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Rechercher : Rémi Hugues. histoire & action française. Rétrospective : 2018 année Maurras

  • Liberté individuelle et indépendance nationale, par l'ASAF.

    La pandémie du coronavirus fait prendre conscience aux Français de la dépendance de leur pays dans de nombreux secteurs. La « mondialisation heureuse » n’était, jusqu’à présent, remise en question que pour des raisons de réchauffement climatique.

    Depuis des années, les entreprises délocalisaient pour rester compétitives et maintenir leurs profits. Mais depuis quelques semaines, elles prennent conscience des risques d’une trop grande dépendance de l’étranger.

    Dans la même logique, les Français, dits individualistes, pressent le gouvernement de donner des directives pour les rassurer, les protéger et anticiper les risques à venir. Ils découvrent que l’homme, seul, ne peut rien. La liberté individuelle ne peut exister qu’au sein d’une communauté organisée et puissante, c'est-à-dire soudée.

    2.jpgLa Nation et les Français

    Deux millions de Français vivent hors de l’Hexagone sans parler des touristes qui partent en vacances à l’étranger. Nous avons tous en mémoire ces deux compatriotes « en vadrouille » au Bénin pour la liberté desquels deux membres des forces spéciales sont récemment morts. De nombreuses interventions militaires ont été lancées en Afrique pour « extraire » des Français menacés. L’exemple le plus emblématique reste l’opération Léopard sur Kolwezi, en 1978, qui a permis de sauver près de 2 000 Européens et plusieurs centaines d’Africains pris en otage et dont le massacre avait commencé. Ces « miraculés » ont mesuré très concrètement ce que représentait la France.

    Aujourd’hui, notre pays a rapatrié plusieurs centaines de ses ressortissants vivant en Chine. Ils ont été accueillis et ont bénéficié d’un suivi médical bien supérieur à celui dont ils auraient pu bénéficier dans les « hôpitaux 10 jours » de Wuhan. Ainsi, quand nos expatriés sont en danger, ils mesurent très vite la chance qu’ils ont d’être les ressortissants d’un pays indépendant et puissant qui accepte de risquer la vie de ses soldats et de ses médecins pour les sauver.

    L’État et les entreprises

    Cette crise du coronavirus illustre aussi notre dépendance à l’égard de nombre de produits stratégiques. Elle nous a ainsi révélé que plus de 80 % des molécules importantes nécessaires à l’industrie pharmaceutique conçues en Occident et, en particulier en France, sont fabriquées en Chine et en Inde.

    Dans le domaine militaire, cette dépendance technologique est d’autant plus inquiétante qu’elle est de nature à remettre en question les capacités de dissuasion et d’action de nos systèmes d’armes les plus puissants. Nous connaissions déjà celle vis-à-vis des États-Unis pour le maintien en condition des catapultes du porte-avions Charles de Gaulle, pour le recueil des renseignements au Sahel à partir des drones Reaper, qui nous appartiennent mais dont la mise en œuvre complète nous échappe, et aussi, depuis la vente d’Alstom Énergie, pour les turbines des réacteurs des sous-marins à propulsion nucléaire, qu’ils soient lanceurs d’engins ou d’attaque ! Chaque jour, dans ce domaine, des pépites françaises sont menacées de rachat conduisant notre pays à risquer de perdre la maîtrise de la chaîne de production d’équipements de haute technologie, au point d’être vulnérable aux chantages et embargos, ou interdit d’exportation de matériels y compris par des pays alliés.

    Notons que, déjà, toutes les armes individuelles de nos soldats - fusils d’assaut et de précision, pistolets - sont d’origine étrangère : allemande, belge et autrichienne. Aussi nos armées doivent reconstituer leurs capacités et notre industrie doit renforcer la maîtrise de la fabrication de nos armes. Cela concerne en priorité les matériels majeurs : sous-marins et frégates, avions de chasse et drones, missiles et blindés avec leurs milliers de sous-ensembles et de composants, sans oublier les nombreux moyens de renseignement et de transmission.

    Fragilités et cohésion

    Nos sociétés sont devenues plus fragiles et présentent des vulnérabilités accrues en raison de l’urbanisation. Ces concentrations humaines, devenues les poumons économiques des nations, sont très dépendantes des réseaux d’eau, d’énergie, de transport, faciles à neutraliser. De plus, les points d’entrée sur le territoire sont nombreux. Outre les frontières terrestres et maritimes, ce sont les ports et aéroports dont le volume de trafic ne cesse de croître.

    Des mouvements de relocalisation d’usines s’opèrent car le coût de la main-d’œuvre comme celui du transport (générateur de carbone taxable) augmentent vite dans les pays en développement et l’impératif de réactivité et de qualité rend la sous-traitance moins attrayante dans certains secteurs. Il faut aller au-delà et retrouver la notion de communauté nationale fondée sur une prise de conscience d’un bien commun supérieur. La liberté individuelle n’est pas l’individualisme. La solidarité dans l’épreuve ne peut s’exercer qu’au profit de ceux qui acceptent de partager et servir la communauté à laquelle ils veulent appartenir. Elle seule est en mesure de leur procurer la sécurité et la protection.

    Face à cette situation, la France veut-elle recouvrer son indépendance ?

    Cela n’exclut pas les coopérations en priorité avec des pays européens. Le système satellitaire Galileo, réalisé à 27, qu’aucun pays n’aurait pu développer seul, permet au contraire à chacun d’entre eux de n’être plus dépendant du seul système GPS américain. Pour la France il est urgent de préserver et développer son excellence technologique, dans les grands projets européens particulièrement en matière de défense et dans le numérique. L’enjeu est le renforcement de notre autonomie stratégique tout en favorisant celle de l’Europe. Pour nos concitoyens, il convient de privilégier l’achat de produits conçus et fabriqués en France sous réserve qu’ils soient au meilleur niveau.

    Cela représente un coût, mais c’est le prix de notre souveraineté. Comme le rappelle Jacqueline de Romilly à propos des Grecs : « Être libre, était avant tout appartenir à une cité libre, c'est-à-dire indépendante» (extrait de La Grèce antique à la découverte de la liberté. Coll. Bouquins 2019).

     

     
    LA RÉDACTION de l’ASAF

    www.asafrance.fr

     

  • Défense - Afrique, Orient, quelle place pour la France ?

     

    Par Mathieu Épinay

    Aujourd'hui, devant les nouvelles situations, la France doit, soit retrouver sa place avec des moyens cohérents, soit y perdre progressivement ses forces.

     

    « Le chef d'état-major des années (CEMA), parce qu'il porte les opérations du ministère, porte aussi, par fonction, des responsabilités en matière de cohérence générale, à la fois de la programmation et des engagements budgétaires », déclarait en septembre le nouveau CEMA. Le général Lecointre entend donc garder ses prérogatives, dans la ligne de son prédécesseur et en opposition frontale avec le discours présidentiel qui avait décidé Villiers à partir. Macron, chef des armées, décidément bien léger, est « contré » par deux CEMA !

    DES ARMÉES MAL AIMÉES

    Commettant une nouvelle faute, il vient d'abaisser dans le protocole l'amiral Rogel, chef de l'état-major particulier à l'Elysée, qui passe ainsi après le directeur de cabinet. C'est mesquin et stupide ! Ancien chef d'état-major de la Marine, Rogel appartient à cette élite ultra-sélectionnée des commandants de sous-marins nucléaires, intelligence brillante servie par le mental d'acier du sous-marinier, c'est un chef respecté avec une indiscutable légitimité opérationnelle et stratégique. Ce « déclassement » ne l'affecte pas, mais c'est une provocation pour les militaires. Elle affiche sur le fond la défiance du président à leur égard et, sur la forme, trahit un discernement altéré par des failles psychologiques... inapte au commandement d'un sous-marin ! Le fossé continue donc à se creuser entre Macron et ses armées, c'est ennuyeux, car la situation y est préoccupante.

    En effet l'activité qui leur est demandée dépasse les contrats opérationnels pour lesquels elles avaient été dimensionnées. D'où un surcoût de près d'un milliard d'euros par an à prendre sous enveloppe dans un budget « défense » qui ne le prévoit pas. Il faut donc chercher ce milliard dans l'équipement des forces : les programmes sont retardés, les matériels ne sont pas remplacés conduisant à l'érosion inéluctable de l'ensemble.

    DES POLITIQUES STUPIDES

    Pourtant il reste beaucoup à faire en Afrique, nos forces s'usent sans résultats durables. Tant que l'Afrique n'aura pas les structures politiques robustes qu'on n'acquiert pas en 50 ans de colonisation, toute pacification restera fragile et il faudra y rester pour l'accompagner.

    Mais cette situation, nos gouvernants l'ont aggravée en bombardant la Libye jusqu'au lynchage de Kadhafi.

    Resté au pouvoir, il aurait traité le soulèvement islamo-tribal de Benghazi, interdit le scandaleux trafic d'êtres humains vers Lampedusa, acheté les Rafale qu'il nous avait commandés. Une poignée de coopérants militaires français ou italiens aurait alors suffi pour accompagner le « roi des rois d'Afrique » dans la stabilisation du Sahel et la neutralisation des infiltrations islamiques à quoi nos armées s'épuisent actuellement.

    Au Levant, les opérations ne mobilisent que 1500 hommes mais coûtent cher en équipement, en activité aérienne et en logistique. Les frappes portent leurs fruits surtout grâce à la Russie qui appuie sans réserve l'armée syrienne. Ses bombardiers à long rayon d'action interviennent après décollage du territoire russe et survol de l'Iran. Ils sont protégés par les chasseurs Sukhoï 27 basés en Syrie. Nos 14 Rafale de l'armée de l'air et de la marine basés en Jordanie et aux Émirats seraient plus efficaces en coopération avec les Russes mais notre stupide politique arabe l'interdit. Heureusement, face à l'évidence, la France ne fait plus du départ d'Assad un objectif prioritaire. L'expérience libyenne aurait-elle fait réfléchir ces esprits étroits, juste bons pour l'oral de l'ENA ? L'accueil du maréchal Sissi à Paris, malgré la hargne médiatique contre le tombeur des frères musulmans, ouvrirait-il une ère nouvelle ?

    Dès 2013, il fallait se démarquer de la campagne anti-Assad et des mensonges euro-atlantistes pour se positionner en puissance indépendante dans le règlement d'une crise attisée par des intérêts pétroliers inavouables. Notre statut nucléaire, nos liens immémoriaux avec la Syrie et le Liban nous en donnaient la légitimité. L'affaire se serait jouée entre la France et la Russie et nous n'en serions pas là. Mais c'était l'époque où Hollande et son poulain Macron poussaient un ambassadeur homosexuel au Vatican et torpillaient la vente des « Mistral » aux Russes, où Fabius saluait le travail d'al-Nosra violeur et tueur de chrétiennes. On a la diplomatie qu'on peut !

    DU NOUVEAU EN ARABIE

    Et voici que, sans que le quai d'Orsay ait rien anticipé, un jeune prince de 32 ans, Mohammed ben Salman, propulsé au rang d'héritier par son père de 81, prend le pouvoir à Riyad. Là-bas, l'usage était plutôt de le recevoir à 75 ans de son frère. Depuis cette désignation inattendue en juin, il a rencontré Pouline à Moscou, autorisé les femmes à conduire, renvoyé les « Mutawa » dans leur casernes ; cette police religieuse bastonne celles qui se décoiffent et ferme les commerces aux heures de prière. Il veut aussi nettoyer le corpus islamique des hadits criminogènes et vivre en bonne intelligence avec les autres religions. Le 5 novembre, par un quasi-coup d'État, il renvoie ou arrête pour corruption les élites en place, princes, ministres, hauts fonctionnaires, bloquant leur comptes en banques et leurs jets privés. Simultanément, sur fond de tensions avec l'Iran, le Premier ministre libanais sunnite Hariri vient à Ryad pour y annoncer sa démission. Craint-il de finir comme son père, déchiqueté par une bombe chiite ? Serions nous à l'aube d'un tremblement de terre géostratégique que seul Moscou aurait vu venir ? Le président Macron s'essaye à sauver Hariri.

    DES POLITIQUES POSSIBLES

    Depuis 30 ans l'armée française est engagée dans des affaires qui l'épuisent par les parvenus qui se déchirent pour le pouvoir. Aucune culture historique, aucune vision politique à long terme, juste une idéologie imbécile, une diplomatie du fric et des appétits personnels qu'il faut satisfaire avant la fin d'un mandat !

    Serbie, Irak, Afghanistan, Libye, Syrie, partout nous aurions pu faire autrement ! Une vision souveraine aurait épargné le sang, préservé notre appareil de défense et accru notre crédibilité.

    Ainsi, en 2003, la France est sortie grandie de son veto sur l'Irak et confortée par ses conséquences tandis que l'Armée britannique s'embourbait à Bassorah. Elle ne s'en est jamais remise.

    Face aux bouleversements qui se dessinent dans le Golfe, allons-nous y retrouver notre place ou continuer à jouer, pour notre perte, les zélés supplétifs de ceux qui veulent nous voir disparaître dans le « machin» européen ?

    Lucide, le nouveau CEMA réclame une révision à la baisse de ces engagements interminables qui nous affaiblissent. C'est possible avec une autre politique, avec du courage, de l'intelligence et cette vision à long terme qui manque à nos démocraties, mais pas au jeune prince Ben Salman à Riyad. Il nous en faudra alors que là bas vient de tomber Rakka, l'ultime bastion du califat islamique, et que d'autres défis nous attendent ici dans ces banlieues que les préfets interdisent aux gendarmes.

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    Le 30 mai 2017, le président Poutine reçoit au Kremlin le prince Mohammed ben Salman.

    Mathieu Épinay

  • Catalogne : la grande peur des élites européennes

    Trois députés européens belges brandissent l'Estelada, le drapeau indépendantiste catalan, au Parlement européen de Strasbourg, 4 octobre 2017. SIPA.

     

    Par Roland Hureaux

    C'est, selon son habitude, à une fine analyse que Roland Hureaux se livre ici [Causeur - 3.11]. Une fine et exacte analyse de la situation en Catalogne et de son rapport à l'Union Européenne. Nous sommes moins sûrs que lui que la fête soit finie en Catalogne. Pour deux raisons : Quels résultats, quel parlement, quelle coalition, quel président sortiront des élections du 21 décembre ? Sur ces points-là l'incertitude est grande. Quant au capital de haine envers Madrid, l'Espagne, le castillan, accumulé depuis des décennies par une petite moitié des Catalans, quel scrutin suffira-t-il à l'entamer ? L'avenir nous le dira. Rappelons enfin que Roland Hureaux fut l'un des participants au colloque d'Action française du 7 mai 2016, à Paris, « Je suis royaliste, pourquoi pas vous ? »    LFAR

     

    1871659358.jpgLa Catalogne avait tout pour plaire au courant dominant européen : une forte identité mais régionale – pas nationale – non exclusive d’un vif sentiment europhile, Bruxelles apparaissant comme un garant de l’autonomie face aux tentations unitaires de Madrid ; le souvenir de la guerre civile où cette province se trouvait du côté « sympathique » de la force, celui des républicains ; une large ouverture à l’immigration (13,5% de sa population en 2008) ; la métropolisation (5,5  des 7,5 millions de Catalan vivent dans l’agglomération de Barcelone) ; une grande tolérance de mœurs: « gay  friendly » et paradis de la prostitution; sur la voie royale menant du Maroc à l’Europe, le cannabis y est presque en vente libre.

