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  • Une politique pour l'an 2000, de Pierre Debray (1)

     

    2235704335.jpg1ère partie : l’Homme Masse

    Dans « l’Avenir de l’Intelligence », au début du XXe siècle Maurras annonce l'avènement d'un « âge de fer » « l’homme sera livré à la force pure ». L'hégémonie de la société marchande conduira à l'avilissement de l'intelligence. Ce qui n'a pas de prix, l'œuvre de l'esprit, devra en recevoir un. Sa qualité se déterminera par la quantité de livres vendus. Plutôt que de s'en tenir à des déplorations moralisantes, Maurras cherche la cause et la trouve dans la révolution industrielle.

    UNE PROPHETIE DE CHARLES MAURRAS

    Certes Ruskin avait déjà compris que l'évolution de l'art est liée au mouvement général de la société mais Maurras, s'il refuse l'admiration béate du machinisme, ne partage pas le mépris des esthètes pour le progrès des techniques. En soi, il lui parait bienfaisant. D'ailleurs c'est un fait et les faits «se moquent de nos sentiments et de nos jugements auxquels ils échappent, par définition ». La science, la technique « sont innocents de la faute qu'on leur impute. Elle ne vient pas d'eux mais de l'ordre mauvais sous lequel ils sont nés »

    N'empêche que l'Intelligence rencontre « son adversaire définitif dans les forces » que libère la révolution industrielle. Plutôt que de les canaliser afin qu'elles servent au bonheur des hommes « l’ordre mauvais » les laisse se répandre et tout dévaster. Un fleuve indompté emporte, dans sa fureur nos pauvres biens. L'intelligence, livrée au flot qu'aucune contrainte ne limite, est nécessairement vaincue « par la masse supérieure des richesses » que procréent les « forces industrielles ». A son tour, elle est massifiée. Toute la stratégie de Maurras va donc consister à recruter des bâtisseurs, pour édifier, avec lui la digue. Il s'efforcera de réaliser « la fédération solide et publique des meilleurs éléments de l'Intelligence avec les éléments les plus anciens de la nation », l'Eglise, l'armée mais aussi toutes les aristocraties, celles du sang et celles du monde ouvrier. Maurras s'intéresse autant aux anarcho-syndicalistes, qui défendent la propriété de leur métier, qu'à l'antique noblesse d'épée, ces hobereaux, enracinés dans la communauté villageoise. A ses yeux, ils sont de la même race. Maurras ne désespère même pas « d'atteindre et gagner quelques-unes des citadelles de l’argent » puisque « diviseur et divisible à l'infini » rien n'interdit de le diviser contre lui-même.

    Vers 1910, Maurras fut sur le point d'aboutir. La première guerre mondiale, qu'il avait tenté d'éviter, deviendra inéluctable en 1914 lorsque la victoire électorale d'une gauche hostile à la loi de trois ans, qui permettait de prévenir l'invasion, eut convaincu le grand état-major allemand que la guerre serait fraîche et joyeuse. Elle faillit l'être. L'on oublie trop que sans la victoire de la Marne, qui fut tenue, sur le moment, pour un miracle, et qui l'était dans une certaine mesure, Paris eût été pris. La France aurait-elle pu se res­saisir ? Nul ne le sait. En luttant sur le front de l'Intelligence, Maurras contribua à sauver la nation mais aussi la République et la jeunesse d'Action Française, fauchée dans les premières batailles, sur un sol mal défendu, avec lui et à son appel. La fédération ne devint, de nouveau concevable, qu'en juin 40, fruit amer et déjà gâté du désastre de nos armes.

    Maurras ne s'était jamais dissimulé le caractère aléatoire et « les difficultés de cette entreprise ». Elle relevait du pari, mais comme pour celui de Pascal la mise semblait dérisoire, comparée à l'enjeu. « Exposée à périr, sous un nombre victorieux, la qualité intellectuelle ne risque rien à tenter l’effort ».

    Pourtant la révolution industrielle n'était pas entrée dans sa phase de maturité. « L’avenir de l’intelligence » date de 1905. L'ingénieur Taylor ne publiera qu'en 1907 ses « études sur l'organisation du travail dans les usines », qui introduiront la production en grandes séries, et la « grande grève » de Renault, qui consacre la défaite de l'aristocratie ouvrière n'aura lieu qu'en 1911. Il n'en est que plus remarquable que Maurras décrive au présent, comme si c'était déjà réalisé, le processus qui conduira à l'avènement, un demi-siècle plus tard, de la société de consommation. Tout est annoncé en une phrase : « les développements de l'industrie, du commerce et de l'agriculture, sous l'impulsion de la science et du machinisme, l'énorme translation économique qu'ils ont provoquée, l'essor financier qui en résulte, l'activité générale que cela représente, l'extension de la vie, la multiplication et l'accroissement des fortunes, particulièrement des fortunes mobilières ».

    1888211425.jpgLa prophétie de Maurras s'est accomplie. Il suffit de considérer les mœurs de l'édition. Le livre est devenu un produit. Un jeune romancier ne trouvera des lecteurs que s'il passe à la télévision dans l'émission « Apostrophes ». Qu'il présente bien, parle avec onction, qu'il plaise, le succès est assuré. Mais le sort de la France se joue de la même façon. Si M. Mitterrand devint président, il le dût pour une bonne part à son agent de publicité, qui avait trouvé le bon slogan. Il fallait rassurer les Français. Ce fut « la force tranquille ». Avoir du talent, les dons nécessaires pour gouverner importe moins que bien « se vendre », mot affreux qui ravale l'artistique ou le politique au rang de la prostituée. Rien là néanmoins que d'inévitable, dans une société que son évolution porte à imposer la quantité. Partout, la massification des activités humaines se développe. La production de masse engendre la consommation de masse, la consommation de masse les « Mammouths » qui, écrasent, sinon les prix, du moins le petit commerce. L'ouvrier qualifié s'efface devant l'O.S., la couturière disparaît au profit du « prêt à porter », le vendeur est chassé des « libre-services ». Le travail est disqualifié, et la na­ture dévastée. Pourquoi l'art et la politique auraient-ils été épargnés ? A la production de masse, à la consommation de masse correspondent, de nécessité, la culture de masse et la démocratie, fondée, comme l'a si bien saisi Tocqueville sur l'irruption de la masse dans l'histoire. Fourastié présente les décennies 45-75 comme les trente glorieuses. Ce furent les trente hideuses, la décomposition de l'art, de la religion, de la morale, de la cité même.

    Comment une école de pensée qui se donnait pour objectif de renverser le processus, en réalisant l'alliance des aristocraties, celles de l'intelligence, du sang, de- la terre et du peuple, aurait-elle eu, pendant les trente hideuses la moindre chance de se faire entendre ? Nos critiques semblaient aller contre le mouvement général des idées, des mœurs et des techniques. La démocratie, expression politique de l'ère des masses, remplaçait les structures hiérarchiques d'un pouvoir qui distribuait les hommes en fonction de leur qualité, par la comptabilité mécanique d'une quantité de suffrages indifférenciés. Est-ce par hasard si ces progrès accompagnèrent ceux des forces industrielles ? Que valaient les arguments de la raison contre la puissance brutale des rois barbares de l'or et de l'acier, du dollar et du pétrole ? Il convenait d'être démocrate, par un acte religieux d'agenouillement devant le Nombre, idole d'une société marchande, sinon on devait être parqué dans une réserve d'indiens. Voici que la démocratie atteint sa perfection puisque pour mériter de gouverner un grand pays industriel, il faut s'assurer le concours du meilleur « publicitaire », en un temps où le pouvoir se conquiert comme un marché, selon les méthodes du commerce de masse.

    Au moment où s'opère un prodigieux retournement, qui s'annonce chez nous mais se manifeste, dans toute sa force, aux Etats-Unis par le retour, sur le devant de la scène, du patriotisme, de la morale, de la religion, notre critique de la démocratie cesse d'être le fait de marginaux. Elle devient une nécessité historique. Cela doit se démontrer. En effet, pour la plupart des Français, être démocrate va de soi. Les tares du système sautent aux yeux. Nul ne songe plus à les contester. Afin de s'en accommoder, il semble qu'il suffise de répéter, comme un exorcisme, la formule fameuse de Churchill : « La démocratie est un mauvais régime mais tous les autres sont pires ». Quels autres ? Le nazi et le bolchevique, bien sûr. Mais ne s'agit-il pas précisément de démocraties à l'état pur, sans mélange de parlementarisme ? Rousseau l'a démontré, une fois pour toutes. Il n'est de gouvernement vraiment démocratique que s'il exprime la volonté générale. Celle-ci ne se divisant pas, seul un parti unique, composé de citoyens vertueux, qui ont renoncé à poursuivre leurs intérêts particuliers, l'incarne. Robespierre en était conscient. La République étant une et indivisible, il expédiait à la guillotine les républicains qui prétendaient se constituer en factions, donc qui cherchaient à instituer la pluralité des partis.

    Les pays anglo-saxons puis, à leur imitation, l'Europe occidentale ont tenté de tempérer, par le parlementarisme, la démocratie, dont tout le monde sait maintenant qu'abandonnée à sa logique elle conduit, de nécessité, au totalitarisme. Il fallait concilier deux principes qui s'op­posent ; la liberté et l'égalité. Tocqueville a expliqué que l'entreprise était pratiquement impossible. Pour établir le règne de l'égalité il convient de restreindre la liberté et, si possible, de l'abolir puisque les « élites » s'en servent afin de défendre leurs intérêts particuliers. A l'inverse la liberté tend vers la loi de la jungle, l'oppression des faibles par les puissants, au mépris de l'intérêt général. D'où l'opposition entre une droite libérale et une gauche égalitaire qui dégénèrerait en guerre civile, s'il n'y avait la recherche permanente d'un compromis de type centriste. Dans la pratique la droite fait la politique de la gauche, quand elle est au pouvoir. Plus idéologue, la gauche tente de faire la sienne puis, devant le risque de casser le pays en deux, prend peur et adopte la politique qu'aurait dû faire la droite, si elle avait été conséquente. Cette inversion des rôles, qui transforme en faux semblant notre vie politique, aboutit, en période de crise, à la neutralisation mutuelle du libéralisme et du socialisme. Le système ne fonctionne qu'à condition de respecter la règle d'or posée par un politicien bien oublié, Henri Queuille : la seule manière de résoudre les problèmes c'est de ne pas les poser.

    La véritable question n'est pas de savoir si la démocratie est un bon ou un mauvais régime. Les discussions académiques sur « le contrat social » présentaient un certain intérêt au XIXe siècle, en un temps où le débat restait théorique. Pas plus que les autres régimes, elle n'est descendue toute armée du ciel des idées. Elle n'est pas fille de Rousseau mais de la machine à vapeur. Il n'est besoin que de consulter son acte de naissance. Elle n'apparaît, sous sa forme moderne, qui n'a rien de commun, que le nom, avec sa forme antique, illustrée par Athènes, vers 1830, au moment où la seconde révolution industrielle, celle du charbon et de l'acier bouleverse, par le développement du chemin de fer la géographie sociale. Ses progrès coïncident avec ceux de la grande industrie. Totalitaire, dans l'Allemagne nazie ou en Union Soviétique, faussement libérale aux Etats-Unis et en Europe occidentale, elle s'impose irrésistiblement et universellement. Même les tyrans africains se dissimulent sous son masque. Nul n'ose gouverner s'il n'a reçu l'onction du suffrage universel. Tocqueville pourtant a dévoilé sa véritable nature. Elle n'est que l'expression politique de la massification de la société. Le règne de l'égalité ne constitue qu'un accident historique, la soumission de toutes les activités humaines aux forces industrielles. A la différence de Tocqueville, Maurras avait compris que cette évolution n'avait rien d'irréversible. Elle pouvait être enrayée et elle faillit l'être, alors qu'il était temps encore. Aujourd'hui la démocratie est devenue un frein au progrès matériel lui-même. Elle disparaîtra mais après quelles convulsions, quelles régressions ? Mieux vaut détruire le barrage qu'elle oppose désormais à la révolution technologique avant qu'il ne saute de lui-même. Assurément, il n'est pas question de verser dans le déterminisme historique. La machine à vapeur et le moteur à explosion n'ont pas engendré la passion de l'égalité. Ils ont transformé une pulsion irrationnelle en une nécessité économique. •  (A suivre - A venir : « L'homme masse ou le triomphe de Démos »)

    lafautearousseau

  • Une politique pour l'an 2000, de Pierre Debray (1)

     

    lfar bleu.jpgNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

     

    2235704335.jpg1ère partie : l’Homme Masse

    Dans « l’Avenir de l’Intelligence », au début du XXe siècle Maurras annonce l'avènement d'un « âge de fer » « l’homme sera livré à la force pure ». L'hégémonie de la société marchande conduira à l'avilissement de l'intelligence. Ce qui n'a pas de prix, l'œuvre de l'esprit, devra en recevoir un. Sa qualité se déterminera par la quantité de livres vendus. Plutôt que de s'en tenir à des déplorations moralisantes, Maurras cherche la cause et la trouve dans la révolution industrielle.

    UNE PROPHETIE DE CHARLES MAURRAS

    Certes Ruskin avait déjà compris que l'évolution de l'art est liée au mouvement général de la société mais Maurras, s'il refuse l'admiration béate du machinisme, ne partage pas le mépris des esthètes pour le progrès des techniques. En soi, il lui parait bienfaisant. D'ailleurs c'est un fait et les faits «se moquent de nos sentiments et de nos jugements auxquels ils échappent, par définition ». La science, la technique « sont innocents de la faute qu'on leur impute. Elle ne vient pas d'eux mais de l'ordre mauvais sous lequel ils sont nés »

    N'empêche que l'Intelligence rencontre « son adversaire définitif dans les forces » que libère la révolution industrielle. Plutôt que de les canaliser afin qu'elles servent au bonheur des hommes « l’ordre mauvais » les laisse se répandre et tout dévaster. Un fleuve indompté emporte, dans sa fureur nos pauvres biens. L'intelligence, livrée au flot qu'aucune contrainte ne limite, est nécessairement vaincue « par la masse supérieure des richesses » que procréent les « forces industrielles ». A son tour, elle est massifiée. Toute la stratégie de Maurras va donc consister à recruter des bâtisseurs, pour édifier, avec lui la digue. Il s'efforcera de réaliser « la fédération solide et publique des meilleurs éléments de l'Intelligence avec les éléments les plus anciens de la nation », l'Eglise, l'armée mais aussi toutes les aristocraties, celles du sang et celles du monde ouvrier. Maurras s'intéresse autant aux anarcho-syndicalistes, qui défendent la propriété de leur métier, qu'à l'antique noblesse d'épée, ces hobereaux, enracinés dans la communauté villageoise. A ses yeux, ils sont de la même race. Maurras ne désespère même pas « d'atteindre et gagner quelques-unes des citadelles de l’argent » puisque « diviseur et divisible à l'infini » rien n'interdit de le diviser contre lui-même.

    Vers 1910, Maurras fut sur le point d'aboutir. La première guerre mondiale, qu'il avait tenté d'éviter, deviendra inéluctable en 1914 lorsque la victoire électorale d'une gauche hostile à la loi de trois ans, qui permettait de prévenir l'invasion, eut convaincu le grand état-major allemand que la guerre serait fraîche et joyeuse. Elle faillit l'être. L'on oublie trop que sans la victoire de la Marne, qui fut tenue, sur le moment, pour un miracle, et qui l'était dans une certaine mesure, Paris eût été pris. La France aurait-elle pu se res­saisir ? Nul ne le sait. En luttant sur le front de l'Intelligence, Maurras contribua à sauver la nation mais aussi la République et la jeunesse d'Action Française, fauchée dans les premières batailles, sur un sol mal défendu, avec lui et à son appel. La fédération ne devint, de nouveau concevable, qu'en juin 40, fruit amer et déjà gâté du désastre de nos armes.

    Maurras ne s'était jamais dissimulé le caractère aléatoire et « les difficultés de cette entreprise ». Elle relevait du pari, mais comme pour celui de Pascal la mise semblait dérisoire, comparée à l'enjeu. « Exposée à périr, sous un nombre victorieux, la qualité intellectuelle ne risque rien à tenter l’effort ».

    Pourtant la révolution industrielle n'était pas entrée dans sa phase de maturité. « L’avenir de l’intelligence » date de 1905. L'ingénieur Taylor ne publiera qu'en 1907 ses « études sur l'organisation du travail dans les usines », qui introduiront la production en grandes séries, et la « grande grève » de Renault, qui consacre la défaite de l'aristocratie ouvrière n'aura lieu qu'en 1911. Il n'en est que plus remarquable que Maurras décrive au présent, comme si c'était déjà réalisé, le processus qui conduira à l'avènement, un demi-siècle plus tard, de la société de consommation. Tout est annoncé en une phrase : « les développements de l'industrie, du commerce et de l'agriculture, sous l'impulsion de la science et du machinisme, l'énorme translation économique qu'ils ont provoquée, l'essor financier qui en résulte, l'activité générale que cela représente, l'extension de la vie, la multiplication et l'accroissement des fortunes, particulièrement des fortunes mobilières ».

    1888211425.jpgLa prophétie de Maurras s'est accomplie. Il suffit de considérer les mœurs de l'édition. Le livre est devenu un produit. Un jeune romancier ne trouvera des lecteurs que s'il passe à la télévision dans l'émission « Apostrophes ». Qu'il présente bien, parle avec onction, qu'il plaise, le succès est assuré. Mais le sort de la France se joue de la même façon. Si M. Mitterrand devint président, il le dût pour une bonne part à son agent de publicité, qui avait trouvé le bon slogan. Il fallait rassurer les Français. Ce fut « la force tranquille ». Avoir du talent, les dons nécessaires pour gouverner importe moins que bien « se vendre », mot affreux qui ravale l'artistique ou le politique au rang de la prostituée. Rien là néanmoins que d'inévitable, dans une société que son évolution porte à imposer la quantité. Partout, la massification des activités humaines se développe. La production de masse engendre la consommation de masse, la consommation de masse les « Mammouths » qui, écrasent, sinon les prix, du moins le petit commerce. L'ouvrier qualifié s'efface devant l'O.S., la couturière disparaît au profit du « prêt à porter », le vendeur est chassé des « libre-services ». Le travail est disqualifié, et la na­ture dévastée. Pourquoi l'art et la politique auraient-ils été épargnés ? A la production de masse, à la consommation de masse correspondent, de nécessité, la culture de masse et la démocratie, fondée, comme l'a si bien saisi Tocqueville sur l'irruption de la masse dans l'histoire. Fourastié présente les décennies 45-75 comme les trente glorieuses. Ce furent les trente hideuses, la décomposition de l'art, de la religion, de la morale, de la cité même.

    Comment une école de pensée qui se donnait pour objectif de renverser le processus, en réalisant l'alliance des aristocraties, celles de l'intelligence, du sang, de- la terre et du peuple, aurait-elle eu, pendant les trente hideuses la moindre chance de se faire entendre ? Nos critiques semblaient aller contre le mouvement général des idées, des mœurs et des techniques. La démocratie, expression politique de l'ère des masses, remplaçait les structures hiérarchiques d'un pouvoir qui distribuait les hommes en fonction de leur qualité, par la comptabilité mécanique d'une quantité de suffrages indifférenciés. Est-ce par hasard si ces progrès accompagnèrent ceux des forces industrielles ? Que valaient les arguments de la raison contre la puissance brutale des rois barbares de l'or et de l'acier, du dollar et du pétrole ? Il convenait d'être démocrate, par un acte religieux d'agenouillement devant le Nombre, idole d'une société marchande, sinon on devait être parqué dans une réserve d'indiens. Voici que la démocratie atteint sa perfection puisque pour mériter de gouverner un grand pays industriel, il faut s'assurer le concours du meilleur « publicitaire », en un temps où le pouvoir se conquiert comme un marché, selon les méthodes du commerce de masse.

