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  • Religions & Cultures • Les chrétiens d'Orient et nous face aux attentats de Paris ...

     
    par Annie LAURENT
     
    ob_a31a73_dsc04030.jpgLes attentats qui ont ensanglanté Paris le 13 novembre 2015 ont profondément touché les chrétiens du Proche-Orient sans pour autant les étonner. Depuis longtemps, ils nous prévenaient que l’Europe n’était pas à l’abri des malheurs dont ils font eux-mêmes la douloureuse expérience. Mais nous n’avons pas su ou voulu les écouter. 
     
    Clairvoyance et expérience des chrétiens d’orient

    En août 2014, après avoir été contraint de quitter son diocèse conquis par l’Etat islamique, l’archevêque chaldéen de Mossoul, Mgr Emile Nona, adressait aux chrétiens du monde entier une déclaration prophétique :
    "Nos souffrances d’aujourd’hui sont un prélude aux vôtres, chrétiens européens et occidentaux qui souffrirez aussi dans un proche avenir".
    Et il invitait les Etats occidentaux à prendre des mesures "fortes et courageuses". Comme en écho, une Syrienne réfugiée en France confiait au lendemain des attentats : "La France a pris en son sein des gens prêts à la mettre à genoux. J’ai vu en France des barbus que je n’avais jamais vu dans ma vie en Syrie, avant la guerre".
    Les Orientaux chrétiens nous invitaient à ouvrir les yeux sur des réalités propres à l’islam, réalités que nous ne voulions pas voir.

    Le cardinal Béchara Raï, patriarche des maronites, peu avant les attentats :
    "Les musulmans considèrent les chrétiens comme faibles et ils croient que, parce qu’ils n’ont pas d’enfants et pratiquent à peine leur foi, l’islam les vaincra facilement. Malheureusement, les musulmans prennent leur foi plus au sérieux que la plupart des chrétiens, et ils gagnent du terrain à cause de cela".
    Critiquant la politique des Européens dans la crise migratoire, il disait :
    "Il est inutile pour l’Europe de se quereller sur la question de l’accueil des réfugiés, sans traiter la cause fondamentale de l’émigration du Moyen-Orient qui est un conflit armé." (Entretien publié par l’hebdomadaire italien Famiglia cristiana daté du 5 novembre 2015).

    Mgr Issam Darwich, archevêque melkite de Zahlé (Liban) :
    "Nous avons toujours su que Daech est un danger pour le monde entier. Mais l’Europe ne l’a pas pris au sérieux(…). Les fondamentalistes ne peuvent pas supporter que des musulmans soient gouvernés par une majorité chrétienne, comme en France. Ils croient que ce devrait être le contraire, que les musulmans doivent dominer le monde entier (…). L’Europe doit modifier sa politique concernant le conflit en Syrie et ouvrir enfin les yeux (…). Il est temps de lutter contre Daech conjointement avec le gouvernement syrien. Ce n’est qu’après que nous pourrons voir comment les choses vont évoluer en Syrie".
    Lui aussi critique la politique européenne en matière d’immigration :
    "L’Europe doit examiner au plus près ceux qu’elle laisse entrer. C’est facile pour Daech de mêler ses combattants aux réfugiés."(Entretien à l’Aide à l’Eglise en Détresse, AED, 20 novembre 2015).

    Mgr Georges Abou Khazen, vicaire apostolique latin d’Alep :
    "Ici, depuis des années, nous subissons des massacres et nous vivons dans la terreur(…). Tout cela a lieu dans l’indifférence de la communauté internationale. Aujourd’hui, après les massacres de Paris, il faut trouver une unité forte et authentique pour lutter contre le terrorisme (…). La réponse politique à apporter consiste dans l’arrêt de tout appui à ces groupes, promoteurs de mort, qui se servent d’une idéologie religieuse comme d’un bouclier. " (Agence Fides, 14 novembre 2015).

    Père Samir-Khalil Samir, jésuite égyptien :
    "La solution de facilité, très à la mode, consiste à dire que Daech n’a rien à voir avec l’islam. C’est le pire discours que je connaisse.[…] Des dizaines de passages du Coran justifient la violence […]. Il faut distinguer islam et islamisme, mais l’islamiste n’est pas contre l’islam. […] Aujourd’hui, l’Occident est vu [par les musulmans],d’un point de vue religieux et moral, comme décadent. […] Ils disent : l’Occident est devenu athée, il faut donc le combattre".
    Le P. Samir déplore aussi la naïveté des Européens à l’égard de l’islam car cette attitude "entraîne des erreurs qui peuvent être graves". Enfin, il déplore la compromission des dirigeants européens, prêts à sacrifier l’éthique pour le profit en vendant des armes à des pays comme l’Arabie-Séoudite ou Qatar : "On ne peut pas se contenter d’être l’ami de certaines puissances sous prétexte qu’on en tire un profit." (Entretien à Famille chrétienne, n° 1975, 21-27 novembre 2015).

    Père Pierre Madros, prêtre du patriarcat latin de Jérusalem :
    Ces événements tragiques, inattendus et incompréhensibles chez beaucoup d’Occidentaux, fort prévisibles,(…) vont-ils réveiller la fille aînée de l’Eglise, afin qu’elle revienne à son premier amour ? Ou bien tout sera-t-il oublié, et noyé dans un “pas d’amalgame” expéditif et peu objectif ? N’est-ce pas là, pour la ville-lumière, l’heure du Malin et le royaume des ténèbres ? ".
    Le Père Madros regrette aussi le dévoiement de la laïcité française :
    "L’Etat et l’école devraient promouvoir la foi, non la combattre. Nous venons de le constater à nos dépens et sur les corps des 130 victimes de la capitale française : interdire le catéchisme a créé un vide où facilement et sournoisement a pu s’infiltrer, au lieu de l’Evangile de la paix, de l’amour et de la vie, le prêche du djihad mortel".
    Il déplore enfin l’interdiction de "toute critique et de toute clairvoyance [de l’islam] sous prétexte de charité", rappelant toutefois :
    "En tant que chrétiens, disons-le une fois pour toutes, nous n’avons peur de personne et nous ne haïssons personne !"(Homélie de la fête du Christ-Roi, 22 novembre 2015).

    Des ecclésiastiques orientaux ont pour leur part mis l’accent sur la réponse spirituelle à apporter au drame de Paris.

    Sa Béatitude Ignace III Younan, patriarche syro-catholique (Beyrouth) :
    "Nos deux pays, le Liban et la France, dans l’espace de 24 heures, ont été la cible des attaques barbares, qui visent clairement à miner les valeurs sur lesquelles ils ont été fondés : liberté, respect d’autrui et convivialité civile. Des valeurs dont nous ne devons absolument pas avoir honte ou nous flageller(…). Les loups sont dans le bercail ! Réveille-toi, France bien-aimée" (Message adressé à l’Œuvre d’Orient, 17 novembre 2015).

    Sa Béatitude Grégoire III Laham, patriarche grec-catholique (Damas) :
    "Une fois de plus, nous voilà dans la spirale de cette violence aveugle qui semble aspirer notre monde,[…] nous rappelant les paroles de saint Paul, "Car le mystère d’iniquité s’opère déjà…”, dans ce monde éloigné de Dieu alors que résonnent en nous celles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : "… si vous ne vous repentez pas, vous périrez tous de même” (Luc 13, 3) ».

    Mgr Jean-Abdo Arbach, archevêque grec-catholique de Homs (Syrie), de passage en France dans le cadre du jumelage de son diocèse avec celui de Fréjus-Toulon :
    "Il faut détruire la menace terroriste bien entendu et en protéger la France. Mais il faut également que la France retrouve la foi, l’espérance et la charité. Il faut vivre du Dieu d’Amour, et nourrir les âmes errantes ! Soyez ce que vous êtes, des chrétiens, pour résister à la sauvagerie de ces fanatiques"(Propos rapportés par Charlotte d’Ornellas, SOS Chrétiens d’Orient, 15 novembre 2015).

    Ces derniers mois, un livre intitulé Fatwas et caricatures (éditions Salvator), écrit par une Libanaise chrétienne, Lina Murr-Nehmé, aurait dû alerter les dirigeants et l’opinion sur la guerre impitoyable que l’islamisme mène à l’Occident. Historienne courageuse, l’auteur s’appuie sur des documents irréfutables, dont certains sont reproduits en fac-similés dans son ouvrage, pour montrer que la propension à la violence n’est pas accidentelle, mais connaturelle à l’islam qui l’a mise en œuvre dès l’origine, sous Mahomet et les premiers califes. Les musulmans l’ont assumée en lui donnant une caution divine. L’action de Daech et des autres mouvements islamistes n’est donc que l’actualisation de ce programme. Fatwas et caricaturesa été écrit pour réveiller les consciences européennes

    Des leçons à tirer et des révisions à opérer

    Toutes ces prises de position suggèrent les révisions que la France doit opérer pour opposer un front de fermeté au mépris de certains musulmans et aux agressions des djihadistes. Voici un petit vademecum avec quelques pistes de réflexion et d’action éclairées par ce que nous disent les chrétiens d’Orient.

    Une approche lucide et réaliste

    • Les élites françaises (dirigeants politiques, élus locaux, intellectuels, journalistes, ecclésiastiques) doivent porter un regard lucide et correct sur l’Islam dans toutes ses dimensions (religieuse, anthropologique, sociale, politique), et entretenir avec les musulmans un rapport de vérité.Car il n’est pas indifférent d’être citoyen selon que l’on est musulman ou non, compte tenu de la manière dont l’Islam envisage l’organisation de l’État et de la société, ainsi que le statut de la personne et ses relations avec les non-musulmans.

    • Il ne faut pas faire semblant de croire que l’Islam est une religion comme les autres et qu’il n’est qu’une religion. Il n’appartient pas aux non-musulmans de dire quel est le véritable Islam, ce qui implique d’éviter des déclarations telles que : "L’Islam est une religion de paix, d’amour et de tolérance", "Daech pratique un Islam dévoyé", etc.

    • Il faut éviter le déni de certaines réalités gênantes dans l’Islam alors que l’actualité les met en évidence. Ce mensonge conduit les populations européennes non musulmanes à la méfiance et à la peur, voire à l’agressivité envers les musulmans, ce qui risque d’engendrer un cercle vicieux de violences. Quant aux accusations d’« islamophobie », elles sont un piège dans lequel il faut éviter de tomber, sous peine de se priver de la liberté de critiquer les aspects dérangeants, voire inacceptables de l’Islam, comme l’absence de liberté religieuse ou le traitement de la femme.

    •  Il faut éviter toute attitude pacifiste ou fausse dans les rapports de la France (et de l’Europe) avec les États musulmans. Par exemple, nier que l’on a des ennemis ou refuser de les nommer ; pratiquer une diplomatie à géométrie variable : on combat certains régimes sous prétexte de servir la démocratie (cf. la Libye et la Syrie) en même temps que l’on conclut des alliances avec des régimes indéfendables (cf. les États de la péninsule Arabique) ou que l’on cède au chantage d’autres pays comme la Turquie. Le mensonge est facteur de guerre et non de paix. Le monde musulman, qui traverse une crise très grave, a besoin de se sentir respecté par l’Occident pour guérir du ressentiment qui l’anime. 

    Des dispositions à adopter

    La France doit prendre acte des effets négatifs de l’idéologie du multiculturalisme et y renoncer tout en s’efforçant d’interrompre le processus en cours de confessionnalisation des musulmans établis sur son sol.

    •  Il faut concevoir l’accueil et le traitement des musulmans, qu’ils soient immigrés ou nationaux, en tant que personnes et non comme membres d’une communauté aux traditions et mœurs incompatibles avec celles qui fondent la civilisation française. Ceci pour favoriser leur assimilation dans le droit fil de la tradition française, qui concerne précisément les personnes individuelles et non les communautés.

    •  Il ne faut pas céder aux revendications communautaristes au nom de la tolérance ou du respect des cultures. Cela relève d’une générosité mal éclairée. En se multipliant dans tous les secteurs de la vie, l’acceptation de ces revendications par les pouvoirs publics entraîne forcément une rupture du lien social et nuit à la cohésion nationale.

    •  Il faut exiger des citoyens musulmans l’engagement à respecter pour eux-mêmes et pour autrui le droit et les valeurs français, tels que la liberté religieuse (y compris de conscience, donc le droit de changer de religion) ou l’égalité en dignité de l’homme et de la femme. Mais pour cela, il est essentiel de refonder une société vertueuse, digne d’être enviée et imitée, par exemple par une politique favorable à la famille.

    •  La France doit reformuler le contenu de la laïcité. La neutralité de l’État en matière religieuse ne signifie pas la neutralité de la société dans ce domaine. La laïcité ne doit pas être une idéologie hostile aux religions.
    "La saine laïcité signifie libérer la croyance du poids de la politique et enrichir la politique par les apports de la croyance, en maintenant la nécessaire distance, la claire distinction et l’indispensable collaboration entre les deux" (Benoît XVI, exhortation apostolique Ecclesia in Medio Oriente, 12 septembre 2012).

    •  Il est nécessaire d’assumer l’histoire de la France avec fiertéet de remettre à l’honneur l’héritage culturel et spirituel de la patrie, notamment au sein de l’enseignement public, au lieu d’entretenir le dénigrement systématique. Les dirigeants doivent assumer les racines chrétiennes de la civilisation française qui ont contribué à son rayonnement dans le monde.
     
    • L
  • Population : le désert français ... Pourquoi, en 2017, la France aurait dû compter entre 110 et 150 millions d’habitants

     

    Par Ilyes Zouari

    Excellent article - et très instructif - que son auteur nous a fait l'amitié de nous transmettre. Le sujet est d'une extrême importance et, si besoin est, l'on pourra en débattre.  LFAR  

    ilyes zaouari.pngLa France demeure un pays relativement sous-peuplé, qui n’est toujours pas parvenu à rattraper un retard de deux siècles qui lui a coûté cher. Encore imprégnée des idées malthusiennes, elle se doit aujourd’hui de contribuer davantage à limiter le déclin démographique du continent européen.

    Selon les dernières données démographiques fournies par Eurostat en juillet dernier, la France demeure un pays relativement sous-peuplé par rapport à ces grands voisins européens, comme l’avait déjà déploré le célèbre ouvrage « Paris et le désert français » publié en 1947, et qui avait inspiré la classe politique de l’après-guerre. Se classant de nouveau au-delà de la dixième place (15e, hors Turquie) en matière de croissance démographique en Europe, qui souffre elle-même d’une quasi-stagnation de sa population, la situation n’est donc pas prête de s’inverser. Pourtant, la France devrait contribuer davantage à limiter le déclassement du continent.

    Une France relativement sous-peuplée 

    Avec une densité de population de 118 hab./km2, début 2017, la comparaison entre la France métropolitaine et les autres grandes puissances européennes est sans appel. Le Royaume-Uni présente une densité de 271 hab./km2, ce qui lui permet d’être davantage peuplé pour un territoire pourtant 56% moins étendu (65,8 millions contre 64,9). De leur côté, l’Allemagne et l’Italie présentent, respectivement, une densité de 232 hab. /km2 et de 201 hab. /km2. En d’autres termes, l’Hexagone aurait dû compter, à la même date, 149,7 millions d’habitants pour être aussi populeux que le Royaume-Uni, 127,8 millions pour être au même niveau que l’Allemagne, et seulement 110,9 millions pour être comparable à l’Italie.

     

    Ce genre de comparaison peut également être étendu à bien d’autres puissances à travers le monde, comme le Japon (126,7 millions d’habitants, soit 335 hab./km2), la Corée du Sud (50,9 millions, soit 508 hab./km2) ou encore l’Inde (1,34 milliard d’habitants, et 407 hab./km2). Afin d’être proportionnellement aussi peuplée que ces pays, la France métropolitaine aurait ainsi dû compter, respectivement, 184,9 millions, 280,3 millions et 224,7 millions d’habitants en début d’année.

     

    Ce relatif sous-peuplement se révèle également à travers le taux d’artificialisation des sols. Selon l’enquête LUCAS, réalisée tous les trois ans par Eurostat, la part des espaces artificialisés (sols recouverts par des bâtiments, des routes, des voies ferrées, des parkings…) n’était que de 5,4% du territoire métropolitain en 2015.

     

    Au passage, ce taux n’est que légèrement inférieur à celui du Royaume-Uni (6,5%), alors que ce dernier est proportionnellement plus de deux fois plus peuplé (+131%). Ce qui témoigne d’une maîtrise très insuffisante de l’étalement urbain, voire d’un certain gaspillage des espaces disponibles. Le très controversé projet de construction d’un grand aéroport de plus de 1 200 hectares à Notre-Dame-des-Landes est, d’ailleurs, une parfaite illustration de cet état de fait. En effet, l’aéroport actuel de Nantes (320 ha) est à peu près aussi étendu que l’aéroport international de Genève (340 ha), qui a pourtant enregistré une fréquentation 3,4 fois supérieure en 2016 (16,5 millions de passagers, contre 4,8 millions), et tout en étant situé à moins de 4 km du centre-ville. Et lorsque le trafic aura doublé à Nantes d’ici 2030, il aura également doublé pour l’aéroport de Genève…

     

    1750 - 1945 : deux siècles perdus

     

    La situation démographique actuelle puise ses origines dans la très lente progression démographique connue par l’Hexagone deux siècles durant, de 1750 à 1945, alors que le reste de l’Europe connaissait un véritable essor démographique (à la seule et tragique exception de l’Irlande). Au terme de cette période, la population de la France n’a ainsi été multipliée que par 1,6, passant d’environ 24,5 millions d’habitants à 40,1 millions début 1946. Dans le même temps, l’Italie et l’Allemagne multipliaient par trois leur population, passant respectivement, et dans leurs frontières actuelles, de 14 à 45,1 millions, et d’un peu moins de 20 millions à environ 68 millions d’habitants (ou 58 millions sans l’entrée d’à peu près dix millions d’Allemands, chassés de leurs anciens territoires et du reste de l’Europe orientale au lendemain de la seconde guerre mondiale). Même chose pour l’Espagne, qui passait de 9,4 à 26,9 millions d’habitants. De leur côté, les Pays-Bas faisaient plus que quadrupler leur population, passant de 1,9 à 9,3 millions, tandis que le Royaume-Uni, dans ses frontières actuelles, sextuplait la sienne en passant de 8,1 à 49 millions début 1946.

     

    Cette forte croissance démographique de l’Europe se fit pourtant en dépit de lourdes pertes humaines, dues aux nombreux conflits ayant ensanglanté le continent et, surtout, à l’importante hémorragie migratoire en direction du Nouveau Monde qu’ont subie tous les pays, à l’exception de la France. Sur cette période de deux siècles, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie ont eu pour point commun d’avoir ainsi perdu, chacun, entre 20 et 25 millions de personnes, tandis que la France ne subissait qu’une « modeste » saignée d’environ 4 millions de personnes. 

     

    La France a donc longtemps été l’homme malade de l’Europe et du monde, elle qui était, en 1750, trois fois plus peuplée que le futur Royaume-Uni et 2,6 fois plus peuplée que l’Espagne, et qui était aussi peuplée que le Japon au début des années 1800. Le léger baby-boom ayant suivi la seconde guerre mondiale (avec un indicateur conjoncturel de fécondité - ICF - qui n’a jamais dépassé les 3,04 enfants par femme) ne permit de rattraper qu’une petite partie d’un terrible retard accumulé pendant deux siècles.

     

    Ce déclin démographique ne fut naturellement pas sans conséquences sur l’influence de la France en Europe, et contribua dans une large mesure au déclenchement des deux grandes guerres mondiales, qui coûtèrent cher à l’Hexagone. Si les équilibres démographiques étaient restés inchangés, l’Allemagne, moins sûre d’elle, n’aurait probablement jamais été aussi belliqueuse. Et la France, non effrayée par une écrasante infériorité numérique, n’aurait sans doute jamais cherché à mettre à genoux l’Allemagne après 1918, favorisant ainsi l’émergence du nazisme.

