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  • LES LAMBEAUX DE LA RÉPUBLIQUE, par François Marcilhac *

     

    500021990.jpg« Suave mari magno turbantibus aequora ventis / E terra magnum alterius spectare laborem » : qu’on ne compte pas sur moi pour présenter des excuses à Najat Vallaud-Belkacem de commencer mon éditorial par deux vers latins, des plus célèbres, du reste, et de refuser, en sus, de les traduire.  

    Pour ceux qui ignorent la langue de Lucrèce — ce qui n’est pas en soi un déshonneur —, il leur suffira de les taper sur leur moteur de recherche préféré...

    Je ne dirai pas non plus que c’est Sarkozy qui me les inspire, trop empêtré qu’il est dans son prosaïsme politicien, mais, comme l’auteur au début de son long poème sur La Nature, le déchaînement même des éléments, en l’occurrence des événements politiques pour l’observateur, que chacun sait impartial, de la chose républicaine que je suis... Quels événements ? Eh bien, la naissance du dernier avatar de la droite parlementaire qui n’en finit pas, depuis qu’elle a abandonné tout patriotisme, de changer de défroque à intervalles réguliers — au gré de ses compromissions, des affaires et des ambitions de ses dirigeants. Ou plus exactement encore, le psychodrame auquel cette naissance a donné lieu : pensez ! Voilà que la désormais feue UMP est devenue Les Républicains, préemptant ainsi, pire, s’appropriant, s’arrogeant, monopolisant, confisquant, pour évidemment mieux les pervertir, « les principes de la République qui sont », comme chacun sait, du moins comme le savent les signataires du recours en nullité, qui a échoué, du nouveau nom de l’UMP, et comme le révèle, aussi, toute l’histoire de nos cinq républiques, « la vertu et l’exemplarité » [1]. Oui, qu’il est doux, de la terre ferme du royalisme de regarder l’immense labeur des républicains de toute obédience se disputant sur les flots déchaînés de leurs luttes intestines les lambeaux de l’idée républicaine, devant des Français, au pire indifférents, au mieux médusés de voir nos hommes politiques à ce point en phase avec leurs préoccupations. Comme nous le signalions déjà dans notre précédent éditorial, nos compatriotes sont 65 % à ne plus être sensibles aux termes « République » et « valeurs républicaines ». Qu’importe ? L’autisme des représentants de l’oligarchie n’est plus à démontrer.

    Alors que l’immigration ne cesse d’exploser, vérifiant jour après jour le roman visionnaire de Jean Raspail, l’enseignement d’être, par la droite et la gauche réunies, depuis quarante ans méthodiquement détruit, notre économie de s’enfoncer dans le marasme et le chômage d’exploser : fin avril, la France comptait 3 536 000 chômeurs, une hausse de 0,7% par rapport à mars — sur un an, elle est de 5,1% —, le 30 mai, au congrès des Républicains, où, d’ailleurs, s’étaient déplacés deux fois moins de militants que prévu, Sarkozy n’a rien trouvé de mieux que d’accuser la gauche de « trahir la République ». Et notre Robespierre made in USA de s’exclamer, avec un doigt vengeur : « A ceux qui nous accusent de confisquer la République, nous répondons que, s’ils ne l’avaient pas trahie, s’ils ne l’avaient pas abandonnée, s’ils ne l’avaient pas abaissée, nous n’aurions pas besoin aujourd’hui de la relever ». A quoi, Manuel Valls qui, lui, n’a jamais tenté de « confisquer » la république à son profit, de répondre d’Italie — il est loin le temps où nos hommes d’Etat s’interdisaient de commenter la vie politique française de l’étranger —, que ces propos « blessent inutilement le pays »... Mais le pays, Valls, s’en f... de ces querelles d’hérésiarques ! Ce qu’il voit, c’est que la France s’effondre et il attend de ceux qui sont théoriquement chargés de la diriger qu’ils la redressent !

    Outre l’historien et ancien secrétaire d’Etat Jean-Noël Jeanneney s’indignant de cette tentative d’affirmer « un monopole, qui rejette tous les autres hors de ce nom lumineux » (Le Monde du 4 mai) — ses desservants ont toujours conçu la République comme un objet religieux, d’où l’impossible « laïcité à la française » —, le plus significatif est l’appel qu’avaient lancé des intellectuels tels que Marcel Gauchet, toujours dans Le Monde [2] contre cette captation d’héritage par un Sarkozy chez lequel le tropisme américain n’expliquerait pas tout. « Si nous sommes républicains, c’est justement parce que la République en France, est [...] la possibilité donnée à chacun de s’associer avec d’autres pour faire valoir ses idées, son projet de société, ses propositions pour faire avancer la réalisation de valeurs communes. En un mot, un régime de partis. » Tout est dit. L’impossibilité pour la République de se concevoir autrement que comme le « régime des partis », dont la forme la plus achevée est le régime d’assemblée — un régime auquel veulent revenir tous les projets de VIe république — montre que la tentative du général de Gaulle d’en finir, en république, avec la suprématie des partis, laquelle se rappela à son souvenir dès décembre ... 1965, c’est-à-dire dès la première élection du chef de l’Etat au suffrage universel, était d’avance vouée à l’échec. Le ballottage du général sanctionna leur triomphe.

    Certes, la situation a évolué : si les partis sont toujours les courroies de transmissions d’intérêts privés et le lieu de satisfaction d’ambitions personnelles, eux-mêmes se trouvent aujourd’hui neutralisés par une oligarchie supranationale. L’Europe a modifié la donne, mais en ne faisant qu’aggraver la soumission du politique et du bien commun — la res publica en son sens originel — à des impératifs décrétés ailleurs que dans les instances des partis politiques français — d’où la grande ressemblance des politiques menées. C’est pourquoi, poursuivre en déclarant que « les Républicains sont l’ensemble des Françaises et des Français attachés à la forme républicaine et démocratique, expression naturelle de la souveraineté nationale », c’est mentir deux fois sur ce qu’est cette « souveraineté nationale », par ailleurs fort abstraite. On sait fort bien que la « nation » souveraine, originellement conçue contre le Roi, n’a jamais exercé le moindre pouvoir et que le régime représentatif fut toujours celui des factions ; on sait aussi que ces mêmes partis ont dissous la souveraineté de la nation par rapport à l’étranger et que les socialistes comme nos nouveaux « Républicains » s’accommodent fort bien, pour les avoir eux-mêmes adoptés ou fait adopter, de tous les traités qui, depuis Maëstricht en 1992, Lisbonne en 2008 et le traité budgétaire en 2011, font de cette « souveraineté nationale », qu’on l’entende en son sens « républicain » ou, plus simplement, comme synonyme de souveraineté de la France, une image du passé. Alors que la monarchie capétienne fut le régime du « Roi empereur en son royaume », ne se reconnaissant aucune autorité temporelle extérieure, la république est bien celle d’une « souveraineté nationale », qui, de par les traités, est aujourd’hui « partagée » — une contradiction dans les termes —, c’est-à-dire soumise aux intérêts de l’étranger — qu’il soit politiques, financiers ou les deux à la fois.

    La vraie césure n’est plus — n’a jamais été, du reste — entre la droite et la gauche, entre, demain (?), des « Républicains » (l’UMP), des « Démocrates » (le PS) et des « Patriotes » (le FN). Il est entre ceux qui, favorables au « régime des partis », sont attachés à « la forme républicaine et démocratique, expression naturelle » de l’oligarchie, et ceux qui veulent que la nation recouvre, avec le Roi souverain, sa vraie souveraineté. 

    [1] http://noussommeslesrepublicains.or...
    [2] Le Monde du 24 avril 2015 

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    François Marcilhac - L’AF 2000

  • Jean-Michel Quatrepoint : « Un super État islamique aux portes de l'Europe est possible »

     

    ENTRETIEN - L'effondrement du régime d'Assad est désormais une hypothèse plausible pour le journaliste Jean-Michel Quatrepoint, vice-président du Comité Orwell. De même qu'un Etat islamique durablement installé aux portes de l'Europe. Dans cet entretien réalisé par Alexandre Devecchio pour Le Figaro, Jean-Michel Quatrepoint développe des analyses réalistes à l'opposé de la diplomatie idéologique conduite aujourd'hui par les Etats dits « occidentaux ». Nous n'avons jamais rien dit d'autre dans Lafautearousseau.  

                 

    4163199303.jpgLe 21 mai dernier, la cité antique de Palmyre tombait aux mains de l'État islamique. Cela a-t-il marqué un tournant géopolitique? Bachar el-Assad est-il menacé ? 

    Bachar el-Assad tente d'organiser une zone de défense dans le réduit alaouite sur le littoral. Mais Daech progresse inéluctablement. Au sein du régime d'Assad, c'est un début de sauve-qui-peut. L'armée est épuisée. Les hauts dignitaires se disent qu'il vaut mieux partir trop tôt que trop tard. Les Russes commencent à évacuer leur personnel, ce qui n'est pas bon signe. L'affaiblissement du régime ne renforce pas les opposants dits démocratiques, qui ne représentent pas grand-chose, mais bien la seule force offensive de la région qu'est Daech. 

    Lorsqu'il y a des mouvements révolutionnaires, ce sont toujours les extrêmes qui l'emportent dans un premier temps: la terreur jacobine contre les modérés girondins, les bolcheviks contre les mencheviks. On ne peut plus exclure aujourd'hui que Daech prenne, dans les semaines ou les mois qui viennent, le contrôle quasi-total de la Syrie. L'État islamique aura ainsi un territoire qui s'étendra sur la Syrie et la moitié de l'Irak. Le Liban, mosaïque ô combien fragile, va également être totalement déstabilisé. Enfin, Israël a joué avec le feu en appuyant la chute de Saddam Hussein et peut-être bientôt celle de Bachar el-Assad, et en faisant de l'Iran et des chiites ses principaux adversaires. Les combattants du Hezbollah ou du Hamas sont des enfants de chœur à côté des djihadistes de Daech. Les Occidentaux vont regretter Bachar el-Assad comme ils regrettent Saddam Hussein ou Kadhafi. Le regard des Européens est encore tourné vers la Russie alors que la véritable menace se trouve de l'autre côté de la Méditerranée avec Daech. Il faut bien comprendre que l'État islamique est messianique et a pour but de nous islamiser. C'est toute la différence entre chiisme et sunnisme. Les chiites ne sont pas messianiques, hors de la sphère musulmane. L'Iran n'a pas de volonté de conquête. La vraie ambition des sunnites fondamentalistes est au contraire d'aller toujours plus loin. 

    Le Maghreb pourrait-il à son tour être affecté ? 

    La Tunisie est une poudrière. En Algérie, la gérontocratie au pouvoir est en bout de course malgré le souvenir de la guerre civile qui fait que la population algérienne reste très hostile aux islamistes. Au Maroc, le roi commandeur des croyants a encore une légitimité auprès de sa population. Mais en profondeur l'islamisme radical gagne du terrain partout. À terme, toutes les frontières de la région pourraient exploser et laisser place à un super État islamique aux portes de l'Europe. 

    Pendant ce temps-là, nous débattons pour savoir si être islamophobe, c'est être fasciste. Le problème n'est pas là. À l'intérieur de l'islam, il y a désormais une faction qui recrute massivement et qui a décidé d'imposer sa propre vision du monde et de la société. Le fascisme d'aujourd'hui, c'est le djihadisme. Et il est à nos portes. La communauté musulmane doit en être consciente et prendre ses responsabilités. Elle se trouve, toutes proportions gardées, dans la même situation que les Allemands à la veille de l'arrivée au pouvoir d'Hitler. 

    L'avancée de Daech au Moyen-Orient est-elle inéluctable? Qui pourrait s'y opposer ? 

    Apparemment personne. Les frappes de la coalition, plus de quatre mille, ont été non seulement inefficaces, mais aussi contre-productives. Les djihadistes ont appris à se camoufler. À chaque dégât collatéral, les populations sunnites se rangent du côté de Daech. Les Kurdes sont les seuls jusqu'à maintenant à avoir pu réellement s'opposer à Daech et à avoir reconquis un petit territoire à Kobané. Mais il serait suicidaire pour eux d'aller affronter Daech hors du territoire kurde. Ils tiennent leur territoire et n'iront pas au-delà. L'Iran, bloquée par la Turquie, ne peut pas faire passer de troupes. Ce ne sont pas les Saoudiens ou les Turcs qui vont lutter contre Daech. L'ambiguïté turque et saoudienne demeure très importante. Le jour où adviendra un super État islamique, on peut être certain que la Turquie et l'Arabie saoudite continueront de composer, voire au-delà, avec eux. Daech est en train d'asphyxier tous ses adversaires. 

    Une intervention militaire au sol n'est-elle pas envisageable ? 

    Personne ne veut ou ne peut intervenir au sol. Barack Obama ne souhaite pas se mettre à dos son opinion publique et désire réduire le budget militaire. La défense européenne est entièrement soumise à l'Otan qui n'a aujourd'hui qu'un ennemi potentiel, la Russie. Quant à l'armée française, elle est exsangue et ne peut pas multiplier les opérations. Nous sommes au Mali et avons quelques forces spéciales ailleurs. Mais cela fait vingt ans que les gouvernements successifs réduisent le budget de la défense. Nous en payons le prix aujourd'hui. Les frappes de la coalition sont entièrement pilotées par les États-Unis. Les Américains manipulent les drones avec leurs opérateurs. Les autres membres de la coalition, dont l'Union européenne, ont seulement le droit à un petit bureau avec un poste de travail et deux écrans. Leur rôle se limite à un travail de présence et de surveillance. 

    L'instabilité de la région conduit les migrants à fuir en masse d'autant plus que la Libye est également en plein chaos. Comment résoudre le problème ? 

    Les opérations conjointes des marines européennes pour bloquer les flots de migrants sont une aimable plaisanterie. Les réseaux de trafiquants n'affrètent plus de gros bateaux, mais de petites embarcations. Ils ne mettent plus leurs hommes aux manettes, mais nomment un chef de groupe parmi les migrants qui sait vaguement conduire le bateau. Ils lui donnent le numéro d'urgence des gardes-côtes et au milieu de la Méditerranée, ces derniers viennent les sauver pour les ramener en Europe. Les trafiquants sont tranquilles et empochent des sommes considérables sans prendre de risque. 

    Deux solutions complexes sont avancées par les professionnels. La première est d'effectuer des frappes ciblées ou des raids par des commandos des forces spéciales pour détruire les navires au repos avant l'embarcation des passagers. Des problèmes risquent néanmoins de se poser: celui du cadre juridique -autorisation des dirigeants libyens, résolution de l'ONU- et celui des dégâts collatéraux. Est-ce que les médias et les opinions publiques européennes sont prêts à accepter des victimes innocentes parmi les migrants et dans les villages libyens? On peut se poser la question, mais on ne fait pas de politique avec des bons sentiments et une mentalité de bisounours. 

    La deuxième solution complémentaire est de tarir les flux à la source. Les réfugiés empruntent des pistes qui passent par le Mali, le Niger, le Tchad puis la Libye. Ils sont convoyés par des passeurs: les mafias, mais aussi l'État islamique, qui joue un rôle de plus en plus important. Les Européens doivent faire pression sur les pays africains, qu'ils aident, pour mettre de l'ordre. Si ces derniers n'en sont pas capables, ce sera à nous le faire. À long terme, il faudra également enfin mettre en place une vraie politique de développement en Afrique. Malheureusement pour le moment, les Européens se contentent d'accueillir toute la misère du monde et de faire pleurer dans les chaumières. Cela ne résout rien.    

    Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. Il a travaillé entre autres au Monde, à la Tribune et au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir.