    Au sérieux traditionnel que l’on reconnait au peuple catalan, s’ajoutait ainsi une image de modernité progressiste de bon aloi.

    On se serait attendu à ce que le mouvement pour l’indépendance soutenu par près de la moitié de la population, avec des appuis à droite mais surtout à gauche et à l’extrême gauche, reçoive tout naturellement l’aval de la nomenklatura politique et médiatique ouest-européenne. Las, les choses se sont gâtées.

    Vers la balkanisation de l’UE ?

    La perspective de l’indépendance se rapprochant et sur fond de grave crise des partis nationaux (PP, PSOE), les forces qui dominent l’Europe ont vu tout à coup avec effroi le danger que représenterait une indépendance « pour de bon » de la Catalogne: la contagion  à d’autre provinces espagnoles, à la Corse, des tensions accrues entre les régions italiennes ou belges, un précédent pour l’Ecosse. Comme il s’en faut de beaucoup que l’idée d’indépendance fasse l’unanimité dans ces régions, où l’opinion est généralement divisée par moitié, les risques de guerre civile pointaient un peu partout. S’agissant de la Catalogne elle-même, qui pouvait dire si l’ordre public serait sérieusement assuré par un gouvernement régional habitué depuis longtemps à se positionner contre l’Etat et sur un territoire qui intéresse de plus en plus les réseaux mafieux ?

    L’Union européenne, qui avait si ardemment encouragé la dislocation de la Yougoslavie, et si longtemps prôné une « Europe des régions » destinée à affaiblir les Etats, a, tout à coup, perçu le danger : elle ne peut pas se permettre une dislocation de l’Espagne et une fragilisation de toute l’Europe méditerranéenne, dont les économies sont déjà affaiblies par la toute-puissance d’un euro plus fait pour l’Allemagne que pour elles. C’est toute l’Europe occidentale qui en subirait le contrecoup ; la construction européenne pourrait même être remise en cause.

    Au même moment, Bruxelles prend conscience qu’il est plus facile de faire appliquer les directives européennes dans un Etat discipliné comme la France que dans quinze länder allemands : le régionalisme débridé pourrait passer de mode.

    La fête est finie

    Devant la provocation que représentait l’organisation d’un référendum sauvage par la Généralité, le 1er octobre dernier, le président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy n’a fait que son devoir en faisant intervenir la police, de manière parfois musclée, pour empêcher les opérations de vote. L’unité de l’Espagne a reçu l’appui du roi Felipe VI.  En d’autres temps, l’opinion européenne, toujours portée à la sensiblerie, aurait crié à la provocation, dénoncé les violences d’Etat, la répression policière. Mais elle a au contraire appuyé Rajoy. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, notre bon président Macron et même le pape François sont venus à sa rescousse.

    La grande manifestation du 8 octobre à Barcelone a montré que, quand le contexte s’y prête, la fermeté emporte autant l’adhésion que la gentillesse. Et en tous les cas qu’une partie substantielle des Catalans ne voulait pas couper les ponts avec Madrid.

    Ces événements, et le retour à l’ordre qui s’amorce, rappellent, après des années de « fête catalane » un peu irresponsable, que la politique est une chose sérieuse et qu’elle peut même parfois virer au tragique. La question de l’unité de l’Espagne ne fut-elle pas, au moins autant que la question religieuse et bien plus que la lutte des classes, au fondement de la guerre civile espagnole de 1936-1939 ?

    En Catalogne, la récréation est finie.   

    est essayiste.
  • On ne peut vaincre l’ensauvagement qu’en restaurant Notre civilisation ! (I), par Christian Vanneste

    En 2017, les Français avaient élu par défaut E. Macron et avaient assuré une large majorité à son parti « En Marche ». Celui-ci aurait perdu 95% de ses adhérents, mais garde une imposante majorité à l’Assemblée Nationale totalement déligitimée par les scrutins plus récents. Le pouvoir tente de se relancer. La multiplication des annonces par de nouveaux ministres veut à la fois faire oublier le passé et fixer un horizon jusqu’aux prochaines présidentielles. Il faut dissiper l’illusion d’un renouveau qui pourrait enfin « marcher » !

    christian vanneste.jpgD’abord parce que l’abus du tourisme ministériel qui coûte cher et désorganise les services le temps d’une visite n’a jamais apporté la moindre solution. Ce n’est que théâtrocratie et calinothérapie : un spectacle permettant de communiquer et de donner à croire qu’on s’occupe des problèmes et des gens qui les subissent. Ensuite, parce que à force de n’en résoudre aucun, ceux-ci sont devenus plus nombreux et quasi insolubles : trancher le noeud gordien plutôt que d’essayer de le dénouer patiemment sans succès est une solution peu compatible avec la religion de l’Etat de droit et du politiquement correct. Enfin, parce que face à ces obstacles devenus insurmontables, la pensée du « en même temps » révèle son absurdité et son impuissance. Une action politique doit fixer des priorités. Les ministres jetés comme les boules d’un flipper pour rebondir d’une difficulté non résolue à une autre aggravée ne pourront que perdre la partie. On pourrait même fustiger l’empreinte carbone de cette cavalcade ministérielle en contradiction avec l’objectif écologique cher au président.

    Les événements, les faits qu’on essaie en vain de minimiser, de voiler, finissent toujours par imposer de véritables priorités. L’ « ensauvagement » de la société française est à la une, et c’est inévitable. Que signifie l’ensauvagement ? En premier lieu, l’augmentation de la brutalité dans les rapports humains. En second lieu, le fait que les auteurs de ces violences sont étrangers à la culture nationale, que leurs comportements sont ceux de « sauvages » qui n’ont pas assimilé la civilisation dont nous héritons, et qu’ils n’ont pas été assimilés à la nation réduite à « la République ». Il y a dans notre pays des espaces où le rapport de force domine l’Etat de droit parce que démographiquement des groupes d’origine étrangère sont plus nombreux que les autochtones et ne peuvent donc imiter le modèle de ces derniers, que les trafics et autre activités illicites constituent une part décisive de l’économie de ces secteurs, et qu’enfin l’école inhibée par les pressions, les menaces, les réticences ne remplit plus son rôle intégrateur. Quand la formation conduit à de petits emplois mal rémunérés alors que la délinquance et le crime rapportent bien davantage, notamment en raison du laxisme judiciaire à l’égard des mineurs, prétendre que la construction d’une école permettrait de fermer une prison est grotesque. Il faut lire « La France des caïds » de Gérald Pandelon pour prendre la mesure de l’illusion.

    Et pourtant c’est à cette vieille utopie hugolienne que vient de se référer le nouveau ministre de la justice qui en tant qu’avocat souhaite bien sûr que ses clients, victimes de l’injustice sociale, soient libres. La prison serait l’école du crime… donc, si on ferme les prisons, le crime diminuera. La criminalité comme Alain Bauer et Xavier Raufer le disent depuis longtemps est avant tout le fait de criminels, et non un mécanisme social qu’on pourrait faire cesser « mécaniquement » en diminuant les inégalités, en réduisant les discriminations. Edwin Sutherland a pointé avec « l’association différentielle » l’idée qu’au sein d’un groupe homogène, peut s’épanouir et se transmettre la préférence pour la transgression plus profitable matériellement et psychologiquement que le conformisme. On en tire revenus et reconnaissance « sociale ». Certes la prison est un accélérateur de ce phénomène, mais parce qu’elle arrive trop peu et trop tard, pour trop peu de temps, et avec trop de contraintes pour l’institution pénitentiaire. La France n’a pas construit assez de prisons. La surpopulation carcérale est due à cette insuffisance et non à la dureté des châtiments. C’est pourquoi la peine dès le premier délit méritant une privation de liberté doit être exécutée avec le risque pour le récidiviste d’une incarcération très longue. Le travail devrait bien sûr y être obligatoire, ne serait-ce que pour couvrir les frais d’ « hébergement ». Le travail devrait d’ailleurs à travers les TIG être systématiquement mis en oeuvre comme première peine.

    Cette réponse est à des années-lumière de l’idéologie mortifère qui règne dans notre pays. Pour comble, la schizophrénie du « en même temps » a placé face à face et non côte à côte un partisan de cette idéologie à la Justice, et un imitateur de Sarkozy à l’intérieur. Sur le terrain de la récente fusillade de Nice, ce dernier n’a pas brandi son Kärcher mais affirmé que la République était partout chez elle. Cette phraséologie incantatoire ne nous change guère de Castaner. Or, il est temps de renverser la table ! Les fusillades et les échauffourées de Dijon et de Nice ont conduit à des déplacements de ministres suivis de déplacements de CRS…. Poudre de perlimpinpin et emplâtre sur jambe de bois ! Philippe Monguillot, Mélanie Lemée, Thomas et Axelle Dorier ont été victimes de sauvages incapables de mesurer la gravité de leurs actes. L’avocate de celui qui est l’auteur de la mort de l’aide-soignante de Lyon a voulu faire de son client une victime, « bouleversée » par le drame (dont il est l’auteur) et objet d’une récupération de l’extrême-droite. Ce renversement systématique de la culpabilité, cette victimisation des coupables sont devenus intolérables. Effectivement, son prénom n’est pas Jules ou Louis et a la même origine que ceux impliqués le plus souvent dans les violences. Il faut se libérer de l’aveuglement idéologique qui nous est imposé depuis trop longtemps. Mais cette libération ne serait, si elle est encore possible, qu’un premier acte avant un changement radical dans les domaines de l’immigration, de l’accession à la nationalité, de la justice et de l’école… Nous sommes devant une montagne et notre « premier de cordée » est le plus mauvais guide qu’on puisse imaginer pour cette aventure à hauts risques.

  • De l'affaire Duhamel à la démission du directeur de Sciences Po : portrait de l’oligarchie, par Natacha Polony.

    "L’oligarchie elle-même n’aura sans doute qu’à se reconstituer une figure présentable..."
    © Hannah Assouline. 

    La démission du directeur de Sciences Po, Frédéric Mion, suite aux révélations de "Marianne" ? "L’occasion de comprendre quel rôle joue l’Institut d’études politiques dans la perpétuation d’un système oligarchique dont le principal fait d’armes est l’émergence d’une défiance profonde des citoyens envers les institutions et leurs représentants", pour Natacha Polony.

    Le directeur de Sciences Po, Frédéric Mion, a donc fini par démissionner à la suite des révélations de Marianne puis de celles du Canard enchaîné sur ses mensonges dans l’affaire Duhamel. Et, tout à coup, c’est un des temples des élites politico-médiatiques qui tremble sur ses fondations. Ou plutôt sur sa Fondation, celle dont Olivier Duhamel a quitté la présidence, confiée par intérim à Louis Schweitzer, et qui se retrouve désormais privée de son administrateur. Un salutaire nettoyage des écuries d’Augias, penseront tous ceux qu’horrifie le silence pudique utilisé comme arme des puissants pour garantir l’impunité et perpétuer un pouvoir. Et l’occasion, peut-être, de comprendre quel rôle joue l’Institut d’études politiques dans la perpétuation d’un système oligarchique dont le principal fait d’arme est l’émergence d’une défiance profonde des citoyens envers les institutions et leurs représentants.

    Frédéric Mion est, comme Marc Guillaume, qu’il aurait en l’occurrence cherché à couvrir, comme Richard Descoings, à qui il a succédé, conseiller d’État. Ce n’est pas anecdotique, tant ce corps, sans doute davantage que l’Inspection des finances, agit aujourd’hui comme un pouvoir non élu dont la fonction serait de résister à toute tentative par des politiques de répondre aux aspirations de leurs électeurs. Le Conseil d’État juge en dernier ressort en matière administrative, est de plus en plus cette entité qui contrôle les lois avant même leur passage devant le Parlement et les édulcore de tout élément un peu trop échevelé ou révolutionnaire. Son vice-président est d’ailleurs membre du conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques, en même temps que divers « représentants des fondateurs », dont la liste se confond avec celle des hommes qui ont orienté les grands choix de la France sur les trente ou quarante dernières années.

    Michel Pébereau, président d’honneur de BNP Paribas, dont la toute-puissance éclaire l’étrange propension de la France à préserver son secteur bancaire à coups de financiarisation de l’économie, plutôt que de penser une politique industrielle. Pascal Lamy, président de l’Institut Jacques Delors, ancien commissaire européen, ancien directeur général de l’OMC, qui a promu avec force le libre-échange et l’ouverture de l’Union européenne à tous les vents de la globalisation, avant de se mettre à professer, à l’occasion de la pandémie, les vertus d’une Europe puissance. Henri de Castries, ancien PDG d’AXA assurances, président de l’Institut Montaigne, président du comité directeur du groupe Bilderberg…

    L'ombre de Richard Descoings

    L’observateur distrait n’a de Sciences Po Paris que l’image d’une école moins prestigieuse que Normale sup ou l’ENA, et dont les étudiants se distinguent par leur ferveur dans l’organisation de manifestations « inclusives » comme ce « hidjab day », qui incite les jeunes filles à arborer ce symbole de féminisme et d’émancipation. Ce serait oublier que si l’école est devenue le poste avancé du différentialisme anglo-saxon dans l’enseignement supérieur français, c’est par l’action d’un homme, Richard Descoings, qui incarne la jonction entre cette idéologie « minoritariste » et l’omniprésence des réseaux de pouvoir. Avec une dimension supplémentaire : la transformation de l’enseignement supérieur français, sous les applaudissements des politiques de droite et de gauche. Richard Descoings ne fut pas seulement le promoteur de la discrimination positive, à travers des conventions signées entre Sciences Po et certains lycées de ZEP qui, au nom des meilleures intentions de monde, entérinaient la destruction de l’école républicaine et l’impossibilité pour les jeunes défavorisés d’acquérir les savoirs nécessaires à la réussite d’un concours anonyme.

     

    "Il fut la star des médias « progressistes » qui s’extasiaient de ce directeur adepte des soirées étudiantes et qui trouvaient géniale la transformation du creuset des futurs serviteurs de l’État en business school américaine." 

     

    Quiconque discutait avec lui comprenait que, pour cet homme brillant, le contenu des enseignements, les savoirs, n’existent pas : une école sert à se construire des réseaux. Peu importe, donc, le niveau que l’on a à l’entrée, du moment que l’on entre et que l’on se constitue un carnet d’adresses. Il fut la star des médias « progressistes » qui s’extasiaient de ce directeur adepte des soirées étudiantes et qui trouvaient géniale la transformation du creuset des futurs serviteurs de l’État en business school américaine. La réussite de Sciences Po s’appuyait d’ailleurs sur un modèle économique dont on se doute qu’il est impossible à reproduire dans des universités françaises paupérisées. Tout le monde ne bénéficie pas de l’entregent d’un directeur introduit autant à l’UMP qu’au PS et de ce subtil mélange des genres entre public et privé qui permet à Sciences Po de s’endetter presque autant que la Ville de Paris (c’est dire…).