    Au moment où s'opère un prodigieux retournement, qui s'annonce chez nous mais se manifeste, dans toute sa force, aux Etats-Unis par le retour, sur le devant de la scène, du patriotisme, de la morale, de la religion, notre critique de la démocratie cesse d'être le fait de marginaux. Elle devient une nécessité historique. Cela doit se démontrer. En effet, pour la plupart des Français, être démocrate va de soi. Les tares du système sautent aux yeux. Nul ne songe plus à les contester. Afin de s'en accommoder, il semble qu'il suffise de répéter, comme un exorcisme, la formule fameuse de Churchill : « La démocratie est un mauvais régime mais tous les autres sont pires ». Quels autres ? Le nazi et le bolchevique, bien sûr. Mais ne s'agit-il pas précisément de démocraties à l'état pur, sans mélange de parlementarisme ? Rousseau l'a démontré, une fois pour toutes. Il n'est de gouvernement vraiment démocratique que s'il exprime la volonté générale. Celle-ci ne se divisant pas, seul un parti unique, composé de citoyens vertueux, qui ont renoncé à poursuivre leurs intérêts particuliers, l'incarne. Robespierre en était conscient. La République étant une et indivisible, il expédiait à la guillotine les républicains qui prétendaient se constituer en factions, donc qui cherchaient à instituer la pluralité des partis.

    Les pays anglo-saxons puis, à leur imitation, l'Europe occidentale ont tenté de tempérer, par le parlementarisme, la démocratie, dont tout le monde sait maintenant qu'abandonnée à sa logique elle conduit, de nécessité, au totalitarisme. Il fallait concilier deux principes qui s'op­posent ; la liberté et l'égalité. Tocqueville a expliqué que l'entreprise était pratiquement impossible. Pour établir le règne de l'égalité il convient de restreindre la liberté et, si possible, de l'abolir puisque les « élites » s'en servent afin de défendre leurs intérêts particuliers. A l'inverse la liberté tend vers la loi de la jungle, l'oppression des faibles par les puissants, au mépris de l'intérêt général. D'où l'opposition entre une droite libérale et une gauche égalitaire qui dégénèrerait en guerre civile, s'il n'y avait la recherche permanente d'un compromis de type centriste. Dans la pratique la droite fait la politique de la gauche, quand elle est au pouvoir. Plus idéologue, la gauche tente de faire la sienne puis, devant le risque de casser le pays en deux, prend peur et adopte la politique qu'aurait dû faire la droite, si elle avait été conséquente. Cette inversion des rôles, qui transforme en faux semblant notre vie politique, aboutit, en période de crise, à la neutralisation mutuelle du libéralisme et du socialisme. Le système ne fonctionne qu'à condition de respecter la règle d'or posée par un politicien bien oublié, Henri Queuille : la seule manière de résoudre les problèmes c'est de ne pas les poser.

    La véritable question n'est pas de savoir si la démocratie est un bon ou un mauvais régime. Les discussions académiques sur « le contrat social » présentaient un certain intérêt au XIXe siècle, en un temps où le débat restait théorique. Pas plus que les autres régimes, elle n'est descendue toute armée du ciel des idées. Elle n'est pas fille de Rousseau mais de la machine à vapeur. Il n'est besoin que de consulter son acte de naissance. Elle n'apparaît, sous sa forme moderne, qui n'a rien de commun, que le nom, avec sa forme antique, illustrée par Athènes, vers 1830, au moment où la seconde révolution industrielle, celle du charbon et de l'acier bouleverse, par le développement du chemin de fer la géographie sociale. Ses progrès coïncident avec ceux de la grande industrie. Totalitaire, dans l'Allemagne nazie ou en Union Soviétique, faussement libérale aux Etats-Unis et en Europe occidentale, elle s'impose irrésistiblement et universellement. Même les tyrans africains se dissimulent sous son masque. Nul n'ose gouverner s'il n'a reçu l'onction du suffrage universel. Tocqueville pourtant a dévoilé sa véritable nature. Elle n'est que l'expression politique de la massification de la société. Le règne de l'égalité ne constitue qu'un accident historique, la soumission de toutes les activités humaines aux forces industrielles. A la différence de Tocqueville, Maurras avait compris que cette évolution n'avait rien d'irréversible. Elle pouvait être enrayée et elle faillit l'être, alors qu'il était temps encore. Aujourd'hui la démocratie est devenue un frein au progrès matériel lui-même. Elle disparaîtra mais après quelles convulsions, quelles régressions ? Mieux vaut détruire le barrage qu'elle oppose désormais à la révolution technologique avant qu'il ne saute de lui-même. Assurément, il n'est pas question de verser dans le déterminisme historique. La machine à vapeur et le moteur à explosion n'ont pas engendré la passion de l'égalité. Ils ont transformé une pulsion irrationnelle en une nécessité économique. •  

    (A suivre - A venir : « L'homme masse ou le triomphe de Démos »)

  • Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (10)

     

    2293089609.14.jpgNous poursuivons la publication d'une série qui devrait faire date ; qui forme un ensemble à lire en entier : une étude de Pierre Debray parue en novembre 1985 dans le mensuel Je Suis Français, sous le titre Une politique pour l'an 2000. La lecture de ces textes expliquera aux lecteurs qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

     

    2235704335.jpg1ère partie : l’Homme Masse 

    Démos désintégré

    Les gouvernements de droite n'ont pas fabriqué la plèbe moderne pour le plaisir. L'imprévoyance a eu sa part, nous venons de le constater à propos de la dévalorisation du métier d'instituteur. Néanmoins, ainsi que l'histoire en fournit bien des exemples, la cause principale doit être recherchée dans une erreur intellectuelle, c'est-à-dire dans des prémisses justes dont on a tiré des conclusions fausses. Les technocrates, qui nous gouvernent, n'ignoraient pas que l'automation, un jour ou l'autre réduirait le nombre des emplois dans l'industrie. Un économiste australien Colin Clark, dont les travaux furent vulgarisés, en France, par Jean Fourastié a divisé les activités humaines en trois secteurs, primaire (agriculture), secondaire (industrie), tertiaire (commerce, administration, artisanat). Cette classification désormais universellement acceptée, implique, par le choix des termes, une loi : la main d'œuvre passe du primaire au secondaire puis du secondaire au tertiaire. Chassée des champs, par les progrès de l'agronomie, elle glisse vers l'industrie. A son tour, le progrès technologique la chasse de l'industrie et la contraint à se réfugier dans le tertiaire. Les technocrates en tirèrent la conclusion qu'il convenait de créer, fut-ce artificiellement, des emplois dans l'administration et le commerce.

    La loi de Clark s'est incontestablement vérifiée mais elle a été mal interprétée. On a fait du « tertiaire » un fourre-tout, où l'on a rangé ce qui ne relevait ni de l'agriculture ni de l'industrie. Pourtant Clark avait donné une définition précise du tertiaire : c'est le secteur dont la productivité ne peut augmenter que faiblement. il donnait l'exemple du coiffeur, qui ne coupe pas les cheveux plus vite aujourd'hui qu'au temps de Jules César. Ce qui est exact, dans le cas du coiffeur ne s'applique pas à l'administration et au commerce où la rationalisation du travail (le libre-service) ou l'automation (la bureautique) réduisent les possibilités de création d'emplois, dans un premier temps et en suppriment, dans un second. Ce n'est donc pas Clark qu'il convient d'incriminer. Il avait vu juste. Effectivement pour lutter contre le chômage, il importe de développer la production de biens qualificatifs, de fabrication artisanale ou semi-industrielle. L'erreur consiste à confondre secteur secondaire et industrie, alors qu'il s'agit d'une classification fondée sur la progression de la productivité, lente mais continue dans le primaire, rapide dans le secondaire, quasi-nulle dans le tertiaire. Assurément l'administration et le commerce, jusqu'au milieu du XXe siècle, appartenaient au secteur tertiaire. Ce n'est plus le cas. La productivité au moins potentielle s'est brutalement accélérée avec l'apparition des « grandes surfaces » dans le commerce puis l'application de l'informatique aux activités de gestion.

    En d'autres termes, l'on s'est trompé de tertiaire, dirigeant les jeunes vers des emplois de manœuvres aux écritures. Les illusions de la prospérité favorisant le laxisme, on en a même créé beaucoup plus qu'il n'en aurait fallu, en s'imaginant que les gains de productivité de l'industrie permettraient de financer, par l'impôt, la subsistance et les distractions, panem et circenses, d'une plèbe moderne pléthorique. C'était oublier que ces gains de productivité avaient un coût. Ils exigeaient d'énormes investissements que des entreprises, écrasées sous les charges sociales, la taxe professionnelle et l'impôt sur les bénéfices ne purent engager qu'en s'endettant. Les frais financiers, les intérêts qu'il fallait verser finirent par devenir si importants que non seulement les entreprises cessèrent d'investir mais qu'elles accumulèrent les pertes.

    L'on a détourné les jeunes Français de l'industrie, qui les aurait attirés si l'on s'était engagé à l'exemple des Japonais dans la voie de l'automation, en les remplaçant par des immigrés que l'on pourrait toujours renvoyer chez eux, du moins le croyait-on, quand les emplois industriels devraient être supprimés. Alors qu'il aurait fallu développer l'enseignement technique, lui fournir des enseignants de haute qualité et un outillage moderne afin de diriger le plus grand nombre des jeunes vers les métiers d'avenir, électronique et production de biens qualitatifs, on a préféré favoriser une pseudo démocratisation de notre système scolaire. 80 % des ouvriers japonais ont le niveau du baccalauréat. Nous avons fait de nos bacheliers des manœuvres aux écritures et maintenant l'on nous explique que rien ne vaut, pour manipuler un ordinateur, un illettré. Ce qui est idiot mais significatif d'une idéologie « médiocratique » pour plèbe moderne.

    Les responsabilités de l'Etablissement se révèlent donc écrasantes. Les gouvernements qui se succédèrent durant vingt-trois ans, permirent, faute de sélection, la croissance trop rapide du nombre des étudiants. Ils livrèrent les enfants à des maîtres ignares et laissèrent les fonctionnaires du ministère de l'éducation nationale imposer des pédagogies aberrantes, si bien qu'un élève sur cinq sort du primaire sans savoir lire de façon courante. Sous prétexte de démocratiser l'enseignement, ils fabriquèrent, à la chaîne, de futurs chômeurs. Ayant provoqué l'émergence d'un prolétariat intellectuel et d’une plèbe de manœuvres aux écritures, ils capitulèrent devant la révolution de 1968, dont M. Giscard d'Estaing imposa le programme de destruction de l'école et de la famille.

    Ils en eurent la conséquence. En 1981 le prolétariat intellectuel prit le pouvoir. Les deux années de délire institutionnel qui suivirent achevèrent de plonger la France dans la récession. Pour échapper au désastre le gouvernement socialiste dut faire le contraire de ce qu'il avait promis. Il faut reconnaître qu'il s'est engagé, timidement sans doute et de mauvais cœur, dans la bonne voie : suppression de l'indexation des salaires et des prix, réduction des impôts, restauration de l'élitisme en matière d'enseignement, retour à l'apprentissage des mécanismes élémentaires de la lecture, de l'écriture et du calcul. Ce qui reste très insuffisant mais comparé au bilan catastrophique de la droite se révèle positif. Encore qu'il n'ait pas osé s'attaquer aux intérêts de classe du prolétariat intellectuel, ce qui se serait révélé suicidaire, il l'a mécontenté. Il risque d'en supporter les conséquences, lors des élections de 1986 mais il compte récolter les bénéfices de son retournement dans quelques années. Paradoxalement il recherche en effet les suffrages du peuple travailleur, alors que M. Giscard d'Estaing rêvait de s'attacher ceux du peuple fainéant.

    La droite et la gauche, en effet, ne s'opposent plus idéologiquement mais sociologiquement. Le peuple fainéant vote, dans l'ensemble pour la gauche, le peuple travailleur pour la droite. Il s'agit donc pour chaque camp d'essayer de séduire la clientèle du camp adverse, sans perdre la sienne. Le jeu ne va pas sans risques. Pour avoir courtisé de trop près le prolétariat intellectuel, M. Giscard a perdu une partie de son électorat qui, socialiste pour socialiste, a préféré celui qui se présentait à visage découvert. Les socialistes s'exposent à la même mésaventure. Du moins n'avaient-ils pas le choix. A pratiquer plus longtemps l'idéologie autogestionnaire, ils auraient été engloutis, sans doute pour longtemps, dans le naufrage économique de la nation.

    Sans doute faudrait-il introduire des nuances. Une majorité d'ouvriers d'usine vote à gauche. On ne saurait l'assimiler au peuple fainéant, encore qu'elle en partage la principale revendication, gagner plus en travaillant moins. Le poids de la tradition joue et d'ailleurs les ouvriers d'usine portent leurs suffrages au parti communiste plutôt qu'au parti socialiste, beaucoup plus soumis au prolétariat intellectuel. D'autres influences viennent brouiller le jeu politique. Ainsi dans l'ouest, la frontière entre la droite et la gauche n'a guère varié depuis la Révolution Française, encore que le clergé, en changeant de camp, ait emmené avec lui une partie de ses ouailles. Tout est affaire de proportions. Nul ne contestera qu'on trouve davantage d'instituteurs que d'entrepreneurs à gauche et réciproquement. Il est plus intéressant encore de constater que la constitution du nouveau parti socialiste, au congrès d'Epinay, en 1972, coïncide avec l'émergence de la plèbe moderne. Nous sommes en présence d'un parti de classe au sens le plus prosaïque du terme, le fidéicommis des intérêts de sa clientèle électorale. Réduction du temps de travail, embauche de deux cent mille fonctionnaires inutiles, pseudo décentralisation, qui aboutit à créer dans les régions, les départements et les communes une bureaucratisation galopante, toutes ces mesures tendaient à satisfaire les appétits de la France fainéante.

    Dans un premier temps, l'Etablissement s'est senti menacé. Il voulait bien laisser des miettes à la plèbe, non partager le pouvoir. Les socialistes lui firent la part belle. En période de crise économique, la voracité des prolétaires intellectuels et des manœuvres aux écritures devenait suicidaire. Le parti socialiste devait composer. Deux hommes représentaient l'Etablissement en son sein, Rocard et Fabius. Ce fut Fabius que Mitterrand chargea du « recentrage », opération classique qui consiste à « gouverner au centre » selon le vœu de M. Giscard d'Estaing. L'Etablissement, comme l'a démontré Beau de Loménie, a toujours craint un pouvoir fort, de droite ou de gauche. Il préfère les jeux subtils de l'alternance du centre droit et du centre gauche. Certes, il s'est accommodé du général De Gaulle dans la mesure où celui-ci, persuadé que l'intendance suivrait, se désintéressait des grands intérêts, dédain dont ils tirèrent tout le profit désirable. Cependant dès que l'Etablissement se libéra du gaullisme, il n'eut de cesse, de reconstituer un centre droit en espérant que la « décrispation » conduirait le parti socialiste à dériver vers le centre gauche, espérance déçue sur le moment mais qui a fini par se réaliser, car elle est dans la logique du système. Tout se passe comme si M. Mitterrand avait eu pour mission de convaincre la plèbe moderne que seul un compromis avec l'Etablissement sauverait ses « droits acquis ».

    Nous sommes en présence d'un phénomène de désintégration de la démocratie. Celle-ci ne pouvait survivre que si elle donnait l'impression d'être capable d'instaurer un pouvoir fort, à la mesure des périls, des enjeux. La crainte que suscite, même chez certains socialistes la nouvelle loi électorale est symptomatique. La constitution de la Ve République camouflait la réalité. Les Français ne se rendaient pas compte que le Roi non seulement était nu mais qu'il était dévoré vivant par les parasites, les uns très gros, peu nombreux, d'autres minuscules et innombrables. Désormais les parasites vont négocier, au grand jour, le partage de la sueur et du sang du peuple. Peut-être les citoyens découvriront-ils pourquoi la nation s'engage sur la voie du déclin.   

     A suivre  (A venir : 2ème partie : Une révolution copernicienne)

     

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    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray     

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  • Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (10)

    lfar bleu.jpgNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

     

    2235704335.jpg1ère partie : l’Homme Masse 

    Démos désintégré

    Les gouvernements de droite n'ont pas fabriqué la plèbe moderne pour le plaisir. L'imprévoyance a eu sa part, nous venons de le constater à propos de la dévalorisation du métier d'instituteur. Néanmoins, ainsi que l'histoire en fournit bien des exemples, la cause principale doit être recherchée dans une erreur intellectuelle, c'est-à-dire dans des prémisses justes dont on a tiré des conclusions fausses. Les technocrates, qui nous gouvernent, n'ignoraient pas que l'automation, un jour ou l'autre réduirait le nombre des emplois dans l'industrie. Un économiste australien Colin Clark, dont les travaux furent vulgarisés, en France, par Jean Fourastié a divisé les activités humaines en trois secteurs, primaire (agriculture), secondaire (industrie), tertiaire (commerce, administration, artisanat). Cette classification désormais universellement acceptée, implique, par le choix des termes, une loi : la main d'œuvre passe du primaire au secondaire puis du secondaire au tertiaire. Chassée des champs, par les progrès de l'agronomie, elle glisse vers l'industrie. A son tour, le progrès technologique la chasse de l'industrie et la contraint à se réfugier dans le tertiaire. Les technocrates en tirèrent la conclusion qu'il convenait de créer, fut-ce artificiellement, des emplois dans l'administration et le commerce.

    La loi de Clark s'est incontestablement vérifiée mais elle a été mal interprétée. On a fait du « tertiaire » un fourre-tout, où l'on a rangé ce qui ne relevait ni de l'agriculture ni de l'industrie. Pourtant Clark avait donné une définition précise du tertiaire : c'est le secteur dont la productivité ne peut augmenter que faiblement. il donnait l'exemple du coiffeur, qui ne coupe pas les cheveux plus vite aujourd'hui qu'au temps de Jules César. Ce qui est exact, dans le cas du coiffeur ne s'applique pas à l'administration et au commerce où la rationalisation du travail (le libre-service) ou l'automation (la bureautique) réduisent les possibilités de création d'emplois, dans un premier temps et en suppriment, dans un second. Ce n'est donc pas Clark qu'il convient d'incriminer. Il avait vu juste. Effectivement pour lutter contre le chômage, il importe de développer la production de biens qualificatifs, de fabrication artisanale ou semi-industrielle. L'erreur consiste à confondre secteur secondaire et industrie, alors qu'il s'agit d'une classification fondée sur la progression de la productivité, lente mais continue dans le primaire, rapide dans le secondaire, quasi-nulle dans le tertiaire. Assurément l'administration et le commerce, jusqu'au milieu du XXe siècle, appartenaient au secteur tertiaire. Ce n'est plus le cas. La productivité au moins potentielle s'est brutalement accélérée avec l'apparition des « grandes surfaces » dans le commerce puis l'application de l'informatique aux activités de gestion.

    En d'autres termes, l'on s'est trompé de tertiaire, dirigeant les jeunes vers des emplois de manœuvres aux écritures. Les illusions de la prospérité favorisant le laxisme, on en a même créé beaucoup plus qu'il n'en aurait fallu, en s'imaginant que les gains de productivité de l'industrie permettraient de financer, par l'impôt, la subsistance et les distractions, panem et circenses, d'une plèbe moderne pléthorique. C'était oublier que ces gains de productivité avaient un coût. Ils exigeaient d'énormes investissements que des entreprises, écrasées sous les charges sociales, la taxe professionnelle et l'impôt sur les bénéfices ne purent engager qu'en s'endettant. Les frais financiers, les intérêts qu'il fallait verser finirent par devenir si importants que non seulement les entreprises cessèrent d'investir mais qu'elles accumulèrent les pertes.

    L'on a détourné les jeunes Français de l'industrie, qui les aurait attirés si l'on s'était engagé à l'exemple des Japonais dans la voie de l'automation, en les remplaçant par des immigrés que l'on pourrait toujours renvoyer chez eux, du moins le croyait-on, quand les emplois industriels devraient être supprimés. Alors qu'il aurait fallu développer l'enseignement technique, lui fournir des enseignants de haute qualité et un outillage moderne afin de diriger le plus grand nombre des jeunes vers les métiers d'avenir, électronique et production de biens qualitatifs, on a préféré favoriser une pseudo démocratisation de notre système scolaire. 80 % des ouvriers japonais ont le niveau du baccalauréat. Nous avons fait de nos bacheliers des manœuvres aux écritures et maintenant l'on nous explique que rien ne vaut, pour manipuler un ordinateur, un illettré. Ce qui est idiot mais significatif d'une idéologie « médiocratique » pour plèbe moderne.

