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En ce 9 novembre 2020, pour le cinquantième anniversaire de la mort de De Gaulle, on mesure, en voyant Macron au bas de l’immense croix de Lorraine, non loin de Colombey, à quel point l’œuvre du général, pour nécessaire qu’elle fût, s’est conclue par un échec.
La quasi-unanimité que sa figure suscite dans la classe politique en est paradoxalement l’expression. En devenant un totem, celui de la République, la figure historique du général De Gaulle s’est figée sur les deux événements fondateurs de sa légende sans, pour autant, que cette légende ait réussi à demeurer féconde. Ces deux événements, pour lesquels les Français conservent encore la mémoire du général, sont évidemment le 18 juin 1940 et le coup d’État de mai 1958, deux événements dramatiques, comme la république en provoque régulièrement, et qui suscitent l’appel au soldat, réclament l’homme providentiel. L’action du général De Gaulle, et, par suite, le gaullisme, ont ainsi surgi, par deux fois, des décombres d’une république en décomposition. Mais, à chaque fois, l’échec fut au bout, si l’on veut bien faire l’honneur au général De Gaulle de penser qu’il avait pour ambition d’inscrire son action dans une durée qui dépasse l’événement. C’est que, par deux fois, à son corps défendant, on veut bien le croire, il réinscrivit les partis dans le jeu politique.
Si l’appel du 18 juin 1940 et, plus encore, l’attitude ferme que De Gaulle, en tant que chef de la France Libre, opposa à des Américains désireux de faire de la France un protectorat, permit à notre pays d’être dans le camp des vainqueurs en 1945, en revanche, la rénovation des institutions dut attendre. Parce que De Gaulle avait relégitimé, dès 1942, les partis à Alger afin de donner des gages aux Alliés, ainsi qu’à un pays légal failli, qui voyait en lui une planche de survie, dès janvier 1946, les hommes du passé chassèrent l’homme de l’Histoire. De même, on sait le désastre politique que fut la IVerépublique. En 1958, le recours à De Gaulle permit de restaurer l’État, dont la déliquescence aurait pu, à plus ou moins brève échéance, sur fond de guerre d’Algérie, provoquer une guerre civile. Mais, malheureusement, comme en 1946, les partis ressortirent bientôt, pour employer un mot de Pierre Boutang, de la « grande besace » du général où il les avait rangés au tout début des années 60. Ils le firent même, comble de l’ironie, mais surtout signe de l’échec monumental du général, à l’échéance électorale dont l’objet précis était de mettre définitivement fin au règne des partis, c’est-à-dire au premier tour de l’élection présidentielle de 1965. Alors que De Gaulle rêvait de voir l’élection au suffrage universel du président de la république déboucher sur une transformation radicale du citoyen-électeur dont naîtrait une dialogue direct entre le peuple et un homme, le ballottage de décembre 1965 dissipa cette espérance qui n’était qu’une chimère.
Certes, l’État, en raison du parlementarisme rationalisé et du phénomène majoritaire, recouvrait stabilité et puissance. Il ne recouvrait pas, en revanche, son indépendance. On dit que De Gaulle, lucide sur l’impossibilité, en France, de trouver la bonne république, pensa au comte de Paris de l’époque, le grand-père de l’actuel comte de Paris, comme successeur. Nous ne saurons jamais dans quelle mesure il y pensa réellement. Du long dialogue qui s’instaura durant les années 50 et 60 entre le général et l’héritier de nos rois, ressort, en revanche, une chose certaine : le comte de Paris fut d’une lucidité implacable sur l’échec institutionnel du général De Gaulle. Il suffit de relire le Dialogue sur la France [1], comme les derniers Bulletins, à la publication desquels le prince mit fin en 1967. De Gaulle, en refusant de s’attaquer sérieusement aux fondations, avait finalement bâti sur du sable.
Le fait que l’homme qui incarne sans filtre, sans aucune pudeur même, l’oligarchie, se soit incliné devant la tombe du général De Gaulle, ce 9 novembre, crie cet échec, puisque c’est en tant qu’actuel président de la Ve République qu’il était là. Cet État restauré et fort a finalement favorisé, de toute sa stabilité recouvrée, le contraire de ce à quoi il était destiné. Faute également d’une réforme intellectuelle et morale dont la France avait tant besoin au sortir de la IVe République et dont De Gaulle ne s’est absolument pas soucié, cet État, progressivement recolonisépar les intérêts partisans et oligarchiques, a favorisé sa propre soumission à des instances supranationales et, par-delà, l’asservissement de la France. Et il l’a fait sur fond de neutralisation idéologique, qui a même atteint une haute fonction publique désormais largement dénationalisée et qui ne croit plus en la France.
Certains ont rêvé, un temps, de « couronner » la VeRépublique : laquelle, serait-on tenté de demander ? Car celle de 2020 n’est plus celle de 1962. Cette constitution pourra, bien sûr, servir, le moment venu, d’intermédiaire institutionnel. Mais nous sommes en 2020 ; nous ne sommes plus en 1964. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de rêver, car le temps presse. La monarchie, il faut désormais la faire.
François Marcilhac
[1] Comte de Paris, Général de Gaulle, Dialogue sur la France, Correspondance et entretiens, 1953 – 1970, Fayard, 1994.
L’Union européenne n’a jamais paru si faible sur le plan international. Mais le projet fédéraliste, à l’intérieur de ses frontières, gagne sans cesse du terrain avec l’arme fatale du droit communautaire.
La coïncidence du Brexit et de la crise pandémique a conduit l’Union européenne à une nouvelle étape de son développement, à mon avis désormais irréversible.