    Certes, l’école fournissait à nombre de journalistes une carte de visite de « chargé de cours » qui vous éclaire d’une aura bienvenue. Voilà qui rend plus difficile l’examen objectif du fonctionnement de ce bastion de la pensée conforme, dont la force est, depuis des décennies, de produire des adeptes zélés du libre-échange et de la division mondiale du travail. Aujourd’hui, ces étudiants biberonnés aux sciences sociales américaines et à la cancel culture pourraient bien ébranler, pour des raisons bien éloignées de la critique de l’oligarchie, le temple de la reproduction. Mais l’oligarchie elle-même n’aura sans doute qu’à se reconstituer une figure présentable.

    Source : https://www.marianne.net/

  • Climat : on se réveille ou on attend de cuire… ou de se noyer ?, par Natacha Polony.

    "Quiconque regarde autour de lui comprend que les alertes se multiplient, et que les bouleversements sont plus rapides que ne l’anticipaient les experts".
    © Hannah Assouline

    Dans la campagne électorale qui s’ouvre, il appartient aux médias d’enfin mettre au pied du mur ceux qui prétendent présider aux destinées de la France en les forçant à parler aménagement du territoire, relocalisation de l’économie – en particulier d’une industrie propre – utilisation de la commande publique pour favoriser la production locale ou refus de toute nouvelle artificialisation des sols sans compensation. 

    Si le débat en reste une fois de plus à quelques poncifs sur la décroissance, ce « retour à la bougie », nous aurons tout perdu.

    Il n’y a plus de saisons ! Les Français qui pestent contre ces trombes d’eau déversées sur leurs vacances ont-ils le cœur à se réjouir d’échapper à une canicule telle qu’ils en ont vécu ces dernières années ? Songent-ils à ces quelque cent personnes mortes au Canada sous ce que nous avons appris à nommer un « dôme de chaleur » ? 49,6 °C… À cette température, les végétaux des zones tempérées meurent aussi sûrement que les humains. Et, pendant ce temps, en Chine, en Allemagne, en Belgique, d’autres êtres humains sont emportés par les flots déchaînés.

    Les phénomènes météorologiques extrêmes sont-ils le signe visible, et parfois paradoxal, du dérèglement climatique ? Il suffit en général de quelques jours de gel en hiver ou d’un été pourri pour que les professionnels du déni entonnent le refrain de café du commerce sur l’air de « qu’on ne vienne pas nous parler de réchauffement climatique ». Mais, en dehors des parades de plateau télé, quiconque regarde autour de lui comprend que les alertes se multiplient, et que les bouleversements sont plus rapides que ne l’anticipaient les experts. Déjà, certaines zones du monde ne sont plus habitables : dans le golfe Persique, au Pakistan, des endroits où la chaleur humide – impossible à supporter pour le corps humain, contrairement à la chaleur sèche – atteint des niveaux jamais constatés.

    « Nous devons réinventer nos sociétés pour anticiper les changements pour anticiper les changements à venir autant que pour tenter de les limiter. »

    On peut être allergique à cette forme de jouissance malsaine des annonciateurs d’apocalypse (du même ordre que celle que nous percevons depuis un an et demi dans les discours nous promettant des centaines de milliers de morts et des « vagues » à répétition si nous ne nous enfermions pas ad vitam) sans pour autant nier l’évidence : nous devons réinventer nos sociétés pour anticiper les changements à venir autant que pour tenter de les limiter. Ceux qui nous expliquent que la seule échelle d’action est internationale et que les questions écologiques signent le dépassement de l’État-nation nous proposent donc d’attendre l’hypothétique moment où des dirigeants mondiaux devenus philanthropes décideront par miracle de changer de modèle. En général, les mêmes s’entendent pour culpabiliser – et taxer – les petites gens qui ont le mauvais goût d’utiliser leur voiture.

    Prenons donc les choses dans l’autre sens. La seule échelle sur laquelle nous avons prise est celle où s’exerce la démocratie. Donc l’État-nation. Même l’Union européenne, enfin lancée dans son « Green Deal » grandiloquent, a besoin de se faire tordre le bras pour enfin taxer les produits venus de pays où aucune norme environnementale n’est imposée (le dumping social, lui, ne pose aucun problème, puisqu’il enrichit les multinationales en même temps qu’il ruine les classes populaires occidentales). « Ne croyons plus aux lendemains qui chantent, changeons la vie ici et maintenant ! » proclamait l’hymne du programme commun de la gauche en 1977, quand des socialistes existaient encore ; eh bien, chiche !

    Débattons de notre modèle de développement

    Dans la campagne électorale qui s’ouvre, il appartient aux médias d’enfin mettre au pied du mur ceux qui prétendent présider aux destinées de la France en les forçant à parler aménagement du territoire, relocalisation de l’économie – en particulier d’une industrie propre – dans les villes moyennes pour désengorger les métropoles, normes de construction et modèles d’urbanisme, utilisation de la commande publique pour favoriser la production locale, refus de toute nouvelle artificialisation des sols sans compensation par la destruction de structures existantes, sanctuarisation des terres arables, aides à la conversion des agriculteurs, agroécologie, TVA sociale couplée avec des baisses de charges pour rendre de la compétitivité aux produits fabriqués en France, mais aussi investissement dans la recherche et, bien sûr, choix énergétiques. Si le débat en reste une fois de plus à quelques poncifs sur la décroissance, ce « retour à la bougie » nous aurons tout perdu.

    Mais, plus que tout, c’est notre modèle de développement et de loisir qui doit être débattu collectivement. Que Dubaï, avec ses tours géantes climatisées et son univers artificiel soit devenue, selon la presse, la destination de vacances « qui fait rêver les Français » devrait nous consterner… Nous voilà donc pris en étau entre des Verts qui prétendent remodeler l’imaginaire des enfants et une organisation économique qui, par la publicité et les médias de masse, formate celui des adultes pour leur vendre un faux luxe fait de piscines bleu turquoise et de populations exploitées.

    Il y a bien longtemps que plus aucun de nos gouvernants ne lit Montesquieu. Ils gagneraient pourtant à se pencher sur la théorie des climats. L’organisation de nos sociétés, notre façon d’être au monde, de concevoir la vie humaine, sont liées à cette bénédiction de vivre en climat tempéré, dans une nature bercée par quatre saisons distinctes, et non cette alternance brutale que vivent d’autres continents entre saison sèche et saison des pluies. La civilisation française est le produit de sa géographie. Déjà, la Provence perd ses roseraies, assoiffées et brûlées par les canicules. Les rivières verdoyantes qui font la beauté de nos paysages doivent-elles devenir des ruisseaux étiques pour que nous comprenions que, certes, l’humanité s’est toujours adaptée aux changements, mais que ce que nous y perdrons risque de sérieusement nous manquer ?

  • Un bout de chemin, avec Enzo Sandré.

    Qui est-il, où est-il, loup y es-tu, que fais-tu ? Qu'importe au moment. C'est ce qu'il dit qui a de l'intérêt, beaucoup d'intérêt. Et il le dit sans l'emphase du mandarin en chaire, du prof d'amphithéâtre, du conférencier pénétré en salle de trente pelés ; mais simplement, avec conviction, calme et précision. Il faut dire que je suis un peu lassé des penseurs-conférenciers royalistes que l'on précède tout au long de l'exposé. 

    Je ne citerai personne mais les radoteurs se reconnaîtront ; ils ont remarqué déjà ma chaise vide mais par chance on en perd chaque année, la régénérescence étant naturelle comme dans le modèle monarchique français. Arrive sur le marché de l'agitation royaliste du sang nouveau ; Enzo Sandré est typique de ce regain. De quoi s'agit-il maintenant ?

    Notre ami Grégory Roose (qu'il faut remercier) a eu la bonne idée, ou s'est laissé convaincre, d'inviter sur sa chaîne pscp.tv un jeune cadre de l'Action française. Si celui-ci ne manie pas la rhétorique comme un tribun sous les préaux (et c'est tant mieux), Grégory Roose ne pourrit pas l'entretien comme aime à le faire Jean-Marc Morandini en hachant le discours, au plaisir de se faire valoir devant ses invités ; il le fit récemment avec Marion Maréchal-Le Pen - que le diable le mette ! Ceci dit, vous regarderez l'entretien de 48 minutes à la fin de ce petit billet en cliquant ici* ; on ne s'ennuie pas une minute. Mais nous allons sauter tout de suite à l'appel final qui aborde la réflexion stratégique !

    Elle s'adresse à tous les patriotes, tous les natios : fédérez-vous pour prendre le pouvoir comme savent si bien le faire vos adversaires, leur dit M. Sandré. Il n'est pas sûr qu'il s'adresse aux partis, éternels perdants de la droite dure à l'enseigne de la porte battante, mais plutôt aux mouvements d'exaspérés qui précipitent de temps en temps en insurgés, à l'occasion des erreurs manifestes de gouvernance du pays. Il faut dire que si l'Etat républicain fait les choses, il les fait souvent mal et nous montre parfois un don d'accumulation rare en bêtises comme dans sa lutte désespérée contre le coronavirus chinois. Prendre le pouvoir se fit, se fait et se fera de force, aurait dit le Martégal. Le dernier coup fut fondateur de la Cinquième en 1958 ; on l'oublie. Le coup de force sera institutionnel (par les urnes) ou résoudra une situation de désordre général devenue ingérable, comme une insurrection sanglante dans la capitale, un soulèvement anarchiste dans les banlieues des métropoles, une banqueroute complète ruinant l'épargne des ménages, la subversion allogène débordant les pouvoirs publics. Saisir le pouvoir pour asseoir une autorité d'ordre sauvera la république (avec une minuscule au sens de "chose publique"), et si le changement de paradigme s'avère être la pré-condition de la survie de l'Etat-nation France, pourquoi devrait-on s'en priver ? Pour l'article 89 ? c'est risible si tout s'effondre. Mais M. Sandré y met trois conditions :
    Un peuple non hostile qui laisse passer les étendards ; une occasion convoquant l'ordre comme dans les exemples ci-avant ; un appareil politique prêt à convertir sans délai l'opportunité en pouvoir établi. J'y ajouterais s'il me le permet, la vitesse d'exécution. M. Sandré ne fait qu'amorcer ces points dans l'entretien de Grégory Roose parce que c'est sa spécialité dans les ateliers AF, mais on peut retrouver le développement ad hoc sur les sites du mouvement.

    Si au débouché de la convergence des patriotes, la fenêtre d'opportunités étant ouverte, il fallait un protocole pour choisir l'impétrant, le Piéton suggère de s'en remettre à l'ordre naturel plutôt que dynastique, ordre naturel asséné maintes fois sur ce blogue : Ne nous inquiétons pas du premier à Reims, acclamons plutôt le dernier debout à Paris ! Sur les ruines fumantes ? Pour sûr, Enzo Sandré a buché le concept maurrassien pour arriver aux affaires par tous moyens même légaux. A partir de là, la brutalité des événements que l'on pourrait anticiper ne laissera aucune place au prétendant qui du bout des lèvres assure aujourd'hui ses partisans de sa parfaite attention en cas d'appel le jour venu... Parce que "le jour venu", il n'y aura aucun atermoiement, aucune hésitation, pas de voyage à Goritz, on n'attendra aucune réponse, aucune question ne sera posée. Ce sera juste un stick qui passera la porte. Ce "jour venu" ne fera pas 24 heures ! Acceptez-en l'augure, Messeigneurs les princes de la grande maison. Candidatez au surgissement certes, mais ne croyez pas tout ce que vous racontent vos courtisans. Sans doute est-ce d'un athlète dont nous aurons besoin au départ, plus que d'un penseur... et d'un peu de chance aussi. A moins que ce pays ne soit redevenu entretemps ce paradis qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être, à voir son capital d'atouts, le génie de son peuple et son étincellante beauté.

    Source : https://royalartillerie.blogspot.com/

  • Dans le monde et dans notre Pays légal en folie : revue de presse de lafautearousseau...

     

    Sur notre Page facebook Lafautearousseau Royaliste :

    "Une excellente réponse de notre Camarade Frederic de Natal ! : Réponse au député Antoine Léaument (LFI) : en finir avec la vulgate révolutionnaire..."

    https://lincorrect.org/reponse-au-depute-antoine-leaument-lfi-en-finir-avec-la-vulgate-revolutionnaire-lincorrect/amp/?_gl=1*1b5xpy2*_ga*YW1wLWJjaE1PMWRCdVE4cU9HZHBKMUFuemd6Qnl3LTZ1NDNrX3hRQUVmdXBPdjRqemdCNjJ6S0JCMGxXQlBOcUJ5Sks#038;fbclid=IwAR3igGynhAB_g6Oc9YPIKpE_iUOO89Z3ve1cs8YJE5NZdAwOo9FJqBbUh4M

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    Juste une précision, afin qu'aucune ambigüité n'existe : nous ignorons pourquoi, au milieu de ce très bon texte, l'Incorrect met un "lire aussi : Louis de Bourbon...", qui vient là comme un cheveu sur la soupe, et dont on ne comprend pas bien la présence, ni l'intérêt, ni le rapport avec le texte de Frédéric de Natal. C'est donc l'occasion de rappeler - afin que nul ne vienne chercher une mauvaise querelle... - que l'Action française reconnaît en la personne du Prince Jean, Comte de Paris, et de son fils, le Prince Gaston, Dauphin de France, les représentrants actuels de la Famille de France.

    Et, naturellement, lafautearousseau...

    Par contre, le second "lire aussi", "Les roycos sont dans la rue" est très bon, et confirme ce que nous venons d'écrire...

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    1. Livrer des chars Leclerc à l'Ukraine? Encore faudrait-il le pouvoir ! La France est nue, comme le rappelle avec justesse notre ami Nessun Dorma (sur tweeter) : le Système nous met en danger, gravement (et ce n'est pas la première fois...) en sous-équipant ainsi la France et ses armées (nombre d'avions, de canons, de navires... largement insuffisant)... :

    "La France est nue. Comme le rappelle le Canard Enchaîné cette semaine, sur les 406 chars Leclerc livrés à l’origine, l’armée de terre n’en dispose plus que de 226, dont 200 en rénovation d’ici 2030 ! Et la seule chaîne de fabrication de ces engins a été fermée en… 2006 !"

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    1 BIS. D'Éric Revel :

    "Terrible. Cela fait 15 ans que la ligne de production des chars Leclerc est arrêtée…Pendant ce temps , le Léopard 2 allemand se vend en Europe . Que sommes-nous devenus ? Pierre de Villiers avait raison . Macron l’a licencié !"

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    LE SYSTÈME NOUS DÉSARME EN TOUT ET PARTOUT :

    MILITAIREMENT, ÉCONOMIQUEMENT (VENTE DE NOS PÉPITES À LA DÉCOUPE...)

    MAIS SUROUT INTELLECTUELLEMENT (IL A TUÉ L'ÉCOLE),

    MENTALEMENT (À TOUJOURS VOMIR SUR NOTRE PASSÉ),

    MORALEMENT ET SPIRITUELLEMENT, AVEC SA GUERRE D'EXTERMINATION QU'IL MÈNE SANS RELÂCHE CONTRE NOS RACINES CHRÉTIENNES,

    ALORS QUE L'ISLAMISME AGRESSIF, CONQUÉRANT ET TOTALITAIRE,

    QUE LE MÊME SYSTÈME A INSTALLÉ DE FORCE CHEZ NOUS,

     A LANCÉ L'ASSAUT CONTRE NOTRE CIVILISATION...