     

    Une France toujours imprégnée de l’idéologie malthusienne

     

    Cet affaiblissement de la France a résulté d’une déchristianisation précoce ainsi que d’une propagation bien plus importante que partout ailleurs des biens trop simplistes idées malthusiennes. Idées qui ne cessent d’être infirmées à travers le monde, génération après génération. Il est d’ailleurs intéressant de constater que 12 des 14 pays européens à avoir connu une croissance démographique supérieure à celle de la France en 2016, ont à la fois terminé l’année avec une croissance économique supérieure (tous sauf la Norvège) et un taux de chômage inférieur (tous sauf Chypre). Ce qui n’a pourtant pas empêché bon nombre de nos responsables politiques d’insister sur l’existence d’un lien entre la persistance d’un chômage élevé en France et la croissance de la population du pays.

     

    Au passage, et afin de prendre un peu de hauteur sur les questions démographiques, il est intéressant de savoir que la minuscule île de Groix, située à une dizaine de kilomètres de Lorient, pourrait à elle seule abriter l’ensemble de la population de la France, métropole et outre-mer confondus. À raison d’une moyenne « raisonnable » de 4,5 personnes au mètre carré, ce petit territoire de 14,82 km2, plus petit que l’aéroport d’Orly (15,4 km2), lui-même deux fois moins étendu que l’aéroport Charles-de-Gaulle (32,57 km2), pourrait ainsi accueillir nos 67,6 millions d’habitants, debout côte à côte. Quant à la petite Guadeloupe, ses 1628,4 km2 pourraient simplement abriter toute l’humanité, dans une planète qui pourrait donc très facilement nourrir plus du double de sa population actuelle (qui devrait pourtant se stabiliser autour de 10 ou de 11 milliards d’habitants).

     

    Il est d’ailleurs à noter que ce genre de calcul revient fréquemment dans la presse anglo-saxonne. En 2015, le très sérieux quotidien américain « The Washington Post » avait publié un article intitulé « The entire world fits in New York City » (le monde entier peut être mis dans New York). Mais en se basant sur une hypothèse de dix personnes au mètre carré, valable uniquement pour des personnes « minces » et serrées les unes contre les autres. En 2012, la non moins sérieuse BBC publiait en ligne un article intitulé « The Great myth of urban Britain » (le grand mythe de la Grande-Bretagne urbaine), pointant du doigt le très faible taux d’artificialisation des sols au Royaume-Uni, pourtant censé être surpeuplé. Dans le même temps, force est de constater que l’on ne retrouve jamais ce genre d’article dans les grands médias français. Or le monde n’a jamais appartenu, et n’appartiendra jamais aux peuples craintifs et déconnectés du monde réel. 

     

    Limiter le déclin de l’Europe

     

    La France a pourtant un rôle à jouer dans une Europe en déclin démographique, et qui ne parviendra à maintenir son niveau actuel de population que grâce aux apports migratoires. En dehors de la France, l’UE, à elle seule, a de nouveau affiché un solde naturel négatif en 2016, de 215 000 personnes. L’Allemagne (qui a connu une croissance démographique deux fois supérieure à celle de la France) et l’Italie perdent chaque année autour de 150 000 « autochtones », chacune, soit davantage que le nombre total des victimes de la bombe d’Hiroshima. Avec une importante et grandissante immigration, en réponse à un ICF constamment inférieur à 1,55 enfant par femme dans l’UE, hors France, il y aura donc toujours autant d’habitants en Europe, mais les Européens y seront progressivement minoritaires. Et ce qui est mathématique est incontestable.

     

    Forte de sa taille, et toujours handicapée par un retard de deux siècles, la France doit donc mettre en place une politique familiale particulièrement volontariste. Ceci est d’autant plus nécessaire que le nombre de naissances en métropole a baissé pour la sixième année consécutive, pour s’établir à 747 000 en 2016, soit un ICF égal à 1,89. Ce niveau correspond ainsi à un déficit de 71 000 naissances par rapport au seuil de renouvellement des générations (2,07). D’ailleurs, il est à noter que le nombre idéal d’enfants souhaités est estimé en moyenne à 2,4 par famille, les femmes en désirant même légèrement davantage que les hommes. Or, un ICF de 2,4 enfants par femme correspondrait actuellement à un surcroît d’un peu plus de 200 000 naissances par année, ce qui permettrait à la France de rattraper progressivement son retard, et sans avoir recours à une immigration importante. Mais ceci contribuerait également à limiter le déclin démographique de l’Europe dans le monde, dont la multipolarité doit être préservée.

     

    Enfin, cet accroissement démographique pourrait pousser la France à songer plus sérieusement à développer les énergies renouvelables, respectueuses de l’environnement. Et à rattraper, là aussi, son retard par rapport aux autres pays européens.  

    Spécialiste du Monde francophone, Conférencier,

  • Histoire • La Régence d'Alger : « La France n’a pas colonisé l’Algérie. Elle l’a fondée »

     

    1417414836 - Copie.jpgPar Altifashi

    Cette rétrospective historique très documentée reçue dans les   commentaires  de  Lafautearousseau nous a beaucoup intéressés.  Il s'agit d'une réaction à un article publié ici : « La France n’a pas colonisé l’Algérie. Elle l’a fondée ». Et ce commentaire nous apprend ou nous rappelle beaucoup de choses peu connues ou oubliées. Bonne lecture et s'il y a lieu les historiens débattront. En tout cas, merci à l'auteur.  LFAR   

    Connaitre l'histoire de la Régence d'Alger de sa fondation en 1515 jusqu'au débarquement de 1830 est absolument indispensable pour comprendre tout ce qui se passe après ! Les pieds noirs eux mêmes (dont je fais partie avec toute ma famille) ont tendance à penser que l'histoire de l'Algérie commence avec leur histoire ; c'est faux Il est important aujourdhui de revenir sur la raison qui a motivé Charles X à prendre Alger qui était toute simple : faire chuter le régime tyrannique du Dey d'Alger qui faisait peser depuis trois siècles un joug humiliant sur les nations chrétiennes.

    Depuis leur arrivée en Afrique du nord, les arabes ont très vite pratiqué la piraterie, commerce facile et juteux qui s'est développé considérablement en 1519 avec son annexion à l'empire ottoman par Kheir-ed-din Barberousse. Le sultan ottoman Selim 1er le nomme beyglierbey (gouverneur général) et lui envoie une puissante armée de plusieurs milliers de janissaires. Les navires de la « Régence d'Alger » armés par les corsaires de Barberousse, aidés par les puissants janissaires turcs (Odjeac) vont « allègrement » piller les navires chrétiens sans défenses.

    Pendant plus de trois siècles, la Régence d’Alger va devenir le fléau de la chrétienté, attaquant sans pitié les navires marchands chrétiens s’enrichissant de leurs dépouilles. Elle vit ruisseler sur ses marchés l’or du Mexique, l’argent du Pérou, les diamants des Indes, les soies et les brocards du levant : les marchandises du monde entier ! Chaque jour des galères pavoisées rentraient dans le port traînant des navires lourdement chargés de vivres, de richesses et surtout d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards qui alimentaient cet immense marché aux esclaves : le Batistan ! C’est ainsi que s’emplissait le trésor de l’Etat et que tous, depuis le plus audacieux des corsaires jusqu’au plus modeste paysan, s’enrichissait sans peine de façon crapuleuse. Les coteaux voisins se couvraient de villas et de jardins décorés des marbres ravis aux palais et aux églises d’Italie et de Sicile. La ville elle-même où l’or si facilement gagné se dépensait plus vite encore, offrait aux aventuriers l’attrait d’une fête perpétuelle et l’appât des plaisirs faciles…

    Mais lorsque François 1er signe une alliance avec l'empire ottoman pour se protéger de l'ambition de Charles Quint, des accords sont conclus entre la Régence et la France. Ils seront violés régulièrement par les corsaires barbaresques jusqu'à Napoléon qui menaça en 1802 le dey Mustapha de débarquer 80 000 hommes et de détruire la Régence s'il ne restituait pas les navires battant pavillon français !

    Quant au consul Pierre Deval, ses détracteurs l'ont toujours présenté comme un personnage ambigu. Son père était drogman du levant à Constantinople, il fut donc élevé dans un milieu oriental dont il garda les manières. Un turc aux manières orientales ne choquait personne, alors qu’un français oui ! Lorsqu'il vient rendre visite au Dey Hussein le 30 avril 1827 pour lui présenter ses hommages à l'issue du jeûne du Ramadan, il en profite pour lui demander la restitution de plusieurs navires couverts du pavillon blanc et de la protection de la France, injustement capturés ! De très méchante humeur à cause de l'aide que portait l'Europe à la Grèce révoltée contre la Turquie, Hussein reproche à Deval de favoriser les intrigues des juifs Bacri et Busnach au sujet de la dette contractée par le directoire à son prédécesseur le Dey Hassan. Le dialogue devint très vite animé et à la suite d'une réponse un peu vive du consul, le Dey le poussa avec l'extrémité de son chasse mouche et le menaça de prison ! Il est vrai que ce coup de chasse mouche fit à Paris un effet papillon, et que le Roi de France Charles X avait du mal à assoir son autorité face au parti des ultras qui voulait la guerre et à l'opposition libérale qui la redoutait.

    Pour affirmer sa souveraineté il prend une demi-mesure en ordonnant le blocus de la Régence. Le Dey reste sur ses positions et ne veut ni restituer les navires, ni présenter d'excuses, il se contente de rappeler la créance Bacri- Busnach.

    Alors, cette créance qu'en est-il ? En bref voici les faits : au début des années 1790, la France voit presque toute l’Europe se dresser contre elle. Les anglais en particulier intriguent auprès du Dey Hassan pour empêcher la livraison d’énormes fournitures de grain, de viande salée de cuir et d'autres denrées alimentaires destinées à l'alimentation du midi et surtout à la subsistance des armées napoléoniennes. Le Dey résista aux instances des anglais et se montra fort chevaleresque en prêtant au Directoire une somme d’un million sans demander d'intérêt. Mais plutôt que de traiter l'affaire lui-même il passa par l'intermédiaire des deux fameux négociants qui géraient la fortune du Dey et avaient la main mise sur toutes les transactions de la Régence : Bacri et Busnach.

    C'est alors qu'ils imposèrent leurs conditions au Directoire : les mesures de blé étaient revendues à prix d'or, sans que le Dey n’en sache rien ! En 1797 Bacri fait monter la dette à 7 943 000 francs ! Le Directoire autorise le versement d'un acompte de 4 500 000 francs, mais le Dey ignore tout des sommes versées à son mandataire... En 1819 Bacri réclame un arriéré de 24 millions, le gouvernement de la Restauration reconnait la dette et décide que la somme de 7 millions sera payée par le trésor public.

    Duval reçut alors la délicate mission d'expliquer au Dey que la somme due avait été réglée au seul créancier officiel : Bacri. Dans cette affaire tout le monde fut dupé par ce Jacob Bacri, et le Dey en particulier qui ne verra jamais son argent !

    Le 30 juillet 1829, le navire « La Provence », mouille en rade d'Alger sous pavillon parlementaire. Le commandant De la Bretonnière propose alors au Dey une réconciliation sous condition, mais le Dey sait que s'il présente des excuses une révolution suit et sa tête tombe inévitablement, il pense aussi que l'Angleterre le protègera. En quittant le port d'Alger le vaisseau parlementaire est bombardé lamentablement par les canons des batteries du port qui le touchent onze fois. Le commandant, fier de son pavillon parlementaire, ne riposte pas ! Le gouvernement ne peut tolérer l'insulte faite au drapeau français. On prie le Sultan de Constantinople à contraindre le Dey à des réparations qui échouent. On propose au pacha d'Egypte, Mehmet Ali 28 millions, et 4 vaisseaux de ligne pour faire tomber le Dey, également de rendre la Régence à la Grande Porte : mais la Turquie ne voulait plus s'embarrasser d'un vassal ingérable !

    Charles X n'avait aucune velléité de conquête, mais il n’avait plus le choix : il ordonna l'expédition d'Alger pour laver un affront fondamental, et que l’humanité n’ait plus à gémir de la tyrannie des barbaresques, ni le commerce à souffrir de ses déprédations.

    Quant au livre de Pierre Péan, il est basé sur une rumeur qui courait dès septembre 1830 dans les rangs de l’opposition : l'armée française a pillé le trésor personnel du Dey ainsi que le trésor de la casbah !  Quand on est contre tout ce que fait le gouvernement, que les protagonistes de la prise d’Alger ne sont plus là pour répondre, et que l’action s’est déroulée de l’autre côté de la Méditerranée, il est facile d’affirmer de tels mensonges !

    Que s’est-il passé vraiment ? D’abord, dès la reddition du Dey, des pillards juifs et maures se sont introduits dans la Casbah pour dérober des objets sans grande valeur abandonnés de part et d’autre par la famille du Dey. Ses réclamations et celles de son gendre porteront uniquement sur quelques sommes d’argent : c’est ça, le pillage de la Casbah !

    Mais la rumeur sera prise très au sérieux par le gouvernement de Louis- Philippe, et le Moniteur du 21 octobre 1830 publie le résultat des enquêtes sur le trésor de la Casbah : « La prise d’Alger et de son trésor a été pendant longtemps le sujet des rapports les plus propres à flétrir la réputation d’hommes honorables employés à l’armée d’Afrique…une commission d’enquête a été nommée …tous les fruits de soustraction et d’infidélité...sont autant de fables dénuées de fondement... » .

    Le général en chef Clauzel, successeur de Bourmont, signe le 22 octobre un ordre du jour afin d’apaiser la grogne des 30 000 soldats de l’armée d’Afrique : « …La déclaration expresse de la commission est que rien n’a été détourné du trésor de la casbah et qu’il a bien été, après inventaire, envoyé à Paris pour intégrer les caisses de l’état ».

    Ce fameux trésor, butin de l’infamie barbaresque, a constitué le butin de guerre qui servira à rembourser les frais d’expédition. Il n’y a pas eu de pillage. 

    Sources

    Henri Delmas de Grammont » Histoire d'Alger sous la domination turque » (1887 éditions Bouchène)

    Daniel Panzac « Les corsaires barbaresques, la fin d'une épopée » (1999)

    Alfred Nettement « Histoire de la conquête d’Alger » (1867)

    Léon Godard « Soirée algériennes, corsaires esclaves et martyres de Barbarie « (1857)

    Georges Fleury « Comment l'Algérie devint française : 1830-1848 » (Perrin 2004)

    Aristide Michel Perrot « La conquête d'Alger ou relation de la campagne d’Afrique » (1830)

    Augustin Bernard « Histoire des colonies françaises, tome II » (1930)

    Pierre Serval « La ténébreuse histoire de la prise d'Alger » (La table ronde 1943)

    Ce livre existe aussi avec le même texte sous le titre « Alger fut à lui « édité par Calmann-Lévy en 1965.

    Lire l'article et les autres commentaires ...

     La France n’a pas colonisé l’Algérie. Elle l’a fondée »

  • Une semaine libanaise avec Annie Laurent : 2/8, Le Liban centenaire

    Annie_Laurent.jpgAlors que le Liban commémore son centenaire en 2020, le pays connaît depuis quelques mois d’importants soubresauts populaires.

    De quoi s’agit-il précisément, comment analyser la situation profonde du Liban aujourd’hui ?

    Quelle place pour les chrétiens ?

    C’est à ces questions que répond ce dossier.


    par ANNIE LAURENT

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    2/8 : Le Liban centenaire

     


    L’État libanais actuel est né en 1920. Petit panorama de son histoire jusqu’à la !n de l’occupation syrienne (2005).

     

    L’année 2020 est pour le Liban celle du centenaire. C’est en effet le 1er septembre 1920 que, par un discours solennel prononcé à Beyrouth, le général Henri Gouraud, haut-commissaire français, proclama la reconnaissance internationale de l’État du Grand Liban dans ses frontières actuelles.

    Cette naissance plongeait ses racines dans les tragédies survenues entre 1840 et 1860. Soutenus par les Ottomans qui dominaient la région, les druzes perpétrèrent alors des massacres de chrétiens dans la montagne du Chouf et à Zahlé, grande cité de la Bekaa. Le 9 juin 1861, suite à une intervention militaire destinée à secourir les survivants, Napoléon III et ses alliés européens obtinrent des Turcs la signature d’un Règlement organique instituant un « Gouvernement autonome » (Moutassarifat) pour le Mont-Liban. Celui-ci était doté d’un gouverneur nommé par le sultan et assisté d’un Conseil administratif de 12 membres issus des six principales communautés, chrétiennes et musulmanes, peuplant le territoire.

    À partir de 1864, le gouverneur fut obligatoirement un chrétien sujet de l’Empire.

    Une nouvelle étape vers l’indépendance fut franchie à l’issue de la Première Guerre mondiale, dans le contexte de la réorganisation du Levant post-ottoman. Le traité de Versailles (28 juin 1919) créa alors la Société des Nations (SDN); il instaura aussi des mandats, qui bénéficièrent à la Grande-Bretagne et à la France.

    À la première furent attribuées la Mésopotamie et la Palestine tandis que la seconde obtenait la Syrie et le Liban. La mission des puissances mandataires consistait à administrer provisoirement les populations des territoires qui leur étaient confiés en vue de les aider à s’organiser comme États souverains.

    C’est durant les travaux préparatoires du traité de Versailles que furent définis les contours du futur Liban. Dès le 9 décembre 1918, le Conseil administratif vota une motion réclamant la pleine souveraineté sur une superficie élargie englobant des régions vitales comme la plaine fertile de la Bekaa, mais aussi celle du littoral avec ses ports, ainsi que le Djebel Amel (Sud) et l’Akkar (Nord), dont le Liban avait été amputé à diverses reprises dans son histoire.

    Trois délégations officielles se succédèrent à Paris, dont l’une était conduite par le patriarche de l’Église maronite, Mgr Elias Hoayek, pour défendre ces revendications qui furent donc entérinées. Le pays du Cèdre échappait ainsi à son intégration dans divers projets régionaux qui émergeaient depuis la fin de l’Empire turc : royaume ou nation arabe, Grande-Syrie. 


    Rôle décisif de la France


    Les maronites, soutenus par la France, ont joué un rôle décisif dans l’avènement de la République libanaise. Pour eux, comme pour la plupart des catholiques d’autres rites, le Liban avait vocation à offrir aux chrétiens un État où ils seraient pleinement citoyens, ce qui n’était pas garanti par les régimes se réclamant de l’islam où la dhimmitude (protection-assujettissement), bien qu’officiellement abolie par le sultan turc en 1856, pouvait être restaurée puisqu’elle s’inspire du Coran (9, 29).

    Une partie des grecs orthodoxes, héritiers de l’Empire byzantin, préféraient cependant l’incorporation du Liban à la Syrie. Le projet de « foyer chrétien » ne se confondait pas avec un système mono-confessionnel. Les maronites n’envisageaient pas l’exclusion des musulmans (sunnites, chiites et druzes) établis sur les terres pour lesquelles ils revendiquaient la libanité. Mais, si les chiites et les druzes étaient favorables à leur incorporation au Liban, les seconds préférant cependant qu’il fût confié à un mandat britannique, la majorité des sunnites optèrent pour le rattachement du pays à la Syrie, certains allant jusqu’à refuser les cartes d’identité libanaises établies par le Haut Commissariat français.

    L’agrandissement du territoire libanais ne faisait pourtant pas l’unanimité chez les maronites.
    En 1932, Émile Eddé, figure éminente de la communauté et fondateur du Bloc national, remit au Quai d’Orsay une Note sur le Liban dans laquelle il estimait nécessaire l’abandon du Nord sunnite et du Sud chiite. Pour lui, le Liban idéal devait assurer aux chrétiens, tous rites confondus, une écrasante majorité, 80 % si possible.

    Déjà en 1919, il avait attiré l’attention du patriarche Hoayek sur le danger d’intégrer trop de populations qui risqueraient à l’avenir d’en rompre l’équilibre. Les musulmans de ce nouveau Liban devenant un jour majoritaires n’auront de cesse, soutenus par leurs frères des États voisins, de le transformer en État islamique, lui disait-il. « Vous regretterez, Béatitude, cette initiative dans moins de cinquante ans ! » (1).