Le dernier conseil européen présidé par Mme Merkel a en effet définitivement adopté le projet de budget pour les années qui viennent, et l’aide spécifique pour la relance nécessitée par la crise sanitaire, de 750 milliards d’euros.Deux innovations essentielles : la Commission peut emprunter directement sur les marchés pour financer cette aide, et elle peut lier l’aide à des conditions, en particulier le respect de l’État de droit. La Hongrie et la Pologne, qui ne voulaient pas de cette conditionnalité, ont en fait fini par s’incliner, quelles que soient les formulations qui estompent leur reculade.
Et il y aura des suites logiques : la question des ressources propres de l’Union, au-delà des droits de douane et du 1% de la TVA, va se poser très vite. On ouvrira ainsi la voie à un budget qui ne sera plus spécifiquement celui de l’UE comme institution, mais deviendra progressivement le budget européen fédéral, reprenant des responsabilités anciennement nationales. D’autre part la conditionnalité ne se limitera pas au respect de l’État de droit, mais va inclure très vite le non-respect des normes environnementales fixées par Bruxelles. Il est déjà possible de condamner un État devant la Cour européenne de Luxembourg dans ce domaine, avec amendes et astreintes, mais on passerait là à un niveau supérieur. D’autant plus que le parlement européen va très probablement voter l’avancement de la réalisation de l’objectif de zéro émission nette de 2050 à 2030, ce qui est d’ailleurs parfaitement irréalisable mais qui permet de s’immiscer dans pratiquement tous les aspects de la politique économique et sociale. Les Européens vont être de plus en plus concernés par les décisions de l’UE pour leurs impôts et pour leur vie quotidienne (chauffage, transports, logement…). Ainsi que pour tout ce qui concerne, par exemple, la politique d’immigration : Luxembourg attaque de plus en plus souvent les mesures que tentent de prendre les pays membres pour endiguer le flot et vient de condamner Varsovie et Budapest pour le durcissement de leur politique d’asile.
Luxembourg über alles
Une telle accélération n’aurait pas été possible si la Grande-Bretagne était restée (c’est d’ailleurs parce qu’elle sentait venir l’avalanche qu’elle est partie). Il y a eu une époque où la France n’aurait pas accepté tout cela, mais c’est bien fini, et maintenant nos cours et le conseil constitutionnel s’inclinent devant le droit européen et Luxembourg.
La dernière résistance importante venait, on l’a vu dans cette chronique, du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe, qui contestait la politique de la Banque centrale européenne ainsi que de la Cour européenne, et les accusait d’agir « ultra vires ». Or Luxembourg ne s’incline pas : il y a quelques jours, un avocat général auprès de cette Cour, le Bulgare Evgeni Tanchev, rappelait que le droit européen « brise le droit national » (reprise de la vieille formule allemande, « Bundesrecht bricht Landesrecht », le droit fédéral brise le droit des Länder). Un gouvernement qui ne serait pas content n’aurait selon lui que trois solutions : ou bien modifier sa constitution ; ou bien demander, via le processus de l’Union, une modification du traité concerné ; ou bien quitter l’Union. Ça a le mérite de la clarté ! Cette déclaration provoque à Berlin et à Karlsruhe beaucoup de spéculations : que la Pologne et la Hongrie soient condamnées à Luxembourg ne gêne personne, mais on se rend compte que la RFA pourrait l’être elle aussi, à cause des jugements de Karlsruhe !
Mais il me semble que Karlsruhe commence sinon à reculer, du moins à changer de registre. L’un de ses juges, Peter Huber, dans une longue interview à la Neue Zürcher Zeitung le 8 décembre, ne parlait plus D’« ultra vires » mais demandait à Luxembourg de ne pas juger uniquement en fonction de critères juridiques mais en tenant compte des conséquences concrètes des programmes proposés, ou de leur refus (ce qui, dans la tradition juridique allemande, est tout à fait acceptable). En outre, il en appelle à une collaboration entre les différentes cours constitutionnelles des pays membres et Luxembourg, collaboration que nos propres juges invoquent toujours avec des larmes d’émotion mais qui ne me paraît pas figurer dans les traités, qu’elles court-circuitent. Et quant à la question précise de la position de la Bundesbank face aux rachats d’emprunts d’États membres par la BCE, ce qui avait déclenché toute la procédure, Peter Huber admet que la Banque fédérale fait ce qu’elle peut mais peut parfaitement être mise en minorité au conseil des gouverneurs à Francfort.
Un empire qui consacre sa faiblesse
Deux forces freinaient la dérive institutionnelle constante de l’UE : la Grande-Bretagne et Karlsruhe. La Grande-Bretagne est partie et Karlsruhe se réfugie dans des théories de plus en plus complexes. En revanche une contradiction fondamentale apparaît, et même s’est beaucoup aggravée ces dernières semaines, entre une entité de plus en plus étroitement intégrée à l’intérieur mais de plus en plus impuissante à l’extérieur. Et qui même refuse la puissance. Le dernier conseil européen a renoncé à prendre des sanctions un peu sérieuses à l’égard de la Turquie. L’Allemagne, après la France, vient d’accepter d’admettre Huawei à participer à la mise en place de la 5G, certes avec des conditions, mais les deux pays se séparent sur un point important de Washington et Londres. Dans le même sens, les dirigeants allemands, à la suite d’un débat national animé, se distancient de plus en plus de la politique de fermeté que Washington a engagé face à Pékin, y compris la ministre de la Défense Kramp-Karrenbauer, qui jusqu’ici pourtant prônait la résistance face aux pénétrations chinoises dans tant de domaines. Et ils ne tenteront pas une relocalisation de leurs industries, c’est désormais clair, le marché chinois est trop important à leurs yeux. A l’égard de la Russie, des déclarations très fermes de la chancelière sur l’Ukraine ou l’affaire de la tentative d’empoisonnement de Navalny n’empêchent pas le fait que le gazoduc Nord Stream 2 n’est pas remis en cause.