    C'EST CE SYSTÈME QU'IL FAUT DÉSAFRMER ET METTRE HORS D'ÉTAT DE NUIRE

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    3. Évidemment d'accord avec Zemmour (1/2) :

    Eric Zemmour
    "Les chiffres de l'immigration 2022 viennent de tomber. Macron et Darmanin établissent un record : plus de 300.000 nouveaux immigrés LÉGAUX en un an. +17,2% sur une seule année ! Ils ne se contentent plus de rester les bras croisés devant le Grand Remplacement. Ils l'accélèrent."

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    3 BIS. Évidemment d'accord avec Zemmour (2/2) :

    Eric Zemmour
    "L’imam Ismaïl de Marseille, qui déclare que « tuer 100 personnes est moins grave que de manquer une prière », tiendra une conférence ce dimanche à Grenoble. Voulons-nous vraiment qu’un imam puisse faire l’apologie du djihâd au lendemain d’attaques islamiques en Europe ?"

    (extrait vidéo 0'58)

    https://twitter.com/ZemmourEric/status/1618564000907931649?s=20&t=sCnRd6cIKxS_OKL45FjHZw

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    DEHORS !

     

    5. Un grand bravo à Eugénie Bastié pour sa Revue de presse sur Europe 1 : "Pour combattre le macho, il ne faut pas déconstruire les hommes mais au contraire les construire"... :

    "Ce n'est pas l'interdiction de la pub pour les jouets genrés ou l'organisation d'une journée contre le sexisme qui changeront quoi que ce soit au fait que des femmes doivent changer de trottoir dans certains endroits. Plus d'éducation, moins de déconstruction !"

    https://twitter.com/EugenieBastie/status/1618887348191895552?s=20&t=sCnRd6cIKxS_OKL45FjHZw

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    6. Très intéressant : de Fabien Bouglé, "Pourquoi le projet de loi d’accélération des Energies Renouvelables (AER) est inconstitutionnel"... :

    https://www.economiematin.fr/acceleration-energie-renouvelable-aer-anticonstitutionnalite-butre

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    7. Et toujours Anne Hidalgo saccage paris : de Dominique Dupré-Henry (sur tweeter) :

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    Cliquez sur l'image pour l'agrandir, puis utilisez le zoom pour lire le texte...

     

     

    À DEMAIN !

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  • Dans le monde et dans notre Pays légal en folie : revue de presse et d'actualité de lafautearousseau...

     

    Le bel exemple de Comblot, petit village de l'Orne, 64 habitants à peine...

    En vingt-cinq ans, la commune a dépensé l’équivalent de dix fois son budget annuel pour sauvegarder son église et sa chapelle, dont la construction a commencé à la fin du XIIème siècle.

    Une action qui vaut à ce village du Perche ornais, de concourir au prix Trévise 2023 de la fondation La sauvegarde de l’art français. Candidature que le public est invité à soutenir par un vote avant le 25 août.

    https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2023-08-08/ce-village-normand-de-64-habitants-depense-une-fortune-pour-sauver-son-eglise-a-tout-prix-f65f95cc-be7b-4578-bb67-2d44ad4a5048

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    1. La position de Michel Onfray sur la question du Niger  … et sur la politique internationale d'Emmanuel Macron et de ses prédécesseurs. Mais aussi la mort de l'académicienne et spécialiste de la Russie Hélène Carrère d'Encausse; le pape François et la France; la "réaction" littéraire vue par Mediapart; la Guyane, un territoire abandonné par la métropole; ambitions algériennes au Niger : Michel Onfray passe au crible l'actualité de la semaine passée, dans le quarante-huitième épisode d'un rendez-vous hebdomadaire à retrouver en exclusivité sur Front Populaire : "Le monde tel qu'il va... ou pas !" (abonnement obligatoire)

    (extrait vidéo 0'33)

    https://twitter.com/FrontPopOff/status/1690272155550781440?s=20

    Le monde tel qu'il va… ou pas ! – la revue de presse de Michel Onfray (#47)  - Contenu vidéo - 05-08-2023 - fp+ - Front Populaire

     

    2. (Dans Valeurs, extrait) : Burkini : une proposition de loi pour l’interdire sur toutes les plages françaises

    "A la suite des arrêtés du maire de Mandelieu, puis de Fréjus, visant à interdire le burkini sur les plages qui se sont heurtés à la justice, la député LR des Alpes-Maritimes, Alexandra Martin, propose de légiférer sur les tenues estivales.
    L’été 2023 n’échappe pas au feuilleton des tenues islamiques sur les plages. Le 1er août, le maire RN de Fréjus, David Rachline, a pris un arrêté municipal interdisant le port de tenues couvrantes et amples sur les plages de sa commune. Pour appuyer son décret, l’édile invoque la « sécurité des baigneurs », selon lui menacée par le maillot de bain cinq pièces. L’interdiction exposait les récalcitrants à une amende de 135 euros, et ce, jusqu’au 17 septembre 2023. La ligue des droits de l’homme, qui veille au grain, conteste cette décision en déposant un référé liberté qui a eu raison de l’initiative. L’arrêté a été cassé par le tribunal administratif de Toulon, trois jours seulement après son entrée en vigueur..."
    En 2016, à Marseille, une femme se baigne en burkini. Photo © AP/SIPA

    Chez nous, en France, nous ne voulons pas que l'on impose et nous impose des moeurs et coutumes vestimentaires, alimentaires, religieuses etc... contraires aux nôtres : c'est pourtant simple à comprendre, non ?

    Il ne manque pas de pays musulmans sur terre pour que ceux qui veulent "vivre selon l'Islam" aillent y vivre selon leurs préceptes, qui ne sont les nôtres et dont nous en voulons pas chez nous...

     

    3. "Le Z" dit vrai : même les chiffres fournis par le Ministère de l'Intérieur et ceux du Sénat disent la même chose... :

    "... Il y a aujourd'hui en France entre 120 et 140 attaques au couteau par jour ! Par jour ! Dans les années 60, c'était seulement 3 ou 4 attaques au couteau tous les deux ans. C'est ça le produit de l'immigration et du changement de peuple..."

    (extrait vidéo 1'03)

    https://twitter.com/TeamEricZemmour/status/1689914958748733440?s=20

    Des enfants attaqués au couteau sur une aire de jeu à Annecy - Vidéo  Dailymotion

     

    4. D'accord avec Hervé Mariton (pour sa Tribune, dans Figaro Vox) : Pour une refonte de notre politique familiale... :

    "...Ainsi, avoir ouvert la PMA aux femmes seules est une lourde responsabilité. La monoparentalité engendre des difficultés sociales ; les enfants subissent des pertes de chance dans la vie, tout cela est prouvé...3

    https://www.lefigaro.fr/vox/societe/herve-mariton-pour-une-refonte-de-notre-politique-familiale-20230808

    «Une étude de l'Insee, parue en 2021, indique que 41% des enfants des familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté contre 15% dans les familles traditionnelles.»

     

    5. En Floride, on commence enfin à mettre fin - certes, timidement encore... - à la folie du "Genre". À quand la même décision en France ?...

    L'université floridienne New College of Florida vient de supprimer les études de genres de ses matières proposées.

     

    6. Les éoliennes marines enlaidissent les paysages, saccagent et polluent à vie les fonds marins et... produisent finalement si peu ! Pour 2.000 MW installés, la production des deux champs de Saint Nazaire est de 300 grand maximum, pendant quelques heures, pour la "semaine 32". Saccager la mer et les paysages... pour "ça" ?

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    7. Il faut écouter "la base", ce qui remonte du terrain : nos dirigeants, si souvent "hors sol" et coupés des réalités vivent dans des bulles d'où ils ne voient et n'entendent plus rien... À Marseille, le président du CIQ de Château-Gombert, dans le 13ème arrondissement, a appelé les habitants à "assurer leur propre sécurité" : pour parler clair, il s'agit ici de faillite de l'État, dont le rôle premier, inscrit dans les Textes, est d' "assurer la sécurité des biens et des personnes"......

    https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/dans-le-quartier-de-chateau-gombert-les-habitants-sont-appeles-par-leur-ciq-a-assurer-leur-propre-securite-4398706

    https://images.bfmtv.com/cjN0NorcvOlgQ5z29B2ZNknt3ew=/0x0:1280x720/860x0/images/Marseille-l-insecurite-progresse-a-Chateau-Gombert-1688045.jpg

     

     

    À DEMAIN !

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  • Feuilleton : ”Qui n 'a pas lutté n'a pas vécu”... : Léon Daudet ! (165)

     

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     (retrouvez l'intégralité des textes et documents de ce sujet, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)

    Aujourd'hui : Élu Député de Paris...

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    ndlr : ce sujet a été réalisé à partir d'extraits tirés des dix livres de souvenirs suivants de Léon Daudet : Paris vécu (rive droite), Paris vécu (rive gauche), Député de Paris, Fantômes et vivants, Devant la douleur, Au temps de Judas, l'Entre-deux guerres, Salons et Journaux, La pluie de sang, Vers le Roi...

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    (Continuation et fin du document précédent)

    Voici les premières et les dernières lignes de "Député de Paris", 1919/1924, Bernard Grasset, 1933, dans lesquelles Léon Daudet explique bien cette "grande illusion", et que ce qu'il convient de faire c'est, non pas de croire aux bonnes élections, mais d'oeuvrer ouvertement à 3la subversion du régime"...

    1. Premières lignes du premier chapitre : "Prise de contact; composition de la Chambre du 16 novembre" (pages 9, 10, 11) :

    "Le 16 novembre 1919 j'ai été élu, au scrutin de liste, député du troisième secteur de Paris (rive gauche et XVIème arrondissement).
    Entendons-nous bien, député ROYALISTE et au cri de "Vive le Roi !".
    Ce fut, chez les républicains, une stupeur générale. On n'imaginait pas qu'un tel évènement fût possible.
    Le pauvre cardinal Amette, respectueux serviteur des décisions de Clemenceau, alors Président du Conseil et de son entourage, avait recommandé à ses ouailles de voter "sagement", c'est-à-dire pour la liste Millerand, dite d'union nationale, mais d'où les royalistes, ces pestiférés, étaient exclus.
    Fidèle interprète des désirs gouvernementaux, le cher Alfred Capus, alors directeur d'un Figaro encore influent, nous avait laissé tomber, mes amis et moi, dans un entrefilet assez perfide qui lui valut, de ma femme, cette remarque sévère : "Capus, je vous croyais un ami, vous n'êtes qu'un convive". Comme bien d'autres, Capus, causeur incomparable, dramaturge amusant, écrivain délicat, était fourvoyé dans la politique; et sa collaboration directoriale au Figaro, non encore saboté par le falot parfumeur François Coty, s'en ressentit.
    Mon élection, après une campagne électorale des plus vives, fut saluée par les cris de fureur de la presse de gauche, notamment de "L'Oeuvre" de Gaston Téry, ancien normalien, tombé dans la crotte, aujourd'hui crevé, lequel ne me pardonnait pas d'avoir dénoncé ses louches allures du temps de guerre.
    A entendre ces aimables garçons, je ne pourrais siéger au Parlement, où mes collègues me couperaient la parole et me rendraient la vie impossible.
    Or, non seulement je siégeai sans discontinuer, au Palais-Bourbon, pendant quatre ans et demi, mais encore je dis à la tribune, et de ma place, exactement tout ce que je voulais dire, sans me laisser arrêter par aucune autre considération que l'intérêt primordial de la Patrie.
    En outre, j'appris à connaître, incomplètement encore, mais de près, ces larves parlementaires que sont un Millerand un Poincaré, un Barthou, qu'était un Briand; ces êtres éloquents et gentils, mais inconsistants, dénués de caractère à un point inimaginable, que sont un Tardieu, un Boncour, un Herriot; l'impossibilité où se trouvèrent et se trouvent les quelques hommes de valeur entre 600, un Mandel, un Léon Bérard, un André Lefèvre, un Maginot, un Marin, un de Seynes, un Provost de Launay, un Magne, de frayer un chemin à des lois utiles concernant la Défense Nationale, le Budget etc...
    Je pus constater le néant inouï de la Constitution, dénommée "La femme sans tête" si bien décrite par Charles Benoist, aujourd'hui royaliste, et des prétendus travaux parlementaires. Je me rendis compte que deux principes commandent aux assemblées démocratiques : l'ignorance et la peur.
    Or cette Chambre dite "bleu horizon" et qui, par nombre de ses membres sortait de la fournaise de quatre années d'une guerre atroce, était bien disposée, pleine de bonne volonté; les députés des provinces recouvrées lui apportaient un élément d'enthousiasme, qui eût pu donner des fruits admirables.
    La plupart de mes collègues, sur tous les bancs, étaient d'honnêtes gens, assez bêtes mais bons. Qu'en conclure, sinon que le régime républicain lui-même, dans sa formule et dans les faits, est incompatible avec la prospérité, la conservation, le salut de la France.
    À l'heure où j'écris, tout homme de bonne foi doit conclure à l'antinomie fondamentale de la Patrie et de la démocratie.
    Cavour a dit, dans une formule fameuse, qu'il préférait une Chambre à une antichambre. Il signifiait par là son mépris des courtisans, chambellans et autres parasites de la monarchie.
    Or l'antichambre, si insupportable qu'on la suppose, n'a pas empêché Sully, Richelieu, Mazarin, Colbert, Louvois, Talleyrand, Villèle et Cie. Elle leur a mis des bâtons dans les roues. En fin de compte, elle dû leur céder. Au lieu que la Chambre ne peut supporter aucune supériorité au Gouvernement, ne peut tolérer aucune continuité dans les déterminations graves, portant, au dedans comme au dehors, sur quarante, cinquante, soixante ans.
    À peine est-on entré dans ce club, matériellement amusant et bien tenu, qu'est le Palais-Bourbon, que l'on s'en rend compte..."

    2. Dans le même ouvrage (pages 226 à 234, c'est-à-dire les neuf dernières) Léon Daudet explique les raisons de l'échec de la Chambre "bleu horizon", et termine ces neuf pages - et son livre - sur ce propos désabusé :

    "...À l'heure où j'écris (février 1933) le peuple français environné d'inimitiés, trompé, ruiné, écrabouillé par le fisc, et qui voit revenir la guerre, à la suite de l'évacuation criminelle de Mayence, tourne vers la Chambre des Députés des regards de haine.
    Elle est pour lui la nouvelle Bastille, l'antre d'où souffle le malheur, et le signe de sa servitude à six cents farceurs, menteurs, truffeurs et pillards.
    C'est bien ainsi que je voyais, en le quittant pour n'y pas revenir, ce baroque dépotoir de lâchetés, d'incapacité et d'idées fausses, où j'avais usé, en vain, quatre ans et demi de mon existence.
    Mon échec du 11 mai 1924 fut ainsi, pour moi, une délivrance."

    3. Dans "Paris vécu", Première série, Rive droite, page 121, Daudet fustige ceux "qui croient en l'amélioration électorale de la peste républicaine".

    4. Enfin, dans "Vers le Roi" (page 46), racontant les débuts du quotidien L'Action française, il le présente comme "Étant réellement d'opposition, c'est-à-dire prêchant ouvertement la subversion du régime..."