    Vers l’indépendance


    En 1941, le général Georges Catroux, parlant au nom de la France libre, annonça l’abolition des deux mandats mais le Liban devra attendre deux ans pour obtenir son indépendance effective.

    L’acte fondateur fut négocié en 1943 par les deux principaux dirigeants du pays, le président de la République Béchara El-Khoury (maronite) et le chef du gouvernement Riad El-Solh (sunnite). Ce « Pacte national » prit la forme d’un compromis intercommunautaire : les chrétiens renonçaient à la protection française – d’ailleurs
    devenue pesante car, dans les faits, le mandat s’apparentait à un protectorat – tandis que les musulmans oubliaient leur rêve d’intégration arabe.

    La déclaration de R. El-Solh est significative : « Nonobstant son arabité, il [le Liban] ne saurait interrompre les liens de culture et de civilisation qu’il a noués avec l’Occident, du fait que ces liens ont eu justement pour effet de l’amener au progrès dont il jouit » (2).
    Avec la Constitution de 1926, calquée sur celle de la IIIème République française mais sans mention de laïcité, ce Pacte non écrit a constitué l’ossature des institutions libanaises jusqu’en 1989.
    Il a aussi engendré un système sui generis fondé sur des données confessionnelles, en commençant par la répartition des principales charges de l’État. La présidence de la République est réservée à un maronite, celle du Conseil des ministres à un sunnite et celle du Parlement à un chiite. La répartition confessionnelle s’applique aussi aux portefeuilles ministériels et aux sièges parlementaires. Pour les postes les plus élevés
    de l’administration (diplomatie, armée, justice, etc.) le critère confessionnel prime souvent surcelui de la compétence ou du mérite.
    En outre, chaque religion dispose de sa propre juridiction pour le droit personnel (mariage, filiation et héritage). C’est pourquoi il n’y a pas de mariage civil au Liban; de même, une musulmane ne peut pas épouser un non-musulman, sauf si ce dernier adhère à l’islam, selon une prescription du Coran (2, 221).

    Depuis quelques années, ces dispositions sont contestées par une partie de la population, mais les hiérarchies religieuses tiennent au maintien du statu quo.
    Cette « démocratie consensuelle », comme l’appellent les Libanais, est destinée à permettre aux dix-huit communautés reconnues (13 chrétiennes, dont les Arméniens rescapés du génocide de 1915, 4 musulmanes et une juive) d’être associées au fonctionnement de l’État sans perdre leur identité, ce qui soulève la question de la primauté d’allégeance de chaque citoyen.
    Il s’agit donc d’un système fragile, susceptible d’être ébranlé à la moindre secousse, interne ou externe, comme l’a montré la guerre (1975-1990).
    Celle-ci avait pour cause initiale la question palestinienne. En 1948, la création de l’État d’Israël, refusée par les pays arabes, a déclenché un conflit qui a provoqué l’exode de plusieurs centaines de milliers de Palestiniens, dont 142000 se sont réfugiés au Liban où ils ont été très bien accueillis, en particulier par les Églises.

    La défaite arabe de 1967 entraîna un nouvel afflux d’exilés. Dès 1968, le régime syrien d’Hafez ElAssad facilita leur armement au Liban-Sud sous prétexte de soutenir la guérilla anti-israélienne.
    En défendant la « cause » privilégiée des Arabes, Assad, dont la confession alaouite, minoritaire et hérétique aux yeux de l’islam sunnite, lequel est majoritaire en Syrie, cherchait à obtenir la légitimation de son pouvoir à Damas.

     

    2.jpgBéchir Gemayel (1947-1982), Samir Geagea et le général Michel Aoun, trois fortes personnalités chrétiennes du Liban.

     

     

    L’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), dirigée par Yasser Arafat, multiplia alors au Liban les installations militaires, encercla les grandes villes et organisa sa propagande, notamment auprès des journalistes étrangers. Incapables de s’opposer à cette déstabilisation à cause de la faiblesse de leur armée, les dirigeants libanais crurent pouvoir compter sur la Ligue arabe dont leur pays est l’un des fondateurs, mais celle-ci, invoquant la solidarité arabe, imposa au président Charles Hélou l’accord du Caire (3 novembre 1969) qui consacra la mainmise de l’OLP sur leur territoire. « Les Palestiniens ont fait aux Libanais ce que les Israéliens avaient fait aux Palestiniens : ils les ont transformés en réfugiés sur leur propre sol natal », remarque Jean-Pierre Péroncel-Hugoz (3).


    La guerre de 1975-1990


    C’est dans ce contexte que la guerre éclata. Le dimanche 13 avril 1975, à Aïn-Remmaneh (banlieue de Beyrouth), un commando abattit quatre chrétiens devant une église. Un moment après, un autobus rempli de Palestiniens armés rentrant d’une parade fut pris sous le feu de miliciens chrétiens que l’attentat du matin avait mis en état d’alerte. Vingt-sept Palestiniens succombèrent et la capitale s’embrasa.

    Plusieurs formations politiques chrétiennes, telles que les Kataëb de Pierre Gemayel ou le Parti National Libéral de Camille Chamoun, s’étaient préparées à la résistance armée.
    À partir de 1976, la Syrie s’imposa comme acteur majeur dans le conflit. Sous prétexte de rétablir un ordre qu’elle avait contribué à défaire en s’attachant l’allégeance de partis et personnalités libanais, druzes, musulmans et même chrétiens, Damas déploya son armée dans le pays voisin avant d’y imposer une tutelle qui sera totale de 1990 à 2005.

    Par ailleurs, à deux reprises, Israël intervint militairement chez son voisin du nord : en 1978, il s’agissait de repousser les Palestiniens au-delà du fleuve Litani, zone dont la sécurité fut ensuite confiée à une milice mixte (chrétienne et chiite) contrôlée par l’État hébreu; en 1982, Tsahal, l’armée israélienne, envahit le Liban jusqu’à Beyrouth inclus.
    Le but de l’opération « Paix en Galilée » était double : chasser l’OLP, ce qui advint la même année; signer un traité de paix avec le Liban, ce qui échoua, Béchir Gemayel, allié d’Israël et tout juste élu président, ayant été assassiné le 14 septembre 1982, peu avant sa pri

  • Dans la revue Politique Magazine : Cet homme n’est pas à sa place !, par Hilaire de Crémiers

    De discours en discours, Macron révèle une personnalité inquiétante et qui explique le désaveu de la grande majorité des Français.

     

    Le Premier des Français, le Chef de l’État, celui qui représente la France et en qui les Français devraient se reconnaître, le chef des Armées de la France, le patron des administrations françaises, le premier des magistrats, le représentant suprême des territoires et des communes de France où sa photographie est affichée, le garant des institutions de la France, le titulaire de la totalité de la puissance publique, le souverain qui assume la permanence de la nation entre son passé et son avenir, cet homme qui plus qu’aucun autre devrait veiller à la dignité de sa parole et de sa conduite, passe littéralement son temps, depuis deux ans et plus, à insulter la France et les Français. À croire que c’est un jeu chez lui et qui le fait jouir. Braver la France ! Outrager les Français. C’est son truc. Il tient là son originalité. C’est le seul chef d’État au monde qui se permette de bafouer publiquement et continûment son propre pays. Le seul ! Imaginez les Poutine, les Trump, les Johnson, les Xi Jinping qui cracheraient sur leur pays !

    Annotation 2020-02-04 035744.jpgVoilà que récemment encore, fin janvier, revenant d’Israël, il a comparé la guerre d’Algérie à la Shoah. Entendons bien : la France aurait commis en Algérie un crime contre l’humanité, un génocide, la plus épouvantable et la plus programmée des horreurs. Tel fut le sens des paroles présidentielles. Ce n’est pas la première fois que Macron prononce une telle sentence. Il a osé même l’édicter en Algérie, en rompant avec la réserve à laquelle il se devait à l’époque. Il a tenu les mêmes formulations à plusieurs reprises à propos de la colonisation en Afrique noire. Ce misérable petit sciencespotard ne sait rien de ce qu’il débite à longueur de journées, répétant, en toute question, des phrases toutes faites, reprises de lectures mal digérées et de cours tous orientés vers le dénigrement de la France dont la récitation est malheureusement la condition première du succès aux examens. Qui ne connaît ça ? C’est la règle en France : vilipender son pays. Ce qui nous donne aujourd’hui les dirigeants les plus pitoyables de la planète.

    Des militaires, des historiens, des économistes lui ont apporté la réplique, en particulier notre ami Bernard Lugan. Mais rien n’y fait. Ce n’est que devant la protestation des autorités juives que Macron a consenti à préciser sa phrase d’une manière aussi fausse qu’alambiquée, en reconnaissant l’unicité de la shoah : il fallait entendre les exégèses ridicules à force d’être lamentables de la parole présidentielle. Car le foutriquet, comme aurait dit Boutang, comme dit fort bien aujourd’hui Onfray, se garde bien de revenir sur son infamie qui stigmatise la France aux yeux du monde entier. Il se dit prêt, en revendiquant l’autorité de Chirac, à affronter ce qu’il appelle « le défi mémoriel » ! Ah, que c’est beau, ce souci psychanalytique ! Il pense par sa thérapie libérer la France de ses horrifiques fantasmes, lui faire expulser les immondices de son innommable histoire.

    La France coupable

    Son propos est net : la France, tous les Français doivent se sentir coupables, et, cela doit être spécifié, en tant que Français. Il convient d’aller plus loin que Chirac. Les deux mots doivent être définitivement associés devant le Tribunal de l’histoire et du monde : France coupable, Français salauds. En proférant son arrêt, Macron préside avec la haute conscience de son devoir. Il est le maître de la Justice ; il dit le Bien et le Mal, ce qui suppose une supériorité de nature. Tel est le Grand Juge que la France a à sa tête.

    Dans sa fatuité où la superbe le dispute à l’ignorance, l’insupportable gamin s’invente une intégrité qui surplombe tous les soupçons. Lui qui a passé sa vie à transgresser toutes les lois divines et humaines, édicte la norme. Il est des gens comme ça : des transgresseurs qui se fixent pour tâche de déterminer la règle. Car cette prétendue intégrité n’est elle-même en fait qu’une transgression ; il y transgresse la plus élémentaire honnêteté intellectuelle et morale, comme il l’a, d’ailleurs, toujours fait, dans la suite innombrable de ses transgressions, à quoi se résume sa vie, bafouant jusqu’à l’honneur des familles, jusqu’à la simple décence, singulièrement dans les honteuses fêtes de la Musique. Il bafoue tout, il ne respecte rien, et quand il fait semblant de respecter en paroles convenues, c’est qu’il prétend utiliser le protocole pour se mettre à l’honneur.

    Le citoyen comprend bien que chez lui tout est toujours calculé, y compris dans cette dernière assertion sur la culpabilité française ; il cherche à l’évidence l’électorat arabo-musulman dont il a besoin pour dresser les Français les uns contre les autres : c’est sa tactique pour gagner depuis le début. Il n’en tirera que le plus juste des mépris, comme il ne peut pareillement que s’attirer le dédain des juifs que des mots ne pourront satisfaire. Les gens ne sont pas dupes de tels calculs qui déshonorent la France.

    Comment un tel homme peut-il représenter et défendre les intérêts français ? Il est insensible à l’histoire de France, à sa réalité d’hier, d’aujourd’hui et de demain à laquelle il ne croit pas.

    Pas d’intérêt français, pas de diplomatie française

    Son discours à la Conférence des Ambassadeurs à la fin août porte la marque de cette nullité faussement savante qui le caractérise et qui le gonfle de la plus vaine des suffisances.

    Deux heures d’affilée, soixante pages de texte, des phrases confuses, une pensée chaotique et qui se croit géniale dans l’accumulation de considérations aussi vastes que creuses. À chaque phrase, ce ne sont que « réflexions profondes » qui amènent « à réfléchir profondément » sur les « profonds bouleversements » du monde. Dans le texte ! Cent fois répétés. Comment des ambassadeurs, comment des officiers généraux, comment des gens sérieux peuvent-ils endurer pareille logorrhée ? Ce prétentieux grimaud de collège ne fait pas de la diplomatie, ce qui amènerait à considérer concrètement les intérêts français. Non, il fait de « la géostraétégie », ça pose ! « La géostratégie, ça me passionne », a-t-il déclaré ingénument, comme un benêt. Et voilà notre géostratège qui définit des priorités : aucune n’est française ; elles sont toutes mondiales. « Dans la recomposition géopolitique », « notre place est à trouver dans le système qui n’est pas un système français mais européen et mondial ». C’est là que se jouent « la sécurité, la souveraineté, l’influence ». Tout cela, y compris la souveraineté, ne peut donc être qu’européen et mondial ! Car « tout se tient » ! Admirable aphorisme, n’est-ce pas ? « Pour bâtir l’ordre nouveau », « l’esprit français » qui n’est autre que « l’esprit des Lumières », doit « animer le projet humaniste » qui orientera « la stratégie européenne » en vue de l’« ordre international ». N’est-ce pas sublime ? Il s’agit de faire « des avancées », c’est son mot, c’est même sa théorie : « il faut avancer vers l’avenir ». Evidemment, c’est un but !

    Pas un mot des intérêts français ! Ce verbiage indéfini se situe dans la suite de tous ses discours aux allures prophétiques avec les mêmes dialectiques ressassées d’ouverture et de fermeture, d’universalisme et de nationalisme. À stigmatiser à tout bout de champ le nationalisme, il n’atteint en réalité que la seule nation française qui est, de fait, son unique ennemi. Il hait la France qui l’empêche « d’avancer » ! Il s’est juré de la faire « autre ». Comment serait-il possible avec de telles nuées de concevoir une honnête diplomatie et une politique nationale française ?

    Plus de politique française au Proche-Orient. Macron sait-il seulement qu’Alep et Beyrouth étaient des villes où l’on se flattait de parler français ?

    Et l’Afrique ? Y-a-t-il rien de plus outrageant que la manière dont il en parle, dont il convoque les chefs d’État ? Sait-il que cette Afrique profonde aime en réalité la France sous la souveraineté de laquelle elle a connu la paix, la sécurité, le développement spirituel et économique ?

    En Europe, dans le monde, à force de chimères, il n’a plus d’amis. Même Merkel l’abandonne. Désormais chacun s’inquiète de ses discours et de ses plans.

    Il se croit habile en rencontrant ses plus hauts homologues : Poutine, Trump, Merkel et les autres. À chaque fois il ne peut s’empêcher de donner à penser que, grâce à son génie lumineux, c’est lui qui va rendre son partenaire enfin intelligent. Qu’on se souvienne comme il s’est félicité lui-même après son sommet de Biarritz fin août ! À l’entendre, il avait réconcilié Trump et l’Iran, Poutine et l’Europe, l’Angleterre et la Commission européenne, les Gafa et le monde, l’écologie et l’économie. Même Pinault y était allé de son « Fashion Pact », bien dit en anglais pour donner une dimension globale à pareil engagement. Macron ne tarissait pas de louanges sur lui-même et, bien sûr, sur « ses équipes ». Que reste-t-il cinq mois après ? Ce serait grotesque si ce n’était tragique. La France entre ses mains est en péril.

    Ivan Rioufol intitule son dernier essai qui vient de paraître aux éditions Pierre Guillaume de Roux, Les traîtres. Le qualificatif est juste. Macron n’est pas digne de la fonction qu’il exerce.

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  • Une réforme jacobine, par Himaire de Crémiers.

    Du libéralisme au jacobinisme et du jacobinisme au totalitarisme, il n’est qu’un pas que Macron franchit sans scrupule.

    Il y a tout lieu de penser qu’il faudra passer par le 49-3. Que de cris, que d’indignation en perspective ! De quoi alimenter la rhétorique parlementaire, d’un côté comme de l’autre ! C’est ce qu’on appelle en France la vie politique. Et si vous souriez ou émettez un doute sur l’intérêt de pareilles institutions, vous serez soupçonné d’entretenir dans vos pensées un antiparlementarisme par définition coupable : vous attentez à la démocratie ! Où est Aristophane ?

    hilaire de crémiers.jpgL’exécutif à cette heure est certainement décidé à user de ce procédé commode qui permet d’arrêter des débats devenus oiseux et de faire aboutir une réforme qui, dans l’état, reste inachevée par principe puisqu’elle suppose par elle-même plus d’une vingtaine d’ordonnances sans compter les décrets d’application. Les 41 000 amendements qui se subdivisent en autant de sous-amendements, n’auront été que des querelles de mots par rapport à un texte indigeste que deux ans de gestation et de concertation n’ont fait qu’alourdir de multiples considérations contradictoires que le législateur prétend réduire peu à peu à une unité factice.

    Niant l’évidence, le gouvernement, pendant quelques jours encore, va s’échiner à déclarer que le 49-3 n’est pas dans son intention puisque nul plus que lui n’a le sens du respect de la démocratie. Quand il passera à l’acte, il se dira donc contraint et forcé. Avec les mines de circonstance !

    La réforme imposée

    Étant donné la situation, la demande d’application du 49-3 viendra très vite et, peut-être même, au moment où ces lignes paraîtront, la procédure sera-t-elle entamée. L’émoi sera aussi grand que la manœuvre grossière. Même stratagème des deux côtés, l’obstruction systématique servant le parti présidentiel dans sa résolution, tout autant que la procédure d’urgence redynamisera l’opposition. Tel est le fonctionnement de la République aujourd’hui, tel il fut depuis toujours ; c’est structurel. Que de farouches attitudes ! Que de lyriques discours ! Quelle hypocrite habileté à profiter ainsi les uns des autres ! Et comme il devient intéressant en ces circonstances de sièger alors qu’à l’ordinaire les gradins sont vides

    Ainsi donc le président et le gouvernement veulent en finir avec cette loi organique et cette loi ordinaire qui portent la réforme du régime des retraites pour en faire un système unique, dit universel, par points. Cette réforme est, selon les dires de la macronie, la plus géniale qui ait jamais été conçue . Elle doit illustrer le quinquennat ; elle est « la matrice des autres réformes », celle qui justifie le mieux la conquête du pouvoir par ces parangons du progressisme.

    Et voilà qu’elle leur pourrit la vie ! Alors même que Macron voudrait maintenant se dégager du temps pour passer, selon ses propres paroles, « au régalien », afin de donner du sens à l’Acte II de son quinquennat : belle stratégie, assurément, où « le régalien » n’est pas exercé pour lui-même dans la plénitude de la fonction du chef de l’État, mais en vue de gagner les présidentielles de 2022.

    En fait, Macron est obligé de faire du Macron, à chaque instant, en politique intérieure comme en politique extérieure. Pour être lui-même électoralement parlant, en vue de s’identifier au pouvoir, dans cet esprit de conquête perpétuelle qui le caractérise.

    C’est toujours ce même mécanisme qui le lie et l’entraîne. Celui qui le pousse, en l’occurrence et en dépit du bon sens, à faire de sa réforme des retraites un enjeu de gouvernement. Immédiat, global et définitif. Or son idée de départ était d’un simplisme si extravagant qu’au contact des réalités et des oppositions légitimes elle se transforme en un système d’une folle complexité, créant autant de régimes que de classes d’âge et de transitions spécifiques que de statuts particuliers. Le Conseil d’État s’est refusé à cautionner un tel texte. D’où la nécessité de procéder par ordonnances et par décrets et, tant qu’à faire, pour l’heure, de recourir au 49-3.

    Dans le même temps pour habiller son message il lui a fallu donner à cette réforme qui aurait dû rester pratique, de hautes raisons métaphysiques, relevant d’une logique théorique où les mots d’égalité et de solidarité servent de normes suprêmes. Rien de plus sophistique : tous sur la même échelle et dans le même cadre ! Qu’y a-t-il de plus républicain ? Chacun sait bien que cette égalité est concrètement toute relative : il est toujours des gens plus égaux que d’autres. Personne ne s’y retrouve, ni les cadres supérieurs surtaxés et non garantis, ni les petits salaires à qui l’État fera la charité s’il le veut bien. Le « minimum retraite » ne saurait fonctionner pour de pauvres gens sans travail ! « Le niveau de vie digne », notion que les parlementaires sont si heureux d’avoir concoctée, n’est qu’un alignement de mots qui juridiquement n’a pas de signification.