En ce qui concerne la politique de défense commune, on en est encore plus loin qu’en 2015, où on sentait certains frémissements. Le départ de la Grande-Bretagne représente la perte de près du quart du budget militaire total des membres de l’UE, ainsi que la sortie du seul pays européen, avec la France, à disposer (à peu près…) d’une panoplie complète et d’une capacité opérationnelle réelle. Il ne reste que l’OTAN, plus comme un moulin à prières d’ailleurs que comme un engagement militaire bien concret, sauf des exceptions comme la Pologne.
Un ancien conseiller fédéral et ministre des affaires étrangères helvétique, Mme Micheline Calmy-Rey, a tout récemment suggéré que l’Union européenne adopte une politique de « neutralité active », sur le modèle suisse. Elle rappelle que les Cantons avaient fini par adopter cette politique parce que c’était le seul moyen de maintenir leur union, malgré leurs divergences et leurs attirances étrangères divergentes voire opposées. Et elle suggère que c’est la seule solution pour l’UE, étant donné ses divergences. A mon avis, cette thèse va faire des adeptes, particulièrement en RFA…
Je dois dire cependant que la « neutralité active » à la Suisse repose sur une politique extérieure discrète mais très active, et sur un établissement militaire très sérieux et soutenu dans l’ensemble par la population. Si l’Union européenne en était là, je serais plutôt rassuré !
Mais on assiste au contraire, exception dans l’Histoire, à la naissance d’un État fédéral, géant économique mais nain géopolitique, et qui tient à le rester. À mon avis, l’une des explications profondes est que le mouvement fédéraliste européen, reprenant pendant et après la Seconde Guerre mondiale des thèmes apparus dès les années 30, à la suite du traumatisme de la Grande Guerre, a voulu détruire systématiquement les systèmes politiques reposant sur des politiciens professionnels et sur le parlementarisme, ainsi que les États-nations fauteurs de guerres. Le « Message aux Européens » proclamé lors du Congrès européen de La Haye en 1948 fixait des objectifs qui sont ceux de l’Union européenne aujourd’hui : « la libre circulation des hommes, des idées et des biens », « une Charte des droits de l’homme », « une Cour de justice » et « une Assemblée européenne ». Et il ne parlait pas de sécurité et de défense de l’Europe…
Deux faits, deux « faits d’hiver » puisqu’ils viennent de se dérouler en ce mois de janvier sous nos yeux ébahis sur fond de dictat sanitaire.
Le premier met en scène un caricaturiste plutôt de gauche voire assez tolérant au macronisme et travaillant pour un quotidien qui faisait encore référence il y a quelques années : Le Monde.
Xavier Gorce, c’est son nom, commit un crime terrible en ironisant sur l’affaire Duhamel qui met en transe tous les médias par un dessin figurant ses pingouins humanisés dont l’un déclare à l’autre : « Si j’ai été abusée par le demi-frère adoptif de la compagne de mon père transgenre devenu ma mère, est-ce un inceste ? ». Tout de suite, les bonnes consciences se sont indignées :
« Les Nouveaux Démocrates » (LND, scission de la REM) ) militants modèles, jugent « abject » l’amalgame entre « identité de genre ou orientation sexuelle et pédocriminalité ». Des personnalités politiques ont commenté cette publication, notamment Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité. Remonté, ce dernier a tweeté : « Tout sauf drôle », mais aussi : « à supprimer ». La sénatrice socialiste Laurence Rossignol n’a pas oublié de commenter ce dessin. Sur Twitter, elle a souligné le manque de « talent et tendresse » de celui-ci.
Faut-il décapiter le dessinateur pour avoir blasphémé publiquement, non en vérité sur la question de l’inceste, mais sur les « minorités » rendues tellement visibles par les vents médiatico-politiques ?
Le Monde s’est excusé par la voix de sa directrice de rédaction, Caroline Monnot ce qui a amené Xavier Gorce à claquer la porte de la vénérable institution. Car la gauche est un peu comme le dieu Chronos qui dévora, selon la mythologie, ses propres enfants, surtout ceux qui ont l’outrecuidance d’avoir de l’humour et de penser librement.
L’autre fait, est cette incroyable marche blanche organisée à Etampes avec le soutien matériel de la municipalité LR.
Dans la nuit du 13 au 14 janvier, deux frères de 32 et 39 ans, Samir et Nordine, tentaient d’échapper aux gendarmes à bord de leur véhicule. Prenant un rond-point à contresens sur la nationale 20, ils ont percuté un poids lourd de face et sont morts sur le coup. Trois jours plus tard, est organisée une marche blanche à Étampes, où vit leur famille. Samir, le plus jeune, est connu pour une trentaine de faits, dont tous n’ont pas mené à des condamnations, précise le quotidien francilien. Il devait toutefois se présenter ce 20 janvier au tribunal correctionnel d’Évry-Courcouronnes pour détention non autorisée de stupéfiants et recel de biens provenant d’un délit.
Quant à Nordine, il a déjà passé une dizaine d’années derrière les barreaux, condamné à de multiples reprises pour trafic de stupéfiants dans l’Essonne, où il apportait en grande quantité du cannabis provenant d’Espagne.
