Reçu de nos Amis de "Première nouvelle" : À propos des cathos de gauche, par Jacques de Guillebon
« C’est vrai que l’idée qu’il y ait des cathos de gauche est spontanément bizarre : cela ne colle pas avec le cliché des serre-têtes, avec cette confusion, si bêtement française, entre catholicisme et maurrassisme », a écrit Aurélien Bellanger dans une chronique. Régulièrement, la question revient : Jésus était-il de gauche ou de droite ? Si l’interrogation est évidemment anachronique, quid des fidèles de l’Église catholique en France et en Europe ? Ils existent encore les « cathos de gauche » ?
Personne ne sera étonné par l’inculture d’Aurélien Bellanger, mais pour aller dans le fond de la question, il est en soi absurde de raisonner à l'intérieur de l’Église selon les canons politiques de la droite et de la gauche. Nul n’est à Pierre, à Jacques ou à Paul, mais tous sont au Christ, comme l’explique déjà saint Paul il y a près de 2000 ans. Et le sens du christianisme, c'est précisément d’extraire l’homme et la femme de leurs conditionnements mondains et de leurs raisonnements « païens ». La catholicité, c’est-à-dire la volonté d’universalité, s’oppose formellement à cette catégorisation. Cependant, l’homme ne guérit pas d’un seul coup et il entre, même dans son baptême, tout casqué mondainement, marqué d’une personnalité propre, rempli de tendances et d’une histoire qui le feront pencher par ici ou par là. Mais il faut remarquer qu’historiquement, c’est seulement à partir du XIXe siècle et à la suite de la Révolution française, qu’on commence à parler de catholiques de ce type, ou de cet acabit. Avant cela, on pouvait sombrer dans le schisme ou l’hérésie, c’est-à-dire que la question se réglait dans un champ religieux – qui implique la morale, et la morale sociale, mais dont les prodromes demeurent dogmatiques. L’invasion de la question politique et sociale dans toutes les parties de l’homme l’a poussé à se considérer peu à peu comme d’abord de gauche ou de droite, libéral ou antilibéral, capitaliste ou socialiste, avant que de considérer sa foi, son espérance et sa charité. C’est particulièrement le catholicisme des bourgeois qui a poussé chacun à se définir dans son coin. Et tout le travail de grands hommes, de grands saints comme Frédéric Ozanam entre 1830 et 1850 (dont nous republions ces jours-ci les grands textes) aura consisté à éviter cette césure, cette déchirure dans l’unique tunique du Christ. Au XXe siècle, un Maritain tentera de jouer le même rôle. Reste qu’hélas, malgré tout certains auront décidé de s’occuper plus précisément du rite, des questions dites de moeurs et de la lutte contre le communisme : ce sera les catholiques de droite, souvent traditionalistes pour le rite ; les autres de se vouer aux questions dites sociales, à la paix, à l’écologie, souvent moins férus de liturgie, ça donnera les catholiques de gauche. Le bienheureux Frédéric Ozanam Comment a évolué l’Église politiquement depuis l’après-Guerre ? En perdant l’emprise et l’influence qu’elle avait sur la société, avec ses hôpitaux et ses universités, ne s’est-elle pas aussi éloignée de son ancrage populaire ? Je ne répondrais que pour l’Église en France, parce que parler d’une évolution globale de l'Église sur 80 ans et sur toute la terre est trop complexe. En France, elle a perdu peu à peu les campagnes (à cause de l’exode rural, notamment), mais aussi les classes populaires fascinées par les attraits matériels de la modernité, ou attirées par le premier charlatanisme venu, et malgré elle s’est trouvée constituée d’un noyau dur bourgeois, qui avait su transmettre une foi éclairée à ses enfants. Vous avez raison de souligner qu’elle a aussi été expulsée des lieux qu’elle avait elle-même bâtis, les hôpitaux et les universités (deux choses qui n’avaient jamais existé hors du monde chrétien