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Michel Onfray : “Il nous faut opposer un Front Populaire au Front Populicide qui méprise, néglige et passe par-dessus le peuple”, par Nicolas Clément.

Source : https://www.valeursactuelles.com/

Le 12 avril, Michel Onfray et Stéphane Simon annonçaient la création de leur nouvelle revue de combat : Front Populaire. A travers ce média, le philosophe engagé entend organiser la convergence des souverainismes de gauche et de droite, tout en donnant une voix à l'ensemble du spectre contestataire de la société civile. Son objectif : imaginer “un avenir souverainiste, aux antipodes du rêve anti-social et anti-civilisationnel de Jupiter…” Entretien.

Valeurs actuelles. Quand vous est venue l’idée de créer cette nouvelle “machine de guerre pour la plèbe” ?
Michel
Onfray. Le pouvoir m’a évincé de France-Culture où mon cours d’université populaire a été retransmis avec de véritables succès d’audience pendant une quinzaine d’années. Le maire de Caen LR, compatible avec Macron, s’est étonnement mis dans la situation d’être incapable de me trouver une salle pour que je puisse y donner mon cours pendant deux années, je lui avais laissé le choix du jour et de l’heure … L’université de Caen a convoqué un conseil d’administration pour voter massivement contre moi : ils ont refusé de me   louer la salle trois mille euros par séance – quatorze étaient prévues chaque année…- sous prétexte que les contenus de mes cours n’étaient pas scientifiques ! Le patron du Zénith, où j’ai une année donné mon séminaire en quatorze séances sur sept jours, a empoché 15.000 euros afin de payer une publicité de l’événement qu’il n’a jamais faite – ce que j’ai rendu public et qui n’a ému personne, pas plus d’ailleurs qu’avec les autres informations… Je me suis donc trouvé à la rue.

J’ai sollicité mon ami Stéphane Simon, qui m’avait proposé de créer notre webtv, ce que nous avons fait en 2018, en lui disant que je n’avais pas envie de me faire museler de la sorte et qu’il n’était pas question qu’on me fasse taire. Je lui ai demandé ce qu’on pouvait faire. Il m’a tout de suite proposé de créer cette revue – je ne l’en remercierai jamais assez…                                                                    

Qui sont les fondateurs ou inspirateurs de la revue en dehors de vous et M. Stéphane Simon ?
Lui et moi – et d’abord lui d’ailleurs comme je viens de vous le dire… Ensuite, la formidable équipe de Télé-Paris qui est faite d’amis efficaces, autrement dit une petite poignée. Nous avons posé les principes de cette revue : un lieu où l’on constitue un front populaire souverainiste, le mot populiste ne nous faisant d’ailleurs pas peur non plus,  rassemblant aussi bien des gens de droite que de gauche. Cette équipe réunit des femmes et des hommes pour qui recouvrer les moyens d’une politique afin de la mener en faveur du peuple français s’avère le premier objectif. Ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous sépare. Dans cette communauté d’amis, on ne trouve aucun  de ces populicides – pour utiliser le mot créé par Gracchus Babeuf…- qui oublient, négligent, méprisent le peuple et ses votes.  De Mitterrand I et II à Macron en passant par Chirac I et II, Sarkozy, Hollande, ils l’ont tous été.

Peut-on considérer cette nouvelle initiative comme la suite logique de l’Université Populaire de Caen dans un pays qui se radicalise ? 
D’une certaine manière, oui. Car j’ai beaucoup mis en avant les projets de Condorcet et Diderot qui   proposaient de « rendre la raison populaire ». Disons qu’avec l’UP, il s’agissait de la Raison sans plus de précision et j’abordais très peu les questions politiques dans la partie du cours.

Le progrès n'est pas une valeur en soi

Avec Front Populaire, il s’agit plus particulièrement de raison politique. Mes amis et moi souhaitons qu’on puisse ne plus faire de souverainiste et de populiste des insultes : comment disposer des moyens d’être soi et de diriger son destin a-t-il pu devenir un projet infamant ? De même : comment fonder une politique sur la volonté du peuple en estimant que la république et la démocratie définissaient le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, est-il devenu lui aussi un objectif méprisable ? La radicalisation se trouve aujourd’hui du côté des nihilistes qui se prétendent progressistes. Mais le mal peut progresser lui aussi, de sorte que le progrès n’est pas une valeur en soi. C’est juste la croyance un peu naïve que demain sera obligatoirement meilleur qu’aujourd’hui. L’impératif catégorique des progressistes est formulé par  Rosemonde Gérard : «  Plus qu’hier, moins que demain ».