    On est allé chercher des modèles à l’étranger, dans des pays beaucoup moins variés et divers que le nôtre et où la structure communautaire est beaucoup plus forte. Nous sommes français ; nous avons une histoire, y compris une histoire sociale, perturbée stupidement par des institutions de guerre civile permanente La Ve République n’y échappe pas. Macron, non plus. Après tout, il n’est qu’un chef de bande qui s’est emparé de l’État, qu’il le veuille ou non.

    Sa réforme est marquée de ce stigmate originel. Il accapare tout ce qui est un enjeu de pouvoir. Il a pris littéralement possession des retraites. Comme du reste. Comme du grand débat. Comme de la Défense, comme de la dissuasion nucléaire qu’il imagine à sa façon, comme de l’Europe qu’il prétend diriger, comme de l’Agriculture où il distribue les bons et les mauvais points, comme de la Santé, comme de tout. Il n’est plus un chef d’État ; il est le monsieur qui répond à tout, qui organise tout, qui sait tout, qui fait tout. Avec tous les revers, les échecs, les désillusions qu’un tel comportement entraîne ! Rien ne semble le corriger. Du coup, c’est toujours la faute des autres…

    Il en est ainsi pour les retraites. Il a la vision d’ensemble du système à laquelle il pense que tout le monde devrait se rallier. Mais voilà : la réalité est tout autre. Comment voulez-vous, pour prendre cet exemple, que les avocats qui ont leur propre régime et leur propre caisse qui fonctionnent bien et qui sont bénéficiaires, renoncent à ce qui leur appartient en propre pour payer des cotisations plus élevées et recevoir des pensions moindres ! C’est un vrai problème, non ? Ainsi des autres… Et comment ménager tout le monde ?

    Car le défaut essentiel du système Macron est qu’il se situe dans la logique continue du système républicain pris en main par les technocrates, formés à cet effet. Macron en est le dernier avatar. La République est à lui ; les retraites sont donc à lui.

    La fin de toute citoyenneté

    La vérité d’aujourd’hui est que leur retraite n’appartient plus aux Français. Cette réforme ne fait que s’ajouter à la série des autres réformes qui toutes allaient déjà dans le même sens. La retraite perd définitivement son caractère d’épargne. Pour parler le langage macronien, on passe d’un monde à un autre. À son origine, fort ancienne au demeurant, la retraite était un prélèvement de salaire pour les vieux jours. Le droit du travailleur français était direct et personnel ; et cette conception dominait encore les esprits jusqu’à récemment. C’est ce que l’État républicain cherche à démolir irréversiblement. Dès le sein de sa mère jusqu’à sa mort, le citoyen doit dépendre de l’État. C’est ce que veut la République ; c’est ce que veut Macron ; et, d’ailleurs, il l’a ouvertement dit.

    En effet, malgré une gestion de plus en plus centralisée, organisée dès 1941 – pour raison d’occupation –, puis après 1945, subsistait cette idée qu’employeurs et salariés, selon leur profession, sous le regard de l’État, fixaient leur régime, leur cotisation, leur pension ; c’était encore leur affaire. Certes la solidarité intergénérationnelle était déjà appliquée selon laquelle une génération payait pour une autre dans une succession qui assurait en principe l’équilibre du système, puisque l’esprit républicain refusait – fort stupidement d’ailleurs – toute capitalisation (encore que…) pour promouvoir la seule répartition.

    La tentation fut alors invincible chez les hauts fonctonnaires, à Bercy, et chez les politiciens de service, avides de domination et donc de systématisation, de tout uniformiser, en jouant démagogiquement sur le fait des inégalités des régimes et des droits dont, d’ailleurs, l’État employeur était le principal responsable. À quoi s’ajoutait le non-remplacement des générations en raison de la question démographique et de l’allongement de la durée de vie, ce qui laissait prévoir un inéluctable déficit budgétaire.

    La réforme Juppé qui se voulait rationnelle, fut la manifestation évidente de cette tentative d’une mise sous contrôle total de l’ensemble du système social français. Bien sûr, sur le moment, devant la révolte populaire et, d’abord, bien sûr, de ceux qui étaient considérés comme les privilégiés des régimes spéciaux, il dut renoncer.

    Mais le même esprit se maintint et la mise en œuvre s’opéra progressivement de Raffarin en Fillon. La loi Macron-Phlippe n’est que l’aboutissement du projet. L’État fait tout, décide de tout, règle tout. Il fixera l’âge d’équilibre, l’âge-pivot si besoin est, la valeur du point, et tout ce qui en dépend. Le budget de la Sécurité Sociale, dont celui des retraites, est désormais entièrement préparé par ses fonctionnaires ; les lois de financement, avec les innombrables arrangements joints et que personne ne voit, sont votés par des députés aux ordres dans des séances qui n’en sont pas. Philippe a concédé une « conférence de financement », temporaire, à des syndicats ridiculisés qui n’obtiendront rien et qui passent leur temps à se disputer.

    Le but, maintenant, c’est de s’emparer des caisses, par une audacieuse opération de captation, pour créer, là aussi, cette unité de caisse si chère à l’État puisqu’il en est le maître exclusif et qu’elle constitue son principe substantiel. Les masses financières en jeu sont telles que nul ne pourra s’aviser de le braver. La République aura l’assurance de sa pérennité. Elle se sera enfin débarrassée des citoyens auxquels elle laisse pour l’amusement la comédie électorale. Elle sera à elle-même et sa cause et sa fin, ce qui fut toujours son but. Il n’est rien de tel qu’un libéral comme Macron, voire ultra-libéral, pour enfermer le peuple dans le pire jacobinisme.

    Et pour donner de l’allure à l’ensemble, il est proclamé que l’État saura tirer profit de cette réorganisation pour voler au secours de la veuve et de l’orphelin, du pauvre et du déshérité. Vu ce que l’on constate aujourd’hui dans les rues de nos villes et dans le fond de nos campagnes où la misère gangrène le tissu social, le croira qui voudra.

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  • Sur le blog de Michel Onfray, au Point: ”Le surgissement du mot 'science' ne doit pas fonctionner comme un argument d'au

    Sébastien Le Fol: Un conseil pour commencer, quel philosophe faut-il lire en confinement?

    Michel Onfray: Ce peut être un stoïcien, car ils sont les philosophes du combat contre l'adversité par excellence: ils donnent des recettes pour lutter contre l'inquiétude, la peur, la crainte, l'angoisse, la vieillesse, la maladie, la souffrance, la trahison, la mort bien sûr. Je songe aux Pensées pour moi-même de Marc-Aurèle, aux Lettres à Lucilius de Sénèque, ou au Manuel d'Épictète. Mais, s'il ne fallait qu'un philosophe, ce serait Montaigne, qui, dans les Essais, les contient tous. Permettez-moi de signaler qu'une excellente version en français d'aujourd'hui a été publiée chez Bouquins Laffont-Mollat car le texte en ancien français du XVIe siècle n'est plus lisible en effet que par peu de gens. Toutefois, l'idée n'est pas de lire comme on lit sur la plage, en dilettante, légèrement, mais de façon soutenue, avec un crayon à la main et un petit cahier à disposition pour synthétiser, certes, mais surtout pour commenter ce qu'on lit et en faire un profit existentiel personnel.

    SLF: Même si l'enseignement est organisé à distance, que faut-il apprendre à ses enfants qui ne soit plus enseigné dans l'Éducation nationale?

    MO: Ce qu'on y apprenait jadis! À savoir lire, écrire, compter, calculer, donc analyser, penser, construire un esprit critique –toutes choses qui passent pour réactionnaires aux yeux des nihilistes qui, d'une façon orwellienne emblématique, se présentent depuis des années comme des progressistes! On peut aussi et surtout en profiter pour faire ce que l'école n'a jamais vraiment fait: enseigner l'art, qui est une véritable école de sensibilité. On peut ainsi apprendre des poèmes et se les réciter, lire de la poésie à plusieurs, mais aussi des histoires, lire des nouvelles de Maupassant à ses enfants, leur faire découvrir le théâtre ou l'opéra, textes et livrets à la main. Regarder des émissions intelligentes –les archives de l'INA d'Apostrophes, par exemple. Ces archives disponibles sur le Net permettent de laisser tomber les séries débiles au profit des travaux sur l'art d'Alain Jaubert, Palettes, ou les vingt-trois émissions de Grand'art de l'excellent Hector Obalk. Idem avec le cinéma: il est devenu une activité de marchands cupides, mais, avant cela, il a rendu possible un grand nombre de chefs-d'œuvre pendant la première moitié du XXe siècle. On ne se trompe pas en préférant le noir et blanc qui ne se résume pas aux Tontons flingueurs –très bon, au demeurant… Regardez les intégrales des grands: Jean Vigo, Carné, Renoir, Grémillon, Tourneur, Duvivier, Clouzot, ou, celui qui est pour moi le plus grand critique de notre société: Jacques Tati!

    SLF: Sommes-nous encore capables de nous ennuyer?

    MO:Pour ma part, j'ignore et j'ai toujours ignoré ce qu'est l'ennui! J'ai la chance d'être un lecteur compulsif depuis longtemps (et un auteur compulsif depuis longtemps aussi…) de sorte que les livres ont toujours été pour moi une issue de secours à toutes les impasses dans lesquelles j'aurais pu me trouver. Montesquieu a écrit cette phrase magnifique: "Je n'ai jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'ait dissipé." Dès lors, je n'imagine pas ce qu'est s'ennuyer pour quelqu'un d'autre! S'ennuyer, c'est n'avoir rien d'autre à fréquenter que soi. Or le monde est vaste en dehors de soi!

    SLF: Qu'est-ce qui nous a fait accepter sans sourciller (pour la plupart d'entre nous) cette privation de liberté? Les amendes pour non-respect des règles de confinement ou la peur de la mort?

    MO: Le bon sens… C'est d'ailleurs beaucoup plus tôt qu'il aurait fallu faire preuve de cet élémentaire bon sens. J'ai pour ma part signalé sur le plateau de télévision d'Audrey Crespo-Mara dès le 28 janvier, juste avec un peu de bon sens, que la Chine n'était pas un pays à prendre la décision de fermer une ville de plusieurs millions d'habitants sans de sérieuses raisons et qu'il y avait là l'aveu d'une menace véritable! Un pays totalitaire n'a que faire de dizaine de milliers de gens en plus ou en moins à cause d'un virus qui n'aurait été, disait-on partout à l'époque, qu'une grippe moins mortelle.

    SLF: Le coronavirus marque-t-il une nouvelle étape dans l'effondrement de la civilisation judéo-chrétienne que vous analysez dans votre livre Décadence?

    MO: Il s'inscrit dans ce qui existait déjà… Il prend sa place dans le mouvement d'effondrement. La pandémie montre l'impéritie du chef de l'État et du gouvernement, les propos incohérents parce que contradictoires d'Emmanuel Macron (restez chez vous mais allez voter, confinez-vous mais vous pouvez faire des exercices physiques, les écoles ne seront pas fermées puis elles sont fermées, le virus ignore les frontières mais on les ferme tout de même, etc.), conséquemment la démonétisation totale de la parole d'Emmanuel Macron à qui personne n'obéit. Il montre également le cynisme d'une ministre de la Santé démissionnaire qui tente de sauver sa peau en avouant dans un même mouvement qu'elle a préféré sa carrière à la vérité qui aurait épargné des vies. L'idéologie de l'Europe maastrichtienne, massivement matraquée depuis des décennies, tombe comme un fruit pourri: le résultat de cette politique libérale est qu'on trie les vieux à l'entrée des hôpitaux pour les laisser mourir dans leur coin, mais aussi qu'on envoie à la guerre, pour utiliser le mot du chef de l'État, un personnel soignant à qui on est incapable de fournir de simples masques ou du gel hydroalcoolique pour se protéger du mal qu'ils côtoient au plus près… Tout ce qui advient n'initie ni ne précipite la chute mais montre en pleine lumière quelles formes elle prend.

    SLF: Dans ses Essais sur l'histoire de la mort en Occident, Philippe Ariès a montré à quel point notre société a refoulé la mort. Ce déni ne nous rend-il pas très vulnérables?

    MO: Il n'y a pas de dénégation ou de refoulement de la mort, mais un nihilisme face à la caducité du discours chrétien sur elle. Jadis, la religion catholique disposait du monopole du discours sur la mort –Bossuet en avait formulé le contenu de manière sublime. Seuls quelques rares athées ou libres penseurs, quelques déistes ou francs-maçons n'y souscrivaient pas. Aujourd'hui, ce discours chrétien ne marche plus, même chez bon nombre de ceux qui se disent catholiques… Il s'agit donc moins d'un retour de la mort refoulée que d'une angoisse devant elle, décuplée par l'incapacité à y faire face et à y répondre avec une sagesse post-chrétienne. Les médias qui moulinent la mort vingt-quatre heures sur vingt-quatre mettent les Français face à ce trou dans l'être, dans leur être: ils expérimentent moins le retour de la mort refoulée que le nihilisme de l'époque qui, sur ce sujet comme sur tous les autres, n'a rien à proposer.

    SLF: Nous manquons de masques: La Chine nous en envoie un million. Le coronavirus fait prendre conscience aux Européens de leur extrême vulnérabilité. Serions-nous devenus le nouveau tiers-monde ?

    MO: De la même manière que la chute de l'URSS a montré que l'Ouest avait fantasmé pendant plus d'un demi-siècle sur cet empire marxiste-léniniste qui s'avérait un Tigre en papier, l'épidémie montre cruellement que cette Europe maastrichtienne présentée depuis un quart de siècle comme un monstre économique susceptible de faire pièce aux grands empires du monde chute sur ceci: elle n'est pas capable de fabriquer et de fournir des masques aux soignants qui accueillent les victimes de l'épidémie! L'Italie, qui fait partie de l'Union européenne et qui est forte de 60 millions d'habitants, enregistre plus de morts du coronavirus que la Chine, un pays de 1 milliard 300 millions d'habitants! De fait, l'Europe est devenue le nouveau tiers-monde –en abréviation, NTM…

    SLF: Tout le monde imaginait que la prochaine crise viendrait de l'économie. Or c'est un virus qui met le monde à genoux. Pourquoi avons-nous sous-estimé ce risque? De nombreux scientifiques nous avaient mis en garde…

    MO: Le virus n'existe pas indépendamment de l'économie! Dans une économie mondialisée, tout se tient. La voie libérale maastrichtienne a fait du profit l'horizon indépassable de toute politique. Produire des masques et les stocker? Pas rentable… Investir dans la recherche? Pas immédiatement rentable. Disposer d'un service de soins performant pour tous? Pas rentable, laissons les soins aux riches qui auront les moyens de se les offrir et les pauvres à leur solitude. Le virus arrivant, il révèle, au sens photographique du terme, la vérité des choix économiques, donc politiques, qui ont été faits depuis Giscard, Mitterrand compris, jusqu'à Macron.

    SLF: La parole scientifique serait-elle devenue à ce point inaudible dans notre "démocratie des crédules", pour reprendre l'expression de Gérald Bronner?

    MO: Attention à ne pas souscrire à la faribole de la science qui dirait le vrai! Relisons Bachelard qui invite à faire la science de la science pour examiner les véritables conditions de possibilité du discours scientifique! Les médecins de Molière, avec leurs clystères et leurs sangsues, se réclamaient de la science. En URSS, Lyssenko qui luttait contre la génétique de Mendel en la niant était aussi un scientifique! Greta Thunberg se réclame elle aussi de la science pour légitimer ses imprécations apocalyptiques. Or la science obéit à son temps et la génération spontanée défendue par Aristote a été science jusqu'à ce que Pasteur montre, plusieurs siècles plus tard, que c'était baliverne. Le surgissement du mot "science" ne doit pas fonctionner comme un argument d'autorité qui interdirait toute réflexion critique. En présence de toute science, le philosophe active d'abord l'épistémologie! Lire ou relire ce grand livre qu'est La formation de l'esprit scientifique.

    SLF: Cette crise peut-elle provoquer un sursaut civique et moral dans nos sociétés?

    MO: Elle peut provoquer pas mal de choses, mais je crois moins aux lendemains qui chantent qu'à une colère qui monte. Pour l'heure, elle se retient pour cause de décence, de début de confinement, d'abattement intellectuel et moral, d'informations parcellaires. Or il ne pourra pas ne pas y avoir un effet Buzyn: son entretien dans Le Monde a montré l'immense cynisme de nos gouvernants dans cette affaire –le sien compris… Mais cette crise ne refera pas à elle seule et d'un seul coup un esprit civique que cinquante années de propagande généralisée ont définitivement détruit en France.

    SLF: Y a-t-il des épisodes historiques qui peuvent nous inspirer pour nous reconstruire?

    Il ne sert à rien de chercher des raisons de comprendre le présent dans notre passé. Le présent suffit bien à qui fait fonctionner son intelligence, sa raison, sa réflexion, son esprit critique. Le simple exercice du bon sens suffit pour se prémunir de la propagande dans laquelle nous vivons sans cesse. Il faut penser les faits et ne jamais laisser le soin de leur commentaire aux autres –le mien compris…

  • Sur le blog de Michel Onfray, l'art de la comédie.

    Le président de la République des mots

    Chacun l’aura compris, Emmanuel Macron n’est pas un bon président de la République. Il s’avère juste le président des mots, celui qui parle, parle sans discontinuer, celui qui verbigère, qui étourdit à force de paroles, qui s’enivre de mots et voudrait griser son auditoire, tous ses auditoires, avec cette logorrhée qui n’en finit pas, qui n’en finit plus. Il voulait une parole rare? Elle est pluriquotidienne et dupliquée en éléments de langage partout serinés par ses perroquets de ministres –je ne parle pas de sa porte-parole, un précipité, au sens chimique du terme, de cette logocratie... Il avait promis la rareté de son verbe sous prétexte qu’il ne serait ni Sarkozy ni Hollande. Or, il est le premier sans l’action et le second sans la bonhommie: c’est à la fois un Sarkozy qui ne fait rien d’autre que laisser voguer le bateau maastrichtien et un Hollande méchant qui ne peut s’empêcher de cacher sa nature dès qu’il parle avec un quidam critique dans un bain de foule.

    Il parle sans cesse et sa parole se montre accablante, démonétisée, dévalorisée. Il n’est pas orateur, mais il croit que son pouvoir hypnotique, celui du serpent qui convoite l’oiseau, fera tomber de la branche tous ceux qui auront entendu sa rhétorique, sa sophistique. Mais il prend sa volubilité pour  de l’éloquence, il croit que son amphigouri est une ligne claire, il pense que son bavardage est l’atticisme postmoderne. Il se trompe lourdement; il trompe lourdement.

    Il a beau convoquer le général de Gaulle en faisant savoir que, sur sa photo officielle, le volume Pléiade du général se trouve entre celui du pédophile Gide et celui du dandy Stendhal, il ne parvient pas à nous convaincre qu’il pourrait être en même temps de Gaulle, Gide et Stendhal. Il est juste Emmanuel Macron. Après que chacun ait obtenu la certitude qu’il n’était pas de Gaulle, suspendant mon jugement sur Gide dont j’ignore les raisons qui l’ont fait choisir, je formule l’hypothèse qu’il se confine dans le seul beylisme -un mot issu de Stendhal, dont le nom était Henri Beyle.

    Qu’est-ce que le beylisme? Léon Blum a consacré un ouvrage à cette question. C’est un mélange de culte de soi et de l’énergie, de recherche passionnée du bonheur et d’égotisme, de souci narcissique et de volonté dynamique. Je dirai: c’est l’une des modalités du dandysme. Mais le dandysme était l’apanage de l’aristocratie, même déclassée; le beylisme, c’est juste le dandysme des petits-bourgeois en place. C’est Baudelaire pour le confiseur d’Amiens.

