Atlantico : Au vu des prises de positions du gouvernement - Stanislas Guérini qui explique qu'il existe une opposition entre pauvres et nantis - en cette période de crise et de confinement, pensez-vous que la naissance d'un nouveau prolétariat est possible ? Si oui, de quelle manière ?
Christophe Boutin : Il y a toujours eu une opposition entre les « pauvres » et les « nantis » : n’oublions pas ce que Nietzsche appelle le ressentiment, ni que des auteurs comme Montesquieu ou Alexis de Tocqueville ont mis en garde sur la place que tient l'envie dans le cœur de l'homme - et les dégâts que cela peut faire dans une société. Dans l'Athènes antique de la démocratie triomphante, on a vu ainsi des dirigeants exilés par envie et condamnés pour se partager leurs richesses.
Le confinement que nous vivons peut-il accélérer le sentiment de faire partie de deux mondes opposés, et faire monter envie et ressentiment dans une partie de la population ? Sans doute, à partir du moment où il est évident que les conditions dans lesquelles il est vécu sont très différentes : on ne saurait confondre la situation de ceux qui ont pu rejoindre une maison de campagne spacieuse et celle d’une famille assignée à résidence dans un logement de petite superficie. En ce sens, il n'y aura donc pas une expérience commune du confinement qui pourrait, après la crise, souder les Français par un vécu partagé, et certaines différences et divisions auront peut-être été au contraire rendues plus criantes. C'est un peu ce qu’évoquait le président de LREM, Stanislas Guérini, lorsqu'il déclarait il y a quelques jours : « Il y a la France des résidences secondaires et celle des HLM, la France de la 4G et celle des zones blanches, la France qui peut être en télétravail et celle de ceux qui sont en première ligne ».
Est-ce pour autant l’opposition entre un nouveau « prolétariat » et des « bourgeois » ? Je crois que le premier terme est très mal choisi. D’une part, il renvoie par trop à la vision marxiste de la lutte des classes, quand les marxistes eux-mêmes savent que le prolétariat n'est finalement pas révolutionnaire et ne veut rien d'autre qu'accéder à la petite bourgeoisie. D’autre part, même les fondations de gauche, actant la lente disparition des prolétaires, ont conseillé à leurs partis, en termes électoraux, de soutenir ces nouveaux « damnés de la terre » que seraient les immigrés.
En fait, les deux groupes que décrit Guerini - et ce n’est sans doute pas un hasard, nous y reviendrons -, font tous deux très largement partie d’une classe moyenne dont les sociologues peinent à définir les contours : si une part de la France des HLM peut être intégrée dans les CSP-, une autre fait partie de la « classe moyenne inférieure » ; et si une part de la France des résidences secondaires se retrouve dans les CSP+, une autre fait partie des « classes moyennes supérieures ».
Philippe Crevel : L’opposition entre pauvres et riches n’est pas une nouveauté. Elle est moins prégnante quand l’ascenseur social fonctionne et quand l’ensemble de la société partage un grand nombre de valeurs. Longtemps la France a été marquée par la guerre des classes sur fond d’idéologie marxiste. Avec l’affaiblissement du parti communiste dans les années 80 et la chute de l’URSS ainsi qu’avec la diminution du nombre d’ouvriers, certains ont cru à la disparition de la lutte des classes. Cette fin de l’histoire n’a pas eu lieu. L’opposition entre pauvres et riches s’exprime de manière différente que ce soit à travers les émeutes des banlieues ou la crise des gilets jaunes. Les lignes de partage sont bien plus complexes aujourd’hui qu’hier. Dans le passé, les ouvriers rassemblaient des hommes et des femmes ayant des profils assez proches. Leur conscience de classe s’est forgée dans le cadre de luttes sociale et s’exprimait à travers le filtre des syndicats dits révolutionnaires. Aujourd’hui, dans une société éclatée, le « nouveau prolétariat » n’a pas de conscience réelle de classe. Entre les assistants sociaux, les infirmiers, les magasiniers, les caissiers, les micro-entrepreneurs, etc., les statuts, les formations sont différentes. Entre les habitants de banlieue en proie au radicalisme religieux et les habitants en milieu rural, les dissemblances sont importantes. Par ailleurs, au sein des nouveaux prolétaires, certains peuvent bénéficier d’une sécurité de l’emploi quand d’autres sont confrontés à une extrême précarité. Les points communs sont la faiblesse de la rémunération, l’absence de promotion, et un manque de reconnaissance de la part de la société (même si cela peur évoluer avec la crise actuelle par exemple). L’hétérogénéité des travailleurs à revenus modestes rend difficile l’expression de revendications communes. La crise des gilets jaunes en 2018 a démontré l’absence de cristallisation des revendications autour de personnalités représentatives. Cette situation est amplifiée par le déclin des partis politiques qui sont censés selon l’article de la Constitution de 1958 concourir à l'expression du suffrage.
Le gouvernement actuel semble ne pas savoir ou ne pas reconnaître la sphère privée dans son ensemble (comme par exemple ce que sont des directeurs de supermarchés, des petits patrons etc.). Les classes moyennes peuvent-elles être écartelées par ce phénomène-là ? Si oui, de quelles façons ?
Christophe Boutin : Là encore en effet, on sent bien que les problèmes de la classe moyenne du secteur privé – plaçons à part les fonctionnaires - ne sont guère pris en compte par le gouvernement. Petits patrons des PME/PMI, franchisés, auto-entrepreneurs, professions libérales, artisans, agriculteurs, pêcheurs, tout ce monde qui, aujourd’hui, lutte pour sa survie, semble passer au second plan, dès lors du moins qu’il dirige une structure ou travaille de manière autonome. On va préserver les intérêts des salariés, ce qui est très certainement justifié, mais on osera moins protéger ceux de ces petits employeurs ou indépendants. Et l’on se penche avec beaucoup plus de considération sur le sort cruel de l’intermittent du spectacle qui ne pourra cette année se rouler nu sur une scène avignonnaise – mais qui tirera certainement de cette cruauté des accents nouveaux sur scène la saison prochaine - que sur celui d’un auto-entrepreneur qui, lui, ne pourra jamais reprendre son travail et devra en chercher un autre.
Cette division, sensible, est regrettable en ce que, là encore, elle induit des tensions entre des catégories qui ont pourtant tout à gagner à se fédérer, celles des différents niveaux des classes moyennes. Elles ont en effet, employeurs ou salariés, PME ou auto-entrepreneurs, un combat commun à mener pour l’emploi et sont victimes de la même manière de la crise sanitaire et économique actuelle.
Philippe Crevel : Les classes moyennes qui ont au cœur des Trente Glorieuses et joué un grand rôle dans la stabilisation de la société française jusque dans les années 80, sont aujourd’hui menacées d’éclatement avec la polarisation de l’emploi et la segmentation territoriale. Il faut néanmoins prendre conscience que le corps central de la société française a toujours été très diverse, composé de professeurs, de commerçants, d’entrepreneurs, d’artisans d’employés, de cadres et d’ouvriers qualifiés. Avec la digitalisation, avec le recul de l’industrie, des fracturations sont en marche, accentuées par les problèmes que rencontre une part croissante de la population pour se loger dans les grandes métropoles. La digitalisation de l’économie a provoqué la disparition d’un nombre non négligeables d’emplois occupés par les classes moyennes le développement d’emplois très qualifiés et d’emplois de proximité, souvent à temps partiel ou en CDD. Il en résulte une forte peur de déclassement et une crainte de ne pas pouvoir évoluer au sein de la société. Bien souvent, l’hostilité la plus violente se manifeste à l’encontre du supérieur, du chef d’au-dessus qui pour autant n’a pas une situation économique et sociale très différente.
Qui, sociologiquement, seront les individus concernées par ce « nouveau prolétariat » ? Auront-ils les mêmes adversaires de classe ? Une nouvelle forme de populisme peut-elle naître de cela ou est-elle déjà en marche ?
Christophe Boutin : Le populisme n’est pas réductible à l’approche marxiste de classe dont j’ai dit combien elle me semblait dépassée, et plus que de « nouveau prolétariat » il faudrait sans doute parler ici de « rassemblement des déclassés ». Depuis maintenant quelques décennies en effet, la crainte du déclassement hante une bonne part de nos contemporains, et notamment les membres de la - ou des – classe(s) moyenne(s).
Les membres des CSP- ressentent, elles, la panne de l’ascenseur social, se voyant assignés à vie dans un statut de quasi assistanat – la plupart d’entre eux ont en effet besoin de bénéficier d’une aide, ou, au moins, de ne pas payer certaines charges, ce qui revient au même, pour pouvoir vivre de manière décente. La classe moyenne, elle, se caractérisait, pour sa partie inférieure, justement, par le fait d’échapper à cet assistanat, ce dont elle était fière, et pour sa partie supérieure, en bénéficiant d’un cadre lui permettant de consommer mais surtout de transmettre plus de biens, tout en ayant des professions disposant d’un certain statut social.
