Détruire, dit-il
La grande croix intacte de l’autel, le coq qui surmontait la flèche retrouvé dans les décombres, la couronne d’épine sauvée : symboles d’une permanence, d’une continuité que Macron ne veut pas voir.
Par Philippe Mesnard
Notre-Dame, si longtemps négligée, comme tout le patrimoine religieux parisien, affronte désormais son plus grand danger : devenir le signe que les temps ont changé et exhiber un corps mutilé pour en être le dégoûtant emblème.
Emmanuel Macron a donc décidé qu’il fallait que Notre-Dame soit reconstruite en cinq ans, et qui plus est « plus belle » qu’avant. Rien ni personne ne l’obligeait à adopter ce vocabulaire et ce calendrier. Tout, au contraire, aurait dû l’obliger à adopter un autre discours. Un discours où cet apôtre du vertical aurait d’abord expliqué que Notre-Dame de Paris est une cathédrale catholique, n’en déplaise à M. Castaner ; mais « catholique » lui aurait écorché les lèvres et, comme Mgr Aupetit l’a souligné, dès le lendemain du sinistre, le président de la République reprenait vite ses habitudes de laïc militant, qui explique aux évêques français qu’ils doivent chercher pendant que lui a déjà trouvé et qui exclut toute référence à la religion des bâtisseurs et des occupants de Notre-Dame. Un discours où cet apôtre du travail aurait d’abord commencé par souligner tout le travail qui n’a pas été fait par les services de l’État : un bâtiment mal entretenu, auquel était affecté trop peu d’argent, des chantiers mal conçus et mal conduits. Un discours où cet apôtre de l’expertise aurait d’abord affirmé qu’il ne fallait que laisser parler les experts. Bernique.
Mais les experts parlent. Ils ont parlé, dès entendus les propos surprenants du chef de l’État et la déclaration grotesque du Premier ministre, considérant que « les enjeux de l’époque » devaient coiffer Notre-Dame. Ils ont fait valoir plusieurs choses : que la loi existait, à défaut du bon sens ; que personne ne songeait à améliorer le Mont Saint-Michel pour le magnifier grâce aux enjeuxdelépoque®, mirifique enduit, ni la Tour Eiffel, ni la grotte de Lascaux, ni Notre-Dame-du-Haut de Ronchamp ; que l’édifice était fragile (désormais sans toit, les vents de 90 km/h peuvent l’ébranler) ; qu’une cathédrale gothique est un ensemble dynamique qu’on ne modifie pas si facilement ; que tous les grands chantiers de reconstruction prennent beaucoup de temps. Que n’ont-ils dit ? Que cet empressement à parler de reconstruire et non pas de restaurer cachait mal la volonté de dissimuler les responsabilités de l’État dans sa manière scandaleuse de gérer le patrimoine ; que Viollet-le-Duc avait moins exalté les enjeux de l’époque qu’il n’avait servi l’édifice, et que parler de contemporanéité lorsqu’un architecte tout entier dédié à la restauration du patrimoine décide de construire une flèche néo-gothique sur un édifice gothique est sans doute se payer de mots ; que les malins qui “savent” que Notre-Dame empile les styles et les époques sont incapables de distinguer une ogive du XIIIe et une du XVe ; que l’État si prompt à faire appel à la générosité publique devrait bien plutôt surveiller la manière folle dont il dépense ses deniers dans d’autres chantiers hasardeux, comme la “restitution à l’identique” d’un mur dans la cour de Versailles ou la dorure des lanternons de Chambord.
Rapidité ou précipitation ?
