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Feuilleton : "Qui n 'a pas lutté n'a pas vécu"... : Léon Daudet ! (177)

 

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 (retrouvez l'intégralité des textes et documents de ce sujet, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)

Aujourd'hui : Stupeur : "Motion Daudet", 249 voix sur 583 votants...

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ndlr : ce sujet a été réalisé à partir d'extraits tirés des dix livres de souvenirs suivants de Léon Daudet : Paris vécu (rive droite), Paris vécu (rive gauche), Député de Paris, Fantômes et vivants, Devant la douleur, Au temps de Judas, l'Entre-deux guerres, Salons et Journaux, La pluie de sang, Vers le Roi...

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De "Député de Paris", pages 117 à fin du chapitre, page 123 :

"...Ce mardi 10 janvier 1922, le premier collègue que je rencontrai au vestiaire fut Klotz, ancien ministre des Finances du cabinet victorieux de Clemenceau, depuis incarcéré pour vol... Klotz m'était sympathique parce qu'il était vivant, qu'il riait, que le monde extérieur l'intéressait, et qu'il aimait, ici-bas, ce qui est savoureux : les jolies personnes, la bonne chère, mais aussi hélas, les chèques sans provision...
Au moment où j'allais dire à Klotz préoccupé..."j'interpelle, d'ordre de Maurras", il me confia, tirant ses manchettes : "Vous savez que je dépose une demande d'interpellation."... C'est pourquoi je fis "ah ! oui, parfaitement" et me gardai de faire savoir à mon aimable collègue que j'avais la même intention que lui.
Dans le salon attenant à la salle des séances (côté droit) nos amis étaient réunis. Je racontai le projet de Klotz. Je transmis aussi le désir de Maurras. L'avis général fut qu'il fallait porter un coup, qui ne serait pas une demande d'interpellation.
Magne (député royaliste de Nîmes, ndlr) s'écria :
- Pourquoi pas une brusque motion en fin de séance...?
- Mais ce n'est pas réglementaire !...
J'essayai mon creux "hum, hum, broum, broum, broum..." comme le Labassindre d'Alphonse Daudet dans Jack. Pas le moindre enrouement... "En séance, messieurs", appelaient les huissiers.
Alors voici ce qui se passa et que relate "sec" (comme en Amérique) le "Journal officiel" (séance du 10 janvier 1922) :

* M. Léon Daudet. - Je demande la parole.
* M. le Président. - La parole est à M. Daudet sur la date de la prochaine séance.
* M. Léon Daudet. - D'accord avec mes amis de la droite, je demande à la Chambre de vouloir bien décider qu'elle siègera demain pour délibérer sur la situation nouvelle et grave créée par le fait que le ministre des Affaires Etrangères, Président du Conseil, est en train de prendre à Cannes des décisions qui sont en contradiction formelle avec les engagements antérieurs et les assurances données à la Chambre avant son départ. (Interruptions à gauche et à l'extrême-gauche).
* Sur divers bancs à gauche. - Qu'en savez-vous ?
* Au centre. - Vous le savez par les journaux.
* M. Léon Daudet. - Nous savons notamment par les journaux, par les interviews données à des journaux anglais, par le Président du Conseil lui-même, qu'il est question :
1° d'une réduction de 200 millions de mark-or sur les rentrées de 1922;
2° de la subordination des réparations à la reconstitution économique de l'Europe;
3° enfin, et ceci est plus grave, de l'admission de Lénine et de Rathenau à une prochaine conférence tenue à Gênes.
* M. le Président. - Monsieur Daudet, vous ne pouvez pas, sur une question d'ordre du jour, développer une interpellation. (Très bien ! Très bien !).
* M. Léon Daudet. - Il s'agit, en réalité, de faire décider dès maintenant que la France mettra sa main dans celle de Ludendorff et dans celle des représentants du bolchévisme. Il est donc urgent que nous en délibérions sans délai et je demande à la Chambre de siéger dès demain, avant que nous soyons, une fois de plus, en présence du fait accompli. (Applaudissements à droite et au centre).
* Sur plusieurs bancs à gauche. - À jeudi.
* M. le Président. - Certains de nos collègues ont demandé la fixation de la prochaine séance à jeudi. D'autre part, M. Daudet et plusieurs de ses collègues proposent de tenir une séance demain mercredi. La séance de mercredi, étant exceptionnelle, a la priorité; c'est donc sur la fixation de la prochaine séance à demain que je consulte la Chambre.
Il y a deux demandes de scrutin signées :
"La première de MM. Louis Mauriès, Magne, Léon Daudet, Coucoureux, Sibuet, Le Cour Grandmaison, Joly, de Ramel, Maurice Kempf, Xavier Vallat, Pfleger, de Leusse, Yves Tomas, de Magallon, Gourin, Guérin, etc...
La deuxième de MM. François Binet, Alexandre Israël, Lesaché, Renard, Tranchand, Théveny, Berthélemot, Maurice Marchais, Avril, de Rotschild, Barthe, Charlot, Guichard, Rhul, Camille Chautemps, Viala etc...
Le scrutin est ouvert.
(Les voix sont recueillies. - MM. les secrétaires en font le dépouillement).
* M. le Président. - Voici le résultat du dépouillement du scrutin :
- Nombre de votants... 583
- Majorité absolue....... 292
- Pour l'adoption......... 249
- Contre.....................  334
La Chambre des Députés n'a pas adopté.
En conséquence, jeudi, à quinze heures précises, séance publique.
- Installation du bureau définitif.
- Fixation de l'ordre du jour.
- Il n'y a pas d'observation ?...
(La séance est levée à 18h10)."