C’est tout cela qui a disparu depuis quelques décennies : la classe moyenne inférieure ne peut plus subsister sans aides qu’en surveillant tous les jours sa consommation, et la supérieure est frappée elle aussi à la fois par la baisse de ses revenus et par la disparition du statut de ses professions. Toutes ont en commun d’être persuadées que leurs enfants auront une vie plus difficile que la leur, et qu’elles-mêmes ne connaissent pas le confort de leurs parents – d’où, en partie, la critique de la génération des « boomers », accusée d’avoir mené à cet état de fait. C’est par excellence le symptôme du sentiment de déclassement.
Or le gouvernement risque de se tourner vers les classes moyennes supérieures pour payer une large partie de l’ardoise de l’épidémie. Bien plus que sur les possesseurs d’un capital financier - manifestement, malgré la crise, les répartitions de dividendes se portent bien -, il y a fort à parier que les possesseurs de bien immobiliers par exemple, cette forme de capital qu’Emmanuel Macron déteste viscéralement, seront, eux, largement mis à contribution. Cela n’aura qu’un effet incident pour les véritables classes supérieures, le fameux 1%, mais très rude sur des classes moyennes pour lesquelles l’accession à la propriété était à la fois un élément de statut social et une sécurité, pour eux comme pour leurs descendants.
Or le déclassé est le principal moteur de toutes les révolutions, et cette masse représente le gros des troupes du populisme. On comprend alors la crainte du gouvernement qu’enfle la vague réunissant ce que Christophe Guilluy nomme la « France périphérique » et Jérôme Sainte-Marie le « bloc populaire », balayant les élites – ou pseudo-élites -, ce pouvoir oligarchique qui aurait selon les populistes mené à la crise mais se serait préservé de ses effets.
Ainsi, l’impact économique de la crise actuelle va grossir le rang des déclassés, quand la manière dont elle a été « anticipée » et « maîtrisée » va grossir ceux des mécontents. Le déconfinement est donc potentiellement dangereux pour un gouvernement qui pourrait se trouver en face d’un nouveau soulèvement du type de celui des Gilets jaunes initiaux, ceux des ronds-points de l’automne 2018.
Philippe Crevel : Les lignes de fractures sont plus complexes que dans le passé. La crise sanitaire comme lors des dernières grandes guerres, a divisé le pays en tranches, ceux de l’avant contre ceux de l’arrière. La première tranche est constituée celle des travailleurs qui sont au front avec en première ligne le personnel soignant. Cette catégorie comprend également le personnel des services publics devant assurer la continuité de l’Etat et des administrations publiques, le personnel des commerces alimentaires, les actifs devant poursuivre leurs activités à l’usine ou dans le cadre des services essentiels, la deuxième catégorie comprend le monde des actifs confinés mais ayant pu poursuivre leurs activités en télétravail, essentiellement des cadres et le troisième catégorie rassemble les personnes placées au chômage (partiel ou général). D’autres lignes de fractures ont été également révélées par cette crise. Ainsi, les propriétaires de résidence secondaire qui ont fui les grandes métropoles ont été montrés du doigt, accusés d’avoir fui des zones infectées au risque de contaminer des zones rurales. La haine des provinciaux à l’encontre des Parisiens est ainsi montée d’un cran, haine qui masque un profond rejet des élites. Derrière ces divisions, ces oppositions, c’est dans les faits, le rejet des élites qui aujourd’hui transcende la population française, alimentant en cela le populisme. Ce phénomène n’est pas nouveau. Il s’est amorcé au début des années 80 et ne fait que s’amplifier depuis. La population française éprouve les pires difficultés à se reconnaître dans ses dirigeants d’où une accélération de leur renouvellement. L’arrivée d’Emmanuel Macron s’est faite sur fond de rejet des partis traditionnels. Or, aujourd’hui, il est victime des mêmes reproches qu’il faisait aux anciens responsables de droite et de gauche. Le populisme dévore ses enfants. Ce climat peut-il devenir révolutionnaire ? Pour cela, il faudrait une convergence des prolétariats qui devrait se doter de représentants légitimes. Dans le passé, les révolutions ont été conduites par des minorités intellectuelles qui se sont parées de vertus populaires. Ce fut le cas lors des différentes révolutions françaises et lors de la prise du pouvoir par les Bolchéviques en 1917. Le populisme sert souvent à évincer une élite par une nouvelle qui en reprend vite les attributs de l’ancienne.
Comment le gouvernement actuel peut-il faire face à ce phénomène ? Est-ce trop tard ?
Christophe Boutin : Reprenant les techniques éprouvées, il n’est jamais trop tôt pour discréditer, faire peur et diviser. Discréditer et faire peur d’abord : on a vu apparaître déjà des « analyses » portant sur les risques de violences dirigées contre l’État après le déconfinement, violences venant de l’extrême droite comme de l’extrême gauche. Que trois vitrines soient cassées, une statue renversée et un scooter enflammé dans un centre ville sous les caméras de BFM – soit l’équivalent d’une soirée très calme dans nombre de « quartiers de reconquête républicaine » -, et il n’en faudra pas plus pour que, comme lors de la crise des Gilets jaunes, toute une classe moyenne âgée voie dans Christophe Castaner un sauveur et dans le préfet Lallement l’incarnation du glaive séculier. Ici encore, une crainte savamment dosée conduit au ralliement au pouvoir.
Diviser ensuite, diviser la classe moyenne en dirigeant la colère des « prolétaires », comme vous aimez à les appeler, disons les CSP- et la partie inférieure des classes moyennes, non vers les véritables « nantis », les 1%, et moins encore contre ceux qui les ont mené droit dans le mur de cette crise, mais vers ceux qui auront simplement pu la vivre un peu plus facilement : contre celui qui était dans sa résidence secondaire, ou sur une terrasse, ou avait un balcon, ou simplement un paquet de PQ en plus… on trouve toujours !
Et qu’importe si tout n’est pas cohérent dans le discours de Stanislas Guérini. Qu’importe s’il n'est pas illogique qu'une personne qui possède une résidence secondaire préfère y passer le confinement plutôt que de rester dans un appartement de ville. Si la France des résidences secondaires est aussi celle des « zones blanches », quand la France des HLM a la 4G. Qu’importe surtout que le télétravail soit indispensable à la survie économique de la nation, et donc au soutien de ceux qui sont en « première ligne », comme pour éviter les conséquences désastreuses – y compris en termes de morts – si se produit un effondrement économique derrière l'effondrement sanitaire.
Toutes ces France dont parle Guerini ont été ensemble victimes d’une crise dont les responsables sont connus. Les bénéficiaires de la 4G n’empêchent pas les habitants des zones blanches d’accéder à Internet, c’est le pouvoir en place qui n’est pas capable d’imposer aux opérateurs de couvrir correctement le territoire – pour éviter des coûts à leurs actionnaires. Les possesseurs de résidences secondaires n’interdisent pas aux habitants des HLM d’en avoir, c’est le pouvoir en place qui a continué de casser l’ascenseur social de la méritocratie républicaine qui leur aurait permis d’en avoir une s’ils en avaient les capacités. Les télétravailleurs n’obligent pas l
Le sénat va connaître dans les jours à venir le projet de loi de bioéthique. Notre ami François Schwerer nous a adressé - avec un message de sympathie - l'ensemble des textes qu'il été amené à écrire sur cette question.
Cet ensemble constitue une véritable somme, aussi bien par son importance que par son intérêt.
Nous en avons commencé la publication le vendredi 10 janvier, et nous la poursuivrons du lundi au vendredi inclus, comme nous l'avons fait, par exemple, pour l'étude de Pierre Debray, Une politique pour l'an 2000.
Et, pour suivre et retrouver ces textes plus commodément, nous regrouperons la totalité de cette étude, vu son importance, dans une nouvelle Catégorie : François Schwerer - Bioéthique : culture de mort : vous pourrez donc retrouver donc l'ensemble de cette chronique en cliquant sur le lien suivant :
François Schwerer - Bioéthique : culture de mort...
Voici le plan de l'étude (hors Annexes et textes divers, qui viendront ensuite); nous le redonnons chaque jour, afin que le lecteur puisse correctement "situer" sa lecture dans cet ensemble :
- Les étapes de la décadence
- Un processus téléologique
1/. « Qui n’avance pas recule »
2/. De la pilule à la GPA : l’asservissement des femmes
3/. La révolte des femmes et les mouvements féministes
4/. Le transhumanisme, stade ultime de la destruction
- La stratégie progressiste
1/. La campagne médiatique préalable
2/. La modification de la loi
3/. Le recours à une novlangue
4/. Le discrédit de l’adversaire
5/. La politique des petits pas
6/. Le viol de la conscience des enfants
- « Pour une nouvelle croisade »
A - Une faible résistance
1/. Des hommes politiques sans conviction
2/. Des manifestations apparemment inefficaces
3/. Un refus de mettre en danger son propre confort
4/. Un faux respect de l’apparente liberté d’autrui
5/. Si le Seigneur ne bâtit pas, c’est en vain que s’agitent les bâtisseurs
B – Un combat dont l’enjeu dépasse le fonctionnement de la vie sociale
1/. Il est plus facile de descendre une pente que de la remonter
2/. Un combat ayant une dimension eschatologique
![lfar espace.jpg](http://lafautearousseau.hautetfort.com/media/00/02/1611186370.jpg)
![](http://lafautearousseau.hautetfort.com/media/01/01/2219488397.jpg)
3/. La révolte des femmes et les mouvements féministes
Dans le même temps on a poussé les femmes à abandonner le soin de la direction du foyer et à acquérir une certaine autonomie financière en allant, mercenaires, travailler hors de chez elles. Si l’attrait d’une nouvelle indépendance a été fort, la transition ne s’est pas faite sans heurts et on a fini par assister à une révolte des femmes.
