Suzanne

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