et sont bien le fruit de l’Église). Mais aussi de l’école et de toute la chose publique, par une République aigrie et vengeresse (de quoi ?). Lui est demeuré cependant l’exercice de la charité et innombrables sont ses actions dans ce domaine. On s’émeut beaucoup de la chute du mauvais abbé Pierre ces temps-ci. C’est qu’on a effacé quelqu’un comme le père Wresinski par exemple, qui ne le lui cède en rien pour la charité et le soin du plus pauvre, et qui fut entre autres l'inventeur du terme « quart-monde ». Alors, si l’Église avait provisoirement perdu certaines classes populaires, à cause et du rival communiste et de la morgue bourgeoise, elle n’a jamais oublié le soin qu'elle devait aux plus petits. Par ailleurs, notons qu’une bonne partie de l’immigration, notamment africaine, que rejette la bourgeoisie catho-Retailleau est faite de fervents catholiques qui repeuplent nos églises, à la suite des Italiens, des Polonais, des Espagnols et des Portugais. C’est réjouissant. Secrétaire nationale des Ecologistes, Marine Tondelier serait une « catholique pratiquante ». À la mort du pape François, elle a déclaré : « Ce pape a mené une bataille culturelle courageuse sur plusieurs sujets environnementaux et de solidarité. Puisse ce grand mouvement s’intensifier et s’étendre aux sujets sociétaux. C’est aussi cela, la responsabilité de l’Église ». Peut-on dire qu’il y a un hiatus chez certains chrétiens politisés qui aimeraient que l’Église soit alignée sur leurs idées ? Est-ce le rôle de l’Église « d’avancer avec son temps » ? C’est hélas le grand vice des « cathos de gauche » d’aujourd’hui que de concentrer leurs efforts sur des points de moeurs assez peu importants, et en cela ils sont le miroir exact des « cathos de droite » dont on vient de parler. Tout cela est stérile et vain. L’Église doit persévérer dans la libération du faible, de l’esclave, dans le soin du petit et de ce dont personne ne se préoccupe, comme la terre, les mers, les plantes et les animaux. Elle n’a pas à servir de bouc-émissaire pour des questions bénignes de société. Quels sont les réseaux subsistants des « cathos de gauche » ? Que représentent-ils sociologiquement et comment sont-ils intégrés à l’Église ? En France, ils tiennent encore, même si ça change, la grande presse catholique (le groupe Bayard, qui édite notamment La Croix) et la majorité des oeuvres sociales. Mais leur influence est battue en brèche par le fric des Bolloré-Stérin qui allient public bourgeois et public identitaire – ceux qui croient que le catholicisme est « l’islam des blancs », par exemple. Quid de la communauté de Sant’Egidio, mouvement laïc d’inspiration catholique fondé à Rome en 1968 ? On les dit proches d’Emmanuel Macron, au point que ce dernier a été soupçonné par la presser italienne de vouloir « influencer le conclave ». Sant-Egidio est un mouvement d’origine italienne remarquable, qui ajoute au secours du pauvre un travail diplomatique de faiseur de paix admirable. Son fondateur Andrea Riccardi, toujours vivant, est un homme rare qui par ailleurs ne se prétend ni de gauche ni de droite. Mais comme il va sauver des migrants en Méditerranée, les cathos droitards le tiendront pour un gauchiste. Et comme il n’a pas l’intention de modifier le catéchisme sur la question des moeurs, les cathos gauchistes le tiendront pour un réactionnaire. C’est dire s’il a raison sur tout. Il faut noter particulièrement l'insistance de son mouvement sur la paix, qui ressuscite une pensée et une pratique pacifistes et de la non-violence, éminentes dans le catholicisme, qu’on a trop oubliées, ici. Il faut l’en remercier. Le « complot » supposé de Macron pour élire le pape est un nouvel exemple de la bêtise d’une presse de droite ivre de son l'argent et qui a cessé de penser depuis bien longtemps. Faisons feu sur elle et oublions-la. |