Il faut reconnaître que les mouvements féministes d’aujourd’hui révèlent une certaine prise de conscience des conséquences du péché originel : l’homme « domine » sur la femme. Et, ces mouvements ont pour but avoué d’en supprimer les effets ou, du moins de les atténuer… car la « galanterie » n’est plus considérée comme une valeur dans une civilisation qui a oublié ses racines. Mais, au lieu de lutter contre les effets du péché originel en essayant de revenir au dessein de Dieu, ces mouvements cherchent bien souvent à décider par eux-mêmes ce qui est bien et ce qui est mal et ont ainsi été tentés de s’approprier le fruit de l’arbre de la vie.
De plus, ces mouvements ont provoqué une certaine zizanie et divisé les femmes entre elles. On peut ainsi classer rapidement ces mouvements féministes en trois catégories dont deux sont mortifères. Il y a d’abord ceux qui, peu ou prou, consciemment ou inconsciemment, recherchent à revenir au plan de Dieu sur l’homme et sa compagne. Il y a ensuite ceux qui, séparant ce que Dieu a uni, cherchent à émanciper la femme en niant la complémentarité originelle du couple. Il y a enfin ceux qui nient la différence entre l’homme et la femme et qui considèrent donc, selon l’expression utilisée par Alain de Benoist dans Valeurs Actuelles du 8 août 2019, que « la femme est un homme comme un autre ». Seuls les mouvements féministes se rattachant à la première catégorie, pourraient, comme le souhaite Gabrielle Cluzel, « améliorer la condition féminine, [c’est-à-dire] donner à la femme un cadre de vie pour évoluer en sécurité et être respectée. Où elle ne sera ni harcelée, ni reléguée, ni bafouée, ni niée dans son identité » ; et ce dernier point est essentiel.
Dans la première catégorie de mouvements, les femmes révèlent alors aux hommes que cette domination est la conséquence du péché et leur demandent leur aide – leur amour – pour retrouver l’harmonie qui a été rompue. « Une alliance renouvelée entre l’homme et la femme est nécessaire » a ainsi expliqué le pape François dans sa catéchèse du 16 septembre 2015.
On peut considérer comme relevant de cette catégorie plus que le mouvement le slogan « HeforShe » lancé par l’ambassadrice bénévole de la cause des femmes de l’ONU, la jeune actrice britannique Emma Watson. Ce slogan appelle l’homme à se mettre au service de la femme, lui révèle ce qu’il peut et doit faire pour elle. Or ce slogan vient, d’une certaine manière, couronner l’œuvre d’Anne Zelinsky qui, après avoir participé à la fondation du premier foyer-refuge pour femmes battues en 1978 en France, a ensuite participé à la création de l’association « SOS Hommes et Violences en Privé » car, comme elle l’a dit elle-même, le 4 janvier 2017, « on ne traite pas les victimes en ignorant les bourreaux ». En effet, pour Anne Zelinsky, « la violence est une partition qui se joue à plusieurs. Au-delà des deux solistes, il y a tout l’orchestre qui joue le tempo ancestral du « bats ta femme… ». Alors, désigner la victime est déjà un pas considérable que nous avons franchi dans les années 1970. Mais impossible de camper ad vitam aeternam là-dessus. Il fallait continuer sur cette lancée d’interpellation de la violence domestique en braquant le projecteur sur l’homme. Considérer les deux partis est une démarche véritablement féministe, s’en tenir à l’une d’elle relève de la seule victimisation ». Mais, si Anne Zelinsky s’est bien occupée des deux « solistes », comme elle les appelle, il fallait aussi s’intéresser à tout « l’orchestre ». Il est un autre mouvement qui s’occupe de l’orchestre aux Etats-Unis, c’est la New Wave Feminists qui est malheureusement en butte à tous les médias et à de nombreuses puissances financières parce qu’étant opposée à l’avortement.
Ce slogan, « HeForShe » (Lui pour elle) remet ainsi à l’endroit la question du « féminisme », ce quelque chose qui doit rapprocher l’homme de la femme et les unir plus étroitement et non pas comme un combat de l’un contre l’autre ; quelque chose qui fonde leur solidarité et non qui favorise leur désunion. Ce doit être un engagement qui doit intéresser autant l’homme que la femme, qui doit être porté autant par l’un que par l’autre… ce qui ne signifie pas que l’un et l’autre doivent utiliser les mêmes arguments, que l’un et l’autre doivent se comporter mutuellement comme des clones l’un de l’autre. C’est même tout l’inverse ! Car, la différence est source d’enrichissement et de fécondité : « seul l’autre peut me donner ce que je n’ai pas, tandis que je puis lui donner ce qu’il n’a pas » (1). Comme l’a fort justement remarqué le philosophe français, François-Xavier Bellamy, « la différence n’implique pas une inégalité, une occasion de mépriser l’autre : elle est au contraire une condition pour s’émerveiller » (2).
Toutefois, la position de l’ONU paraît manquer de cohérence car, malgré la beauté du slogan, l’organisation a promu le 8 mars comme « Journée internationale de la femme ». Or cette date est plus en phase avec la deuxième catégorie de mouvements féministes que nous avons identifiée car elle ne fête absolument pas une mise en avant de la dignité de la femme et de son égalité dans la complémentarité avec l’homme, mais commémore la révolte de la femme contre l’homme. Dans sa décision du 16 décembre 1977 qui faisait du 8 mars la journée internationale de la femme, l’ONU ne faisait que reprendre à son compte la décision de Lénine de 1921 qui avait instituée le 8 mars « Jour de rébellion des travailleuses contre l’esclavage de la cuisine » (3), en souvenir de la journée du 27 février (8 mars) 1917 où les femmes de Saint Petersbourg étaient descendues dans la rue pour réclamer du pain. Cette commémoration est donc plus en accord avec les deux autres catégories de mouvements féministes qu’avec la première.
Naturellement, il ne s’agit pas ici de comparer la femme et l’homme en ce qui concerne la productivité, la quantité, la durée, les conditions de travail, etc. Ce qu’il faut, c’est que la femme ne soit plus opprimée par sa situation économique par rapport à l’homme. La femme a beau jouir de tous les droits, elle n’en reste pas moins opprimée en fait, parce que sur elle pèsent tous les soins du ménage. Le travail du ménage est généralement le moins productif, le plus barbare et le plus pénible de tous ; il est des plus mesquins et n’a rien qui puisse contribuer au développement de la femme ».
Dans la troisième catégorie on trouve essentiellement des femmes qui veulent, en fait, être considérées comme des hommes – gagner autant d’argent qu’eux, accéder aux mêmes emplois, etc. –. Leur lutte, qui est aussi bien souvent ouvertement menée contre Dieu, a un côté désespéré et désespérant comme l’a révélé l’intrusion des Femens au Congrès des islamistes de Pontoise en septembre 2015. Elles portaient, inscrit sur leur poitrine dénudée : « Personne ne me soumet », phrase qui fait inéluctablement penser au « Je ne servirai pas ».
On trouve en particulier dans cette catégorie la sociologue américaine Margaret Sanger pour qui la femme doit pouvoir être maîtresse de son corps et de sa sexualité. Elle veut que chaque femme puisse choisir librement d’être mère ou non. La femme doit pouvoir n’avoir que des enfants voulus, choisis et planifiés. Ayant ainsi supprimé Dieu et réduit son compagnon au rang de simple objet de plaisir, elle va plus loin qu’Eve s’accaparant Caïn puisqu’elle décide seule de la vie et de la mort de l’enfant conçu. C’est logiquement parmi les membres des mouvements appartenant à cette catégorie que l’on trouve le plus d’« individu.e.s » favorables à la PMA et à la GPA. Toutes celles qui s’en réclament portent atteinte à l’« arbre de la vie ». Comme le constate le cardinal Sarah, pour elles, « aucune morale religieuse, aucun dogme, aucune tradition culturelle ne peuvent empêcher la femme de réaliser ses objectifs. Personne ne doit mettre d’obstacle ou d’interdire à la femme d’avoir accès à la contraception et à l’avortement ».