    Cette pandémie du coronavirus aura fait ressortir, comme une vieille blessure devient une rougeur avec l’hiver, cette évidence qu’en régime maastrichtien, le chef de l’Etat ne saurait être chef de ce qui de toute façon n’est plus un Etat. Il ne lui reste plus que le pouvoir de déposer des gerbes au pied des monuments, de fleurir les tombes de chrysanthèmes, de couper des rubans et, comme au bon vieux temps de la III° république: de faire des discours! De longs discours, d’interminables discours, de pénibles discours.

    Au moins, sous la III°, il n’y avait ni prompteurs ni plumes cachées derrière le président, il n’y avait ni oreillette ni nègre appointé dans une sous-pente pour écrire les discours  -de Gaulle écrivait les siens, il les apprenait par cœur et n’avait besoin d’aucune prothèse en la matière… Il y eut Debray et Orsenna pour Mitterrand, Henri Guaino pour Sarko, Aquilino Morelle pour Hollande, jadis Sylvain Fort pour Macron avant que ce dernier ne jette la plume aux orties, on saura probablement pour quelles raisons un jour, quand il n’y aura plus de courage pour lui à le dire mais juste des bénéfices.

    Au moins, sous la III°, les hommes politiques avaient été formés au latin et à ses périodes en traduisant Cicéron et Tacite. Ils savaient écrire et mémoriser parce qu’à l’école on apprenait et à écrire et à mémoriser: les dictées et l’analyse logique, l’orthographe et la grammaire, les récitations et le par cœur forgeaient des épées et de fines lames. A l’école d’après Mai 68, celle de Macron, nous n’avons plus que des couteaux à beurre sans lames et sans manches. C’est dire l’état de la coutellerie française…

    Macron n’est pas même intéressant à écouter. Il annone, il déclame, il professe. Il n’a pas été nourri au verbe de Cicéron mais à celui de Brigitte Trogneux, son professeur de français devenu comme chacun sait son épouse; il n’est pas allé à l’école romaine de La Guerre des Gaules mais à celle des Jésuites de La Providence d’Amiens; il n’a pas appris l’Histoire chez Tacite ou, mieux, chez Suétone, mais avec L’Art de la comédie d’Edouardo de Filippo qu’il a traduit, nous dit l’hagiographie, avec madame Trogneux.

    Or L’Art de la comédie, c’est tout un programme auquel il est resté fidèle. Cette pièce incarne la scie musicale d’alors chez les profs fascinés par la formule du     théâtre dans le théâtre: la fiction est-elle réelle, le réel est-il fiction? "Ma pauvre dame, on n’en sait donc plus trop rien…" disait-on alors sur les estrades. Mais quand on est devenu président de la République, il est bon qu’on ait tranché ces questions existentielles d’adolescent. Or, Manu n’a pas encore tranché…

    On ne peut expliquer les entrechats présidentiels qu’avec cette hypothèse que le chef de l’Etat est resté sur scène avec Madame Trogneux comme quand il avait quinze ans et qu’elle en avait trente neuf: le virus n’est rien d’autre qu’une grippette mais il faut confiner tout le monde, il faut rester chez soi mais vous devez aller voter, il faut rester confiné mais vous pouvez aussi faire vos exercices physiques, il ne faut pas fermer les frontières mais il faut les clore, on se fermera pas les écoles mais on les ferme, le virus n’a pas de passeport mais il a celui de Schengen, la maladie ignore les frontières mais on peut l’y contenir tout de même.

    Dernière volte-face en date: le masque ne sert à rien mais il faut le porter. C’était le sens de l’intervention à Mulhouse dont le verbe présidentiel a commencé par nous préciser que c’était une ville d’Alsace dans la région Grand Est. Nul doute que les français auront été heureux de l’apprendre de la bouche d’or du président de la République élu au suffrage universel direct. Il fallait bien tout ça pour ça…

    En décor marron de cette pièce alsacienne, on voyait un camp militaire dont il nous a été dit comment il avait été monté: "On a réalisé une grosse (sic) opération logistique avec la conception, la validation, l'acheminement et le déploiement dans des délais contraints: 24 heures pour être désignés, 24 heures pour être acheminés, 48 heures pour être déployés", affirme le chef d'escadron Nicolas, chef des opérations du RMED de La Valbonne. Du même: "On a mis 5 jours pour développer ce module. Récemment, pour mettre au point notre nouvelle antenne chirurgicale, on avait pris deux ans."

    Cinq jours pour une toile de tente accueillant trente lits! Qu’en aurait pensé Napoléon? Gageons que le chef d’escadron se verra épingler la décoration créée par l’Empereur lors d’une prochaine remise de ces breloques à l’Elysée des mains mêmes du chef des Armées, Emmanuel Macron, soldat de troisième classe…

    Sûr que si l’on avait fait appel aux héros de Camping 3, le film de Fabien Onteniente, avec Claude Brasseur en généralissime, Franck Dubosc en sous-officier du génie, celui de l’Armée, et Mylène Demongeot en cantinière également responsable de la buvette du mess, le campement aurait été plus vite monté sur le parking!

    On peut désormais facilement imaginer ce que serait la réponse militaire française aux premières heures d’une guerre bactériologique décidée par un pays ennemi de la France et nous n’en manquons pas! Y compromis chez les tenants de la petite guerre de ceux qui prennent leurs ordres auprès de l’Etat islamique replié en position d’attente mais toujours actif. Il doit bien rigoler Amir Mohamad Abdel Rahmane al-Maoula al-Salbi, le nouveau chef de l’Etat islamique, en voyant que, dans l’urgence, la France des kouffars se hâte lentement à préparer puis à aligner des lits de camp!

    Où est l’équivalant du capitaine Charles de Gaulle et de sa doctrine militaire d’avant-guerre qui nous permettrait de faire face aux périls à venir? Pauvre armée française dont le même de Gaulle écrivait dans Vers l’armée de  métier (1934) qu’elle avait taillé dans le chêne du temps la belle sculpture de l’histoire de France. Cinq jours pour mettre sur pied un hôpital miliaire de trente lits en temps de paix! A quelle humiliation les dévots du veau d’or maastrichtien ont-ils contraint cette armée (mais aussi cette police, ce personnel de santé, méprisés pendant des mois avant cette épidémie alors qu’il se contentait de dénoncer la faillite programmée de la santé française…) pour qu’elle se dise fière de ce qui devrait entraîner sa honte?

    Pendant ce temps, les problèmes du non respect du confinement dans les banlieues est abordé place Beauvau dans une visioconférence datée du 18 mars. Le Canard enchaîné nous apprend qu’elle a permis à Laurent Nunez, secrétaire d’Etat à l’Intérieur, de prendre une décision: interdit de "mettre le feu aux banlieues en essayant d’instaurer un strict confinement"!

    C’est le monde à l’envers. C’est l’action de la police qui mettrait le feu aux banlieues qui refusent de respecter l’ordre public, autrement dit: qui méprisent la loi. Le confinement ne sert à rien s’il n’est pas respecté par tous, c’est le message que l’Etat français diffuse sur tous les supports médiatiques. Mais, en ce qui concerne les territoires perdus de la République, la République elle-même donne l’ordre de laisser faire à ceux qui sont censés la garantir. On ne peut mieux dire que le chef de l’Etat autorise les banlieues à contaminer à tout va qui elle voudra! Le message est on ne peut plus clair. Le jour venu, il faudra s’en souvenir.

    Le préfet du Nord aurait quant à lui expliqué que les commerces illégaux (drogue, mais probablement aussi marché noir des masques de protection…) "exercent une forme de médiation sociale". Encore un disciple d’Edwy Plenel qui va se voir épingler la breloque au veston lors du prochain 14 juillet, et ce des mains même du président de la République des mots!

    Car, ce qu’il faut retenir de cette allocution de Mulhouse, outre la leçon de géographie de la France pour les nuls, outre la démonstration de camping des prouesses techniques de ce qu’il est convenu d’appeler le Génie dans l’armée, outre la dix-millième verbigération présidentielle, c’est qu’on aura vu, et c’est le seul message valable quand ce qui est dit pèse aussi lourd qu’un postillon, c’est qu’Emmanuel Macron n’apparaît plus en compagnie de son épouse en jupe courte et haut-talons, comme lors de l’hommage à Simone Weil dans la cour des Invalides, en lui tenant la main, mais seul comme un chef de guerre qui serre les mâchoires qu’il cache désormais derrière un masque.

    Sur ledit masque, Sibeth Ndiaye nous disait le jour du point presse de Mulhouse: "Lorsque nous ne sommes pas malades ou pas soignants, ce n’est pas utile: il n’y a pas de raison que le président de la République déroge aux prescriptions qui sont celles pour l’ensemble de la population". Puis l’on a vu le président portant un masque… C’était un énième effet du en même temps.

    En avril 2019, Sibeth Ndiaye avait dit: "J’assume de mentir pour protéger le président de la République". C’est la dernière fois qu’elle a dit une chose vraie. On ne l’y a pas repris depuis.

    Pour conclure, au moins ce propos: à Mulhouse, le président a appelé à une Opération "Résilience". Encore des mots…

    Car cette guerre ne fait que commencer: comment pourrait-elle générer déjà sa résilience? Pour ce faire, il va falloir attendre les ruines qu’elle aura générées: ruine de l’Etat français, ruine de la classe politique confinée dans ses maisons de campagne, ruine de l’économie du pays, ruine de la parole présidentielle, ruine des élites, ruine de l’Etat maastrichtien, avant d’autres ruines dont on saura lesquelles dans deux ou trois mois. A cette époque seulement on pourra parler de résilience. Mais il faudra que les animaux sortis des cages où on les aura confinés pendant des mois entendent ce langage alors qu’ils retrouveront la liberté en bandes, en hordes, en meutes. La résilience est toujours minoritaire. Car ce qui fait bien plutôt la loi en pareil cas, ce sont les pathologies et leurs effets diffractés dans la vie concrète.

    Michel Onfray

  • Quand Arte apporte sa pierre à l’escroquerie historique de la « légende noire » de la colonisation par Bernard Lugan

    La chaîne Arte vient de se surpasser dans le commerce de l’insupportable escroquerie historique qu’est la « légende noire » de la colonisation. Or, le bilan colonial ne pourra jamais être fait avec des invectives, des raccourcis, des manipulations et des mensonges.

     

    Regardons la réalité bien en face : la colonisation ne fut qu’une brève parenthèse dans la longue histoire de l’Afrique. Jusque dans les années 1880, et cela à l’exception de l’Algérie, du Cap de Bonne Espérance et de quelques comptoirs littoraux, les Européens s’étaient en effet tenus à l’écart du continent africain. Le mouvement des indépendances ayant débuté durant la décennie 1950, le XXe siècle a donc connu à la fois la colonisation et la décolonisation.

    AVT_Bernard-Lugan_2614.jpgQuel bilan honnête est-il possible de faire de cette brève période qui ne fut qu’un éclair dans la longue histoire de l’Afrique ? Mes arguments sont connus car je les expose depuis plusieurs décennies dans mes livres, notamment dans Osons dire la vérité à l’Afrique. J’en résume une partie dans ce communiqué.

     

    1) Les aspects positifs de la colonisation pour les Africains

     

    La colonisation apporta la paix

     

    Durant un demi-siècle, les Africains apprirent à ne plus avoir peur du village voisin ou des razzias esclavagistes. Pour les peuples dominés ou menacés, ce fut une véritable libération.

    Dans toute l’Afrique australe, les peuples furent libérés de l’expansionnisme des Zulu, dans tout le Sahel, les sédentaires furent libérés de la tenaille prédatrice Touareg-Peul, dans la région tchadienne, les sédentaires furent débarrassés des razzias arabo-musulmanes, dans l’immense Nigeria, la prédation nordiste ne s’exerça plus aux dépens des Ibo et des Yoruba, cependant que dans l’actuelle Centrafrique, les raids à esclaves venus du Soudan cessèrent etc.

    A l’évidence, et à moins d’être d’une totale mauvaise foi, les malheureuses populations de ces régions furent clairement plus en sécurité à l’époque coloniale qu’aujourd’hui…

     

    La colonisation n’a pas pillé l’Afrique

     

    Durant ses quelques décennies d’existence la colonisation n’a pas pillé l’Afrique. La France s’y est même épuisée en y construisant 50.000 km de routes bitumées, 215.000 km de pistes toutes saisons, 18.000 km de voies ferrées, 63 ports équipés, 196 aérodromes, 2000 dispensaires équipés, 600 maternités, 220 hôpitaux dans lesquels les soins et les médicaments étaient gratuits. En 1960, 3,8 millions d’enfants étaient scolarisés et dans la seule Afrique noire, 16.000 écoles primaires et 350 écoles secondaires collèges ou lycées fonctionnaient. En 1960 toujours 28.000 enseignants français, soit le huitième de tout le corps enseignant français exerçaient sur le continent africain.

     

    Pour la seule décennie 1946 à 1956, la France a, en dépenses d’infrastructures, dépensé dans son Empire, donc en pure perte pour elle, 1400 milliards de l’époque. Cette somme considérable n’aurait-elle pas été plus utile si elle avait été investie en métropole ? En 1956, l’éditorialiste Raymond Cartier avait d’ailleurs écrit à ce sujet : 

     

    « La Hollande a perdu ses Indes orientales dans les pires conditions et il a suffi de quelques années pour qu'elle connaisse plus d'activité et de bien-être qu’autrefois. Elle ne serait peut-être pas dans la même situation si, au lieu d’assécher son Zuyderzee et de moderniser ses usines, elle avait dû construire des chemins de fer à Java, couvrir Sumatra de barrages, subventionner les clous de girofle des Moluques et payer des allocations familiales aux polygames de Bornéo. »

     

    Et Raymond Cartier de se demander s’il n’aurait pas mieux valu « construire à Nevers l’hôpital de Lomé et à Tarbes le lycée de Bobo-Dioulasso ».

     

    Jacques Marseille[1] a quant à lui définitivement démontré quant à lui que l’Empire fut une ruine pour la France. L’Etat français dût en effet se substituer au capitalisme qui s’en était détourné et s’épuisa à y construire ponts, routes, ports, écoles, hôpitaux et à y subventionner des cultures dont les productions lui étaient vendues en moyenne 25% au-dessus des cours mondiaux. Ainsi, entre 1954 et 1956, sur un total de 360 milliards de ff d’importations coloniales, le surcoût pour la France fut de plus de 50 milliards.

    Plus encore, à l’exception des phosphates du Maroc, des charbonnages du Tonkin et de quelques productions sectorielles, l’Empire ne fournissait rien de rare à la France. C’est ainsi qu’en 1958, 22% de toutes les importations coloniales françaises étaient constituées par le vin algérien qui était d’ailleurs payé 35 ff le litre alors qu’à qualité égale le vin espagnol ou portugais était à19 ff.

    Quant au seul soutien des cours des productions coloniales, il coûta à la France 60 milliards par an de 1956 à 1960.

     

    Durant la période coloniale, les Africains vivaient en paix

     

    Dans la décennie 1950, à la veille des indépendances, à l’exception de quelques foyers localisés (Madagascar, Mau-Mau, Cameroun) l’Afrique sud-saharienne était un havre de paix.

    Le monde en perdition était alors l’Asie qui paraissait condamnée par de terrifiantes famines et de sanglants conflits : guerre civile chinoise, guerres de Corée, guerres d’Indochine et guerres indo-pakistanaises.

    En comparaison, durant la décennie 1950-1960, les habitants de l'Afrique mangeaient à leur faim, étaient gratuitement soignés et pouvaient se déplacer le long de routes ou de pistes entretenues sans risquer de se faire attaquer et rançonner.

     

    Soixante-dix ans plus tard, le contraste est saisissant: du nord au sud et de l'est à l'ouest, le continent africain est meurtri :

     

    - Dans le cône austral, ce qui fut la puissante Afrique du Sud sombre lentement dans un chaos social duquel émergent encore quelques secteurs ultra-performants cependant que la criminalité réduit peu à peu à néant la fiction du "vivre ensemble".

    - De l'atlantique à l'océan indien, toute la bande sahélienne est enflammée par un mouvement à la fois fondamentaliste et mafieux dont les ancrages se situent au Mali, dans le nord du Nigeria et en Somalie.

    - Plus au sud, la Centrafrique a explosé cependant que l'immense RDC voit ses provinces orientales mises en coupe réglée par les supplétifs de Kigali ou de Kampala.

     

    Si nous évacuons les clichés véhiculés par les butors de la sous-culture journalistique, la réalité est que l’Afrique n’a fait que renouer avec sa longue durée historique précoloniale. En effet, au XIX° siècle, avant la colonisation, le continent était déjà confronté à des guerres d’extermination à l’est, au sud, au centre, à l’ouest. Et, redisons-le en dépit des anathèmes, ce fut la colonisation qui y mit un terme.

     

    Aujourd’hui, humainement, le désastre est total avec des dizaines de milliers de boat people qui se livrent au bon vouloir de gangs qui les lancent dans de mortelles traversées en direction de la "terre promise" européenne. Les crises alimentaires sont permanentes, les infrastructures de santé ont disparu comme l'a montré la tragédie d'Ebola en Afrique de l'Ouest ou la flambée de peste à Madagascar, l'insécurité est généralisée et la pauvreté atteint des niveaux sidérants.

     

    Economiquement, et à l’exception d’enclaves dévolues à l’exportation de ressources minières confiées à des sociétés transnationales sans lien avec l’économie locale, l’Afrique est aujourd’hui largement en dehors du commerce, donc de l’économie mondiale, à telle enseigne que sur 52 pays africains, 40 ne vivent aujourd’hui que de la charité internationale

     

    2) Les conséquences négatives de la colonisation

     

    La colonisation a déstabilisé les équilibres démographiques africains

     

    La colonisation a mis un terme aux famines et aux grandes endémies. Résultat du dévouement de la médecine coloniale, la population africaine a été multipliée par 8, une catastrophe dont l’Afrique aura du mal à se relever.

    En effet, le continent africain qui était un monde de basses pressions démographiques n’a pas su « digérer » la nouveauté historique qu’est la surpopulation avec toutes ses conséquences : destruction du milieu donc changements climatiques, accentuation des oppositions entre pasteurs et sédentaires, exode rural et développement de villes aussi artificielles que tentaculaires, etc.


    La colonisation a donné le pouvoir aux vaincus de l’histoire africaine

     

    En sauvant les dominés et en abaissant les dominants, la colonisation a bouleversé les rapports ethno-politiques africains. Pour établir la paix, il lui a en effet fallu casser les résistances des peuples moteurs ou acteurs de l’histoire africaine.

    Ce faisant, la colonisation s’est essentiellement faite au profit des vaincus de la « longue durée » africaine venus aux colonisateurs, trop heureux d’échapper à leurs maîtres noirs. Ils furent soignés, nourris, éduqués et évangélisés. Mais, pour les sauver, la colonisation bouleversa les équilibres séculaires africains car il lui fallut casser des empires et des royaumes qui étaient peut-être des « Prusse potentielles ».

     

    La décolonisation s’est faite trop vite

     

    Ne craignons pas de le dire, la décolonisation qui fut imposée par le tandem Etats-Unis-Union Soviétique, s’est faite dans la précipitation et alors que les puissances coloniales n'avaient pas achevé leur entreprise de « modernisation ».

    Résultat, des Etats artificiels et sans tradition politique ont été offerts à des « nomenklatura » prédatrices qui ont détourné avec régularité tant les ressources nationales que les aides internationale. Appuyées sur l’ethno-mathématique électorale qui donne automatiquement le pouvoir aux peuples dont les femmes ont eu les ventres les plus féconds, elles ont succédé aux colonisateurs, mais sans le philanthropisme de ces derniers…

     

    Les vraies victimes de la colonisation sont les Européens

    Les anciens colonisateurs n’en finissent plus de devenir « la colonie de leurs colonies » comme le disait si justement Edouard Herriot. L’Europe qui a eu une remarquable stabilité ethnique depuis plus de 20.000 ans est en effet actuellement confrontée à une exceptionnelle migration qui y a déjà changé la nature de tous les problèmes politiques, sociaux et religieux qui s’y posaient traditionnellement.