  • ”Interdire l'école à la maison est un crime contre l’esprit”, par Jean-Paul Brighelli.

    Emmanuel Macron à 'la Maison des habitants' aux Les Mureaux, le 2 octobre 2020.
    Ludovic MARIN / POOL / AFP

    Jean-Paul Brighelli, enseignant et essayiste, déplore la volonté d'Emmanuel Macron d'interdire l'apprentissage scolaire hors école alors que l'institution est devenue "globalement hostile à la transmission des savoirs" selon lui.

    Patricia appartient à la bourgeoisie cultivée versaillaise. Si cultivée que depuis longtemps elle a jugé pour ce qu’elles valaient les dérives pédagogistes de l’Ecole française, leur capacité de nuisance et de nivellement par le bas. En particulier, elle a évalué le pesant d’arsenic de la méthode idéo-visuelle d’apprentissage de la lecture, dite improprement « semi-globale », et de la grammaire « de texte », non systématique (contrairement à la grammaire « de phrase »), en vogue depuis une trentaine d’années et dont les IUFM puis les ESPE se sont faits les inlassables propagandistes.

    Elle a eu trois enfants, qu’elle n’a envoyés en classe qu’à partir de la Seconde : jusque là, c’est elle qui leur a fait classe, leur apprenant à lire et à écrire en méthode alpha-syllabique, leur enseignant les quatre opérations de base dès cinq ou six ans. Elle leur a par exemple appris la division comme une opération de multiplications inversées, et non comme une interminable série de soustractions. Et elle leur a inculqué de bonne heure l’Histoire de France, en ayant recours sans doute au « roman » de l’Histoire avant d’affiner peu à peu les événements et les concepts. Trilingue elle-même, elle leur a transmis les bases de plusieurs langues — y compris le latin — et a eu recours plus tard à des cours particuliers.

    Les dérives de l’école dite « républicaine »

    J’ai pu juger des résultats. A quinze ans, ses enfants en savaient davantage, dans tous les domaines, que nombre d’élèves de Terminale. Précisons enfin qu’elle n’a négligé ni l’Education physique — ils ont les uns et les autres pratiqué divers sports à haut niveau qui l’ont obligé à se muer parfois en chauffeur perpétuel de ses enfants entre tel ou tel terrain d’entraînement — ; ni les relations sociales, un réseau s’étant mis en place de bonne heure, entre parents dissidents et avertis des dérives de l’école dite « républicaine », qui permettait le mise en relation des enfants.

    Rien de très nouveau. Luc Ferry m’a personnellement raconté comment, dans les années 1960, il avait finalement abandonné le lycée Saint-Exupéry de Mantes, parce qu’il s’y ennuyait fort (et encore, il s’agissait à l’époque d’un enseignement « à l’ancienne ») et avait bouclé ses études à la maison grâce au CNED, qui dispense des cours de grande qualité. Et cet abandon du cadre collectif ne l’a pas empêché de passer l’agrégation de philosophie et de devenir ministre de l’Education…

    Or voici que le président de la République souhaite, dans son nouveau combat contre l’islamisme, interdire totalement l’apprentissage scolaire hors école, afin de supprimer les possibilités d’endoctrinement religieux — qui ne sont d’ailleurs pas toutes le fait de l’islam. Un bel effort, quoiqu’un peu tardif, qu’il conviendrait de saluer si ce n’est que…

    Côtoyer des imbéciles dans un monde hostile

    Si ce n’est que les émules de Patricia, qui font l’école à la maison, un droit garanti par les lois Ferry, vont être obligées d’y renoncer et d’envoyer leur progéniture user leurs fonds de culotte et leur patience dans un environnement qui est globalement hostile à la transmission des savoirs.

    Qui s’étonnera que Philippe Meirieu, qui a fait de son mieux, en quarante ans de malfaisance pédagogique, pour niveler par le bas le contenu des enseignements et les compétences des maîtres, salue très haut l’initiative d’Emmanuel Macron : « L’école est d’abord un lieu nécessaire pour la socialisation, pour marquer aussi une rupture symbolique avec la famille. Ce n’est pas seulement un lieu où les enfants vont apprendre. C’est un lieu où ils vont apprendre à apprendre des autres, à rencontrer des gens qui viennent d’autres horizons, qui ont d’autres histoires, d’autres convictions que leur entourage. » Et il enfonce le clou : « Je crois profondément que cette rencontre de l’altérité, de la différence, est essentielle pour le développement de l’enfant. En termes d’ouverture d’esprit, le collectif scolaire a des vertus que l’instruction en famille ne permet pas. Ou alors à de très rares exceptions. »

    Je ne suis pas sûr que l’expérience de cette « collectivité », qui oblige à côtoyer bien des imbéciles et à se risquer dans un monde prématurément hostile, soit si essentielle que cela. Ni que l’expérience de la sacro-sainte « mixité sociale » (qui est très loin d’être effective dans nombre d’établissements déshérités, où justement c’est une société monocolore qui s’est mise en place) soit souhaitable à n’importe quel âge.

    Des enseignants enthousiastes de l'école à la maison

    Je suis convaincu en revanche que passer sous les fourches caudines d’enseignants soumis à l’idéologie des formateurs que Meirieu et ses amis ont mis en place, quadrillant toute la France dans un réseau serré de médiocrité, n’est pas l’idéal en matière d’éducation. Il ne s’agit pas là de convictions politiques et encore moins religieuses, mais d’une réflexion pédagogique basée sur 45 ans d’expérience pratique.

    Si nombre d’enfants et de familles s’accommodent du système scolaire tel qu’il existe aujourd’hui, il faut bien réaliser que le succès des voies parallèles — l’école à la maison mais aussi toutes sortes de cours privés plus ou moins performants — témoigne d’une méfiance envers ce qu’est devenu l’enseignement de masse français. En particulier, tous les enfants qui justement ne s’identifient pas à la masse, tous les enfants quelque peu précoces, qui à huit ans ont des capacités de raisonnement adultes, tous les enfants qui apprennent à lire seuls et préfèrent les grands classiques à la contemplation béate de 22 mercenaires courant après une vessie pleine d’air sur un écran de télévision, tous ceux-là n’ont aucun intérêt à fréquenter l’école telle qu’elle est devenue.

    Une école où leur appétit de savoir est constamment freiné par l’inappétence de nombre de leurs condisciples — ceux pour lesquels, justement, tant de maîtres baissent chaque jour le niveau. Tout ce qu’ils en tirent, en général, c’est le sentiment d’un mépris précoce, ou d’une inadéquation qui peut tourner parfois au drame. À noter que parmi les enthousiastes de l’enseignement à la maison, il y a bon nombre d’enseignants — les mieux à même de juger de l’énormité des crimes contre l’esprit qu’on leur fait commettre chaque jour.

    Des dérives qui touchent peu de familles

    Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il faut absolument éviter les dérives sectaires et l’enseignement du fanatisme. Mais cela touche fort peu d’enfants et de familles (moins de 2000 en fait) — et une inspection sérieuse des conditions d’enseignement devrait en venir à bout, quitte à enlever les enfants, d’autorité, aux familles les plus nocives : les internats d’excellence, qu’il faut revivifier, pourraient jouer ce rôle de remise sur les bons rails.

    En revanche, priver de la chance d’apprendre au calme et précocement des notions complexes est un crime contre l’esprit. Un crime aussi contre la vraie vocation de l’Ecole, si j’en crois Condorcet, qui en a défini les bases : dégager une élite en amenant chacun au plus haut de ses capacités — et non en rabaissant tout le monde au niveau des plus cancres. Là encore, la République doit parler contre la fausse démocratie qui est devenue la norme afin de mieux étouffer toute chance de se distinguer.

    Source : https://www.marianne.net/

  • «Sous la plume de Bainville, le génie de Napoléon apparaît dans toute sa splendeur», par Jean-Loup Bonnamy.

    Jacques Bainville (1879-1936), membre de l'Académie Française et historien. Rue des Archives/Tallandier

    À l'occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon, il faut lire la biographie que lui consacra Jacques Bainville, conseille Jean-Loup Bonnamy. Dans cette œuvre, l'académicien français revient sur la vie exceptionnelle de l'Empereur.

    4.jpg« Bonaparte n'est plus le vrai Bonaparte, c'est une figure légendaire. Il appartenait si fort à la domination absolue, qu'après avoir subi le despotisme de sa personne, il nous faut subir le despotisme de sa mémoire. Ce dernier despotisme est plus dominateur que le premier, car si l'on combattit Napoléon alors qu'il était sur le trône, il y a consentement universel à accepter les fers que mort il nous jette. Le soldat et le citoyen, le républicain et le monarchiste, le riche et le pauvre, placent également les bustes et les portraits de Napoléon à leurs foyers, dans leurs palais ou dans leurs chaumières. » Voilà ce qu'écrivait Chateaubriand à propos de la légende napoléonienne.

    Pour comprendre le vrai Napoléon, derrière la légende, il faut relire la biographie que lui consacra Jacques Bainville (1879-1936), journaliste, historien et essayiste monarchiste et nationaliste. Paru en 1931, l'ouvrage fut un best-seller.

    La biographie de Bainville déroule chronologiquement les grandes étapes de la vie de Napoléon. De ses origines corses jusqu'à sa légende posthume. Bainville exalte cet « incomparable météore (…) imaginatif, puissant créateur d'images, poète », soulignant que « la magie du nom de Napoléon est un des phénomènes les plus étonnants de l'histoire du peuple français ».

    Napoléon naît en Corse en 1769. L'île est française depuis un an. Si la Corse n'était pas devenue française, si la France n'avait pas fourni un cadre propice, jamais le génie de Napoléon n'aurait pu s'épanouir. Il est un rescapé : «Encore lui eût-il fallu une éducation militaire. Où Napoléon l'aurait-il reçue ? Sans la France, son génie ne se fut pas révélé. L'annexion a été son premier bonheur.» Aujourd'hui encore, nombreux sont les enfants d'immigrés devenus ingénieurs, cadres, médecins, sportifs, acteurs...et dont l’ascension sociale n'aurait jamais été possible dans leur pays d'origine.

     

    Corse, Bonaparte ne partage pas les passions françaises. Il a regardé les événements révolutionnaires d'un œil extérieur, presque étranger, dénué de tout esprit partisan

    Jean-Loup Bonnamy

     

    Alors que la France prérévolutionnaire se polarise autour du fossé qui sépare noblesse et Tiers État, la Corse ignore une telle division : «ni manants, ni bourgeois, ni seigneurs, ignorant ou à peu près la féodalité, les Corses se regardaient comme égaux entre eux, parce qu'ils l'étaient dans la médiocrité des richesses et c'est la raison pour laquelle ils plaisaient tant à Jean-Jacques Rousseau». Ce sont ces origines corses qui expliquent, selon Bainville, que Napoléon ait pu fermer l'abîme de la Révolution et mener une politique de réconciliation nationale, fusionnant les anciennes élites de la Monarchie et les nouvelles élites de la Révolution. En effet, corse, Bonaparte ne partage pas les passions françaises. Il a regardé les événements révolutionnaires d'un œil extérieur, presque étranger, dénué de tout esprit partisan et sans s'enflammer pour une cause ni pour une autre.

    Grâce à la protection de M. de Marbeuf, gouverneur de la Corse, Charles Bonaparte peut envoyer son fils Napoléon à l'école militaire de Brienne, en Champagne. L'école de Brienne « lui donna l'impression que la France était un très grand pays. » Aujourd'hui, entre repentance, laxisme et effondrement du niveau, combien d'écoles donnent aux enfants l'impression que la France est un très grand pays ?

    Bonaparte n'oubliera jamais Brienne. Il y reviendra en 1805 et en 1814, alors qu'il mène l'une de ses plus incroyables campagnes pour résister à l'invasion du territoire. Empereur, il attribuera honneurs et pensions à ses anciens professeurs. Élevé, il y croisa des personnages qu'il retrouvera plus tard sur son chemin : Bourrienne, dont il fera son secrétaire, le savant Laplace, qui lui fera passer un examen de mathématiques et qui sera son ministre de l'Intérieur, Phélipeaux, officier d'artillerie royaliste et émigré, que Bonaparte affrontera en Syrie, le Général Pichegru, professeur d'arithmétique, futur héros des guerres révolutionnaires avant de devenir comploteur royaliste. Alors que Pichegru hésite entre la carrière militaire et la carrière ecclésiastique, des prêtres peu zélés lui conseillent le métier des armes. Parvenu au pouvoir, Napoléon fera arrêter son ancien professeur Pichegru, que l'on retrouvera étranglé dans sa cellule. Comme le note Bainville avec ironie, Pichegru « eût sans doute mieux fini s'il avait rencontré des religieux moins dépourvus de l'esprit de prosélytisme. » Plus tard, un autre souverain, le roi Hassan II du Maroc, se débarrassera aussi de son ancien professeur de mathématiques devenu opposant : Ben Barka.

     

    Napoléon fut lui-même l'incarnation la plus achevée de cette instabilité, de cette incapacité à rester en place, de cette ambition que la diffusion de l'alphabétisation fit naître dans tant d'esprits. Il est le père de tous les Julien Sorel et de tous les Rastignac

    Jean-Loup Bonnamy

     

    L'un des points les plus importants et les plus originaux du livre de Bainville est l'analyse de la place de la lecture dans la vie de Napoléon : «Il lisait avidement (…) on peut dire que sa jeunesse a été une longue lecture. Il en avait gardé une abondance extraordinaire de notions et d'idées.» Napoléon lit. Et il prend des notes, car « la lecture sans la plume n'est qu'une rêverie». Comme Napoléon le dira lui-même, «je trouve toujours apprendre ». Cette incroyable aptitude à apprendre, retenir et tirer parti de ses lectures sera l'une des clefs de ses succès. Grâce à Bainville, on comprend mieux la psychologie de Napoléon et l'origine de certaines de ses idées. D'ailleurs lorsque Bainville évoque le soulèvement de l'Espagne et la guérilla terrible menée par les paysans espagnols contre la Grande armée, il souligne qu'on ne trouve aucun livre sur l'Espagne dans la liste des lectures de Napoléon et que cette lacune fut probablement à l'origine de ses erreurs. Mais surtout, on peut faire une analyse sociologique plus large. En effet, on sait depuis les travaux de Lawrence Stone et d'Emmanuel Todd que le processus d'alphabétisation produit des effets extrêmement déstabilisateurs pour les individus et les sociétés. C'est l'alphabétisation de la population qui a provoqué les révolutions anglaise, française et russe. Tout le 19ème siècle sera hanté par cette question. Dans Le Rouge et le Noir de Stendhal (1830), l'ambitieux Julien Sorel (admirateur éperdu de Napoléon) passe son temps à dévorer Le Mémorial de Sainte-Hélène. Son père, charpentier illettré, le qualifie de « chien de lisard ». Dans Madame Bovary de Flaubert (1857), Emma souffrira au plus profond d'elle de ne pas retrouver dans la monotonie de sa plate vie de province les élans qu'elle trouve dans les livres. Les psychiatres ont même nommé « bovarysme » la maladie qui consiste à confondre fiction et réalité. Dans À rebours de Huysmans (1884), la description de la bibliothèque de Des Esseintes, esthète névrosé, occupe plusieurs dizaines de pages. L'alphabétisation détruit la calme stabilité des sociétés traditionnelles, confinées dans la douce quiétude de l'éternel retour du même et où chacun se satisfait de sa place dans la société. Ouvrant de nouveaux horizons, elle fait naître l'ambition. Creusant un fossé entre des parents illettrés et des enfants alphabétisés, elle sape l'autorité.