Dimanche 17 janvier, environ 150 personnes sont venues leur rendre hommage. Podium, sono, écrans, distribution de café et de snacks, le tout financé par la municipalité à majorité républicaine (LR). L’annonce de cette cérémonie avait été faite la veille sur la page Facebook de la mairie (retirée depuis).
Ces évènements significatifs d’une triste « évolution » de notre société sont susceptibles de susciter un sentiment partagé par les Français, d’abattement et de démoralisation s’ajoutant à l’ambiance déjà lourde du confinement, de la catastrophe économique qui s’installe et de tous les griefs restés sans réponses depuis la crise des gilets jaunes et l’évidence du lien entre immigration abusive et délinquance que seuls les intellectuels au service du système continuent à nier âprement.
Ces faits montrent aussi que d’une part on sera de plus en plus implacable envers tous les Français qui osent penser par eux-mêmes et sortir du sentier obligatoire tracé par les indignés officiels, et à plat ventre devant les nouveaux maitres fussent-ils des voyous, dès lors qu’ils sont représentatifs de la « diversité ».
On n’est pas dans le complot aujourd’hui, mais dans le réflexe conditionné par la trouille qu’inspirent les minorités victimaires, qu’elles soient sexuelles ou ethniques.
Il apparait qu’il se profile une perte de contrôle de la direction générale censée être donnée à la France, non seulement par le pouvoir, mais aussi par les élites si sûres d’elles qui continuent à pérorer dans le vide en levant le front avec assurance sur les plateaux télé.
Il semblerait que la République soit en train de se fissurer du haut en bas et pourrait s’écrouler avec fracas, ce qui pourrait nous réjouir si l’anarchie qui en résulterait ne livrait pas les plus faibles d’entre nous à une violence dont l’histoire révolutionnaire de notre pays nous a laissé de douloureux souvenirs.
L’Action française, mouvement école a visiblement du pain sur la planche en remettant de la réflexion dans les jeunes cerveaux et en préparant l’émergence de nouvelle élites et le plus tôt sera le mieux.
Illustration : La Suisse, modèle de neutralité active. Ça marche quand le cadre est petit.
L’Union européenne n’a jamais paru si faible sur le plan international. Mais le projet fédéraliste, à l’intérieur de ses frontières, gagne sans cesse du terrain avec l’arme fatale du droit communautaire.
La coïncidence du Brexit et de la crise pandémique a conduit l’Union européenne à une nouvelle étape de son développement, à mon avis désormais irréversible.
Le dernier Conseil européen présidé par Mme Merkel a en effet définitivement adopté le projet de budget pour les années qui viennent, et l’aide spécifique pour la relance nécessitée par la crise sanitaire, de 750 milliards d’euros. Deux innovations essentielles :
la Commission peut emprunter directement sur les marchés pour financer cette aide ;
et elle peut lier l’aide à des conditions, en particulier le respect de l’état de droit.
La Hongrie et la Pologne, qui ne voulaient pas de cette conditionnalité, ont, en fait, fini par s’incliner, quelles que soient les formulations qui estompent leur reculade. Il y aura des suites logiques : la question des ressources propres de l’Union, au-delà des droits de douane et du 1 % de la TVA, va se poser très vite. On ouvrira ainsi la voie à un budget qui ne sera plus spécifiquement celui de l’UE comme institution, mais deviendra progressivement le budget européen fédéral, reprenant des responsabilités anciennement nationales. D’autre part la conditionnalité ne se limitera pas au respect de l’état de droit, mais va inclure très vite le non-respect des normes environnementales fixées par Bruxelles. Il est déjà possible de condamner un État devant la Cour européenne de Luxembourg dans ce domaine, avec amendes et astreintes, mais on passerait là à un niveau supérieur. D’autant plus que le parlement européen va très probablement voter l’avancement de la réalisation de l’objectif de zéro émission nette de 2050 à 2030, ce qui est d’ailleurs parfaitement irréalisable mais qui permet de s’immiscer dans pratiquement tous les aspects de la politique économique et sociale. Les Européens vont être de plus en plus concernés par les décisions de l’UE pour leurs impôts et pour leur vie quotidienne (chauffage, transports, logement…). Ainsi que pour tout ce qui concerne, par exemple, la politique d’immigration : Luxembourg attaque de plus en plus souvent les mesures que tentent de prendre les pays membres pour endiguer le flot et vient de condamner Varsovie et Budapest pour le durcissement de leur politique d’asile.
Luxembourg über alles
Une telle accélération n’aurait pas été possible si la Grande-Bretagne était restée (c’est d’ailleurs parce qu’elle sentait venir l’avalanche qu’elle est partie). Il y a eu une époque où la France n’aurait pas accepté tout cela, mais c’est bien fini, et maintenant nos cours et le Conseil constitutionnel s’inclinent devant le droit européen et Luxembourg. La dernière résistance importante venait, on l’a vu dans cette chronique, du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe, qui contestait la politique de la Banque centrale européenne ainsi que de la Cour européenne, et les accusait d’agir « ultra vires ». Or Luxembourg ne s’incline pas : il y a quelques jours, un avocat général auprès de cette Cour, le Bulgare Evgeni Tanchev, rappelait que le droit européen « brise le droit national » (reprise de la vieille formule allemande « Bundesrechtbricht Landesrecht », le droit fédéral brise le droit des Länder). Un gouvernement qui ne serait pas content n’aurait, selon lui, que trois solutions :
ou modifier sa constitution ;
ou demander, via le processus de l’Union, une modification du traité concerné ;
ou quitter l’Union.
