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Réflexions, un peu de temps après le forum de Davos... : Argent, qui t'a fait Roi ?...

argent roi.jpgUn peu de temps après les fastes et les pompes du Forum de Davos, parlons un peu, avec Charles Maurras, de l'argent. Un mot qui, comme le mot révolution, peut s'écrire avec une minuscule ou avec une majuscule, mais qui, selon le cas, change de sens... Ainsi, il est tout simplement sot de déclarer "Je n'aime pas les riches", ou "Mon ennemi, c'est la Finance" : l'argent, les riches, la finance et sa puissance ont existé dans tous les pays, toutes les cultures, et à toutes les époques. La puissance matérielle des Templiers, ou d'un Fouquet, était considérables : mais, à l'époque, il y avait un Philippe le Bel, il y avait un Louis XIV pour - c'est son expression - "faire rendre gorge à ces gens-là..." : mais, leur faire rendre gorge uniquement s'ils sortaient de leur rôle, et, sinon, leur faire jouer - fût-ce de manière autoritaire - le rôle utile et positif qui est le leur, celui de participer au Bien commun. Mais, aujourd'hui, où sont le Philippe le Bel, le Louis XIV ? On le voit, le rapport à l'argent, aux riches, à la finance n'est, finalement - et c'est ce que rappelle Maurras - qu'un problème d'Institutions, un problème politique et du politique...

On peut employer les mots que l’on voudra, et les formules les plus diverses. On peut parler, comme Boutang, de "Reprendre" le Pouvoir ; ou de le "séquestrer", comme le disait Renan (on va voir ci-après de quoi il s’agit) ; ou encore de le "libérer", comme le disait Maurras.

Mais peu importent les mots : quelles que soient les formules que l’on choisit, l’important est bien, au bout du compte, de remettre l’Argent à sa place, et de bien comprendre comment et pourquoi, à quelle occasion historique, il a pu ainsi s’affranchir de toute contrainte, jusqu’à remplir tout l’espace et acquérir une puissance inédite chez nous : c’est en abattant la Royauté que ceux qui ont fait la révolution, et dont certains étaient peut-être sincères, ont en réalité ouvert la route à l’Argent, le pouvoir royal traditionnel, qui le maintenait à sa place, ayant disparu.

Tels des apprentis sorciers -et même si, bien sûr, on pourra toujours dire : Mais ils n'ont pas voulu cela !...- ils ont déclanché des forces immenses que leurs nuées abstraites ont été bien incapables de maîtriser, et devant lesquellles elles ont pesé d'un bien faible poids. 

Ils raisonnaient dans l'une des sociétés les plus raffinées, les plus policées, les plus civilisées dont l'Histoire gardera la mémoire, et que l'on peut, à bien des égards, appeler un Âge d'Or. Mais ils ont obtenu le résultat inverse de celui qu'ils espéraient, et ils n'ont fait qu'initier le processus qui, implacablement et inexorablement, une fois qu'il s'est mis en route, a abouti au désastre actuel de notre Âge de Fer, barbare et asservi aux forces matérielles, où seul l'Argent est roi; où l'Argent est le seul roi... 

MAURRAS 7.JPGVoici un court extrait de l'article quotidien de Charles Maurras, dans L'Action française du 1er août 1921 - auquel il donnait le titre général de La Politique - : on pourrait donner à cet extrait, isolé de l'ensemble, le titre Argent, qui t'a fait Roi ?... Il est bon de le relire, ce Maurras fulgurant et ses lignes prophétiques du temps de L’Avenir de l’Intelligence, qui avait – dès le début du siècle dernier - parfaitement  compris et analysé la société dans laquelle nous allions vivre; et dans laquelle, pour le coup, nous vivons maintenant : une société dans laquelle les puissances de l’Argent, après avoir éliminé le pouvoir politique traditionnel et fort incarné par la royauté, élimineraient toute autre forme de pouvoir, notamment celui des intellectuels et de la pensée, et finiraient par rester seuls maîtres d’une société à laquelle le nom d’ "âge de fer" conviendrait parfaitement. 

Nous y sommes, hélas….  Mais Maurras commençait les dernieres pages de l’Avenir de l’Intelligence par "A moins que…"…

Voici l'extrait :

"...L’Argent, en tant qu’argent, celui qui remplit sa fonction, honnête ou neutre, de simple Argent, ne m’inspire aucun sentiment d’hostilité, non plus que d’amitié ni d’envie. Je le voudrais bien à sa place. Je sais que, en démocratie, forcément, il monte trop haut (1). Le vertige démocratique le condamne à l’usurpation, parce qu’il ne peut trouver de contrepoids en démocratie. Cela est réglé, cela est vécu.