De plus, ce néoféminisme, en épousant les thèses de Judith Butler relatives à la théorie du genre et en s’alliant aux mouvements homosexuels, « en arrive à ne plus défendre la femme et à se nier lui-même, tant sa conception de l’humain efface les différences homme-femme, qui ne seraient que le fruit d’un conditionnement culturel et social, l’être se construisant lui-même et déterminant ainsi son genre (4) ». Dès lors, si la différence entre l’homme et la femme ne résulte plus de la nature mais d’une simple convention sociale, si cette distinction n’est plus extérieure à la volonté de l’être humain mais résulte d’un choix de vie, alors, contrairement au plan de Dieu tel que la Genèse l’a enseigné, l’homme demeure désespérément seul. Il n’a plus de « vis-à-vis » qui lui soit une aide. Ici aussi, c’est bien l’« arbre de la vie » que ce néoféminisme cherche à atteindre. C’est bien en ce sens que le pape François est intervenu le 5 octobre 2017 devant l’Académie pontificale pour la vie : « L’hypothèse avancée récemment de rouvrir la voie de la dignité de la personne en neutralisant radicalement la différence sexuelle, donc l’entente entre l’homme et la femme, n’est pas juste. Au lieu d’aller contre les interprétations négatives de la différence sexuelle qui mortifient sa valeur inaliénable pour la dignité humaine, on veut de fait effacer cette différence, proposant des techniques et des pratiques qui la rendent insignifiante pour le développement de la personne et pour les relations humaines. Mais l’utopie du « neutre » supprime à la fois la dignité humaine de la constitution sexuelle et la qualité personnelle de la transmission génératrice de la vie. La manipulation biologique et psychique de la différence sexuelle, que la technologie biomédicale laisse entrevoir comme entièrement disponible au choix de la liberté – alors qu’elle ne l’est pas ! –, risque ainsi de démanteler la source d’énergie qui alimente l’alliance entre l’homme et la femme. (…) Une société où tout cela ne peut être qu’acheté et vendu, réglé bureaucratiquement et techniquement établi, est une société qui a déjà perdu le sens de la vie ».
En fait, comme le remarque Gabrielle Cluzel, ce féminisme « n’aime pas les femmes. Il n’aime pas ses qualités propres et ce qui la caractérise. Il ne cherche qu’à la changer ». Du coup, « ce néoféminisme sombre dans l’incohérence en déclarant abolie la distinction des sexes tout en développant une haine viscérale de l’homme, éternel dominateur, violeur en puissance, le « patriarcat » étant une explication centrale du malheur des temps. Ce néoféminisme gauchiste amplifie la vision marxiste qui ne voit le monde que comme une lutte incessante entre dominés – les victimes : les femmes – et dominants – les coupables : les hommes » (5).
Le contexte d’une société matérialiste et individualiste qui se veut efficiente est un terreau favorable au développement de cette idéologie. La culture mathématique – on devrait d’ailleurs plutôt dire arithmétique ou algébrique –, aggravée par la culture informatique – qui a envahi notre société sous prétexte d’efficacité (sic) y porte. En effet, en arithmétique comme en algèbre, les termes « égal » et « différent » sont antinomiques. On est soit « égal », soit « inférieur » ou « supérieur » ; mais on ne peut pas être à la fois « égal » et « différent ». L’arithmétique comme l’algèbre a pour fonction de hiérarchiser les individus; elle ne peut pas connaître la notion de « personne » qui n’a aucun sens pour elle. Dès lors, en mathématique, le terme « égal » se rapproche du terme « identique ».
Il faut ajouter que l’ONU a annoncé la promotion de la « théorie du genre » une première fois en 1985 lors de la conférence de Nairobi puis en 1995 lors de la conférence de Pékin. Cette théorie a ensuite fait l’objet en 2000, de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU « sur les femmes la paix et la sécurité » (6), puis d’une « Déclaration sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre », approuvée par 57 Etats en 2013. Cette déclaration, que Najat Vallaud-Belkacem a cherché à mettre en œuvre sous l’autorité de Manuel Valls et la présidence de François Hollande avait, en fait, été proposée à l’ONU par Rama Yade sous l’autorité de François Fillon et la présidence de Nicolas Sarkozy. Depuis, le Conseil de l’Europe, l’OMS et l’UNESCO s’y sont ralliés. Dans une pure dialectique marxiste, l’ONU semble avoir voulu remplacer comme « moteur de l’histoire », la lutte du prolétariat contre le capital par la lutte des migrants contre les autochtones et la lutte des femmes contre les hommes; par la lutte des individus (masculins, féminins ou neutres) contre la famille.
Il s’agit donc de s’attaquer à la famille, voulue par Dieu et fondement de la société. Cette résolution, qui substitue le concept de genre à celui de sexe comme « concept pertinent », explique : « le genre ou la sexospécificité doit être compris sous l’angle des rapports sociaux fondés sur le sexe. Il s’agit des rôles, responsabilités, aptitudes, comportements et perceptions, façonnés par la société et assignés aux hommes et aux femmes » .
« Comprendre la sexospécificité sous un angle de construit socioculturel, donne l’opportunité de discuter sur les fondements éthiques et moraux, au nom desquels les femmes sont discriminées ».
« Comprendre la sexospécificité sous un angle de construit socioculturel revient à admettre que les rapports sociaux construits culturellement ne sont pas figés dans le temps. Au contraire, qui dit construction, dit aussi refonte, rénovation et même déconstruction, dictées par les mutations provoquées aussi bien par les crises, les connaissances, l’évolution du droit que les avancées technologiques et économiques ».
(1) : Denis Delobre S.J., « Accompagner, pilier de la pédagogie ignatienne », in Christus, « La pédagogie ignatienne », novembre 2014, p. 73.
(2) : « Les déshérités », Plon, 2014, p. 173.
(3) : Dans son discours du 23 septembre 1919, Lénine avait largement expliqué ce qu’il attendait des mouvements féministes. « Là où existe le capitalisme, là où subsiste la propriété privée de la terre, des fabriques et des usines, là où subsiste le pouvoir du capital, l’homme conserve ses privilèges » vis-à-vis de la femme. (…) Pour que la femme soit réellement émancipée, pour qu’elle soit vraiment l’égale de l’homme, il faut qu’elle participe au travail productif commun et que le ménage privé n’existe plus.
Source : https://www.valeursactuelles.com/
Le 12 avril, Michel Onfray et Stéphane Simon annonçaient la création de leur nouvelle revue de combat : Front Populaire. A travers ce média, le philosophe engagé entend organiser la convergence des souverainismes de gauche et de droite, tout en donnant une voix à l'ensemble du spectre contestataire de la société civile. Son objectif : imaginer “un avenir souverainiste, aux antipodes du rêve anti-social et anti-civilisationnel de Jupiter…” Entretien.
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Valeurs actuelles. Quand vous est venue l’idée de créer cette nouvelle “machine de guerre pour la plèbe” ?
Michel Onfray. Le pouvoir m’a évincé de France-Culture où mon cours d’université populaire a été retransmis avec de véritables succès d’audience pendant une quinzaine d’années. Le maire de Caen LR, compatible avec Macron, s’est étonnement mis dans la situation d’être incapable de me trouver une salle pour que je puisse y donner mon cours pendant deux années, je lui avais laissé le choix du jour et de l’heure … L’université de Caen a convoqué un conseil d’administration pour voter massivement contre moi : ils ont refusé de me louer la salle trois mille euros par séance – quatorze étaient prévues chaque année…- sous prétexte que les contenus de mes cours n’étaient pas scientifiques ! Le patron du Zénith, où j’ai une année donné mon séminaire en quatorze séances sur sept jours, a empoché 15.000 euros afin de payer une publicité de l’événement qu’il n’a jamais faite – ce que j’ai rendu public et qui n’a ému personne, pas plus d’ailleurs qu’avec les autres informations… Je me suis donc trouvé à la rue.
J’ai sollicité mon ami Stéphane Simon, qui m’avait proposé de créer notre webtv, ce que nous avons fait en 2018, en lui disant que je n’avais pas envie de me faire museler de la sorte et qu’il n’était pas question qu’on me fasse taire. Je lui ai demandé ce qu’on pouvait faire. Il m’a tout de suite proposé de créer cette revue – je ne l’en remercierai jamais assez…
Qui sont les fondateurs ou inspirateurs de la revue en dehors de vous et M. Stéphane Simon ?
Lui et moi – et d’abord lui d’ailleurs comme je viens de vous le dire… Ensuite, la formidable équipe de Télé-Paris qui est faite d’amis efficaces, autrement dit une petite poignée. Nous avons posé les principes de cette revue : un lieu où l’on constitue un front populaire souverainiste, le mot populiste ne nous faisant d’ailleurs pas peur non plus, rassemblant aussi bien des gens de droite que de gauche. Cette équipe réunit des femmes et des hommes pour qui recouvrer les moyens d’une politique afin de la mener en faveur du peuple français s’avère le premier objectif. Ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous sépare. Dans cette communauté d’amis, on ne trouve aucun de ces populicides – pour utiliser le mot créé par Gracchus Babeuf…- qui oublient, négligent, méprisent le peuple et ses votes. De Mitterrand I et II à Macron en passant par Chirac I et II, Sarkozy, Hollande, ils l’ont tous été.
Peut-on considérer cette nouvelle initiative comme la suite logique de l’Université Populaire de Caen dans un pays qui se radicalise ?
D’une certaine manière, oui. Car j’ai beaucoup mis en avant les projets de Condorcet et Diderot qui proposaient de « rendre la raison populaire ». Disons qu’avec l’UP, il s’agissait de la Raison sans plus de précision et j’abordais très peu les questions politiques dans la partie du cours.