    Les responsabilités de l'Etablissement se révèlent donc écrasantes. Les gouvernements qui se succédèrent durant vingt-trois ans, permirent, faute de sélection, la croissance trop rapide du nombre des étudiants. Ils livrèrent les enfants à des maîtres ignares et laissèrent les fonctionnaires du ministère de l'éducation nationale imposer des pédagogies aberrantes, si bien qu'un élève sur cinq sort du primaire sans savoir lire de façon courante. Sous prétexte de démocratiser l'enseignement, ils fabriquèrent, à la chaîne, de futurs chômeurs. Ayant provoqué l'émergence d'un prolétariat intellectuel et d’une plèbe de manœuvres aux écritures, ils capitulèrent devant la révolution de 1968, dont M. Giscard d'Estaing imposa le programme de destruction de l'école et de la famille.

    Ils en eurent la conséquence. En 1981 le prolétariat intellectuel prit le pouvoir. Les deux années de délire institutionnel qui suivirent achevèrent de plonger la France dans la récession. Pour échapper au désastre le gouvernement socialiste dut faire le contraire de ce qu'il avait promis. Il faut reconnaître qu'il s'est engagé, timidement sans doute et de mauvais cœur, dans la bonne voie : suppression de l'indexation des salaires et des prix, réduction des impôts, restauration de l'élitisme en matière d'enseignement, retour à l'apprentissage des mécanismes élémentaires de la lecture, de l'écriture et du calcul. Ce qui reste très insuffisant mais comparé au bilan catastrophique de la droite se révèle positif. Encore qu'il n'ait pas osé s'attaquer aux intérêts de classe du prolétariat intellectuel, ce qui se serait révélé suicidaire, il l'a mécontenté. Il risque d'en supporter les conséquences, lors des élections de 1986 mais il compte récolter les bénéfices de son retournement dans quelques années. Paradoxalement il recherche en effet les suffrages du peuple travailleur, alors que M. Giscard d'Estaing rêvait de s'attacher ceux du peuple fainéant.

    La droite et la gauche, en effet, ne s'opposent plus idéologiquement mais sociologiquement. Le peuple fainéant vote, dans l'ensemble pour la gauche, le peuple travailleur pour la droite. Il s'agit donc pour chaque camp d'essayer de séduire la clientèle du camp adverse, sans perdre la sienne. Le jeu ne va pas sans risques. Pour avoir courtisé de trop près le prolétariat intellectuel, M. Giscard a perdu une partie de son électorat qui, socialiste pour socialiste, a préféré celui qui se présentait à visage découvert. Les socialistes s'exposent à la même mésaventure. Du moins n'avaient-ils pas le choix. A pratiquer plus longtemps l'idéologie autogestionnaire, ils auraient été engloutis, sans doute pour longtemps, dans le naufrage économique de la nation.

    Sans doute faudrait-il introduire des nuances. Une majorité d'ouvriers d'usine vote à gauche. On ne saurait l'assimiler au peuple fainéant, encore qu'elle en partage la principale revendication, gagner plus en travaillant moins. Le poids de la tradition joue et d'ailleurs les ouvriers d'usine portent leurs suffrages au parti communiste plutôt qu'au parti socialiste, beaucoup plus soumis au prolétariat intellectuel. D'autres influences viennent brouiller le jeu politique. Ainsi dans l'ouest, la frontière entre la droite et la gauche n'a guère varié depuis la Révolution Française, encore que le clergé, en changeant de camp, ait emmené avec lui une partie de ses ouailles. Tout est affaire de proportions. Nul ne contestera qu'on trouve davantage d'instituteurs que d'entrepreneurs à gauche et réciproquement. Il est plus intéressant encore de constater que la constitution du nouveau parti socialiste, au congrès d'Epinay, en 1972, coïncide avec l'émergence de la plèbe moderne. Nous sommes en présence d'un parti de classe au sens le plus prosaïque du terme, le fidéicommis des intérêts de sa clientèle électorale. Réduction du temps de travail, embauche de deux cent mille fonctionnaires inutiles, pseudo décentralisation, qui aboutit à créer dans les régions, les départements et les communes une bureaucratisation galopante, toutes ces mesures tendaient à satisfaire les appétits de la France fainéante.

    Dans un premier temps, l'Etablissement s'est senti menacé. Il voulait bien laisser des miettes à la plèbe, non partager le pouvoir. Les socialistes lui firent la part belle. En période de crise économique, la voracité des prolétaires intellectuels et des manœuvres aux écritures devenait suicidaire. Le parti socialiste devait composer. Deux hommes représentaient l'Etablissement en son sein, Rocard et Fabius. Ce fut Fabius que Mitterrand chargea du « recentrage », opération classique qui consiste à « gouverner au centre » selon le vœu de M. Giscard d'Estaing. L'Etablissement, comme l'a démontré Beau de Loménie, a toujours craint un pouvoir fort, de droite ou de gauche. Il préfère les jeux subtils de l'alternance du centre droit et du centre gauche. Certes, il s'est accommodé du général De Gaulle dans la mesure où celui-ci, persuadé que l'intendance suivrait, se désintéressait des grands intérêts, dédain dont ils tirèrent tout le profit désirable. Cependant dès que l'Etablissement se libéra du gaullisme, il n'eut de cesse, de reconstituer un centre droit en espérant que la « décrispation » conduirait le parti socialiste à dériver vers le centre gauche, espérance déçue sur le moment mais qui a fini par se réaliser, car elle est dans la logique du système. Tout se passe comme si M. Mitterrand avait eu pour mission de convaincre la plèbe moderne que seul un compromis avec l'Etablissement sauverait ses « droits acquis ».

    Nous sommes en présence d'un phénomène de désintégration de la démocratie. Celle-ci ne pouvait survivre que si elle donnait l'impression d'être capable d'instaurer un pouvoir fort, à la mesure des périls, des enjeux. La crainte que suscite, même chez certains socialistes la nouvelle loi électorale est symptomatique. La constitution de la Ve République camouflait la réalité. Les Français ne se rendaient pas compte que le Roi non seulement était nu mais qu'il était dévoré vivant par les parasites, les uns très gros, peu nombreux, d'autres minuscules et innombrables. Désormais les parasites vont négocier, au grand jour, le partage de la sueur et du sang du peuple. Peut-être les citoyens découvriront-ils pourquoi la nation s'engage sur la voie du déclin.   

     A suivre  (A venir : 2ème partie : Une révolution copernicienne)

     

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    lafautearousseau

  • Société • Paul-François Schira : « Si nous en avons marre de la politique, c'est en fait parce qu'il nous en faut davant

     

    Par Paul-François Schira

    TRAVAUX DIVERS - Largeur +.jpgSelon les baromètres Cevipof, moins de 10% des Français se désintéressent totalement de la politique, mais corrélativement ils lui adressent un sentiment de méfiance. Paul-François Schira analyse les causes de ce paradoxe [Figarovox, 28.12]. Il analyse en fait, bien plus encore, la crise de notre démocratie - de plus en plus formelle - et celle des sociétés post-modernes. S'il nous le permet, nous lui dirions que pour former le « nous »  - qu'il souhaite - et non pas seulement le « je » ou le « moi » dont il dresse la juste critique, la France - plus peut-être que d'autres nations - a toujours eu besoin d'une « incarnation » à sa tête. Une incarnation pérenne qui lui soit consubstantielle et ne résulte pas d'une élection. D'où notre attachement au principe dynastique qui rend encore bien des services dans d'autres pays. Le « plus de politique » qu'il nous faut, le voilà !  Lafautearousseau

     

    Les Français se désintéressent-ils de leur pays ?

    D'un côté, les baromètres de la confiance tenus par le Cevipof font figurer avec constance « la méfiance, le dégoût et l'ennui » dans les sentiments que ressentent les Français à l'égard de la politique. La fin de cette grande année électorale confirme ce désengagement : taux d'adhésion aux partis traditionnels en berne, incapacité du parti au pouvoir, En Marche !, de fédérer une base militante dans la durée, tout ceci dans le cadre d'une baisse régulière des taux de participation aux élections politiques de ce pays.

    De l'autre, les mêmes baromètres notent que seuls moins de 10% des Français ne s'intéressent pas du tout à la politique. Il faut voir les foules qui se pressent aux journées du patrimoine, ou l'engouement suscité par les œuvres puisées dans l'histoire et la géographie nationales ! Immense soif de transmission, d'appartenance.

    D'où vient ce paradoxe ?

    C'est peut-être, en première approche, la scène politique qui nous a désolés, avec ses acteurs opportunistes jouant leurs gammes pour tirer à eux les applaudissements des médias. Les « affaires », bien sûr, n'arrangent pas les choses. On s'écœure du comportement égocentré de ces hommes politiques, dont 90% des Français estiment qu'ils ne se préoccupent pas du tout de ce que pensent les citoyens.

    Mais dès lors que l'homme a toujours été homme, mélange de sublime et de mesquin, attiré par convoitise autant que par noblesse vers le pouvoir, pourquoi cette personnalisation malsaine de la politique nous semble-t-elle accentuée aujourd'hui ?

    Peut-être, en deuxième approche, parce que le spectacle des ambitions personnelles remplit un vide : celui de la pensée et de l'action commune.

    Le vide de la pensée et de l'action commune prend la forme d'un discours raisonnable. Ce discours transforme en finalités politiques les certitudes qui relèvent de l'ordre des moyens. Il semble nous signifier que l'amour de notre pays ne vaut plus grand chose dans la « vraie vie », celle de la « complexité d'un monde globalisé en pleine mutation ». Ces mutations - mondialisation, innovation, concurrence, flux financiers ou migratoires - sont posées comme inéluctables, univoques et irrésistibles ; si c'est au politique de les organiser efficacement, on abandonne aux individus, plus ou moins talentueux, le soin de leur donner un sens, ou de se faire écraser par elles - moyennant quelques allocations.

    La politique devient alors l'apanage de quelques techniciens, et se réduit à un simple divertissement « people » à l'égard du commun des mortels. C'est la forme impériale de la gouvernance qui réapparaît, et qui détruit ce lent travail de maturation qui, de Capet à De Gaulle, a façonné notre peuple et nos institutions pour former la nation.

    La nation n'est pas l'empire, ce territoire infini sur lequel une maison conquérante exerce une domination - par la coercition ou la séduction - à l'égard de ses ressources et sur ses sujets. Elle n'est pas un espace indéfini, mais un lieu particulier ; ce ne sont pas des multitudes de sujets qui y vaquent à leurs occupations, mais un peuple qui y séjourne ; ce n'est pas un lien de domination qui les tient, mais un lien d'appartenance qui s'ancre dans une culture partagée, et qui se projette dans le monde par l'expression d'une volonté commune.

    Entre les universalismes religieux de Rome et politique de Charles Quint puis des Habsbourg, la France s'est constituée en nation afin de créer un corps vivant autonome, suffisamment cohérent, dont l'angoissante quête de stabilité interne l'a rendue disposée à orienter, à peser sur et à donner du sens aux événements qui lui étaient extérieurs.

    La nation se résume en un cri: «nous voulons». Ce cri suppose un «nous» en même temps qu'un «voulons». C'est le propre de la conjugaison que d'accoler le sujet à l'action, car c'est elle qui donne du sens au langage. Il faut un nous, c'est-à-dire le sentiment d'appartenance, pour générer la confiance nécessaire à l'exercice d'une volonté. Il faut aussi une volonté, c'est-à-dire le sentiment de donner un sens à l'appartenance, pour qu'il y ait un nous. Les deux sont indissociables.

    Or à quoi assistons-nous aujourd'hui? A la dissolution du « nous », certes ; mais à la disparition du « voulons », surtout. Les deux phénomènes sont simultanés ; mais, des deux, il me semble que c'est le second qui doit jouer, dans la prise de conscience collective, le rôle de la poule. La crise de l'identité n'est que le symptôme de ce que l'on commence à ne plus savoir pour quoi, en vue de quelle finalité, nous sommes « nous ».

    L'efficacité à la place du sens

    Il est frappant de remarquer combien bon nombre de programmes politiques se focalisent essentiellement sur la question des moyens, rarement sur celle des finalités. Ils ne concernent bien souvent que la machinerie de l'Etat dont il faudrait déboucher les tuyaux, comme si une entreprise communiquait moins sur le service qu'elle rendait que sur sa manière de le rendre. Il faut rationaliser la dépense ; optimiser les recettes ; être transparent ; numériser ; simplifier ; communiquer avec pédagogie.

    L'horizon politique est remplacé par l'horizon administratif : on fait le prélèvement à la source, parce que c'est plus efficace ; et on supprimera à terme le foyer fiscal, parce qu'on a fait le prélèvement à la source. Peut-on encore s'interroger sur le sens que peut avoir un système déclaratif fiscal, ou sur celui que prend le principe d'imposition par foyer ? Un modèle s'effondre au nom de l'efficacité sans que sa finalité ne soit clairement débattue. D'où ce sentiment d'être ballottés au gré d'une catallaxie court-termiste, cette agrégation de comportements spontanés sans vision d'ensemble dont la totalité peut aboutir, mais on s'en rend compte trop tard, à une soustraction du bien-être global.

    Cette perte du sens politique au profit de l'administration des choses est due à la circonstance que l'on assimile la volonté commune au totalitarisme, dont le meilleur antidote serait l'individualisme. Hormis l'organisation efficace des moyens (les procédures juridiques, l'économie de marché), la postmodernité a fait le pari rassurant de rendre le politique aussi neutre que possible et de l'expurger de toute finalité autre que la promotion des individus.

    Nulle fin de l'histoire tranquille dans cette sortie du politique, mais plutôt un retour au chaos de l'état de sauvagerie. Le refus de concevoir même qu'il existe un commun qu'il reviendrait à l'homme de servir, c'est l'âge du narcissisme, où l'on se sert dès lors qu'on a les moyens de le faire ; où l'on cherche à retirer quelque chose du commun, plutôt que d'y ajouter ; où l'on ne cultive plus la retenue de soi laissant libre le champ du travail partagé, mais où l'on se répand aussi loin qu'on puisse aller. Lorsque la seule finalité admise, c'est la liberté de chacun sous réserve de la liberté d'autrui, alors l'espace commun se privatise, et ne se réduit plus qu'à la fine membrane qui sépare deux individus: « l'autre » devient par définition une irritation, qu'il faut manipuler, détruire, ou, dans le meilleur des cas, subir.

    Les institutions, la culture, la civilisation censées élever ces comportements perdent toute leur légitimité dès lors qu'elles se réduisent au droit et au marché, c'est-à-dire à l'organisation optimale de rapports de forces. Les chocs d'idées deviennent des chocs de personnes dès lors que ces dernières ne conçoivent plus le lieu de leur demeure commune: c'est le terreau sur lequel se nourrissent les antiques promesses de fusion communautaire recherchant l'utopique homogénéité, culturelle ou religieuse, d'individus semblables agrégés en une sorte de lobby d'intérêts.

    Le sentiment actuel des Français ne doit donc pas être pris pour ce qu'il n'est pas. Ce n'est pas parce que la France serait une vieille dame, la nation un cadre obsolète, le patriotisme un sentiment arriéré, que les Français s'éloignent de la politique. Mais, en revanche, c'est parce que les Français s'éloignent de la politique en n'y voyant plus qu'un désolant divertissement que la France risque de devenir une vieille dame, la nation un cadre obsolète, le patriotisme un sentiment « so 1945 ».

    L'indifférence marquée à l'égard du système électoral, et le succès de la proposition d'En Marche ! de dépasser les clivages gauche/droite qui en a été son corollaire, ne sont pas un plébiscite en faveur du Grand Jeu planétaire. Penser que tel est le cas, c'est prendre la conséquence d'un phénomène pour sa cause. Et cette confusion nous livre un enseignement : nous sommes tentés de nous désintéresser de la politique non parce que nous ne croyons plus en notre pays, ni même parce que les acteurs du monde politique ne font que semblant d'y croire, mais parce que nous oublions que les premiers acteurs du monde politique, c'est nous-mêmes : recréer le commun, retrouver l'honneur de le servir, relève, dans nos vies quotidiennes, familiales, associatives ou professionnelles, de notre propre responsabilité. Si nous en avons marre de la politique, c'est en fait parce qu'il nous en faut davantage.  

    Paul-François Schira est haut fonctionnaire et maître de conférences à Sciences-Po

  • Le libéralisme est-il un totalitarisme ?

     

    Par Elie Collin

    Cette intéressante réflexion est parue sur le site de l'excellente revue Limite -  revue de combat culturel et politique, d’inspiration chrétienne - que nous ne voudrions pas manquer de signaler aux lecteurs de Lafautearousseau. Cette revue nous paraît contribuer utilement au combat politique et culturel en cours parmi les intellectuels français, dans une direction qui est, au sens noble, celle de la Tradition. En outre la revue indique qu'« en sa qualité de lycéen, Elie est le cadet de [ses] contributeurs... mais n'en est pas moins talentueux. » On le lira avec d'autant plus d'empathie.  LFAR 

    Le libéralisme qui avait promis de libérer l’individu semble, en fait, ne rien faire d’autre que de le soumettre toujours davantage à la logique du marché. Cette promesse mensongère tout comme son ambition de créer un homme nouveau, adapté à ses exigences, soulignent sa proximité avec la logique totalitaire.

    Probablement y a-t-il plusieurs types de libéralisme. Par exemple, Jean-Claude Michéa, philosophe et historien des idées, établit un développement de la pensée libérale en trois étapes, trois « vagues », correspondant à trois expériences historiques douloureuses sur lesquelles se sont interrogés les philosophes libéraux : les guerres de religion pour les premiers libéraux, la Révolution française pour Constant et Tocqueville, les totalitarismes nazi et communiste pour Hayek et Friedman. Il est alors intéressant de constater que ce développement historique est surtout un déploiement idéologique : les penseurs successifs tirent progressivement les conclusions des axiomes des précédents et approfondissent la logique de départ. Étudier le libéralisme tel qu’il est aujourd’hui, c’est donc essentiellement se reporter aux derniers développements de cette logique, en l’occurrence ceux du philosophe autrichien Friedrich Hayek (1899-1992). Le libéralisme tel que l’a conçu Hayek, non ex nihilo mais en héritant d’une longue tradition, n’est sans doute pas le seul possible, mais il est celui qui a le plus influencé notre époque.

    L’exemple le plus significatif de cette influence est l’étude de sa pensée qu’a menée Michel Foucault à partir de la fin des années 1970, alors que le libéralisme économique connaissait un regain d’intérêt intellectuel. Foucault pense une rupture entre le libéralisme classique et le néolibéralisme, rupture qui semble en réalité plus un déploiement logique et une radicalisation du libéralisme classique qu’une refondation théorique complète. Le plus petit dénominateur commun des deux libéralismes est la volonté de réduire l’État. Mais, alors que le libéralisme d’un Locke combattait l’État, institué, au nom d’un ordre antépolitique et naturel et d’une loi divine, le libéralisme de Hayek oppose à l’État l’ordre du marché et la loi économique. Le néolibéralisme pose que le marché est la seule instance régulatrice de la société ou que, dit avec les termes de Hayek dans Droit, législation et liberté, « c’est l’ordre du marché qui rend possible la conciliation pacifique des projets divergents ». Ainsi le néolibéralisme prétend-t-il résoudre le problème politique… par sa dilution.