    Dans son dernier livre, Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde ? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maitres sur la mondialisation : les Etats-Unis, la Chine et l'Allemagne.

    Alexandre Devecchio - Le Figaro

  • Brunich ou Muxelles ? Par François Reloujac

     

    Puisque notre monde décadent aime bien forger des mots nouveaux, soit à partir de sigles ou d’anagrammes soit en contractant deux mots, je vous propose aujourd’hui, au choix, « Brunich » ou « Muxelles », tant l’accord auquel les Européens sont arrivés dans la capitale belge rappelle ceux signés dans la capitale bavaroise en 1938.

    Il ne faut pas croire que les Grecs seraient les seuls endettés [1] en Europe ni les seuls à avoir triché pour entrer dans la zone euro – cette nouvelle forme du miroir aux alouettes. Ils sont aujourd’hui chargés comme le bouc émissaire grâce auquel certains espèrent échapper aux conséquences de leurs propres mensonges ; mais ils pourraient bien n’être que les premières victimes d’une utopie fondée sur la recherche du plaisir immédiat. En France, tout particulièrement, il serait bon d’y songer.

    La dette publique grecque (350 milliards d’euros), rapportée à chaque Grec, n’est pas plus importante que la dette publique réelle française, rapportée à chaque Français. On dit que les Grecs ont dissimulé certaines dettes. Oui, mais le hors-bilan officiel de la France (3 200 milliards d’euros) – non pris en compte dans la dette officielle (2 000 milliards d’euros) et s’y ajoutant – est tel que chaque Français « doit » aux créanciers internationaux plus que chaque Grec (plus de 85 000 euro par Français contre plus de 70 000 euros par Grec, si l’on peut faire confiance aux chiffres publiés). Et que l’on ne dise pas que ce calcul résulte d’un « amalgame » douteux parce que le hors-bilan de la France est essentiellement constitué par les retraites des fonctionnaires que, contre toute loi économique, le Gouvernement français s’est autorisé à ne pas provisionner. Pense-t-on vraiment que la France ne paiera pas les retraites des fonctionnaires ?

    On nous a dit aussi que le poids de la fonction publique en Grèce était insupportable… mais il est relativement moins élevé qu’en France. 25 % des Grecs ne payent pas l’impôt sur le revenu… ce qui n’est certes pas bien, mais en France plus de 50 % des ménages sont exonérés de ce même impôt, ainsi que des impôts locaux. Faut-il en conclure : Solidarité en deçà du Péloponnèse, corruption au-delà !

    On ne peut pas non plus effacer la dette des Grecs car ce serait un fâcheux précédent, nous dit-on. Mais, a-t-on oublié le sens de l’année jubilaire dont parle la Bible ? Souvenons-nous de la dette allemande. Il est vrai que cette dette a été effacée à la demande des Américains car cela servait leurs intérêts… et qu’ils possédaient la première armée du monde. Plus tard, lorsque l’Allemagne a organisé sa réunification, les Européens n’ont pas cherché à entraver leur décision politique par des arguties économiques. L’Allemagne n’a pas toujours été, au cours des dernières décennies, le champion économique qu’elle est devenue grâce à un euro géré à son profit exclusif, au recours à une main d’œuvre peu payée en provenance de l’Europe autrefois sous le joug communiste et à une subtile utilisation des règles européennes. Cette domination économique aussi écrasante que provisoire devra demain tenir compte d’une réalité qui la plombe, sa faiblesse démographique.

    La Grèce ne peut pas faire face à ses engagements – demain il en sera de même de la France – ; il y a donc deux attitudes possibles : que ses créanciers lui fassent rendre gorge jusqu’au dernier centime, quelles qu’en soient les conséquences ; que ses créanciers – notamment ceux qui ont prêté en pensant que les autres Européens se substitueraient à l’imprudent – acceptent de constater leur propre légèreté et considèrent que l’important est de sauver le débiteur autrefois euphorique car c’est à la fois la meilleure façon d’espérer recouvrer une (petite) partie de leur créance et de continuer à faire de (juteuses) affaires.

    Les Grecs vont devoir travailler au moins jusqu’à 67 ans avant de partir à la retraite. Et les Français ? Quant à la durée effective du travail, telle qu’elle est calculée par l’OCDE, elle n’est pas en faveur des Français[2]. Je sais, certes, qu’en Europe, on mesure officiellement le temps passé sur le lieu de travail et non pas le temps de travail effectif, mais ce n’est pas une raison suffisante. La mesure du temps passé sur le lieu de travail est en fait, non pas la mesure ni de la pénibilité du travail ni de la contribution à la richesse du pays, mais celle de la privation de liberté (car le régime « normal » du travail est désormais partout en Europe le salariat et non le travail indépendant). Sur ce chapitre, force est de constater que l’Europe a aussi imposé aux Grecs de travailler le dimanche.

    Si les Grecs ne remboursent pas, il pourrait en coûter quelques dizaines de milliards aux contribuables français : moins que la charge des intérêts annuels relatifs à la dette contractée en France pour permettre à ses « élites » de vivre au-dessus de leurs moyens. Et bien moins que ce qu’il faudra payer lorsque les taux d’intérêt commenceront à remonter ce qui pourrait arriver avant la fin de l’été lorsque la FED américaine commencera à le faire, comme l’a promis Janet Yellen.

    Parmi les dernières trouvailles des égoïstes qui ne veulent pas entendre parler de la dette grecque, on nous sert le coût des Jeux Olympiques d’Athènes… au moment même où Paris pose sa candidature pour de prochains Jeux. La France pense-t-elle vraiment qu’elle va pouvoir équilibrer le coût de cette opération [3] ? Ou, imagine-t-on que ceux qui posent cette candidature se disent que c’est un autre parti qui aura à apurer la facture ?  Ou pensent-ils encore que, compte tenu de l’importance de l’épargne antérieurement accumulée par chaque Français, on pourra sans difficulté majeure la ponctionner un jour pour sauver des établissements financiers « too big to fail« , comme on l’a fait à Chypre et comme chaque pays européen doit désormais l’inscrire dans sa législation nationale ? Peut-être qu’auparavant on imaginera que la France pourrait vendre la Tour Eiffel au Qatar pour recapitaliser BPCE, Crédit Agricole, BNP ou Société Générale !

    Oui, la Grèce a maquillé ses comptes pour entrer dans l’euro (avec l’aide de Goldman Sachs dont l’un des plus brillants représentants était un certain Mario Draghi, aujourd’hui patron de la BCE) mais qu’en est-il des autres Etats, France et Allemagne en tête ? Et combien tout cela a-t-il rapporté à la banque américaine ?

    Deux questions iconoclastes pour en finir sur ce volet économico-financier de la crise – car nous n’aborderons pas ici la question sous l’angle politique[4] autrement que pour constater que l’Europe a ajouté une nouvelle manière de respecter le vote (à plus de 60 %) de tout un peuple : en le tenant pour nul, sans même se donner la peine d’exiger du pays qu’il « revote » ! Qu’est-ce que l’euro apporte véritablement aux peuples ? [5] Et, combien les Corréziens doivent-ils aux contribuables de la région parisienne depuis que ces deux « entités » appartiennent la « même zone économique » et utilisent une même « monnaie unique » [6] ? 

     


    [1] Sans tenir compte, bien entendu de la dette privée de chacun des agents économiques individuels.

    [2] En 2008, les Grecs travaillaient en moyenne 2 120 heures contre 1 760 pour la moyenne des autres Etats européens. Depuis la différence ne s’est pas améliorée au profit des Grecs.

    [3] Car si les prêts accordés par les banques « françaises » ou « allemandes » (une vingtaine de milliards d’euros) pour permettre ces Jeux ont essentiellement bénéficié à des entreprises de BTP françaises ou surtout allemandes (à l’époque, on a même dit que cela permettait de « sauver » certaines entreprises allemandes, principales bénéficiaires de l’opération), il n’en sera pas forcément de même demain.

    [4] Milton Friedman croyait, autrefois, qu’en cas de choc entre la « Souveraineté nationale » et la monnaie, la première l’emporterait toujours sur la seconde. Pourquoi s’est-il trompé ? Quelles en seront les conséquences demain ?

    [5] En dehors du dernier choix laissé aux peuples entre implosion ou explosion ?

    [6] Comme l’a écrit J. Savès sur le site www.herodote.net, « un bourgeois de Strasbourg est infiniment plus solidaire d’un habitant de Mayotte, malgré tout ce qui les sépare, que son voisin de Fribourg, malgré tout ce qui les rapproche, parce qu’il partage avec les premiers les mêmes droits civil, fiscal, social, etc., et ne partage rien avec le second ».

     

  • Déchéance de la nationalité : et après ?

     

    par François Marcilhac

     

    500021990.jpgLes vœux qu’il a adressés à ses « cher-e-s compatriotes » (sic), ainsi qu’il est désormais écrit sur le site de l’Elysée par soumission au lobby paritariste, n’ont fait que confirmer le déni de réalité dans lequel se situe Hollande, qui refuse toujours de désigner l’ennemi, l’islamisme, au moment même où il réaffirme que nous sommes confrontés sur notre sol à des actes de guerre.  

    Une guerre sans ennemi, alors ? Non, puisque nous sommes avant tout « victimes du fanatisme » et que « nous diviser, c’est ce que cherchent les extrémistes » : il ose ainsi englober dans une même dénonciation subliminale à la fois l’Etat islamique et le Front national, tous deux évidemment « extrémistes » et se nourrissant l’un l’autre — un « élément de langage » que certains « experts » politiquement corrects n’ont pas hésité à asséner, après les massacre du 13 novembre, pour prévenir la montée de l’ « extrême droite » aux régionales du début décembre. Ou quand, derrière le masque du chef de l’Etat, dont le « premier devoir  » serait de « protéger » les Français, se révèle le vrai visage du politicien qui n’hésite pas à insulter près de 7 millions d’électeurs en leur déclarant que leur vote fait le jeu des terroristes.

    HOLLANDE- PÉTAIN : MÊME COMBAT ?

    Pourtant ne se voit-il pas, dans le même temps et, qui plus est, dans son propre camp, comparer au Maréchal Pétain — horresco referens — en raison de son entêtement à introduire dans la prochaine réforme constitutionnelle la déchéance de nationalité y compris pour les binationaux nés français ? Et voici qu’on nous resserre Vichy et les-heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire ! Valls se serait bien passé de cette couleuvre à faire avaler à une gauche du parti socialiste qui y voit, à juste titre du reste, une rupture avec ses « valeurs » et est prête à en faire un casus belli. Car la question essentielle, pour la gauche qui se vit sous le mode de l’authenticité, n’est pas de savoir si, pour introduire cette mesure, il est nécessaire ou pas de toucher à la Constitution. La déchéance de la nationalité, avec laquelle la gauche n’a jamais été très à l’aise — la socialiste Guigou en a réduit la portée en 1998 sous le prétexte fallacieux de la conformer à nos engagements internationaux — contredit en effet cette inversion des valeurs qui la caractérise et lui fait refuser, par principe, aujourd’hui l’extension de la déchéance de nationalité comme, hier, la peine de mort. Pour la gauche, en effet, l’assassin de droit commun ou le terroriste sont des victimes avant d’être des criminels, ce sont mêmes les vraies victimes car ils le sont d’une société injuste, d’exclusion, voire d’ « apartheid  », comme l’a soutenu Valls en janvier dernier, après les premiers attentats terroristes. La société est la première coupable et les apparentes « victimes » des assassins et des terroristes ne sont en fait que les victimes collatérales d’une situation sociale insupportable. Dans ces conditions, comment déchoir de leur nationalité des Français binationaux qui n’ont été conduits à commettre leurs actes « fanatiques » ou « extrémistes » que parce qu’ils ont été eux-mêmes victimes du manque de vivre-ensemble, du rejet de l’autre, de l’intolérance envers leur différence, du racisme, des fausses valeurs identitaires d’une « France moisie », etc., etc. ? Et demain, en revanche, comment plaindre un peuple qui, s’il réagissait par un vote « extrémiste » contre ce patriotisme d’ « ouverture au monde », au nom duquel « nous avons bâti l’Europe  » — car telle est la définition idéologique de la patrie pour Hollande —, nous conduirait tout droit à la « guerre civile », si on en croit le premier ministre ? Ces Français moisis ne l’auraient-ils pas cherché ? Ils auraient en tout cas été prévenus.

    C’est pourquoi, si cette extension de la déchéance de nationalité est, théoriquement, contraire aux « valeurs » de la gauche, celle-ci aurait tort de trop s’inquiéter. Tout d’abord, les Français mononationaux et les Français binationaux sont « dans des situations objectivement différentes – les premiers ont une seule nationalité, les seconds deux – et les traiter différemment ne porte pas atteinte au principe d’égalité », — autre sacro-saint principe de la gauche —, comme le reconnaît Dominique Rousseau, professeur de droit, dans Libération du 31 décembre dernier. Une égalité que le projet de Hollande renforce au contraire entre natifs et naturalisés. Ensuite, Hollande n’envisage nullement de restreindre parallèlement ni le nombre massif de naturalisations ni le déferlement migratoire, bien au contraire. Enfin, le Gouvernement, par cette mesure dont le caractère symbolique constitue ou, plutôt, devrait constituer toute l’efficacité réelle, entend surtout placer la droite dans une position difficile tout en flattant une opinion très favorable à la mesure, sans pour autant donner à cette extension toute sa portée. Car sa portée effectivement symbolique — « c’est justement pour cela qu’elle semble plébiscitée par l’opinion » remarque finement, dans Le Figaro du 4 janvier, le sociologue québécois Mathieu Bock-Côté, spécialiste du multiculturalisme — ne serait pas sans conséquence concrète si elle se traduisait par des expulsions réelles. Or la loi actuelle n’est déjà pas appliquée, notamment en raison de recours devant la justice européenne. Mais aussi parce que la justice française et l’Etat français refusent de l’appliquer, en particulier le cinquième alinéa de l’article 25 du code civil, qui prévoit qu’un individu ayant acquis la nationalité peut la perdre « s’il a été condamné en France ou à l’étranger pour un acte qualifié de crime par la loi française et ayant entraîné une condamnation à une peine d’au moins cinq années d’emprisonnement ». Combien d’apprentis terroristes auraient pu être expulsés avant même qu’ils ne se radicalisent ou n’aient été « fanatisés », si cet alinéa n’était pas systématiquement oublié ? Et si Sarkozy, en mondialiste de gauche qu’il est foncièrement, n’avait pas supprimé en 2003 la prétendue double peine pour des étrangers naturalisés ensuite par brassées ?

    LA FRANCE EST TOUT SAUF UN CONCEPT

    Mais cette question pose celle, plus essentielle encore, de la bi-, voire de la multi-nationalité. Que signifie obéir à une double, voire à une multiple allégeance ? Et est-il normal que l’Etat lui-même ignore le nombre de « Français » soumis à des allégeances étrangères — plusieurs millions ? Enfin, que peut signifier encore le jus soli, qui n’est pas, d’ailleurs, un principe constitutionnel, quand on n’a plus la maîtrise de son sol et qu’on est submergé par une déferlante migratoire imposée par l’oligarchie mondialiste ?

    Si la république réduit la nationalité à son aspect juridique — en ce sens elle a fait de tous les Français des Français de papiers —, c’est qu’elle n’en a qu’une conception idéologique, qu’elle résume au partage de valeurs dont l’universalité abstraite, valant pour tous, ne peut du même coup valoir pour définir ce particulier qu’est la nation — un particulier qui ne contredit pas l’universel mais n’est pas l’universel. C’est pourquoi elle contraint les Français à vivre leurs prétendus « échecs » par rapport aux exigences morales auxquelles elle résume la France sous le mode d’une repentance masochiste et de la dissolution de leur identité. Puisse cette question de la déchéance de la nationalité avoir au moins pour effet de rouvrir le débat sur ce que signifie être Français aux seuls plans qui comptent : spirituel, culturel, historique. Car la France est tout sauf un concept et s’en faire une certaine idée, c’est déjà la travestir en une imposture idéologique. 