     

    Or, l’actuelle politique de repeuplement de l’Europe est justifiée par ses concepteurs sur le mythe historique de la culpabilité coloniale. A cet égard, la chaîne Arte vient donc d’apporter sa pierre à cette gigantesque entreprise de destruction des racines ethniques de l’Europe qui porte en elle des événements qui seront telluriques.

    Bernard Lugan

    [1] Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français, histoire d’un divorce. Paris, 1984. Dans ce livre Marseille évalue le vrai coût de l’Empire pour la France.

  • Transformer les municipalités en coopératives ?, par Philippe Kaminski.

    Comment sortir du dualisme castrateur entre un État devant lequel on se prosterne et un Marché, qui certes peut être parfois bénéfique mais qui serait toujours dangereux ? Telle est la réflexion entamée par Philippe Kaminski depuis deux semaines. Aujourd’hui, retour sur une « Troisième voie » esquissée au lendemain des événements de Mai 1968.

    Actualités de l’économie sociale

    Co-fondateur avec Charles Gide en 1921 de la Revue des études coopératives, de nos jours connue sous le nom de RECMA, Bernard Lavergne est aujourd’hui bien oublié. Et il ne faut hélas guère compter sur votre serviteur pour vous le faire mieux connaître. Je n’ai en effet trouvé que fort peu de références tant sur sa vie que sur son œuvre. Sa notice Wikipédia est quasiment vide, ce qui laisse entendre que personne ne s’est senti assez motivé, ou assez autorisé, pour l’alimenter.

    Il est mort en 1975, dans sa 91e année. Aucun des dirigeants ou des connaisseurs du paysage coopératif français qui l’ont fréquenté et que j’ai pu rencontrer par la suite n’est encore de ce monde et ne peut donc m’éclairer. En 1921, Bernard Lavergne a 37 ans, alors que son maître Charles Gide en a le double. Il a soutenu sa thèse en 1908, sur le Régime coopératif, et publia ensuite de nombreux ouvrages sur le même thème, en plus de sa direction de la Revue ; pourquoi donc cite-t-on toujours autant Gide, et jamais Lavergne ? Peut-être l’an prochain, à l’occasion du centenaire de la RECMA, se trouvera-t-il un chercheur un peu curieux pour se pencher sur la question.

    À vrai dire, ce n’est pas Lavergne qui m’intéressait, c’était Mai 1968. Je cherchais ce qu’avaient pu écrire à l’époque les représentants, non de l’Économie Sociale qui n’allait re-naître que dix ans plus tard, mais de ses composantes, et en particulier du mouvement coopératif. Et je suis tombé sur un article de Lavergne, qui vaut la peine d’être exhumé et commenté à la lumière des enjeux actuels.

    Il ne s’agit que d’un point de vue, un seul. D’autres, plus ou moins contingents, plus ou moins prospectifs, pourront être collectés, au hasard des bulletins des fédérations ou des publications des mutuelles, et lui être opposés. Je ne veux donc pas en tirer de conclusion générale.

    Bernard Lavergne écrit à l’automne 1968, alors que la France reprend son souffle et que l’économie repart vigoureusement. Il écrit dans sa revue, c’est à dire qu’aucun comité de lecture ne s’est mis en travers de lui pour le forcer à arrondir ses angles ou à se sortir de ses anciennes marottes. Il a 84 ans passés, et je ne sais s’il est perçu par son entourage comme un Sage respecté ou comme un vieux radoteur. Son texte tient en tous cas de ces deux réalités.

     

    Lavergne place résolument ce qu’il nomme le socialisme coopératif, et que je traduis d’emblée par Économie Sociale, dans la position d’une Troisième Voie :

    « [Il nous faut…] briser le dilemme qui consiste à dire : ou le capitalisme privé avec sa haute productivité, mais son injuste répartition du revenu national, ou le socialisme d’État avec sa lourdeur bureaucratique et son improductivité, mais son équité dans la répartition du revenu national. Un troisième type économique tout à fait original existe : le socialisme coopératif , qui possède la productivité de l’ordre capitaliste et autant d’équité sociale, sinon plus, que le socialisme d’État. »

    Autre intuition juste, qui n’allait pas de soi : Lavergne tire comme principale leçon des événements de mai-juin que l’on a assisté à la naissance d’un courant durable d’idées s’opposant à la « société de consommation ». Certes, ces termes ont été souvent mis en avant par les mouvements contestataires, mais d’autres l’ont été tout autant. Et on aurait pu s’attendre, compte tenu des rapports équivoques que le monde coopératif était alors contraint d’entretenir avec l’Union Soviétique, que Lavergne s’attardât davantage sur les accords de Grenelle (ce n’était pas rien !) ou sur la question gauchiste.

    Mais ces deux lignes directrices porteuses d’avenir sont contrebalancées par des archaïsmes qui font frissonner. Bernard Lavergne fut dans le civil un universitaire, professeur d’économie. Or les thèses économiques qu’il développe ne semblent guère avoir évolué depuis les leçons de Charles Gide qu’il suivait soixante ans auparavant. Lavergne constate l’emprise croissante de l’État, mais il feint de n’avoir jamais entendu parler de Keynes, ni du planisme, ni de la comptabilité nationale. Il constate le progrès technique, mais il le voit comme on le voyait avant Schumpeter. Il parle du travail comme on en parlait avant Ford, de la consommation comme on en parlait avant la publicité, et surtout de l’industrie comme on la décrivait avant Léontief. C’en est déstabilisant :

    « Nos pouvoirs publics fixent souverainement le destin de nos entreprises capitalistes, le montant de leurs gains et de leurs pertes. C’est par pieuse habitude […] qu’on dira […] que nos sociétés sont à économie dirigée, alors qu’elles sont déjà plus qu’à moitié socialisées. Cette mutation est une grande nouveauté car, au siècle précédent, si faible était l’emprise de l’État et si stable était le niveau des prix que les gains et les pertes des entrepreneurs ne dépendait que de leur habileté ou de leur incapacité à gérer leurs entreprises. Voici que tout a changé. Les fluctuations des prix sont devenues si amples que […] gagner ou perdre de l’argent est maintenant plus fonction des décisions étatiques et de la conjoncture que du mérite intrinsèque des entrepreneurs. Gains et pertes ont été socialisés, et les chefs d’entreprise ne sont plus que des gérants d’affaires pour le compte de la puissance publique. Cette socialisation, camouflée mais réelle, des grandes industries, s’observe dans la France gaulliste comme en Allemagne et en Italie. »

    Lavergne appelle dès lors « régies d’État » l’ensemble des entreprises françaises en qui il ne voit que des clones de Renault, et affirme que ce système ne pourra être en mesure de répondre aux aspirations des étudiants de 1968 qu’il résume en trois chapitres : diminuer la durée du travail, assurer aux individus plus de liberté effective dans leur vie de tous les jours, enfin réduire l’éventail des inégalités de revenus. Reprenant à son compte ces revendications, il admet qu’elles ne permettront qu’une croissance faible et suggère que l’hédonisme et la liberté de conscience puissent compenser une limitation de fait de la quête de biens matériels, cette « société de consommation » à peine née et qu’il faut déjà combattre.

     

    Tout ceci participe certes de la confusion des esprits qui était commune à l’époque. On ne peut exiger de chacun clairvoyance et prémonition. Mais on attend de Lavergne, cinquante ans après, non pas d’avoir esquissé un projet de société qui nous séduise, mais de préciser ce qu’il entendait par socialisme coopératif et de nous expliquer comment ça pourrait marcher. Et sur ce point, il se montre parfois convaincant, mais le plus souvent décevant.

    Aux régies d’État, Lavergne oppose les « régies coopératives » dont il voit un modèle dans le Crédit communal de Belgique. Cette institution créée en 1860 fonctionnait comme une coopérative de crédit, autrement dit une banque, dont les sociétaires sont des collectivités locales, une formule hybride qui subsista jusqu’à sa fusion en 1996 avec le Crédit Local français pour former le conglomérat financier Dexia. L’aventure tourna court, car ni la tradition coopérative belge, ni les habitudes prises en France au sein de la Caisse des Dépôts et Consignations n’empêchèrent Dexia de se plonger avec délectation dans la spéculation financière et boursière la plus effrénée, comme si les nouveaux venus dans ce monde douteux avaient tenu à prouver qu’ils pouvaient d’emblée se porter au niveau de cynisme des Lehmann Brothers et autres Goldman Sachs. De malversation en malversation, Dexia fut acculé à une faillite retentissante en 2011, que les États français et belge durent éteindre en urgence avec les milliards des contribuables des deux pays.

    Pendant toute sa vie, Lavergne avait fait l’éloge du Crédit Communal de Belgique, dont la longue et sage histoire ne mérite certes pas d’être ternie par la lamentable déconfiture de Dexia. Il n’en demeure pas moins que ce modèle ne saurait se prévaloir d’un caractère universel. Tout au plus se rapproche-t-il des puissantes régies municipales germaniques, qui certes polarisent une part non négligeable de l’économie allemande, mais qui ont sans doute aussi contribué à ce que l’idée d’Économie Sociale n’y ait toujours pas pénétré. Par ce tropisme, Lavergne se rapproche plus d’Edgar Milhaud, père du concept d’économie collective, que de Charles Gide (et je m’amuse à constater que sur ces trois personnages, deux sont nés à Nîmes, et le troisième à Uzès).

    Ceci dit, on voit mal comment une transposition de ce système coopératif de communes aurait pu s’acclimater en France et surtout y devenir assez puissante pour constituer la colonne vertébrale d’une Troisième Voie crédible et conquérante. Lavergne pouvait bien se persuader que c’est par un semblable truchement que s’établira de proche en proche un transfert des pouvoirs aux citoyens consommateurs pour former un jour la République coopérative, cette Jérusalem terrestre qu’il appelle de ses vœux ; plus il vieillira, et moins ces élucubrations auront de crédit. En 1968, il n’en restait plus rien.

    Aujourd’hui, l’intérêt porté aux « territoires » peut redonner une chance à cette idée, à condition de tout reprendre à zéro. Il ne s’agira ni des grandes villes, ni même des moyennes, mais de cette France interstitielle, périphérique, qui se sent déclassée, et où les municipalités élues ont vu leurs principaux pouvoirs transférés aux EPCI (communautés de communes). L’espace y est libre pour l’organisation de solidarités économiques de proximité, l’Économie Sociale y est présente, c’est même là qu’elle est le plus innovante, le plus dynamique. Sans parler de réhabilitation, certains combats de Bernard Lavergne pourraient y trouver comme un parfum de précurseur.

    Philippe KAMINSKI

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    * Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.

  • Fermeture de 14 réacteurs : un gâchis financier, humain et climatique, par Philippe Murer.

    Sources : https://www.causeur.fr/

    http://leblogdephilippemurer.com/

    Un décret du gouvernement du 23 avril, passé inaperçu dans cette période d’épidémie, grave dans le marbre la fermeture de 14 réacteurs nucléaires pour les 15 années à venir[1].

    2.jpgUn terrible gâchis climatique, financier et humain.

    Ces 14 réacteurs représentent le quart du parc nucléaire français. Les centrales nucléaires, décriées par les écologistes, ont pourtant rendu un sacré service au climat en économisant depuis 40 ans de gigantesques quantités d’émission de CO2. Elles rendent aussi un service important à l’emploi et à l’économie française puisque la filière nucléaire emploie 250.000 personnes. Le gâchis financier qui résulterait de leur mise à la casse est lui aussi énorme, la construction des centrales françaises ayant coûté 96 milliards d’euros selon la Cour des Comptes.

    Mettre à la casse de telles unités de production d’électricité, avant leur fin programmée, est un gâchis : gâchis d’argent par dizaines de milliards d’euros, gâchis d’emplois bien rémunérés, gâchis dans la lutte contre le réchauffement climatique.

    Nous n’avons pourtant aucun chemin pour produire de l’électricité en émettant moins de CO2. En effet, stocker les énergies éoliennes et solaires, intermittentes par nature, avec des batteries est irréaliste. L’académie des Sciences a publié en 2017 une étude rappelant que pour stocker 2 jours de besoins électriques d’hiver pour la France, il faut 15 millions de tonnes de batterie contenant 300.000 tonnes de lithium soit 7 fois la production mondiale actuelle de lithium[2]. La façon la plus propre pour remplacer l’électricité des 14 réacteurs est donc de produire de l’électricité avec des énergies renouvelables éoliennes et solaires complétées par des centrales au gaz lorsqu’il n’y a pas assez de vent ou de soleil, la nuit par exemple. Dans le meilleur des cas, à cause des périodes sans vent ou sans luminosité, les éoliennes et les panneaux solaires produiraient 35% de la production d’électricité avec peu d’émission de CO2 et des centrales au gaz complémentaires 65% avec beaucoup d’émission de CO2[3]. Le calcul, simple, montre que ces 14 réacteurs émettent 30 fois moins de CO2 que le couple énergies renouvelables et gaz[4] nécessaire pour les remplacer.

    Si on réalise le programme d’Europe Ecologie les Verts, le remplacement de toutes les centrales nucléaires par des énergies renouvelables et des centrales au gaz, les émissions de CO2 de la France augmenteraient de 121 millions de tonnes de CO2. Ces calculs montrent toute l’absurdité d’un tel projet : chaque année, la France rejetterait 40% de CO2 en plus dans l’atmosphère qu’elle n’en rejette aujourd’hui !

    Le nucléaire a économisé l’équivalent de 22 ans de rejets de CO2 d’un pays comme la France.

    Le nucléaire a beau être brocardé par les « verts », il émet nettement moins de CO2 que l’électricité renouvelable intermittente, obligatoirement complétée par des centrales fossiles. Ce n’est pas pour rien que le champion des énergies renouvelables, l’Allemagne, a ouvert nombre de centrales au gaz (et même au charbon) ces dernières années. Ce pays démarrera d’ailleurs en 2020 une énième centrale… au charbon[5] !

    De 1977 à aujourd’hui, les centrales nucléaires françaises ont économisé 22 ans de rejets de CO2 d’un pays comme la France d’aujourd’hui ou 9 ans de rejets de CO2 d’un pays comme l’Allemagne [6].

    Le nucléaire permet à la France d’être le grand pays industrialisé le plus économe en CO2 : le français moyen émet selon la Banque Mondiale 4,6 tonnes de CO2 par an quand le terrien moyen en émet 5 tonnes par an, l’Allemand 8,9 tonnes par an.

     

    graphique-murer-co2-nations

    Produire massivement de l’hydrogène, l’essence de demain.

    Le nucléaire est donc nécessaire à une production d’électricité avec le minimum d’émission de CO2. Faut il en déduire que les éoliennes et les panneaux solaires ne peuvent servir à rien ? Assurément non.

    Un pays comme la France, ayant une électricité rejetant très peu de CO2, peut installer des éoliennes et des panneaux solaires en nombre. L’électricité produite sera utilisée pour produire sans émission de CO2 de l’hydrogène dans des électrolyseurs[7]. Cerise sur le gâteau pour la France, les centrales nucléaires ne produisent pas toujours à plein régime. Il est possible et très rentable de se servir de cette production d’électricité supplémentaire à coût quasi nul pour produire encore plus d’hydrogène propre.

    Cet hydrogène propre est produit à un coût acceptable et coute moins cher que l’essence si on ne lui met pas sur le dos les taxes excessives sur le carburant. L’hydrogène est bien l’essence de demain.

    Il existe déjà des trains à hydrogène Alstom permettant de remplacer les trains au Diesel. Bizarrement, ce train roule en Allemagne. La SNCF va cependant commander 17 trains Alstom à hydrogène[8]. En utilisant cette technologie, nous pourrons remplacer les bus diesel par des bus à hydrogène en ville, allégeant du coût l’émission de particules fines. Les infrastructures hydrogène se développant, nous pourrons, dans une dizaine d’années, passer aux camions à hydrogène, aux voitures à hydrogène (3 voitures de série existent déjà et Paris compte 100 taxis à hydrogène et bientôt 600[9]). Dans un jour lointain, l’avion à hydrogène et le bateau à hydrogène sont un développement tout à fait réaliste.

    Le système de transport peut donc à terme se passer d’énergie fossile.

    Voilà pourquoi, la fermeture de Fessenheim et la fermeture programmée de nombre de centrales nucléaires françaises est une erreur fatale dans la transition énergétique : c’est un gâchis terrible dans la lutte contre le réchauffement climatique, un gâchis financier et un gâchis humain. Une très mauvaise décision de nos gouvernements qui n’ont malheureusement pas de stratégie réaliste et pragmatique pour que la France se passe à terme des énergies fossiles.

    Le sujet de la transition énergétique et tous les autres sujets de la transition écologique sont développés dans un livre à paraître en mai : « Comment réaliser la transition écologique, un défi passionnant »[10].

    [1] « La France adopte finalement sa feuille de route énergétique » https://www.latribune.fr/entreprises-finance/transitions-ecologiques/nucleaire-photovoltaique-la-france-adopte-finalement-sa-feuille-de-route-energetique-845962.html

     

    [2] « La question de la transition énergétique est elle bien posée dans les débats actuels ? » https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/lpdv_190417.pdf

    [3] En France, une éolienne produit à plein régime l’équivalent de 2000 heures par an, un panneau photovoltaïque produit à plein régime l’équivalent de 1100 heures par an. En additionnant les deux, ce qui est simpliste mais donne le résultat le plus favorable pour les énergies renouvelables, nous arrivons à 3100 heures par an soit 35% du temps. Le calcul réel est complexe, tient compte de la courbe réelle de consommation nationale d’électricité et de production heure par heure des énergies renouvelables, de la présence de vents et de soleil au niveau local quand il ne l’est pas au niveau national mais les ordres de grandeur sont acceptables.

    [4] La production des 14 réacteurs est de 95 milliards de kilowatts-heure d’électricité par an. Chaque réacteur émet 12 grammes de CO2 par kilowatt-heure produit. Ces 14 réacteurs émettent donc chaque année 4,56 millions de tonnes de CO2 (Calcul : 95*109*12/1012=1,14).

    Une centrale au gaz émet 490 grammes de CO2 par kilowatt-heure produit quand le couple éolienne et solaire émet en moyenne 30 grammes de CO2 par kilowatt-heure produit. Le couple énergie renouvelable centrale au gaz émettra donc chaque année 31,25 millions de tonnes de CO2 (Calcul : 65%*(380*109*490/1012)+35%*(380*109*30/1012)=31,25). Pour remplacer l’ensemble du parc nucléaire français, le même calcul aboutit à un surplus de 125 millions de tonnes de CO2 émis.

    [5] « L’Allemagne va mettre en service une toute nouvelle centrale à charbon en 2020»https://www.bfmtv.com/economie/l-allemagne-va-mettre-en-service-une-toute-nouvelle-centrale-a-charbon-en-2020-1799343.html

    [6] La production nucléaire de la France depuis 1977 est de 14 000 milliards de kilowatts heure. En les remplaçant par des centrales au gaz, puisque les énergies renouvelables n’existent que récemment, l’économie est environ de 6700 millions de tonnes de CO2 (Calcul : 14000*109*(490-12)/ 1012=6692). La France a émis environ 300 millions de tonnes de CO2 en 2019 (source Banque Mondiale). L’Allemagne a émis environ 700 millions de tonnes de CO2 en 2019 (source Banque Mondiale).

    [7] Lire par exemple « H2V prêt à déployer ses deux usines d’hydrogène vert» https://www.lesechos.fr/pme-regions/actualite-pme/h2v-pret-a-deployer-ses-deux-usines-dhydrogene-vert-993002

    [8] A qui va profiter la future commande de 15 trains à hydrogène par la SNCF https://www.usinenouvelle.com/article/a-qui-va-profiter-la-future-commande-de-quinze-trains-a-hydrogene-par-la-sncf.N878830

    [9] Et maintenant, les taxis à l’hydrogène http://www.leparisien.fr/info-paris-ile-de-france-oise/transports/et-maintenant-les-taxis-a-l-hydrogene-24-02-2019-8019378.php

    [10] Edition Jean-Cyrille Godefroy

    Philippe Murer

  • L’immigration coûte bien plus que 6,57 milliards d’euros à la France, par Paul Tremblais.