Votre revue sera-t-elle davantage un organe “d’éducation populaire” ou plutôt un journal politique d’opinion ?
Les deux. La culture, quand il s’agit vraiment d’elle, est révolutionnaire : lire Balzac ou Condorcet, La Fontaine ou La Rochefoucauld, voilà de quoi penser aujourd’hui pour préparer demain. D'ailleurs, nous aurons une rubrique, tenue par Frank Lanot, ami écrivain et professeur de lettres à Caen, dans laquelle nous proposerons des lectures pour aller plus loin. Mais nous ne nous contenterons pas de penser des livres et des idées. Nous nous occuperons également du monde dans lequel nous nous trouvons. Et ce pour le rendre moins pénible à vivre…

Auquel cas, la rédaction serait-elle prête à œuvrer lors d'éventuels mouvements populaires (tracts, discours, manifestations etc.) ?
Non. C’est un laboratoire d’idées qui n’exclura pas, le temps venu, d’envisager de peser lors des élections présidentielles — comment éviter ce rendez-vous ? Mais pas pour soutenir des candidats en relation avec des partis. Nous voulons plutôt contribuer, si cela est faisable et tenable, à faire émerger une candidature issue de la société civile. Nous ne voulons plus de ceux qui ont traîné dans les partis…

Albert Camus évoquait sa conception du journalisme en ces termes : « Informer bien au lieu d'informer vite, préciser le sens de chaque nouvelle par un commentaire approprié, instaurer un journalisme critique et, en toutes choses, ne pas admettre que la politique l'emporte sur la morale ni que celle-ci tombe dans le moralisme. » Avec Front populaire, souhaitez-vous renouer avec la tradition “camusienne” de Combat ?
Vous ne pouvez pas me faire plus plaisir qu’en citant Camus pour lequel j’ai une véritable admiration. Il peut être un maître bien souvent mais aussi en journalisme, car, dans ce domaine comme dans tous les autres, il a été remarquable : précision, rigueur, éthique, morale, engagement, respect des faits, commentaire haut-de-gamme, lisibilité. Il reste un modèle. Car le journalisme est un métier formidable, quand il est pratiqué dans cet esprit, mais le pire auxiliaire des pires pouvoirs quand il se met aux ordres de l’un d’entre eux. A l’heure où nous nous entretenons, Reporter sans frontières vient de livrer son classement : en 2019, nous étions 32ème , en 2020 nous rétrogradons à la 34ème  place. Le Ghana et la Namibie sont devant nous… Nul besoin de vous dire qu’on ne trouve cette information dans aucun journal du politiquement correct…

 Il existe un Front populicide qui méprise, néglige et passe par-dessus le peuple.

Chez beaucoup de français, le nom “Front populaire” renvoi à un célèbre épisode historique d’union de la gauche. Pourtant, avec votre revue, vous avez choisi d’outrepasser le clivage gauche-droite pour défendre “l’union des souverainistes.” Malgré cette annonce, certains se demandent si les souverainistes-conservateurs seront réellement les bienvenus. Quelles personnalités de cette mouvance comptez-vous accueillir dans vos rangs ? 
Je précise que Front populaire est à double entrée : d’abord ça n’est pas une revue historique consacrée à cette période historique. Ensuite, quand nous renvoyons à ce moment là, c’est juste pour dire qu’il y a eu dans l’histoire des revendications populaires légitimes qui ont été obtenues sans violence, sans tribunal révolutionnaire et sans guillotine. Les congés payés n’ont pas été obtenus avec du sang versé.

Quand il y a volonté de contribuer à la grandeur à la France, l’immigration est bienvenue, mais malvenue dans le cas contraire.