Ils ont fait valoir que la France avait les savoir-faire pour reconstruire à l’identique, et que ce chantier, si long puisse-t-il paraître à un homme pressé d’apposer sa marque, quitte à ce qu’elle ne soit qu’une souillure, était une magnifique occasion de revivifier ces métiers d’arts, ce patrimoine vivant, que l’État, là encore, laisse mourir à bas bruit. Ils ont expliqué que la France avait les chênes nécessaires – et qu’on savait désormais les faire vite sécher, si tant est qu’on soit vraiment pressé. Que la France avait les pierres, et qu’on savait encore les tailler. Ils ont dit que la seule loi qui aurait été nécessaire, la seule dérogation, concernait l’usage du plomb pour la toiture. Ils ont dit que restaurer Notre-Dame à l’identique était une merveilleuse folie, bien propre à entraîner le pays tout entier et bien plus admirable que d’expédier à grande vitesse. Ils ont dit que créer un établissement spécial était une insulte à ceux qui existaient déjà et qui conduisent de gigantesques chantiers, et que ne pas écouter tous ceux qui œuvrent à préserver le patrimoine, au sein de l’État, était nier que ce qu’ils font ait un sens.
Ils ont dit que Notre-Dame méritait qu’on dépense pour elle, et un prêtre qui héberge des sans-papiers a expliqué que les pauvres ont besoin de beau et d’esprit, qu’il faisait visiter Notre-Dame à ces gens qui ont une âme même s’ils n’ont pas su traverser la rue et si seule la pluie a ruisselé sur eux, et que ceux-ci pleuraient de joie sans souci des enjeux de l’époque – eux qui devraient être un enjeu de l’époque, eux dont Macron avait fait un enjeu, eux que Macron a oubliés. Voilà tout ce que les experts ont dit, et les gens de bon sens, et ceux qui savent que l’homme ne se nourrit pas seulement de pain.
Macron saura-t-il les écouter ? Ou tient-il à exhiber une cathédrale défigurée pour bien montrer qu’il est le maître des horloges et que son temps est celui de la destruction irrévocable de ce qui n’est pas progrès ? ■
Commentaires
Il n'y a pas grand-chose à attendre d'un laïcard par déception comme Macron. Eduqué chez les Jésuites d'Amiens, et dont il n'a retenu que la casuistique, sans la réflexion qui l'accompagne chez les esprits déliés. Il s'est, depuis son adolescence torturée, enfoncé dans la promotion de lui-même à travers des entourages séparés par des mondes de dissimulation et de silence organisé. Il n'a pour la cathédrale de Paris qu’un souvenir historique, forme d'ombre en creux de ses éducateurs, mais aucune estime pour le symbole religieux qu'elle représente pour nombre de Français. Lorsqu'il évoque les pierres torturées par les flammes, il ne pense que bâtisse, et architecture pour un futur concours qui pourrait lui fournir l'occasion de laisser une trace physique derrière lui, mais en aucun cas la volonté d'une continuation historique et culturelle. Sa prétendue pensée complexe n'est, ici encore, que le prétexte de vendre aux autres sans le dire, ses mondes intimes qui l’écartèlent et lui refusent par leur existence et leur passion, la sérénité de l'élévation de l'âme, la charité et la compassion. Tout au contraire, ils le poussent à rechercher la satisfaction de ses frustrations dans la destruction d'un ordre qui à ses yeux est ultimement responsable de son besoin de transgression. L’incendie de Notre Dame, accidentel ou provoqué, est une opportunité pour lui, à la fois politique et personnelle, afin d’imprimer de toutes les façons possibles, même éventuellement les pires sur les plans religieux et culturel, une marque disruptive dans la société qui l’a conduit là où il se trouve, et qu’il veut, non pas détruire, mais faire souffrir, pour se venger de ne pas pouvoir être reconnu pour ce qu’il est. C’est un homme de deux mondes sociologiquement séparés, ce qui a profondément marqué sa psychologie, ses actes involontaires, et son comportement spontané, faits, pour la partie visible, de sourires séducteurs et "en même temps" de méchantes réflexions pour apaiser dans son état mental la permanence de l’antinomie ontologique qui l’habite. Personnalité en tension permanente, il ne déviera pas de son désir, si on le laisse faire, ni de ses options, et donc pas pour Notre Dame de Paris, car son appropriation est pour lui une forme de thérapie du désastre, et la réalisation d'un potentiel triomphe personnel sur la société.