    La lecture produit en masse des insatisfaits qui seront soit des fous, soit des révolutionnaires et des fanatiques, soit des ambitieux qui ne pensent qu'à s'élever socialement. Napoléon fut lui-même l'incarnation la plus achevée de cette instabilité, de cette incapacité à rester en place, de cette ambition que la diffusion de l'alphabétisation fit naître dans tant d'esprits. Il est le père de tous les Julien Sorel et de tous les Rastignac, réels ou fictifs. Il put s'élever grâce à la Révolution, qui était elle-même une conséquence de l'alphabétisation. Grâce à ses lectures, il put accomplir bien des prouesses et bouleversa la carte de l'Europe, détruisant l'ordre diplomatique ancien, au moment même où l'alphabétisation, bouleversant les consciences, détruisait parallèlement l'ancien ordre social et psychique.

     

    Napoléon choisit l'artillerie où il effectue un stage dans le rang, au contact des simples soldats. À notre époque où les élites sont si déconnectées du terrain, un tel stage au contact de la base serait salutaire

    Jean-Loup Bonnamy

     

    De même, Bainville nous montre également que Napoléon, dont la figure hantera tout le XIXe siècle, est avant tout un homme du XVIIIe siècle. Son style littéraire, ses conceptions et ses préjugés, ses goûts esthétiques néoclassiques, son admiration sans bornes pour Frédéric II de Prusse (il tiendra d'ailleurs à emmener à Sainte-Hélène le réveil de Frédéric)...tout chez Napoléon est le produit du XVIIIe siècle. Jusqu'à sa manière de faire la guerre. En effet, après sa défaite contre la Prusse (1757), l'armée française connaît un profond bouleversement intellectuel et stratégique. Elle se réforme de fond en comble, imitant le modèle prussien, le dépassant même. Napoléon, pur produit de cette ébullition et de cette nouvelle armée mise en place dans les dernières années du règne de Louis XV, est le disciple de ces grands réformateurs, inventeurs d'une façon neuve de faire la guerre : Guibert, Bourcet, du Teil, le ministre de la Guerre Saint-Germain. Tous les grands principes napoléoniens sont nés dans cette mouvance : concentration afin d'avoir la supériorité numérique sur un point donné, surprise, rapidité, célérité et précision des déplacements pour surprendre l'ennemi (« gagner la guerre avec ses jambes »). Cet « idéal de guerre offensive et vigoureuse » (capitaine Colin) sera repris par la Révolution, qui y ajoutera l'enthousiasme des armées démocratiques, et atteindra son sommet avec Napoléon. Une fois au pouvoir, il recevra à déjeuner Saint-Germain et lui fera rendre les hommages de la Garde consulaire : « c'était comme un salut à la vieille armée. »

    Napoléon choisit l'artillerie. Grâce à la réforme de Gribeauval, c'est la meilleure d'Europe. C'est elle qui remporte la victoire de Valmy (1792), qui est avant tout une canonnade. Il effectue un stage dans le rang, au contact des simples soldats : « Encore une excellente école. Bonaparte, pour toute sa vie, saura ce que c'est que l'homme de troupe. Il saura ce qu'il pense et ce qu'il aime, ce qu'il faut lui dire et comment lui parler. » À notre époque où les élites sont si déconnectées du terrain, un tel stage au contact de la base serait salutaire.

    Bonaparte n'oubliera jamais Brienne. Il y reviendra en 1805 et en 1814, alors qu'il mène l'une de ses plus incroyables campagnes pour résister à l'invasion du territoire. Empereur, il attribuera honneurs et pensions à ses anciens professeurs. Élevé, il y croisa des personnages qu'il retrouvera plus tard sur son chemin : Bourrienne, dont il fera son secrétaire, le savant Laplace, qui lui fera passer un examen de mathématiques et qui sera son ministre de l'Intérieur, Phélipeaux, officier d'artillerie royaliste et émigré, que Bonaparte affrontera en Syrie, le Général Pichegru, professeur d'arithmétique, futur héros des guerres révolutionnaires avant de devenir comploteur royaliste. Alors que Pichegru hésite entre la carrière militaire et la carrière ecclésiastique, des prêtres peu zélés lui conseillent le métier des armes. Parvenu au pouvoir, Napoléon fera arrêter son ancien professeur Pichegru, que l'on retrouvera étranglé dans sa cellule. Comme le note Bainville avec ironie, Pichegru « eût sans doute mieux fini s'il avait rencontré des religieux moins dépourvus de l'esprit de prosélytisme. » Plus tard, un autre souverain, le roi Hassan II du Maroc, se débarrassera aussi de son ancien professeur de mathématiques devenu opposant : Ben Barka.

    Survient la Révolution. Les choses s'enchaînent : garnison à Auxonne (Côte-d'Or), siège de Toulon, qui lui permet de devenir général à vingt-quatre ans, amitié avec le frère de Robespierre et Barras, répression d'une insurrection royaliste à Paris (1795), mariage avec la belle Joséphine, commandement de l'Armée d'Italie (1796-1797). En Italie, Bonaparte vole de succès en succès. À la bataille de Lodi, il voit son étoile et la révélation de son destin : «Je voyais déjà le monde fuir sous moi comme si j'étais emporté dans les airs. Je ne me regardais plus comme un simple général, mais comme un homme appelé à influer sur le sort d'un peuple.» Il s'émancipe de la tutelle politique du Directoire, administre lui-même les territoires conquis, désobéit aux ordres, négocie la paix de sa propre initiative. Le Directoire ne peut rien dire : le butin envoyé par Bonaparte lui permet de boucler ses fins de mois.

     

    Au moment où Bonaparte débarque en France, le pays est ravagé par l'insécurité, les agressions, les vols. Cette insécurité endémique va être l'une des causes de l'adhésion populaire au coup d'État de Bonaparte

    Jean-Loup Bonnamy

     

    Après l'Italie, Napoléon se lance à la conquête de l'Égypte (1798-1799) afin de couper la route des Indes aux Britanniques, plan qui avait déjà été suggéré par le philosophe Leibniz à Louis XIV. Le jeune Bonaparte est fasciné par l'Orient, ce qui, une fois encore, n'a rien de surprenant pour un homme du XVIIIe siècle qui a songé à se mettre au service du sultan ottoman afin de réorganiser son artillerie et qui a lu Zadig de Voltaire. « L'Islam, il le connaît déjà, il l'a étudié. Il sait parler à des musulmans et les comprendre. Il s'intéresse à leur religion, à leur histoire, à leurs mœurs. Il s'entretient avec les ulémas, il se montre respectueux de leurs personnes et de leurs croyances. Il ordonne même que les fêtes de la naissance du Prophète soient célébrées.(…) La révolte du Caire elle-même, accident du fanatisme, ne l'avait pas troublé. Il fit des exemples, et terribles. Mais il continua de marier le croissant et le bonnet rouge, les Droits de l'Homme et le Coran, la formule somme toute qu'il appliquera en France par la "fusion". » Bonaparte administre le pays comme s'il devait y rester toujours. Bien des dirigeants égyptiens modernisateurs, de Mehémet Ali à Nasser, et Atatürk en Turquie seront les émules de Bonaparte. Mais Bonaparte quitte l'Égypte en s'embarquant sur la frégate Muiron, du nom de cet ami qui a sacrifié sa vie pour le sauver à Arcole. Il revient en France afin d'y prendre le pouvoir. Gouverner la France à 30 ans ? Cela n'a rien d'inconcevable pour un homme qui a déjà gouverné deux pays avant, l'Italie et l'Égypte.

    Au moment où Bonaparte débarque en France, le pays est ravagé par l'insécurité, les agressions, les vols. Nombreux sont les convois a

  • Liberté ou identité, faut-il choisir ? Retour sur la conférence d’Alain Finkielkraut au Cercle Charles Péguy

    Le jeudi 27 mars dernier, le Cercle Charles Péguy recevait Alain Finkielkraut, qui, depuis, a été élu à l'Académie frnaçaise :

    http://cercle-charles-peguy.fr/qui-sommes-nous/vocation

     

    conf-finkie

     

    Vous avez fait paraître L’Identité malheureuse (Stock) il y a quelques mois, un livre qui a soulevé de violentes passions. On vous a accusé, vous le descendant de Juifs polonais déportés, de faire l’apologie d’un « nationalisme barrésien. » Avez-vous changé dans votre sentiment vis-à-vis de la France ? 

    Ni dans ma pensée, ni dans mon sentiment, il n’y a eu de revirement : je ne suis pas passé de l’hostilité à l’amour. J’ai certes longtemps vécu dans un sentiment d’indifférence accompagné de méfiance à l’égard des formes du nationalisme français quand elles allaient de pair avec un antisémitisme. Si je me réfère à Barrès aujourd’hui, ce n’est pas pour une réconciliation. J’ai lu Les familles spirituelles de la France, où, en 1917, Barrès se réconcilie avec les Juifs, car il les avait vu payer le tribut du sang dans la guerre. Mais en aucun cas, je ne peux subir le reproche d’être barrésien. Je me rappelle que dans un débat où on l’interpellait sur son antidreyfusisme, Barrès répondait : « Dreyfus est coupable, je le sais de sa race, il est couleur de traitre ». Evidemment, je n’ai jamais subi pour ma part les effets de ce nationalisme. Reste que j’ai été élevé dans la méfiance à l’égard de ses manifestations.

    En tant que juif, j’ai été élevé dans l’amour inconditionnel pour Israël. Pour moi, la politique se posait en termes universalistes, et ici j’avais le sentiment de vivre dans une société plus que dans une nation. Mon identité restait juive au fond. Mais en même temps, toute ma vie intellectuelle a été placée sous le signe de Péguy qui dit qu’il faut suivre des indications sans faire de plan. Or, le problème s’est posé à moi un jour sans que je l’aie cherché : la France a fait son apparition en 1989, à l’occasion du débat sur la laïcité. A Creil, un principal avait exclu trois jeunes filles qui voulaient porter le voile en classe. Cette mesure suscita une polémique très vive : les responsables des églises dirent tout de suite leur hostilité et leur inquiétude devant le retour d’une laïcité de combat. L’archevêque de Paris, le Grand rabbin comme les chefs protestants élevèrent la voix. Les associations antiracistes, elles aussi, soutenaient les jeunes filles. Avec quelques autres, je publiai un texte sous le titre : Profs, ne capitulons pas. Le Ministre de l’Education nationale de l’époque était prêt à reculer. Il pensait alors que la République ne pouvait être menacée par cette offensive.

    En 2004, l’interdiction des signes religieux ostensibles est votée, sous la houlette de Bernard Stasi, venu d’ailleurs de la communauté chrétienne. La France s’impose de plus en plus à  ma réflexion car le débat s’est élargi, européanisé et même mondialisé. La France est montrée du doigt, l’Occident pointe une loi et un comportement liberticide. C’est là que je comprends que la laïcité n’est pas universelle. Si la sécularisation a eu lieu dans toute l’Europe, la France reste singulière, d’une singularité qui doit être défendue face à une offensive islamiste. La France devient pour moi un objet de civilisation à préserver. L’Europe est devenue un continent d’immigration malgré elle : quand certains l’incitent à devenir une société post-nationale pour être mieux à même de gérer l’apparition de nouvelles communautés, je pense pour moi qu’elle doit rester une nation. Car la France d’après ne sera pas métissée mais extrêmement crispée. Nous risquons d’aller jusqu’au séparatisme culturel puis territorial.

     

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    Si l’on vous écoute, on peut avoir l’impression que le vieux dicton juif allemand qui disait Heureux comme Dieu en France s’inverse. Ce serait plutôt Malheureux comme Dieu en France, sous le régime de cette laïcité…

    J’ai toujours été frappé par l’idée que la définition la plus profonde de la laïcité se trouve chez notre plus grand penseur chrétien, à nous Français : Pascal et sa célèbre distinction des ordres. Selon le legs de la métaphysique classique, il y aurait deux ordres, dans un partage dualiste du monde : la chair d’un côté, et le spirituel de l’autre. Mais Pascal ne s’en contente pas. Il distingue trois ordres : la chair, la charité qui procède de la grâce et entre les deux l’ordre spirituel. Il dit même qu’on ne peut les confondre. Or, la laïcité, c’est précisément l’ordre de l’esprit, celui qui est entre la chair et la charité. Cette distinction est vivante même chez ceux qui ne se réclament pas de Pascal. Elle explique le type de construction des lycées anciens aux hauts murs, qui sont parfois d’ailleurs d’anciens couvents. L’école est même appelée sanctuaire. A l’inverse, elle est aujourd’hui « le lieu d’ouverture sur la vie ». Ce n’est plus la laïcité pascalienne, celle que l’on trouvait aussi chez Péguy, celle de Notre Jeunesse où, en 1911, alors qu’il est devenu catholique, il dit ne retirer aucune phrase de son œuvre. Où il rappelle que l’instituteur n’est pas le représentant d’une majorité, ni même de l’Etat, mais le représentant des poètes et de la culture qui ont fait l’humanité. La laïcité, c’est cela. Le moment où les valeurs suprêmes ne sont plus seulement religieuses mais également culturelles. C’est sa conception de la laïcité en tout cas. C’est même une singularité de la France : si identité il y a, elle n’est pas que folklorique. La littérature y a occupé une place centrale. Beaucoup le reconnaissaient jusqu’aux première décennies du XXe siècle, notamment dans l’élaboration de la langue française. L’école a un rôle de transmission de cette culture. J’en en ai bénéficié en tant qu’élève mais je me suis rendu compte que les enfants aujourd’hui n’ont plus cette chance. L’école a changé de mission. La littérature n’est plus au coeur de la représentation que la France a d’elle-même.

     

    Vous faites le constat de la désaffection pour la littérature et la culture françaises. Mais quelles réponses imaginez-vous à cela ?

    La France subit simultanément deux crises : celle de l’intégration d’abord. Les nouveaux arrivants refusent de jouer le jeu de l’intégration. Les rapports en témoignent depuis Les territoires perdus de la République ou encore  Le rapport Aubin de 2004, et cela jusqu’aux rapports du Haut Conseil à l’Intégration. Les autorités font le choix de la reddition. Les rapports sur l’intégration de l’ère Hollande nous mènent vers une société « inclusive ». Le problème viendrait de l’intégration elle-même : intégrer, ce serait unilatéral, normatif et violent, et le français ne serait que la langue dominante. L’Ordonnance de Villers-Cotterêts a pourtant marqué l’histoire nationale, mais aussi la constitution de l’Europe.