    L’Action Française 2000

  • Pierre Boutang et la permanence de « L'espérance royale » : celle de Maurras, la sienne, la nôtre ...

     

    [Lafautearousseau - Actualisé le 14.01.2016]

    Dans son prélude au livre essentiel qu'il a écrit sur Maurras* - ouvrage sans-doute trop volumineux et souvent trop difficile pour que beaucoup d'esprits fassent l'effort de s'y arrêter vraiment - Pierre Boutang dit ce que fut l'espérance royale de Charles Maurras, mais aussi la sienne propre, et conséquemment la nôtre, nous qui gardons, dans le contexte actuel, la foi politique qui fut la leur, comme de beaucoup d'autres. Une foi et une espérance politiques purement d'Action française. Ce texte, dont nous publions plus loin quelques extraits, nous paraît en effet en particulière concordance avec l'évolution en cours d'un certain nombre d'esprits importants, soit qu'ils se livrent à une forme très nette de remise en cause des valeurs républicaines, de la République en soi-même, soit qu'ils posent, très clairement, la question du régime et évoquent le manque de Roi, à l'instar d'Emmanuel Macron, ministre de l'Economie en exercice. Ainsi, la monarchie réapparaît, une fois de plus, comme le dit Boutang, sinon immédiatement à l'horizon du possible, du moins au cœur du débat public  Dans un contexte et un langage actuels, comme il est normal. Et si l'idée monarchique ne cesse pas d'être sous-jacente à la réflexion politique contemporaine, on verra ce qu'elle doit, selon Boutang, à la démonstration puissante, répétée pendant un demi-siècle, par Maurras et par l'Action française selon laquelle la République ne remplit pas les conditions minimales d'un Etat. Tel est en tout cas le constat que font aujourd'hui, selon des voies diverses, nombre de personnalités dont il serait aisé de réunir les noms et les textes. Dans les crises de toute nature où se débat le régime, ces avancées de l'hypothèse monarchique ne sont pas négligeables. Tout au contraire.  LFAR  

     

    4110103012.jpgDans cet ordre, sans doute [l'espérance royale], il n'a jamais pensé qu'à faire. Ses pires insulteurs sont ceux qui feignent de douter qu'il ait, de toutes ses forces, voulu le Roi, comme il voulait la patrie. Encore un coup, Péguy était bon juge, espérait même qu'il y eût quelqu'un pour vouloir la République comme Maurras voulait le Roi, et a dit la conviction que cet homme était prêt à mourir pour ce Roi qui ne meurt pas, qui accompagne la patrie; pour Celui, tout autant, qui, de manière fixe, destinée, figure, pour une ou deux générations cette escorte des siècles. Croyez-vous, jeunes gens, que, parce qu'il le démontre avec tout l'éclat du Même et du Logos, il y adhère moins ? Ça ne serait vraisemblable que pour un qui se distinguerait de sa pensée. Il voulait même que le Roi voulût régner, autant et plus qu'il prouvait sa nécessité. 

    […] Plusieurs décennies ont passé depuis sa mort, et nous avons recom­mencé, cessé, et puis recommencé; nous avons, quelques-uns, roulé le rocher de Sisyphe qu'est, au regard étranger, pas au nôtre, la monarchie. 

    Possible que cela prête, au moins, à sourire, n'est-ce pas ? Nous en souririons nous-mêmes, s'il n'y avait l'espérance qui crie en nos petits-enfants. Oui, comme a dit ce vieil et pur camelot du roi de Bernanos, « autour des petits garçons français penchés ensemble sur leurs cahiers, la plume à la main, et tirant un peu la langue, comme autour des jeunes gens ivres de leur première sortie sous les marronniers en fleur, au bras d'une jeune fille blonde, il y avait ce souvenir vague et enchanté, ce rêve, ce profond murmure dont la race berce les siens ». Il y avait ? Il y a : chaque fois que naît un enfant dont on sait déjà que, bientôt, il saura dire son ave Maria, et le long d'un clair ruisseau buvait une colombe. 

    Déon Fig Mag 1.jpgJe l'admets, Maurras n'a pas réussi à ramener le Roi. Il a travaillé « pour 1950 », et voici bientôt l'an deux mille, et si le Roi n'est pas ramené, notre foi politique est vaine. 

    […] Mais, d'abord, il y a un sens où le retour du Roi n'a nullement été étranger à son action et à sa preuve. Certes nos Princes n'échappent pas à la cruelle loi d'exil grâce à la force ou la ruse de l'Action française. Simplement l'Idée du Roi, sans laquelle on ne sait pas qui rentre, sans laquelle nos Princes eux-mêmes ne l'auraient pas toujours su, cette Idée-là dormait au cœur de la forêt historiale sans que personne eût le souci ni les moyens de la réveiller. 

    Ensuite l'auteur de l'Enquête n'a jamais douté que l'instauration et la consolidation d'une monarchie moderne — ou affrontée au monde moderne — ne dût être l'œuvre du Prince lui-même, et de son charisme qui dépasse la raison, du moins toutes les raisons. 

    Toutefois […] nous avons été « jetés en monarchie », en quasi-monarchie par un Charles De Gaulle très conscient des prolongements nécessaires pour que son œuvre ne fût pas, à long terme, un échec pire que celui de la république qu'il avait « ramassée dans la boue » en 1944 et déposée en 1958... 

    Enfin deux ordres de réalités concomitantes doivent être considérés à propos de Maurras : 

    D'une part, en remontant du salut public […] jusqu'à sa condition royale, il a pu ériger la preuve puissante, jamais réfutée, que la république en France, règne du nombre, des partis, et, à travers eux, de l'or et de l'Étranger, ne remplissait pas les conditions minimales d'un État; qu'elle ne pouvait donc masquer sa nullité politique que par une tyrannie administrative et bureaucratique vouée à défaire la nation. Il en résultait que l'avantage majeur de la monarchie serait de n'être pas la République, de combler son vide par la présence d'une personne douée, en général et au moins, des attributs de l'humanité, la raison de « l'animal rationnel mortel » et la responsabilité. 

    Sans cette démonstration, répétée pendant un demi-siècle, la monar­chie n'aurait pu apparaître à l'horizon du possible. 

    D'autre part le royalisme maurrassien a trouvé sa forme supérieure, et sa composition stable, (la seule qui pût avoir des prolongements positifs, hors de la simple critique de la religion et de la non-politique démocratiques) chez ceux qui, ou bien avaient conservé une fidélité monarchique, tout endormie et désespérée qu'elle fût, ou bien, dans l'Armée, l'Église, et quelques réduits de l'Intelligence critique et de l'Université, ne voyaient pas chez le Roi la simple négation de la République, mais une personne vivante, l'héritier des fondateurs de la patrie. 

    Maurras avait dû, sans jamais oublier ce royalisme, où ne s'opposent jamais l'intelligence et le cœur, mettre l'accent sur la preuve négative, creuser et miner la démocratie parlementaire dont les ruines pouvaient seules, une fois déblayées, laisser la place à la monarchie moderne. Cela étant fait, et bien fait, cette critique ayant pénétré dans le subconscient de toutes les familles politiques, un fait nouveau, aussi inattendu que, pour les marxistes orthodoxes avant Lénine la Révolution dans un seul pays, apparut : non seulement le Roi se concevait comme négation effective de la République sans tête ni cœur, mais l'accession au pouvoir souverain, peut-être sous une forme nouvelle, d'un Capétien, fils de saint Louis, sortait de la simple spéculation**. 

    * Maurras, la destinée et l'œuvre, Plon, 1984

    ** Boutang évoque ici - et plus loin - la volonté de régner du Comte de Paris (Henri VI) et son action. De même la persistance des Princes de la Maison de France à assumer "la tradition qu'il (leur) a été donné d'incarner".

  • Rétro 2015 • Civilisation, ce mot si souvent brandi en 2015 mais dont le sens profond nous échappe largement

     
     
    Guerre de civilisations ? Défense de la civilisation ? A la suite des attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, le mot de civilisation s'est retrouvé dans tous les discours des politiques et des intellectuels français. Mais en connaît-on véritablement le sens ? Retour sur l'histoire d'un mot et tentative de définition.
    Telle est, du moins, ici, l'intention de Christophe Dickès et tel est l'objet de sa réflexion, qu'il mène à partir de la pensée de Jacques Bainville. Ce dernier serait sans-doute assez surpris que l'on tente de résumer son pessimisme et peut-être son espoir pour l'avenir de notre civilisation par la formule de Jean d'Ormesson citée par Christophe Dickès : « Le seul salut ne peut venir que de l’entreprise » ! Mais, de fait, l'analyse que nous livrons à la réflexion de nos lecteurs ne s'en tient heureusement pas là. Il faut donc lire l'ensemble de cette chronique qui, bien entendu, n'épuise pas le sujet ... LFAR
     

    dickès.pngA la question de savoir quel a été le moment le plus important de l’année 2015, il me semble qu’il ne s’agit pas d’un événement en particulier, mais plutôt d’un mot : celui de civilisation. Ce mot avait beaucoup été utilisé au lendemain des attentats du 11 septembre. On parlait alors du choc des civilisations, en écho au célèbre livre de Samuel Huntington.

    Depuis plus d’un an, la progression dans l’horreur des islamistes de Daech a amené nos hommes politiques à adopter l’idée d’une « défense de la civilisation ». Après Nicolas Sarkozy au mois de janvier dernier, Manuel Valls a franchi le Rubicon en évoquant à son tour la guerre de civilisation au mois de juin : « Nous ne pouvons pas perdre cette guerre parce que c’est au fond une guerre de civilisation. C’est notre société, notre civilisation, nos valeurs que nous défendons ». Le 14 juillet dernier, ce fut au tour de François Hollande de nous expliquer que nous étions face à des groupes qui « veulent remettre en cause les civilisations ». Par l’utilisation du pluriel, l’affaire se compliquait quelque peu... De son côté, et bien avant tout le monde, Christiane Taubira se réjouissait du changement de civilisation opéré par le mariage entre personnes de même sexe. Une civilisation serait donc à géométrie variable. Mais au fond qu’est-ce donc que la civilisation ? 

    En son temps, c’est-à-dire au début du XXe siècle, l’historien et journaliste Jacques Bainville (1879-1936) tenta de la définir en se posant la question de son avenir. Il le fit en 1922, c’est-à-dire au lendemain de la Grande Guerre, considérée à l’époque comme le plus grand traumatisme de l’histoire européenne. Il rappelait à juste titre que le mot de civilisation s’était répandu en Europe au XIXe siècle, c’est-à-dire à une époque de progrès scientifique, industriel et commercial : « La conception du progrès indéfini concourut à convaincre l’espèce humaine qu’elle était entrée dans une ère nouvelle, celle de la civilisation absolue. » Mais, pour Bainville, confondre progrès et civilisation était une erreur : le progressisme lyrique de Victor Hugo et le scientisme d’Auguste Comte ont été ensevelis dans la boue des tranchées de 1914. La guerre de masse rappela à l’espèce humaine que le progrès n’était pas si indéfini… A l’orgueil et à l’ivresse s’étaient substituées la mort et les souffrances, la peur et les angoisses. Conscient de la fragilité du monde dans lequel il vivait, Bainville constatait : « Nous voulons bien croire encore, par un reste d’habitude, au progrès fatal et nécessaire. Mais l’idée de régression nous hante, comme elle devait hanter les témoins de la décadence de l’empire romain. »

    La civilisation n’a donc rien à voir avec le progrès. Elle était pour lui comme la santé, destinée à un équilibre instable : « C’est une fleur délicate. Elle dépend de tout un ensemble de conditions économiques, sociales et politiques. Supprimez quelques-unes de ces conditions : elle dépérit, elle recule ». Et il ajoutait plus loin : « La réalité que l’on avait oubliée ou méconnue et qui se rappelle à nous cruellement, c’est que la civilisation, non seulement pour se développer, mais pour se maintenir, a besoin d’un support matériel. Elle n’est pas dans les régions de l’idéalisme. Elle suppose d’abord la sécurité et la facilité de la vie qui suppose à son tour des Etats organisés, des finances saines et abondantes. » Et c’est ici que Bainville donne la définition de la civilisation. Elle est, écrit-il, « un capital. Elle est ensuite un capital transmis. Car les connaissances, les idées, les perfectionnements techniques, la moralité se capitalisent comme autre chose. Capitalisation et tradition, - tradition c’est transmission, - voilà deux termes inséparables de l’idée de civilisation. »

    Il peut paraître étonnant de la part de Bainville, historien et spécialiste des relations internationales, d’associer l’idée de civilisation en partie à des nécessités économiques. Pourtant, c’est oublier qu’il fut, dans l’histoire de la presse, un des tous premiers journalistes économiques, collaborateur du journal libéral Le Capital. A cet égard, il offre bien des leçons pour notre temps et n’aurait pas été dépaysé sous la présidence de François Hollande et le gouvernement de Manuel Valls : il blâmait les rigueurs du fisc qui empêchait l’investissement ; il souriait de la fuite des capitaux en rappelant l’histoire de Voltaire que l’on considérerait aujourd’hui comme un exilé fiscal ; il soutenait le sort des classes moyennes « qui sont le plus solide support de la civilisation » contre l’Etat-providence. Il a même fustigé ces socialistes qui menacent la finance quand ils sont dans l’opposition, pour mieux la solliciter arrivés au pouvoir : « On menace, on épouvante d’abord les capitaux, on court ensuite après eux. On montre le poing aux banques dans l’opposition. Au pouvoir, et quand le Trésor est à sec, on sollicite l’aide des banquiers. » Dans une émission de radio, Jean d’Ormesson, à qui l’on demandait ce qu’impliquait « Changer de politique », le slogan de la soirée électorale du 13 décembre dernier, lança laconique : « Le seul salut ne peut venir que de l’entreprise. » Un constat très bainvillien en somme que ne semble pas comprendre notre gouvernement.

    Néanmoins, l’enseignement de Bainville a ses limites. En effet, il aurait été surpris par les fractures sociale et sociétale de notre époque, tout comme par le développement du communautarisme. La France du début du XXe siècle, c’est-à-dire la France de la IIIe République gardait une identité forte incarnée dans l’éloquence de ses hommes politiques, de ses gens de Lettres et ses hommes de presse. C’était un temps aussi où l’on respectait le professeur dont le rôle était de transmettre un savoir et non d’éduquer des enfants. La IIIe république entretenait aussi le culte du passé. De tout le passé, sans exception. A La Sorbonne, l’amphithéâtre Louis Liard qui date des premières années du régime républicain, un des plus beaux d’Europe, incarne cette conception assumée de notre histoire : on y voit le portrait en pied de Richelieu au-dessus de la chaire principale et, dans les médaillons, on reconnaît Pascal, Bossuet, Descartes, Racine, Molière et Corneille. L’âme française. Bainville pleurerait de voir que la civilisation est aujourd’hui aux mains d’amateurs plaçant le latin comme un « enseignement de complément » selon le jargon du Ministère de l’Education nationale.