Ce qui a le mérite de la clarté ! Cette déclaration provoque à Berlin et à Karlsruhe beaucoup de spéculations : que la Pologne et la Hongrie soient condamnées à Luxembourg ne gêne personne, mais on se rend compte que l’Allemagne pourrait l’être aussi, à cause des jugements de Karlsruhe ! Mais il me semble que Karlsruhe commence sinon à reculer, du moins à changer de registre. L’un de ses juges, Peter Huber, dans une longue interview à la Neue Zürcher Zeitung le 8 décembre, ne parlait plus d’« ultra vires », mais demandait à Luxembourg de ne pas juger uniquement en fonction de critères juridiques mais en tenant compte des conséquences concrètes des programmes proposés, ou de leur refus (ce qui, dans la tradition juridique allemande, est tout à fait acceptable). En outre, il en appelle à une collaboration entre les différentes cours constitutionnelles des pays membres et Luxembourg, collaboration que nos propres juges invoquent toujours avec des larmes d’émotion mais qui ne me paraît pas figurer dans les traités, qu’elles court-circuitent. Et quant à la question précise de la position de la Bundesbank face aux rachats d’emprunts d’États membres par la BCE, ce qui avait déclenché toute la procédure, Peter Huber admet que la Banque fédérale fait ce qu’elle peut mais peut parfaitement être mise en minorité au conseil des gouverneurs à Francfort.
L’empire européen consacre sa faiblesse
Deux forces freinaient la dérive institutionnelle constante de l’UE : la Grande-Bretagne et Karlsruhe. La Grande-Bretagne est partie et Karlsruhe se réfugie dans des théories de plus en plus complexes. En revanche, une contradiction fondamentale apparaît, et même s’est beaucoup aggravée ces dernières semaines, entre une entité de plus en plus étroitement intégrée à l’intérieur mais de plus en plus impuissante à l’extérieur. Et qui même refuse la puissance. Le dernier Conseil européen a renoncé à prendre des sanctions un peu sérieuses à l’égard de la Turquie. L’Allemagne, après la France, vient d’accepter d’admettre Huawei à participer à la mise en place de la 5G, certes avec des conditions, mais les deux pays se séparent sur un point important de Washington et Londres. Dans le même sens, les dirigeants allemands, à la suite d’un débat national animé, se distancient de plus en plus de la politique de fermeté que Washington a engagé face à Pékin, y compris la ministre de la Défense Kramp-Karrenbauer qui, jusqu’ici pourtant, prônait la résistance face aux pénétrations chinoises dans tant de domaines. Et ils ne tenteront pas une relocalisation de leurs industries, c’est désormais clair, le marché chinois est trop important à leurs yeux. À l’égard de la Russie, des déclarations très fermes de la chancelière sur l’Ukraine ou l’affaire de la tentative d’empoisonnement de Navalny n’empêchent pas le fait que le gazoduc Nord Stream 2 n’est pas remis en cause.
En ce qui concerne la politique de défense commune, on en est encore plus loin qu’en 2015, où on sentait certains frémissements. Le départ de la Grande-Bretagne représente la perte de près du quart du budget militaire total des membres de l’UE, ainsi que la sortie du seul pays européen, avec la France, à disposer (à peu près…) d’une panoplie complète et d’une capacité opérationnelle réelle. Il ne reste que l’OTAN, plus comme un moulin à prières d’ailleurs que comme un engagement militaire bien concret, sauf des exceptions comme la Pologne.
Un ancien conseiller fédéral et ministre des affaires étrangères helvétique, Mme Micheline Calmy-Rey, a tout récemment suggéré que l’Union européenne adopte une politique de « neutralité active », sur le modèle suisse. Elle rappelle que les Cantons avaient fini par adopter cette politique parce que c’était le seul moyen de maintenir leur union, malgré leurs désaccords et leurs attirances étrangères séparées voire opposées. Et elle suggère que c’est la seule solution pour l’UE, étant donné ses propres divergences. À mon avis, cette thèse va faire des adeptes, particulièrement en Allemagne…
Je dois dire cependant que la « neutralité active » à la Suisse repose sur une politique extérieure discrète mais très active, et sur un établissement militaire très sérieux et globalement soutenu par la population. Si l’Union européenne en était là, je serais plutôt rassuré ! Mais on assiste au contraire, exception dans l’Histoire, à la naissance d’un État fédéral, géant économique mais nain géopolitique, et qui tient à le rester. À mon avis, l’une des explications profondes est que le mouvement fédéraliste européen, reprenant pendant et après la seconde guerre mondiale des thèmes apparus dès les années 30, à la suite du traumatisme de la Grande Guerre, a voulu détruire systématiquement les systèmes politiques reposant sur des politiciens professionnels et sur le parlementarisme, ainsi que les États-nations fauteurs de guerres. Le « Message aux Européens » proclamé lors du Congrès européen de La Haye en 1948 fixait des objectifs qui sont ceux de l’Union européenne aujourd’hui : « la libre circulation des hommes, des idées et des biens », « une Charte des droits de l’homme », « une Cour de justice » et « une Assemblée européenne ». Et il ne parlait pas de sécurité et de défense de l’Europe…
Les agriculteurs de France résistent bien à la crise sanitaire, notamment grâce aux circuits courts. Mais les difficultés de la profession demeurent. Président de la Coordination rurale en Auvergne-Rhône-Alpes, Jean-Louis Ogier considère les «écolos bobos» comme le principal problème de sa profession.