Le progrès n'est pas une valeur en soi
Avec Front Populaire, il s’agit plus particulièrement de raison politique. Mes amis et moi souhaitons qu’on puisse ne plus faire de souverainiste et de populiste des insultes : comment disposer des moyens d’être soi et de diriger son destin a-t-il pu devenir un projet infamant ? De même : comment fonder une politique sur la volonté du peuple en estimant que la république et la démocratie définissaient le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, est-il devenu lui aussi un objectif méprisable ? La radicalisation se trouve aujourd’hui du côté des nihilistes qui se prétendent progressistes. Mais le mal peut progresser lui aussi, de sorte que le progrès n’est pas une valeur en soi. C’est juste la croyance un peu naïve que demain sera obligatoirement meilleur qu’aujourd’hui. L’impératif catégorique des progressistes est formulé par Rosemonde Gérard : « Plus qu’hier, moins que demain ».
Votre revue sera-t-elle davantage un organe “d’éducation populaire” ou plutôt un journal politique d’opinion ?
Les deux. La culture, quand il s’agit vraiment d’elle, est révolutionnaire : lire Balzac ou Condorcet, La Fontaine ou La Rochefoucauld, voilà de quoi penser aujourd’hui pour préparer demain. D'ailleurs, nous aurons une rubrique, tenue par Frank Lanot, ami écrivain et professeur de lettres à Caen, dans laquelle nous proposerons des lectures pour aller plus loin. Mais nous ne nous contenterons pas de penser des livres et des idées. Nous nous occuperons également du monde dans lequel nous nous trouvons. Et ce pour le rendre moins pénible à vivre…
Auquel cas, la rédaction serait-elle prête à œuvrer lors d'éventuels mouvements populaires (tracts, discours, manifestations etc.) ?
Non. C’est un laboratoire d’idées qui n’exclura pas, le temps venu, d’envisager de peser lors des élections présidentielles — comment éviter ce rendez-vous ? Mais pas pour soutenir des candidats en relation avec des partis. Nous voulons plutôt contribuer, si cela est faisable et tenable, à faire émerger une candidature issue de la société civile. Nous ne voulons plus de ceux qui ont traîné dans les partis…
Albert Camus évoquait sa conception du journalisme en ces termes : « Informer bien au lieu d'informer vite, préciser le sens de chaque nouvelle par un commentaire approprié, instaurer un journalisme critique et, en toutes choses, ne pas admettre que la politique l'emporte sur la morale ni que celle-ci tombe dans le moralisme. » Avec Front populaire, souhaitez-vous renouer avec la tradition “camusienne” de Combat ?
Vous ne pouvez pas me faire plus plaisir qu’en citant Camus pour lequel j’ai une véritable admiration. Il peut être un maître bien souvent mais aussi en journalisme, car, dans ce domaine comme dans tous les autres, il a été remarquable : précision, rigueur, éthique, morale, engagement, respect des faits, commentaire haut-de-gamme, lisibilité. Il reste un modèle. Car le journalisme est un métier formidable, quand il est pratiqué dans cet esprit, mais le pire auxiliaire des pires pouvoirs quand il se met aux ordres de l’un d’entre eux. A l’heure où nous nous entretenons, Reporter sans frontières vient de livrer son classement : en 2019, nous étions 32ème , en 2020 nous rétrogradons à la 34ème place. Le Ghana et la Namibie sont devant nous… Nul besoin de vous dire qu’on ne trouve cette information dans aucun journal du politiquement correct…
Il existe un Front populicide qui méprise, néglige et passe par-dessus le peuple.
Chez beaucoup de français, le nom “Front populaire” renvoi à un célèbre épisode historique d’union de la gauche. Pourtant, avec votre revue, vous avez choisi d’outrepasser le clivage gauche-droite pour défendre “l’union des souverainistes.” Malgré cette annonce, certains se demandent si les souverainistes-conservateurs seront réellement les bienvenus. Quelles personnalités de cette mouvance comptez-vous accueillir dans vos rangs ?
Je précise que Front populaire est à double entrée : d’abord ça n’est pas une revue historique consacrée à cette période historique. Ensuite, quand nous renvoyons à ce moment là, c’est juste pour dire qu’il y a eu dans l’histoire des revendications populaires légitimes qui ont été obtenues sans violence, sans tribunal révolutionnaire et sans guillotine. Les congés payés n’ont pas été obtenus avec du sang versé.
Quand il y a volonté de contribuer à la grandeur à la France, l’immigration est bienvenue, mais malvenue dans le cas contraire.
Enfin, un front populaire est également une expression qui renvoie à la technique militaire de l’agencement des forces. Il existe un Front Populicide qui méprise, néglige et passe par-dessus le peuple : c’est celui du camp que je nomme les “maastrichien” de droite et de gauche - PS, EELV, MODEM, UDI, LR. Macron, du moins ce qu’il en reste, est pour l’heure leur chef, quoi qu’on en pense.
Il nous faut opposer à ce Front populicide un Front populaire qui, au-delà du clin d’œil historique, permette le rassemblement des souverainistes de droite et de gauche avec un programme commun sur l’immigration qui n’est ni une chance, comme le dit la gauche, ni une calamité, comme l’affirme la droite, mais l’occasion de dire que, quand il y a volonté de contribuer à la grandeur à la France, l’immigration est bienvenue, mais malvenue dans le cas contraire.
Au début du XXème siècle, des syndicalistes révolutionnaires et des maurassiens se sont rassemblés autour de la figure de Proudhon, dans un effort commun pour combattre le pouvoir dominant de leur époque. Avec cette nouvelle revue, n’essayez-vous pas de recréer un Cercle Proudhon ? Auquel cas, ne craignez-vous pas d’être associé à la dérive “rouge-brune” de penseurs tels que Valois, Sorel etc.
Non je n’essaie pas de refaire le Cercle Proudhon, car nous avons changé d’époque. Oui nous allons bien sûr être insultés, ça a d’ailleurs commencé sur France Inter. Et ce sera naturellement le cas avec le slogan très années quatre vingt “rouge-brun”, un réflexe pavlovien parmi les défenseurs de l'État libéral total.
C’est un lieu commun en même temps qu’un faux argument de vrai paresseux – je pourrais même vous écrire l’éditorial que publierait BHL… C’est aussi fallacieux que d’aller chercher les nazis ont été impliqués dans la construction de l’Europe de Jean Monnet, celle de Maastricht, en croyant que cela suffirait pour lutter contre les idées de ce monsieur…
Dans votre texte D’un Front qui serait populaire, vous défendez que l’inaction mènerait la France vers le “populicide”. En sommes-nous véritablement arrivés à ce point : “Souverainisme ou barbarie” ?
Je pense que la négation du Non au référendum sur le Traité européen en 2005 et le passage en force au Congrès de ce même texte, devenu traité de Lisbonne, imposés par les maastrichiens de droite et de gauche en 2008 – Sarkozy & Hollande –, fut un coup d’Etat qui, certes, n’a pas installé la barbarie mais plus sûrement un régime autocratique qui en a fini avec la démocratie et la république. Ça n’est pas la barbarie, mais poursuivre dans ce chemin y conduirait.
Dans le même texte, vous annoncez vouloir « faire émerger le jour venu le nom de qui pourrait porter la cause du peuple contre les populicides ». Cette volonté de trouver un “nom” n’est-elle pas en contradiction avec votre conception proudhonienne, girondine, mutualiste et libertaire du politique ?
Il faudrait longuement parler de Proudhon… Car il existe beaucoup d’ignorance ou de méconnaissance sur la pensée de cet homme qui a évolué. Le dernier Proudhon, celui de Théorie de la propriété, défend une « anarchie positive » qui préconise l’existence d’un Etat garantissant l’organisation mutualiste, fédéraliste et autogestionnaire de la société. C’est un modèle girondin, le mien.
Il faut jouer le jeu d'un candidat qui puisse porter un projet girondin
Or, nous sommes dans la configuration jacobine de la Ve République. Sauf à conseiller le coup d’État classique, qui suppose l’illégalité, la violence, les voies de fait - ce que nous récusons - il faut jouer le jeu d’un candidat qui pourrait porter ce projet girondin. Je vous rappelle que le projet de décentralisation qu’eut le général de Gaulle montre qu’il n’y a pas autant contradiction qu’on voudrait bien le croire…
Dans la même logique, n’avez-vous pas peur de vous constituer en “avant-garde éclairée” du peuple, concept léniniste que vous rejetez depuis toujours ?
Non, justement, pas du tout. Notre logique est clairement non-violente. Elle est “conseilliste”, autogestionnaire pour réactiver un mot oublié. Sûrement pas léniniste — nous laissons la référence léniniste à la France Insoumise et au PCF.
Pourquoi ne pas vouloir incarner vous-même la riposte contre “l’État-Maastrichien” ? Beaucoup seraient prêts à vous suivre…
Il me manque des compétences, des savoirs, des talents, des traits de caractère. Il me faudrait un argent dont je ne dispose pas et des soutiens financiers qui ne viendraient pas. Il me faudrait un réseau constitué depuis longtemps avec une diversité de gens qui excellent dans des domaines majeurs, l’armée, la police, les affaires étrangères... Je suis un homme seul. Mais il y a surtout une raison majeure : je n’en ai pas du tout envie ! Je n’imagine pas ma vie sans l’écriture, sans les lectures et le travail qui va avec. Je tiens à ma liberté plus qu’à tout.
Le sénat va connaître dans les jours à venir le projet de loi de bioéthique. Notre ami François Schwerer nous a adressé - avec un message de sympathie - l'ensemble des textes qu'il été amené à écrire sur cette question.
