Feuilleton : "Qui n 'a pas lutté n'a pas vécu"... : Léon Daudet ! (176)
(retrouvez l'intégralité des textes et documents de ce sujet, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)
Aujourd'hui : Défense des Humanités....
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ndlr : ce sujet a été réalisé à partir d'extraits tirés des dix livres de souvenirs suivants de Léon Daudet : Paris vécu (rive droite), Paris vécu (rive gauche), Député de Paris, Fantômes et vivants, Devant la douleur, Au temps de Judas, l'Entre-deux guerres, Salons et Journaux, La pluie de sang, Vers le Roi...
Deux volumes de la collection Budé.
"Dernièrement, je relisais une satire de Perse dans une de ces admirables éditions Guillaume Budé qu'a célébrées si justement M. Bracke, cette collection issue de la guerre, qui est une fête de l'esprit et du coeur..." (page 267).
C'est, en effet, en 1919 que fut lancée la Collection des Universités de France, dont les volumes sont plus connus sous le nom familier de « Budés » : les volumes de littérature latine - de couleur rouge - sont marqués de la louve romaine du musée du Capitole, tandis que les volumes grecs - de couleur jaune- arborent la chouette d'Athéna.
La collection a pour but d'éditer tous les textes grecs et latins jusqu'à la moitié du VIème siècle, accompagnés de leur traduction française, d'une introduction, de notes et d'un appareil critique.
Le 22 juin 1922, Léon Daudet monte à la Tribune de l'Assemblée pour prononcer un discours resté célèbre sous le nom de "Discours sur les Humanités", ou "Défense des Humanités Gréco-Latines".
Ce discours est consultable dans l'ouvrage "Député de Paris", dont il constitue l'Appendice 2, sur trente pages, de la page 256 à la page 286.
Son argumentation - fort "classique", au demeurant - s'articule en un ample développement, compris entre une affirmation initiale et une très belle - et très juste - conclusion finale :
1. L'affirmation initiale (page 256) :
"Je ne conçois pas de culture générale, c'est-à-dire de fondement de la connaissance et de la possibilité d'avancer dans la connaissance, au cours des circonstances et des tournants de la vie, tout au moins pour les hommes de notre pays, sans les humanités... Je considère que ce qu'on donne dans l'enseignement secondaire de latin et de grec a deux buts : en premier lieu, former le jugement de l'enfant, en second lieu, mettre à même d'avancer ceux qui plus tard voudront se perfectionner dans ces connaissances indispensables selon moi, même si l'on se consacre aux sciences, à la culture générale... Les mots français dont nous nous servons, que nous parlons et que nous écrivons, dépendent de leurs racines, et il n'est pas indifférent qu'au moment où nous les disons et où nous les écrivons nous ayons une idée générale de ces racines et de leur puissance étymologique (Très bien ! très bien !)...
2. La conclusion finale (pages 284 à 286) :
"...La question de l'enseignement est donc primordiale. C'est pourquoi j'estime que, après une guerre comme celle-ci, il importe d'utiliser toutes les richesses de la nation.
On a dit - et j'approuve pleinement cette parole - que tous les petits Français ont droit à l'enseignement intégral. C'est la thèse que j'ai toujours soutenue. Que sont en réalité les instituteurs, les professeurs en Sorbonne, les professeurs de facultés ? Ce sont des prospecteurs, des hommes chargés de découvrir et d'extraire les richesses contenues dans tous les gisements intellectuels.
Or, dans toutes les classes sociales, il y a des gisements de richesse. (Applaudissements)
Il y a de l'or dans les enfants du peuple. Cet or, il faut l'amener à la surface... (Vifs applaudissments)
...Il y a dans toutes les classes des richesses intellectuelles et morales. Il faut arriver à un certain niveau d'esprit pour savoir ce que représente l'enseignement, c'est-à-dire tout l'avenir. (Nouveaux applaudissements)
Je vous ai dit que je considère les humanités comme indispensables. Je vais jusqu'au bout de ma doctrine : il faut mettre les humanités dans les écoles primaires. (Applaudissements) Vous me direz : "Mais c'est insensé !". Non, ce n'est pas insensé.
- M. le ministre de l'Instruction publique : Logiquement, c'est le vrai pont.
- M. Léon Daudet : Il faut mettre les enfants des écoles primaires, par une année de latin, à même de passer dans l'enseignement secondaire, il faut les mettre à même de poursuivre les études latines. La question d'argent ne m'importe pas ! En matière d'enseignement, elle n'existe pas, c'est de l'argent placé à 150%, à 10.000%. (Applaudissements)
La misère d'un pays, c'est de n'avoir pas des intelligences pour le guider. (Vifs applaudissements) Voilà pour lui la seule et véritable misère; et l'enseignement, c'est le pain de l'esprit... (Nouveaux applaudissements)
...L'union sacrée dans l'enseignement est, je le répète, la plus grande forme de l'union sacrée.