    Bainville, qui associait nécessités de la politique intérieure et défis de la politique étrangère, croyait aux permanences dans l’histoire. Pour cette raison, son œuvre, qui ne cesse de puiser des exemples dans le passé, reste profondément contemporaine. C’est peut-être pour cette raison que depuis sa mort en 1936, elle a été rééditée par les plus grandes maisons de la place parisienne[1]. Si Bainville avait vécu de nos jours, il aurait été classé dans le camp des « déclinistes » aux côtés de Zemmour, Lévy, Rioufol ou de Villiers. Pourtant, il rappelait que « le pessimisme, cause de découragement pour les uns, est un principe d’action pour les autres. L’histoire vue sous un aspect est une école de scepticisme ; vue sous un autre aspect, elle enseigne la confiance. » L’année 2015, elle, nous aura enseigné une leçon oubliée, celle de la fragilité des temps. Il ne tient qu’à nous de redonner à notre civilisation toute sa force.   

    [1] Bainville, La Monarchie des Lettres (anthologie), Robert-Laffont, coll. Bouquins, 1184 pages, 30,50€.

    Historien et journaliste, spécialiste du catholicisme, Christophe Dickès a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège chez Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il est également l'auteur de Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde (Tallandier).

    Atlantico

  • Robert Redeker : « Le but de la politique est la continuation de la nation dans la durée »

     

    Par Alexis Feertchak

    Le mot de « valeur » est prisé à gauche comme à droite. Le philosophe Robert Redeker dénonce dans l'entretien qui suit l'usage de ce terme galvaudé qui dissimule une faillite de la politique et le triomphe du vide idéologique [Figarovox, 16.12]. Sachons reconnaître que lorsque nombre d'intellectuels qui publient, s'expriment dans les grands médias, ont une audience importante, tiennent le discours qu'on va lire, s'insurgent à ce point contre la pensée dominante, lui opposent une contre-culture cohérente et forte, l'on a bien affaire à cette percée idéologique dont parle Buisson. Et dont il dit avoir la certitude qu'elle portera ses fruits. Notre avis est que c'est là un espoir qui - pour cette fois - n'est pas illégitime.  Lafautearousseau   

     

    Le mot « valeur » est partout en politique. On parle sans cesse des valeurs de la République. Qu'y a-t-il derrière l'omniprésence de ce mot ?

    Pas grand-chose de consistant. Les valeurs ne sont ni des idées, ni des concepts, ni des principes. L'invocation politique rituelle des valeurs est une mode très récente. Plongez-vous dans la littérature politique d'il y a une trentaine d'années seulement, écoutez les discours d'alors, vous constaterez l'absence de ce recours obsessionnel aux valeurs. Au lieu de révéler ce que l'on pense, le mot valeur le dissimule. Pourquoi ? Parce qu'il est aussi vague qu'abstrait. Il peut aussi cacher que l'on ne pense rien du tout, que l'on n'a pas de conviction arrêtée, justifier tous les revirements. Le même Premier ministre peut au nom des valeurs user et abuser du 49.3 avant de mettre à son programme présidentiel la suppression de ce 49.3 pour honorer ces valeurs !

    De trop nombreux politiciens sombrent dans l'illusion suivante : les valeurs sont les buts de l'action politique. Pourquoi faire de la politique ? Pour les valeurs ! C'est-à-dire pour du vide ! Funeste erreur ! On fait de la politique pour la nation, pour la France, pour le peuple, pour le social, pour l'histoire, jamais pour des valeurs. Les valeurs ne constituent ni la réalité d'un peuple ni un projet de société, ces objets de la politique. Elles sont trop inconsistantes pour définir un projet de cette nature. Les valeurs ne sont que le cadre à l'intérieur duquel la politique peut se déployer. Elles ne sont pas un programme, elles sont des bornes. Les valeurs sont hors politique, elles sont extrapolitiques. Loin d'avoir affaire aux valeurs, la politique rencontre les projets, les réalités et, par-dessus tout, la nation et le souci du bien commun.

    À gauche particulièrement, ce mot est dans toutes les bouches...

    La rhétorique creuse des valeurs est le linceul dans lequel a été enveloppé le cadavre de la gauche. C'est une thanatopraxie, le maquillage du cadavre. Cette fatigante psalmodie sur les valeurs évoque les récitations funéraires. C'est parce qu'elle est morte, parce qu'elle n'a plus rien à dire, plus rien à proposer pour l'avenir à partir de son passé (le socialisme), que la gauche se gargarise, de tréteaux en tribunes, avec les valeurs. Les valeurs fournissent la matière d'une péroraison se substituant aux défuntes promesses de socialisme (le progrès social, l'émancipation dans et par le travail). La thématique des valeurs est le dispositif que la gauche a bricolé pour basculer de la défense des classes populaires (« les travailleurs » comme, elle disait d'un mot que symptomatiquement elle n'emploie jamais plus) vers celle des minorités sexuelles et ethniques. La gauche a abandonné son projet social (réaliser la justice économique) pour lui substituer un projet anthropologique (l'exaltation des différences sexuelles et culturelles). Le discours sur les valeurs a permis de prendre ce virage. Autrement dit, l'invocation des valeurs est le moyen trouvé par la gauche pour abandonner les classes populaires. L'extrême-droite récupère la mise. Dernier point : ce discours sur les valeurs est aussi l'instance qui la dispense la gauche du devoir d'inventaire. La ridicule prestation de Ségolène Royal aux obsèques de Fidel Castro est, à cet égard, pleine d’enseignements : la gauche ne parvient pas à condamner totalement certaines dictatures sanguinaires, donc à liquider l'inventaire, parce que celles-ci ont prétendu s'appuyer sur les idéaux (l'égalité, la justice, le partage, etc.…) dont elle se veut le bras armé.

    Lors de la primaire de la droite, les électeurs étaient invités à signer la charte des valeurs de la droite et du centre. Pour exprimer leur souhait que la droite retrouve son identité, beaucoup évoquent la « droite des valeurs ». Est-ce le bon chemin que la droite emprunte ?

    Je réponds en trois temps. D'une part, la droite s'est laissé imposer par une gauche pourtant en coma dépassé l'obligation d'en appeler sans cesse aux valeurs. Par la reprise de cette thématique, la droite se croit obligée de répliquer aux accusations permanentes d'anti-républicanisme et au soupçon larvé de racisme, de fascisme, voire d'inhumanité, que la gauche fait peser sur elle. Nous avons dans ce soupçon et dans la propension de la droite à y répondre, l'ultime résidu de feu l'hégémonie idéologique de la gauche. Mieux : la dernière métastase de l'antifascisme. D'autre part, évoquer des « valeurs de droite » revient à les relativiser. Le relativisme pointe le bout de son nez dès que l'on latéralise politiquement les valeurs. Si des valeurs existent, elles sont universelles. Il est plus pertinent de parler d'idées et de programmes de droite ou de gauche.

    À ces deux remarques il faut ajouter une précision. Les valeurs ne sont pas le contenu de l'action politique, mais ses frontières. Elles ne disent rien de positif, elles tracent des limites. Elles définissent un intérieur et un extérieur. La laïcité, par exemple, que l'on hisse au statut de valeur, est une telle frontière : elle exprime une limite à ne pas dépasser dans l'expression publique d'un sentiment religieux. À l'image de toutes les valeurs elle fonctionne comme le démon de Socrate : une voix intérieure qui dit non. Ainsi de toutes les valeurs. Ces frontières s'imposent à la droite comme à la gauche.

    Une civilisation est-elle définie par des valeurs, des coutumes, des attachements ?

    Pas uniquement. Les aspects dont vous parlez procurent à l'existence collective d'un peuple sa couleur, sa particularité. Si on se limite à ces aspects, on parlera plutôt d'une culture. La culture, toujours particulière, toujours bornée, toujours nationale, est le terreau à partir duquel une civilisation peut germer et se développer. Une civilisation se définit par ce qu'elle donne au monde, et qui est pourtant marqué du sceau de la culture qui la nourrit. La France donne au monde, entre autres choses, Molière et Stendhal, dont les œuvres n'auraient pu voir le jour ailleurs. Elle donne au monde son architecture, sa musique, ses savants, et même sa gastronomie… C'est le don irremplaçable, insubstituable, qui définit une civilisation plutôt que seulement ses valeurs et coutumes.

    La référence aux valeurs va souvent de pair avec le discours « droits-de-l’hommiste ». N'y a-t-il pas un paradoxe entre des valeurs qui peuvent impliquer une forme de relativisme et des droits de l'homme qui sont considérés comme naturels et objectifs, dépassant les volontés humaines ?

    Les droits de l'homme, devenus les droits humains, sont une invention métaphysique du XVIIIe siècle. Ils sont suspendus dans les nuées. Ils servent de principes structurant l'action politique, et non, comme les valeurs, de frontières. Ils sont affirmatifs, positifs, et non limitatifs, négatifs. La différence est alors celle-ci : posés au départ, les droits de l'homme ne sont pas déduits, ils sont une hypothèse politique, tandis que les valeurs sont un résultat, une construction politique. Plutôt que de paradoxe, je parlerai de jeu, comme d'un roulement à billes « qui a du jeu » : une valeur comme la laïcité trace la frontière que la liberté de penser et de croire, comprise dans les droits de l'homme, ne peut dépasser. Néanmoins il faut éviter d'être la dupe de ces droits de l’homme : ils n'ont rien d'évidents ni de nécessaires, ils sont une illusion métaphysique propre à une certaine civilisation. Ils n'auraient pu être inventés ailleurs que dans l'Europe chrétienne et rationaliste. Ils sont enfants d'une certaine civilisation, la nôtre. Ils ne sont pas universels, mais universalisables.

    L'histoire est faite de mots comme la nation ou la République qui sont davantage des êtres voire des personnes morales et fictives que des concepts ou des idées. Diriez-vous que l'abus du mot « valeur » traduit une certaine impuissance du politique, qui n'est plus en prise avec le réel ?

    Guettée par le relativisme, souvent thanatopraxique, la péroraison sur les valeurs fait oublier l'essentiel, qui est ceci : le but de la politique est d'assurer la survie d'un peuple dans la durée malgré les vicissitudes et selon le souci du bien commun. La République est une structure politique, qui dans notre histoire s'est appelée tantôt monarchie, tantôt empire, ou tantôt « république » (au sens de démocratie). La nation est l'âme de cette structure. C'est une âme qui survit à chaque vie individuelle qu'ainsi qu'aux différents états de la République (les régimes politiques). C'est aussi une âme fragile, qui peut disparaître si on ne la nourrit pas (par la transmission). Qu'est-ce que l'éducation publique sinon une forme de transmigration de cette âme, la nation, qui renaît de génération en génération ? L'éducation est bel et bien une métempsychose politique. Le but final de la politique est la continuation de la nation dans son originalité irremplaçable par-delà l'existence et les intérêts de chacun. C'est de cela bien plus que des valeurs que gauche et droite doivent parler. 

    « La culture, toujours particulière, toujours bornée, toujours nationale, est le terreau à partir duquel une civilisation peut germer et se développer »

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    Professeur agrégé de philosophie, Robert Redeker est écrivain. Il a notamment publié Le soldat impossible (éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2014) ; Bienheureuse vieillesse (éd. du Rocher, 2015) et dernièrement L'École fantôme (éd. Desclée De Brouwer, 2016). 

    Alexis Feertchak  

  • Exposition • Les aventures de Tintin au pays du Grand-Palais ... Expo-évènement qui célèbre le roi des Belges

     

    Par François-Xavier Ajavon

    Une excellente introduction à l'œuvre d'Hergé et une invite à visiter l'exposition qui lui est consacrée au Grand Palais à Paris jusqu'au 15 janvier. [Causeur 22.10]

     

    ajavon.jpgUn jour, badinant avec Malraux, le Général de Gaulle a dit : « Au fond, vous savez, mon seul rival international, c’est Tintin ! Nous sommes les petits qui ne se laissent pas avoir par les grands. On ne s’en aperçoit pas à cause de ma taille ». L’aphorisme est célèbre. Tintin est universellement connu, à la manière de Marilyn Monroe, Elvis Presley, Jésus, Superman ou Mahomet. Les aventures du petit jeune homme à la houppette blonde ont été traduites depuis des décennies pour les lecteurs de pays improbables où les habitants ont des mœurs condamnables et parlent des dialectes plein de mots étrangers. Après avoir parlé serbo-croate, chinois et même corse, on attend Le Sceptre d’Ottokar en borduro-syldave… Ceux qui sont nés au début du siècle dernier ont découvert Tintin dans les colonnes du “Petit Vingtième”, supplément jeunesse d’une publication catholique quotidienne, les baby-boomers l’ont découvert à la radio (il y a eu une série…) et au cinéma (quiconque n’a pas vu Tintin et les Oranges bleues (1964) ignore ce qu’est cette star potagère que nous appelons communément « navet »), bien des gamins de notre temps ont eu connaissance des aventures du petit belge par la série animée diffusée jadis par France 3, et certain des plus jeunes l’ont découvert à travers le film de Steven Spielberg… Les 24 albums (dont le dernier, L’Alph Art, est inachevé) ont leur place au panthéon des bestsellers mondiaux, avec la Bible et le petit livre rouge de Mao.

    Se tient au Grand Palais, jusqu’au 15 janvier, une exposition très riche revenant sur tous les aspects de la vie créative d’Hergé : depuis la méconnue série “Totor chef de patrouille des Hannetons”, publiée dans les années 20 dans “Le boy scout Belge”, jusqu’aux incursions tardives du dessinateur dans l’art abstrait, en passant naturellement par Tintin. L’exposition commence d’ailleurs par les relations d’Hergé avec l’art. L’artiste, arrivé à l’automne de sa vie, peignait régulièrement, des toiles abstraites dans le style de Miró. C’est une production dont il ne faisait aucune publicité, et qu’il abordait en dilettante. Il dira d’ailleurs qu’il tenait à ne pas passer pour un peintre du “dimanche ou du samedi après-midi“. De fait ces toiles sont rares, et dénotent une authentique passion d’Hergé pour l’art de son temps. Cette passion, qui traverse les albums de Tintin où l’on croise souvent des œuvres contemporaines, éclate dans une partie de la collection personnelle du dessinateur présentée en ouverture de cette exposition, où l’on croise à la fois Poliakoff et Dubuffet. Les influences d’Hergé sont à chercher dans la peinture, mais aussi dans la bande-dessinée elle-même et l’exposition n’omet pas de présenter des planches de Benjamin Rabier ou d’Alain Saint-Ogan (l’auteur de Zig et Puce), précurseurs de l’art n°9. Les salles suivantes mettent en valeur l’art “romanesque” d’Hergé, qui était un narrateur hors-pair et nourrissait toujours ses histoires d’une riche documentation. On le sait particulièrement concernant les deux albums de l’aventure lunaire de Tintin (une maquette de la partie supérieure de la fusée est présentée : elle permettait aux collaborateurs du dessinateur, dont Bob de Moor, d’avoir sous les yeux une représentation 3D réaliste de l’engin), mais partout Hergé puisait son inspiration dans le réel, pour les voitures, les bateaux, les objets les plus banals du quotidien. Son art légendaire du découpage est illustré par une passionnante séquence d’archive tv où Yves Robert décrit, avec son vocabulaire de cinéaste (plan large, américain, etc.) la progression de l’action sur une planche de Tintin. C’est bluffant, et nous fait toucher du doigt l’efficacité universelle de l’univers d’Hergé, apôtre de la ligne-claire et génie du mouvement.