    Foucault remarque que l’ennemi principal du néolibéralisme est la philosophie politique traditionnelle en tant qu’elle cherche le commun. Mais les néolibéraux refusent justement la recherche de commun et se refusent à ce qui leur paraît « limiter la multiplicité des modes d’existence pour produire de l’ordre, de l’unité, du collectif », ainsi que l’écrit le philosophe foulcadien, Geoffroy de Lagasnerie dans La dernière leçon de Michel Foucault. Ce dernier met en évidence une opposition centrale dans la pensée hayekienne, celle entre conservatisme et néolibéralisme : le premier se caractérise par une « prédilection pour l’autorité » et une « hantise du spontané », quand le second prône le désordre, l’immanence, le pluralisme et l’hétérogénéité. « Le néolibéralisme impose l’image d’un monde par essence désorganisé, d’un monde sans centre, sans unité, sans cohérence, sans sens », affirme Lagasnerie dans son explicitation de la pensée de Foucault. Radicalisant le slogan plaintif des libéraux « On gouverne toujours trop », Foucault demande malicieusement : « Pourquoi gouverner ? ». Il n’est dès lors pas étonnant qu’il voit dans le néolibéralisme de Hayek l’instrument d’une critique, en tant qu’il est « l’art de n’être pas tellement gouverné ». L’intérêt de Foucault pour ce système de pensée nouveau doit se comprendre dans la rupture qu’il induit avec la philosophie politique, en ce sens qu’il crée « des instruments critiques extrêmement puissants, permettant de disqualifier le modèle du droit, de la Loi, du Contrat, de la Volonté générale ». Foucault étudie ensuite les théories de l’homo oeconomicus, « être ingouvernable », en remplacement du sujet de droit, de l’homo juridicus, lequel est « un homme qui accepte la négativité, la transcendance, la limitation, l’obéissance ». En somme, Foucault trouve dans le néolibéralisme, qu’il comprend comme une théorie de la pluralité, un outil redoutable contre le politique.

    Il apparaît que le néolibéralisme peut en fin de compte être assimilé à un anarchisme, si on entend par ce terme un refus – et un combat – de tout pouvoir politique. Mais il n’est pas un refus de toute norme, une littérale an-archie, en ce qu’il est soumission au marché. On peut même aller jusqu’à affirmer, avec le philosophe contemporain Jean Vioulac, que le libéralisme est un totalitarisme.

    Il est vrai qu’historiquement, comme nous le soulignons en début d’article, le libéralisme hayekien est apparu comme alternative aux totalitarisme nazi, fasciste et communiste. Le fascisme italien revendiqua même ce terme de totalitarisme et le théoricien fasciste Giovani Gentile pouvait souligner l’écart entre libéralisme et totalitarisme : « Le libéralisme met l’État au service de l’individu ; le fascisme réaffirme l’État comme la véritable réalité de l’individu. […] Dans ce sens, le fascisme est totalitaire. » Mais une telle acception de la notion de totalitarisme semble trop étriquée et ne permet pas de rendre compte de la diversité de ses formes. Tâchons avec Jean Vioulac, auteur de La Logique totalitaire, de penser l’essence du totalitarisme.

    Philosophiquement, le concept de totalitarisme désigne « le pouvoir de la Totalité ». « Il y a totalitarisme quand une Idée à prétention universelle dispose d’une puissance totale lui permettant de se produire elle-même par l’intégration en elle de toute particularité », écrit le philosophe. Le libéralisme est-il une idéologie totalisante capable de s’auto-réaliser ? Pour Hayek, le marché est un ordre certes non-naturel, mais auto-généré, autonome, dit « spontané », « résultat de l’action d’hommes nombreux mais pas le résultat d’un dessein humain ». Même s’il n’est pas élaboré par la raison, le marché est rationnel, mais d’une rationalité immanente, résultat d’une évolution, d’une sélection des pratiques efficientes et rationnelles, c’est-à-dire de la concurrence. Vioulac peut écrire : « la doctrine du marché procède d’une conception de l’évolution humaine comme avènement du marché universel, par le biais d’un processus inconscient et involontaire de la part des individus ». Alors que la philosophie de l’Histoire hégélienne se basait sur une théorie de la ruse de la raison historique, celle de Hayek pense l’Histoire comme avènement du marché, fondé sur une « ruse de la raison économique ». Mais alors, il n’y a plus de liberté individuelle, mais seulement une apparence de liberté. L’individu se croit libre mais n’est qu’indépendant des autres, parce déterminé et soumis aux mécanismes du marché. Le libéralisme est une idéologie de la soumission, non de la liberté. D’ailleurs, Hayek note effectivement dans La Route de la servitude : « C’est la soumission de l’homme aux forces impersonnelles du marché qui, dans le passé, a rendu possible le développement d’une civilisation qui sans cela n’aurait pu se développer ; c’est par cette soumission quotidienne que nous contribuons à construire quelque chose qui est plus grand que nous pouvons le comprendre. » Ce système est « un totalitarisme volontaire, un totalitarisme autogéré, où chacun se soumet à la Totalité avec d’autant plus d’enthousiasme qu’il est persuadé de ne servir que ses propres intérêts ».

    Il est logique que le néolibéralisme s’attaque au pouvoir politique, lequel ne peut qu’entraver les mécanismes marchands. Mais il n’est pas un laissez-faire passif pour autant : il est d’abord un transfert de souveraineté de l’État au marché, en cours de réalisation sous la forme des politiques de privatisation et de libéralisation. Plus profondément et dès 1938, Walter Lippmann écrit que le libéralisme est « une logique de réajustement social rendue nécessaire par la révolution industrielle ». Le but ultime de l’action néolibérale est ici explicite : créer un homme nouveau, un homo œconomicus, parfaitement adapté au marché. Pour ce faire, et Vioulac l’expose méthodiquement, les instruments sont nombreux, de la publicité au « pouvoir de la Norme » (Michel Foucault) en passant par la libération des pulsions sexuelles, savamment étudiée par Dany-Robert Dufour dans La Cité perverse. Le néolibéralisme « soumet chaque individu à la discipline managériale qui lui impose l’entreprise comme modèle de réalisation d’un soi préalablement défini comme producteur-consommateur », continue Vioulac. « Il contribue ainsi à l’institution du marché comme Totalité et s’emploie à détruire tout ce qui viendrait entraver sa puissance de totalisation ».

    On finira sur un fragment posthume de 1880 de Nietzsche que Vioulac met en exergue au début de son chapitre sur le totalitarisme capitaliste qui résume ce nouveau type d’aliénation, dénoncé sans relâche, dans des styles différents, par des Pasolini ou des Michéa : « La grande tâche de l’esprit mercantile est d’enraciner chez les gens incapables d’élévation une passion qui leur offre de vastes buts et un emploi rationnel de leur journée, mais qui les épuise en même temps, si bien qu’elle nivelle toutes les différences individuelles et protège de l’esprit comme d’un dérèglement. Il façonne une nouvelle espèce d’hommes qui ont la même signification que les esclaves de l’Antiquité. »  

    Elie Collin

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  • La mort du Politique ?

     

    Par Yves Morel 

    Partis. Cinquante ans après 1968, le constat s’impose : il n’y a plus rien ni dans l’ordre de la politique, ni dans l’ordre de la pensée. Le temps des idéologies contestatrices aboutit au règne de la pensée unique.

     

    « Appelons de nos vœux les sceptiques, s’ils doivent éteindre les fanatismes », écrivait Raymond Aron à la fin de L’Opium des intellectuels, en 1968. Admirable témoignage de sagesse en un monde alors dominé par les idéologies, les utopies, les contestations, les critiques exacerbées de tout y compris des critiques elles-mêmes, exténué par les surenchérissements révolutionnaires dans tous les  domaines. Il n’était alors question que de révolution, non seulement en politique et au sein de la hiérarchie sociale, mais dans la morale, les modes de vie, le langage, l’art et la littérature. L’heure était à la subversion générale et à l’édification du socialisme, dont on débattait inlassablement pour savoir s’il devait être social-démocrate à la scandinave, communiste à la soviétique, communiste à la chinoise, révolutionnaire mais non communiste, libertaire, étatiste ou autogestionnaire. Et, comme nous avions alors le sentiment que les « Trente Glorieuses » allaient durer indéfiniment, on annonçait l’avènement d’une « civilisation des loisirs », stade ultime de la société de consommation.

    La puissance du phénomène idéologique était telle que l’épreuve de la dure réalité, à partir du milieu des années 1970, ne l’entama pas. Ainsi, en 1981, au moment où nous nous débattions dans ce qu’on appelait alors « la crise », nos compatriotes crurent, que parce qu’ils venaient de porter Mitterrand et le PS au pouvoir, ils allaient sortir de la période de difficultés des années Giscard-Barre grâce à la mise en œuvre du canulardesque « socialisme à la française ».

    L’avènement de la pensée unique

    On sait ce qu’il advint de ce « socialisme à la française », qui se changea, à partir de 1984, en social-libéralisme, puis en libéralisme tout court, le PS s’alignant sur le nouvel ordre économique mondial sans frontières, fondé sur les seules lois du marché – et de la spéculation. Simultanément, le pouvoir socialiste organisa une véritable révolution culturelle tout ensemble droit-de-l’hommiste, universaliste, hostile aux nations, polyethnique, pluriculturelle, moralement relativiste, individualiste, hédoniste, sur laquelle la droite la plus bête du monde s’aligna, jetant par-dessus bord ses idées et jurant ses grands dieux qu’elle professait les mêmes « valeurs » que ses adversaires. L’idéologie devenait pensée unique et conditionnait toute la société, s’érigeant en justification et en supplément d’âme de l’ordre existant. Un ordre économique mondial indifférencié, individualiste, libéral, fondé sur des principes prétendument humanistes et universels, considérés comme les seules valeurs en dehors de celles du marché, tel se présente notre monde actuel, et tel est l’aboutissement, en France, du « grand mouvement » de mai 1968, si cher à notre président de la République.

    Daniel Cohn-Bendit, libéral libertaire, chantre de l’Europe fédérale, adulateur du capitalisme sans patrie ni frontières ni complexe, contempteur de toute morale, prompt à persifler la gauche « ringarde » comme la droite conservatrice, plus enclin à la promotion du mariage homosexuel et de la GPA qu’à la défense des victimes ou des laissés pour compte du marché – ces ratés, ces inadaptés, souvent vieux et aigris –, est le roi de la fête. Très controversé et critiqué à vingt-trois ans, il fait figure de miroir moral de notre société à soixante-treize.

    Plus de grandes causes, désormais, plus de grandes idées ou d’idéaux. La politique, aujourd’hui, en France comme en Europe et en Amérique du Nord, se ramène à la gestion du nouvel ordre économique qui ne connaît d’autre principe que la loi du marché et d’autres valeurs que celles cotées en Bourse. Depuis longtemps, nos compatriotes ont répudié les valeurs fondatrices de notre civilisation : la religion chrétienne, la famille, l’amour de la terre natale, le respect de notre culture et de notre identité, bref, tout ce que d’aucuns considèrent comme les vieilles lunes de la vieille droite. Mais ils ont également pris la mesure de la vanité du socialisme qu’ils avaient tant chéri. Ne leur restent que leurs yeux pour pleurer et leur fameux « héritage » des « Lumières » et de la Révolution : les droits de l’homme et la démocratie, à quoi ils s’accrochent, comme l’y invitent en permanence leur École, leurs médias et leur intelligentsia. Aussi, nos hommes et femmes politiques, et les plumitifs et discoureurs d’émissions télévisées exaltent-ils sans arrêt « les valeurs de la République », car, en dehors de ces mots creux, plus rien n’existe. Ils vont même jusqu’à se chamailler pour la propriété de ces mots : rappelons-nous que toute la gauche, il y a trois ans, a essayé de faire interdire à l’UMP, par voie de justice, l’appellation « Les Républicains », alors qu’en 1977, personne n’avait vu d’inconvénient à ce que les giscardiens décidassent de ACTU-8.jpgs’appeler « parti républicain », cependant que leurs élus allaient devenir des « députés républicains » ; ceux de notre actuelle droite se voient imposer, quant à eux, le label de « députés Les Républicains » ou LR. En s’appelant « Les Républicains », la droite commettait le crime de paraître dénier aux autres leur légitimité républicaine. Cela dit, ses adversaires ont indirectement raison en ceci que cette appellation ne veut pas dire grand-chose.

    La désaffection des Français à l’égard de la politique

    Cette insignifiance, ce vide intellectuel, moral et politique, caractérisent d’ailleurs les dénominations de la plupart des partis actuels : le Front national va devenir le « Rassemblement national », cependant que Florian Philippot fonde, pour le concurrencer, une formation dénommée « Les Patriotes » ; à l’autre extrémité de l’éventail politique, on trouve « le Parti de Gauche », inclus dans « La France insoumise ». Tous ces gens semblent vouloir rivaliser de fadeur, d’inconsistance, et, finalement, de médiocrité.

    Il est vrai que la désaffection de l’électorat à l’égard de grandes idées qui se sont fracassées contre le réel – le socialisme sous ses diverses formes – ou qu’il a rejetées depuis longtemps au point de les avoir complètement oubliées – les valeurs de la civilisation chrétienne, l’amour de la patrie, l’attachement à une société organique forte et naturellement solidaire – les oblige à se tenir « au plus près des gens », comme ils aiment à dire, et de leurs préoccupations concrètes. D’où ces appellations sans prétention qui paraissent vouloir dire qu’on se bat pour la défense des intérêts concrets des Français, et non pour des chimères… avec le succès que l’on constate : lors du deuxième tour de la présidentielle de 2017, seuls 43% des électeurs inscrits ont daigné voter ; et ce chiffre a encore régressé à 42,65% au second tour des législatives qui ont suivi. Les Français ne croient plus du tout en la politique, ni aux idées. 

    Des politiciens sans conviction et terre à terre

    actu10-768x513.jpgDès lors, nos politiciens n’ont de cesse de vouloir démontrer leur souci de relever notre pays et de redresser sa situation économique et financière dans l’intérêt de ses habitants. Et, grands seigneurs, ils acceptent le concours des bonnes volontés de tous bords. Foin des convictions, faisons-les rentrer dans le champ privé de la conscience individuelle, et attelons-nous à la grande œuvre de reconstruction. C’est ce que disait Sarkozy lorsqu’au tout début de son quinquennat, il invitait des socialistes de cœur à se joindre à lui pour opérer cette dernière tout en conservant leurs convictions propres. C’est ce que fait Macron, grand bénéficiaire de la désaffectation des Français pour les vieux partis, et dont la LREM et le gouvernement mêlent gens de gauche et de droite.

    L’échec prévisible de Macron

    Notre président se pose en nouveau Napoléon appelé à moderniser notre pays afin de restaurer sa grandeur et sa prospérité. Mais il ne restaurera rien du tout, pour la simple raison dirimante qu’il ne peut s’affranchir des contraintes du monde où il évolue, et dont il est d’ailleurs l’un des plus beaux fleurons, comme le montre tout son parcours de haut fonctionnaire, puis de banquier. Son rôle historique ne peut être autre chose que celui d’adaptateur de notre pays à l’ordre économique mondial. C’est parce qu’ils l’ont cru capable de l’assumer que les chefs de gouvernement occidentaux l’ont encensé peu après son entrée à l’Élysée. Et ils entendent bien qu’il n’en sorte pas. Ainsi, Angela Merkel, comblée par l’arrivée d’un président capable enfin de réformer la France pour la plier aux exigences budgétaires de l’Europe, regimbe lorsque Macron prétend, en outre, donner un nouveau souffle à la construction européenne, notamment dans le sens d’une plus grande solidarité entre ses membres. C’est que, pour elle comme pour la plupart des dirigeants européens, l’Europe n’est qu’une zone de libre-échange, et pour les pays du sud et de l’est de notre sous-continent, une manne et un filet de sécurité. Macron, en l’occurrence, s’attache à un idéal auquel plus personne ne croit, et s’accroche à cette lubie française consistant à considérer l’Europe comme le moyen pour la France de recouvrer sa puissance en en prenant la tête et ce, alors qu’elle a en perdu le leadership depuis plus de deux décennies. Sa volonté de relancer l’Europe est vouée à l’échec. Quant à sa volonté de transformer la France pour la sauver, elle n’aura d’autre résultat que de la soumettre encore un peu plus aux lois du marché. Telle est la fonction objective et indépassable de toutes ses réformes en cours ou annoncées, qu’il s’agisse de celles du Code du Travail, de celle de la SNCF ou de celle des retraites. Macron l’avoue d’ailleurs quelquefois à mots couverts. Ainsi, en 2016, alors ministre de l’Économie, il récusait le protectionnisme préconisé par Philippot, durant un débat l’opposant à celui-ci, et préconisait implicitement la soumission au libre-échange total en essayant d’y tirer notre épingle du jeu, mais en sachant très bien les dommages qu’il infligeait à notre économie. Se rêvant en moderne Bonaparte, Macron n’est que le président d’une France qui rentre dans le rang de la mondialisation et, toujours plus, abdique sa souveraineté et sacrifie l’intérêt national et les droits sociaux des Français. Et il tire avantage de l’absence d’une opposition qui ne saurait être crédible, dans la mesure où elle s’étaie sur le rejet des fondements mêmes de notre civilisation et l’enracinement obsessionnel en une conception de l’homme et du monde foncièrement matérialiste et, par là même, de nature à priver nos compatriotes de l’élan spirituel nécessaire à l’affrontement des grands défis de l’histoire.

    La situation politique actuelle nous montre avec éclat que, privée de transcendance, la politique devient impuissante lors des grandes épreuves. Car, dès lors que les idéologies ont fait faillite, elle s’amenuise jusqu’à s’identifier à la simple gestion de l’existant. À cet égard, notre avachissement politique actuel est riche d’enseignements.  

     

    Jean-Luc Mélenchon : l'opposition au système qui renforce le système. Politique magazine

    Jean-Luc Mélenchon : l’opposition au système qui renforce le système.  

     Yves Morel

    Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de la Nouvelle Revue universelle 
  • Maurrassiens et technocratie, par Philippe Germain.

    La technocrature, maladie sénile de la démocratie  : (14/15)

    Nébuleuse maurrassienne et Technocratie

    Si un mouvement politique à considéré la prise de pouvoir par la Technocratie «  normale  », c’est bien l’Action française. Depuis 1956, elle a été sensibilisée à la montée en puissance technocratique. C’était, a rappelé Christian Franchet d’Esperey dans une belle émission de Radio-courtoisie1, la grande idée de Pierre Debray lorsqu’il rendait compte dans Aspects de la France, des évolutions de la société industrielle. Par sa grande pédagogie, Il fit comprendre le «  phénomène technocratique  » à toute une génération d’étudiants monarchistes des camp CMRDS.

    philippe germain.jpgPour Hilaire de Crémiers, Debray avait compris par Maurras que la technocratie n’était pas un pure produit de la société industrielle mais la complice nécessaire à l’idée et aux institutions républicaines dans beaucoup de pays, y compris en Union Soviétique. Une sorte de dénonciation avec quarante ans d’avance de ce que certains appellent la super-classe mondiale qui prétend diriger, car les «  technos  » pensent avoir le savoir du pouvoir et le pouvoir du savoir. Et maitre Trémolet de Villers de renchérir sur le phénomène du «  complot des éduqués  » qui cherchent où se placer pour trouver les places où coule l’argent publique, se cooptent en passant du public au privé, ne prennent pas le risque de se faire taxer de «  sale capitaliste  » mais profitent des résidences d’été, des voitures de fonction, des grands hôtels, des aéroports. A son tour Franchet d’Esperey rappelle que Debray fut le premier a mettre en évidence dans la Nomenklatura soviétique la rivalité entre les bureaucrates – disons l’élite politique – et les technocrates. En fait Debray avait été influencé par les analyses postmarxistes des revues Arguments et Socialisme et Barbarie. D’où son espérance de la montée d’une «  nouvelle classe ouvrière  » française pouvant faire revivre l’anarcho-syndicalisme avec lequel l’Action française des origines avait cherché la jonction. On ne trouvait ce langage nulle part ailleurs, d’autant qu’il était exprimé en totale fidélité maurrassienne.