Ce compte-rendu n'exprime pas la stupeur immense que produisit, à la proclamation du scrutin, l'énoncé du chiffre 249. Que 249 députés eussent suivi, dans une motion de blâme à l'adresse du Cabinet, un député royaliste, vous entendez bien : royaliste, cela semblait inconcevable.
Mes collègues du centre et de la gauche n'en revenaient pas. En fait, le cabinet Briand était frappé à mort, et il n'y avait plus qu'à rappeler, de Cannes, le vieux cabot "vachéador" qui était en train d'y liquider, sans contre-partie, l'avoir de la France victorieuse.
C'est à quoi se résigna aussitôt l'épais Millerand...
Quelques jours après la motion, ce fut la chute par démission, truc habituel aux parlementaires les plus roués, et qui leur permet de se retirer avant d'avoir reçu leurs huit jours.
Aristide, il faut le reconnaître, joua son rôle de désabusé en perfection.
Le jeudi 12 janvier 1922, il monta à la tribune, au débarquer du train de Cannes, avec cette mine de "nonnête homme" offensé, de patriote usé au service de la Patrie, qui faisait partie de son vestiaire.
Il nous raconta ce qu'il avait tenté; il nous expliqua, pour la centième fois, son caractère "entièrement loyal, messieurs", défendit "msieur Leud Djordge", ses collaborateurs, ses intentions pures entre les pures, puis, avec la courbe élégante d'une auto de bonne marque devant le perron de Cocherel (sa studieuse retraite de l'Eure), il nous annonça qu'il déchargeait son fardeau, d'une voix qui semblait sortir de dessous terre.
...En même temps, vers la droite et le centre-droit, où nous nous faisions une pinte de bon sang (la pinte 249), il jetait un long regard de reproche et de haine recuite qui signifiait : "On se retrouvera..."...
...Puis nous envoyâmes quelques uns d'entre nous à Poincaré pour lui demander de prendre le pouvoir et d'occuper la Ruhr. Nous croyions à ce moment-là - ô popoï ! - à une certaine fermeté patriotique du nain de Lorraine.
Dans la bonne règle du jeu c'était à nous royalistes, qui avions renversé Aristide, que Millerand eût dû s'adresser pour former un nouveau cabinet. Ainsi la France eut-elle évité les malheurs et les déceptions qui l'assaillent depuis huit ans, car nous eussions pris les mesures alors très simples, au dedans comme au dehors, qui s'imposaient.
Le fléau de la guerre eût été écarté pour un siècle au moins. (fin du chapitre, page 123).

Et, de fait, c'est le titre du Chapitre suivant, le chapitre V de "Député de Paris", page 124, "Poincaré arrive aux affaires avec notre appui (1922)".
Premières lignes du chapitre :

"C'est avec notre appui en effet que Poincaré arriva aux Affaires - en dépit de l'hostilité sourde de Millerand - après que nous eûmes renversé l'ignoble Briand.
C'est encore avec notre appui que Poincaré se décida au bout d un an d'exercice du pouvoir à occuper la Ruhr..."

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