    C07%2059%20C.jpgL’exposition, composée pour l’essentiel de planches du dessinateur, prêtées par le Studio Hergé, permet aussi de mieux comprendre le processus créatif, des premiers crayonnés où l’on sent que le dessinateur tourne autour de ses personnages, les “cherche”, jusqu’aux planches finales, en passant par l’étape de la colorisation (en grand aplats de couleurs, sans effets d’ombres). C’est ainsi une toute une “famille de papier” qui nous est présentée, et l’on redécouvre, autour d’une maquette géante du château de Moulinsart, les visages familiers de la Castafiore, du Professeur Tournesol, du Capitaine Hadock ou encore de méchants que nous avons adoré détester tels que Rastapopoulos ou l’infâme Docteur Müller de l’Île noire. Au détour de ces portraits, on croise aussi des figures entrées dans le langage quotidien : le fameux sparadrap qui empoisonne Hadock, ou les récurrents appels téléphoniques destinés à la boucherie Sanzot qui aboutissent irrémédiablement à Moulinsart… Soulignons deux salles particulièrement intéressantes : l’une consacrée à la période de crise traversée par Hergé (et le monde entier) dans les années 40 et l’autre à l’Asie. Les années 40 : c’est le succès et la tourmente. Les albums se vendent très bien. Ils commencent à être traduits. Après avoir présenté une Europe au bord du gouffre dans Le Sceptre d’Ottokar (1939), Hergé confronte son petit héros au spectre de la fin du monde dans L’étoile mystérieuse (1942). C’est dans les pages du quotidien Belge Le Soir que le dessinateur publie ses histoires en feuilletons, passant des 40.000 lecteurs habituels du Petit Vingtième à 300.000… On ne manquera pas de reprocher par la suite cette collaboration à Hergé : le journal est alors contrôlé par l’occupant allemand. L’autre salle passionnante est consacrée au rapport d’Hergé à l’orient, avec des planches du chef d’œuvre du dessinateur Le lotus bleu et une traduction hilarantes des inscriptions chinoises omniprésentes dans l’album, dont certaines sont des publicités ou des slogans politiques tels que “A bas l’impérialisme !“. L’amitié d’Hergé avec un jeune étudiant chinois, Tchang, est mise en avant ; Tchang qui ouvrira Hergé à l’altérité, Tchang qui fournira au dessinateur d’abondants conseils pour cet album, et finira même par devenir un personnage des aventures du petit reporter blond – dans le très dépressif Tintin au Tibet (1960).

    Il est à signaler qu’une salle entière est consacrée à une partie méconnue du travail d’Hergé, dans le domaine du dessin publicitaire et de l’affiche. On peut notamment y voir une couverture signée en 1936 pour “La tente, organe du camping club de Belgique“, et une pub où l’on voit des enfants déambuler entre des œufs géants, qui n’est pas sans rappeler la marche de Tintin entre les champignons géants de l’Etoile mystérieuse.

     

    Certains confrères ont trouvé qu’il y avait du mou dans la ligne claire avec cette expo, qu’elle était confuse, qu’elle n’offrait pas un véritable “parcours” dans l’œuvre d’Hergé. Elle est surtout très riche, et ravira les tintinophiles experts qui ne reverront pas de sitôt en France un tel nombre de planches originales d’Hergé. La leçon de ce parcours est que Tintin, en plus d’être reporter et un peu aventurier sur les bords, était surtout un grand témoin de l’Histoire ; et Hergé un auteur incomparable qui parvenait à mêler partout le registre du picaresque, voire du dramatique, avec un humour dévastateur. L’humour, certainement une façon de répondre à ce siècle difficile que Tintin a traversé avec optimisme. Un trait qui ne trompe pas : vous pourrez voir à cette expo de grands enfants, de 60/70 ans, éclater de rire tout seul devant les planches présentées… 

    Au Grand Palais, jusqu’au 15 janvier

    François-Xavier Ajavon
    Docteur en philosophie, chroniqueur, professionnel de la presse.

  • Médias • Zemmour et notre joli temps de fascisme rose ... Ma défense du Gaulois

     

    Par Jean-Paul Brighelli

    Nous ne sommes pas toujours d'accord avec Jean-Paul Brighelli - sur son goût pour les Lumières et pour la Révolution, par exemple - mais nous le lisons toujours pour son style, sa liberté de pensée et d'expression, toujours talentueuses et justes, très souvent. Du moins, selon nous. Quant à Causeur où coexistent nombre d'opinions différentes, ne faut-il pas le lire et le citer, surtout si l'on n'est pas d'accord ? Et d'abord - nous le répétons - tout ce qui s'oppose au terrorisme intellectuel régnant est bienvenu et bon.  LFAR  

     

    bonnetd'âne.jpgDans le dernier numéro de Causeur (sur papier, 5€90, pas cher), outre une belle interview de Christophe Guilluy à propos de son dernier livre, le Crépuscule de la France d’en haut, et de Daniel Mesguich, à qui je dois quelques fascinants souvenirs de théâtre évoqués ici-même, Elisabeth Lévy, dite « la Patronne », a rassemblé un joli dossier sur « Zemmour le Gaulois ». Un qualificatif amplement mérité par ce Juif séfarade, au moins autant que par un certain aristocrate hongrois qui au même moment faisait de l’Ernest Lavisse sans le savoir*. 

    Elisabeth — dite « Gant de velours sur une main de fer » — a de l’amitié pour Eric, et elle peut avoir l’amitié vache. Et de critiquer la vision essentialiste que Zemmour a de l’islam, sous prétexte que les islamistes fondent leur fanatisme sur l’idée que le Coran est un livre incréé — il a existé de tout temps, d’ailleurs, il n’y a pas de temps pour le Prophète (sur lui « sottise et bénédiction », comme dit Voltaire), ni pour ses sectateurs, j’ai déjà expliqué à propos du Bardo que pour les plus illuminés, l’éternité c’était hier, maintenant et toujours. D’où leur tendance à détruire toute preuve qu’il y a eu un Temps qui pré-exista à l’islam — celui de Darwin et Lucy comme celui des bouddhas de Bamian. Nombre d’enfants d’immigrés sont, comme elle dit, de vrais franchouillards accrochés aux ustensiles de la civilisation avancée (i-phone, foulard islamique de chez Hermès et McDo présumés hallal). Moins communautariste qu’Elisabeth ou Finkielkraut, tu meurs. M’étonnerait qu’elle passe la journée du mercredi 12 en jeûne et prières.

    Donc, Eric Z***, au milieu d’une très longue discussion sur des sujets essentiels et passionnants, lâche les deux phrases qui ont enflammé les médias : « Je ne pense pas que les djihadistes soient des abrutis ou des fous. Au sommet, il y a des théologiens qui appliquent exactement leur idéologie coranique et légitiment tous leurs actes par des sourates ou des actes du Prophète. Et je respecte des gens prêts à mourir pour ce en quoi ils croient — ce dont nous ne sommes plus capables. »

    Protestations effarées d’Elisabeth — et de JPB, qui admire beaucoup par exemple les milices kurdes où hommes et femmes se battent pour leur liberté contre l’Etat islamique tout en ayant les Turcs dans le dos et l’aviation d’Erdogan et des Américains au-dessus de leurs têtes, mais qui n’a aucun respect pour des salopards qui flinguent des gosses parce qu’ils sont juifs, massacrent des journalistes parce qu’ils sont journalistes, roulent en camion sur des enfants ou se mettent à deux pour égorger un vieillard.

    Hurlements hystériques de la presse de gauche. Les Inrocks avaient déjà donné un exemple absolu de ce qu’est une interrogation rhétorique en faisant semblant de se demander : « Faut-il bannir Zemmour des écrans de la télé ? ». On crie haro sur le baudet, on veut l’inculper, le mettre en examen — pourquoi pas le lyncher…

    16-323-large.jpgJ’ai assez défendu Eric ici-même, à l’époque de son limogeage d’i-télé, pour être tout à fait à l’aise : il a sorti une grosse connerie avec l’assurance qui est la sienne depuis qu’il a eu un gros succès de librairie, qu’il croit être touché par la grâce et bénéficier de l’infaillibilité papale. Eh, oh, Eric, memento mori !

    On peut dire bien des choses des djihadistes — que leurs chefs sont probablement très malins, que ce sont de fins politiques, qu’ils servent la même atemporalité que le néo-libéralisme (voir ce qu’en dit Myriam Revault d’Allonnes) — mais pas qu’ils sont respectables. Ce sont des zélotes sanguinaires, et il n’y a de bon djihadiste qu’un djihadiste mort — comme disent les Kurdes.

    Cela dit, une phrase isolée dans une interview de 7 pages, c’est un résumé un peu court, bien digne des sycophantes actuellement au pouvoir dans les médias. Et Elisabeth — dite « Et quand j’appuie là, ça vous fait mal ? » — a raison de défendre Zemmour. Un peu facile de se décerner un brevet de Bien sur le dos du p’tit Juif séfarade.

    N’empêche qu’on voudrait l’interdire… L’accuser d’apologie du djihadisme près l’avoir auparavant soupçonné d’islamophobie galopante… Le cantonner à Béziers… ressusciter Cayenne pour lui — il y fréquenterait le fantôme de Dreyfus, ils se raconteraient des blagues…

    Il y a en ce moment en France une atmosphère curieuse de dictature discrète. Jean-Pierre Chevènement avait organisé la semaine dernière un débat sur la question scolaire à laquelle devait participer Arnaud Montebourg et votre serviteur. Tollé chez les fascistes roses, qui ont inondé Montebourg de tweets et de textos (l’apprenti-nazi parle volontiers en phrases lapidaires), le menaçant de ne pas voter pour lui lors des primaires de gauche (je n’y suis pour rien, j’éclate de rire chaque fois que j’écris ce mot : la gauche — qui est si bien à droite, comme le dit mon ami Gérard Filoche) s’il consentait à débattre avec un triste individu tel que moi. Et quinze jours auparavant, un grand éditeur parisien, contacté pour sortir un livre d’un membre du FN, a finalement renoncé, expliquant qu’il faisait des affaires avec des mairies socialistes qui surveillaient ce qu’il éditait, le menaçant sous cape de casser les contrats en cours s’il donnait la parole à un parti légal mais qui menace les positions établies des élites auto-proclamées qui nous gouvernent. Pratiquement on ne peut plus rien dire qui soit susceptible de choquer les chaisières et les rosières de la rue de Solférino et de la poignée d’imbéciles qui s’obstinent à voter pour eux. Ce n’est pas tout à fait par hasard que je me suis laissé aller à dire que le PS était désormais à droite du FN — sur l’Ecole au moins.

    Je suis si éloigné de ces réflexes totalitaires qu’en 2011, j’avais plaidé auprès de Jean-Claude Gawsewitch pour qu’une militante obscure et souriante, présentée par mon ami Guillaume Bachelay, signe avec lui (allez, je ne ferai aucune hypothèse sur qui l’a réellement écrit) un micro-pamphlet intitulé Réagissez ! Répondre au FN de A à Z. Merci qui ? Ma foi, merci Philippe Watrelot, obscur scribouillard des Cahiers pédagogiques mais soutien indéfectible de la réforme du collège, nommé, raconte Sophie Coignard, à la tête d’un « machin », le CNIRÉ, Conseil National de l’Innovation pour la Réussite Educative (sic !), installé en 2013 par Vincent Peillon.

    Je m’en fiche : la liberté d’expression ne se compartimente pas. Je me doute qu’on aimerait me faire taire, et que les provocateurs qui tentent de m’offenser çà et là espèrent que je leur donnerais finalement le coup de boule qu’ils méritent. Je m’en garde bien, ça leur ferait trop plaisir.  J’ai tout mon temps. 

    * En fait, « nos ancêtres les Gaulois » est une formule inventée par Amédée Thierry (le frère d’Augustin) en 1828. C’était l’époque de l’Histoire à la sauce romantique, et ce grand vaincu de Vercingétorix, paré a posteriori de toutes les gloires d’un Napoléon outragé, convenait bien à la neurasthénie des copains de Musset. Le Tour de France de deux enfants de G. Bruno (et non d’Ernest Lavisse, quoi qu’en ait dit le puits de science de la rue de Grenelle), explique par ailleurs que la France s’est autrefois appelée la Gaule et fut peuplée de Gaulois — râleurs, divisés et mélancoliques, au témoignage de César : il doit y avoir quelque chose, dans l’air de ce pays, qui incite au mécontentement permanent, aux querelles de clocher et à l’hypocondrie élevée au niveau des beaux-arts.

    Jean-Paul Brighelli
    Enseignant et essayiste, anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

  • 2017, sous le signe de l’identité

     

    par Jacques Burnel

    Dans une France encore traumatisée par les attentats de 2015, la « fracture identitaire » prend une ampleur inégalée. Elle sera au cœur de la campagne présidentielle de 2017.

     

    L’identité d’un peuple est une donnée qui ne peut être méprisée sans courir le risque de graves conséquences. Chaque peuple a le droit de vouloir que son héritage perdure », écrit Malika Sorel dans Décomposition française, comment en est-on arrivé là ? (Fayard, 2015). L’ancien membre du Haut Conseil à l’intégration, dissout par François Hollande en 2012, dépeint une France à l’identité fracturée, victime des mythes de la diversité et du « vivre ensemble » qui ont conduit les élites à la faiblesse face à la montée des communautarismes. Un livre parmi d’autres dans l’abondante production littéraire – d’Alain Finkielkraut à Emmanuel Todd, de Michel Onfray à Bernard-Henri Lévy -, inspirée par un contexte où les mots « laïcité », « valeurs républicaines », « identité nationale », omniprésents, déchaînent les passions.

    Récemment, c’est la polémique sur le burkini, ce vêtement de bain couvrant entièrement le corps et les cheveux, qui a exposé au grand jour les cas de conscience que la place de l’islam pose à « l’être ensemble » français. En France, sans doute plus qu’ailleurs, le rapport à la question identitaire, souvent réduite à une sorte d’unanimisme républicain évolutif et imprécis, est particulièrement complexe. Or, cette question identitaire « sera au cœur de la prochaine présidentielle », prévient Malika Sorel.

    Duel autour de l’identité

    À droite, le premier à s’en emparer a été Nicolas Sarkozy. Sa proposition de création d’un ministère de l’identité nationale, en 2007, lui avait permis de figer les positions et de créer une dynamique dès le premier tour. Dix ans plus tard, l’ancien chef de l’état compte bien récidiver. à l’aise avec ce sujet hautement inflammable, il a expliqué dans son livre Tout pour la France qu’il mettrait les questions identitaires au cœur de sa campagne. Mieux que personne, il sait les agiter devant ses adversaires comme un chiffon imbibé d’essence. Sa récente déclaration – « au moment où vous devenez Français, vos ancêtres sont les Gaulois » – a scandalisé la gauche, ce qui était sans doute l’effet recherché.

    Succès garanti ? Rien n’est moins sûr, mais le thème devrait agiter les discutions dès le premier débat entre les candidats à la primaire de la droite, le 13 octobre prochain. Car l’autre favori, Alain Juppé, s’est lui aussi emparé du sujet, en se faisant le chantre d’une « identité heureuse » dont il veut faire le fer de lance de son projet présidentiel. « L’identité heureuse » ? Une « espérance, une vision confiante de l’avenir de la France », dit l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac qui « refuse d’avoir l’identité malheureuse, anxieuse, frileuse, presque névrotique » – sous-entendu, comme son adversaire qui l’accole quasi systématiquement au thème de l’immigration. L’un veut faire rimer « diversité et unité ». L’autre rappelle dès qu’il le peut que la France est « un pays d’églises, de cathédrales, d’abbayes ». Le premier développe un concept « d’intégration », le second défend une ligne « assimilatrice » pour lutter contre la disparition du « mode de vie français »…

    Dans le duel annoncé entre les deux favoris, le thème de l’identité nationale risque donc d’occuper l’espace et de laisser peu de marge de manœuvre aux autres candidats, déjà distancés dans les sondages. Les Républicains pourraient même voler la vedette au Front national. étonnamment, car le contexte lui est sans doute plus propice que jamais, le parti de Marine Le Pen semble en effet davantage préoccupé par les questions de souveraineté économique que par les thématiques identitaires.