    Les boutangistes de l’hebdomadaire La Nation Française – ces maurrassiens séparés de la «  vieille maison  » – s’opposaient aussi au groupe social des technocrates mais sur d’autres bases. D’abord les influences des positions «  humanistes  » et anti-techniques de philosophes comme Heidegger et Gabriel Marcel. Ensuite la volonté de s’appuyer sur les «  poujadistes  », cette classe moyenne agressée par les développements de la société industrielle.

    Les deux héritiers catholiques de Maurras ont montré une hostilité à l’égard de la société de consommation déracinante, massifiante et désacralisée. Leur opposition à la technocratie est différent de l’anti-synarchisle communiste et de celui des contre-révolutionnaires catholiques, même proche comme Louis Daménie. Depuis longtemps les maurrassiens s’attendent à une prise du pouvoir politique par les technocrates. Au point d’ailleurs qu’ils envisagèrent d’appuyer une stratégie royaliste sur ce groupe sociale.

    Retournement et Technocratie

    En 1980, les maurrassiens2 de la Nouvelle Action Française qui étaient entré en dissidence avec la ligne «  ralliée  » des Renouvinistes, avaient développé une réflexion stratégique novatrice sur la base du phénomène technocratique et celui de la «  société du spectacle  » dénoncée par Guy Debord.

    Dans le n° 13 du laboratoire d’idées de La Revue Royaliste, le sociologue Michel Michel proposait «  un modèle  » stratégique basé sur une ligne politique différente de celle de Debray et des boutangistes, concernant la technocratie  : «  Une autre ligne est possible que nous inspire la pratique même des contre-révolutionnaires dans la situation créée dans le passé par la modification des élites du début de l’ère industrielle. Au début du XIX° siècle, le système de valeurs des contre-révolutionnaires semblait indissolublement lié à I ‘ancienne société féodale et s’appuyait sur I ‘aristocratie terrienne et les portions de la société qu’elle contrôlait. Pourtant, la pensée contre-révolutionnaire a su tout au long du XIX° siècle, conquérir des fractions importantes des «  nouvelles élites  », rechristianiser en partie une bourgeoisie voltairienne, etc…  De même, au début du XX° siècle, I’Action française a su présenter à des groupes non acquis (intellectuels, syndicalistes, «  producteurs  » de Valois, etc…) une synthèse leur permettant de s’accorder avec les groupes qui avaient conservé la sensibilité de l’ancienne France. Pourquoi donc ne pas rechercher à convertir une fraction des élites nouvelles de la technocratie, non à la sensibilité de la bourgeoisie conservatrice ni même à celle héritée de Ia société féodale, mais à ce que notre système d’analyse et de valeurs a de permanent ? » En d’autres termes Michel proposait d’infiltrer la Technocratie afin de retourner ses meilleurs éléments au profit de la restauration monarchique.

    Appelons désignons la voie technocratique proposée par Michel, comme un modèle stratégique de type «  retournement  », cette tactique si chère au spécialiste du renseignement Vladimir Volkoff, ancien étudiant maurrassien rédacteur à Amitié Française Université. Le retournement appartient bien à la «  boite à outils  » maurrassienne. Le doctrinaire du néo-royalisme la revendiquait dès 1909  : «  Lorsque j’étais enfant, explique Maurras, le plus beau des faits d’armes, celui qui unissait la bravoure à l’utilité, me semblait devoir être d’accourir à toute bride sur la batterie ennemie, de hacher à leur poste les servants et les canonniers, puis, au lieu d’enclouer vainement les pièces conquises, de les retourner aussitôt pour leur faire jeter le désordre et la mort dans les lignes de l’adversaires.3  » Rêverie d’enfant que Maurras mettra en application pour retourner la jeune Action française alors républicaine – cette élite en fusion d’après l’historien Jean-Pierre Deschodt – au service du roi. Rêverie d’enfant qui deviendra modèle stratégique dans son texte trop méconnue Mademoiselle Monk4. Modèle stratégique que le maurrassien Patrick Buisson déploya auprès de Nicolas Sarkozi, au point de lui permettre d’acceder à la Présidence de la République en 2005. Car une stratégie n’a de valeur que déployée.

    Débat de stratégie royaliste

    Un débat s’instaura entre le maitre et l’élève, entre Pierre Debray et Michel sur le bienfondé du modèle proposé. Pour ce dernier «  De même qu’il y a aujourd’hui des enseignants contre l’école, des curés contre I ‘Eglise et des magistrats contre I ‘appareil judiciaire, on doit s’attendre à ce que les plus exigeants des technocrates ne soient plus des instruments dociles de la «  raison d’Etat  » technocratique. Pourquoi ne pas envisager d’être les promoteurs dans ce milieu d’une «  nouvelle synthèse  » et d’y organiser l’équivalent de ce que te syndicat de la magistrature a été pour le milieu judiciaire ? A I’ancienne synthèse, aujourd’hui en décomposition, fondée sur la dialectique entre une intelligentsia progressiste (eschatologie du progrès et de la «  libération de I’Homme  ») et une technocratie de la rationalité abstraite (mal) régulée par I’opinion publique€, nous proposons de substituer une nouvelle synthèse fondée sur une intelligentsia anti-progressiste (néo-traditionnaliste,… ) et une technocratie enracinée (service public des communautés concrètes), plus tard (peut-être) régulée par un pouvoir politique indépendant.  »

    Pour sa part, dans Je Suis Français, Debray argumenta contre l’hypothèse du retournement technocratique  : «  En 1956 quand j’ai commencé à étudier le phénomène, je l’ai abordé sous un angle purement sociologique et non pas historique. A L’époque je parlais de bureau-technocratie. Ce qui prêtait à malentendu. Ainsi La Revue Royaliste semble s’imaginer que je refusais le progrès technique, que je versais dans le poujadisme et que je suivais trop servilement certaines analyses des «  gauchistes  » de Socialisme et Barbarie… Il est vrai que ce sont des marxistes dissidents qui ont été les premiers à nous alerter sur la véritable nature de la société soviétique et sur les transformations d’un capitalisme détaché du capital. Mais il fallait reprendre ces analyses, exactes au niveau des faits, en fonction de l’empirisme organisateur.  » Ce qu’il fit. Partant du constat de physique sociale de la création d’une Nomemklatura par le «  citoyen-général Bonaparte  », il contesta le modèle stratégique proposé par Michel.

    Ce débat fut interrompu par l’élection de François Mitterrand à la présidence de la république. Il n’en reste pas moins vrai que le dossier de retournement technocratique proposé par Michel Michel reste un modèle du genre digne de celui de la «  Stratégie nationaliste  » proposé en 1962 par Pierre Debray et qui lui aussi ne fut pas déployé.

    C’est donc par l’intérêt constant qu’elle porte au phénomène technocratique et à sa prise de pouvoir politique, jusqu’à y voir prospectivement un potentiel stratégique, que l’Action française à jugé à minima «  normale  » la prise du pouvoir politique par Macron en 2017. Nous verrons qu’elle va même au-delà.

    Germain Philippe ( à suivre)

    1 «  Centenaire de la Revue Universelle fondée par Jacques Bainville en 1920  », Libre journal de Jacques Trémolet de Villers , émission du 28 mai 2020, Radio-Courtoisie, avec Jacques Trémolet de Villers, Hilaire de Crémiers, Christian Franchet d’Esperey.
    2 Olivier Dard, «  « Des maorassiens aux maoccidents : réflexions sur un label et sa pertinence en lisant un essai récent », in Bernard Lachaise, Gilles Richard et Jean Garrigues (dir), Les territoires du politique. Hommages à Sylvie Guillaume, Presses universitaires de Rennes, 2012, pp. 167-176.
    3 Charles Maurras, Préface de 1909 à Enquête sur la Monarchie, Les éditions du porte-glaive, 1986, p.5.
    4 Le texte de Maurras est paru en 1902 dans la Gazette de France avant d’être repris en 1905 dans L’Avenir de l’intelligence sous le titre Mademoiselle Monk.

  • Molière réécrit: le mépris et l’abêtissement, par Anne-Sophie Chazaud.

    Jean-Baptiste Poquelin dit Molière. libre de droits

    Anne-Sophie Chazaud fustige l’instrumentalisation de la part de certains journalistes et sociologues, de la proposition du centre international de théâtre francophone concernant l’apprentissage de la langue française aux étrangers. Pour la chercheuse, cette caste médiatique souhaite procéder à la simplification des textes de Molière par démagogie égalitariste.

    3.jpgSi le français se trouve être désigné dans la Constitution comme étant la «langue de la République», ce qui souligne avec force le lien consubstantiel entre une identité nationale et un système linguistique chargé au fil des siècles d’histoire, d’usages et de culture, l’on emploie également souvent l’expression «langue de Molière» pour la qualifier.

    Parce que celle-ci incarne une sorte de moment de perfection, d’âge d’or reflétant l’esprit français, par son classicisme certes, celui du Grand Siècle, mais aussi par sa puissante charge ironique, son esprit frondeur, sa vivacité, son rapport à la fois au pouvoir et à la dissidence, bref, à l’intérieur même de ce qui est devenu son classicisme, par son aspect éternellement vivant, intempestif et toujours actuel.

    Accéder à la connaissance fine d’une langue, c’est donc accepter avec modestie, humilité, ambition et travail, de se plonger dans une Histoire dont on est, dans le maniement des mots, les récipiendaires, les héritiers, et que nous avons la charge de faire vivre, non dans une forme figée ou sacralisée de manière paralysante, mais dans une forme mouvante qui reprend le passé à son compte en le métamorphosant avec lenteur, avec la sage lenteur de la vie elle-même, avec authenticité et non par parti pris idéologique ou par paresse intellectuelle, comme le rappelle avec force Victor Hugo dans la si célèbre préface de Cromwell: «Les langues ni le soleil ne s’arrêtent plus. Le jour où elles se fixent, c’est qu’elles meurent.»

     

    On passe d’une initiative visant l’enseignement du Français aux étrangers, à une remise en question du répertoire et de la langue de Molière. 

     

    Une initiative du centre international de théâtre francophone en Pologne conduite en partenariat avec la Comédie-Française, intitulée «10 sur 10», menée depuis plusieurs années, a ainsi pour objectif de donner à 10 jeunes auteurs francophones pendant 10 jours la possibilité de réécrire de nouvelles pièces «destinées essentiellement à l’enseignement du français en langue étrangère (FLE)».

    Cette ludique bricolette d’ateliers d’écriture, comme il en fleurit partout, ne pose en soi aucun problème et semble par ailleurs animée des meilleures intentions du monde puisqu’il s’agit d’amener vers la langue française un public qui, a priori, ne la maîtrise pas. On ne peut donc que s’en féliciter. Il s’agissait ici en l’occurrence de revisiter le répertoire de Molière. Pourquoi pas.

    La réaction fut vive, en revanche, en particulier sur les réseaux sociaux, face à la manière dont cette information a été traitée par la radio dite culturelle du service public audiovisuel, toujours prompte à tirer la couverture idéologique à elle et dans le sens qui lui convient, avec un tweet qui eut tôt fait de circuler en ne manquant pas de produire l’effet de réaction escompté par l’habituel conformisme anticonformiste en vigueur, énonçant notamment, quitte à dévoyer le projet francophone initial: «La langue de Molière est-elle devenue trop ardue pour les écoliers d’aujourd’hui?».

    L’on passe donc, doucement mais sûrement, avec la belle opiniâtreté déconstructiviste en vogue, d’une initiative visant l’enseignement du Français Langue étrangère, destinée donc, comme son nom l’indique, à des étrangers, à une remise en question du répertoire et de la langue de Molière visant le public (jeune) français. Le tour était joué en un tournemain.

    Afin de venir appuyer cette hypothèse, un professeur de Lausanne fut appelé à la rescousse, venant comme de bien entendu nous estourbir d’un méta-discours pédagogiste de la meilleure facture: «[il s’agit] d’inventer avec lui [Molière] des pratiques pédagogiques et des nouvelles formes d’écriture dramatique pour les dramaturges d’aujourd’hui.» (on a ici clairement quitté les rivages du Français Langue étrangère).

    Puis de poursuivre, tout à son enthousiasme, en donnant l’exemple des Femmes savantes dans lequel un «beau nœud» désigne un bon mariage (et non quelque objet phallique de circonstance) pour finir en apothéose par énoncer ce que France Culture ne manquera pas de choisir comme punchline: «Le comique de Molière fonctionne sur des sketches. Ce qu’il y a de plus proche de l’humour de Molière aujourd’hui, ce serait peut-être l’humour des Youtubeurs». Il faut bien avouer que c’est à ce niveau de défaite de la pensée que l’humour de Molière nous est d’un précieux secours.

     

    Ramener l’humour de Molière au niveau des Youtubeuses de la post-modernité, c’est admettre cet aplatissement de la culture. 

     

    Outre l’aspect ridicule (et non précieux) de ce galimatias démagogique post-gauchiste de la plus belle facture, ces affirmations et l’écho si bienveillant qu’elles rencontrent évidemment auprès de la radio de service «culturel» public pose de nombreuses questions de fond.

    Tout d’abord, cet aveu d’une langue si riche, si foisonnante, si chargée d’histoire, désormais inaccessible (prétendument) aux jeunes lecteurs signe l’aveu d’un échec de la démocratisation culturelle qui, dans la lignée de Malraux puis du Théâtre National Populaire de Jean Vilar (pour ce qui concerne le théâtre) se fixait au contraire pour but d’amener les citoyens, jeunes ou pas, vers la culture, de les y élever (mais il est vrai qu’on ne dit plus un «élève» mais un «apprenant», puisque l’idée même d’élévation semble proscrite).

    En l’occurrence, de leur permettre de se plonger dans toute la richesse truculente de la langue française, comme le fit à sa manière le si regretté Alain Rey avec sa magistrale entreprise de Dictionnaire historique de la langue française, lui que l’on peut difficilement suspecter pourtant d’avoir été un dangereux réactionnaire et qui affirmait «la langue française ne s’appauvrit pas», en réponse aux déclinistes de tout poil.

    Ramener l’humour et la saveur de Molière au niveau des Youtubeuses incultes de la post-modernité agonisante, c’est admettre cet aplatissement de la culture sur l’abêtissement des médias de masse et du formatage idéologique qui l’accompagne. C’est priver les jeunes et les citoyens de liberté.

    C’est aussi, en réalité et sous couvert d’un égalitarisme démagogique que l’on croyait noyé dans les limbes des MJC des années 1970-80, promouvoir un système culturel à deux vitesses: celui des sachants, de ceux qui maîtriseront la langue de Molière et son épaisseur historique, ceux-là même qui pourront ensuite gloser tout à loisir sur les chaînes de radio ou dans d’obscurs projets pédagogiques indéchiffrables pour le commun des mortels afin de déconstruire encore et toujours les codes qu’ils ont en horreur tout en les maîtrisant parfaitement, et de l’autre côté une sorte de lumpen-prolétariat culturel que l’on flattera dans le sens du poil, en le gavant de sous-culture Youtubeuse, en lui faisant perversement croire que ceci vaut cela, que tout se vaut dans un relativisme qui n’a pour seul réel objectif que de permettre au mandarinat déconstructiviste post-soixante-huitard aux manettes de conserver jalousement son pouvoir.

    Ce discours est en réalité chargé d’un profond inégalitarisme: gardons la fine connaissance de la langue de Molière pour nous ; donnons-leur des inepties Youtube, ce sera la version moderne du pain et des jeux. Les «jeunes» apprécieront l’image que l’on se fait d’eux.

     

    Il s’agit d’un abêtissement démagogique au motif que ce français si riche serait trop compliqué pour ces « jeunes » qui ne sont rien. 

     

    Notons au passage que cette démarche constitue l’exact inverse de la si belle expérience mis en scène dans le remarquable film L’Esquive d’Abdellatif Kechiche dans lequel des adolescents d’une cité HLM découvrent et plongent peu à peu dans le texte de Marivaux, le travaillent, le malaxent, se laissent travailler par lui à mesure que leurs propres émois se font jour dans Le Jeu de l’amour et du hasard, jeu tendre et cruel qui devient le leur à proportion qu’ils en font l’expérience personnelle: c’est ici tout le vrai sens, exigent, respectueux, de l’appropriation par enrichissement culturel qui est proposé, et non l’abêtissement démagogique des foules au motif que ce français si riche serait bien trop compliqué pour ces gens de rien, ces gens qui ne sont rien.

    Enfin, quitte à revisiter Molière dans son intemporelle et toujours vivace actualité: chiche! Et plutôt que d’opter pour les si faciles Précieuses ridicules, qui ne font pas courir grand risque, pourquoi ne pas montrer la terrible actualité d’un Tartuffe revisité qui imposerait la burqa ou le voile aux femmes en leur intimant l’ordre de «cacher ce sein [pire: ce visage!] que je ne saurais voir»?: en voilà une réactualisation qui serait audacieuse, courageuse, qui parlerait à notre époque… Trop courageuse, trop impertinente sans doute, de la vraie impertinence et non de la démagogie à la petite semaine.

    Pour ce qui est de la langue, on pourrait bien sûr céder à la facilité d’une porte-parole du gouvernement qui annoncerait dans les Femmes savantes «wesh meuf, le petit chat est dead!», ou remplacer «la peste soit du fou fieffé» du Médecin malgré lui par un «on les aura ces connards!» adressé à quelque Ministre des Diafoirus. Car la langue est aussi un objet éminemment politique…

    «Ma patrie, c’est la langue française» disait Albert Camus. On comprend donc bien qu’il soit urgent pour certains de l’abaisser au plus vite, de l’abraser, de l’aseptiser, de l’abêtir, comme on cherchera à gommer toute l’épaisseur historique d’un pays en déboulonnant des statues, renommant des rues, contestant des héritages, tripatouillant la langue elle-même pour, sous prétexte de la rendre inclusive, la rendre en réalité illisible et inepte, réservée toujours aux mêmes sachants experts en salmigondis. La guerre à mener est bel et bien culturelle, et la langue en est le cœur vivant.

     

    Anne-Sophie Chazaud est chercheuse et auteur. Elle a notamment publié Liberté d’inexpression, des formes contemporaines de la censure, aux éditions de l’Artilleur.

    Source : https://www.lefigaro.fr/vox/

  • L’Église et la tyrannie des lois ou les lois des tyrannies, par l'Abbé Barthes.

    Les lois sont les outils au service de l'organisation de la Cité. Elles ont pour but le bien commun. Une loi démocratiquement votée qui va à l'encontre de ce bien commun n'a pas de sens ; ou plutôt, elle est tyrannique puisqu'elle empêche le bien commun. Les exemples, hélas, abondent.

    8.jpgLa candidature du catholique Joe Biden à la présidence des États-Unis, alors qu’il défendait le « droit » à l’avortement, a divisé l’Église de ce pays : un prêtre lui a refusé la communion dans une église de Caroline du Sud ; le nouveau cardinal de Washington, le cardinal Wilton Gregory, a au contraire affirmé qu’il ne repousserait pas Biden de l’eucharistie ; et de son côté, Mgr Charles J. Chaput, archevêque émérite de Philadelphie, a publiquement estimé que les actes de Joe Biden démontraient qu’il n’était pas en communion avec l’Église.

    Il est clair que le problème le plus immédiat pour l’Église, dans les démocraties modernes, est celui des lois tyranniques, qu’elles soient criminelles ou seulement injustes. Mais au-delà du refus des lois tyranniques se pose à elle et aux hommes de ce temps celui plus général de la vie au sein de la tyrannie. À ce propos, l’Église et l’Église seule peut aujourd’hui faire briller la vérité, « comme une lampe dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour commence à poindre » (2 P 1, 19).

    La désastreuse intégration du positivisme juridique par les catholiques

    La vulgate catholique d’aujourd’hui repose sur la séparation entre le domaine politique, censé moralement neutre, simplement positif, d’avec celui de la conscience individuelle, dichotomie qu’exprime par exemple le P. Alain Thomasset, professeur de théologie morale au Centre Sèvres à Paris : « En tant que chrétien, un maire peut personnellement désapprouver la loi sur les mariages homosexuels, mais en tant qu’élu et officier public il a aussi des obligations par rapport à la loi qui s’impose à tous et dont il doit faire respecter l’application »[1].