    Didier Migaud, premier président de la Cour des Comptes. Meigneux/ Sipa.

    Source : https://www.causeur.fr/

    La Cour des comptes sous-évalue le coût de l'immigration.

    Dans un rapport publié le 5 mai 2020, la Cour des comptes analyse le coût « de l’entrée, du séjour et du premier accueil des personnes étrangères en France » pour l’année 2019. Un montant de 6,57 milliards d’euros y est notamment avancé. Depuis lors, cette estimation est abondamment relayée par la presse et de nombreux élus – notamment à droite – comme représentant le poids total de l’immigration pour les finances publiques. En réalité, cette somme ne constitue qu’une petite partie de l’ensemble, et son utilisation irréfléchie témoigne d’une large méconnaissance du sujet. Un certain nombre d’éclaircissements semblent donc s’imposer.

    La Cour des comptes ne dit nulle part que l’immigration a coûté 6,57 milliards d’euros en 2019. Comme le précise très clairement la Cour dès l’introduction de ce rapport, ainsi que dans le document de synthèse, ses magistrats ne se sont pas intéressés au coût multidimensionnel et global de l’immigration pour les finances publiques. Leur analyse se concentre sur les seuls « procédures et dispositifs prévus par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». Les grandes masses budgétaires sont donc explicitement exclues : dépenses sociales comme l’assurance maladie, les retraites et l’ensemble des aides sociales de droit commun (type RSA et APL) ; dépenses liées à la justice et à la politique de sécurité ; dépenses des collectivités territoriales comme la prise en charge des mineurs isolés, etc.

    Une fiabilité quasi-nulle

    Le montant de 6,57 milliards d’euros est issu d’un document budgétaire qui n’est d’aucune fiabilité et qui sous-estime grandement les coûts de l’immigration. L’évaluation de 6,57 milliards d’euros est issue du document de politique transversale Politique française de l’immigration et de l’intégration. Il s’agit d’une annexe jointe chaque année au projet de loi de finances déposé par le gouvernement, afin de donner aux parlementaires une vision de l’ensemble des crédits destinés à certaines politiques publiques et d’éclairer leur vote en conséquence.

    Élément considéré comme essentiel au bon fonctionnement de notre démocratie, sa fiabilité est pourtant quasi-nulle. Le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale souligne ainsi, dans son rapport relatif à l’évaluation des coûts et bénéfices de l’immigration en matière économique et sociale, publié le 22 janvier 2020, que ce document présente « de nombreuses approximations ou des incohérences ». L’Assemblée nationale donne deux exemples des lacunes qui rendent cette source inexploitable.

    Le premier concerne la forte sous-évaluation des coûts de scolarisation des enfants immigrés par le ministère de l’Éducation nationale, qui n’impute à la politique d’immigration que le montant des dispositifs fléchés sur des enfants allophones ou issus de familles itinérantes et de voyageurs (0,5 % des effectifs). Elle pèse pourtant de façon beaucoup plus large sur les dépenses d’éducation – nombre de professeurs, infrastructures scolaires, d’autant que certains dispositifs ciblent en particulier les territoires où la population étrangère est surreprésentée. Cette réduction drastique du champ de vision conduit l’Éducation nationale à formuler une estimation dérisoire de 161 millions d’euros quant aux coûts de l’immigration dans son domaine d’action publique. Cette somme est à comparer à celle avancée par le ministère de l’Enseignement supérieur : 2,2 milliards d’euros, correspondant aux 10,6 % d’étudiants étrangers du secteur public.

    Des administrations divergentes

    Le second exemple concerne les coûts liés à la police aux frontières et ceux des infractions pénales spécifiques relevant du séjour sur le territoire, comme le refus d’exécuter une mesure d’éloignement. Là encore, l’asymétrie entre les chiffres fournis par la police nationale (1,2 milliard d’euros pour 2020) et ceux relevant de la gendarmerie nationale (28 millions d’euros) est édifiante quant à la fiabilité très relative du document présenté.

    Ces points précis témoignent de l’absence de méthode commune au sein des administrations de l’État pour élaborer les annexes budgétaires et, plus généralement, du désengagement assumé de la Direction du Budget dans la formalisation d’une information financière fiable du Parlement. Ce désengagement est d’autant plus regrettable qu’il constitue une infraction réelle aux normes constitutionnelles et aux lois organiques relatives aux finances publiques.

    Compte tenu de ces graves insuffisances, il est surprenant que la Cour des comptes ait repris tel quel et sans réserve le chiffrage des coûts de l’immigration proposé par ce document.

    Le coût de l’immigration pour les finances publiques varie fortement en fonction des choix méthodologiques retenus. S’il n’existe à ce jour aucune étude permettant de le déterminer de manière précise et exhaustive, les montants évoqués par les analyses les plus complètes s’élèvent à plusieurs dizaines de milliards d’euros par an.

    Comment (bien) évaluer le coût de l’immigration ?

    Le calcul du coût de l’immigration nécessite de faire des choix de méthode qui ont une forte incidence sur les résultats obtenus. Prend-on en compte les immigrés stricto sensu ou faut-il ajouter leurs descendants – ce qui semblerait logique dans la mesure où les enfants d’immigrés sont directement issus de l’immigration ? Faut-il comptabiliser les coûts de l’immigration irrégulière ? Prend-on en compte les dépenses de l’État ou celles de l’ensemble des administrations publiques ? Se restreint-on aux dépenses individualisables, ou faut-il inclure les dépenses globales en déterminant la part imputable aux immigrés – par exemple s’agissant de la politique de la ville, qui bénéficie principalement à des territoires dans lesquels leur présence est particulièrement massive ?

    L’étude de référence à ce sujet est celle publiée par le CEPII (service de recherche économique rattaché au Premier ministre) en 2018 : L’Impact budgétaire de 30 ans d’immigration en France. Dans cette étude, pour la dernière année considérée (2011) et selon le scénario prenant en compte la première génération des descendants d’immigrés, le CEPII estime le coût de l’immigration à 1,64 points de pourcentage de PIB. Exprimé en points de PIB de 2019, cela équivaut à 40 milliards d’euros, bien au-dessus des 6,57 milliards évoqués dans le rapport de la Cour des comptes.

    Plusieurs éléments permettent cependant de penser que ce chiffre sous-estime encore le coût réel de l’immigration. L’étude du CEPII s’arrête en 2011, alors que le phénomène migratoire a connu une forte hausse depuis dix ans. Cette étude exclut les coûts de l’immigration irrégulière, alors qu’ils sont extrêmement dynamiques depuis la crise des réfugiés de 2015. Enfin, ne sont prises en compte que les dépenses individualisables au niveau des foyers, ce qui réduit l’analyse aux dépenses sociales et d’éducation – lesquelles ne représentent que 66% de l’ensemble des dépenses publiques.

    Des commentateurs trop légers

    La forte médiatisation du rapport de la Cour des comptes témoigne de l’importance de la question migratoire pour l’opinion publique, ainsi que de la méconnaissance du sujet dont font preuve certains commentateurs et responsables politiques.

    Le fort écho rencontré par le rapport de la Cour des comptes dès sa publication, notamment sur les réseaux sociaux, témoigne de l’importance de la question de l’immigration pour les Français – attention fréquemment rappelée par de nombreux sondages. Ainsi, selon une enquête ELABE Les Français et les mesures sur l’immigration du 6 novembre 2019, près de six Français sur dix considèrent que « l’immigration et l’asile sont des sujets majeurs ».

    Il existe un décalage entre les citoyens qui perçoivent ou comprennent les conséquences de l’immigration, notamment sur les finances publiques, et de nombreuses personnalités politiques qui les sous-estiment. Les Français ne sont pourtant pas détrompés par leur intuition : dans un sondage IFOP de novembre 2018 pour le Journal du Dimanche, l’AJC et la Fondation Jean-Jaurès, seuls 9% des répondants considéraient que l’immigration jouait « un rôle positif sur l’équilibre des comptes publics ».

    Coupables défaillances

    Bien évidemment, le problème de l’immigration ne saurait être seulement appréhendé selon un prisme financier ou économique. L’ampleur du phénomène et les transformations qu’il implique soulèvent des enjeux culturels, sécuritaires et anthropologiques beaucoup plus vastes qu’un simple calcul pécuniaire. À ce titre, il constitue un sujet politique majeur qui nécessite une information claire et fiable des citoyens et de leurs représentants, au-delà des perceptions instinctives – souvent fondées au demeurant.

    Même si aucune approche technocratique ne suffit à résumer les bouleversements induits par l’immigration, nous ne pouvons que déplorer le refus de certaines administrations, comme la Direction du budget, de remplir correctement leur rôle d’éclairage du Parlement. Nous regrettons également que la Cour des comptes, que l’on a connu plus sourcilleuse quant à la sincérité des évaluations comptables, reprenne à son compte des estimations manifestement erronées et publiquement identifiées comme telles. Nous constatons enfin l’empressement de certains responsables publics – y compris parmi ceux présentés comme les plus conscients du problème – à brandir sans recul une évaluation tronquée, témoignant d’une inquiétante méconnaissance du sujet.

    Il importera, à l’avenir, de remédier à ces défaillances coupables. La confiance dans l’action de l’État et le renouveau de la cohésion nationale en dépendent.

  • « Grandeur du petit peuple »... Michel Onfray bientôt royaliste?

     

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgIl approuve un tract ramassé par terre pendant la manifestation des gilets jaunes qui en appelle à l'instauration d'une « régence d'exception ». On ne sera sans-doute pas d'accord avec tout ce qu'écrit Onfray, mais enfin, tout de même, sur beaucoup de choses ... Les esprits progressent. Les nécessités font bouger les lignes. Et le Système est désormais sur la défensive.  LFAR

     

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    J'ai dit quels moyens le pouvoir utilisait pour salir et discréditer le mouvement des gilets-jaunes - mépris, mensonge, criminalisation, diabolisation, attaque ad hominem, essentialisation, déconsidération, dramatisation. On peut en ajouter un autre : le procès en immaturité politique - la dévalorisation. Ces gens-là sont trop bêtes, trop provinciaux, trop incultes, trop illettrés, trop débiles, trop « beaufs », fut -il dit un peu partout, ils sont trop sous-diplômés. On n'a pas dit : « affreux, sales et méchants », mais il s’en est fallu de peu.

    Depuis Maastricht (1992), ce sont les mêmes éléments de langage avariés qui sont servis par les dominants afin de discréditer quiconque ne souscrit pas à l'Europe libérale, non pas parce qu’elle est « Europe », ce que personne ne refuse plus, mais parce qu'elle est « libérale », ce que beaucoup repoussent. Ce sont les mêmes insultes qui ont été sorties pour les partisans du Brexit - qui n'a toujours pas eu lieu car, méditons cette belle leçon de démocratie : pour sortir de l’Europe maastrichtienne, il faut l'autorisation de l'Europe maastrichtienne ! C'est ainsi que fonctionnent toutes les dictatures : on ne peut en sortir légalement - ce que les gilets-jaunes ont compris...

    Le système maastrichtien a son clergé. Il est formé à l'École nationale d'administration, à Sciences-Po, dans les écoles de journalisme, à Polytechnique, à l'École normale supérieure. Pendant leurs années d'études, on gave les impétrants d'une idéologie qu'ils rabâchent, répètent, réitèrent, reproduisent, ressassent ensuite dans tous les endroits où ils sont embauchés : grands corps d’État, haute administration, université, journalisme, édition, direction des médias, conseil d'État, sans oublier la politique politicienne qui est le prolétariat de ces gens-là. 

    Tout ce petit monde a la tête extrêmement bien pleine, mais très mal faite. Cette engeance est formée comme des commandos de rhéteurs et de sophistes, de beaux-parleurs et d'enfumeurs, de dialecticiens et de casuistes, d'orateurs et d'ergoteurs. Elle produit son meilleur effet dans un conseil d’administration, dans un comité de rédaction ou de lecture, dans un amphithéâtre, dans les colonnes d'un éditorial ou dans les réunions des patrons de médias, à l'Assemblée nationale ou au Sénat, dans un conseil des ministres ou dans les palais de la République, sur un plateau de télévision ou comme « consultants » ou « experts » sur les chaînes d'information continue - ou dans « Le Siècle », un club très fermé où l'on mange du gilet-jaune à tous les repas...

    Comme les sophistes grecs, cette caste peut soutenir n'importe quelle cause parce que leur formation met le paquet sur la forme, rien que la forme, tout sur la forme, et qu'elle se contente pour tout fond de l'idéologie dominante. Ces gros cerveaux de compétition sont ceux de petits perroquets.

    Bien sûr, ces gens-là estiment que les gilets-jaunes ne sont pas habilités à faire de la politique sous prétexte qu’il faut laisser ces choses-là, trop sérieuses pour le peuple, aux experts que sont les instances dirigeantes des syndicats et des partis (qui sont de mèche avec les autres puissants contre leur base...), et aux élus de tous les échelons de la politique politicienne. La démocratie doit être représentative, disent-ils, et non pas directe. Nous, oui ; eux, non.

    Or, chacun a pu voir comment le référendum sur le Traité européen qui était l'expression de la démocratie directe, bien que largement gagné, a été jugé comme nul et non avenu par les députés et les sénateurs qui étaient l'expression de la démocratie indirecte. Réunis à Versailles, lieu symbolique s'il en est un, il fut dit au Congrès qu'on se moquait de ce que le peuple pensait après qu'on lui eut tout de même demandé son avis. Ce coup d'État fut une leçon que le peuple a mis dans un coin de sa tête : avec lui, la démocratie indirecte a joué au grand jour un jeu contraire à celui de la démocratie véritable qui est gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple et non par ses seuls délégués. Les représentants du peuple ont dit au peuple qu’ils n'avaient que faire de son avis et que, d'ailleurs, ils iraient contre lui. 

    Les gilets-jaunes sont dans la rue parce qu'ils savent que l'Assemblée nationale et le Sénat sont leurs ennemis puisqu’ils ne les représentent pas sociologiquement ni politiquement. Le système représentatif, tant qu'il ne sera pas intégralement proportionnel, générera une oligarchie, une aristocratie, une caste, une tribu qui disposera de tous les pouvoirs : ce ne sera jamais une démocratie. Le pouvoir des élus n'est pas autre chose que la résultante d'un calcul tordu avec découpages électoraux effectués par le ministère de l'Intérieur et l'Élysée afin de déboucher sur une bipolarisation de la société : non plus entre droite et gauche, mais entre maastrichtiens libéraux de droite et de gauche et anti-maastrichtiens de droite et de gauche. Aux maastrichtiens libéraux de droite et de gauche sont réservés tous les pouvoirs - économiques, médiatiques, politiques, sociaux, universitaires, journalistiques ; aux anti-maastrichtiens de droite et de gauche, les premiers abandonnent le pouvoir verbal de l'opposant avec pour seule perspective de parler à vide indéfiniment...

    Avec les gilets-jaunes dans la rue, toute cette aristocratie maastrichtienne se trouve mise à mal, critiquée, menacée. Certes, elle dispose de tous les pouvoirs, y compris celui d'insulter, de mépriser, de calomnier, de salir le peuple sur lequel s'exerce son pouvoir et ne s'en prive pas. Mais elle voit d’un très mauvais œil ce surgissement de velléités de démocratie directe.

    « Ça n'a jamais marché », pérore Christophe Barbier sur BFM le samedi 8 décembre : ça marche pourtant en Suisse...  La notice Wikipédia de ce normalien pas agrégé ayant fait une école de journalisme nous apprend ceci : En 2017, il déclare notamment au Journal du dimanche : « Se confronter au terrain pollue l’esprit de l’éditorialiste. Son rôle est de donner son opinion, d’affirmer ses certitudes, par essence improuvables. Afficher avec force ses convictions permet aux lecteurs de s’y frotter pour former les leurs ». Et plus loin : « L'éditorialiste est comme un tuteur sur lequel le peuple, comme du lierre rampant, peut s'élever. » On comprend qu'il n'ait pas besoin de se confronter au terrain des gilets-jaunes, ce lierre rampant, afin d'éviter de se polluer l'esprit et de pouvoir affirmer et toute objectivité ses certitudes improuvables ! En passant, on apprend également qu’il a composé un rap en l'honneur d'Emmanuel Macron... Christophe Barbier est l'un des personnages emblématiques de cette aristocratie qui enjambe le peuple.

    Or, quand on va sur le terrain, non content de ne pas s'y polluer l'esprit, on se l'éclaire et l'on peut obtenir un certain nombre de certitudes susceptibles d’être prouvées. J'en veux pour preuve ce tract ramassé dans une rue de Paris et envoyé par un ami. Il dit ceci :

    Nos_8_doleances-438d8.jpgTitre : Nos 8 doléances

    « Nous rentrerons chez nous quand ces mesures seront appliquées

    1. Nous voulons de la démocratie directe à tous les niveaux. Nous voulons un gouvernement d’union nationale avec une régence d’exception pour éviter que les partis politiques, qui sont disqualifiés, n’instrumentalisent notre détresse et notre colère.

    2. Nous voulons une baisse de 20% de toutes les taxes et les charges touchant la classe moyenne, les travailleurs pauvres et les entrepreneurs. Baisser ces taxes, c’est monter nos salaires. Nous voulons une action immédiate pour taxer ce qui vaut la peine d’être taxé : les GAFA et les transactions financières.

    3. Nous voulons que la France arrête de vivre au-dessus de ses moyens et arrête d’accueillir la misère du monde parce qu’elle est déjà dans la misère avec ses millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté. Nous voulons une immigration choisie, qui ne nous détruise pas culturellement. Nous demandons ainsi un retrait du pacte de l’immigration de l’ONU.

    4. Nous voulons une relocalisation de toutes les décisions dans les régions, les villes et les communes. L’Etat et ses fonctionnaires à Paris ne sont pas qualifiés pour décider de l’avenir de nos communes.

    5. Nous voulons une sortie de la PAC qui corrompt nos agriculteurs en n’allouant ses aides qu’aux productivistes et aux empoisonneurs répandant le cancer en France. Nos impôts ne doivent en aucun cas servir à financer Bayer-Monsanto.

    6. Nous voulons la création de barrières commerciales pour empêcher l’Allemagne de nous vendre des produits fabriqués en Roumanie, sous le label « Deutsche Qualität » et d’ainsi détruire nos emplois.

    7. Nous voulons le retrait de toutes les aides à la presse pour une vraie séparation des pouvoirs médiatiques et politiques.

    8. Nous voulons une action immédiate pour arrêter l’intégration dans l’Europe car elle ne se construit que sur la ruine des petites gens. »

    Qui dira qu'il n'y a pas là d'intelligence pratique ? C'est un véritable programme politique. Il est anonyme, aucune signature, aucune de ces propositions ne ressemble à quoi que ce soit de connu chez les jacobins. Il est débarrassé du verbiage technocratique ou qui relèverait de la politique politicienne.

    C'est simple, clair, net, direct et programmatique :  la démocratie directe ; un gouvernement d'union nationale constitué en dehors des partis politiques parce qu’ils sont discrédités et qu'ils guettent la récupération ; une baisse des taxes et des charges pour la population la plus éprouvée ; une augmentation des salaires ; une taxation des GAFA et de ceux qui font de l'argent avec l'argent ; une politique migratoire rationnelle qui ne soit ni celle de la passoire ni celle du mur ; un communalisme et un régionalisme effectifs; une autre politique agricole que celle du productivisme qui fait le jeu des multinationales, détruit la planète et intoxique les consommateurs ; l'instauration de barrières commerciales qui empêcheraient la concurrence entre les États de droit et les États voyous en matière de protection sociale ; le retrait des aides à la presse, subventionnée par le contribuable afin de l'endoctriner et de le mépriser quand il refuse l'endoctrinement ; une séparation des pouvoirs médiatiques et politiques ; l'arrêt de l'intégration dans l'État maastrichtien...