Si vous n'en arrivez pas là, les enfants du peuple ne sauront jamais les humanités. Cela fera toujours une barrière que, pour ma part, je trouve odieuse, et une perte effroyable de substance. Qui nous dit que, parmi ces enfants de la primaire, il n'y a pas la graine d'un des hommes dont je parlais tout à l'heure, d'un Charcot, d'un Claude Bernard, d'un Pasteur ? (Applaudissements)
Il est certain, au contraire, qu'elle s'y trouve... Parmi ces enfants, qui ne reçoivent pas la connaissance, il y en a peut-être qui porteraient la connaissance à des points jusqu'à présent peu connus, mal connus, ou même inconnus.
- M. Ferdinand Buisson : Il y en a certainement.
- M. Léon Daudet : Il faut faire sortir toutes ces richesses. L'instrument d'extraction est constitué par les humanités... Donnez à ces enfants au moins un an d'études, leur permettant d'atteindre au latin. Il n'est pas difficile d'apprendre les conjugaisons et les déclinaisons. Je les ai enseignées à mes enfants, je les ai apprises moi-même autrefois, ce n'est pas sorcier. En un an, on peut former non pas un latiniste, mais un enfant susceptible de progresser dans la connaissance du latin.
Il fera du grec plus tard, s'il montre des aptitudes. Je vous proposerai, en effet, une fois que ce premier pas sera fait, d'envoyer dans les écoles primaires des hommes très compétents, des professeurs d'université, des professeurs en Sorbonne, comme prospecteurs, comme inspecteurs. Il n'y a pas de besogne plus pressante que de préposer les premières intelligences du pays à cette extraction intellectuelle des petits enfants du peuple, auxquels, croyez-le, je m'intéresse autant que vous. (Vifs applaudissements)
Je voudrais que tout ce qu'il y a de fort, d'intelligent, de moral dans le pays, clercs et laïcs, parce que les clercs ont une très grande connaissance de l'enfant, comme d'ailleurs certains laïcs, se mît résolument la main dans la main pour concourir à l'enseignement et à l'éducation de l'enfant.
Tous en avant pour le latin ! (Vifs applaudissements. L'orateur, de retour à son banc, reçoit des félicitations)"
Le reste de ce long discours, ponctué de fréquentes interventions de ses collègues, consiste en des développements sur les mérites comparés du thème et de la version latine - ou grecque; sur la pensée allemande au XIXème, et la pensée française qui, justement, s'oppose à elle, en ceci qu'elle se fonde sur les penseurs gréco-romains; sur les rapports entre les sciences et les lettres...
Édouard Herriot prend fréquemment la parole, et Daudet lui répond avec une extrême courtoisie. Édouard Herriot, grand adversaire politique de Daudet - celui-là même qui s'honorera en venant ostensiblement lui serrer la main quelques mois plus tard, lorsqu'on apprendra l'assassinat de son fils Philippe...
Autre moment fort de l'intervention : lorsque Daudet reprend le Maurras du "Quand les Français ne s'aimaient pas", revient sur cette période de germanolâtrie ("L'Allemagne est la patrie de ceux qui pensent"!) et déclare (page 269) :
"Voici l'important témoignage de Gustave Belot :
"En 1870, le douloureux sentiment de la défaite... nous amena à chercher des leçons et des modèles au-dehors et en particulier chez le vainqueur."
Aujourd'hui, les temps sont changés. L'heure de cette influence trop longtemps prédominante est définitivement passée. Il y a eu Sadowa; il y a eu Sedan; mais il y a la Marne ! (Applaudissements)
Nous avons repoussé l'invasion des agresseurs de 1914. Ce n'est pas chez les vaincus d'hier, ce n'est pas dans les méthodes du germanisme que nous irons chercher, après notre victoire méritée, les leçons et les modèles de qui doit s'inspirer notre vie morale et intellectuelle. (Applaudissements)
Puisqu'on a parlé ici de Salamine, il me sera permis de rappeler que ce n'est point chez les Perses que les Athéniens sont allés chercher les principes directeurs de la réforme intellectuelle et morale par où ils sont parvenus à la pleine conscience et à la pleine possession de leur génie national, dont les oeuvres immortelles dominent encore aujourd'hui la culture générale de l'humanité. (Applaudissements)
- M. Louis Marin : Alors nous chercherons ces principes chez nous-mêmes.
- M. Léon Daudet : Eh bien, oui ! mon cher collègue. Chez nous-mêmes, en effet, de toutes façons, depuis une quarantaine d'années, nous négligeons singulièrement nos richesses, et cela, c'est une question d'enseignement..."
Autre passage d'intérêt :
"...Les Humanités, créant une élite, créent du même coup une aristocratie, aussi haïssable que l'autre, aux yeux des pauvres diables qui prennent Zola pour un écrivain et le Concile de Trente pour une réunion de trente curés... (les Humanités) enseignent l'autorité, la hiérarchie et l'ordre dans le domaine des idées. Elles font ainsi de la restauration mentale le prélude de toute restauration civique..." (Léon Daudet, Les Humanités et la culture, Édition du Capitole, page 23)
On peut consulter aussi l'intégralité du Discours de Daudet dans notre Catégorie "Grandes "Une" de L'Action française" :