    A gauche aussi

    Pourtant, même la gauche ne peut éviter le sujet. Au congrès du Parti socialiste à Poitiers, l’année dernière, il tenait une bonne place dans tous les discours. Dans celui de Manuel Valls, en particulier, qui faisait de « l’identité laïque » de la France un rempart « contre les communautarismes », et des « valeurs de la République » le moyen de s’émanciper « des pensées rétrogrades qui enferment les femmes derrière un voile ». « Bien sûr, il y a l’économie et le chômage, mais l’essentiel, c’est la bataille culturelle et identitaire », déclarait récemment le Premier ministre, cité par le journal Le Monde, à propos de la présidentielle de 2017.

    L’analyse semble partagée par François Hollande qui, paraît-il, ne cesse de répéter que l’identité sera le thème majeur d’une campagne où il espère toujours concourir pour briguer un second mandat. Un terrain glissant pour le président de la République qui en avait sans doute sous-estimé le potentiel explosif quand il avait promis d’inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité. Être ou ne pas être français ? La proposition, qui restera comme un des moments clés du quinquennat, avait réveillé de violentes polémiques, ruinant les espoirs d’unité nationale de l’exécutif, après les attentats du 13 novembre.

    Traiter le sujet

    Quoi qu’il en soit, la gauche devra elle aussi parvenir à se démarquer sur un thème où elle est habituellement peu à l’aise. D’autant plus que d’après un sondage paru dans L’Obs, près d’un quart des sympathisants socialistes juge le gouvernement laxiste sur l’immigration ! On n’imagine pas aujourd’hui le candidat socialiste se présenter en 2017 en promettant à nouveau le droit de vote des étrangers, une mesure phare de la campagne de 2012 que François Hollande n’a jamais osé mettre en place. Très marquée à gauche, cette promesse n’a pas résisté aux crispations identitaires, à cette « droitisation de la société » dénoncée par les socialistes mais qui tend surtout à prouver les limites de la stratégie préconisée par Terra Nova, le think tank le plus influent au PS : tout pour les strates sociales les plus privilégiées et les populations d’origine étrangère, qui votent massivement à gauche quand elles se déplacent, et rien pour les classes moyennes et ouvrières perdues pour les socialistes. La « fracture identitaire » de plus en plus béante dans notre pays impose de revoir les lignes, même du point de vue de la stricte tactique politicienne.

    Alors, où va la France ? Et qu’est-ce qu’être Français ? Aucun des candidats à l’élection présidentielle de 2017 ne pourra faire l’économie de traiter le sujet. Car de la réponse à ces questions dépend en grande partie la concorde civile d’une société qui laisse parfois penser qu’elle est au bord de l’implosion. Il n’est que de constater l’audience d’éric Zemmour pour s’en convaincre. Dans la préface d’Un quinquennat pour rien, best-seller en puissance qu’il promeut en vantant les mérites de l’assimilation telle qu’on la pratiquait encore au xxe siècle, quand les parents d’origine étrangère donnaient à leurs enfants des prénoms français, l’intellectuel décrit une société française « envahie, colonisée, combattue ».

    Exagéré ? Peut-être. Mais comme l’explique l’historien Pierre Nora dans un long article consacré aux « Avatars de l’identité française » (dans la revue Le Débat, février 2010) : « Il n’est pas si facile de savoir exactement de quoi il est question quand on évoque le modèle national, l’identité, l’idée de la France ou la France elle-même. Et pourtant chacun le sait : il y a une altération très profonde du type de France qui nous a été léguée ». L’académicien ne croyait pas si bien dire : depuis, la crise migratoire et les attentats terroristes ont donné à la question identitaire une dimension d’une urgente actualité, presque existentielle.   

  • Cinéma • « J’ai vu une jeune fille rire en regardant une vidéo de décapitation »

    Un petit chaperon rouge-sang.

     

    par Olivier Prévôt

    Un dialogue excellent - et instructif - repris du blog Les carnets de Betty Poul, hébergé par Causeur. D'actualité ! LFAR

     

    Sorti en salles mercredi 5 octobre, Le ciel attendra raconte la dérive djihadiste de deux adolescentes et le calvaire de leurs parents, confrontés à l’impensable. Au delà des évidentes qualités cinématographiques du film, au-delà de l’excellence du jeu des acteurs (Sandrine Bonnaire est époustouflante), il nous a semblé que cette fiction qui se veut réaliste s’appuie sur des idées, des parti-pris que nous ne partageons pas.

    Avec la liberté et la passion de témoigner qu’on lui connaît, la réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar a accepté le principe d’un dialogue franc, direct, et réellement contradictoire. En exclusivité pour Causeur.

    Vos deux personnages, Mélanie et Sonia, sont radicalisées. L’une est convertie à l’islam, l’autre est issue d’un mariage mixte. Au contraire, les deux personnages qui sont d’origine maghrébine et nés musulmans, qui sont en quelque sorte « pure laine » – le père de Sonia, Samir, et l’amie de Mélanie, Djamila – sont, eux, « modérés ». Avez-vous fait ce choix pour éviter le fameux « amalgame » ?

    D’abord, moi, je ne sais pas ce qu’est un musulman modéré. Et je m’étonne que vous employiez ce terme. Parle-t-on de catholique modéré ? 

    Peut-être parce qu’ils le sont tous ?

    Ça, je ne sais pas. Mais j’ai tenu à ce que mon film soit réaliste, qu’il soit représentatif de ce qui se passe effectivement. Sur le terrain. Et que constate-t-on ? Parmi les jeunes filles candidates au djihad, plus de 40 % sont des converties. Que cela plaise ou non, c’est un fait. Quant aux deux personnages que vous qualifiez de modérés, leurs rapports à l’islam sont très différents. Vous ne pouvez pas les assimiler de la sorte. Samir Bouzaria [interprété par l'excellent Zinedine Soualem, ndlr], le père de Sonia est athée. Il ne pratique pas du tout. C’est ce que Sonia lui reproche, très violemment. Djamila au contraire, l’amie de Mélanie, est croyante et pratiquante, mais elle n’est pas prise dans le vertige, dans la surenchère de Mélanie. Djamila représente la majorité des musulmans. Et pour moi, l’islam est associé à des valeurs de fraternité, de compassion, d’entraide.

    Une autre chose m’a frappé : la dimension sexuelle de l’engagement djihadiste est comme passée sous silence.

    Je ne vois pas bien ce que vous voulez dire. Mélanie est approchée par un rabatteur, sur internet, et celui-ci va l’embrigader. La relation de Mélanie et de son promis est purement virtuelle. Leur dialogue est chaste, pur. Il est l’inverse d’un monde sexualisé. C’est le contraire de « Adopte un mec ». Son correspondant reprend la figure mythique du prince charmant…c’est très étrange d’ailleurs, ce côté « prince charmant barbu ».

    Enfin tout de même… Sans même évoquer ce qui se passe réellement en Syrie, il y a toute une érotique de ces dialogues. Par moments, c’est quasiment Cinquante nuances de Grey… « Tu m’obéiras, dis-le que tu m’obéiras toujours… »

    Oui, à côté de ces dialogues chastes, il y a des questions extrêmement brutales, comme ce moment où, sans la connaître véritablement, il lui demande si elle est vierge. Comme ça. Presque de but en blanc.

    Mélanie n’a pas d’émois.

    Ah bon ? Pas d’émois ? Elle ne cesse de rougir. Elle est bouleversée par ces dialogues. Vous auriez voulu voir quoi, vous ?

    Je ne sais pas. Moi, je suis un garçon, et je ne suis pas cinéaste. J’imagine qu’une jeune fille qui se promet à un homme peut avoir des rêves soudain. Non ?

    (rires) En tout cas, Mélanie est émue, et je pense que cela se voit. Encore une fois : le prince charmant…

    J’étais également étonné que vous ne montriez pas plus la dimension haineuse de cet engagement djihadiste. La haine des Juifs, la haine des homosexuels, des chrétiens, de l’Occident… Ces deux jeunes filles partent rejoindre des garçons qui ont peut-être égorgé eux-mêmes ce malheureux Peter Kassig, ou réduit en esclavage des femmes yazidies. Elles le savent !

    Non ! Vous vous trompez. Ce sont des jeunes filles aveuglées. Moi, j’ai assisté à des séances de désembrigadement. Et notamment à la confrontation de repenties, qui connaissaient la réalité de ce qui se passe en Syrie et en Irak, avec des jeunes filles qui, au contraire, n’avaient encore que le projet de s’y rendre. Ces dernières ne veulent pas croire ce qu’on leur dit. Elles refusent. En bloc. J’ai vu une jeune fille rire en regardant une vidéo de décapitation. Pour elle, c’était faux. Un trucage… Elle refusait d’y croire.

    C’est une défense inconsciente, ça n’élimine pas la pulsion sadique… Au contraire.

    Il faut comprendre deux choses. La première est que ces processus d’embrigadement sont rapides. Du premier contact sur Facebook à la tentative de départ en Syrie, il ne se passe souvent que deux ou trois mois. La seconde chose est que cette propagande commence par décrédibiliser l’information en général, à partir d’exemples de mensonges, de manipulations prouvés – et c’est vrai qu’on nous ment – pour aboutir à un sentiment de défiance globale. Là-dessus, vient se greffer un rêve, une idéalisation de ce qu’elles s’apprêtent à rejoindre, le djihad. Et comprenez bien : c’est très difficile de faire le deuil de ce rêve.

    Un peu comme dans le film de Jane Campion, Holy smoke, ce personnage incarné par Kate Winslet qui s’accroche à son idéal sectaire et qui, d’un seul coup, s’effondre…

    Oui ! Elles font face au même risque d’effondrement. D’où le déni. Le « c’est pas vrai ». Ainsi des filles rentrent de Syrie, racontent ce qu’elles ont vu, enduré. Elles le racontent en détail… tandis que celles qui sont embrigadées, pour protéger leur rêve, ne veulent pas les croire. Comprenez-moi : elles ne peuvent pas.

    Un autre point me « chiffonne », c’est le cas de le dire, puisqu’il s’agit du voile. Dans votre film, vous dîtes que le regard de désapprobation sur les femmes voilées renforce la volonté de porter ce voile. Il ne faudrait pas désapprouver, même d’un regard, ces choix ?

    D’abord ce n’est pas moi qui dit cela. C’est une des participantes à l’atelier de désembrigadement. Nuance. Et ne parlons pas de voile mais de djilbab. Ce vêtement efface les contours identitaires individuels. Les femmes qui le portent deviennent des « soeurs ». En portant le djilbab, elles appartiennent au groupe.

    Le psychanalyste Fethi Benslama évoque cela dans son dernier livre, Ce furieux désir de sacrificie. Il évoque la nécessité intérieure de revêtir « le masque de l’ancêtre »…

    L’autre devient moi. C’est très puissant.

    Dans ce film, les hommes n’ont pas le beau rôle. C’était déjà le cas dans le précédent, Les héritiers.

    Dans Les héritiers, je n’avais rien inventé. Le proviseur ne croyait ni au projet, ni à cette classe, c’est comme ça.

    Mais pour Le ciel attendra, je serais plus nuancée que vous. Prenez le personnage du père de Mélanie… Yvan Attal est bouleversé, ravagé de douleur. Et encore une fois : je raconte ce que j’ai vu dans ces ateliers de désembrigadement. C’est un fait : les mères sont plus présentes. Au fond, elles partent rechercher leur petit enfant, celui qui s’est perdu dans la forêt d’un rêve fou, le petit enfant qui a échappé à leur vigilance. Elles partent le retrouver, le ramener. À elles. Et elles n’ont pas de pudeur par rapport à cette recherche, cet effort. Elles se relèvent les manches.

    Les pères ont plus de mal à s’exprimer, ça ne veut pas dire qu’ils ne ressentent pas les choses. Prenons l’exemple du père de Sonia, Samir. Bien sûr, il est maladroit. Bien sûr, il est agressif. Mais il est surtout en colère contre lui-même car il a le sentiment d’avoir failli à son devoir de protection. Mais en même temps, souvenez vous ! Quand, à la fin du film, il pose la main sur l’épaule de sa fille, il exprime toute sa tendresse. 

    Entretien réalisé au téléphone, le 5 octobre 2016

    Les carnets de Betty Poul

    Cinéma, psychanalyse, actualité

    Bande annonce du film  « Le ciel attendra », de Marie-Castille Mention-Schaar, avec Sandrine Bonnaire, Zinedine Soualem, Clotilde Courau et Yvan Attal.

  • Pourquoi le 6 février 1934 a été stérile : l'analyse de Maurice PUJO

     

    3253704197.jpgPourquoi les manifestations de janvier et février 1934, dont celle, tragique, du 6 février, n’ont pas débouché sur ce changement de régime, pour lequel l’Action française s’était toujours battue ? Maurice Pujo, après avoir conduit toute la campagne de l’Action française sur l’affaire Stavisky et dirigé l’action des Camelots du Roi, en a donné l’explication en termes simples * : sans une Action française suffisamment forte et reconnue tant sur le plan de la pensée politique que de la conduite de l’action proprement dite, l'union des patriotes est stérile. Et la leçon vaut pour aujourd’hui. LFAR

     

    18135321.jpgÀ force de le répéter, les gens du Front populaire ont fini par croire que le Six Février était le résultat d’une terrible conjuration tramée de toutes pièces par d’affreux "fascistes" contre les institutions républicaines.

    Rien ne correspond moins à la réalité. Le 6 Février a été, à son origine, le sursaut national le plus spontané, le plus pur d’arrière-pensées. Il a été la révolte de l’honnêteté et de l’honneur français contre un scandale qui était une des hontes naturelles et cachées du régime : le pillage de l’épargne sans défense avec la complicité des gouvernants qui en ont la garde. 

    Sans doute, ce scandale a été mis en lumière, développé, "exploité", si l’on veut, par des patriotes conscients qui étaient les hommes de l’Action française. Là-dessus, M. Bonnevay, président de la Commission du Six Février, ne s’est pas trompé lorsqu’il nous a désignés comme les responsables de la mobilisation de l’opinion et de la rue.

    C’est nous qui avons publié les deux fameuses lettres Dalimier qui avaient été, aux mains de Stavisky, les instruments de l’escroquerie. C’est nous qui, par nos premières manifestations, avons chassé du ministère ce Dalimier qui se cramponnait. C’est nous qui, pendant trois semaines, encadrant tous les patriotes accourus à nos appels, avons fait à dix reprises le siège du Palais-Bourbon. C’est nous qui, par cette pression sur le gouvernement et les parlementaires, avons arraché chaque progrès de l’enquête, empêché chaque tentative d’étouffement. C’est nous aussi qui avons publié la preuve de la corruption d’un autre ministre, Raynaldi, et c’est nous qui, en rassemblant des dizaines de milliers de patriotes, le 27 janvier, au centre de Paris, avons chassé le ministère Chautemps qui cherchait à se maintenir [...]

    Tenter le coup ?

    Dira-t-on que nous envisagions le renversement du régime ? Eh ! nous ne cessons jamais de l’envisager ! Nous avons, dès nos débuts, proclamé que nous formions une conspiration permanente pour la destruction de la République, cause organique de nos maux, et pour la restauration de la monarchie, qui seule pourra les guérir.