    Mais il y a aussi une crise de la transmission qui vient relayer cette crise de l’intégration. La démocratie et la technologie nous font vivre au présent. L’adolescent par exemple n’est plus jamais seul, même dans sa chambre. Pourtant, la lecture est une expérience de déconnexion. C’est grâce à elle que les morts nous parlent. Et une société est composée de plus de morts que de vivants. Mais la dynamique égalitaire de la démocratie tend à mettre toutes les pratiques et tous les discours sur le même plan. On voit le sort fait au mot de discrimination. Or, toutes les discrimination ne sont pas mauvaises. Le fait même de discriminer devient suspect. Il n’y a plus de place pour la transmission de la culture pour l’établissement des valeurs. C’est cela qui met en péril l’identité française et qui émeut chez moi le « patriotisme de compassion » dont a parlé Simone Weil. Si Simone Weil est très lue en Europe centrale, c’est par l’élaboration de ce concept, où elle parle des « petites nations », dans le sens de celles qui ont toujours été fragiles. Un concept qui peut valoir pour la France demain si elle se démet d’elle même. Mais elle y perdrait le meilleur de ce qu’elle est.

     

    On a l’impression que vous avez admis la défaite de votre pensée. Gardez-vous cependant une espérance ?

    Il n’a pas de réponse à cette question. C’est trop difficile. Je ne sais pas comment il serait possible de traduire aujourd’hui en termes politiques cette inquiétude. Car nous vivons dans la hantise du retour des années 30. Pour les progressistes, Hitler n’est pas mort, il revient tous les jours. Il est difficile dans ces circonstances de faire entendre le discours que j’essaie de tenir. Puisque le Front National occupe ce terrain, alors  les traqueurs de la bête immonde pensent avoir raison. Le sens politique serait de dire que l’inquiétude identitaire des Français est légitime. Tous les partis devraient la prendre en charge. Mais nous sommes de fait paralysés. En 2005, Le Monde publiait un article frappant, au lendemain des émeutes, qui rendait compte de la difficulté d’être minoritaire chez soi. Les journaux avaient pourtant presque  tous soutenu les révoltes, en parlant de mai 68 des banlieues. Il n’y avait pourtant dans ces émeutes pas de parole, pas de verbe, pas de revendications, mais beaucoup de gestes, très violents et surtout pas de femmes.

    L’exercice de la mémoire en France conduit à l’oubli du présent. La problématique d’aujourd’hui est sans cesse la projection d’hier. Déjà François Furet expliquait que l’antifascisme était l’idéologie principale du communisme après la guerre. Le communisme est mort mais l’antifascisme reste présent. Quand Olivier Py ne veut pas s’occuper du festival d’Avignon si le maire est FN, il est sincère. Il y voit le retour d’Hitler. Tout ce qui le contredit est alors frappé de déni.

     

    Vous dites cela aujourd’hui, mais n’avez-vous pas participé à la naissance de la repentance généralisée dans les années 80 ?

    Le choix de l’antiracisme mitterrandien était un voile pour cacher ses propres défaites, et je l’ai critiqué très tôt. Nicolas Sarkozy a essayé de remettre le sujet de « l’identité nationale » sur le tapis, mais Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas tout essayé en même temps ? Il fut aussi à l’initiative d’une commission se demandant si le terme de diversité pouvait entrer dans la Constitution française. Heureusement, le Conseil constitutionnel y répondit par la négative. Sinon, la France deviendrait une auberge espagnole.

     

    Et le mariage pour Tous ? Quelle est votre position ? Les réformes menacent-elles la civilisation ?

    Je ne suis pas intervenu dans le débat, même si j’étais convaincu par les arguments de Frigide Barjot. La revendication de l’union civile est légitime pour moi. Mais le vrai problème est celui de la filiation. Car derrière, il y avait la PMA puis la GPA. On y va tout droit aujourd’hui. Ces pratiques se répandent dans le reste du monde, on les rapatriera en France. Il faut réveiller la droite comme la gauche conservatrice. Il s’agit de préserver et de fixer des limites. Il faut se défaire de l’enthousiasme du progrès. C’est ici qu’il faut un amour compassionnel du monde et de la terre. Suis-je de gauche ou de droite ? Je ne sais pas. En revanche, je suis intervenu sans réticences lors du débat sur l’introduction des études de genres à l’école. Jules Ferry disait qu’un instituteur ne pouvait rien dire qui puisse choquer un père de famille. La volonté de transformer les enfants en traqueurs de stéréotype est très inquiétante. Les enfants sont des nouveaux venus du monde, il faut donc les intégrer. C’est ce que dit Hannah Arendt. On veut en faire des êtres critiques de ce monde avant de les y intégrer. De plus, la différence des sexes est présente dans toute notre tradition littéraire. C’est le passé entier qui devient un stéréotype. On apprend alors aux enfants à se moquer du monde. C’est effrayant, c’est une atteinte à la civilisation. Il faudrait rompre avec cela en fondant une humanité sans aucune différence, alors que la première des différences est la différence sexuelle. Dans ce monde, toutes les positions sont désormais échangeables, il n’y a plus rien d’irréductible. Certains y voient une apothéose humaine. J’y vois personnellement une menace pour la civilisation.

     

    Cercle Charles Péguy du 27 mars 2014

    Par Jacques de Guillebon

  • Livres • Mathieu Bock-Côté : « Le multiculturalisme est une inversion du devoir d’intégration »

     

    par Jean-Baptiste d'Albaret

    Canadien de Montréal, souverainiste québécois, Mathieu Bock-Côté lutte pour que le combat indépendantiste prenne en compte la dimension identitaire. Son dernier livre, Le Multiculturalisme comme religion politique, est une analyse lucide et profonde de la modernité. Sociologue, chroniqueur, il est aussi un observateur avisé de la situation politique française. Les lecteurs de Lafautearousseau le connaissent bien. Nous suivons, ici, ses analyses, ses publications, depuis déjà un certain temps. Avec la plus grande empathie. Il a accordé à Politique magazine [janvier 2017] l'entretien qui suit.  LFAR 

     

    En quoi le multiculturalisme est-il une religion politique ?

    Le multiculturalisme est apparu au mitan du XXème siècle comme une révélation. Il ne prétend pas améliorer la société, mais la démanteler pour la reconstruire radicalement selon une nouvelle anthropologie. Ce en quoi il est aussi une eschatologie : il y a le monde d’avant, coupable de péchés indélébiles contre la diversité, et le monde d’après, qui tend vers le paradis diversitaire et transnational, étape ultime de l’aventure humaine et seul visage possible de la modernité.

    Selon les tables de la loi multiculturelle, les vieilles institutions sociales doivent s’effacer au profit des revendications exprimées par tous les « exclus » de la terre qui se trouvent parés, en tant que tels, de l’aura christique des réprouvés.

    De là découle une conception particulière de l’affrontement politique. Car les grands prêtres du multiculturalisme ne conçoivent pas la démocratie comme la confrontation de conceptions concurrentes du bien commun mais comme un espace d’éradication du mal. Qui ne communie pas au culte de la diversité est le diable en personne – et le diable est intolérant, raciste, islamophobe, homophobe… C’est ainsi que le débat public en Occident a été confisqué par un petit clergé progressiste qui menace du bûcher toute pensée dissidente.

    Vous expliquez que le multiculturalisme est né sur les décombres du soviétisme, comme une métamorphose de l’imaginaire marxiste…

    Il est certain qu’à partir des années 1950, la plupart des intellectuels marxistes prennent conscience que l’URSS, leur nouvelle Jérusalem, ressemble davantage à un enfer concentrationnaire qu’à un paradis de travailleurs. C’est le début de ce que j’appelle le « socialisme migrateur » ou « socialisme tropical » : beaucoup vont chercher de nouvelles terres promises en Chine, à Cuba, en Afrique… Mais c’est à partir des années 1960 que le progressisme va profondément muter en se détachant du communisme.

    Mai 68 et les Radical Sixties marquent le triomphe du gauchisme et de la contre-culture qui débordent le communisme par la gauche et transforment le rapport au mythe révolutionnaire. C’est l’époque où Herbert Marcuse parle avec dédain des « classes populaires conservatrices ». La gauche radicale constate que le prolétariat aspire davantage à la middle class qu’à la révolution. Désormais, elle fera la révolution sans le peuple et même, au besoin, contre lui. Et c’est aux minorités que le rôle de catégorie sociale révolutionnaire de substitution est dévolu.

    Mais le muticulturalisme ne menace-t-il pas d’implosion violente les sociétés où il s’exerce ?

    Pourquoi vivre en commun si on ne partage pas la même culture ? En laissant cette question sans réponse, le multiculturalisme, loin de tenir sa promesse du « vivre-ensemble », ne produit, au mieux, qu’une pluralité d’appartenances au sein de sociétés fragmentées et communautarisées. Mais ne réduisons pas sa critique aux aspects liés à la paix civile même s’ils ne sont pas négligeables.

    L’idéologie multiculturelle obéit d’abord à une logique de déracinement qui passe par le démantèlement des institutions et des systèmes normatifs traditionnels. Elle est fondée sur une inversion du devoir d’intégration : l’immigré n’a plus vocation à se fondre dans le creuset de la culture d’accueil mais c’est la culture d’accueil qui doit s’accommoder de la culture d’importation. La culture d’accueil perd ainsi son statut référentiel et devient, en quelque sorte, optionnelle, sauf pour expier ses crimes contre la diversité, ce qui revient évidemment à œuvrer à sa propre destruction. C’est exactement ce qui est arrivé au Canada.

    Le Canada, présenté par les thuriféraires du multiculturalisme comme un modèle de gestion ethnoculturelle… Qu’en est-il de la réalité ?

    Je ne sais pas si on peut parler de modèle, mais le multiculturalisme est là-bas une sorte de doctrine d’Etat. Avec son enthousiasme coutumier, notre flamboyant Premier ministre, Justin Trudeau, vient d’expliquer dans le New York Times que c’était la diversité qui caractérisait le Canada. Et de fait, au pays des accommodements raisonnables, une immigrée peut prêter son serment de citoyenneté en niqab avec la bénédiction des tribunaux ou le Premier ministre d’une province comme l’Alberta peut se montrer dans une vidéo revêtue d’un voile islamique pour fêter la fin du ramadan…

    Ce zèle diversitaire, ce multiculturalisme triomphant récoltent l’admiration béate des élites culturelles et médiatiques qui se congratulent entre elles de ces marques définitives de tolérance et d’ouverture d’esprit. Au Canada, le multiculturalisme est, si j’ose dire, entré dans les mœurs.

    En revanche, on sait moins qu’il y a été utilisé et programmé comme une arme de guerre contre le nationalisme québécois. C’est Pierre Trudeau, le père de l’autre, qui l’a fait inscrire dans la loi constitutionnelle de 1982, imposée de force au Québec afin de désamorcer ses revendications historiques à se constituer en nation. Trudeau voyait en effet d’un très mauvais œil le souverainisme québécois qu’il accusait d’ethnocentrisme, alors même que le socle de l’identité canadienne reposait traditionnellement sur la figure des deux peuples fondateurs, les anglophones et les francophones.

    Le résultat ne s’est pas fait attendre. Ainsi constitutionnalisé, le multiculturalisme a non seulement amputé le Canada de son identité française, mais il a aussi privé le Québec de son statut de nation fondatrice. Triste destin pour le peuple québécois, extrait de sa propre histoire, dépossédé d’une part de lui-même et rabaissé à l’état de communauté ethnique parmi d’autres au sein de la diversité canadienne…

    En France, la victoire de François Fillon à la primaire de la droite est parfois analysée comme une réaction à l’idéologie des élites, largement comparable à ce que vous décrivez pour le Canada. Est-ce aussi votre sentiment ?

    Oui, d’une certaine façon, même si, en France, les références aux valeurs républicaines entretiennent l’illusion d’une communauté politique unifiée. Je dis bien l’illusion : on sait que la réalité est tout autre et qu’énormément de Français ont le sentiment que leur pays se décompose. C’est pourquoi je crois que les gens ont moins voté pour le programme de François Fillon que pour l’image d’une France traditionnelle et enracinée qu’il personnifie. De ce point de vue, il est l’exact contraire de Justin Trudeau qui incarne un cosmopolitisme diversitaire sans racines et la dissolution du politique dans la communication. Fillon est la sobriété faite homme. Pas de transgression outrancière chez lui. Ce qui le distingue aussi d’un populiste du genre Donald Trump.

    Fillon l’a plus emporté pour la part de conservatisme qu’on lui attribue que pour sa promesse de rétablir les finances publiques ?

    Sans aucun doute, même si le verbe « rétablir » que vous venez d’employer est celui qui lui convient. François Fillon doit avoir conscience des enjeux qu’il a fait naître. Il porte pour l’élection de 2017 tous les espoirs d’un certain conservatisme à la française. Je veux parler d’un mélange d’enracinement, de sens commun, de dignité qu’il lui faudra, sous peine d’immense déception, incarner personnellement mais aussi politiquement s’il est élu à la tête de l’État.

    Ce conservatisme réclame une part de volontarisme car, dans le monde qui est le nôtre, il ne s’agit plus seulement de conserver, il faut également restaurer ce qui a été mutilé par quarante ans de progressisme maniaque. En France, cela commence par l’État, l’autorité de l’État. La psychologie politique de votre pays est profondément imprégnée de l’idée que c’est l’Etat souverain qui incarne le destin de la nation et il serait tout à fait illusoire de vouloir lui substituer la société civile comme le prône le philosophe anglais Roger Scruton. Le conservatisme français est une synthèse originale d’identité et de liberté, même sur les questions de mœurs.

    Cela le distingue du conservatisme social américain qui peut avoir une dimension agressive, très éloignée du conservatisme tranquille qui s’est exprimé lors de la Manif pour tous. Si les Français sont à la recherche de leur conservatisme, qu’ils ne le regardent surtout pas avec une loupe américaine ou britannique !

    Le problème de ce conservatisme n’est-il pas de ne jamais s’assumer en tant que tel ?

    C’est tout le problème des dirigeants de ce qu’on appelle la droite. Alain Juppé était tellement heureux d’être célébré par la presse de gauche qu’il en a oublié que la France ne se réduisait pas à ce que pensent Les Inrocks et Télérama. Le rêve d’une certaine droite, et c’est le danger qui guette Fillon désormais, c’est que la gauche lui dise qu’elle n’est pas vraiment de droite. Elle se croit donc obligée de prouver qu’elle est la plus moderne et, pour faire moderne, elle ne parle que d’Europe et de mondialisation, jamais ou presque jamais des questions sociétales et identitaires. Le débat public se résume ainsi depuis quarante ans à une querelle entre progressistes. C’est ce que j’appelle dans mon livre le « malaise conservateur » : bien que prégnant en France, le conservatisme n’a jamais trouvé sa traduction politique, sinon dans quelques discours électoraux vite oubliés une fois au pouvoir.

    Pourtant, on entend beaucoup dire que les « réacs » auraient gagné la suprématie culturelle…

    Et qui l’affirme ? Certes, quelques voix discordantes se font entendre un tout petit peu plus qu’avant, ce qui provoque un double phénomène : d’une part, la gauche hégémonique se croit assiégée parce que sa domination est très légèrement contestée ; de l’autre, la droite silencieuse se croit conquérante parce qu’elle est un tout petit peu plus entendue. Mais le fait est que la quasi-intégralité des pouvoirs institutionnels et culturels reste progressiste.

    Un dernier mot sur le regard qu’on porte sur la France depuis le Québec ?

    Il y a un vieux sentiment d’affection filiale qui vire à l’hostilité chez les élites car la France est perçue comme un rouleau compresseur laïciste qui étouffe sa diversité. Mais pour les souverainistes, qui représentent grosso modo 40% de la population, la France demeure la première alliée et un enjeu interne : même si la langue française est fragilisée à cause de l’État fédéral où elle n’existe quasiment plus, le Québec ne parle pas norvégien ou danois.