Ne croyez pas que les argentiers eux-mêmes aient lieu de s’en réjouir ! Ce qu’ils achètent indûment s’avilit et les avilit, voilà tout. Ils y perdent deux choses : ce qu’ils y croient gagner et eux-mêmes.

Pour savoir quels étaient les rapports de l’Argent et de l’Etat quand notre organisation naturelle et historique fonctionnait, lisons cette page de Bonald :

"Assurément, on ne pouvait se plaindre en France que de l’excessive facilité de l’anoblissement et, tandis qu’un meunier hollandais, ou un aubergiste suisse sans activité, comme sans désir, bornés à servir l’homme pour de l’argent, ne voyaient dans l’avenir, pour eux et leur postérité, que le moulin et l’enseigne de leurs aïeux, un négociant français, riche de deux cents mile écus, entrait au service de l’État, achetait une charge et une terre, plaçait son fils dans la robe et un autre dans l’épée, voyait déjà en perspective la place de président à mortier et celle de maréchal de France, et fondait une famille politique qui prenait l’esprit de l’ordre à la première génération, et les manières à la seconde. C’est, dit Montesquieu, une politique très sage en France, que les négociants n’y soient pas nobles, mais qu’ils puissent le devenir". (2)

On voit à quoi servait l’Argent dans cette économie ; il servait à servir. Il servait à entrer dans les services de l’État, services où il était discipliné et traité suivant ses œuvres nouvelles. L’Argent devenait chose morale et sociale, il se chargeait de responsabilités définies qui l’introduisaient et le maintenaient sur un plan différent du sien. C’est que l’État était alors constitué en dehors et au dessus de l’Argent. L’État pouvait donner splendeurs, honneurs, influences, vastes espoirs dans toutes les directions de l’élévation politique et morale. En même temps, il imposait son esprit. Il gardait le gouvernement. C’est que, le Chef de l’État n’étant pas élu, la corruption essentielle n’était pas possible (3) : il n’était ni or ni argent qui pût faire de la souveraineté politique un objet de vente et d’achat.

Le souverain héréditaire n’était pas engendré par l’argent comme peut l’être un souverain élu : il pouvait donc offrir un patronage sûr aux forces que l’Argent tentait d’opprimer. Par ce mécanisme qui, selon le mot de Renan, "séquestrait" le pouvoir suprême, au-dessus des brigues et des trocs, un certain ordre d’injustice criante et de basse immoralité se voyait interdire la vie sociale. Depuis que le séquestre royal est supprimé, et que tout est livré au choix précaire et vacillant des volontés humaines, leur fragilité, leur faiblesse leur assignent l’Argent pour maître absolu : nul obstacle ne retient plus l’État français de rouler sur la pente où l’empire est mis à l’encan."

 

Ceux qui s'obstinent à ne voir en Maurras qu'un penseur conservateur trouveront tout au contraire dans ce texte une analyse qui conteste le fondement même de la société subvertie dans laquelle nous vivons, c'est-à-dire la toute puissance de l'Argent.

Il faut en conclure que le printemps de l'Action Française a duré plus longtemps que ne le dit Paugham. Boutang l'a bien montré : Maurras est un grand contestataire, et il ne serait pas sérieux de prétendre aujourd'hui faire l'économie de son analyse.

Tout simplement parce que nous sommes en plein dans la réalité de cet Âge de fer dont il avait prévu la survenue.   

         

(1) Voyez, aujourd'hui, quelle édifiante leçon on peut tirer de l’élection de Barack Obama (comme nous l’avions signalé dans notre note « France, États-Unis : deux républiques, et pourtant si différentes !...» du 6 novembre 2008) : l’élection du Président, aux USA, s’achète, tout simplement; le pouvoir politique suprême s’achète : c’est aussi, et probablement surtout, parce qu’il avait réuni un trésor de guerre plus important que Mac Cain qu’Obama a pu lancer son rouleau-compresseur…  Maurras n’est-il pas justifié, là, lorsqu’il écrit cette phrase "Je sais que, en démocratie, forcément, il monte trop haut" ?...