    Mais, en menant la chasse aux prévaricateurs complices de Stavisky, nous n’avions pas visé, de façon préconçue, cet heureux événement. Il y avait des services immédiats à rendre à la France ; nous les lui rendions. Si, au terme de cette crise, la restauration de la Monarchie pouvait être tentée, nous n’en manquerions certes pas l’occasion. C’est seulement un fait qu’il n’y a pas eu d’occasion parce que les conditions nécessaires ne se sont pas trouvées réunies.

    C’est ce que nous devons répondre à ceux qui, nous faisant le reproche inverse de celui de M. Bonnevay, estiment que nous aurions dû "tenter le coup". Il y avait sans doute – ce qui est important – un malaise incontestable qui, au-delà des hommes au pouvoir, était de nature à faire incriminer le régime. Il y avait même, à quelque degré, dans l’esprit public, un certain état d’acceptation éventuelle d’un changement. Il y avait aussi l’inorganisation relative et le sommeil des éléments actifs chez l’adversaire socialiste et communiste. Mais ces conditions favorables, en quelque sorte négatives, ne pouvaient suppléer à l’absence de conditions positives indispensables pour avoir raison de cette chose solide par elle-même qu’est l’armature d’un régime resté maître de son administration, de sa police et de son armée. Et il faut un simplisme bien naïf pour s’imaginer qu’en dehors des jours de grande catastrophe où les assises de l’État sont ébranlées, comme au lendemain de Sedan, le succès peut dépendre d’un barrage rompu...

    Pourquoi Monk n’a pas marché

    Ce qui a manqué au Six Février pour aboutir à quelque chose de plus substantiel que des résultats "moraux", c’est – disons-le tout net – l’intervention de ce personnage que Charles Maurras a pris dans l’Histoire pour l’élever à la hauteur d’un type et d’une fonction, l’intervention de Monk. Un Monk civil ou militaire qui, du sein du pays légal, étant en mesure de donner des ordres à la troupe ou à la police, eût tendu la main à la révolte du pays réel et favorisé son effort. Un Monk assez puissant non seulement pour ouvrir les barrages de police, aussi pour assurer immédiatement le fonctionnement des services publics et parer à la grève générale du lendemain.

    La question de ce qu’on a appelé à tort l’échec du Six Février se ramène à celle-ci : pourquoi Monk n’a-t-il pas marché ?

    Répondra-t-on qu’il n’a pas marché parce qu’aucun Monk n’existait ? Il est certain que personne ne s’était désigné pour ce rôle. Mais c’est essentiellement un domaine où le besoin et la fonction créent l’organe. Il y aurait eu un Monk et même plusieurs si les circonstances avaient été telles qu’elles pussent lui donner confiance.

    Certains s’imaginent qu’ils décideront Monk par la seule vertu de leurs bonnes relations avec lui et dans quelques conciliabules de salon. Singulière chimère ! Monk éprouve très vivement le sentiment de sa responsabilité. Ce n’est qu’à bon escient qu’il acceptera les risques à courir pour lui-même et pour le pays et il a besoin de voir clairement les suites de son entreprise. Devant apporter une force matérielle qui est tout de même composée d’hommes, il a besoin de pouvoir compter, pour le soutenir, sur une force morale assez puissante. Il ne réclame pas de civils armés – c’est là l’erreur de la Cagoule – qui doubleraient inutilement et gêneraient plutôt les soldats, mais il veut trouver autour de lui, lorsqu’il descendra dans la rue, une "opinion" claire, forte et unie.

    Et cela n’existait pas au Six Février. Si les manifestants étaient unis par le sentiment patriotique et le mépris de la pourriture politicienne, ils n’avaient pas d’idée commune sur le régime qui conviendrait à la France pour la faire vivre "dans l’honneur et la propreté". De plus, les rivalités de groupes et les compétitions des chefs empêchaient même que, séparés dans la doctrine, ils pussent s’unir dans l’action.

    Depuis le début de l’affaire Stavisky jusqu’au 27 janvier où notre manifestation des grands boulevards renversa le ministère Chautemps, il y avait eu, dans l’action, une direction unique : celle de l’Action française. C’est à ses mobilisations que l’on répondait ; c’est à ses consignes que l’on obéissait. (On lui obéit même le jour où, en raison de la pluie et pour épargner un service plus pénible à la police, nous renonçâmes à la manifestation) Mais, à partir du 27 janvier, devant les résultats politiques obtenus et ceux qui s’annonçaient, les ambitions s’éveillèrent, et les groupements nationaux préparèrent jalousement, chacun de son côté, leur participation à une action dont ils comptaient se réserver le bénéfice. Cette agitation et cette division ne firent que croître, après la démission de M. Chiappe, préfet de police, survenue le 3 février.

    Aucune entente

    La Commission d’enquête a cherché un complot du Six Février. Mais il n’y avait pas un complot pour la bonne raison qu’il y en avait cinq ou six qui s’excluaient, se contrariaient et se cachaient les uns des autres. Il y en avait dans tous les coins et sur les canapés de tous les salons. On peut se rendre compte qu’il n’y avait aucune entente entre les groupes divers en examinant les rendez-vous qu’ils avaient donné pour la soirée historique, et les dispositions qu’ils avaient prises, sans parler des manœuvres qu’ils firent et dont à peu près aucune n’était d’ailleurs préméditée.

    Si, par impossible, les patriotes l’avaient emporté dans de telles conditions, s’ils avaient chassé le gouvernement et le parlement, le désaccord entre eux n’aurait pas manqué d’apparaître presque aussitôt et les gauches vaincues n’auraient pas tardé à reprendre le pouvoir.

    C’est à quoi le Monk inconnu, le Monk en puissance, devait songer. C’est pourquoi il s’est abstenu d’une intervention qui aurait été stérile. C’est pourquoi la journée du Six Février n’a pas donné de plus grands résultats.

    Maurice Pujo

     

    * étude (extraits) publiée par la Revue Universelle du 15 juillet 1938.

  • « Violences de l'Action française contre le PS à Aix-en-Provence » ? Ou lamentations d'une fédération déchue ?

    Jean-David Ciot à la cour d'appel d'Aix-en-Provence © Photo Jean-François Giorgetti

     

    En perturbant, le 2 décembre dernier, une « conférence » organisée par la section du PS d'Aix-en-Provence à l'Institut d'Etudes Politiques (?), puis en s'invitant à la cérémonie de présentation de ses vœux, au Théâtre d'Aix, le lundi 25 janvier, les jeunes d'Action française qui ont organisé ces chahuts ont paradoxalement surtout abouti à sortir de l'ombre, et à donner quelque publicité et motifs de se manifester, à Jean-David Ciot, assez obscur député de la 14e circonscription des Bouches-du-Rhône. Sans-doute s'en serait-il passé. Mais y avait-il là de quoi fouetter un chat ?

    L'affaire a pourtant remué les médias en ligne, petits et grands - jusqu'au Huffington Post - la presse écrite, nationale et locale, et, naturellement, le quotidien local La Provence qui s'est surpassé dans la mise en œuvre des grands moyens et l'emploi des mots stigmatisants qui sont censés tuer. [Voir illustrations].

     

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    Que faut-il en penser ? Nous dirons notre avis, Lafautearousseau ayant été mentionné voire mis en cause par le politologue mobilisé pour l'occasion, ainsi, d'ailleurs, que les sections provençales de l'Action française pour leurs activités pendant ou après la guerre, et les rassemblements royalistes des Baux de Provence dont on sait qu'ils ont été organisés pendant plus de 30 ans par l'équipe qui, aujourd'hui, publie Lafautearousseau. 

    Quels étaient les motifs des jeunes d'Action française qui ont organisé ces chahuts ? Leurs reproches ? Disons, tout simplement, à notre connaissance, l'indignation, les soupçons de corruption - parfois la certitude de cette corruption - sentiments que partage la quasi totalité de la population des Bouches-du-Rhône, y compris dans l'électorat anciennement ou encore socialiste, à l'égard des élus PS, dont certains, Jean-Noël Guerrini en tête, mais aussi Jean-David Ciot, ont fait - ou font encore - l'objet d'informations judiciaires pour détournement de fonds publics.  Que des relaxes soient intervenues faute de preuves caractérisées n'a d'ailleurs rien changé au soupçon de la population. Qui sait en faire les frais et ne s'y résigne plus.

    Il est de notoriété publique, en effet, - même France Inter en a donné un tableau cataclysmique - que la Fédération du Parti Socialiste des Bouches-du-Rhône, historiquement l'une des deux plus puissantes de France avec celle du Nord, a perdu une grande partie de ses adhérents, que les militants sont partis, que les cotisations ne rentrent plus, et que les permanences sont vides ou abandonnées. C'est ainsi qu'aux dernières régionales le PS n'a pu se trouver comme tête de liste qu'un élu de Forcalquier largement inconnu en région PACA, que ses leaders en ont été absents, et que son score l'a éliminé du second tour. A cette dégringolade, il doit bien y avoir, n'est-ce pas ?, une explication... Les jeunes d'Action française en réclamant, ce qui est leur droit, la démission du Jean-David Ciot en question, fût-ce avec la véhémence de leur âge, n'ont fait que reprendre le vœu majoritaire de leurs concitoyens. Sur leurs violences, qui ont été surtout des chahuts, nous ne croyons pas utile d'épiloguer, alors que nous vivons malheureusement dans un pays dont les Pouvoirs publics tolèrent à longueur d'année toutes sortes de violences, gravissimes celles-là, que ce soient celles des quartiers, des dealers, des Roms, des migrants, des sans-papiers, des illégaux, des délinquants, des multirécidivistes, des associations expressément constituées pour leur apporter soutien, aide et assistance, etc. 

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    Reste à nous exprimer sur les explications que donne dans La Provence, à la demande de ce quotidien, le politologue Jean-Yves Camus. Spécialiste, nous dit-on, de l'extrême-droite, où nous ne nous situons pas. (Outre le fait que nous réprouvons l'emploi de ce  terme simplement destiné à stigmatiser). Il s'agit, pour lui, d'expliquer et caractériser la permanence d'une tradition assez ancienne de l'Action française à Aix et Marseille. Il en donne quelques raisons banales (Maurras était de Martigues, il a légué sa très belle bibliothèque à sa ville de naissance, c'est un lieu de pèlerinage pour les militants royalistes, etc.). Il y ajoute quelques notes positives pour nous, sans-doute pas pour lui (l'Action française a toujours su entretenir la flamme ... ne  serait-ce qu'en organisant des rassemblements réguliers aux Baux de Provence). Il signale l'activité sur internet de groupes comme Lafautearousseau  - dont il semble pourtant ignorer (?)  que le lectorat est largement plus national que régional. Il va jusqu'à concéder qu'il y a d'ailleurs une certaine qualité intellectuelle dans certains de ces noyaux où l'on trouve des racines universitaires. Il semble aussi ignorer que Lafautearousseau existe depuis huit ans et ne coïncide donc pas avec l'émergence, notamment à Marseille, depuis deux ou trois ans, d'une nouvelle génération plus activiste et plus tapageuse qu'avant. [Elle est simplement plus jeune et fait ses armes]. Nous relèverons pour finir cette affirmation sans preuve que Jean-Yves Camus croit utile de livrer et qui fait un peu partie, d'ailleurs, des inévitables - quoique anachroniques - accusations qu'il est convenu de porter, quel que soit le sujet - à l'encontre de l'Action française. Ici, cela prend la forme suivante : « La section de Marseille est particulière. Son leader pendant la Seconde guerre mondiale était un collaborateur, coupable d'exactions, ce qui n'était pas vraiment le parti pris de l'Action française. Ces nationalistes n'aimaient pas voir une armée d'occupation.» Pour qui a passé plusieurs décennies à militer à l'Action française à Marseille, ce sont ces deux dernières propositions qui sont vraies. Sur la première [le leader de la section de Marseille pendant la Seconde guerre mondiale était un collaborateur, coupable d'exactions] le spécialiste qu'est Jean-Yves Camus ne dit rien. Pas de nom, pas de preuve, pas de détail. Nous n'ignorons pas, on s'en doute, qu'au cours de l'Occupation, il y a eu, à l'Action française, ou dans sa mouvance, des militants ou sympathisants qui se sont engagés dans la Collaboration. Ils contrevenaient alors à la ligne politique de l'Action française. Nous n'ignorons pas non plus, qu'il y en eut beaucoup plus à gauche, venus du mouvement pacifiste, du Parti communiste et, en fait, de toute la gauche. Le leader de l'Action française à Marseille que nous avons connu et qui l'a dirigée des années 1950 à 1980, n'avait rien d'un collaborateur. Nous ne contesterons pas le professionnalisme de Jean-Yves Camus mais, à coup sûr, son impartialité. Il collabore à Charlie Hebdo, il exerce des responsabilités au think tank Jean Jaurès, il se classe nettement dans la mouvance du Parti socialiste. Le moins que l'on puisse dire est qu'il ne peut pas être, dans cette affaire comme dans une autre, un élément de pluralité de l'information, pour la Provence. Même coloration garantie ! 

    Le manque de sérieux marque toute cette agitation. Et la vraie violence - la violence de fond - n'est pas là où ces Messieurs l'ont dit.   Lafautearousseau 

     

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    Rassemblement royaliste aux Baux de Provence

     

  • Un virus mondialisé*, par Michel Onfray.

    Le coronavirus n’est pas juste une épidémie médicale, c’est également une métaphore: celle de ce qu’est (devenue) la France qui subit, voire qui va au devant des problèmes. Ses prétendus experts qui ne décollent pas des plateaux de chaînes d’information continue (j’avais écrit: contenue…), font les malins: ils déclarent "même pas mal!", ils bombent le torse comme des cadors, ils minimisent, ils estiment que c’est moins grave qu’une épidémie classique de grippe hivernale comme il y en a tous les ans, mais je ne peux m’empêcher de croire ce que je vois et non pas de voir ce que je crois: la Chine n’est pas du genre à confiner la ville de Wuhan, quinze millions d’habitants, si l’extrême gravité n’est pas avérée –c’est ce que doit et peut penser quiconque n’a pas renoncé à l’usage de sa raison ni à celui de son esprit critique.

    michel onfray.jpgUn pays dictatorial compte pour rien la mort de ses citoyens, mais pas celle des ressortissants des autres pays, non pas par moralité, mais par cynisme politique, industriel, commercial. La Chine n’aurait pas pris le risque d’être associée à une mauvaise image planétaire ( le pays d’où sort un virus inconnu et mortel associé à des pratiques culturelles atypiques -manger de la chauve-souris en soupe par exemple, sinon du pangolin, voire boire du venin mélangé à du sang de serpent sous prétexte que c’est aphrodisiaque…), de connaître une dégringolade économique mondiale, s’il n’y avait pas eu un véritable péril en la demeure.

    Sur un plateau de télévision, le mardi 28 janvier, j’ai soutenu cette thèse en précisant que je trouvais étonnant que dans notre pays, si prompt à invoquer le principe de précaution édicté par Maastricht pour interdire les desserts fabriqués en famille et emportés à l’école pour fêter un anniversaire faute de traçabilité, on puisse ne pas décoder le message que la Chine envoyait en confinant la ville, puis la région de manière drastique.

    Au dire des experts en tout, c’était prétendument le signe d’une gestion totalitaire de la crise. Mais ce pays n’est pas à dix mille morts prêt -depuis des décennies, la répression maoïste ou néo-maoïste témoigne que les gouvernants se moquent du trépas de leurs sujets! La Chine savait ce que nous ne savons pas mais dont pourtant nous aurions dû nous douter: il suffisait non pas de croire ce qui se disait, et qui s’est amplement trouvé amplifié par les médias qui reprenaient en chœur, mais de penser ce qui était fait au pays de Mao 2.0. Comme toujours, on a préféré croire un mensonge qui sécurise à une vérité qui inquiète.