    Il parle français, une des plus grandes langues du monde, et cela a contribué à sa survie. Si l’aventure coloniale a pu avoir des aspects positifs, c’est bien ici, en Amérique du Nord, où la France a accouché d’un peuple neuf !

    Le Multiculuralisme comme religion politique, de Mathieu Bock-Côté, Le Cerf, 368 p., 24 euros.  

  • Voyages • Vienne, un héritage impérial vivant

     

    par Jean Sévillia 

    EN IMAGES - Vienne fête le centième anniversaire de la mort de François-Joseph. La capitale autrichienne, aujourd'hui, bénéficie d'une qualité de vie qui tient aussi au cadre majestueux légué par les grands travaux d'urbanisme de cet empereur. Jean Sévillia nous fait visiter cette capitale européenne [Figarovox 24.06] à laquelle la France est liée par de nombreux liens de mémoire et autres, contemporains.  LFAR

     

    XVM06e8d676-796d-11e5-ba18-c49418e196fb - Copie.jpgA Vienne, dans les magasins pour touristes, François-Joseph et l'impératrice Elisabeth tournent ensemble sur les présentoirs de cartes postales, pendant que leur effigie figure sur des boîtes de chocolats, des puzzles, des porte-clés, des tee-shirts et des statuettes, sans oublier les boules de verre avec de la fausse neige. Si le kitsch Habsbourg fait marcher le commerce, il y a, Dieu merci, plus sérieux pour célébrer le centième anniversaire de la mort de François-Joseph, disparu en 1916, au mitan de la Première Guerre mondiale. Dans la capitale autrichienne, les librairies proposent des piles de biographies, d'albums et de magazines historiques qui lui sont consacrés, tandis que se tiennent quatre expositions, une cinquième étant proposée dans le château de Niederweiden, à 50 kilomètres à l'est de la ville (lire notre carnet de voyage,p. 79). Impossible, en ce moment, de se rendre à Vienne et d'ignorer que 2016 est une année François-Joseph. Mais, à part ses favoris immaculés et le surnom de son épouse (Sissi), qu'est-ce que le visiteur connaît de lui? Et mesure-t-on bien tout ce que le visage actuel de Vienne doit à cet empereur?

    Né en 1830, François-Joseph est le petit-fils de François Ier, l'adversaire malheureux de Napoléon. C'est en 1848 qu'il accède au trône, à la faveur de l'abdication de son oncle Ferdinand Ier, chassé par la révolution. Par la force des armes, le jeune souverain rétablit la puissance autrichienne en Lombardie et en Hongrie, où l'insurrection est matée avec l'appui des Russes. Cette première partie du règne impose un régime autoritaire, opposé aux aspirations libérales ou nationales. A Solferino, en 1859, François-Joseph perd la guerre contre Napoléon III, et doit céder la Lombardie au royaume de Piémont. Une déroute qui le contraint, à l'intérieur, à l'ouverture vers le fédéralisme. En Allemagne, l'empereur doit composer avec la prépondérance de Berlin, rivalité qui débouche sur un conflit clos par la défaite autrichienne devant les troupes prussiennes, à Sadowa, en 1866. Un nouveau revers qui pousse François-Joseph à un nouveau changement manifesté par des concessions aux Magyars. Entichée de la Hongrie, l'impératrice Elisabeth contribue à cette politique. En 1867, le compromis austro-hongrois place l'empire d'Autriche et le royaume de Hongrie sur un pied d'égalité, l' empereur et roi gouvernant la double monarchie avec trois ministres communs.

     

    L'hôtel de ville de Vienne a été construit de 1872 à 1883 dans le style néogothique des communes flamandes. Haute de 100 m, la tour est surmontée d'un chevalier en cuivre.

    L'hôtel de ville de Vienne a été construit de 1872 à 1883 dans le style néogothique des communes flamandes. Haute de 100 m, la tour est surmontée d'un chevalier en cuivre. - Crédits photos  : © Arnaud Robin / Figaro magazin

    Arnaud RobinSuivront quarante années de paix: l'apogée du règne. Un temps néanmoins traversé de tensions intérieures et de drames familiaux: l'exécution du frère de François-Joseph, Maximilien, au Mexique (1867) ; le suicide de son fils unique Rodolphe à Mayerling (1889) ; l'assassinat de l'impératrice Elisabeth par un anarchiste italien à Genève (1898). Et, pour finir, l'assassinat de son neveu François-Ferdinand par un révolutionnaire serbe, à Sarajevo, en 1914. Cet attentat obligera l'Autriche à réclamer réparation à la Serbie, déclenchant, par le jeu des alliances, la Première Guerre mondiale. Lorsqu'il meurt, en 1916 - laissant la couronne à son petit-neveu, Charles Ier, qui régnera jusqu'en 1918 - François-Joseph est âgé de 86 ans. Il a été empereur pendant soixante-huit ans et a vu 150 autres souverains régner en Europe, puis disparaître.

    François-Joseph incarne un pan de l'histoire de l'Europe, de l'histoire de l'Autriche et de l'histoire de Vienne. Son nom est un mythe, un mythe historique, culturel, littéraire et cinématographique. Ce mythe existait du vivant du souverain dont le portrait ornait chaque bâtiment officiel, chaque maison, chaque auberge. Après l'effondrement de l'empire, l'Autriche, paradoxalement, était un pays neuf. Non seulement en raison de la forme républicaine de l'Etat, mais parce que le territoire délimité par les frontières de 1919 n'avait jamais existé comme un pays indépendant, l'Autriche étant jusqu'alors le berceau de l'empire d'Autriche auquel elle avait donné son nom. Aussi ceux des Autrichiens qui doutaient de la solidité de leur nouveau pays et de sa capacité à résister au voisin allemand, surtout après 1933, se raccrochaient-ils au mythe François-Joseph. Sans être lié nécessairement à une nostalgie monarchique, le souvenir du vieux souverain ramenait l'image rassurante d'une Autriche forte, prospère et sûre, contrastant avec les menaces du moment. Chez Franz Werfel, Robert Musil, Joseph Roth ou Stefan Zweig, la littérature autrichienne d'alors abonde en livres ressuscitant «le monde d'hier».

     

    La statue de François-Joseph dans le Burggarten, qui était autrefois le jardin privé de l'empereur. C'est aujourd'hui un lieu d'agrément très prisé.

    La statue de François-Joseph dans le Burggarten, qui était autrefois le jardin privé de l'empereur. C'est aujourd'hui un lieu d'agrément très prisé. 

    Après la Seconde Guerre mondiale, le mythe est réactivé car il permet d'évacuer l'épisode trouble vécu par l'Autriche sous la botte nazie. Au cinéma, la célébrissime trilogie du réalisateur autrichien Ernst Marischka - Sissi (1955), Sissi impératrice (1956) et Sissi face à son destin (1957) - met en scène l'impératrice sous les traits de la jeune Romy Schneider, François-Joseph étant joué par le séduisant Karlheinz Böhm. Ces films ont fixé dans le public, jusqu'à nos jours, une image historiquement fausse du couple impérial. Ils ont cependant contribué à la popularité mondiale du mythe François-Joseph et Sissi, et auront suscité, dans les années 1950 et 1960, l'envie d'aller découvrir les palais viennois et les lacs alpins, avantage non négligeable pour un pays qui, ayant recouvré sa souveraineté en 1955, ne demandait qu'à s'ouvrir au tourisme. Il ne faut pas croire, pour autant, que François-Joseph a toujours été l'objet de panégyriques. Dès 1919, Ernest von Koerber, qui avait été chef du gouvernement autrichien sous la monarchie, considérait que cet empereur avait nui deux fois au pays, au début par sa jeunesse, à la fin par son trop grand âge. De nos jours, l'absolutisme des débuts du règne ou l'évaluation de la responsabilité de l'empereur dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale suscite des débats. Karl Vocelka, auteur d'une biographie de François-Joseph parue l'an dernier et commissaire de l'exposition qui se tient actuellement à Schönbrunn, déplore ainsi longuement la répression de la révolution hongroise de 1848 ou le fait que de nombreux problèmes nationaux et sociaux soient restés sans réponse avant 1914. L'historien reconnaît toutefois les acquis économiques et culturels de cette époque, tout en hésitant à les attribuer à l'action personnelle du souverain. 

     
     
    Un fiacre traversant la Hofburg, immense palais qui est une ville dans la ville. Vienne possède près de 150 fiacres, dont les conducteurs portent une tenue traditionnelle. Ces voitures et leurs chevaux font partie du paysage viennois

    Un fiacre traversant la Hofburg, immense palais qui est une ville dans la ville. Vienne possède près de 150 fiacres, dont les conducteurs portent une tenue traditionnelle. Ces voitures et leurs chevaux font partie du paysage viennois.  

    L'historien tchèque Palacky, dès 1848, disait que si l'Autriche n'existait pas, il faudrait l'inventer. On peut trouver mille défauts à François-Joseph, mais sa vertu principale, le service qu'il a rendu aux peuples danubiens et par-là à l'Europe entière, c'est d'avoir su durer - or durer, en politique, est un art - et d'avoir su réunir sous ses deux couronnes une douzaine de peuples qui parlaient autant de langues et pratiquaient toutes les religions. Au siècle des nationalités, la mosaïque ethnique et culturelle du bassin danubien aurait pu être le théâtre d'atroces guerres intestines. Cette catastrophe a été évitée à l'Europe centrale grâce à l'Autriche-Hongrie, foyer de civilisation. La cour de François-Joseph, avec son étiquette, ses uniformes et ses titulatures, pouvait laisser l'impression d'un univers figé. Ce n'était que la surface des choses. En réalité, à cette époque, l'Autriche s'était transformée en une puissance moderne, un Etat de droit où la Constitution de 1867 garantissait les droits du citoyen, où le suffrage universel attendrait 1907, mais où la législation sociale, dès la seconde moitié du XIXe siècle, était sur de nombreux points (assurance-maladie, congés payés) plus avancée qu'en France ou en Angleterre. L'Autriche-Hongrie, dans ces années-là, était devenue une force industrielle, la quatrième d'Europe après l'Angleterre, l'Allemagne et la France. Et c'est sous le long règne de François-Joseph que la capitale autrichienne avait revêtu ce visage qui lui vaut de nos jours d'attirer les visiteurs du monde entier.

     

    Au centre de Vienne, la Hofburg, ancienne résidence des Habsbourg, se compose de plusieurs ailes dont la construction s'étale du XIIIe siècle au début du XXe siècle. Ici, le bureau de l'impératrice Elisabeth, dite Sissi, l'épouse de François-Joseph, assassinée en 1898.

    Au centre de Vienne, la Hofburg, ancienne résidence des Habsbourg, se compose de plusieurs ailes dont la construction s'étale du XIIIe siècle au début du XXe siècle. Ici, le bureau de l'impératrice Elisabeth, dite Sissi, l'épouse de François-Joseph, assassinée en 1898. 

    En 1857, une ordonnance impériale commande la destruction de la vieille enceinte qui, en 1529 et en 1683, avait repoussé les Ottomans mais qui, désormais inutile, étouffe la ville comme un corset. François-Joseph impose cette décision aux militaires, qui craignent que cette mesure ne profite aux révolutionnaires. Dans son esprit, il s'agit de faire de Vienne la capitale d'un vaste empire dynamique, ce qui suppose un plan de rénovation urbaine à l'instar de celui lancé par le baron Haussmann à Paris. Les meilleurs architectes sont mobilisés - l'Autrichien Heinrich von Ferstel, l'Allemand Gottfried Semper, le Danois Theophil Hansen - et chargés d'organiser l'espace situé à l'emplacement des anciennes murailles. Le choix a été fait d'entourer la vieille ville par un boulevard circulaire de 5,3 kilomètres de longueur. Sur cette artère de prestige, la Ringstrasse, en abrégé le Ring, s'édifieront des bâtiments publics, des institutions culturelles, des hôtels de luxe, des immeubles de bureaux et d'habitation. Inauguré en 1865, le Ring restera en chantier pendant plus de vingt ans.

    Entre 1860 et 1890 sont ainsi bâtis la Votivkirche (l'église du Vœu, commencée avant la démolition des remparts et construite en action de grâce pour la tentative d'assassinat à laquelle François-Joseph a échappé en 1853), l'Opéra, la chambre de commerce, la Maison des artistes, le musée des Arts appliqués, la salle de concert du Musikverein, la Bourse, le musée d'Histoire naturelle, le musée d'Histoire de l'art (Kunsthistorisches Museum), l'Académie des beaux-arts, le nouvel hôtel de ville, le Parlement, le Burgtheater, l'aile nouvelle du palais de la Hofburg et l'université. Le goût étant à l'historicisme, le Parlement a été conçu dans le style grec, l'hôtel de ville dans le style néogothique et l'Université dans le style néo-Renaissance. Ces monuments, en 2016, conservent à Vienne son air de capitale impériale. Si plusieurs d'entre eux, bombardés en 1944-1945, ont été reconstruits à l'identique, ils remplissent la même fonction depuis l'origine. 

     

    Les cafés, à Vienne, sont une institution. On peut y prendre un repas ou une consommation, et lire les journaux qui sont à la disposition des clients. Des portraits de François-Joseph et de l'impératrice Elisabeth ornent la grande salle du Café central.

    Les cafés, à Vienne, sont une institution. On peut y prendre un repas ou une consommation, et lire les journaux qui sont à la disposition des clients. Des portraits de François-Joseph et de l'impératrice Elisabeth ornent la grande salle du Café central. 

    Sur le Ring s'étaient également édifiés des immeubles habités par des aristocrates, mais plus souvent par des familles bourgeoises dont l'ascension accompagnait les progrès économiques de l'Autriche. Les Juifs étaient nombreux dans ce milieu, encouragés par l'abolition, en 1867, des ultimes interdits qui les frappaient. Rothschild, Epstein, Ephrussi ou Todesco se faisaient bâtir des palais dont l'architecture, la décoration des façades et la richesse des intérieurs proclamaient la réussite. Forte de cet essor, Vienne organisait en 1873 une Exposition universelle ambitieuse qui venait après celles de Londres et Paris. De 430 000 habitants en 1857, la population passait à 820 000 personnes en 1890, et atteindra les 2 millions en 1910. Autrichiens, Italiens, Polonais, Hongrois, Tchèques, Slovaques, Slovènes, Juifs de l'Est, tous les peuples de l'empire étaient représentés à Vienne. La ville était la cinquième métropole occidentale, derrière Londres, New York, Paris et Berlin.

    Vienne fin de siècle ? Rien de plus trompeur que cette formule. Contrairement à une idée reçue, nul sentiment de décadence, ou de fin du monde, n'étreignait cette société où personne ne pressentait la fin de la monarchie. C'est encore sous le règne de François-Joseph que s'épanouirait, laboratoire de la modernité, la Vienne du Jugendstil et de la Sécession, avec des architectes comme Otto Wagner et Adolf Loos, des peintres comme Gustav Klimt, Egon Schiele et Oscar Kokoschka, des musiciens comme Gustav Mahler, Arnold Schönberg et Alban Berg, et des médecins lauréats du p