Cet ensemble constitue une véritable somme, aussi bien par son importance que par son intérêt.
Nous en avons commencé la publication le vendredi 10 janvier, et nous la poursuivrons du lundi au vendredi inclus, comme nous l'avons fait, par exemple, pour l'étude de Pierre Debray, Une politique pour l'an 2000.
Et, pour suivre et retrouver ces textes plus commodément, nous regrouperons la totalité de cette étude, vu son importance, dans une nouvelle Catégorie : François Schwerer - Bioéthique : culture de mort : vous pourrez donc retrouver donc l'ensemble de cette chronique en cliquant sur le lien suivant :
François Schwerer - Bioéthique : culture de mort...
Voici le plan de l'étude (hors Annexes et textes divers, qui viendront ensuite); nous le redonnons chaque jour, afin que le lecteur puisse correctement "situer" sa lecture dans cet ensemble :
- Les étapes de la décadence
- Un processus téléologique
1/. « Qui n’avance pas recule »
2/. De la pilule à la GPA : l’asservissement des femmes
3/. La révolte des femmes et les mouvements féministes
4/. Le transhumanisme, stade ultime de la destruction
- La stratégie progressiste
1/. La campagne médiatique préalable
2/. La modification de la loi
3/. Le recours à une novlangue
4/. Le discrédit de l’adversaire
5/. La politique des petits pas
6/. Le viol de la conscience des enfants
- « Pour une nouvelle croisade »
A - Une faible résistance
1/. Des hommes politiques sans conviction
2/. Des manifestations apparemment inefficaces
3/. Un refus de mettre en danger son propre confort
4/. Un faux respect de l’apparente liberté d’autrui
5/. Si le Seigneur ne bâtit pas, c’est en vain que s’agitent les bâtisseurs
B – Un combat dont l’enjeu dépasse le fonctionnement de la vie sociale
1/. Il est plus facile de descendre une pente que de la remonter
2/. Un combat ayant une dimension eschatologique
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3/. Le recours à une novlangue
La terminologie aussi est adaptée pour masquer les réalités. Il y a deux façons de procéder qui ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Soit on commence par déformer le sens d’un mot pour le connoter de façon négative avant d’en affubler constamment l’adversaire à abattre, sans avoir le moindre souci de discuter le bien-fondé de sa position, soit on applique à une réalité un mot qui n’a rien à voir mais qui permet de nier la chose qu’il représente. Dans la première catégorie on trouve le mot « phobie », dans le second « interruption » ou, depuis peu, « traitement ».
Le mot phobie signifiait, jusqu’à ce que les médias l’utilisent pour stigmatiser celui qui n’adhère pas à la pensée unique, une peur confinant à la panique. Comme, en grec, homo signifie semblable, l’homophobie (1) n’est que la peur panique de son semblable. On en a fait la haine de l’homosexuel. De plus, le mot phobie renvoie à un univers médical. Dès lors le « phobe » doit être soigné et non pas convaincu, soigné et non pas raisonné, soigné au point d’être écarté, mis au ban de la société, à cause du danger de contagion qu’il présente. Si le « phobe » persiste alors il devient criminel et doit être traité comme tel. A quelque stade qu’en soit sa phobie, le « phobe » doit donc être isolé. C’est le pestiféré des temps modernes. Autrefois le pestiféré était mis au ban de la société, aujourd’hui le « phobe » est exclu du monde virtuel et des « réseaux sociaux » par la loi Avia.
L’islamophobe est une personne qui, jusqu’à ces dernières années, avait peur de l’islam ; aujourd’hui c’est quelqu’un qui est réputé avoir la haine des islamistes. Notons, au passage, l’usage abusif du concept de haine qui permet de discréditer l’adversaire et de ne pas discuter ses raisons.
Jusqu’à un passé récent, le mot traitement était réservé, en médecine, pour désigner une technique particulière de lutte contre la maladie ; avec la loi Leonetti-Cleys, le mot recouvre aussi tout ce qui relève des soins les plus élémentaires, c’est-à-dire de tout ce qui conduit à se soucier de l’autre. En transformant le soin en traitement, on évacue la dimension de solidarité entre les personnes pour ne plus considérer que de la technique individuelle. Si c’est l’autre qui est la raison première des soins du prochain, c’est le technicien qui est seul responsable du traitement qu’il applique. Le soin, par nature, résulte de la relation désintéressée ; le traitement n’est qu’une technique marchandable. Le bon Samaritain de l’Evangile n’a pas administré un traitement à l’homme tombé entre les mains des brigands, il en a pris soin.
Dans cette novlangue, comme disait Orwell, un avortement est rebaptisé – si l’on peut dire – interruption volontaire de grossesse. Le mot avortement, en effet, signifiant ne pas naître, renvoie inexorablement à une autre personne. En utilisant l’expression « interruption volontaire de grossesse », on supprime la référence à un autre d’une part et on présente l’opération comme étant un acte qui ne concerne que la femme seule et son apparence physique individuelle considérée à un moment donné d’autre part. En effet, une interruption n’est pas, en soi, un acte aux conséquences définitives puisque ce n’est qu’une suspension d’activité, une discontinuation. C’est aussi un trouble dans la jouissance d’un droit. Selon les canons de la mode, l’apparence physique de la femme n’est pas valorisée par la grossesse surtout lorsqu’elle veut se mettre en maillot de bain sur une plage ! Et l’expression elle-même coupe tout lien avec la vie en soi, niant d’autre part qu’il puisse avoir des conséquences ultérieures. Affaire exclusive de la femme en état de grossesse passagère, la porte était ouverte, dès l’origine à ce qui deviendra en 2017, au détour d’un amendement déposé en catimini au Parlement, le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse. Et comme l’expression était encore trop connotée par un usage antérieur, on ne désigne plus l’opération que par le sigle IVG. Cela devient donc un acte médical banal à traiter et rembourser au même titre que l’AVC.
Le mot « mariage » à son tour a été dénaturé. Mais comme il conservait encore dans l’esprit des personnes une connotation positive et qu’il fallait dans un premier temps le préserver, on a procédé en deux étapes. Dans un premier temps on a créé pour les homosexuels un pacte civil de solidarité ou PACS qui ouvrait aux personnes de même sexe la possibilité de faire reconnaître par la société civile leur union avec les conséquences de droit qui en découlait. Puis, comme l’expression choisie et son sigle n’ont jamais été présentés comme portant la même valeur que le mot mariage, on a dénaturé le sens de celui-ci en l’affublant d’un qualificatif : « pour tous ». Comme si, auparavant certaines catégories de personnes n’avaient pas le droit de se marier ! Comme s’il fallait donc donner un nouveau droit à certaines personnes qui en auraient été privées ! En fait, le nouveau droit qu’on leur a donné a été celui de dénaturer complètement le sens du mot mariage.
On a donc non seulement changé le sens du mot, mais aussi sa fin ultime. Le mariage n’est plus l’union complémentaire d’un homme et d’une femme qui fondent une famille stable – et perpétuent l’espèce –, il est devenu la reconnaissance par la société que deux individus s’aiment, à un instant donné. Le mariage n’emporte plus ni complémentarité ni stabilité. Aujourd’hui les deux individus qui se marient sont encore deux humains (qui peuvent déjà être du même sexe), mais demain il n’y aura aucune raison de ne pas accorder ce droit à des individus quel que soit leur âge, ou à deux mammifères d’espèces différentes (2) (au nom de quoi continuera-t-on à les discriminer ?), à deux hommes (ou femmes) « augmenté.e.s », à deux androïdes, etc.
L’insémination artificielle d’une femme, avec « donneur » anonyme est appelée procréation médicalement assistée et dès avant sa banalisation n’est connue que par son sigle PMA, ce qui en fait, de facto, un acte médical au même titre que, demain, la GPA, cette gestation pour autrui qui, d’un point de vue économique, ne sera qu’une simple « location d’utérus ». Pas question de nommer la GPA « maternité par substitution », qui marquerait trop nettement qu’une mère est impliquée dans le processus. La femme, qui était déjà réduite au rang de simple objet de jouissance pourra donc aussi être considérée par d’autres comme un objet « utile », au même titre que le bidet, comme le voulaient déjà les philosophes dits des Lumières, à la suite de Diderot. Ainsi de suite.
Les actes qui répondent à ces désirs d’un moment – caprices – à satisfaire toute affaire cessante, sont déclarés des actes médicaux ce qui permet d’en imposer le remboursement (3) rendant ainsi la totalité de la population complice de cette dérive. De banalisation en banalisation, ce qui est légal finit par être perçu comme moral. La moralité ne découle donc plus de la philosophie communément acceptée par l’ensemble de la société mais de la légalité imposée à cette société par la majorité relative du moment. Plus grave encore : insidieusement, les citoyens sont transformés en co-auteurs de ces actes de mort et de destruction de civilisation.
Avec l’affaire Vincent Lambert, l’homme a ontologiquement perdu sa dignité (4) puisque désormais ce qui fait sa grandeur, ce qui fait qu’il est digne d’estime, ce n’est plus le fait qu’il soit un homme mais le regard que les autres portent sur lui. Il n’est plus un être éminent par lui-même ; il est perçu comme étant digne de vivre ou non en fonction des arrière-pensées des uns et des autres, arrière-pensées essentiellement dictée par une peur égoïste de souffrir. Là encore, on a fait d’une pierre deux coups. Car l’on n’a pas simplement dénaturée la notion de dignité humaine on a aussi préparé une étape suivante en amalgamant, dans l’esprit du public, l’état végétatif d’un « légume » avec un état pauci-relationnel (5).