    Nombre de médecins qui donnaient des leçons, tout en ne sachant pas grand chose de ce virus, arboraient des titres ronflants –chefs de ceci, patrons de cela, directeur ici, responsable là, président souvent, mais aucun journaliste n’a précisé que, par exemple, quand il invitait sur son plateau le docteur Yves Lévy, médecin spécialiste en immunologie, ancien patron de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), depuis peu "conseiller d’État en service extraordinaire ", pour donner son avis éclairé sur la chose, ce monsieur était, dans le privé, le mari d’Agnès Buzyn alors ministre de la santé! Je l’ai appris sur un autre plateau télé, mais après l’émission et dans les couloirs… Au revers de cette armada de médecins qui péroraient, j’ai souvent vu des légions d’honneur rouge sang…

    Pendant que la Chine confinait, la France ouvrait grand ses portes en affrétant des avions militaires aux frais du contribuable afin de rapatrier sur le sol français ses ressortissants ayant choisi de vivre en Chine. Ces opérations se sont faites avec l’aide des militaires: on apprend aujourd’hui qu’il semblerait que l’un d’entre eux, au moins, ait rapporté le virus dans sa base avant une probable contamination d’une partie du département de l’Oise –avant la suite. Rappelons qu’un professeur sexagénaire est mort dans ce département alors qu’il n’avait pas effectué de voyages ni dans les zones à risque, ni ailleurs, il s’est juste trouvé en contact avec une personne venue de cette base militaire contaminée par un ordre donné à l’Elysée. Si j’étais Macron, je ne serais pas bien fier…

    Toujours sur ordre de l’Elysée, le gouvernement a ensuite dirigé ces rapatriés dans un village des Bouches-du-Rhône, Carry-le-Rouet, sans en informer le maire qui a appris la chose aux informations régionales –c’est dire dans quelle estime le président Macron tient les élus. Une deuxième livraison d’expatriés a été faite en Normandie, dans un village vacances, à Branville (Calvados), où se trouvaient encore des touristes.

    Paris sait se souvenir que la province existe quand il faut y loger des migrants ou des malades potentiels à mettre en quarantaine. Pourquoi à l’Elysée ou à Matignon n’a-t-on pas choisi Le Touquet, ville dans laquelle le président dispose d’une villa gardée en permanence, ou Le Havre, cité du premier ministre candidat à sa réélection aux prochaines municipales? Tant qu’à exposer les Français, le premier d’entre eux, et son second, devraient au moins montrer l’exemple.

    Quelques responsables politiques ont invité à reprendre le contrôle des frontières pour empêcher la propagation de la maladie –ce qui paraissait de bon sens. Péché mortel pour les thuriféraire du marché total planétaire! On a alors entendu un élément de langage consternant, repris par le ministre de la santé lors de son intervention du samedi 29 février: "Le virus ignore les frontières." Tout en expliquant qu’il fallait ne pas se serrer la main pour se dire bonjour, ne pas se faire la bise et se laver les mains -il est vrai que, pour accoucher d’une pareille montagne, il fallait bien mobiliser un conseil des ministres extraordinaires un samedi avec toutes les huiles gouvernementales flanquées des plus hauts gradés de l’armée française et des professionnels de la profession comme dit l’autre. S’en sont suivies des interdictions de se réunir, de voyager en dehors de la zone maastrichtienne (rions un peu!), de courir un marathon, d’assister à des rencontres sportives dans un stade fermé, de se réunir à plus de tant de personnes: autrement dit, il fallait mettre des frontières entre soi et les gens potentiellement contaminés, mais on pouvait laisser librement circuler les Chinois, et laisser les Italiens passer nos frontières sans contrôle. Ce qui vaut pour un village si loin de Paris et de ses jacobins ne saurait donc valoir pour la totalité du pays.

    Il est bien triste d’avoir à redire à ces gens qui nous l’apprennent que le virus ne vole pas comme une libellule dans l’air mais qu’il se transmet par ceux qui en sont affectés –vérité de La Palice. Dès lors, on ne se sert pas la main si l’on est un habitant des villages de l’Oise concernés, on reste chez soi, mais on peut continuer à prendre le train, l’avion, à rouler sur les routes et autoroutes sans que cela ne pose un problème de santé publique!

    Car le virus n’existe pas seul, comme une monade voyageant dans l’éther, mais porté par des gens qu’on peut confiner –ce qui s’appelle rester dans la frontière de sa maison. Mais la France, bonne fille, ouvre grandes ses portes au virus puisqu’elle reste adepte de la mondialisation, à la libre circulation des personnes et des biens, et que l’Etat profond qui nous gouverne, et auquel Macron obéit, ne veut pas avouer ses erreurs et son tort en revenant sur son dogme sans-frontiériste ce qui serait avouer que ce dogme est mortifère.

    Or, que se passe-t-il avec la quarantaine –sottement rebaptisée quatorzaine par le ministre de l’éducation nationale ignorant qu’il utile un mot qui existe dans le registre juridique (Quatorzaine: Espace de quatorze jours qui s'observait légalement entre les diverses étapes d'une saisie judiciaire. Quarantaine:Toute espèce de réclusion, de séquestration temporaire), mais en dehors de son sens, contre lui, même, car une quarantaine, c’est un temps d’isolement qui, certes, durait à l’origine quarante jours mais qui peut durer plus ou moins depuis? De même que Limoger signifiait jadis envoyer à Limoges comme punition, le mot signifie aujourd’hui envoyer dans un lieu qu’à Paris on estime perdu pour punir un fonctionnaire qui ne courbe pas l’échine –mais pas forcément à Limoges! La quarantaine, même si elle dure quatorze jours sans d’ailleurs qu’on soit sûr que ce soit la période adéquate, est une réclusion pendant un certain temps dans un espace confiné –chambre d’hôpital, appartement privé , maison ou camp de vacances pourvu que ce soit chez les demeurés loin de Paris. Or, tout ceci suppose une limite en-deça et au-delà de laquelle les choses ne sont pas les mêmes. Y a-t-il une autre définition de la frontière?

    L’impéritie gouvernementale a donc permis que nous passions du stade 1 au stade 2 avec ces belles vitesses. On nous annonce désormais l’inexorable arrivée du stade 3.

    J’avais bien raison de dire en ouverture que le coronavirus n’est pas juste une épidémie médicale mais également une métaphore. Si je voulais m’exprimer comme un journaliste, donc comme un politique, et vice-versa, je dirai: "La suite est à venir"…

    Michel Onfray
    ________________________________

    *: Expression utilisée dans sa conférence de presse par le ministre de la santé le samedi 29 février.

  • Marianne pendue au gibet du 49.3 !, par Frédéric de Natal.

    (Notre ami Frédéric de Natal a lui aussi évoqué cette "affaire de Toulouse" sur sa page FB, qui se termine par une conclusion non dénuée d'humour; sur ce sujet des descendants d'Henri IV et de Saint Louis, rappelons une fois de plus ce qui va sans dire mais qui va encore mieux en le disant; tout le monde connait bien notre position, qui n'a pas changé et qui ne changera pas : pour nous, l'avenir c'est Jean IV...)

    L'acte a été condamné par divers élus locaux. Hier, à Toulouse et au petit matin, une vingtaine de jeunes militants de l'Action française ont pendu «symboliquement » une effigie de « la gueuse », ce terme méprisant habituellement attribué à la République depuis l’Entre-deux-guerres par les monarchistes.

    Le jour–même, le gouvernement du premier ministre Edouard Philippe dégainait l’article 49.3 de la constitution de 1958 afin de faire passer en force un projet de loi sur les retraites, victime d’une obstruction parlementaire.

    Entre ces deux actes, aucune corrélation si ce n’est le signe d’une France malade de sa démocratie et qui semble entamer désormais le dernier chapitre de son existence sur fond de violences sociales rarement atteintes dans son histoire.

    frédéric de natal.jpg"Contre un régime instable, irresponsable, à court terme et qui divise. Contre une république centralisatrice soumise aux lobbies qui sacrifie le Bien Commun aux intérêts particuliers et à la démagogie, Vite la Monarchie ! Pour que vive la France, Vive le Roi !" peut-on lire sur les divers réseaux sociaux de l’Action française, le mouvement de l’académicien Charles Maurras et dont l’ombre ne cesse de planer au-dessus d’un gouvernement drapé dans le voile aveugle d’un autoritarisme qui ne dit pas encore son nom. Montée du communautarisme religieux, crise sociale, crise identitaire, montée des populismes, scandales en tout genre (comme le Benallagate pour ne citer que celui-ci), actes de terrorisme d’extrême-gauche (osons dire un peu les choses maintenant-ndlr), les chaînes des digues qui protégeaient tout individu contre l’intolérance naturelle de l'homme se sont brisées, la France de Louis XIV de Napoléon, ou de Charles de Gaulle est désormais menacée d’éclatement.

    Encore faut-il-ajouter de nouvelles ingérences politiques étrangères au sein de l’Hexagone sans même que l’état ne daigne bouger pour assurer notre intégrité nationale. Les attaques supposées de la Russie ou des Etats-Unis, l’affaire porno-politique Piotr Andreïevitch Pavlenski , l’incendie à la Gare de Lyon en marge d’un concert d’une star congolaise, les manifestations algériennes du Herak à Paris et hier le rassemblement géant organisé à Perpignan par le député séparatiste catalan Carles Puigdemont i Casamajó sont autant d’exemples récents et de signes de la déliquescence d’une Vème République qui semble à bout de souffle et à l’agonie. Une France réduite à « l’état de servitude volontaire » vis-à-vis de Bruxelles expliquait très justement Bertrand Renouvin, leader de la Nouvelle action royaliste et ancien membre du Conseil économique et Social, dans un éditorial de décembre 2019. Certains évoquent même ouvertement une « guerre civile » à venir sans savoir de qui l’un serait l’ennemi de l’autre, ou bien qui entre deux complot francs-maçons et dans un vague délire masturbatoire, fantasment à un hypothétique coup d’état de la «Grande muette », oubliant ce qu’est la réalité d’une dictature militaire ou la notion de légalisme qui règne au sein de l’armée. Et pourtant, à regarder de plus près, ce sont encore des preuves cette atmosphère d’angoisse générale qui a envahi « le pays réel [plus que jamais opposé] au pays légal ». Rarement dans son histoire, la France post-1945 n’avait atteint un tel niveau de crise révolutionnaire et celle de 1968 paraît bien sobre au regard des événements actuels.

    Un nouveau 6 février 1934 ?

    Hier soir aux abords du parlement, des milliers de français, toutes tendances politiques, se sont rassemblés pour crier leur refus de l’utilisation du 49.3. «Oublié les cahiers de doléances et le Grand débat », vague pitrerie présidentielle qui, à travers un savant coup de marketing, avait tenté de faire redorer le blason terni de « Jupiter», le surnom donné à Emmanuel Macron. Un président qui n’est plus en odeur de sainteté auprès des français. Fin de partie, la magie s’est envolée doucement dans les volutes de l’illusion, happées par le cynisme macronien post-ado du « moi je ». Ce matin, sur les ondes de Radio France Internationale, c’est unanime que l’opposition et les syndicats ont annoncé qu’ils allaient reprendre les manifestations contre le gouvernement alors que les vacances scolaires se terminent. Avec deux motions de censures déjà déposées contre le gouvernement du premier ministre Edouard Philippe, dont la permanence au Havre, a été attaquée pour la 3ème fois consécutive depuis le début de la campagne pour les municipales du 15 mars prochain, Les Républicains (LR), le Rassemblement national (RN) et France Insoumise (FI) vont tenter avec les dissidents de La République en marche (LREM) de faire tomber le gouvernement. Bien que cela ait peu de chances d’aboutir, l’ambiance du moment n’est pas sans rappeler cette journée historique, dans l’histoire de la IIIème République, qui avait menacé les institutions jusque dans ses fondements. La France est-elle au bord de l’implosion ? C’est la théorie qu’avance l’historien et démographe Emmanuel Todd dans son nouvel ouvrage « Les luttes de classes en France au XXIe siècle » et qui évoque « cette France du XXième siècle, paralysée mais vivante, où se côtoient et s'affrontent des dominés qui se croient dominants, des étatistes qui se croient libéraux, des individus égarés qui célèbrent encore l'individu-roi, avant l'inéluctable retour de la lutte des classes ».

    Et si on rappelait le Roi ?

    Le magazine « L’incorrect » affirme que les « français en rêvent ». Il n’est peut-être pas loin de la vérité. Avec 17% des sondages en faveur de la restauration de la monarchie, des prétendants au trône de plus en plus présents dans l’espace médiatique , des titres qui se sont multipliés sur le sujet depuis deux ans des politiques locaux ou nationaux qui ont évoqué ouvertement ce «roi qui manque à la France » et dont elle ne s’est jamais vraiment remis de sa mort en 1793, l’institution républicaine montre des signes certains de fragilité et qui appellent au redressement national. Dans un éditorial dans le magazine «Marianne», la polémiste Natacha Polony, est lapidaire sur la réalité de ce déni flagrant de démocratie. un de plus après le référendum de 2005, balayé du revers de la main par le président Jacques Chirac, irrité que les français n'aient pas voté en faveur d'un nouveau contrat européen. « le projet de réforme des retraites aura constitué un naufrage politique. D’une idée plébiscitée par une majorité de Français, l’obstination technocratique à faire travailler plus longtemps des citoyens soupçonnés de paresse congénitale aura fait une occasion de plus de construire l’image d’un pouvoir autoritaire et sourd. En face, la guerre de tranchées des députés insoumis à coups d’amendements prétextes aura davantage encore détruit ce qui reste de débat à l’Assemblée nationale» écrit Natacha Polony.

    Le parlementarisme actuel a atteint les limites de son existence avec l’utilisation à outrance de cet article constitutionnel ou de ses amendements. De droite comme à gauche, toutes idéologies confondues, on crie haro sur le « monarchisme républicain », pâle-copie sans saveurs de notre défunte royauté sans trop oser encore appeler à un référendum sur la question des institutions. Excepté France insoumise et son idée saugrenue de revenir à un type de IVème république, un des plus beaux échecs de gouvernance républicaine ayant existé.

    La France nostalgique de ses souverains ?

    Exit depuis les trois derniers mandats présidentiel, l’idée d’avoir « un chef d'État arbitral, garant de la continuité et de l'indépendance nationale, véritable clef de voûte des institutions » a été dévoyée. « (…) Il n'est pas étonnant que les Français, attachés à la symbolique politique, se prononcent à chaque élection présidentielle par des votes de rejet plus que d'adhésion » constatait avec inquiétude, le prince Jean d’Orléans, comte de Paris, dans une tribune publiée dans le journal « Le Figaro », en octobre 2018 et à l’aube du mouvement des Gilets Jaunes, nos croquants de ce siècle pour lesquels, les deux prétendants au trône ont apporté leurs soutiens officiels. Les français réclament un arbitre. En guise de conclusion, le comte de Paris ne se faisait-il pas l’écho de la volonté de nos concitoyens lorsqu’il écrivait justement : «Je souhaite, dans la continuité des déclarations de mon grand-père et de mon père, que l'État soit, à nouveau, rétabli dans son indépendance selon sa vocation arbitrale afin qu'il soit pleinement au service de la France et des Français ». « L'Intérêt national et la restauration des pouvoirs régaliens méritent toute notre attention, pour la France et le Roi » martèle l’Action française.

    Jean d’Orléans, Louis-Alphonse de Bourbon, Jean – Christophe Napoléon, autant de descendants d’Henri IV qui se sont déclarés, ces mois passés, tous disponibles à relever le drapeau tricolore si la population le souhaite. Le cheval blanc et Jeanne d’Arc en moins.