«Pour le moment, le Covid-19 ne nous a pas autant impactés que d’autres secteurs. Bien sûr cela crée des problèmes, mais nous ne constatons pas une vague de dépôts de bilan.» L’agriculture française résiste. C’est ce qu’a expliqué au micro de Sputnik Jean-Louis Ogier, président de la Coordination rurale (CR) en Auvergne-Rhône-Alpes et agriculteur dans le secteur des fruits et légumes.
Reste que tout n’est pas rose loin de là. «Nous avons perdu entre 20 et 30% de nos récoltes cette année sur certains secteurs», soulignait récemment Laurent Rouyer, président de la Chambre d'agriculture de Meurthe-et-Moselle, au micro de RCF.
«Tout ce qui est vente directe fonctionne très bien. Cela s’est même développé pendant la crise. C’est évidemment plus compliqué pour tout ce qui passe par la grande distribution», résume Jean-Louis Ogier.
Entre une augmentation des coûts de production liée à la crise sanitaire, des conditions météo difficiles en 2020 et la concurrence des importations étrangères, certaines exploitations accusent le coup. Jean-Luc Lemaître, éleveur de bovins, confiait récemment à France bleu Mayenne: «En blonde, on est plutôt aux alentours de 4,20 euros le kilo. Là, c'est même descendu en dessous des 4 euros. En rouge des prés, en jeunes bovins, on est à 3,70 ou 3,80 euros. La normale tourne autour de 4 euros.»
Les circuits courts ont le vent en poupe
Signe de la crise économique qui s’installe, les prix sont en baisse dans la grande distribution. D’après les chiffres rapportés par RMC, «alors que, en 2019 les prix dans les rayons avaient augmenté de 0,9%, ils ont baissé en 2020 de 0,14%». «Une bonne nouvelle pour notre porte-monnaie, mais pas forcément pour les agriculteurs», note la radio qui souligne que le gouvernement a appelé les grandes surfaces à faire preuve de responsabilité dans leurs négociations avec la filière agricole.
En décembre dernier, Jimmy Guérin, président des Jeunes agriculteurs d’Ille-et-Vilaine, se confiait à 20 Minutes dans le cadre du coup d’envoi de la période de négociations entre agriculteurs et grande distribution: «Les premiers retours que nous avons ne sont pas bons. La grande distribution fait pression pour baisser les prix. On nous a beaucoup dit merci pour avoir nourri la France. Mais un merci, ça ne fait pas vivre une ferme.»
Le 18 décembre, son syndicat a organisé une action coup de poing dans plusieurs départements bretons. Des agriculteurs ont notamment investi un magasin Carrefour afin d’en distribuer gratuitement les produits aux clients. Selon les Jeunes agriculteurs, sur les 100 euros de courses que contient un chariot, seuls 6,50 euros reviennent au producteur. «Je peux comprendre votre action, mais ce n’est pas moi qui négocie. Le prix de vente, je peux le faire varier, mais pas le prix d’achat. J’achète à la centrale», a plaidé le directeur du magasin selon 20 Minutes.
Jean-Louis Ogier rappelle cependant que tout n’est pas négatif. Les changements d’habitudes des consommateurs durant cette crise a modifié la stratégie de la grande distribution:
«Ils ont vu l’importance des circuits courts dans le sillage de cette crise. La grande distribution joue là-dessus désormais. Ils cherchent à mettre en avant des produits français dans les rayons. Bien évidemment, c’est positif pour la profession.»
Plus largement, l’appétit des Français pour les circuits courts a apporté une bouffée d’oxygène à de nombreux agriculteurs.
C’est notamment le cas du producteur de fromages Pierre Villiers qui a raconté son histoire à TF1. Obligé de jeter des dizaines de litres de lait à la fermeture des marchés alimentaires en avril dernier, il a su rebondir. Le producteur a reçu de nombreux coups de téléphone de fermes et de distributeurs originaires de nombreux territoires français. «Un pizzaiolo s'est même mis à faire des pizzas au neufchâtel», a-t-il relaté devant les caméras de TF1. «Je pensais que j'étais seulement capable de suivre ce que mes parents m'avaient appris. Maintenant, on sait s'adapter, on sait qu'on va pouvoir trouver des solutions en cas de problème», a-t-il poursuivi.
Même son de cloche du côté de Matthias Canto, éleveur de races à viande de la région de Rennes. Comme le rapporte 20 Minutes, il était présent lors de l’action des Jeunes agriculteurs de Jimmy Guérin. De la vente aux acteurs industriels comme Jean-Rozé ou Bigard, il est passé à la livraison en direct aux marchés et bouchers locaux. «Je m’en tire avec 5 euros du kilo. Avant, j’étais à 4 euros. Vous imaginez la différence sur une bête de 400 kilos», se félicite-t-il.
Les militants écologistes «ne connaissent ni l’agriculture ni nos métiers»
Si les négociations de prix restent un des plus importants chevaux de bataille des agriculteurs, ce n’est pas le seul, comme le souligne Jean-Louis Ogier:
«Les écolos bobos sont notre plus gros problème. Ils ressortent sans cesse des alinéas d’arrêtés afin de nous poser des problèmes. C’est n’importe quoi. Si l’on continue comme cela, on ne pourra bientôt plus travailler.»
De très nombreux agriculteurs et syndicats dénoncent depuis plusieurs années un véritable «agribashing». Ils crient leur colère face à ce qu’ils considèrent comme un manque de reconnaissance. Groupe de défense des loups, militants vegans et anti-pesticides, ils sont nombreux à s’en prendre régulièrement aux agriculteurs et éleveurs français.