Quelle sera la prochaine avancée ? A quoi, cherche-t-on aujourd’hui à préparer nos esprits ? Certains « médecins » ou plus exactement manipulateurs génétiques, déclarent avoir réussi à « faire » un bébé à partir de trois parents. Dans un pays de l’Europe du Nord une jeune femme a déclaré avoir épousé son chien.
(1) : Le 14 octobre 2019, alors que l’Assemblée nationale s’apprêtait à voter l’extension de la PMA, Marie-Agnès Verdier faisait, sur le site de Boulevard Voltaire, le constat suivant. « Les députés ont rejeté, le 9 septembre, la reconnaissance des enfants nés par GPA à l’étranger. Ne soyons pas dupes, toutefois, de la politique des petits pas de la jurisprudence. Dans son discours solennel à la Cour européenne des droits de l’homme, en 2015, le président Dean Spielmann affirmait que « la CEDH impos[ait] à l’Europe, progressivement, la GPA, selon un rythme voulu par la Cour : celui, polyrythmique, de la Danse sacrale de Stravinski ». Avec la reconnaissance, dernièrement, par la Cour de cassation, d’une GPA d’enfants nés à l’étranger, se réalise la prophétie « de réduire à néant non seulement la faculté pour les États d’interdire la GPA mais la légitimité d’un tel choix législatif ».
Deux pas en avant, un pas en arrière. On lance la GPA, on se rétracte. La GPA est la « ligne rouge infranchissable » mais on n’a pas le droit de « punir les enfants ». On réaffirme la « doctrine » de ne pas « retranscrire automatiquement » les naissances d’enfants nés à l’étranger. On rappelle à l’envi l’hostilité du Président à la GPA. L’important est que la victoire des époux Menesson « du droit sur la morale » soit « emblématique ». Qu’elle « fasse jurisprudence ». Ainsi s’installe la casuistique dans les cours de justice. Madame le garde des Sceaux va veiller à l’harmonisation des cours. Pourquoi la circulaire Taubira du 25 janvier 2013 ne suffisait-elle pas ? Parce qu’une circulaire n’est pas une loi. On voit venir la chose : pas forcément facile. Mais les nouveaux jésuites, au toupet d’hermine, ont, pour leurs semblables, une charité de Samaritains… »
(2) : L’homophobie est un mot qui a été forgé pour discréditer ceux qui n’acceptent pas le concept de « non-discrimination sexuelle ». Mais ce concept de non-discrimination sexuelle est lui-même constitutif d’un non-sens puisqu’il est formé à partir de mots qui signifient l’interdiction de séparer ce qui est séparé par nature.
(3) : La commission de la transparence de la Haute Autorité de santé (HAS) a considéré en 2019 que l’homéopathie ne doit plus être remboursée car son efficacité n’est pas prouvée. Pour autant, le gouvernement persiste à annoncer le remboursement à 100 % de la Procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de femmes et les femmes seules, si elle était adoptée à l’occasion de la révision de la loi de bioéthique. Elles seraient alors exonérées du ticket modérateur comme si leur « opération » était rendue nécessaire par une maladie grave menaçant jusqu’à leur vie même. Pour pouvoir continuer à financer à 100 % ces œuvres de mort, le gouvernement a déjà sorti en 2011 de la liste des maladies graves ou « affection de longue durée » l’hypertension artérielle sévère puis décidé en 2018 de sortir de la liste des médicaments « irremplaçables » ceux destinés à lutter contre la maladie d’Alzheimer.
(4) : Monseigneur d’Ornellas s’est interrogé : « Comment trouver un autre mot [que dignité] pour exprimer ce qu’il faut bien appeler un « mystère » ? Comme signifier que personne ne peut mettre la main sur un être humain, que ce dernier ne peut jamais être considéré comme un simple moyen mais toujours comme une fin, qu’il surgit dans l’existence d’une façon gratuite comme un don qui nous est effectivement donné et que nous avons à recevoir gratuitement, comme une promesse avec ses talents et sa liberté qui peuvent enrichir le « nous » qui nous rassemble, comme un être unique qui n’a jamais existé auparavant et qui ne ressemble à aucun autre. Dans le fond, employer le mot « dignité », c’est affirmer cette unicité absolue de chaque être humain qui, en définitive, ressemble à tous les autres par cette caractéristique particulière : chacun est unique, donné gratuitement à tous les autres » (« Bioéthique », Balland, 2019, p. 104).
(5) : Selon le dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey, le préfixe pauci « est un élément servant à former quelques termes d’histoire naturelle, tiré du latin pauci « un petit nombre », par exemple dans PAUCI-FLORE adj. [1795] qui ne porte que peu de fleurs ». « Pauci-relationnel » signifie donc : qui a peu de rapports réciproques » et non pas, comme on le laisse entendre quand on parle de « légume », avec qui on ne peut pas entrer en rapport. Et, comme « petit nombre » est une notion subjective d’une part et que le terme relation peut servir à couvrir de nombreux types différents de rapports, gageons que demain on saura utiliser l’expression dans le sens qui servira à faire « avancer » les esprits.
La technocrature, maladie sénile de la démocratie : 9/11
Résumé : En 2017 la technocrature à pris le pouvoir pour sauver la démocratie disqualifiée par son élite politique. Insatisfaite de l’explication par le complotisme d’ultragauche et celle du référentiel populiste, l’Action française analyse la technocrature comme un phénomène de physique sociale. Utilisant la loi historique « du développement d’oligarchies nouvelles », elle découvre que Bonaparte a crée une nouvelle classe de privilégiés. Ce « pays légal » est un système oligarchique circulaire où trois élites financière, politique et médiatique se completent pour s’épanouir dans la République. Avec la V° République la Technocratie se constitue en quatrième élite. Avec dépérissement de la société industrielle sous Giscard et Mitterand, la technocratie surmonte son conflit avec l’élite politique et fait prendre le virage mondialiste au pays légal.
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Répartition de l’élite politique
Les grandes familles républicaines, l’Etablissement, préfèrent que la France soit gouvernée au centre. Le jeu de bascule entre un centre droit et un centre gauche leur permet d’imposer le pouvoir de l’argent.
L’observation historique de la nouvelle classe des privilégiés issue du Directoire, montre une élite politique effectivement divisée : « Disons pour simplifier que le centre-droit est composé d’anciens royalistes et de catholiques ralliés, le centre gauche de maçons. Certes, les cartes ont été brouillées. Il y a de nos jours, des maçons de centre-droit, ralliés à Giscard, et des chrétiens de gauche… Mais, en gros, la démocratie chrétienne.. est demeurée fidèle à Giscard tandis que la maçonnerie, par ses gros bataillons fournissait à Mitterand la victoire. »
Nul pacte secret entre ce centre-droit et ce centre-gauche. Ils se combattent durement, pour une basse mais simple raison. La faction victorieuse s’empare des postes les plus juteux, ne laissant à l’autre que les miettes du festin républicain.
Depuis la présidentielle de 1974, la répartition droite-gauche de l’élite politique s’équilibrait. Giscard puis Mitterand ne l’emportèrent que d’une faible marge. Il suffisait de 1 % pour que la victoire change de camp avec tous ses avantages.
Elite politique et souci nationaliste
D’où l’idée de Mitterand d’introduire le gravier nationaliste dans le soulier de la droite, comme De Gaulle avait mis le caillou communiste dans la chaussure de la gauche. Il offre donc à l’orateur Jean-Marie Le Pen le tremplin médiatique d’une émission de grande écoute, un peu avant les élections européennes de 1984. Le Front National y obtient un spectaculaire 10,95 % des voix. Succès pour Mitterand mais symptôme électoral d’une démocratie affaiblie.
C’était jouer à l’apprenti sorcier. Le pseudo feu de paille d’un minuscule parti nationaliste ayant fait 0,44 % des voix aux législatives de 1973, va se transformer en une force populiste de 33,94 % à la présidentielle de 2017. Le virage mondialiste et européiste soutenu par la Technocratie n’est pas pour rien dans ce phénomène.
C’est sous le pied de l’élite politique au complet et non de la seule droite que le caillou a été mis. Ce petit caillou est devenu grand, au point que le Front National va être le principal, sinon l’unique souci de l’élite politique pendant les vingt-deux années des mandats de Jacques Chirac (1995-2007), de Nicolas Sarkozy (2007-2012) et de François Hollande (2012-2017). Un souci pouvant d’ailleurs aussi être utilisé comme Joker « plafond de verre » pour gagner la présidentielle. Ce que fait Chirac en 2002 pour obtenir un score de 82,21 % et transformer la Ve République, de fausse république-monarchiste en véritable république bananière.