(2) On parle toujours du "rêve américain" ; n’y avait-il pas, de ce point de vue, un "rêve français" à cette époque évoquée ici par Bonald ? La possibilité que tout un chacun, quelle que soit son origine, puisse "monter" et "réussir"...

(3) Notre proposition est précisément d’instaurer au sommet de l’Etat un espace a-démocratique, qui garantirait et pacifierait la vie politique; qui ordonnerait et rendrait féconde et utile la vie politique, au lieu du cirque lamentable et du champ clos d’ambitions effrénées à quoi elle se résume actuellement.

Commentaires

  • "Nous vivons la prise de pouvoir de l'économie à un degré qui renvoie les étapes antérieures du capitalisme dans une aimable préhistoire", remarquait Marcel Gauchet.
    Pour Maurras, mais aussi Sorel et Proudon, le combat pour la justice sociale était d'abord une affaire de valeurs et de réforme morale. Lutter contre le capitalisme consiste également à sortir de l'imaginaire de l'économie, à refuser que l'économie soit la mesure de l'humain.

  • Ce qu'expose Maurras, à la fin de l'Avenir de l'Intelligence, c'est que deux grandes forces principales se confrontent et s'affrontent en permanence dans l'Histoire : l'Or et le Sang. C'est du moins ainsi qu'il les nomme. Et, à bien y regarder, si l'on sait distinguer tout ce que recouvre chacun de ces deux termes, on les voit à l'œuvre et même à la manœuvre, aujourd'hui encore. Aujourd'hui, comme hier.

  • Oui mon cher Anatole, mais aujourd'hui la capitalisme a changé. Déployant ses stratégies à l'échelle planétaire, il est devenu un capitalisme absolu caractérisé par la dictature des marchés financiers et la financiarisation des stratégies industrielles. Les principaux détenteurs du capital ne sont plus les chefs d'entreprise, mais les actionnaires qui ne sont intéressés que par le rendement à court terme.

  • Maurras n'eût pas été étonné de ce que vous croyez être propre à "aujourd'hui" et qui ne l'est pas vraiment, même s'il est exact que le phénomène que vous décrivez s'est considérablement développé du fait de l'affaiblissement des pouvoirs traditionnels. Ceux qui relevent de ce que Maurras appelait le Sang.
    Il savait que l'Or, diviseur, est, aussi, "divisible à l'infini". Il savait fort bien distinguer entre capitalisme patrimonial et capitalisme financier. La dénonciation de "la fortune anonyme et vagabonde" est au programme de l'Action française depuis bien longtemps. Tout ce que vous croyez "nouveau" et strictement d'"aujourd'hui" est déjà contenu en totalité, dans cette formule. Et « l’âge barbare », « l’âge de fer » dans lequel Maurras disait que nous allions entrer, en conclusion de l’Avenir de l’Intelligence (1901) est celui que vous dites, celui où nous sommes.
    Vous avez raison dans votre analyse. Vous avez tort, selon moi, de croire en une sorte d'évolutionnisme qui ferait du triomphe de l'Or la nouveauté radicale et inéluctable de notre époque dite "moderne" et de la défaite des forces du Sang une fatalité incontournable et définitive.
    Rien n'est moins sûr, si l'on observe attentivement ce qui, en ce moment même, se passe sur la planète. D’Ouest en Est et du Nord au Sud. Une analyse trop « univoque » des réalités actuelles a, je crois, beaucoup de chances d’être fausse.
    Les puissances du Sang ont longtemps dominé, limité et, même, ordonné au Bien Commun, celles de l'Or. Il n'est pas sûr du tout qu'elles aient dit leur dernier mot.

  • Ce qui a changé par rapport à l'époque de Maurras, c'est que notre société connaît une crise sans précédent de l'intelligence et de la volonté politique. Portée par l'idée que l'état présent des choses - l'illimitation du capital- est appelée à se maintenir indéfiniment, qu'il en est pas d'autre possible et surtout qu'il en est pas de meilleur.

    Oubliant que l'histoire est tragique, croyant pouvoir rejeter toute considération de puissance, recherchant le consensus à tout prix, elle est entrée en léthargie et semble consentir à sa propre disparition. On pense évidemment au "dernier homme" dont parlait Nietzsche.

    Bernanos disait que les optimistes sont des imbéciles heureux et les pessimistes des imbéciles malheureux, mais de nombreux penseurs contemporains se sont appliqué à décrire le déclin de notre société qui semble confondre morale et "moraine" et les principes humanistes avec les droits de l'homme. Puissiez-vous avoir raison.

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