    On est à mille lieues de ce que disait, par exemple Pie XII : « Le simple fait pour une loi d’être déclarée par le pouvoir législatif norme obligatoire dans l’État, fait considéré seul et par lui-même, ne suffit pas à créer un vrai droit. Le “critère du simple fait” vaut seulement pour Celui qui est l’auteur et la règle souveraine de tout droit : Dieu. L’appliquer indistinctement et définitivement au législateur humain, comme si sa loi était la règle suprême du droit, est l’erreur du positivisme juridique, au sens propre et technique du mot : erreur qui est à la base de l’absolutisme de l’État et qui équivaut à une déification de l’État lui-même »[2]. Car, comme le rappelait saint Thomas : « Toute loi humaine instituée a valeur de loi dans la mesure où elle découle de la loi naturelle, mais si elle s’écarte de celle-ci en quelque chose, elle sera moins une loi qu’une corruption de la loi »[3]. D’où il résulte que « les lois injustes sont beaucoup plus des violences que des lois », et elles n’obligent pas[4].

    Pour bien entendre ceci, il faut considérer les lois, à rebours des systèmes modernes, comme ce qu’elles doivent être, à savoir comme les instruments privilégiés de l’organisation juste de la cité, par lesquelles le gouvernant indique « la règle et la mesure » des actes posés par les citoyens. Elles organisent ainsi ce pourquoi la cité des hommes est faite : le bien vivre, le bien de la paix, le respect du juste, d’une vie honnête, dans l’harmonieux développement intellectuel et moral.

    L’essence de la loi digne de ce nom repose en fait sur celle de la cité, dont l’existence est pour l’homme une exigence de la nature[5]. « Sans elle les hommes ne peuvent parvenir à leur fin, y compris dans ses aspects les plus élevés. Elle leur donne non seulement des biens matériels, mais aussi les moyens de développer leur vie intellectuelle jusqu’à la contemplation, jusqu’à la vérité ultime de Dieu, c’est pourquoi saint Thomas acquiesce à la constatation du Grec Aristote qui déclare que la politique est le plus divin des arts. La politique conduit l’homme à sa fin, d’abord dans l’amitié politique et même la vie religieuse, bien que les contemplatifs, en un certain sens, dépassent la vie de la cité. C’est à cette aide que la cité fournit à l’homme qu’il faut rapporter ce que dit saint Thomas des fonctions de la loi humaine »[6].

    On a le plus grand mal à entendre ceci aujourd’hui, fût-ce théoriquement. L’homme par sa vie, qui est nécessairement une vie dans la cité, se trouve engagé dans un certain nombre de relations qui lui imposent des devoirs de justice, du fait de tout ce qu’il reçoit de cette cité, éducation, langue, biens de toute nature. À travers l’accomplissement de cette justice, il exerce ses vertus et parvient à sa fin. Les lois, par nature éducatrices, ne sont rien d’autre que des tuteurs, qui le contraignent à abandonner cet égoïsme auquel l’incline sa nature blessée par le péché. In fine, le but de la loi est de promouvoir le bien et de punir le mal : « Soyez soumis, à cause du Seigneur, à toute institution humaine: soit au roi, comme souverain, soit aux gouverneurs, comme envoyés par lui pour punir ceux qui font le mal et féliciter ceux qui font le bien » (1 P 2, 13-14) ; ou encore : « Car le prince est pour toi ministre de Dieu pour le bien, mais si tu fais le mal, crains, car ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée, étant ministre de Dieu pour tirer vengeance de celui qui fait le mal, et le punir » (Rm 13, 4-5). La fin de l’appareil législatif est de créer un ordre moral¸ au sens non polémique et le plus profond du terme[7].

    La subversion de la notion de bien commun

    L’avalanche de lois tyranniques sapant les fondements de la famille naturelle (divorce, égalisation des filiations légitimes et hors mariage, autorisation de la contraception, légalisation de l’avortement, « mariage » homosexuel, divers procédés de conception artificielle, etc.) enlève toute apparence de contenu au bien commun de la cité. Ce que l’on nomme la doctrine sociale de l’Église a été constamment attentive, à juste titre, depuis Rerum novarum, à la subversion du bien commun dans le domaine économique par l’individualisme moderne et le libéralisme économique. Or, il en va de même, et plus gravement encore, dans le domaine familial, sur un autre versant de l’individualisme et du libéralisme.

    Pour citer à nouveau le pape de Rerum novarum : « Dans l’ordre politique et civil, les lois ont pour but le bien commun, dictées non par la volonté et le jugement trompeur de la foule, mais par la vérité et la justice. L’autorité des princes revêt une sorte de caractère sacré plus qu’humain, et elle est contenue de manière à ne pas s’écarter de la justice, ni excéder son pouvoir. L’obéissance des sujets va de pair avec l’honneur et la dignité, parce qu’elle n’est pas un assujettissement d’homme à homme, mais une soumission à la volonté de Dieu régnant par des hommes »[8]. On est certes dans le domaine naturel, pas surnaturel, mais l’autorité y a un caractère sacré. D’ailleurs, la poursuite du bien commun, « fin et critère régulateur de la vie politique »[9], doit disposer les citoyens à accéder au salut de l’âme, que leur propose l’Église, Épouse du Christ.

    Où chercher « le bien commun naturel, bien ultime dans l’ordre des choses humaines, fin de la cité ou de la politique »[10], dans les présentes dispositions législatives de bioéthique, qui poursuivent l’interminable processus de transgression des lois précédentes ? Quel reste du « bien vivre » dont doivent bénéficier tous ceux qui sont organisés en une société politique donnée ? « En effet, si les hommes s’assemblent, c’est pour mener une vie bonne, ce à quoi chacun isolément ne pourrait parvenir. Or, une vie bonne est une vie selon la vertu. La vie vertueuse est donc la fin du rassemblement des hommes en société »[11]. En quoi elle reste cependant infiniment inférieure à la vie surnaturelle confiée à l’Église. Cependant, les mauvaises lois entraînent les hommes à la perdition et obscurcissent la Révélation. Et parce que l’homme est esprit et corps, les biens du corps (santé, biens extérieurs nécessaires à l’entretien), mais aussi le patrimoine accumulé des valeurs humaines et culturelles, entrent dans ce bien général rationnel (moral) que dispense la communauté[12].

    L’irremplaçable témoignage de l’Église enseignante

    S’il est nécessaire que pasteurs de l’Église, pape et évêques, dénoncent les lois injustes, est-ce suffisant ? Cette dénonciation ne devrait-elle pas s’accompagner d’une critique plus radicale, au nom du rappel des principes généraux qui commandent la vie de la cité ? Plus personne, hors l’Église hiérarchique, n’est aujourd’hui en mesure de le faire efficacement.

    Car aujourd’hui, du fait de la multiplication de lois tyranniques, on ne peut pas ne pas se poser la question de la tyrannie du gouvernement de la cité lui-même, que vicie l’absence de poursuite du bien commun. Saint Thomas traite des « tyrans » qui, au-delà de l’édiction d’une loi contraire au bien commun, le renversent radicalement en visant leur profit personnel[13]. Mais on est ici plus avant, dans l’ordre d’États de « droit nouveau » (dénomination que donne Léon XIII au système institutionnel moderne dans l’encyclique Immortale Dei), qui sont étrangers par nature à la reconnaissance de la transcendance de la loi naturelle, et dont il faudra reparler plus à fond sous l’aspect des rapports Église-État.

    Il est vrai que ces États peuvent malgré tout intégrer dans leur législation un certain respect de l’ordre naturel, et ce en raison de l’état de l’opinion – lequel évolue de plus en plus vite, puisque le politique a cessé de l’éduquer. Ainsi le mariage républicain, en France, avait conservé le modèle du mariage naturel qu’il a progressivement dégradé[14]. Pie XII, dans le discours à la Rote cité plus haut, remarquait de même : « Le XIXe siècle est le grand responsable du positivisme juridique. Si ses conséquences ont tardé à se faire sentir dans toute leur gravité dans la législation, c’est dû au fait que la culture était encore imprégnée du passé chrétien et que les représentants de la pensée chrétienne pouvaient encore presque partout faire entendre leur voix dans les assemblées législatives »[15].

    Il s’agirait en somme pour les Successeurs des Apôtres d’expliciter et d’élargir les paroles de Jean-Paul II : « Une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois »[16]Si ce « totalitarisme sournois » ne dispose pas de goulags, il fait vivre les chrétiens sous un despotisme conformant peut-être plus dangereux que le totalitarisme soviétique pour le salut des âmes. Qui d’autre que les représentants du Christ peut éduquer les chrétiens à survivre et à transmettre dans une telle situation d’oppression sociale d’une intensité croissante ?

     

    Cet article est d’abord paru dans la lettre d’information Res Novae : www.resnovae.fr/blog/actualite

    [1] . Site de La Croix, dans « Lexique » : « Désobéir à la loi parce qu’on est chrétien ? »

    [2] . Pie XII, Discours au Tribunal de la Rote, 13 novembre 1949

    [3] . Somme théologique, Ia IIæ, q. 95, a. 2.

  • Covid-19 : entretien avec une infirmière en première ligne, par Maxime Briand.

    Dans un style direct et sans faux-semblant, une infirmière, urgentiste à Paris, nous a livré son témoignage sur la manière dont elle a ressenti le choc qu'a constitué le déferlement de l'épidémie sur l'hôpital. Pour d’évidentes raisons, cette infirmière a souhaité conserver l’anonymat.

    Propos recueillis par Maxime Briand, de l’ISSEP

    Chaque année les syndicats et personnels hospitaliers organisent des manifestations pour mettre en garde contre les conséquences de la suppression de postes et de la diminution du budget et du nombre de lits. Comment l’hôpital public a-t-il fait face au Covid avec ces conditions alarmantes ?

    Nous avons effectivement dû faire face à une pénurie de matériel de protection. Durant la « première vague » de mars/avril, nous avons manqué de solutions hydro-alcooliques et de sur-blouses pour nous protéger. Nous devions alors garder la même blouse durant toute la nuit en notant notre nom dessus. Ainsi, nous allions voir tous nos patients avec le même équipement… Tout à fait hygiénique dans une épidémie ! Sans compter que les solutions hydro-alcooliques et les masques nous étaient donnés au compte-goutte et que nous en manquions certaines nuits. Dans notre hôpital, et plus particulièrement dans mon service d’urgence, nous avons heureusement bénéficié de renforts humains : des infirmiers et des internes venus renforcer nos effectifs. Mais nous savions que ces « renforts » étaient des professionnels dont les services avaient fermé à cause de la crise et donc que leurs spécialités manquaient à ce moment-là. On a pu se rendre compte quelque temps après, avec un peu de recul, que le grabuge pour les patients chroniques et la prise en charge de pathologies considérées comme non urgentes était immense ; que ce soit le dépistage du cancer ou le suivi de malades chroniques somatiques ou psychiatriques. Dans mon hôpital, toutes les chirurgies qui le pouvaient ont été annulées et reportées afin de libérer des lits et faire des services avec des « lits Covid ». Pour cela, mon hôpital semble avoir été très réactif dans sa capacité à ouvrir de nouveaux lits.

    Nous avons vu, pendant le premier confinement, un intérêt nouveau des politiques pour la santé de l’hôpital, notamment en débloquant 500 millions d’euros en avril dernier. Avez-vous perçu l’impact de ces aides au sein de vos services ? Cet intérêt s’est-il maintenu dans le temps ?

    Nous avons bien eu des renforts médicaux et paramédicaux. Je sais qu’il y a eu un certain nombre d’intérimaires ou de jeunes retraités rappelés sur l’hôpital. On peut donc dire que nous avons perçu une aide (indispensable) en terme d’effectifs, mais nous n’avons pas constaté de miracles et en tout cas presque aucune différence en terme de matériel, je dirais même au contraire… Nous arrivions péniblement à obtenir un masque toutes les quatre heures et nous ne pouvions pas toujours avoir les masques adaptés aux gestes à risque : à savoir les masques FFP2 en cas d’intubation ou de contact avec un risque élevé de projections des gouttelettes.

    Du point de vue de nos rémunérations, nous avons bénéficié d’une prime de 1000 € à la fin de ces deux mois de mars et avril. Était-ce pour « acheter » notre confiance, notre silence ? Quoi qu’il en soit, c’était une somme importante effectivement, mais de là à compenser la détresse de ces deux mois denses, vécus dans des conditions angoissantes, sans savoir ce qui nous attendait, je pense qu’il y a une certaine marge. À supposer, c’est vrai, que l’argent puisse régler un problème d’ordre physique et psychologique, et compenser le manque chronique d’effectifs et de reconnaissance.

     

    La préoccupation de la « santé de l’hôpital » n’aura donc que peu duré apparemment : une fois le pire fini, nous redevenons une « vulgaire entreprise » qui doit faire du chiffre.

     

    Non, je ne peux pas dire que cet intérêt se soit maintenu dans le temps. Passée cette « première vague », l’ouverture de « nouveaux » lits et les renforts qui nous avaient été accordés n’ont bien sûr pas duré et nous en sommes quasiment revenus au point de départ. Il est toujours aussi difficile de trouver des lits aux urgences pour les patients nécessitant d’être hospitalisés.

    Quant au manque d’effectifs, ce grave problème pour le milieu hospitalier est toujours d’actualité. Dans nos urgences, certains jours, le sous-effectif se fait cruellement sentir. Pour un service d’urgence aussi grand que le nôtre et comptant près de 300 passages sur 24 heures lors des plus grosses journées, le manque d’infirmières est vraiment scandaleux. Inutile de préciser que, contrairement aux services d’hospitalisation classique, nous n’avons pas de nombre limite de patients et nous nous devons donc d’accueillir toute personne qui se présente aux urgences. Que nous ayons la place ou non.

    Sans compter la pression et le stress auquel nous faisons face certains jours, lorsque nous sommes combles et en sous-effectif mais que les soins doivent quand même être faits, et rapidement ! La préoccupation de la « santé de l’hôpital » n’aura donc que peu duré apparemment : une fois le pire fini, nous redevenons une « vulgaire entreprise » qui doit faire du chiffre. Notre salaire, quant à lui, n’a pas bougé, contrairement aux augmentations promises.

    Le 11 novembre dernier, Konbini publiait le témoignage d’une infirmière. En reconversion, elle estimait que son travail n’était plus que celui d’une « machine » bonne à produire du chiffre, dénuée, par nécessité économique, de tout aspect humain. Ce mal du métier est-il un sentiment généralisé dans votre profession ?

    Tout à fait ! Je dirais que c’est bel et bien la première impression que j’ai eue en découvrant le milieu hospitalier. Quelle désillusion a été la mienne en première année d’études, en constant que les infirmières n’avaient plus « le temps » de parler à leur patients, de discuter quelques instants ou de prendre les quelques minutes nécessaires pour leur tendre une oreille attentive ou leur murmurer quelques paroles réconfortantes. Ce travail de « machine » est encore plus flagrant aux urgences où le flux constant des patients et des soins nous oblige à nous chronométrer afin de ne pas passer à côté d’une urgence. Ce sentiment de devoir faire du chiffre en oubliant l’aspect humain est en effet un sentiment généralisé dans ma profession. Nous aimerions pouvoir rester plus de temps au chevet de nos patients. Surtout quand on sait que nous avons parmi nos patients beaucoup de personnes âgées, souvent plus fragiles, plus lentes et parfois quelque peu perdues d’avoir été transportées à l’Hôpital. Devoir « speeder » nous donne donc parfois l’impression cruelle de les brusquer, de les laisser perdues. C’est très frustrant.

    Vous êtes urgentiste à l’hôpital, à Paris, depuis plusieurs années. Vous voyez donc passer chaque jour dans votre service de nouveaux patients très divers. On parle d’un ensauvagement accru de la société : de par votre expérience professionnelle, quel constat établissez-vous sur l’atmosphère sociale ?

    Je suis en effet infirmière dans des urgences parisiennes, dans un quartier « chaud » si je puis dire. La population que nous sommes amenés à soigner est donc très variée. Elle va des personnes âgées des beaux quartiers aux émigrés vivant dans les camps près du périphérique. Nous prenons en charge beaucoup de personnes en situation de précarité, un certain nombre d’agressés à l’arme blanche, etc.

    Pour ce qui est de l’« ensauvagement » de la société je ne pourrais nier qu’il existe. Malheureusement, la violence est très présente dans nos urgences. Rares sont les nuits où nous ne sommes pas agressés verbalement voire physiquement. Nous accueillons beaucoup de personnes émigrées aux urgences. Cette population vient très souvent pour des problèmes bénins, ils préfèrent venir chez nous plutôt que chez un généraliste puisque que nous distribuons les soins gratuitement. Mais le problème, c’est que nous ne sommes pas là pour « soigner » de petites ampoules aux pieds. Ce genre de problème nous fait perdre beaucoup de temps, risque de retarder la prise en charge d’autres patients plus graves et devient usant à la longue.

    Nombreuses sont aussi les personnes qui viennent en pensant que tout leur est dû, que nous sommes à leurs ordres et que nous devons les servir comme s’ils étaient à l’hôtel. Sans parler de certains hommes pratiquant une religion étrangère à la culture française, qui nous considèrent comme leurs servantes et nous parlent de façon inadmissible parce que nous sommes des femmes.

     

    C’était très sympa de nous faire applaudir, Président. Ce serait encore mieux de nous payer décemment et d’organiser véritablement les services de santé.

     

    Nous accueillons aussi beaucoup de personnes en situation de précarité, qui peuvent vivre dans la rue et sont souvent alcoolisées. Ces prises en charge, pour nous, sont difficiles, car il s’agit le plus souvent de gens qui cherchent un endroit où dormir et manger au chaud. Étant donné leurs vies difficiles, certains sont agressifs si nous sommes incapables de leur fournir un lit.

    Un autre problème de notre société, que l’on ne constate que trop aux urgences, est le manque d’éducation d’aujourd’hui. En effet notre société vit sur le modèle du « tout nous est dû ». Les gens sont habitués à avoir tout, tout de suite, à obtenir tout ce qu’ils désirent immédiatement. C’est ainsi que certains patients s’impatientent et nous insultent dès que l’attente est un peu trop longue ou que l’on ose leur refuser un café… La politesse et la courtoisie sont trop souvent oubliées. Avec notre société où le confort est roi, beaucoup sont incapables de souffrir ou de ressentir une gêne quelques heures et viennent aux urgences au moindre bobo. C’est ainsi que nous devons prendre en charge beaucoup de gastroentérites ou de grippes chez des patients jeunes qui n’ont besoin d’aucun soin médical mais simplement de repos et de patience.

    Enfin, pour ce qui est de l’atmosphère sociale, je constate avec inquiétude qu’il y a beaucoup de gens déséquilibrés, fragiles. Nombres de jeunes viennent car ils ont tenté de mettre fin à leurs jours, jeunes et moins jeunes d’ailleurs. Pourrait-on faire un lien entre les mœurs totalement dépravées de notre époque et l’état de grande faiblesse de tous ces gens qui consultent ? Nous recevons aussi aux urgences beaucoup de personnes qui décompensent et « pètent un câble », comme on dit, source parfois de grandes violences physiques qui nous amènent à les prendre en charge à une dizaine de soignants, et parfois même avec l’aide de la police. Cette misère sociale est de plus en plus flagrante.

    Un autre point que je voudrais aborder est le système de soins français. Les patients n’ont rien à avancer à l’hôpital et avec la sécurité sociale et notre système d’assurance, les patients ne réalisent pas, pour la plupart, la valeur des soins. Pour ce qui est des urgences, ils ignorent que chaque passage aux urgences a un coût. Une simple consultation avec un urgentiste en pleine nuit coûte une centaine d’euros, sans compter les soins qui peuvent s’y ajouter. Je pense que si les gens réalisaient cela, ils ne se déplaceraient que pour l’indispensable. Certains patients, il faut le préciser, viennent toutes les semaines, voire tous les jours à certaines périodes.

    Pendant le premier confinement, la France vous a rendu hommage chaque soir à 20h30. Depuis, beaucoup n’hésitent pas à qualifier les membres du corps hospitalier de « héros ». Que vous inspire cette distinction ?