    J'aurais pu écrire ce tract auquel je ne retranche rien ! Il est la feuille de route de la démocratie directe. C'est sur ce projet positif, concret, dynamique, qu'il faut désormais travailler.

    En écrivant mon éloge de la démocratie proudhonienne il y a quelques jours, j'ai craint un temps avoir placé la barre un peu haut. Avec ce tract sans nom ramassé dans la rue, je suis désormais bien convaincu que non. 

     

    Michel Onfray

  • « La monarchie permettrait de rétablir les équilibres et de garantir les libertés »

     

    Le prince Jean de France, nouveau comte de Paris, est intervenu à plusieurs reprises dans le cours de la Semaine Sainte sur différents organes de presse – Le Figaro, L’écho républicain – pour dire son souci de la France, après l’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris. C’est ce souci de la France, dégagé de toute visée électoraliste, qui guide la pensée du Prince et qu’il veut bien confier à Politique magazine.

    Monseigneur, comment percevez-vous la campagne des européennes et l’alternative que pose Emmanuel Macron, « moi ou le chaos » ?

    C’est un peu binaire comme vision des choses ! Il faut toujours faire attention aux formules chocs, qui sont là pour marquer les esprits. Il y a certainement d’autres voies, dont une, le concert des nations, qui est une expression qui me plait. Dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, le concert des nations et le modèle de construction européenne qu’il suppose devraient être ce qui oriente la campagne. Il y a de nombreux enjeux, dans ces élections. Nous sommes le seul pays où la majorité en place, à chaque élection européenne, est élue de manière très inconfortable. L’Europe est-elle mal aimée, les Français, déjà inquiets pour eux-mêmes, sont-ils très inquiets vis-à-vis de cette instance supranationale qui paraît peu concrète et viser plus le consensus que le bien commun ? Pour le moment, on ressent surtout le désamour caractéristique des Français pour les élections.

    Ils s’expriment autrement, par exemple avec les Gilets jaunes, qui ont montré que certains Français étaient au bord de l’exaspération à force de se sentir ignorés, voire méprisés : comment ressentez-vous l’état du pays ?

    Les Gilets jaunes, si l’on met de côté les débordements qu’on connaît, expriment les multiples fractures qui existent en France, entre riches et pauvres, entre gens des villes et gens des champs, entre ceux qui sont “dans le système” et ceux qui sont hors système, entre ceux qui triment et ceux qui bénéficient de la conjoncture, etc. Ce sont ces oppositions telles qu’elles se sont creusées depuis une trentaine d’année qui surgissent, dans un ras-le-bol général où les Français réclament un travail décent, des écoles pour leurs enfants, une retraite qui leur permette de vivre après avoir donné du temps à leur pays, une couverture sociale suffisante, un environnement agréable et sécurisé… La base, quoi, alors que tout ceci est plutôt laissé de côté par une nomenklatura urbaine hors-sol qui ne comprend pas que ceux qui ne votent pas et ne manifestent pas puissent rêver d’autre chose que de leur projet.

    N’y a-t-il pas aussi chez eux le refus d’une impuissance de l’État à agir sur la réalité ?

    Il y a certainement une impuissance de l’État, puisque l’Union européenne a pris le pas sur le périmètre d’influence de l’État français. D’autre part, l’État ne s’intéresse plus au bien commun, ni au service de la France et des Français. Ce sont deux moteurs qui vont de concert.

    Quand on ne maîtrise plus la monnaie ni la loi, ni la sécurité (80 zones de non-droit, outre les incivilités permanentes !), que reste-t-il ?…

    Je suis d’accord, nous sommes désormais dans une France liquide dans une Europe sous influence comme dit Philippe de Villiers. Cette Europe autoproclamée a en fait été programmée pour et par les États-Unis.

    Outre les Gilets jaunes et leur démonstrations spectaculaires, les enquêtes du Cevipof montrent, depuis dix ans, que les Français ont de moins en moins confiance dans le personnel politique. L’idée d’un gouvernement débarrassé des contraintes de la démocratie participative recueille même un assentiment assez fort. Y a-t-il une impossibilité institutionnelle, en France, à entendre ce genre de discours ?

    Je ne sais pas s’il faut parler d’impossibilité institutionnelle, mais il y a une désaffection des Français pour leurs politiques, qui se sont détournés de leur vocation première et ont laissé le système confisquer tous les moyens d’expression, tous les sujets de débat, au point que la liberté en pâtit. Alors que c’est une liberté nécessaire de pouvoir s’exprimer et d’être entendu. Par ailleurs, dans un tel système, la seule déclinaison possible est une manière de despotisme, éclairé ou non, selon ce qu’en disent des Européens convaincus, comme M. Delors. Alors que « le Prince en ses conseils et le peuple en ses états », c’est-à-dire la monarchie, permettrait de rétablir les équilibres et de garantir les libertés, sans glisser vers le despotisme tel qu’il est aujourd’hui exercé dans les pays où les gouvernements sont dans l’idéologie globalisée du moment.

    Cette crise de confiance, qui amène dans certains pays des réponses institutionnelles particulières, ne vient-elle pas aussi du fait que l’Union européenne doit faire face à deux gros problèmes, une immigration qui fracture les populations nationales et les divise en communautés hétérogènes, sans culture commune, et l’apparition d’un islam public très revendicatif réclamant que les cultures nationales s’adaptent à ses impératifs ?

    L’islam s’accommode très bien de l’idéologie du moment qui entraîne une partition de la population française, en fonction de la religion, des communautés, des intérêts divergents. Cette partition lui permet d’avancer. On ne peut considérer sans inquiétude, voire une certaine angoisse, les pays musulmans aujourd’hui, et le sort réservé à ceux qui n’ont pas cette religion. “L’islam modéré” ne sera qu’une étape, et comme il y a plusieurs islams, on peut qu’être perplexe quant à ce que cela va donner. Il faut évidemment retrouver un socle commun, culturel, historique, religieux.

    L’incendie de Notre Dame et les réactions qu’il a suscité prouvent-ils que ce socle commun existe et n’est que recouvert par la poussière des discours médiatiques ? La France se sent-elle toujours chrétienne dans ses racines sinon dans ses mœurs, avec son histoire et sa culture ?

    J’aimerais penser qu’il s’agit en effet de quelque chose de profond, et que l’idéologie relative du moment ne fait que recouvrir ce socle. On voit que le fonds chrétien ressort, une foi culturelle dans laquelle ont baigné nos hommes politiques.

    Comment le roi peut-il créer et maintenir la concorde nationale dans un pays où une part significative de la population est musulmane ?

    L’inspiration lui viendra quand le moment sera venu ! Ensuite, si le roi est aussi le protecteur des chrétiens, la vertu exige que la foi musulmane puisse s’exprimer sans remettre en cause l’état de droit : ce sera là le point d’équilibre.

    Monseigneur, comment ce roi protecteur des chrétiens peut-il travailler avec une église catholique en crise, d’une part, mais d’autre part très acquise aux valeurs de la république et à une interprétation de plus en plus humaniste du message de l’Évangile ?

    L’Église doit régler clairement et fermement ses problèmes internes, c’est une chose. Sur le second point, depuis Léon XIII, pour ainsi dire, l’Église a changé sa politique générale, qui était de s’appuyer sur les chrétiens pour avancer dans l’espace public. Le nouveau système finit par la dissoudre : dans la lettre des évêques de France, « Retrouver le sens du politique », publiée avant les dernières élections présidentielles. Il n’y a quasiment aucune références théologiques et philosophiques… Il n’y a pas de chapitre sur le travail, alors que c’est une valeur de base pour les chrétiens. L’Église a été évincée, s’est évincée, de toutes les sphères où elle aurait pu et dû marquer sa différence. Son influence est devenue plus limitée.

    Le roi, étant donné le tableau qu’on vient de dresser, devrait-il se borner aux fonctions régaliennes classiques (police, justice, armée, monnaie) ou, au moins pendant un temps de transition, tenir compte de l’importance considérable pris par l’État en France et de l’ampleur non moins considérable des problèmes que l’État n’a pas réglés, comme le désastre environnemental ?

    Bien sûr, c’est nécessaire. Et les rois ont toujours été des têtes de pont en matière environnementale. Il faut s’inscrire sur le long terme. L’environnement, et les questions sociales, et j’ai sur ce sujet la même sensibilité que mon grand-père : le Prince doit s’intéresser à ces questions-là. C’est un élément fort de pouvoir travailler sur ces sujets. Et il n’y a que les Princes qui peuvent agir : seul le roi est capable de poursuivre le bien commun tout en respectant les populations. Mieux vaut être petit, cela dit, comme le dit le prince du Liechtenstein.

    Aujourd’hui, la France n’est pas petite et le gouvernement d’une nation est enserré dans un tissu serré de relations internationales. Comment théoriser un pouvoir national aujourd’hui ?

    La seule chose qui fonctionne, c’est le principe de subsidiarité, qui s’appuie sur la confiance : les hommes sont faits pour vivre ensemble et s’ils s’entendent ils vivent mieux. C’est ça, le bien commun. Aujourd’hui, on pousse l’homme, par l’individualisme, à assumer ses désirs jusqu’à ce qu’on lui supprime ses libertés. Ce qui gouverne nos sociétés, c’est la défiance, l’idée que l’homme est un loup pour l’homme. Il faut changer de philosophie politique. Et on en revient au concert des nations : le concert n’exclue pas les fausses notes mais il y a une partition, une liberté d’interprétation et une volonté de jouer ensemble, chacun avec son talent.

    Monseigneur, comment voyez-vous votre rôle ici, en France, en 2019 ?

    Déjà comme chef de famille, dans une relation apaisée. Et je veux m’impliquer plus dans la vie de mon pays, par la parole et par les actes, avec des relations plus fortes avec l’État et des structures intermédiaires, avec les populations. Je parlerai plus fréquemment, et j’espère que mes actes seront à la hauteur. C’est important que le chef de la Maison de France soit présent.   

    Propos recueillis par Jean Viansson-Ponté et Philippe Mesnard

    Voir dans lafautearousseau ...
    Monseigneur le Comte de Paris, Famille de France
  • Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (4)

    lfar bleu.jpgNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

    1ère partie : l’Homme Masse2235704335.jpg

    « De Caillaux à Giscard » : le système libéral

    En effet, si la production élimine progressivement la masse, la consommation lui reste soumise. Quand les belles âmes s'indignent que certains proposent de renvoyer chez eux les immigrés, un calcul cynique explique l'appui qu'elles reçoivent des « médias «. Il ne faut pas laisser partir des consommateurs. Tout ralentissement des achats serait catastrophique. La massification ne s'explique pas que par le travail à la chaîne. Une transformation plus profonde peut-être s'est opérée. Pendant des millénaires, l'homme produisait pour consommer. Il fallait se nourrir, se vêtir, mais aussi satisfaire d'autres besoins, d'ordre spirituel, militaire ou intellectuel, construire des temples et des palais, entretenir des prêtres, des sorciers, des guerriers, des administrateurs. Désormais l'homme consomme pour produire. Les besoins étant, pour l'essentiel, satisfaits, l'organisation rationnelle du travail et le machinisme n'ont pas épuisé leurs capacités productives. Il convient donc de susciter le désir de marchandises qui ne sont pas nécessaires. La publicité s'en charge et rapidement le désir se transforme en besoin. L'habitant des villes peut sans difficulté, se passer d'une automobile, disposant de transports en commun confortables et souvent plus rapides. Qui ne possède pas sa voiture particulière passe pourtant soit pour un miséreux soit pour un attardé. Le conformisme et l'individualisme se conjuguent pour obliger à consommer, fut-ce des objets parfaitement inutiles, les gadgets. Si la consommation se ralentit, pour une raison ou pour une autre, que les gens ont moins d'argent, que la mode change, que la saturation apparaît, il faut fermer des usines et mettre des gens au chômage. Toute diminution du niveau de vie de la masse entraîne une crise économique. Si l'on veut assurer un développement harmonieux de la production, chaque individu doit pouvoir continuer de se procurer les produits de la grande industrie, qu'il soit en bonne santé ou malade, jeune ou vieux, riche ou pauvre.

    Le système libéral n'a pu fonctionner qu'aussi longtemps que la production de masse n'affectait qu'un secteur, le textile. Quand la demande l'emportait sur l'offre, les patrons devaient embaucher et accepter de payer des salaires plus élevés, des entreprises mal gérées parvenaient à subsister puisqu'elles trouvaient des débouchés. Le moment venait nécessairement où l'offre finissait par dépasser la demande. Les stocks s'accumulaient, les prix baissaient. Les entreprises mal gérées disparaissaient, les autres subsistaient en réduisant les salaires de ceux qu'elles conservaient. Peu à peu, les stocks s'écoulaient et la crise se résorbait. L'économie en sortait assainie. Seules les entreprises les mieux équipées, les mieux administrées subsistaient. Grâce aux gains de productivité qu'il leur avait fallu réaliser, elles produisaient à meilleur marché, elles avaient amélioré la qualité et la diversité de leurs fabrications. Ainsi les crises cycliques représentaient un facteur de progrès.

    Ce mécanisme ne fonctionnait qu'en raison de la structure de la consommation. Le budget des familles ouvrières, essentiellement consacré à la nourriture et au logement, comportait, sans doute, quelques achats de produits manufacturés (vêtements, meubles, quincaillerie) mais seulement en période de relative aisance, quand il était possible d'économiser. Les classes aisées absorbaient l'essentiel de la production. En temps de crise, elles continuaient d'acheter, moins sans doute mais suffisamment pour que s'écoulent les stocks. Certes, les ouvriers, réduits au chômage, survivaient dans les conditions les plus pénibles. Quelques philanthropes s'efforçaient d'adoucir leur sort mais personne, en dehors de catholiques sociaux et de socialistes, ne s'indignait d'une situation qui s'accordait à la nature des choses.

    Tout changea lorsque l'introduction du travail à la chaîne permit la production de masse. Ford et non Lénine, fut le grand révolutionnaire du début du siècle. Rompant avec la pratique patronale des bas salaires, il comprit que ses ouvriers étaient aussi ses futurs clients et qu'il convenait qu'ils gagnent assez pour acheter des voitures. La production de masse débouchait sur la consommation de masse. Ce qui allait modifier totalement la structure de l'économie. Ainsi la production de masse suppose l'immobilisation de capitaux considérables que l'autofinancement ne suffit plus à réunir. Entre le moment où le constructeur décide de lancer un nouveau modèle de voiture et le moment où celui-ci sort des chaînes, il s'écoule plusieurs années. De même l'innovation technologique devient l'affaire de bureaux d'études, qui mobilisent des équipes de chercheurs. Les entrepreneurs doivent faire appel aux banques, leurs fonds propres ne suffisant plus. Mais l'appareil financier recherche le profit à court terme. L'argent immobilisé ne « travaille pas » ou du moins trop lentement pour rapporter. Le banquier emprunte les sommes qu'il prête. Il faut que le capital dont il dispose soit toujours disponible. Ainsi l'entrepreneur a besoin de crédits à long terme et le banquier ne peut consentir que des crédits à court terme, sinon le taux d'intérêt deviendrait si élevé qu'il découragerait l'entrepreneur. Comment en sortir ? Par des artifices comptables qui transforment le court terme en long terme.

    Cette contradiction en a engendré une autre. L'investissement ne saurait être supérieur à l'épargne, c'est-à-dire à la part du revenu national soustrait à la consommation, d'une manière ou d'une autre. Cette vérité de bons sens convient à une économie de type classique où l'entrepreneur utilise ses propres capitaux ou ceux qu'il se procure en multipliant le nombre de ses associés grâce à des souscriptions d'actions. Vaut-elle encore, quand il lui faut investir à très long terme ? Il est conduit dans ses choix à anticiper. Le modèle que prépare le constructeur risque d'être périmé avant d'être mis en vente, de ne pas correspondre à l'évolution des goûts et des besoins de la clientèle.

    Et surtout, il est obligé de vendre à crédit. L'acheteur d'une voiture a rarement les moyens de payer comptant. Lui aussi anticipe. Il dépense l'argent qu'il n'a pas encore mais dont il compte disposer, pour autant que ses revenus continuent d'augmenter. Les organismes financiers, en principe, utilisent l'épargne reçue en dépôt d'une manière ou d'une autre (dépôts à vue, emprunts obligatoires, gestion de portefeuilles etc.…) pour financer ces diverses anticipations. Tout semble donc rentré dans l'ordre, mais à condition que les banquiers ne commettent aucune erreur, qu'ils ne se montrent ni trop timorés, car ils casseraient l'expansion, ni trop laxistes car ils cesseraient de la contrôler. En théorie, ces excès inverses devraient se compenser. Ce qui se révélerait exact si chaque opérateur prenait ses décisions par un calcul rationnel. Les risques d'erreur s'annuleraient à peu près. Les choses ne se passent pas ainsi en pratique. Il existe un effet d'entraînement. A certains moments, les banquiers, emportés par l'euphorie, prêtent avec trop de facilité, à d'autres, ils s'effraient et resserrent le crédit, étranglant les entreprises.

    Que s'est-il passé en 1929 ? La prospérité a conduit les industriels, les particuliers et les banquiers à anticiper sur un progrès supposé indéfini tant de la consommation que de la production. Les industriels ont succombé au vertige du gigantisme, les particuliers ont multiplié les achats à crédit - y compris les achats d'actions  et les banquiers ont trop utilisé les artifices comptables qui permettent de transformer le court terme en long terme, si bien que les Etats-Unis investissaient plus qu'ils n'épargnaient. Tout fonctionnait convenablement parce que la bourse de New York drainait les capitaux du monde entier. Il a suffi que le flux d'épargne diminue, même légèrement pour provoquer la catastrophe. Il fallait donc réajuster l'épargne et l'investissement. Les économistes libéraux ont immédiatement présenté une solution d'apparence raisonnable. Il suffisait de diminuer les salaires et même, de l'opinion de Rueff, de supprimer purement et simplement les allocations de chômage, en un mot de pratiquer une politique de déflation. C'était oublier que désormais la consommation de masse fournissait le moteur de la production de masse. Quand on fabriquait quelques milliers de voitures par an, la misère du peuple n'empêchait pas les stocks de s'écouler peu à peu et puisqu'il fallait bien les reconstituer, les commandes relançaient la production. Il n'en va plus de même, quand le stock se chiffre par millions de voitures. L'économie avait changé d'échelle et les libéraux, enfermés dans leurs abstractions ne s'en étaient pas aperçu. La solution fut trouvée non par un théoricien mais par deux hommes de terrain, l'allemand Schacht financier d'Hitler et Morgenthau, le principal conseiller de Roosevelt. L'un et l'autre partirent d'une idée simple. La mécanique libérale ne fonctionnait plus, les stocks ne diminuaient pas parce que les achats des classes aisées n'avaient plus qu'une influence marginale sur le marché. La production de masse ne reprendrait que si l'on donnait à la masse les moyens de consommer d'où une politique de grands travaux financée artificiellement. Il fallut néanmoins la seconde guerre mondiale pour surmonter la crise, les armements constituant une production dont la consommation n'est pas entravée par des considérations budgétaires.

    Ni Schacht ni Morgenthau n'avaient pu s'inspirer de la célèbre « general theory of employment, interest and money » de John Maynard Keynes, publiée seulement en 1936. Cependant, l'inspiration demeurait la même. Les uns et les autres substituaient à une conception statique de l'économie, où les équilibres se rétablissaient automatiquement, une « description dynamique » selon l'expression de Keynes. Les classiques visaient en fait un état quasi stationnaire. Ce qui donnera, sous une forme journalistique, la « croissance zéro » préconisée par le club de Rome, croissance zéro de la production et de la démographie. Mais l'expérience montre assez qu'il n'y a jamais d'état quasi stationnaire. En économie, comme dans les autres domaines, qui n'avance pas recule.   •  

    (A suivre - A venir : « De Caillaux à Giscard : Le système libéral » suite)

     

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    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (1)

    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (2)

    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (3)

     

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