Des dizaines d’intrusions dans des exploitations sont répertoriées chaque année. «Le bilan 2019 des atteintes aux biens commises au préjudice du monde agricole affiche une hausse de +1,5 % (+216 faits) pour un total de 14.498 faits enregistrés (deux atteintes chaque heure)», détaille le ministère de l’Intérieur. Le 10 septembre 2019, des millions de Français découvraient ces «agriculteurs traumatisés et en colère» grâce à un reportage diffusé lors du 20 heures de Gilles Bouleau sur TF1.
Le gouvernement a décidé de réagir. Le ministère de l’Intérieur présentait le 13 décembre 2019 la cellule Demeter, du nom de la déesse grecque de l’Agriculture. Le but de cette instance composée de gendarmes? Le «suivi des atteintes au monde agricole».
D’après Jean-Louis Ogier, il y avait urgence:
«Si l’on continue d’embêter les paysans, qui sont déjà de moins en moins nombreux, l’agriculture risque de se retrouver en sous-production. Le danger est là.»
Selon l’agriculteur, les militants écologistes «ne connaissent ni l’agriculture ni nos métiers». «Quand je suis sorti de l’école dans les années 1960, les désherbants n’existaient pas. À peine les expérimentait-on dans certains coins. On faisait tout à la main. Mais il y avait beaucoup de main-d’œuvre. C’est très loin d’être le cas aujourd’hui.»
L’animosité entre écologistes et agriculteurs ne date pas d’hier. Mais elle semble avoir franchi un cap ces dernières années. En mai 2019, la Frapna Drôme, une branche locale de France nature environnement (FNE), recevait «sa première menace de mort en plus de quarante ans d’existence», rapporte Le Monde. Un message qui évoquait «des balles à sangliers pour les loups et les amis des loups».
Jean-Louis Ogier s’inquiète de ce climat délétère. Ira-t-on vers des affrontements violents?
«Je ne veux pas m’aventurer là-dessus, mais on ne sait pas comment les agriculteurs vont réagir, ni comment ces écolos bobos rêveurs le feront», rétorque le responsable de la section fruits et légumes de la CR.
Il n’est en tout cas pas optimiste pour l’avenir de la profession, gangrenée par un taux de suicides supérieur de 12,62% au reste de la population:
«Je plains les jeunes qui vont se lancer dans l’agriculture. Quand je vois les masses d’argent nécessaires pour faire tourner une exploitation, je me dis que c’est impossible avec les prix que l’on nous propose.»
COMMENT NOUS AVONS FINI L’ANNÉE 2020 AU KOSOVO-MÉTOCHIE, MALGRÉ LE COVID…
Le 3 janvier vers midi, un message s’affiche sur le groupe WhatsApp appelé « SK – convoi 2020 » : « Bien arrivé, merci pour tout, à l’année prochaine ! » C’est le dernier volontaire français qui vient d’arriver chez lui, après 3 jours de voyage depuis le Kosovo, marquant ainsi la fin de ce 17e convoi de Noël.
Dimanche matin 27 décembre, Annecy, 9h. Le 17e convoi de Solidarité Kosovo s’élance, pile à l’heure prévue. En soi, c’est déjà une victoire pour les volontaires qui entament le voyage qui les mènera, dans deux jours, au Kosovo-Métochie. Une victoire sur cette année désastreuse, une victoire sur l’incertitude qui, depuis plusieurs semaine, pesait sur eux.
En effet, s’il était évident pour tout le monde que ce 17e convoi aurait bien lieu de toute façon, nul n’aurait pu affirmer jusqu’à la veille de son départ qu’il aurait bien lieu à l’époque habituelle et d’une façon relativement semblable aux années précédentes.
La veille de Noël, le convoi devait encore s’élancer de Paris ; finalement, il a fallu changer tous les plans après que le loueur de fourgons annonce qu’en fait ils n’auraient pas de véhicule équipé de pneus-neige à nous confier… Et chacun d’avancer en urgence son départ pour pouvoir être à Annecy plutôt qu’à Paris le dimanche au matin. Mais les volontaires qui se sont retrouvés le samedi soir dans un hôtel d’Annecy — après déjà une journée de voyage pour certains — n’étaient même pas tous certains de partir : leur participation à ce convoi dépendait des résultats du test PCR effectué la veille — parfois au prix de longues heures d’attente dans des centres de test parfois bondés, malgré les rendez-vous pris longtemps à l’avance — et indispensable pour franchir les frontières du Kosovo.
Les messages se succèdent : « Test négatif ! »
Ces résultats, certains l’ont reçu dès l’après-midi du samedi, qui immédiatement envoyaient sur le groupe WhatsApp dédié au convoi un victorieux « Test négatif ! » ; mais à 8 h 45 au matin du départ, deux d’entre nous les attendaient encore, avec une certaine appréhension : un résultat positif aurait signifié qu’ils devraient regarder le fourgon partir d’Annecy et reprendre un train vers chez eux. Finalement, à quelques minutes d’écart, ces derniers résultats sont arrivés, négatifs eux aussi. Le convoi pouvait donc réellement commencer.
Mardi soir, 19 h. Après deux jours de trajet à travers l’Italie, la Slovénie, la Croatie et la Serbie, les volontaires français retrouvent les volontaires serbes au pied de la croix qui marque la sortie de la partie Nord du Kosovo, majoritairement serbe. Nous roulons en convoi jusqu’à Gracanica. Les retrouvailles sont chaleureuses, les nouveaux — Français comme Serbes — sont rapidement présentés et intégrés comme s’ils avaient toujours fait partie de la famille.