 

Enfin, un front populaire est également une expression qui renvoie à la technique militaire de l’agencement des forces.  Il existe un Front Populicide qui méprise, néglige et passe par-dessus le peuple : c’est celui du camp que je nomme les “maastrichien” de droite et de gauche - PS, EELV, MODEM, UDI, LR. Macron, du moins ce qu’il en reste, est pour l’heure leur chef, quoi  qu’on en pense. 

Il nous faut opposer à ce Front populicide un Front populaire qui, au-delà du clin d’œil historique, permette le rassemblement des souverainistes de droite et de gauche avec un programme commun sur l’immigration qui n’est ni une chance, comme le dit la gauche, ni une calamité, comme l’affirme la droite, mais l’occasion de dire que, quand il y a volonté de contribuer à la grandeur à la France, l’immigration est bienvenue, mais malvenue dans le cas contraire.

Au début du XXème siècle, des syndicalistes révolutionnaires et des maurassiens se sont rassemblés autour de la figure de Proudhon, dans un effort commun pour combattre le pouvoir dominant de leur époque. Avec cette nouvelle revue, n’essayez-vous pas de recréer un Cercle Proudhon ? Auquel cas, ne craignez-vous pas d’être associé à la dérive “rouge-brune” de penseurs tels que Valois, Sorel etc.
Non je n’essaie pas de refaire le Cercle Proudhon, car nous avons changé d’époque. Oui nous allons bien sûr être insultés, ça a d’ailleurs commencé sur France Inter. Et ce sera naturellement le cas avec le slogan très années quatre vingt “rouge-brun”, un réflexe pavlovien parmi les défenseurs de l'État libéral total. 

C’est un lieu commun en même temps qu’un faux argument de vrai paresseux – je pourrais même vous écrire l’éditorial que publierait BHL… C’est aussi fallacieux que d’aller chercher les nazis ont été impliqués dans la construction de l’Europe de Jean Monnet, celle de Maastricht, en croyant que cela suffirait pour lutter contre les idées de ce monsieur…       

Dans votre texte D’un Front qui serait populaire, vous défendez que l’inaction mènerait la France vers le “populicide”. En sommes-nous véritablement arrivés à ce point : “Souverainisme ou barbarie” ? 
Je pense que la négation du Non au référendum sur le Traité européen en 2005 et le passage en force au Congrès de ce même texte, devenu traité de Lisbonne, imposés par les maastrichiens de droite et de gauche en 2008 – Sarkozy & Hollande –, fut un coup d’Etat qui, certes, n’a pas installé la barbarie mais plus sûrement un régime autocratique qui en a fini avec la démocratie et la république. Ça n’est pas la barbarie, mais poursuivre dans ce chemin y conduirait.

Dans le même texte, vous annoncez vouloir « faire émerger le jour venu le nom de qui pourrait porter la cause du peuple contre les populicides ». Cette volonté de trouver un “nom” n’est­-elle pas en contradiction avec votre conception proudhonienne, girondine, mutualiste et libertaire du politique ? 
Il faudrait longuement parler de Proudhon… Car il existe beaucoup d’ignorance ou de méconnaissance sur la pensée de cet homme qui a évolué. Le dernier Proudhon, celui de Théorie de la propriété, défend une « anarchie positive » qui préconise l’existence d’un Etat garantissant l’organisation mutualiste, fédéraliste et autogestionnaire de la société. C’est un modèle girondin, le mien. 

Il faut jouer le jeu d'un candidat qui puisse porter un projet girondin

Or, nous sommes dans la configuration jacobine de la Ve République. Sauf à conseiller le coup d’État classique, qui suppose l’illégalité, la violence, les voies de fait - ce que nous récusons - il faut jouer le jeu d’un candidat qui pourrait porter ce projet girondin. Je vous rappelle que le projet de décentralisation qu’eut le général de Gaulle montre qu’il n’y a pas autant contradiction qu’on voudrait bien le croire…

Dans la même logique, n’avez-vous pas peur de vous constituer en “avant-garde éclairée” du peuple, concept léniniste que vous rejetez depuis toujours ?
Non, justement, pas du tout. Notre logique est clairement non-violente. Elle est “conseilliste”, autogestionnaire pour réactiver un mot oublié. Sûrement pas léniniste — nous laissons la référence léniniste à la France Insoumise et au PCF.