    Effectivement, ça avait un côté réconfortant de voir que nous étions soutenus et encouragés. Des « héros », je ne sais pas, mais ce qui est certain c’est qu’il faut être bien accroché pour perdurer dans cette voie et avoir le courage de venir travailler encore et encore. C’est éprouvant, tant physiquement que psychologiquement. Mais nous vivons aussi de très belles choses et pour rien au monde je ne regretterais d’être infirmière. Même si je ne me vois pas faire ce métier encore à 50 ans.

    Pour revenir sur la façon dont j’ai l’impression d’être perçue par la société en tant que soignante, je dirais qu’à l’heure actuelle j’ai plutôt l’impression de faire partie des « oubliés », des « délaissés », voire des « pestiférés » à fuir. « Oubliés » par le gouvernement et « fuis » par la société. Du moins en cette période de Covid. En effet, travaillant à l’hôpital, j’ai eu plus d’une fois des réflexions me faisant comprendre que je pouvais être une menace contaminante et que j’étais priée de garder mes distances. Que ce soit dans mon village natal en rentrant chez mes parents ou ailleurs. Je peux aussi vous citer l’exemple de certains de mes collègues que leurs propres parents ne voulaient plus voir pendant les « pics » de l’épidémie, car ils estimaient le risque trop important pour eux.

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    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • La France de Macron, une dictature post-démocratique, par Michel Geoffroy.

    Depuis le forum de Polémia consacré à cette problématique en novembre 2019, la question de la dictature, en particulier de la dictature sanitaire, s’est invitée dans le débat politique, au grand dam du pouvoir et de ses soutiens. Emmanuel Macron a même cru bon de s’en défendre à plusieurs reprises[1].

    Pourtant un sondage IFOP réalisé pour le JDD les 11 et 12 août dernier, montre que pas moins de 43 % des personnes interrogées estiment que la France devient une dictature, du jamais vu dans notre pays. De même, durant tout le mois d’août – ce qui est également tout à fait nouveau –, des centaines de milliers de manifestants défilent chaque samedi dans de nombreuses villes de France, au cri de « liberté », contre l’instauration du passe sanitaire et la vaccination obligatoire des enfants.
    Manifestement, la question de la dictature ne se réduit pas à un fantasme complotiste…

    Circulez, il n’y a rien à voir !

    Vivons-nous donc désormais en dictature ?

    Non, répondent à l’unisson les intellectuels médiatiques, fidèles soutiens du système.

    Dans Le Parisien, Raphaël Enthoven a donné le ton : « Tant qu’Emmanuel Macron n’aura pas aboli le droit de vote, je tiendrai les gens qui disent qu’on vit en dictature pour des illuminés. C’est-à-dire des obscurantistes[2]. »

     

    « France, la dictature que le monde nous envie », titre ironiquement de son côté un éditorial de la sérieuse Revue des Deux Mondes[3] : « la France, malgré ses imperfections, est le pays où l’État, à travers ses lois, n’est ni raciste, ni fascisant, ni islamophobe. Mais protecteur des droits individuels de chacun. Et défenseur de l’égalité hommes-femmes, des droits des homosexuels et de la liberté de conscience », lit-on sous la plume de Valérie Toranian

     

     

    Des exemples parmi d’autres, mais significatifs.

    L’argumentation consiste en effet à déduire du fait que, comme le pouvoir ne revêt pas en France les formes prises par les totalitarismes européens des années trente ou par les pronunciamentos sud-américains, nous ne vivons pas en dictature.
    En d’autres termes, nous ne vivons pas en dictature parce qu’Emmanuel Macron ne porte pas un uniforme ni une petite moustache comme Hitler, parce que les opposants ne sont pas envoyés au goulag ou parce que les chemises brunes ou les gardes rouges ne patrouillent pas dans les rues, la matraque à la main.
    Les défenseurs de la macronie affirment aussi que nous ne vivons pas en dictature parce que les libertés individuelles seraient garanties dans notre pays par le fameux état de droit. En somme, nous ne vivons pas en dictature parce que nous avons le droit de « venir comme nous sommes » comme chez McDonald’s ou parce que nous pouvons rouler à vélo sur les trottoirs.

    On n’évoquera enfin que de façon incidente ceux qui glosent à l’infini, pour noyer la question, sur le terme dictature en rappelant que, sous l’Antiquité, celle-ci n’avait qu’un caractère fonctionnel et non pas péjoratif. La belle affaire !
    Ces arguties ne sauraient masquer ce que tout le monde comprend de nos jours sous le terme dictature : comme l’écrit le dictionnaire Larousse, c’est bien « le régime politique dans lequel le pouvoir est détenu par une personne ou par un groupe de personnes (junte) qui l’exercent sans contrôle, de façon autoritaire ».

    Mais finalement tous ces commentateurs officiels nous disent la même chose : circulez, il n’y a rien à voir !

    Une vision simpliste de la dictature

    D’abord, on objectera que cette façon d’analyser la dictature est totalement réductrice et montre surtout que, pour l’oligarchie au pouvoir, la reductio ad Hitlerum reste l’horizon indépassable de sa communication, sinon de sa réflexion.

    C’est oublier que les totalitarismes du xxe siècle ne se réduisent pas à l’usage de la violence physique ; et que toute dictature repose sur une certaine acceptation, même tacite, de la population. C’est oublier aussi que les dictateurs n’ignorent pas les élections, bien au contraire, puisque en général ils se font élire à une majorité écrasante, ce que semble oublier M. Enthoven…

    C’est surtout oublier que l’oppression peut prendre des formes variées et que l’histoire ne s’est pas arrêtée en 1945.
    Il est d’ailleurs savoureux de voir tous ces intellos issus de la gauche éclairée et qui prennent aujourd’hui la défense de la « démocratie » macronienne oublier l’école de Francfort dont ils se montraient si friands dans les années 1960. Une école de pensée influente qui, après la Seconde Guerre mondiale, affirmait mettre en lumière la persistance des comportements autoritaires en Occident (avec notamment l’analyse de la « personnalité autoritaire ») malgré la fin des fascismes.
    Pourquoi donc un tel « oubli » ? Emmanuel Macron n’incarnerait-il pas justement un nouvel avatar de cette fameuse « personnalité autoritaire » ?
    Pourquoi oublier aussi le livre prophétique que Roland Huntford publie au début des années 1970 et intitulé : Le Nouveau Totalitarisme[4]. Huntford analyse en effet la social-démocratie suédoise pour démontrer que les libertés personnelles sont tout aussi menacées par l’intrusion de l’État-providence dans l’intimité des personnes, le conformisme, l’hygiénisme, le fiscalisme, la réduction du rôle éducatif de la famille et la « libération des mœurs[5] » que par la violence des milices en chemise noire ou rouge.
    Certes, ce nouveau totalitarisme ne tue plus, mais il étouffe, il réduit au silence ou au suicide. Quel progrès !

    L’avènement de la post-démocratie autoritaire

    Les défenseurs de la « démocratie » macronienne se gardent bien en effet de reconnaître que notre système politique et social a profondément changé depuis la fin du xxe siècle et singulièrement depuis la chute de l’URSS. Ils continuent d’invoquer la république sur l’air des lampions, pour faire croire que nous serions toujours sous un même régime. Mais en réalité nous en avons changé, pour entrer dans l’ère de la post-démocratie autoritaire, qui est une soft dictature.

    Car, si l’on définit, comme le dit la Constitution de la Ve République, la démocratie comme le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, force est de constater que nous ne vivons justement plus dans un tel régime.

    La post-démocratie repose en effet sur des principes tout différents : d’abord et avant tout sur la suprématie des droits des « minorités » sur ceux des majorités – réduites au silence –, sur l’idéologie des droits de l’homme et la marginalisation de la citoyenneté qui en découle, sur la suprématie des juges sur les législateurs, sur la supranationalité et sur la dérégulation de l’économie et de la finance[6].

    Car la post-démocratie tire la conclusion politique de la révolution intervenue en Occident après la fin de la guerre froide et qui a vu l’émergence d’un pouvoir économique et financier mondialisé, délocalisé et dérégulé, indifférent au bien commun, désormais plus riche et plus puissant que les États, lesquels se trouvent au contraire en phase de déconstruction avancée et réduits au rôle d’exécutant des desiderata de cette nouvelle oligarchie.

    Sur le plan idéologique, la post-démocratie correspond au fait que le libéralisme – en fait le capitalisme – s’est désormais séparé de la démocratie, mettant fin à la parenthèse des Lumières. Comme le disait si bien l’ancien président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». Parce que justement l’Union européenne se conçoit avant tout libérale avant d’être démocratique.

    La fin des libertés collectives, terreau de la soft dictature post-démocratique

    Ceux qui vantent les libertés individuelles dont nous bénéficions, pour récuser la dictature, oublient opportunément également que les libertés collectives – et au premier chef la souveraineté des peuples – ont été déconstruites par les post-démocrates libéraux. Lesquels ne conçoivent la liberté que comme un individualisme absolu, indifférent au bien commun, c’est-à-dire dans un sens exclusivement libéral et marchand car on n’autorise que ce que le marché peut satisfaire.

    Or, quand les libertés collectives disparaissent, les libertés individuelles ne peuvent durer longtemps, comme le démontre le sort des « démocraties populaires » soumises au régime de la souveraineté limitée soviétique.

    Ce que démontrent aussi de nos jours la déconstruction des frontières et la dérégulation de l’immigration, qui conduisent de plus en plus à réduire la liberté d’opinion des autochtones. En France, le gouvernement a dissous l’association Génération identitaire sous le prétexte que sa critique de l’immigration constituait, selon le parquet, une incitation à la haine, créant un précédent redoutable. Car, vis-à-vis de l’immigration, les autochtones n’auront désormais plus qu’un droit : celui de se taire et d’accueillir toujours plus d’immigrants.

    En post-démocratie, le peuple autochtone lui-même devient suspect, coupable de tous les crimes historiques : Emmanuel Macron ne se prive d’ailleurs pas d’allonger la liste des prétendues fautes imputables aux Français ! En post-démocratie, donner la parole au peuple – ce qui est de plus en plus rare – se trouve dévalué sous le vocable « populisme ». Et lui donner la priorité devient hautement discriminatoire !

    Un nouveau pouvoir sans limite

    L’avènement de la post-démocratie, qu’incarne l’élection présidentielle d’Emmanuel Macron, signifie surtout que les catégories classiques de la science politique n’ont plus cours en France : les principes d’équilibre et de séparation des pouvoirs, de souveraineté populaire, de responsabilité politique, de suprématie de la loi sont devenus obsolètes. Dans ces conditions, invoquer les élections ou la république pour réfuter la dictature, comme si nous étions en 1958, repose sur une supercherie.

    Car l’autorité est désormais de plus en plus économique et technologique, et non plus politique : ce qui signifie qu’elle n’est plus limitée par les contraintes inhérentes à la responsabilité politique et à l’adhésion populaire. En d’autres termes, on se trouve confronté à un pouvoir que de moins en moins de pouvoirs viennent refréner, à rebours de ce que préconisait Montesquieu.
    La crise du coronavirus a renforcé cette tendance à la marginalisation des institutions politiques, réduites au rôle de chambre d’écho des prescriptions des « experts » médicaux, des médecins de plateau télé, des comités Théodule et de Big Pharma.

    De même, les médias, devenus propriété des puissances économiques et financières, ne jouent plus leur rôle de contre-pouvoir m

  • Régis de Castelnau : “le danger de ce procès c’est qu’il offre une tribune aux terroristes. Ils en profitent et c’est in

    Le procès historique qui fait suite aux attentats du 13-Novembre a été ouvert ce mercredi 8 septembre. En raison de l’extrême gravité des faits et du traumatisme qu’ils ont causé à la nation, l’ampleur donnée à ce procès est spectaculaire : construction d’une salle dédiée, retransmission vidéo des audiences, poursuite des confrontations durant 9 mois…

    Au simple procédé judiciaire s’ajoute ici une dimension théâtrale, destinée à agir comme une sorte de catharsis pour la nation endeuillée.

    L’avocat Régis de Castelnau réagit à ce sujet au micro de Boulevard Voltaire.

    Se tient depuis hier, le procès des attentats du 13 novembre au Bataclan, dans les différents bars et au stade de France. Ce procès est sous haute tension et exceptionnel de par sa taille et des personnes impliquées. Ce procès est en train de se transformer en une sorte de tribune ouverte de Salah Abdeslam qui multiplie les provocations. Ce procès représente-t-il nos faiblesses étalées en pleine lumière ?

     

    Ce procès c’est d’abord une contradiction. C’est un travail de justice. La Justice a une fonction qui est de juger les gens qui ont commis des infractions abominables qui sont des infractions terroristes.

    La Justice doit donc établir la réalité des faits et prendre des sanctions à l’encontre des coupables.

    C’est l’honneur d’une démocratie. C’est ce qui fait aussi la supériorité de notre système sur les systèmes dont ils sont issus. On sait très bien qu’ils sont issus d’une autre culture, d’une autre civilisation et parfois d’autres pays. On est confronté à un traumatisme de la société française au travers d’un choc lié à la violence de l’attaque. Aujourd’hui, j’invite à revoir les différentes vidéos et documentaires. C’est impressionnant et on se replonge dans ce qu’avait été un méta-évènement. Si l’attentat du stade de France avait réussi, cela aurait été multiplié par deux.

     

    Cela fait 20 ans que l’Occident est officiellement en guerre contre le terrorisme international.

    En 20 ans, l’Occident a-t-il appris à se défendre efficacement contre ce nouvel ennemi protéiforme ?

     

    Non. Chez les talibans c’est l’intégrisme, mais on sait très bien qu’Al-Qaïda existe encore. La preuve, ils font des attentats et ont tué 12 militaires américains devant l’aéroport de Kaboul. C’est une guerre asymétrique. Face à cette guerre asymétrique, on a décidé, et pas seulement la France, de faire ce travail de justice. Mais dans le même temps, on veut traiter le traumatisme et faire une cérémonie expiatoire, une catharsis, ce que je trouve légitime. Il faut que la nation exprime ce qu’elle a vécu, lorsque je dis la nation, ce n’est pas seulement l’État, c’est la population qui habite ce pays. Il faut aussi que les victimes aient le moyen de s’exprimer et soient reconnues dans ce qu’a été leur souffrance. C’est un évènement qui relève d’un« théâtre ». On a construit une salle particulière, on va filmer, on va mettre tout cela en scène et on fait durer le procès neuf mois. Les objectifs ne sont pas les objectifs habituels de la Justice. J’ai toujours dit que lorsqu’on assignait à la Justice les objectifs qui ne sont pas les siens, ça ne peut se faire qu’au détriment de ses propres règles et cela dévoie le processus judiciaire. Je le dis avec beaucoup de précautions parce que je comprends très bien que l’on souhaite faire cet évènement. Il y a eu 7 millions d’euros de travaux et des mesures de sécurité justifiées.  Il y a une unité de temps, une unité de lieu, il y a des règles, des débats contradictoires et cela débouche sur une décision de la violence légitime de l’État.

     

    D’un point de vue strictement pratique, cela contre-associe avec l’état de clochardisation de la Justice souvent décriée. Là, on a mis les moyens…

     

    Oui, mais le praticien que je suis est un peu gêné. Une fois que j’ai dit cela, je suis contraint de constater la réalité. On a fait la même chose pour le procès Barbie. Ce procès était une cérémonie expiatoire permettant de regarder en face ce qu’avait été l’occupation. Et le procès Papon qui était celui d’une administration jouant le rôle de l’occupant. On a eu les grands procès de la mafia en Italie où il a fallu que les Italiens regardent en face ce qu’avait été ce phénomène mafieux et pas seulement en Sicile.

    Assumons le fait que c’est un peu du théâtre et que même si cela va être utile pour la nation et pour les victimes, c’est quand même inhabituel et un peu contradictoire avec le processus de justice.

    Vous allez me dire à la guerre comme à la guerre. On nous a déclaré une guerre donc on répond par des actes qui ne sont pas ceux de la Justice ordinaire et habituelle.

    Je vais citer deux dangers à commencer par le moins important à mes yeux. Neuf mois d’audience nous amènent à l’élection présidentielle. Cela sent la manipulation à 100 kilomètres. Surtout de la part d’un monsieur jamais gêné.

     

    Selon vous ce procès aurait été conduit de telle manière à ce qu’il favorise la majorité en place à des fins électorales ?

     

    Ce procès a été organisé comme tel au profit d’Emmanuel Macron. 60 % des Français ne veulent pas qu’Emmanuel Macron se représente. Il a droitisé son discours et fait perdurer tout l’encadrement politico-juridique de la pandémie qui le sert. La cérémonie aux Invalides pour Jean-Paul Belmondo est ridicule. Dieu sait que j’aimais Belmondo, mais il n’avait rien à faire dans la cour des Invalides. Ce n’est pas sérieux.

     

    Tout acte, même régalien posé par Emmanuel Macron doit-il être regardé dans l’optique de l’élection présidentielle ?

     

    Non, mais c’est quand même un spécialiste. Il salue la rentrée scolaire, il parle de Samuel Paty et il nous montre la photo de deux crétins qui sont ses deux grands amis, Mc Fly et Carlito.

    Le deuxième danger c’est que l’on offre une tribune aux terroristes et en particulier Abdelslam qui en profite. C’était prévisible. Jusqu’à sa condamnation, il est présumé innocent, même si on a tous notre conviction le concernant. Il doit pouvoir dire ce qu’il veut.

     

    Il est assez exceptionnel que l’on doive faire le procès de quelqu’un dont la culpabilité est reconnue et revendiquée. On va donc passer neuf mois à débattre de la culpabilité certaine…

     

    Je ne vois pas trop où sont les circonstances atténuantes et pour ma part je n’ai pas de doute sur ce qui l’attend au final.  Il dit qu’on le traite comme un chien, j’ai envie de lui répondre qu’il va falloir qu’il s’habitue parce que c’est pour le reste de sa vie et en pire. Jusqu’à présent, on l’a préservé pour éviter qu’il mette fin à ses jours pour que ce procès et ce jugement aient lieu. Une fois qu’il sera condamné, il se retrouvera en centrale et il verra que ce n’est pas amusant. Au bout de 30 ou 40 ans, on trouve le temps long. On lui donne une tribune parce que c’est la règle. Il faut qu’il puisse s’exprimer comme il l’entend et c’est insupportable.

     

    Pourquoi ne pas mettre en place un tribunal d’exception et en finir une bonne fois pour toutes pour que la France oublie ce visage et qu’on n’entende plus jamais parler de lui ?

     

    C’est peut-être aussi une espèce de pusillanimité qui consiste à dire que nous sommes supérieurs à ces gens-là parce qu’on va respecter l’État de droit, on va les juger selon des normes civilisées, alors qu’eux sont des brutes. On parle des terroristes et aussi des pays où l’islam est religion d’État et où le Coran est un Code civil.

    Il n’y aura plus ou très peu de guerres classiques. Ces temps-ci, on dit « imaginez-vous que la Chine envahisse Taïwan ». Les Chinois considèrent que Taïwan est à eux et sur le plan historique ils ont raison. Admettons qu’il y ait une guerre classique, il est bien évident que dans le contexte d’aujourd’hui avec l’armement nucléaire, cela change tout. Voir se dérouler de bout en bout, une guerre classique entre des pays et des puissances ayant pignon sur rue, je n’y crois pas trop. On est confronté au terrorisme qui est une guerre asymétrique.

    Face à ce problème, face au terrorisme, ne faudrait-il pas imaginer des solutions qui seraient d’inventer un droit de la guerre asymétrique ?

    Jusqu’à présent, nous avons eu des guerres asymétriques en Algérie à une certaine époque. On en a eu aussi en Amérique latine. C’était de la barbarie. Ce sont des crimes de guerre qui ont été commis au Bataclan. Je ne parle même pas du 11 septembre. Lorsque vous regardez les documentaires, ce sont tous des innocents qui ont été touchés. Les pompiers prennent le risque de mourir comme des soldats.