La lutte contre le nationalisme devient l’objectif principal et le souci permanent de l’élite politique à partir de 1986. Année où le Front National obtient trente-cinq députés au Palais-Bourbon et un groupe parlementaire. Un simple exercice de physique sociale mené par Pierre Debray permet de comprendre que « les exclus du Système » sont la conjonction des victimes du mode de gestion technocratique, née de la rencontre des classes moyennes et des couches de la classe ouvrière qui se savent condamnées par les mutations technologiques. Ces exclus, justement qualifiés par Pierre-André Taguieff de nationaux-populistes, deviennent les empêcheurs d’oligarcher en rond. D’exclus du Système, ils en deviennent les ennemis objectifs. La situation se dégrade pour le pays légal, déjà perturbé par l’apparition de la Technocratie comme élite supplémentaire grippant la quadrature du cercle de l’oligarchie démocratique.
Dans la répartition des rôles, le règlement du problème populiste relève de l’élite politique soutenue par l’élite médiatique. En revanche, malgré la diversité des stratégies utilisées, légales, judiciaires, front républicain, découpage électoral, immunité parlementaire, diabolisation… l’élite politique prouve son incapacité chronique à régler le caillou nationaliste. Pour l’élite financière, l’élite politique échoue dans son rôle essentiel. Pire, le national-populisme est devenu une pièce majeure du grand échiquier de la révolte des peuples contre les élites mondialisées. Pendant ce temps, la Technocratie continue de servir les intérêts de l’Etablissement en s’appuyant sur le virage mondialiste pris sous Giscard et Mitterand. Tout comme les trois métastases de la démocratie continue de se développer : la désindustrialisation, la société multiculturelle et la perte de souveraineté.
Echec du centre-droit identitaire
La plus sérieuse tentative de l’élite politique fut de relancer un clivage droite-gauche, par un bipartisme sachant digérer le populisme. Une élite politique alternant une Droite et une Gauche avec une politique économique proche mais bien séparées idéologiquement. C’était aller un peu dans le sens de la stratégie pour « sauver la République », préconisée par Pierre-André Taguieff à la place de la diabolisation.
La tentative du centre-droit va échouer derrière un Sarkozy (2008-2012) tentant de revenir idéologiquement sur l’identité nationale, cornaqué par le « sulfureux » Patrick Buisson, connaisseur des travaux de Raoul Girardet et Philippe Ariès. Les électeurs lepénistes tentés à la présidentielle de 2007 par une droite sachant redevenir elle-même se sentent rapidement trompés par un Sarkozy qui s’aligne immédiatement sur la doxa du gauchisme culturel synthétisée par Jean-Pierre Legoff : antiracisme de nouvelle génération à tendance ethnique et communautaire, histoire revisitée à l’aune pénitentielle, écologie punitive, féminisme et homosexualité transformés en ayants droit, sans oublier le pédagogisme libertaire, la provocation comme nouvelle marque de distinction, l’art contemporain devenu art officiel.
Echec du centre-gauche social
En 2012 les populistes trompés retournent vers le lepénisme et les conservateurs, boudant leur tigre de papier, lâchent Sarkozy. C’est la chance d’un centre gauche qui derrière Hollande (2012-2017) veux tenter de revenir à la lutte contre les inégalités et s’exclame : « Mon adversaire, c’est le monde de la finance ».
Coupée depuis Mitterand de la classe ouvrière, la gauche n’a aucune chance de revenir au social. Il ne lui reste donc comme marqueur que le libéralisme sociétal. D’où l’importance démesurée prise par la libéralisation des mœurs : mariage « pour tous », avortement, homosexualité, gender. Pour cela le gouvernement centre-gauche va « mettre le paquet » et revenir aux fondamentaux de la IIIe République. Il va même friser la caricature, tant sa capillarité avec la franc-maçonnerie s’affiche criante auprès de l’opinion et provocatrice vis-à-vis du monde catholique. Hollande se rend même au siège du Grand Orient de France, ce qu’aucun président de la République n’avait fait ni sous la Ve ni sous la IVe. Gouvernement de centre-gauche appuyé sur la franc-maconnerie ; gouvernement de clan, despotisme de coterie disait Maurras avant 1914. Gouvernement méprisé par Berlin et Washington humiliant la Ve République par la suspension de la livraison à la Russie des fleurons de notre industrie de défense navale, les bâtiments de classe Mistral (combien d’emplois ouvriers à la clé ?). Déconfiture sociale total du centre-gauche masquant son échec par la guerre au Mali et la répression ahurissante des familles catholiques de La Manif Pour Tous.
Alternance de façade ou Système ?
Oui, le double échec de l’élite politique à relancer un clivage droite-gauche met le système oligarchique circulaire à nu. L’opinion ne distingue plus de différence entre le centre-droit et centre-gauche. L’élite politique est discréditée par la prise de conscience du faux-semblant de l’alternance entre une Droite et une Gauche, pratiquant la même politique économique derrière la même doxa culturelle.
L’alternance de façade fait écrire à Alain de Benoist : « Le tarissement de l’offre électorale, le recentrage des programmes, la fin des clivages traditionnels, l’abandon du socialisme par la gauche, et l’abandon de la nation par la droite, la conversion de la social-démocratie à l’axiomatique du marché, le fait que les élections ne débouchent jamais sur une véritable alternative, mais seulement sur une alternance (avec de surcroît des gouvernements de droite qui font une politique de gauche et des gouvernements de gauche qui font une politique de droite), bref tout ce qui fait que le Système apparaît désormais nettement comme un système… ». Ce Système malade c’est la démocratie ; la démocratie réelle, pas la démocratie rêvée. Un système démocratique pourrissant par son élite politique, par sa tête comme le poisson.
Le mensonge comme mentalité
L’ampleur du discrédit de l’élite politique devient paroxysmique avec la succession des scandales ponctuant ces années-là. L’affaire Bettencourt de 2010 contraint le ministre du Travail Eric Woerth à quitter ses fonctions ; découverte en 2011 de la sordide réalité sexuelle de Dominique Strauss-Kahn, favori pour l’élection présidentielle, président du Fonds monétaire international, l’un des hommes les plus puissants au monde. Arrive 2012, avec les comptes cachés du ministre du Budget Jérôme Cahuzac, qui, lâché par les loges maçonniques, quitte le gouvernement en clamant son innocence mais finit par avouer ; exhumation de la liaison dangereuse Sarkozy-Kadhafi au tarif de 5 millions d’euros. En 2013, information judiciaire pour « blanchiment de fraude fiscale » visant Patrick Balkany. Puis 2014 voit la vie médiatico-amoureuse de François Hollande étalée publiquement entre une actrice et une journaliste. La fraude aux fausses factures de l’affaire Bygmalion percute Sarkozy et Jean-François Copé démissionne de la tête du parti.
Est-ce le retour de la « République des copains et des coquins » dénoncée par Michel Poniatowsky ? C’est plutôt pour l’opinion la mise en évidence la culture du mensonge comme socle de la mentalité de l’élite politique démocratique.
Désaffection au consentement démocratique
Cette culture du mensonge sur laquelle repose l’élite politique, accentue le discrédit « du dégoût » se traduisant par la désaffection du pays réel vis-à-vis de la démocratie représentative. Cette désaffection est sensible électoralement depuis 1978, où la participation aux législatives était de 82 % et ne cesse de décliner pour passer maintenant sous la barre fatidique des 50 %. Cette sourde désaffection inquiète l’élite financière. Elle demande aux technocrates de Sciences-Po la mise en place d’un baromètre annuel de la confiance politique (CEVIPOF), reposant sur le consentement du gouverné. En votant, le citoyen ne choisit pas seulement un candidat, il soutient la démocratie. Cet indicateur reposant sur les inscrits des listes électorales, donc attachées à la démocratie, révèle le phénomène de « fatigue démocratique ». L’abstention va atteindre la taux record de 57,3 %. Méfiance et dégoût concrétisent le rejet de l’élite politique dont les responsables sont perçus comme indifférents, éloignés et corrompus à 74 %. Le réel percute l’élite financière car 61 % des sondés ne font plus confiance aux politiques de gauche comme de droite et c’est à l’égard de leurs élus, que les citoyens expriment le plus de doutes et de colère à 88 %. D’ailleurs 72 % d’entre eux considèrent les élus comme plutôt corrompus.
En 2016 l’inquiétude de l’élite financière est totale car le discrédit de l’élite politique commence à s’étendre aux deux autres élites historiques. Les Français ne font plus confiance aux médias à 73 % et 70 % ne font pas confiance aux banques. L’élite financière commence à induire une hypothèse sombre. Certes, l’élite politique est parvenue à maintenir hors du jeu les mouvements se voulant « hors Système » mais si le pays réel, après avoir essayé la Droite et la Gauche, se laissait tenter par le populisme… Une opinion totalement écœurée ne serait-elle pas prête à tout ?
L’élite financière, ces dynasties républicaines envisagent alors de rompre le système circulaire d’origine en substituant l’élite technocratique à l’élite politique.
Germain Philippe
(A suivre )
Pour suivre les 8 précédentes rubriques de la série « La Technocratie, maladie sénile de la démocratie »
Hold-Up démocratique
Complotisme d’ultra-gauche intéressant
Comment analyser les élites du pays légal
Intérêt du référentiel populiste
Oligarchie-Nomenklatura-Pays légal
Les élites du pays légal
Origine de la Technocratie
Mutation-mondialiste-du-pays-legal