Pourquoi ne pas vouloir incarner vous-même la riposte contre “l’État-Maastrichien” ? Beaucoup seraient prêts à vous suivre…
Il me manque des compétences, des savoirs, des talents, des traits de caractère. Il me faudrait un argent dont je ne dispose pas et des soutiens financiers qui ne viendraient pas. Il me faudrait un réseau constitué depuis longtemps avec une diversité de gens qui excellent dans des domaines majeurs, l’armée, la police, les affaires étrangères... Je suis un homme seul. Mais il y a surtout une raison majeure : je n’en ai pas du tout envie ! Je n’imagine pas ma vie sans l’écriture, sans les lectures et le travail qui va avec. Je tiens à ma liberté plus qu’à tout.

Commentaires

  • Michel Onfray a le courage de s'opposer au "Système" mais il le réduit à 'l'Etat-Maastrichien", hors, le "Système" est bien antérieur à Maastricht. D'ailleurs, il doit bien le savoir, lui qui a un penchant sentimental pour les Girondins. C'est là le paradoxe de Michel Onfray, car il veut lutter contre Maastricht mais rester dans le Système. Rien ne changera ! Lorsqu'il affirme qu' "il faut jouer le jeu d'un candidat qui puisse porter un projet girondin". Michel Onfray semble oublier que ces mêmes Girondins se sont fait prendre à leur propre jeu. Ce sont eux qui ont voulu la guerre en 1792, une guerre qui va durer jusqu'en 1815 et profondément affaiblir la France. Leur objectif était d'affaiblir le roi, de le déclarer coupable de trahison avec l'Autriche et de s'en débarrasser. Ils ont ainsi fait le lit des Jacobins. Lorsqu'ils vont s'apercevoir de leur erreur, il sera trop tard. Ils attaqueront Robespierre sans avoir assuré leurs arrière. Celui-ci va les mettre à l'épreuve de bon républicanisme avec le régicide. Dès lors, il vont vouloir sauver la tête du roi pour sauver la leur. Cela ne changera rien. Ils ont échoué et restent, qu'on le veuille ou non, les responsables des malheurs de la politique extérieure de la France. Ils auront été les "idiots utiles" des Jacobins, car, ceux-ci étaient les vrais détenteurs du pouvoir puisqu'ils tenaient la Commune de Paris et l'émeute.
    Alors, un "projet girondin" ? La vraie question est comment sortie de ce "Système" né avec la Révolution française ? La piste girondine des Brissot et Vergnaud n'est pas viable.

  • Je vais défendre Michel Onfray qui a le mérite de la franchise et un vrai souci du peuple. Son refus du léninisme est encourageant comme du Robespierrisme. Certes, je ne suis pas partisan des Girondins, qui ont été les victimes de l'engrenage qu'ils ont eux-mêmes mis en route , mais enfin n' avons nous tous été plus ou moins broyé par l'histoire ? Et nous nous sommes relevés. ou avons tenté de le faire. ; Michel Onfray en parlant des Girondins veut dire,me semble-t-il- un modèle de réformes non violente, , répudiant la guillotine et la terreur, c'est cela qu'il faut retenir , ce que des royalistes de bonne foi ne répudient pas, bien au contraire. Oui, il rejoint le refus viscéral de Camus du régicide et de sa glorification, qui a fondé notre régime. qui agonise....... Il faut répondre à sa bonne foi, à sa volonté de refondation , après on pourra toujours revenir sur les Girondins, et n’oublions pas que l’histoire a besoin de personnes intelligentes et sincères dans leurs passions parfois mal orientées en répudiant leurs lunettes idéologiques; Fouché, qui avait un passé lourd, a su être mieux que des royalistes l'artisan ( après Talleyrand en 1814) de la Restauration en 1815 contre les jacobins indécrottables; L’intelligence et l’amour de son pays, de son destin, peut entrainer des conversions. N'imposons pas nos convictions, l’histoire n'est jamais un chapitre clos.. C'est bien ce que nous voulons, continuer notre histoire...

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