    Rappelez-vous Tchernobyl, les hommes n’ont pas moufté, mais ils y sont allés. Une série a été réalisée par des Britanniques, très réaliste. Les types y sont allés, car ils ont le sens du devoir.

    Traiter le terrorisme comme une guerre et en définir les règles c’est du boulot. Je serais assez partisan. En six mois, beaucoup de choses se sont dites.

    Sur Netflix, une série avait été réalisée sur le Bataclan. Cela nous replonge dedans et nous secoue. Je ne déduis pas la supériorité de la civilisation du fait qu’elle applique les règles et qu’elle fait un procès de neuf mois par rapport à l’autre. Je dis simplement que l’on traite un évènement hors norme qui n’est pas ce que traite la Justice d’habitude. Il y a un petit décalage.

    Les Américains ont des prisons cachées comme Guantánamo. Ils gèrent cette contradiction entre les normes applicables chez eux, les droits de la défense et avec les principes que nous souhaitons tous appliquer. Ils mettent cela dans un endroit hors sol, qui n’est pas un territoire américain, une zone imposée aux Cubains qui ne sont pas spécialement leurs amis. Et là, ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Sans aller jusque-là, on pourrait peut-être imaginer des formes de traitement d’une justice militaire.

     

  • L’inanité actuelle des paris politiques, par Yves Morel.

    Indifférents, moroses, déçus, les Français se détournent des suffrages et des partis. Il leur apparaît clairement qu'ils sont inutiles à la marche des affaires, 
si décevante celle-ci puisse être.

    Pour l’historien, le politologue, ou seulement tout esprit curieux et sagace, nous vivons une époque passionnante, lors même qu’elle n’a rien de drôle, à moins dire.

    La crise générale provoquée par la pandémie coronovirale remet en question notre mode de vie et de travail, le fonctionnement de notre société et de notre économie, nos habitudes de pensée, et notre vie politique.

    Un bouleversement générateur d’un fatalisme unanime

    C’est tout notre modèle de société et d’organisation politique qui a été chamboulé depuis un an. Nos institutions républicaines, dont nos dirigeants exaltent à tout propos la grandeur, ont reçu un sacré coup, et il n’est pas certain qu’elles puissent surmonter un pareil choc. Le cours normal de notre vie politique est suspendu depuis la mi-mars 2020, et nos compatriotes sont complètement déboussolés, ne sachant plus à quel saint se vouer, et se laissant mener, bon gré mal gré, par le pouvoir en place, qu’ils supportent mal, mais dont ils s’accommodent, parce qu’ils savent que ses adversaires ne feraient pas mieux que lui, et que les mesures qui leur sont imposées, procèdent des lois de la nécessité et excluent donc toute alternative. Le fatalisme est devenu le trait de caractère dominant de notre peuple, pourtant réputé frondeur et ingouvernable. Un fatalisme empreint de lassitude et de déréliction, qui, parfois, fermente et vire à l’aigreur. À l’aigreur, mais non à la révolte, sinon de manière sourde, latente, et quelque peu honteuse : on n’ose plus se révolter, de peur de paraître primaire, attardé, déraisonnable, sot, ou incivique. L’heure est à la soumission, au règne des contraintes « plutôt bien acceptées », comme nous le serinent les animateurs du journal télévisé. Nous vivons à l’heure du consensus. Nous pourrions nous en réjouir. N’a-t-on pas déploré, durant près de deux siècles, notre propension diaboliquement innée à la division, aux querelles permanentes, à la contestation systématique de tout pouvoir et de toute autorité politique, spirituelle, morale, à l’indiscipline, à la rébellion, qui rendait impossible l’indispensable union de tous face aux grands problèmes de l’heure et à la préparation de l’avenir ? Aujourd’hui, nous voilà tous à peu près d’accord avec les décisions les plus contraignantes prises par nos gouvernants, certes à des degrés divers : certains adhèrent tout à fait à la justification présentée par nos dirigeants à l’appui de ces mesures, d’autres se résignent à celles-ci le cœur lourd, mais en les jugeant indispensables ; l’unanimité ne va pas sans accrocs ou fausses notes, mais elle existe.

    Seulement voilà, il s’agit d’une unanimité dans le désespoir, dans le sentiment du malheur et de l’impuissance, dans celui de la fatalité, dans la résignation, dans l’idée que tout va mal et que tout ce que nous pouvons nous proposer, c’est de faire en sorte que la situation n’empire pas, et qu’il est vain de chercher une alternative au pouvoir actuel en vue d’un avenir meilleur. Cette unanimité est celle d’individus et de groupes épars qui n’ont en commun que la mélancolie (la « morosité », pour reprendre un mot cher à nos journalistes), la détresse, le sentiment d’un monde in essentia mauvais et d’une réalité opprimante. Elle n’a rien de commun avec l’union nationale de tout un peuple en un effort collectif accompli dans la ferveur au nom d’une cause sacrée, et pour un grand destin commun, avec en ligne de mire, la perspective d’un avenir meilleur.

    Des partis politiques discrédités, 
ayant perdu toute raison d’être

    Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de s’étonner de la désaffection des Français à l’égard de la vie politique, de leur incivisme, manifesté par des records d’abstention (40 % aux dernières municipales), de leur indifférence vis-à-vis de nos institutions et des partis politiques, dont ils semblent avoir oublié jusqu’à l’existence.

    Cette situation a précédé la crise sanitaire. Souvenons-nous des derniers grands scrutins antérieurs à 2020. Le nombre d’abstentions s’était élevé, au premier tour de la présidentielle de 2017, à 22,23 % des électeurs inscrits, à 25,44 % au second tour ; puis, lors des législatives qui avaient suivi, la même année, il avait représenté 51,3 % des inscrits au premier tour, 57,36 % au second tour. Les partis politiques traditionnels sont totalement discrédités. Le PS a été laminé lors des législatives de juin 2017, et il ne se relèvera probablement jamais. Les Républicains se sont révélés incapables de l’emporter aux élections présidentielle et législatives de 2017, et ils ont perdu tout crédit, en raison de leur incapacité à affirmer leur différence face à LREM, qui les a concurrencés victorieusement en 2017, et à présenter face au pouvoir macronien une alternative claire et convaincante. Le Rassemblement national et La France Insoumise restent des formations protestataires dénuées de crédibilité et qui ne suscitent même plus l’enthousiasme de jeunes en quête de militantisme. Le PCF a quasiment disparu : aux européennes de 2019, il a subi le ridicule, avec 2,49 % des suffrages exprimés, de se voir talonné par le groupusculaire parti animaliste (2,16 %). Grand vainqueur des élections présidentielle et législatives de 2017, avec le prestige du jeune et sémillant Macron et les salutations impératoriennes, LREM a de grandes chances (si l’on peut dire) de voir sa majorité parlementaire absolue devenir toute relative en 2022. Quant aux écologistes, qui ont tiré profit des municipales de 2020 et ont conquis des villes importantes (en plus de Grenoble, gagnée dès 2014, Lyon, Strasbourg, Tours, Poitiers, Bordeaux, et, pour un temps seulement, Marseille), ils souffrent de leurs limites congénitales, pourrait-on dire. En premier lieu, ils ne sont guère crédibles en dehors des questions environnementales. L’importance croissante de ces dernières explique en grande partie leur progression. Mais, dans les domaines économique, social, administratif, diplomatique et autres, ils sont généralement perçus comme plutôt incompétents. Du reste, ils doivent une bonne part de leur succès actuel à la désaffection qui frappe leurs concurrents sur la scène politique. Et il convient, encore une fois, à ce propos, de ne pas oublier les taux effarants d’abstention aux divers scrutins, qui réduisent encore leur importance réelle, ainsi que celle de tous les partis.

    Ces derniers semblent avoir perdu toute raison d’exister. Les électeurs leur dénient toute capacité réelle à résoudre les grands problèmes de l’heure, n’attendent plus rien d’eux et ne croient plus en les idées et projets de société qu’ils défendent. Pour autant qu’ils aient encore des idées et des projets de société. Ceux-ci sont morts depuis longtemps, avec les grands idéaux qui les animaient, étayés sur des références intellectuelles propres à fonder leur crédibilité. Car, tous, ils se sont fracassés contre le réel. À tel point que plus personne, dans le microcosme politique, ne songe à se réclamer d’eux. Voit-on le parti socialiste défendre explicitement un projet de société socialiste ou un programme de gouvernement socialiste ? Il ne le fait plus depuis le milieu des années 1980 (après la phase partisane de la période 1981-1984). Le ferait-il qu’il susciterait de beaux éclats de rire. Un de ses caciques, Manuel Valls, tirant la conclusion de cette évolution, alla jusqu’à suggérer de changer le nom du parti en lui ôtant l’épithète de socialiste.

    L’impuissance face à un monde mercantile 
impossible à maîtriser

    La mort des idéaux, projets et autres utopies politiques (de droite comme de gauche) découle logiquement de la mutation accomplie par notre monde depuis le dernier quart du siècle précédent.. Celle-ci ne laisse plus place à aucune alternative politique ou sociale. Nous vivons au sein de l’ordre spontané, de nature économique et catallactique, selon Hayek, étendu désormais au monde entier, et dont on peut connaître les lois, mais qu’il est impossible de maîtriser ou même d’infléchir quelque peu, ce qui condamne donc à l’échec toute tentative politique visant à le modifier ou à l’orienter, au moins quant à certains de ses effets, dans une direction jugée souhaitable eu égard à des considérations (relevant de l’exigence de justice sociale ou du sentiment national, par exemple) étrangères à sa propre logique de fonctionnement. Le monde actuel, sur toute la planète, est mercantile et libéral, point barre. Il consiste en un vaste marché que personne ne peut juguler, et ce à tel point que nul ne songe plus sérieusement à tenter de le faire, en vérité. Or, la raison d’être fondamentale d’un parti politique est de proposer, pour l’avenir, un projet de société porteur d’une alternative crédible (du moins jugée telle par une fraction importante de la population) à la réalité présente, et capable de résoudre les problèmes du moment, concrètement vécus par les électeurs. Las ! Ces derniers savent très bien que les hommes (et femmes) politiques actuels sont incapables d’une telle prouesse et qu’ils ne se soucient – outre leur carrière – que de gérer au mieux (ou le moins mal possible) l’ordre existant. D’où la résignation ambiante, interrompue quelquefois par des accès de colère de la base populaire (les Gilets jaunes en France, les divers mouvements trumpistes aux États-Unis), sans chefs, ni organisation, ni projet, ni programme, ni idéal, ni vision d’ensemble intelligente des problèmes, ni même porteurs de revendications précises, et mues uniquement par des refus empreints de fureur.

    Une remise en question globale de notre modèle économique et politique dont nous ne tirons guère les leçons

    En vérité, le mérite de notre triste époque est de nous révéler l’obsolescence, et même la vanité foncière de notre système politique actuel. Celui-ci est bel et bien remis en question, de la même façon que la crise sanitaire coronovirale a conduit à la remise en question de notre système économique mercantile, tant en raison de ses responsabilités criantes dans le déclenchement de la pandémie qu’au niveau des politiques déployées pour enrayer cette dernière, et qui sont allées contre la logique économique dominante. Il n’est cependant pas avéré, loin de là, que nous ayons clairement compris l’ampleur du changement que nous devons opérer pour retrouver un mode de vie et un état d’esprit susceptibles de conjurer le péril présent et ceux qui nous menacent à terme.

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    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • Le noyau dur du Pays légal, par Philippe Germain.

    Après avoir dési­gné le Pays légal comme l’ennemi prio­ri­taire, l’Action fran­çaise l’a concep­tua­li­sé comme le défen­seur du Sys­tème poli­tique, puisque étant son prin­ci­pal pro­fi­teur. Elle a aus­si mar­qué sa dif­fé­rence démo­phile par rap­port aux dési­gna­tions (Caste, Éta­blis­se­ment, Oli­gar­chie…) uti­li­sées par les démo­lâtres popu­listes. Voi­là qui est bel et bon, mais insuffisant.

    philippe germain.jpgC’est pour­quoi, afin d’éviter la pos­ture cri­tique « hors sol », si répan­due, les maur­ras­siens appro­fon­dissent la com­po­si­tion de l’ennemi prio­ri­taire. Ils répondent à la ques­tion : Qui sont-ils « ceux » qui par la mai­trise poli­tique de l’appareil d’État répu­bli­cain, exercent une domi­na­tion socié­tale et sociale sans sou­ci du bien com­mun ?  Cela impose :

    • de trai­ter, ce que  l’historien Fran­çois Furet  nomme la « ques­tion des ori­gines ». Celle-ci, dit-il, hante notre his­toire natio­nale depuis 1789. L’histoire comme labo­ra­toire y aide.
    • d’éviter « l’idée de com­plot », notion cen­trale et poly­morphe dans l’idéologie révo­lu­tion­naire, pré­cise encore Furet. Pas plus aujourd’hui de com­plot bour­geois ou mon­dia­liste, que de com­plot « aris­to­cra­tique » en 1789.

    La ques­tion des ori­gines donc. Obser­vant dans l’histoire mon­diale, les répé­ti­tions d’une même cau­sa­li­té, le maur­ras­sisme dégage une loi de phy­sique sociale sur le déve­lop­pe­ment d’oligarchies : Toute révo­lu­tion pro­duit une « nou­velle classe » sou­dée à la longue par l’intérêt. En France c’est Bona­parte, qui pour sau­ver la Révo­lu­tion de 1789, sou­da des gens de tous les milieux, par l’enrichissement résul­tant de la confis­ca­tion du pou­voir poli­tique. Cette classe diri­geante devint héré­di­taire. Ces « dynas­ties répu­bli­caines » du pays légal, gou­vernent et exploitent la France depuis le Direc­toire. Explication…

    Cette nou­velle classe, avide de faire « une for­tune immense », avoue­ra Tal­ley­rand, fut consti­tuée de prêtres jureurs à la consti­tu­tion civile, de membres de la vieille noblesse, de jaco­bins, de mar­gou­lins enri­chis par l’achat des biens natio­naux, de com­mer­çants gras­se­ment rétri­bués par les four­ni­tures aux Armées.

    Pour ces habiles en finance, Bona­parte créa  la Banque de France, avec son pri­vi­lège exclu­sif d’émission des billets. Elle est là l’origine des dis­crètes « 200 familles » (Edouard Dala­dier – 1934), cette « élite finan­cière » dont la famille Gis­card fut emblé­ma­tique. Cer­tains des­cen­dants figurent par­mi les sou­tiens de Macron.

    Cette élite finan­cière est une plou­to­cra­tie, c’est-à-dire le gou­ver­ne­ment des plus riches. Elle n’a rien à voir avec le capi­ta­lisme indus­triel car elle ne prend aucun risque. Elle se contente de pro­fi­ter des oppor­tu­ni­tés offertes par l’état ; par exemple la construc­tion des che­mins de fer au début de la IIIème répu­blique, les contrats de guerre en 1914 – 1918, la déco­lo­ni­sa­tion indo­chi­noise et afri­caine, les natio­na­li­sa­tions  gaul­lo-com­mu­nistes de 1944 – 1948, celles socia­listes de 1982 mais aus­si les pri­va­ti­sa­tions gaul­listes de 1983 et 1993 et main­te­nant les « coups » phar­ma­ceu­tiques de la crise sani­taire. Gains faciles et sans risques ! C’est une plou­to­cra­tie dis­si­mu­lée afin de mieux pro­té­ger ses inté­rêts maté­riels, au détri­ment de l’intérêt éco­no­mique général.

    Pour pros­pé­rer au maxi­mum grâce à l’État, cette nou­velle classe le pré­fère faible, donc basé sur le Sys­tème repré­sen­ta­tif, dans lequel les citoyens élisent des dépu­tés en leur aban­don­nant le soin de déci­der de la loi à leur place. C’est pour­quoi l’élite finan­cière sou­tien une seconde élite, elle aus­si  crée par Bona­parte. Cette der­nière sert de paravent pour dis­si­mu­ler la plou­to­cra­tie, reti­ré de l’avant-scène poli­tique mais gou­ver­nant par influence et per­sonnes interposées.

    Là encore se pose la ques­tion des ori­gines, sinon depuis 1789, au moins depuis le Direc­toire du Consul Bona­parte. Par la trans­for­ma­tion de la maçon­ne­rie en ins­ti­tu­tion qua­si offi­cielle et ins­tru­ment d’influence majeur du pou­voir, Bona­parte ajou­ta au noyau finan­cier du pays légal, une seconde élite. Il pla­ça les maçons aux prin­ci­pales fonc­tions de l’État, les fai­sant ducs ou princes, les dotant de séna­to­re­ries d’un bon rap­port, leur per­met­tant par une guerre épui­sant la nation, de réa­li­ser des malversations.

    Ain­si fut assu­ré le vivier d’une élite « poli­tique », carac­té­ri­sée par une très forte sta­bi­li­té du per­son­nel par­le­men­taire, séna­to­rial et ministériel.

    Cette oli­gar­chie est le gou­ver­ne­ment de tous par quelques-uns, exer­cé sans trans­pa­rence dans la forme répu­bli­caine. C’est un Gou­ver­ne­ment de clans, un des­po­tisme de cote­ries repo­sant sur trente ou qua­rante mile affi­liés, tous cupides, intri­gants et para­sites. Par la maî­trise du pou­voir légis­la­tif, l’é­lite poli­tique peut, et ne s’en prive pas, faire des lois lui per­met­tant de gou­ver­ner en per­ma­nence. L’al­ter­nance élec­tive entre un per­son­nel de centre droit et un per­son­nel de centre gauche garan­tit à l’élite finan­cière, une poli­tique allant tou­jours dans le sens de ses seuls inté­rêts, lui  per­met­tant de pros­pé­rer au détri­ment de la nation par l’exploitation éco­no­mique de l’État. Macron appelle « l’ancien monde » cette élite politique.

    L’actuel pôle idéo­lo­gique des « valeurs répu­bli­caines » émane de cette élite poli­tique dont le laï­cisme athée a vain­cu la pro­tes­ta­tion socié­tale des catho­liques de La Manif Pour Tous mais s’avère impuis­sante face à l’Islamisation.

    En revanche, contrai­re­ment aux appa­rences, la péren­ni­té de cette élite poli­tique n’est pas acquise et ses mises en cause ont son­né le glas de la IIIème répu­blique (1940-maré­chal Pétain) et de la IVème (1958-géné­ral De Gaulle). Les deux élites, consti­tuant le noyau dur du pays légal, furent sérieu­se­ment secouées par la chute de la IIIème répu­blique. C’est pour­quoi après 1945, elles fédé­rèrent deux nou­velles élites, leur per­met­tant à la fois de conso­li­der leur capa­ci­té de domi­na­tion et de résoudre leur pro­blème de renou­vel­le­ment propre à toute élite. Nous ver­rons pro­chai­ne­ment les­quelles ain­si que leur rôle déter­mi­nant sur l’Islamisation.

    Ger­main Phi­lippe ( à suivre)

    Pour lire les pré­cé­dentes rubriques de la série «  L’Islam menace prin­ci­pale », cli­quer sur les liens.

    1. France,  mai­son de la guerre
    2. Mai­son de la trêve et ter­ri­toires per­dus de la République
    3. Impact sur la France de la révo­lu­tion isla­miste de 1979
    4. Les beurs et la kalachnikov
    5. Le plan d’islamisation cultu­relle de la France
    6. Islam radi­cal et bar­ba­rie terroriste
    7. Pas d’amalgame mais complémentarité
    8. Pôle idéo­lo­gique islamiste
    9. Pôle idéo­lo­gique des valeurs républicaines
    10. Face au dji­had cultu­rel : poli­tique d’abord !
    11. Prince chré­tien et immi­gra­tion islamisation
    12. Le Prince et la France chrétienne
    13. Le Prince chré­tien et la laïcité
    14. balayons le défai­tisme républicain
    15. Balayons le défai­tisme démocrate.
    16. Refe­ren­dum sur l’immigration
    17. Moi, j’ai dit pays légal ?

    Source : https://www.actionfrancaise.net/