En un instant, on oublie, les deux jours de voyage en fourgon, les muscles engourdis par l’inactivité, la nuit trop rapide à Belgrade. On oublie l’incertitude des jours précédant le départ, l’attente des résultats des tests, l’inquiétude au passage de la frontière et lors de chacun des trois contrôles de police qui ont suivi l’entrée au Kosovo. On oublie enfin l’incertitude qui plane sur les jours qui viennent. On profite de l’instant, de ces retrouvailles, de cette amitié qui grandit année après année, peu à peu. On profite ensemble d’un dîner copieux, puis chacun va se coucher : il est déjà tard et le premier jour de distributions sera chargé. Avant de nous coucher, nous apprenons qu’un humanitaire serbe de Bosnie a été arrêté à la douane quelques heures avant notre passage et refoulé, comme Arnaud Gouillon l’a été il y a deux ans. Nous sommes encore passés… pour combien de temps ?
Mercredi matin, 1er jour. Le ciel de Gracanica est couvert de moutons teints de rose par le soleil levant. Un bien bel accueil qui fait oublier le réveil matinal après une nouvelle nuit trop courte. Nous nous retrouvons tous devant l’entrepôt de Solidarité Kosovo, dans l’enceinte du monastère de Gracanica. Aujourd’hui, nous partons dans la région de Kamenica, à l’est du Kosovo, près de la frontière avec la Serbie centrale. Nous y livrerons des vaches et des moutons et distribuerons cadeaux et vêtements aux enfants de plusieurs villages. La journée commence par une grande opération de tri de ce qui a été déposé dans l’entrepôt il y a quelques jours. Un travail fastidieux mais indispensable pour que les distributions se passent rapidement et efficacement. Les anciens reprennent leurs marques, les nouveaux prennent les leurs. Ce premier test est concluant : cette équipe est efficace et soudée, le reste du convoi le prouvera.
Dans les ruines d’un monastère, rêver d’un avenir meilleur
Pour se rendre à Kamenica, on passe par les montagnes de la région de Novo Brdo, que les anciens connaissent bien. Malgré l’absence totale de neige, on reconnaît des endroits déjà visités les années passées ; des souvenirs remontent, sont racontés, complétés, affinés. La joie d’être enfin à pied d’œuvre est palpable. Puis on dépasse Novo Brdo et on s’enfonce dans l’inconnu. Au détour d’une montagne apparaît soudain la vallée où repose la ville de Kamenica.
Les gens de cette région difficile et isolée sont taiseux et fiers. Le contact est difficile, d’autant plus que nous portons tous le masque : il est hors de question que nous apportions le virus à ces gens fragilisés par la pauvreté, l’isolement et le manque de soins. Peu importe : nous sourions sans arrêt sous les masques, en espérant que nos yeux parlent assez pour nous. Partout nous sommes marqués par la pauvreté des gens que nous rencontrons. Cette école dont nous retrouvons, malgré les vacances, les élèves pour une distribution sera sans contestation possible le bâtiment le plus propre que nous verrons : elle a été rénovée il y a deux ans par Solidarité Kosovo, dans le cadre de sa campagne d’hiver.
Partout ailleurs, les maisons sont visiblement vieilles et usées. Nous visitons d’abord les familles nombreuses, qui ont particulièrement besoin de notre soutien. Nous sommes à chaque fois frappés par la détermination qui émane de ces couples qui, entourés de leurs enfants, nous accueillent avec un mélange de joie de nous voir et de gêne de devoir accepter notre aide.
Entre deux distributions, le Père Serdjan arrête le convoi sur un chemin de terre, au beau milieu de nulle part. Nous sortons des fourgons, curieux de connaître la raison de cet arrêt insolite. Nous la découvrons au sommet d’une petite colline : les ruines d’un monastère y accueillent les corbeaux au milieu d’un paysage sublime. En parcourant le site, on finit par pouvoir deviner la magnificence passée de ce monastère, qui accueillait notamment un orphelinat.
Dans ce qui était autrefois le chœur de l’église, à l’endroit de l’autel, le Père Serdjan nous raconte l’histoire de ce monastère, ravagé par les Ottomans peu après la bataille de Kosovo Polje, en 1389. Il nous raconte aussi les difficultés que rencontre l’Église serbe à chaque fois qu’elle essaie de faire des démarches pour pouvoir faire revenir des moines pour rénover ce monastère. « Nous voulons revenir ici avant que des Albanais décident soit de raser ce qui reste — comme ils l’ont fait sur le site de la forteresse de Kamenica juste après que des archéologues y ont retrouvé des preuves indéniables de son passé serbe —, soit de prétendre que ce monastère a toujours été albanais. » Malgré les pressions diverses, malgré les obstacles dressés sur ce chemin, le projet avance… Peut-être aurons-nous bientôt l’occasion d’aider à reconstruire le monastère de Rdjavac ?
À Novo Brdo, entre enfer et paradis
De distribution en distribution, la journée passe vite et la nuit commence déjà à tomber quand nous repartons vers Gracanica. Après plus d’une heure de route, nous arrivons au monastère, où la journée n’est pas finie : il faut à nouveau remplir les cartons vidés pendant la journée et charger les fourgons pour le lendemain. Nous chargeons aussi quelques poêles à bois dans le plus gros fourgon du bureau humanitaire : il faudra les livrer demain, en plus des vaches, des moutons, des vêtements et des cadeaux de Noël. La journée du mercredi s’annonce donc bien chargée, et nous allons cette fois encore nous coucher sans tarder.